Marialis cultus FR




2 février



EXHORTATION APOSTOLIQUE DE S.S. LE PAPE PAUL VI SUR LE CULTE DE LA VIERGE MARIE





Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique



Depuis que Nous avons été élevé au siège de Pierre, Nous nous sommes constamment efforcé d’intensifier le culte marial, non seulement pour répondre au sentiment de l’Eglise et à notre inclination personnelle, mais aussi parce que ce culte, comme on le sait, tient une place très noble dans l’ensemble du culte sacré, où se rencontrent le faîte de la sagesse et le sommet de la religion et qui constitue donc une tâche primordiale du Peuple de Dieu.

C’est justement en vue d’une telle tâche que Nous avons sans-cesse aidé et encouragé la grande oeuvre de la réforme liturgique promue par le Concile OEcuménique Vatican II, et ce n’est certes pas sans un dessein particulier de la divine Providence que le premier document conciliaire que, en union avec les vénérables. Pères, Nous avons approuvé et signé « dans l’Esprit Saint » fut la Constitution Sacrosanctum Concilium, qui se proposait précisément de restaurer et de développer la liturgie, en rendant plus bénéfique la participation des fidèles aux mystères divins. Depuis lors, bien des actes de notre pontificat ont eu pour but l’amélioration du culte rendu à Dieu, comme le montre le fait d’avoir promulgué ces dernières années nombre de livres du Rite romain, restaurés selon les principes et les normes de ce même Concile. Nous en remercions vivement le Seigneur, auteur de tout bien, et Nous sommes reconnaissant aux Conférences épiscopales et à chacun des évêques, qui, de diverses manières, ont collaboré avec Nous à la préparation de ces livres.

Mais, tout en considérant avec joie et gratitude le travail accompli et les premiers résultats positifs du renouveau liturgique, qui sont destinés à se multiplier au fur et à mesure que la réforme sera mieux comprise dans ses motivations profondes et correctement appliquée, notre sollicitude vigilante ne cesse de se tourner vers tout ce qui peut permettre de réaliser de façon ordonnée la restauration du culte par lequel l’Eglise, en esprit et en vérité (cf. Jn Jn 4,24), adore le Père, le Fils et l’Esprit Saint, « vénère avec un amour particulier la bienheureuse Marie, Mère de Dieu » et honore avec un religieux respect la mémoire des martyrs et des autres saints.

Le développement, que Nous souhaitons, de la dévotion envers la Vierge Marie, dévotion qui, Nous l’avons dit plus haut, s’insère au centre du culte unique appelé à bon droit chrétien — car c’est du Christ qu’il tire son origine et son efficacité, c’est dans le Christ qu’il trouve sa pleine expression et c’est par le Christ que, dans l’Esprit, il conduit au Père —, est un des éléments qui qualifient la piété authentique de l’Eglise. Par nécessité intime, en effet, celle-ci reflète dans la pratique du culte le plan rédempteur de Dieu : à la place toute spéciale que Marie y a tenue correspond un culte tout spécial envers elle : de même chaque développement authentique du culte chrétien entraîne nécessairement un accroissement proportionné de vénération pour la Mère du Seigneur. Du reste, l’histoire de la piété montre comment « les formes diverses de piété envers la Mère de Dieu, que l’Eglise a approuvées, en les maintenant dans les limites d’une saine doctrine orthodoxe », se développent dans une subordination harmonieuse au culte du Christ et gravitent autour de lui comme autour de leur point de référence naturel et nécessaire. Ainsi en advient-il également à notre époque. La réflexion de l’Eglise contemporaine sur le mystère du Christ et sur sa propre nature l’a l’amenée à trouver, à la racine du premier et comme couronnement de la seconde, la même figure de femme : la Vierge Marie, Mère précisément du Christ et Mère de l’Eglise. Et la connaissance plus profonde de la mission de Marie s’est transformée en vénération joyeuse envers elle et en respect plein d’adoration pour le sage dessein de Dieu qui a placé dans sa Famille — l’Eglise —, comme en tout foyer domestique, la figure d’une femme qui, discrètement et en esprit de service, veille sur elle « et dirige sa marche vers la patrie, jusqu’à ce que vienne dans la gloire le jour du Seigneur ».

