Marialis cultus FR 40

Troisième partie : Indications sur deux exercices de piété : l’Angélus et le Rosaire






40 Nous avons indiqué quelques principes capables de donner une vigueur nouvelle au culte de la Mère du Seigneur ; il appartient maintenant aux Conférences épiscopales, aux différentes familles religieuses de rénover avec sagesse des pratiques et des exercices de vénération envers la Vierge, et de soutenir l’impulsion créatrice de tous ceux qui, par inspiration religieuse authentique ou par sensibilité pastorale, désirent donner naissance à de nouvelles formes. Il Nous semble toutefois opportun, pour diverses raisons, de traiter de deux exercices de piété très répandus en Occident et dont le Siège Apostolique s’est occupé en plusieurs occasions: l’Angélus et le Rosaire ou Chapelet de la Vierge Marie.


l’angélus






41 Nos propos sur l’Angélus veulent être seulement une simple mais vive exhortation à conserver l’habitude de le réciter, lorsque et là où c’est possible. Cette prière n’a pas besoin d’être rénovée; sa structure simple, son caractère biblique, son origine historique qui la relie à la demande de sauvegarde dans la paix, son rythme quasi liturgique qui sanctifie divers moments de la journée, son ouverture au mystère pascal qui nous amène, tout en commémorant l’Incarnation du Fils de Dieu, à demander d’être conduits « par sa passion et par sa croix jusqu’à la gloire de la résurrection »109, font que, à des siècles de distance, elle conserve inaltérée sa valeur et intacte sa fraîcheur. Il est vrai que certains usages traditionnellement liés à la récitation de l’Angélus ont disparu ou peuvent difficilement subsister dans la vie moderne ; mais il s’agit d’éléments marginaux ; la valeur de la contemplation du mystère de l’Incarnation du Verbe, de la salutation à la Vierge et du recours à sa miséricordieuse intercession reste inchangée ; et, malgré les conditions nouvelles des temps, ces moments caractéristiques de la journée — matin, midi et soir — qui délimitent les périodes d’activité et constituent une invite à s’arrêter pour prier, demeurent inchangés pour la majeure partie des hommes.


le rosaire






42 Nous voudrions maintenant, Frères très chers, nous arrêter un peu sur la rénovation de ce pieux exercice que l’on a appelé « résumé de tout l’Evangile » 110 : le Chapelet de la Vierge Marie, le Rosaire. Nos Prédécesseurs lui ont accordé une attention vigilante et une sollicitude empressée : ils en ont à plusieurs reprises recommandé la récitation fréquente, favorisé la diffusion, expliqué la nature, reconnu l’aptitude à développer une prière contemplative à la fois de louange et de supplication, rappelé l’efficacité intrinsèque pour faire progresser la vie chrétienne et l’engagement apostolique. Nous aussi, dès la première Audience générale de notre Pontificat, le 13 juillet 1963, Nous avons montré notre grande estime pour la pieuse pratique du Rosaire111, et, par la suite, Nous en avons souligné la valeur en de multiples circonstances, ordinaires pour certaines, graves pour d’autres, comme lorsque, en une heure d’angoisse et d’insécurité, Nous publiâmes l’Encyclique Christi Matri (15 sept. 1966), afin que de ferventes prières soient adressées à la Vierge du Rosaire pour supplier Dieu d’accorder le bien supérieur de la paix112; appel renouvelé dans notre Exhortation apostolique Recurrens mensis October (7 octobre 1969), dans laquelle Nous commémorions la quatrième centenaire de la Lettre apostolique Consueverunt Romani Pontifices de notre Prédécesseur Saint Pie V qui, en ce document, expliqua et, en quelque manière détermina la forme traditionnelle du Rosaire113.




43 L’intérêt constant et l’affection que Nous portons au Chapelet de la Vierge Marie Nous a poussé à suivre avec beaucoup d’attention les nombreux congrès consacrés ces dernières années à la pastorale du Rosaire dans le monde contemporain : congrès organisés par des associations et des hommes qui ont profondément à coeur la dévotion du Rosaire, et auxquels ont pris part des Evêques, des prêtres, des religieux et des laïcs forts d’une grande expérience et connus pour leur sens de l’Eglise. Parmi eux, c’est justice de nommer les Fils de Saint Dominique, chargés par tradition de garder et de propager une dévotion aussi salutaire que celle-là. Aux travaux des congrès se sont ajoutées les recherches des historiens, effectuées non pas pour définir dans des buts quasi archéologiques la forme primitive du Rosaire, mais pour en saisir l’intuition originelle, l’énergie première, la structure essentielle. De ces congrès et de ces recherches ont surgi plus clairement les caractéristiques fondamentales du Rosaire, ses éléments essentiels et leur rapport mutuel.