A notre époque, les changements survenus dans les moeurs, dans la sensibilité des peuples, dans les modes d’expression de la littérature et des arts, dans les formes de communication sociale ont influencé également les manifestations du sentiment religieux. Certaines pratiques culturelles qui, naguère encore, s’avéraient aptes à exprimer le sentiment religieux des individus et des communautés chrétiennes, semblent aujourd’hui insuffisantes ou inadaptées parce que liées à des schémas socioculturels du passé, alors qu’un peu partout on cherche de nouvelles formes d’expression de l’immuable rapport des créatures avec leur Créateur, des fils avec leur Père. Cela peut amener certains à être momentanément désorientés : mais si, en esprit de confiance en Dieu, on réfléchit sur de tels phénomènes on découvre que bien des tendances de la piété contemporaine — par exemple l’intériorisation du sentiment religieux — sont appelées à concourir au développement de la piété chrétienne en général et de la piété envers la Vierge en particulier. Ainsi notre époque, fidèlement à l’écoute de la tradition et attentive aux progrès de la théologie et des sciences, apportera sa contribution à la louange de Celle que, selon les paroles prophétiques, toutes les générations proclameront bienheureuse (cf. Lc Lc 1,48).

Nous estimons donc qu’il est du ressort de notre service apostolique de traiter, comme en un dialogue avec vous, vénérables Frères, quelques thèmes relatifs à la place que la bienheureuse Vierge occupe dans le culte de l’Eglise. Ces thèmes ont déjà été abordés en partie par le Concile Vatican II et par Nous-même ; mais il n’est pas inutile d’y revenir pour dissiper des doutes et, surtout, pour favoriser le développement de cette dévotion à la Vierge qui, dans l’Eglise, trouve ses motivations dans la Parole de Dieu et s’exerce dans l’Esprit du Christ.

Nous voudrions, par conséquent, nous arrêter sur quelques questions concernant les rapports entre la liturgie et le culte de la Vierge (I) ; proposer des considérations et des directives aptes à favoriser le légitime développement de ce culte (II) ; enfin, suggérer quelques réflexions pour une reprise vigoureuse et plus consciente de la récitation du Rosaire, dont la pratique a été recommandée avec insistance par nos prédécesseurs et s’est tellement répandue dans le peuple chrétien (III).



Première partie : Le culte de la Vierge Marie dans la Liturgie






1 En nous disposant à traiter de la place que la Vierge Marie occupe dans le culte chrétien, il nous faut en premier lieu tourner notre attention vers la liturgie ; celle-ci possède en effet, outre un riche contenu doctrinal, une incomparable efficacité pastorale, et elle a une valeur exemplaire bien connue pour les autres formes de culte. Nous aurions voulu considérer les diverses liturgies de l’Orient et de l’Occident mais, eu égard au but du présent document, Nous envisagerons presque exclusivement les livres du Rite romain ; seul ce dernier, en effet, a été l’objet, à la suite des normes pratiques établies par le Concile Vatican II, d’un profond renouveau même en ce qui concerne les expressions de vénération pour Marie, et il demande donc à être attentivement considéré et apprécié.


section 1 : la vierge dans la liturgie romaine rénovée






2 La réforme de la liturgie romaine supposait au préalable une révision attentive de son calendrier général. Celui-ci, destiné à organiser avec le relief qui convient la célébration à jours fixes de l’oeuvre salvifique en déployant tout le mystère du Christ pendant le cycle de l’année, depuis l’Incarnation jusqu’à l’attente de son retour glorieux, a permis d’introduire de façon plus organique, et en marquant davantage le lien qui les unit, la mémoire de la Mère dans le cycle annuel des mystères de son Fils.




3 Ainsi, au temps de l’Avent, outre l’occasion de la solennité du 8 décembre — où l’on célèbre conjointement la Conception immaculée de Marie, la préparation fondamentale (cf. Is Is 11, 1, 10) à la venue du Sauveur et l’heureuse aurore de l’Eglise sans ride ni tache — la liturgie rappelle fréquemment la figure de la Vierge, surtout aux fériés du 17 au 24 décembre, et plus particulièrement le dimanche qui précède Noël, jour où elle fait retenir les voix antiques des prophètes sur la Vierge Mère et sur le Messie et fait lire des passages de l’Evangile relatifs à la naissance imminente du Christ et du Précurseur13.




4 De cette façon, les fidèles qui, avec la liturgie, vivent l’esprit de l’Avent, en considérant l’amour ineffable avec lequel la Vierge Mère attendait le Fils14, seront amenés à la prendre comme modèle et à se préparer à aller à la rencontre du Sauveur qui vient, « vigilants dans la prière et remplis d’allégresse »15. Nous voulons faire observer également que la liturgie de l’Avent, en unissant l’attente messianique et l’attente du retour glorieux du Christ avec la mémoire pleine d’admiration de sa Mère, présente un heureux équilibre culturel qui peut être pris comme règle pour empêcher toute tendance à séparer — comme il est arrivé parfois dans certaines formes de piété populaire — le culte de la Vierge de son point de référence indispensable : le Christ. Il en résulte que cette période, comme l’on fait observer les liturgistes, doit être considérée comme un moment particulièrement adapté au culte de la Mère du Seigneur ; Nous confirmons cette orientation et souhaitons que partout on l’accueille et la suive.




5 Le temps de Noël constitue une commémoration prolongée de la maternité divine, virginale, salvifique, de Celle qui, « dans sa virginité parfaite, enfanta le Sauveur du monde »16. En effet, en la solennité de la Nativité du Seigneur, l’Eglise, tout en adorant le divin Sauveur, vénère sa Mère glorieuse ; à l’Epiphanie, tandis qu’elle célèbre la vocation universelle au salut, elle contemple la Vierge, vrai siège de la Sagesse, vraie Mère du Roi, qui présente à l’adoration des Mages le Rédempteur de tous les peuples (cf. Mt Mt 2,11) ; et en la fête de la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph (dimanche dans l’octave de Noël), elle contemple avec vénération la vie sainte que mènent dans la maison de Nazareth Jésus, Fils de Dieu et Fils de l’homme, Marie, sa mère et Joseph, homme droit (cf. Mt Mt 1,19).

Dans l’ordonnance réformée du temps de Noël, il nous semble que tous doivent tourner leur attention vers la réinstauration de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu ; ainsi placée au 1er janvier selon l’ancienne coutume de la liturgie de Rome, elle est destinée à célébrer la part qu’a eue Marie au mystère du salut et à exalter la dignité particulière qui en découle pour la « Mère très sainte... qui nous a mérité d’accueillir l’Auteur de la vie »17. Elle constitue par ailleurs une excellente occasion pour renouveler notre adoration au nouveau-né Prince de la Paix, pour écouter à nouveau le joyeux message des anges (cf. Lc Lc 2,14), pour implorer de Dieu, par la médiation de la Reine de la Paix, le don suprême de la paix. C’est pour cette raison qu’en l’heureuse coïncidence de l’octave de la Nativité du Seigneur et du 1er janvier, journée de voeux, Nous avons institué la Journée mondiale de la Paix, qui reçoit de plus en plus d’adhésions et produit déjà dans le coeur de beaucoup des fruits de paix.




6 Aux deux solennités déjà évoquées — l’Immaculée Conception et la Maternité divine — il faut ajouter les antiques et vénérables célébrations du 25 mars et du 15 août.

Pour la solennité de l’Incarnation du Verbe, on a repris dans le Calendrier Romain, par une décision motivée, l’ancienne appellation « Annonciation du Seigneur », mais la célébration était et reste une fête conjointe du Christ et de la Vierge : fête du Verbe qui se fait « fils de Marie » (
Mc 6,3), fête de la Vierge qui devient Mère de Dieu. En ce qui concerne le Christ, l’Orient et l’Occident, dans les inépuisables richesses de leurs liturgies, célèbrent cette solennité comme mémoire du fiat salvifique du Verbe incarné qui, entrant dans le monde, dit : « Voici, je viens... pour faire, ô Dieu, ta volonté » (cf. He He 10,7 Ps 39,8-9) ; comme commémoration du début de la rédemption et de l’union intime et indissoluble de la nature divine avec la nature humaine dans l’unique Personne du Verbe. En ce qui concerne Marie, cette solennité apparaît comme la fête de la nouvelle Eve, vierge obéissante et fidèle qui, grâce à son généreux fiat (cf. Lc Lc 1,38), devint, par l’oeuvre de l’Esprit, Mère de Dieu, mais aussi vraie mère de tous les vivants et, par l’accueil en son sein de l’unique Médiateur (cf. 1Tm 2,5), véritable Arche d’Alliance et véritable Temple de Dieu ; c’est donc la mémoire d’un moment culminant du dialogue de salut entre Dieu et l’homme, et une commémoration du libre consentement de la Vierge et de son concours au plan rédempteur.

La solennité du 15 août célèbre la glorieuse Assomption de Marie au ciel ; fête de son destin de plénitude et de béatitude, de la glorification de son âme immaculée et de son corps virginal, de sa parfaite configuration au Christ ressuscité. C’est une fête qui propose à l’Eglise et à l’humanité l’image et la confirmation consolante que se réalisera l’espérance finale : cette glorification totale est en effet le destin de tous ceux que le Christ a fait frères, ayant avec eux « en commun le sang et la chair » (He 2,14 cf. Ga Ga 4,4). La solennité de l’Assomption se prolonge dans la célébration de sainte Marie Reine, qui a lieu une semaine après et dans laquelle on contemple Celle qui, assise aux côtés du Roi des siècles, resplendit comme Reine et intercède comme Mère18. Cela fait donc quatre solennités qui marquent, avec le plus haut degré liturgique, les principales vérités dogmatiques concernant l’humble Servante du Seigneur.