44 Ainsi, par exemple, a mieux été mise en lumière la nature évangélique du Rosaire : il tire de l’Evangile l’énoncé des mystères et ses principales formules ; il s’inspire de l’Evangile pour suggérer, en commençant par la joyeuse salutation de l’Ange et par l’acceptation religieuse de la Vierge, l’attitude dans laquelle le fidèle doit le réciter; il propose, dans la succession harmonieuse des Ave Maria, un mystère fondamental de l’Evangile — l’Incarnation du Verbe — saisi au moment décisif de l’Annonce faite à Marie. Le Rosaire est donc une prière évangélique, comme aujourd’hui, plus peut-être que par le passé, aiment à le définir les pasteurs et les érudits.




45 De même on a plus facilement compris comment le déroulement ordonné et progressif du Rosaire reflète la manière même dont le Verbe de Dieu, en s’insérant par un dessein miséricordieux dans l’histoire humaine, a réalisé la Rédemption. Le Rosaire considère en effet successivement, et dans l’ordre, les principaux événements salvifiques de la Rédemption qui se sont accomplis dans le Christ: depuis la conception virginale et les mystères de l’enfance jusqu’aux heures culminantes de la Pâque — la Passion bienheureuse et la Résurrection glorieuse — et jusqu’à ses effets sur l’Eglise naissante du jour de la Pentecôte et sur la Vierge, le jour où, parvenue au terme de son exil terrestre, elle fut emportée, corps et âme, vers la patrie céleste. On a encore observé que la division en trois parties des mystères du Rosaire, non seulement correspond étroitement à l’ordre chronologique des faits, mais surtout reflète le schéma de la prédication primitive de la foi et propose à nouveau le mystère du Christ exactement de la façon où le voyait Saint Paul dans la célèbre « hymne » de l’Epître aux Philippiens : abaissement, mort, exaltation (2, 6-11).




46 Prière évangélique centrée sur le mystère de l’Incarnation rédemptrice, le Rosaire a donc une orientation nettement christologique. En effet, son élément le plus caractéristique — la répétition litanique de l’Ave Maria — devient lui aussi une louange incessante du Christ, objet ultime de l’annonce de l’Ange et de la salutation de la mère du Baptiste : « Le fruit de tes entrailles est béni » (Lc 1,42). Nous dirons même plus: la répétition de l’Ave Maria constitue la trame sur laquelle se développe la contemplation des mystères : le Jésus de chaque Ave Maria est celui-là même que la succession des mystères nous propose tout à tour Fils de Dieu et de la Vierge, né dans une grotte à Bethléem ; présenté au Temple par sa Mère ; adolescent plein de zèle pour les affaires de son Père ; Rédempteur agonisant au Jardin des Oliviers ; flagellé et couronné d’épines ; chargé de la Croix et mourant sur le Calvaire ; ressuscité des morts et monté auprès de son Père, dans la gloire, pour réaliser l’effusion du don de l’Esprit. On sait que, précisément pour favoriser la contemplation et pour que l’intention corresponde aux paroles, on avait jadis l’habitude — et cette coutume existe encore en diverses régions — de faire suivre le nom de Jésus, dans chaque Ave Maria, de la mention du mystère énoncé.

On a également ressenti comme un besoin plus impérieux la nécessité de redire, outre la valeur de l’élément de louange et d’imploration, l’importance d’un autre élément essentiel du Rosaire: la contemplation. Sans elle, le Rosaire est un corps sans âme, et sa récitation court le danger de devenir une répétition mécanique de formules et d’agir à l’encontre de l’avertissement de Jésus : « Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter » (Mt 6,7). Par nature, la récitation du Rosaire exige que le rythme soit calme et que l’on prenne son temps, afin que la personne qui s’y livre puisse mieux méditer les mystères de la vie du Seigneur, vus à travers le Coeur de Celle qui fut la plus proche du Seigneur, et qu’ainsi s’en dégagent les insondables richesses.