7 Après ces solennités, il faut considérer avant tout quelques célébrations commémorant des événements du salut dans les quels la Vierge fut étroitement associée à son Fils, telles les fêtes de la Nativité de Marie (8 septembre), « qui fit lever sur le monde l’espérance et l’aurore du salut »19; de la Visitation (31 mai), dans laquelle la liturgie évoque la « bienheureuse Vierge Marie (...) portant en elle son Fils »20, qui se rend auprès d’Elisabeth pour lui apporter son aide charitable et proclamer la miséricorde du Dieu Sauveur21; ou aussi la miséricorde de Notre-Dame des Douleurs (15 septembre), excellente occasion pour revivre un moment décisif de l’histoire du salut et pour vénérer la Mère, debout près la croix de son Fils, « associée à ses souffrances »22.

La fête du 2 février, à laquelle a été restituée l’appellation « Présentation du Seigneur », doit également être présente à l’esprit, afin d’en recueillir la grande richesse. C’est une mémoire conjuguée du Fils et de la Mère, c’est-à-dire la célébration d’un mystère du salut opéré par le Christ, auquel la Vierge fut intimement unie en tant que Mère du Serviteur souffrant de Yahvé, en tant qu’exécutrice d’une mission qui appartenait à l’ancien Israël et en tant que figure du nouveau Peuple de Dieu, continuellement éprouvé dans sa foi et dans son espérance, par la souffrance et par la persécution (cf. Lc
Lc 2,21-35).




8 Si le Calendrier Romain restauré met surtout en relief les célébrations rappelées ci-dessus, il contient toutefois d’autres types de mémoires ou de fêtes liées à un motif de culte local mais qui ont acquis une résonance plus vaste (11 février : Notre-Dame de Lourdes ; 5 août : Dédicace de la basilique de Sainte-Marie-Majeure) ; d’autres, célébrées à l’origine par des familles religieuses particulières, mais qui aujourd’hui, en raison de leur diffusion, peuvent être considérées comme vraiment ecclésiales (16 juillet : Notre-Dame du Mont-Carmel ; 7 octobre : Notre-Dame du Rosaire) ; d’autres encore qui, par delà les données apocryphes, ont un contenu présentant une haute valeur exemplaire et prolongent de vénérables traditions nées surtout en Orient (21 novembre : la Présentation de la bienheureuse Vierge Marie) ou expriment des orientations qui se sont fait jour dans la piété contemporaine (samedi de la troisième semaine après la Pentecôte : Coeur Immaculé de Marie).




9 Il ne faut pas oublier que le Calendrier Romain général ne mentionne pas toutes les célébrations mariales ; c’est en effet aux Calendriers particuliers qu’il appartient de recevoir, en toute fidélité aux normes liturgiques mais aussi avec un cordial esprit d’accueil, les fêtes mariales propres aux différentes Eglises locales. Et Nous devons mentionner également la possibilité d’une fréquente commémoration liturgique de la Vierge en recourant à la mémoire de Sainte Marie le samedi : c’est une mémoire antique et discrète que la souplesse du Calendrier actuel et la multiplicité des formulaires du Missel rendent extrêmement aisée et variée.




10 Nous n’avons pas l’intention, dans cette Exhortation apostolique, de passer en revue tout le contenu du nouveau Missel Romain; mais, pour répondre à la tâche que Nous nous sommes fixée à l’égard des livres restaurés du Rite romain23, Nous voudrions relever quelques-uns de leurs aspects et de leurs thèmes. Il nous plaît avant tout de noter que les prières eucharistiques du Missel, convergeant admirablement avec les liturgies orientales24, contiennent une mémoire significative de la bienheureuse Vierge. Tel le très ancien Canon Romain, qui commémore la Mère du Seigneur en termes denses de doctrine et de souffle cultuel : « Dans la communion de toute l’Eglise nous voulons nommer en premier lieu la bienheureuse Marie toujours Vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur, Jésus Christ » ; telle aussi la récente prière eucharistique III, qui exprime par une supplication intense le désir des fidèles de partager avec la Mère l’héritage qui revient à des fils : « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire (du Père), pour que nous obtenions un jour les biens du monde à venir, auprès de la Vierge Marie, la bienheureuse Mère de Dieu... ». Cette commémoration quotidienne, par la place qu’elle occupe au coeur du Sacrifice divin, doit être considérée comme une forme particulièrement expressive du culte rendu par l’Eglise à la « bien-aimée du Très-Haut » (cf. Lc Lc 1,28).