48 Les études actuelles, enfin, permettent de saisir avec une plus grande précision les rapports existant entre la liturgie et le Rosaire. D’une part, on a souligné que le Rosaire a pour ainsi dire germé sur le tronc séculaire de la liturgie chrétienne, en un véritable « Psautier de la Vierge » grâce auquel les humbles étaient associés au cantique de louange et à l’intercession universelle de l’Eglise ; d’autre part, on a observé que ceci est arrivé à une époque — le déclin du Moyen Age — où l’esprit liturgique était en décadence et où se manifestait chez les fidèles un certain éloignement de la liturgie en faveur d’une dévotion sensible à l’humanité du Christ et à la Vierge Marie. Si, ces dernières années, a pu naître dans l’esprit de quelques-uns le désir de voir le Rosaire compter parmi les expressions liturgiques, et chez d’autres, préoccupés d’éviter les erreurs pastorales du passé, une désaffection injustifiée à son égard, le problème est aujourd’hui facilement soluble à la lumière des principes de la Constitution Sacrosanctum Concilium : les célébrations liturgiques et le pieux exercice du Rosaire ne doivent ni s’opposer, ni être assimilés114. Toute expression de prière parvient à une fécondité d’autant plus grande qu’elle conserve davantage sa vraie nature et sa physionomie propre. La valeur prééminente des actions liturgiques étant donc réaffirmée, il ne sera pas difficile de reconnaître dans le Rosaire un pieux exercice qui s’harmonise facilement avec la liturgie. Comme la liturgie en effet, il est de nature communautaire, il se nourrit de la Sainte Ecriture et se déroule autour du mystère du Christ. Bien que situées sur des plans essentiellement différents, l’anamnèse de la liturgie et la commémoration contemplative du Rosaire ont pour objet les mêmes événements de l’histoire du salut accomplis par le Christ. La première rend présents sous le voile des signes, et agissants de manière mystérieuse, les plus grands mystères de notre Rédemption ; la seconde, grâce à l’amour engendré par la contemplation, aide celui qui prie à se souvenir de ces mystères et stimule sa volonté pour qu’il en tire des règles de vie. Une fois définie cette différence substantielle, il n’est pas difficile de comprendre que le Rosaire est un pieux exercice qui a tiré sa raison d’être de la liturgie et qui, s’il est pratiqué selon l’intuition originelle, conduit naturellement vers elle, même sans en franchir le seuil. En effet, la méditation des mystères du Rosaire, en rendant les mystères du Christ familiers à l’esprit et au coeur des fidèles, peut constituer une très bonne préparation à leur célébration dans l’action liturgique, et en devenir ensuite un écho prolongé. C’est cependant une erreur qui subsiste encore malheureusement en certains endroits, de réciter le Rosaire au cours de l’action liturgique.




49 Le Chapelet de la Vierge Marie, selon la tradition que notre prédécesseur Saint Pie V recueillit et proposa ensuite officiellement, comporte plusieurs éléments disposés d’une manière organique :

a) la contemplation, en union avec Marie, d’une série de mystères du salut, sagement répartis en trois cycles, qui expriment la joie des temps messianiques, la douleur salvifique du Christ et la gloire du Ressuscité qui se répand sur l’Eglise ; contemplation qui, par nature, conduit à une réflexion pratique et entraîne de stimulantes règles de vie ;

b) la Prière du Seigneur, ou Pater noster, qui, par son immense valeur, est à la base de la prière chrétienne et ennoblit ses diverses expressions ;

c) la reprise litanique de l’Ave Maria, composé de la salutation de l’Ange à la Vierge (cf. Lc
Lc 1,28) et des paroles de bénédiction d’Elisabeth (cf. Lc Lc 1,42), auxquelles fait suite l’invocation ecclésiale Sancta Maria. La série continue des Ave Maria est une caractéristique propre au Rosaire, et leur nombre, dans la forme typique et complète de cent cinquante, présente une certaine analogie avec le Psautier et remonte aux origines mêmes du pieux exercice. Mais, en vertu d’une coutume éprouvée, ce nombre, subdivisé en dizaines se référant à chacun des mystères, est distribué selon les trois cycles mentionnés plus haut, constituant ainsi le Chapelet bien connu de cinquante Ave Maria. Ce dernier est entré dans la pratique comme le cadre normal de cet exercice et, comme tel, il a été adopté par la piété populaire et sanctionné par l’Autorité pontificale, qui l’a également enrichi de nombreuses indulgences ;

d) la doxologie Gloria Patri, qui, conformément à une orientation de toute la piété chrétienne, vient conclure la prière par la glorification de Dieu, un et trine, de qui, par qui et pour qui sont toutes choses (cf. Rm Rm 11,36).




50 Tels sont les éléments du Rosaire. Chacun d’eux a son caractère propre qui, bien compris et apprécié, doit se refléter dans la récitation, afin que le Rosaire exprime toute sa richesse et sa variété. Ce caractère deviendra par conséquent grave dans la Prière du Seigneur : lyrique et laudatif dans le calme déroulement des Ave Maria ; contemplatif dans la méditation attentive des mystères ; implorant dans la supplication ; plein d’adoration dans la doxologie. Et ce, dans chaque manière habituelle de réciter le Rosaire : ou en privé, celui qui prie se recueillant dans l’intimité avec son Seigneur ; ou de façon communautaire, en famille ou avec des fidèles réunis pour créer les conditions d’une présence particulière du Seigneur (cf. Mt Mt 18,20) ; ou publiquement, dans des assemblées où la communauté ecclésiale est convoquée.




51 Ces derniers temps ont été créés quelques pieux exercices, qui tirent leur inspiration du Rosaire. Parmi eux, Nous désirons indiquer et recommander ceux qui insèrent dans le schéma habituel des célébrations de la Parole de Dieu certains éléments du Chapelet de la Vierge Marie, comme la méditation des mystères et la répétition litanique de la salutation angélique. Ces éléments acquièrent ainsi un plus grand relief lorsqu’ils sont inclus dans la lecture de textes bibliques, illustrés par l’homélie, entourés de temps de silence, soulignés par le chant. Nous nous réjouissons de savoir que ces exercices ont contribué à faire saisir de manière plus complète les richesses spirituelles du Rosaire lui-même, et à remettre en honneur sa pratique dans des associations et des mouvements de jeunes.




52 Nous voudrions maintenant, en continuité avec les intentions de nos Prédécesseurs, recommander vivement la récitation du Rosaire en famille. Le Concile Vatican II a mis en lumière comment la famille, cellule première et vitale de la société, « par l’amour mutuel de ses membres et la prière faite à Dieu en commun, se présente comme un sanctuaire domestique de l’Eglise »115. La famille chrétienne apparaît donc comme une « Eglise domestique116 » si ses membres, dans leur milieu propre et selon leurs tâches respectives, travaillent ensemble à promouvoir la justice, pratiquent les oeuvres de miséricorde, se consacrent au service de leurs frères, prennent part, dans un cadre plus vaste, à l’apostolat de la communauté locale et s’insèrent dans son culte liturgique117; et aussi s’ils élèvent en commun de ferventes prières vers Dieu ; cet élément venant à manquer, le caractère même de famille chrétienne ferait défaut. C’est pourquoi, un effort concret pour instaurer la prière en commun dans la vie de famille doit normalement faire suite à la redécouverte de la notion théologique de la famille comme Eglise domestique.




53 En accord avec les directives conciliaires, la Présentation générale de la Liturgie des Heures range à juste titre la cellule familiale au nombre des assemblées auxquelles sied la célébration en commun de l’Office divin : « Il convient (...) que la famille, en tant que sanctuaire domestique de l’Eglise, ne se contente pas de pratiquer la prière en commun, mais aussi qu’elle s’unisse plus étroitement à l’Eglise en utilisant, suivant ses possibilités, l’une ou l’autre partie de la Liturgie des Heures »118. On ne doit rien négliger pour que cette indication claire et pratique trouve dans les familles chrétiennes une application croissante et joyeuse.