11 Parcourant ensuite les textes du Missel restauré, nous voyons comment les grands thèmes mariaux de l’eucologie romaine — la Conception immaculée et la plénitude de grâce, la maternité divine, la virginité parfaite et féconde, le temple de l’Esprit Saint, la coopération à l’oeuvre de son Fils, la sainteté exemplaire, l’intercession miséricordieuse, l’Assomption au ciel, la royauté maternelle, etc. — y ont été accueillis en parfaite continuité doctrinale avec le passé; et aussi comment d’autres thèmes, nouveaux en un certain sens, y ont été introduits, en non moins parfaite correspondance avec les développements théologiques de notre temps. Ainsi, par exemple, le thème Marie-Eglise est entré dans les textes du Missel, avec une variété d’aspects répondant à la variété des rapports qui existent entre la Mère du Christ et l’Eglise. Ces textes, en effet, voient dans la Conception immaculée de la Vierge la préfiguration de l’Eglise, épouse sans tache du Christ25; dans l’Assomption, ils reconnaissent le commencement déjà réalisé et l’image de ce qui doit encore s’accomplir pour l’ensemble de l’Eglise26; dans le mystère de la Maternité, ils la proclament Mère du Chef et des membres par conséquent, Mère de Dieu et Mère de l’Eglise27.

Lorsque par ailleurs la liturgie tourne son regard vers l’Eglise tant primitive que contemporaine, elle y retrouve toujours Marie : là, comme présence priante avec les Apôtres28; ici, comme présence agissante avec laquelle l’Eglise veut vivre le mystère du Christ : « ... accorde à ton Eglise de s’unir, avec elle (Marie), à la passion du Christ, afin d’avoir part à sa résurrection » 29; et comme voix chantant la louange de Dieu : « ... que nous puissions avec elle (Marie) te magnifier éternellement »30. Et puisque la liturgie est un culte qui exige une conduite cohérente de la vie, elle élève sa supplication pour que le culte de la Vierge se traduise par un amour concret et souffrant pour l’Eglise, comme le propose de manière admirable la prière après la communion du 15 septembre : « ... en nous rappelant la compassion de la Vierge Marie, puissions-nous accomplir en nous pour l’Eglise ce qu’il reste encore à souffrir des épreuves du Christ ».




12 Le Lectionnaire de la messe est un des livres du Rite romain qui a largement bénéficié de la réforme post-conciliaire, tant par le nombre des textes ajoutés que par leur valeur intrinsèque : il s’agit, en effet, de textes qui contiennent la Parole de Dieu, toujours vivante et efficace (cf. He He 4,12). Cette grande abondance de lectures bibliques a permis d’exposer, au cours d’un cycle établi sur trois ans, toute l’histoire du salut, et de proposer d’une manière plus complète le mystère du Christ. Il en est résulté, et c’est une conséquence logique, que le Lectionnaire contient un nombre plus important de lectures de l’Ancien et du Nouveau Testament concernant la Vierge. Cette augmentation numérique s’est accompagnée toutefois d’une critique sereine, puisque l’on a retenu seulement les lectures qui, en raison de l’évidence de leur contenu ou des indications d’une exégèse attentive, confirmée par les enseignements du Magistère ou par une solide tradition, peuvent être considérées, même d’une manière différente et selon des degrés divers, comme ayant un caractère marial. Il convient de noter en outre que ces lectures ne se présentent pas seulement à l’occasion des fêtes de la Vierge mais qu’elles sont proclamées en bien d’autres circonstances : à certains dimanches de l’année liturgique31, lors de la célébration de rites qui intéressent profondément la vie sacramentelle du chrétien et ses choix32, ou encore des moments joyeux ou douloureux de son existence33.




13 Le livre réformé de l’Office divin, la Liturgie des Heures, contient lui aussi des témoignages éminents de piété envers la Mère du Seigneur; par exemple dans les hymnes, parmi lesquelles on peut remarquer quelques chefs-d’oeuvre de la littérature universelle, telle l’admirable prière de Dante à la Vierge 34; dans les antiennes qui rythment la récitation quotidienne, implorations lyriques auxquelles a été ajouté le célèbre tropaire Sub tuum praesidium, vénérable d’antiquité et admirable de contenu ; dans les prières d’intercession de Laudes et de Vêpres, dans lesquelles il n’est pas rare de rencontrer un recours confiant à la Mère de miséricorde ; dans la très vaste sélection de pages mariales dues à des auteurs des premiers siècles du christianisme, du Moyen Age et de l’époque moderne.