54 Mais, après la célébration de la Liturgie des Heures — sommet que peut atteindre la prière familiale — il n’y a pas de doute que le Chapelet de la Vierge Marie doit être considéré comme une des plus excellentes et des plus efficaces « prières en commun » que la famille chrétienne est invitée à réciter. Nous aimons penser en effet, et Nous espérons vivement, que si la rencontre familiale devient un temps de prière, le Rosaire en est une expression fréquente et appréciée. Nous savons bien que les nouvelles conditions de vie des hommes ne facilitent pas à notre époque les moments où la famille peut se rassembler et que, même lorsque cela se produit, de nombreuses circonstances rendent difficile de trouver dans la rencontre une occasion de prière. C’est difficile, sans aucun doute. Mais c’est également caractéristique de l’agir chrétien que de ne pas céder devant les conditionnements ambiants, et au contraire de les surmonter; ne pas succomber, mais faire face. C’est pourquoi, les familles qui veulent vivre en plénitude la vocation et la spiritualité propre de la famille chrétienne doivent dépenser toute leur énergie pour endiguer les forces qui empêchent la rencontre familiale et la prière en commun.




55 En terminant ces observations, témoignage de la sollicitude et de l’estime du Siège Apostolique envers le Chapelet de la Vierge Marie, Nous voudrions toutefois recommander qu’en diffusant une dévotion aussi salutaire, on n’en altère pas les proportions, et qu’on ne la présente pas non plus avec un exclusivisme inopportun : le Rosaire est une prière excellente, au regard de laquelle le fidèle doit pourtant se sentir sereinement libre, invité à le réciter, en toute quiétude, par sa beauté intrinsèque.



Conclusion : Valeur théologique et pastorale du culte de la Vierge

56 Vénérables Frères, au terme de notre Exhortation apostolique, Nous désirons souligner sous forme de synthèse la valeur théologique du culte de la Vierge, et rappeler brièvement son efficacité pastorale pour le renouveau de la vie chrétienne.

La piété de l’Eglise envers la Vierge est un élément intrinsèque du culte chrétien. La vénération vouée par l’Eglise à la Mère du Seigneur en tout temps et en tout lieu — depuis la salutation par laquelle Elisabeth la proclamait bienheureuse (cf. Lc
Lc 1,42-45) jusqu’aux expressions de louange et de supplication de notre époque — constitue un puissant témoignage de sa lex orandi et une invitation à raviver dans les consciences sa lex credendi. Et inversement : la lex credendi de l’Eglise demande que, partout, se développe d’une manière florissante sa lex orandi à l’égard de la Mère du Christ. Le culte de la Vierge a des racines profondes dans la Parole révélée et de solides fondements dogmatiques : l’éminente dignité de Marie, « Mère du Fils de Dieu, et par conséquent fille de prédilection du Père et sanctuaire de l’Esprit Saint ; don d’une grâce exceptionnelle qui la met bien loin au-dessus de toutes les créatures dans le ciel et sur la terre»119; sa coopération aux moments décisifs de l’oeuvre du salut accomplie par son Fils ; sa sainteté, déjà totale lors de sa Conception immaculée et pourtant croissant au fur et à mesure qu’elle adhérait à la volonté du Père et parcourait le chemin de la souffrance (cf. Lc Lc 2,34-35 Lc 2,41-52 Jn 19,25-27), en progressant constamment dans la foi, dans l’espérance et dans la charité; sa mission et sa condition unique au sein du Peuple de Dieu, duquel elle est, en même temps membre suréminent, modèle admirable et Mère très aimante ; son intercession incessante et efficace qui la rend, même une fois montée au ciel, très proche des fidèles qui la prient et aussi de ceux qui ignorent qu’elle est leur mère : sa gloire, qui ennoblit le genre humain tout entier, comme l’a merveilleusement exprimé le poète Dante : « Tu es celle qui a ennobli la nature humaine, de sorte que son créateur n’a pas dédaigné de se faire sa créature120: Marie, en effet, est de notre race, c’est une véritable fille d’Eve, bien qu’elle n’en ait pas connu la faute, et aussi notre véritable soeur qui, en femme humble et pauvre, a pleinement partagé notre condition.

Ajoutons que le culte de la Vierge a sa raison d’être ultime dans la volonté insondable et libre de Dieu qui, Amour éternel et divin (cf. 1Jn 4, 7-8, 16), accomplit toute chose selon un plan d’amour ; il l’a aimée et a fait pour elle de grandes choses (cf. Lc Lc 1,49) ; il l’a aimée pour lui, il l’a aimée pour nous ; il se l’est donnée à lui-même, il nous l’a donnée.