14 Si dans le Missel, dans le Lectionnaire et dans la Liturgie des Heures, sur lesquels s’articule la prière liturgique romaine, la mémoire de la Vierge revient avec un rythme fréquent, les expressions d’amour et de vénération suppliante envers la « Theotokos » ne manquent pas non plus dans les autres livres liturgiques révisés. Ainsi, l’Eglise invoque la Mère de toute grâce avant de plonger les candidats dans les eaux salutaires du baptême35; elle implore son intercession pour les mères se rendant joyeuses à l’Eglise36; elle la présente comme exemple à ses membres qui s’engagent à suivre le Christ dans la vie religieuse37 ou reçoivent la consécration virginale38, et pour eux elle demande son secours maternel 39; elle lui adresse une prière instante pour ses fils arrivés à l’heure du trépas 40; elle demande son intervention pour ceux qui, ayant fermé les yeux à la lumière d’ici-bas, ont comparu devant le Christ, Lumière éternelle41, et, par son intercession, elle appelle le réconfort sur ceux qui, plongés dans la douleur, pleurent avec foi la disparition des leurs 42.




15 L’examen des livres liturgiques restaurés entraîne donc une constatation réconfortante : la réforme post-conciliaire, comme le souhaitait déjà le Mouvement liturgique, a considéré sous une perspective très juste la Vierge dans le mystère du Christ, et, en harmonie avec la tradition, elle lui a reconnu la place particulière qui lui convient dans le culte chrétien en tant que Mère de Dieu et Associée du Rédempteur.

Il ne pouvait en être autrement. En parcourant, en effet, l’histoire du culte chrétien, on note que, en Orient comme en Occident, les expressions les plus élevées et les plus claires de la piété envers la Vierge ont fleuri dans le cadre de la liturgie ou lui ont été incorporées.

Nous voulons le souligner : le culte que l’Eglise universelle rend aujourd’hui à la Toute Sainte découle, en le prolongeant et en l’accroissant de manière incessante, du culte que l’Eglise de tous les temps lui a voué avec un scrupuleux respect de la vérité et en veillant toujours à la noblesse des formes. De la tradition impérissable, toujours vivante grâce à la présence ininterrompue de l’Esprit et à l’écoute continuelle de la Parole, l’Eglise de notre temps tire des motifs, des raisons et un stimulant pour le culte qu’elle rend elle-même à la Vierge. Et de cette tradition vivante, la liturgie, qui reçoit appui et force du Magistère, est une expression très haute et une confirmation probante.


Section 2 : La Vierge modèle de l’Eglise dans l’exercice du culte





16 Nous voudrions maintenant, en suivant quelques indications de la doctrine conciliaire sur Marie et l’Eglise, approfondir un aspect particulier des rapports existant entre Marie et la liturgie, autrement dit : Marie, modèle de l’attitude spirituelle avec laquelle l’Eglise célèbre et vit les divins mystères. L’exemplarité de la Vierge en ce domaine vient de ce qu’elle est reconnue comme le meilleur modèle de l’Eglise dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ43, c’est-à-dire de cette disposition intérieure qui inspire l’Eglise, l’Epouse bien-aimée, étroitement associée à son Seigneur, lorsqu’elle invoque celui-ci et, par lui, rend le culte qui est dû au Père éternel44.




17 Marie est la Virgo audiens, la Vierge qui écoute, qui accueille la parole de Dieu avec foi ; une foi qui fut pour elle l’acte préliminaire et le chemin conduisant à la maternité divine, puisque selon l’intuition de Saint Augustin, « celui (Jésus) que, dans la foi, Marie mit au monde, c’est dans la foi qu’elle le conçut »45. En effet, après avoir reçu de l’Ange la réponse à son doute (cf. Lc Lc 1,34-37), « elle dit avec une foi entière, et concevant Jésus dans son âme avant de le concevoir dans ses entrailles, ‘voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole’ » (Lc 1,38)46. Cette foi fut pour elle cause de béatitude et source de certitude quant à la réalisation de la promesse : « et bienheureuse Celle qui a cru dans l’accomplissement des paroles du Seigneur » (Lc 1,45). Et avec cette même foi, en acteur capital et témoin privilégié de l’Incarnation, elle revenait sur les événements de l’enfance du Christ, en les recueillant au plus profond de son coeur (cf. Lc Lc 2, 19, 51). C’est ce que fait également l’Eglise, surtout dans la liturgie: avec foi elle écoute la parole de Dieu, l’accueille, la proclame, la vénère, la distribue aux fidèles comme pain de vie47, et, à sa lumière, elle scrute les signes des temps, interprète et vit les événements de l’histoire.