57 Le Christ est le seul chemin vers le Père (cf. Jn Jn 14,4-11). Le Christ est le modèle suprême auquel le disciple doit conformer sa propre conduite (cf. Jn Jn 13,15), jusqu’à éprouver les mêmes sentiments que lui (cf. Ph Ph 2,5), vivre de sa vie et posséder son Esprit (cf. Ga Ga 2,20 Rm 8,10-11) ; l’Eglise a enseigné cela de tout temps, et rien, dans l’action pastorale, ne doit obscurcir cette doctrine. Mais l’Eglise, enseignée par l’Esprit et riche d’une expérience séculaire, reconnaît que la piété envers la Vierge, subordonnée à la piété envers le divin Sauveur et en liaison avec elle, a également une grande efficacité pastorale et constitue une force pour la rénovation de la vie chrétienne. La raison d’une telle efficacité est facilement perceptible. En effet, la mission multiple de Marie à l’égard du Peuple de Dieu est une réalité surnaturelle, opérante et féconde dans l’organisme ecclésial. Il est réjouissant de considérer les aspects particuliers d’une telle mission et de voir comment ils s’orientent, chacun avec son efficacité propre, vers le même but: reproduire dans ses fils les traits spirituels de son Fils premier-né. Nous voulons dire par là que la maternelle intercession de la Vierge, sa sainteté exemplaire, la grâce divine qui est en elle, deviennent pour le genre humain motif d’espérance.

La mission maternelle de la Vierge pousse le Peuple de Dieu à se tourner avec une confiance filiale vers Celle qui est toujours prête à l’exaucer avec une affection de mère et un secours efficace d’auxiliatrice121; le Peuple de Dieu a donc pris l’habitude de l’invoquer comme Consolatrice des affligés, Salut des malades, Refuge des pécheurs, pour obtenir dans les tribulations le réconfort, dans la maladie le soulagement, dans la faute la force libératrice ; parce que, libre du péché, elle conduit ses fils à vaincre le péché avec une résolution énergique122. Et cette libération du péché et du mal (cf. Mt Mt 6,13), il faut le réaffirmer, est la première étape nécessaire de tout renouveau de la vie chrétienne.

La sainteté exemplaire de la Vierge entraîne les fidèles à lever « leurs yeux vers Marie comme modèle des vertus qui rayonne sur toute la communauté des élus »123. Vertus solides, évangéliques : la foi et l’accueil docile de la Parole de Dieu (cf. Lc Lc 1,26-38 Lc 1,45 Lc 11,27-28 Jn 2,5) ; l’obéissance généreuse (cf. Lc Lc 1,38) ; l’humilité sincère (cf. Lc Lc 1,48) ; la charité empressée (cf. Lc Lc 1,39-56) ; la sagesse réfléchie (cf. Lc Lc 1, 29, 34 ; 2, 19. 33. 51) ; la piété envers Dieu, qui la rendit zélée dans l’accomplissement des devoirs religieux (cf. Lc Lc 2, 21, 22-40, 41), reconnaissante pour les dons reçus (cf. Lc Lc 1,46-49), offrante dans le Temple (cf. Lc Lc 2,22-24), priante dans la communauté apostolique (cf. Ac Ac 1,12-14) ; la force d’âme dans l’exil (cf. Mt Mt 2,12-23), dans la douleur (cf. Lc Lc 2, 34-35, 49 ; Jn 19,25) ; la pauvreté pleine de dignité et de confiance en Dieu (cf. Lc Lc 1,48 Lc 2,24) ; la prévenance attentive envers son Fils, de l’humilité de la crèche à l’ignominie de la croix (cf. Lc Lc 2,1-7 Jn 19,25-27) ; la délicatesse prévoyante (cf. Jn Jn 2,1-11) ; la pureté virginale (cf. Mt Mt 1,18-25 Lc 1,26-38) ; l’amour conjugal fort et chaste. De ces vertus de la Mère s’orneront les fils qui, avec ténacité, regardent ses exemples pour les reproduire dans leur vie. Et une telle progression dans la vertu apparaîtra comme la conséquence et le fruit déjà venu à maturité de cette force pastorale qui se dégage du culte rendu à la Vierge.