18 Marie est par ailleurs la Virgo orans, la Vierge priante. Ainsi apparaît-elle dans la visite à la Mère du Précurseur, où elle ouvre son coeur en rendant grâce à Dieu, en exprimant son humilité, sa foi, son espérance : tel est le Magnificat (cf. Lc Lc 1,46-55), la prière par excellence de Marie, le chant des temps messianiques dans lequel convergent l’allégresse de l’ancien et celle du nouvel Israël. En effet — comme semble le suggérer Saint Irénée — dans le cantique de Marie passa le tressaillement de joie d’Abraham qui pressentait le Messie (cf. Jn Jn 8,56)48 et retentit, dans une anticipation prophétique, la voix de l’Eglise: « dans son exultation, Marie s’écriait, en prophétisant au nom de l’Eglise : ‘Mon âme exalte le Seigneur...’»49. De fait, le cantique de la Vierge, en s’élargissant, est devenu la prière de toute l’Eglise dans tous les temps.

Vierge priante, ainsi apparaît Marie à Cana où, manifestant à son Fils une nécessité temporelle, en l’implorant avec délicatesse, elle obtient aussi un effet de l’ordre de la grâce : que Jésus, en accomplissant le premier de ses « signes », confirme ses disciples dans la foi en lui (cf. Jn Jn 2,1-12).

L’ultime épisode biographique de Marie nous la présente également en prière : les Apôtres « d’un même coeur, persévéraient dans la prière, avec quelques femmes, dont Marie la mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac 1,14) ; c’est la présence priante de Marie dans l’Eglise naissante et dans l’Eglise de toujours, car, élevée au ciel, elle n’a pas renoncé à sa mission d’intercession et de salut50. Vierge priante, l’Eglise l’est aussi, elle qui chaque jour présente au Père les nécessités des ses fils, « loue sans cesse le Seigneur et intercède pour le salut du monde entier »51.




19 Marie est encore la Virgo pariens, la Vierge-Mère, c’est-à-dire celle qui, « par sa foi et son obéissance, a engendré sur la terre le Fils du Père, sans connaître d’homme, mais enveloppée par l’Esprit Saint »52 : maternité prodigieuse, établie par Dieu comme type et modèle de la fécondité de la Vierge qu’est l’Eglise. Celle-ci en effet « devient à son tour une Mère, car par la prédication et par le baptême elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu »53. A juste titre les anciens Pères enseignaient que l’Eglise prolonge dans le sacrement du baptême la maternité virginale de Marie. Parmi leurs témoignages, il Nous plaît de rappeler celui de notre illustre Prédécesseur Saint Léon le Grand qui affirme dans une homélie de Noël : « La source de vie qu’il (le Christ) a prise dans le sein de la Vierge, il l’a placée dans les fonds du baptême; il a donné à l’eau ce qu’il avait donné à sa mère: car la puissance du Très-Haut et l’ombre de l’Esprit Saint (cf. Lc Lc 1,35), qui ont fait que Marie mit au monde un Sauveur, font aussi que l’eau régénère le croyant »54. Voulant puiser aux sources liturgiques, Nous pourrions citer la belle illatio de la liturgie mozarabe : « Celle-là (Marie) porte la Vie dans son sein, celle-ci (l’Eglise) dans la piscine baptismale. Dans les membres de celle-là le Christ est formé, dans les eaux de celle-ci, le Christ est revêtu »55.




20 Marie, enfin, est la Virgo offerens, la Vierge qui offre. Dans l’épisode de la présentation de Jésus au Temple (cf. Lc Lc 2,22-35), l’Eglise, guidée par l’Esprit Saint, a entrevu, au-delà de l’accomplissement des lois concernant l’oblation du premier-né (cf. Ex Ex 13,11-16) et la purification de la Mère (cf. Lv Lv 12,6-8), un mystère du salut relatif à l’histoire du salut. Autrement dit, elle a noté la continuité de l’offrande fondamentale que le Verbe incarné fit au Père en entrant dans le monde (cf. He He 10,5-7). Elle a vu la proclamation de l’universalité du salut, puisque Siméon, en saluant dans l’enfant la lumière destinée à éclairer les peuples et la gloire d’Israël (cf. Lc Lc 2,32), a reconnu en lui le Messie, le Sauveur de tous. Elle a compris la référence prophétique à la Passion du Christ : les paroles de Siméon, unissant dans une même prophétie le Fils « signe de contradiction » (Lc 2,34) et la Mère dont l’âme serait transpercée par un glaive (cf. Lc Lc 2,35), trouvèrent leur réalisation sur le Calvaire. Mystère de salut, oui, qui sous divers aspects, oriente l’épisode de la Présentation au Temple vers l’événement salvifique de la Croix. Mais l’Eglise elle-même, surtout à partir du Moyen Age, a entrevu dans le coeur de la Vierge, qui porte son Fils à Jérusalem pour le présenter au Seigneur (cf. Lc 2,22), une volonté d’oblation, qui dépasse le sens ordinaire du rite qu’elle accomplissait. De cette intuition, nous avons un témoignage dans l’affectueuse interpellation de Saint Bernard : « Offre ton Fils, Vierge sainte, et présente au Seigneur le fruit béni de tes entrailles. Offre pour notre commune réconciliation la victime sainte qui plaît à Dieu »56.

Cette union de la Mère avec son Fils dans l’oeuvre de la rédemption 57 atteint son sommet sur le Calvaire, où le Christ « s’offrit lui-même sans tâche à Dieu » (He 9,14) et où Marie se tint auprès de la Croix (cf. Jn Jn 19,25) « souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d’un coeur maternel à son sacrifice, donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour » 58 et l’offrant, elle aussi, au Père éternel59. Pour perpétuer à travers les siècles le Sacrifice de la Croix, le divin Sauveur a institué le Sacrifice eucharistique, Mémorial de sa Mort et de sa Résurrection, et l’a confié à l’Eglise son Epouse80: celle-ci, surtout le dimanche, convoque les fidèles pour célébrer la Pâque du Seigneur jusqu’à ce qu’il revienne61. L’Eglise l’accomplit en communion avec les Saints du ciel et d’abord avec la bienheureuse Vierge62, dont elle imite la charité ardente et la foi inébranlable.




21 Modèle de toute l’Eglise dans l’exercice du culte divin, Marie est encore, de façon évidente, éducatrice de vie spirituelle pour chacun des chrétiens. Bien vite, les fidèles commencèrent par regarder Marie pour faire, comme elle, de leur propre vie, un culte à Dieu, et de leur culte, un engagement de vie. Déjà au IV° siècle, Saint Ambroise, s’adressant aux fidèles, souhaitait qu’en chacun d’eux fût présente l’âme de Marie pour glorifier Dieu : « Qu’en tous réside l’âme de Marie pour glorifier le Seigneur ; qu’en tous réside l’esprit de Marie pour exulter en Dieu63». Mais Marie est surtout le modèle du culte qui consiste à faire de sa propre vie une offrande à Dieu : cette doctrine ancienne, toujours valable, chacun peut la réentendre en méditant l’enseignement de l’Eglise, mais aussi en prêtant l’oreille à la voix même de la Vierge au moment où, réalisant par anticipation l’étonnante demande de l’oraison dominicale — « que ta volonté soit faite » (Mt 6,10) — elle répond au messager de Dieu : « Me voici, je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1,38). Le « oui » de Marie est pour tous les chrétiens une leçon et un exemple pour offrir leur obéissance à la volonté du Père, chemin et moyen de leur propre sanctification.




22 Il est important d’autre part d’observer comment l’Eglise traduit les multiples rapports qui l’unissent à Marie dans les diverses attitudes effectives du culte : vénération profonde, lorsqu’elle réfléchit sur la dignité éminente de la Vierge, devenue, par l’oeuvre de l’Esprit Saint, la Mère du Verbe incarné ; amour ardent, lorsqu’elle considère la maternité spirituelle de Marie à l’égard de tous les membres du Corps mystique ; invocation confiante, lorsqu’elle fait l’expérience de l’intercession de son Avocate et Auxiliatrice64, service d’amour, lorsqu’elle entrevoit dans l’humble servante du Seigneur la Reine de miséricorde et la Mère de la grâce ; imitation active, lorsqu’elle contemple la sainteté et les vertus de celle qui est « pleine de grâce » (Lc 1,28) ; émotion profonde, lorsqu’elle voit en elle, comme dans une image très pure, ce qu’elle-même désire et espère devenir en tous ses membres65; contemplation attentive, lorsqu’elle reconnaît, dans l’Associée au Rédempteur, qui participe désormais pleinement aux fruits du mystère pascal, l’accomplissement prophétique de son propre avenir, jusqu’au jour où purifiée de toute ride et de toute tache (cf. Ep Ep 5,27), elle deviendra comme une épouse parée pour son époux, Jésus-Christ (cf. Ap Ap 21,2).




23 En considérant donc, Frères très chers, la vénération que la tradition liturgique de l’Eglise universelle et le Rite romain rénové expriment envers la Sainte Mère de Dieu, en rappelant que la liturgie, par sa valeur cultuelle éminente, constitue une règle d’or pour la piété chrétienne, en observant enfin comment l’Eglise, lorsqu’elle célèbre les mystères sacrés, assume une attitude de foi et d’amour semblable à celle de la Vierge, nous comprenons combien est juste l’exhortation du Concile Vatican II à tous les fils de l’Eglise de « promouvoir généreusement le culte, spécialement liturgique, de la Vierge bienheureuse »66; exhortation que Nous voudrions par-dessus tout voir écoutée sans réserve et mise en pratique avec zèle.




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