La piété envers la Mère du Seigneur devient pour le fidèle une occasion de croissance dans la grâce divine : c’est le but final de toute action pastorale. Il est impossible en effet d’honorer la « Pleine de grâce » (Lc 1,28) Sans honorer en soi-même l’état de grâce, et donc l’amitié avec Dieu, la communion avec lui, la présence intérieure de l’Esprit. Cette grâce divine investit tout l’homme et le rend conforme à l’image du Fils de Dieu (cf. Rm Rm 8,29 Col 1,18). L’Eglise catholique, se basant sur une expérience séculaire, reconnaît dans la dévotion à la Vierge une aide puissante pour l’homme en route vers la conquête de sa plénitude. Elle, la Femme nouvelle, est à côté du Christ, l’Homme nouveau, dont le mystère seul met en lumière le mystère de l’homme124; elle est le gage et la garantie qu’en une simple créature — en elle — s’est déjà accompli le dessein de Dieu, dans le Christ, pour le salut de tout l’homme. A l’homme d’aujourd’hui souvent tiraillé entre l’angoisse et l’espérance, prostré par le sentiment de ses limites et assailli par des aspirations sans bornes, troublé dans son âme et déchiré dans son coeur, l’esprit obsédé par l’énigme de la mort, oppressé par la solitude alors qu’il tend vers la communion, en proie à la nausée et à l’ennui, la Vierge Marie, contemplée dans sa vie terrestre et dans la réalité qu’elle possède déjà dans la Cité de Dieu, offre une vision sereine et une parole rassurante : la victoire de l’espérance sur l’angoisse, de la communion sur la solitude, de la paix sur le dégoût et la nausée, des perspectives éternelles sur les perspectives temporelles, de la vie sur la mort. Le sceau final de notre Exhortation et la raison d’être ultime justifiant la valeur pastorale de la dévotion à la Vierge pour conduire les hommes au Christ, Nous les tirons des paroles mêmes qu’elle a adressées aux serviteurs des noces de Cana : « Faites ce qu’il vous dira » (Jn 2,5). Ces paroles semblent limitées au désir de porter remède à un contretemps matériel du repas, mais, dans la perspective du quatrième Evangile, elles semblent plutôt rappeler la formule utilisée par le Peuple d’Israël pour ratifier l’Alliance du Sinaï (cf. Ex Ex 19,8 Ex 24, 3, Ex 7 Dt 5,27) ou pour en renouveler les engagements (cf. Jos Jos 24,24 Esd 10,12 Ne 5,12), et elles concordent merveilleusement avec celles du Père dans la théophanie du Thabor : « Ecoutez-le » (Mt 17,5).

58 Nous avons exposé en détail, vénérables Frères, un point qui est partie intégrante du culte chrétien : la vénération envers la Mère du Seigneur. Nous y avons été amené par la nature de cette question, objet d’étude, de réexamen et même parfois de quelque perplexité ces dernières années. Nous éprouvons du réconfort à penser que le travail accompli selon les normes du Concile par le Siège Apostolique et par vous-mêmes — et tout particulièrement la réforme liturgique — est un gage authentique pour un culte toujours plus vivant et aimant rendu à Dieu, Père, Fils et Esprit, et pour la croissance de la vie chrétienne chez les fidèles ; Nous trouvons un motif de confiance à constater que la liturgie romaine rénovée constitue également dans son ensemble un témoignage éclatant de la piété de l’Eglise envers la Vierge ; Nous sommes soutenu par l’espérance que les directives données pour rendre cette piété toujours plus limpide et vigoureuse seront sincèrement appliquées ; enfin, l’occasion que Nous a fournie le Seigneur de proposer quelques thèmes de réflexion destinés à renouveler et confirmer l’estime pour la pratique du Rosaire Nous remplit d’allégresse. Réconfort, confiance, espérance, joie : tels sont les sentiments que, en unissant notre voix à la voix de la Vierge — comme le dit la liturgie romaine125, — Nous voudrions traduire en louange fervente et en remerciement au Seigneur.

Souhaitant donc que, grâce à vos efforts généreux, Frères très chers, il y aura chez le clergé et chez le peuple confié à vos soins un salutaire accroissement de la dévotion mariale, pour le plus grand bien de l’Eglise et de la société humaine, Nous vous accordons de grand coeur, à vous et à tous les fidèles auprès desquels s’exerce votre zèle pastoral, une Bénédiction Apostolique toute spéciale.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, en la fête de la Présentation du Seigneur, le 2 février 1974, onzième année de notre Pontificat.


PAULUS PP. VI


85 Lumen Gentium, 54 : AAS 57, 1965, p. 59. Cf. paul VI, Allocution aux Pères conciliaires lors de la clôture de la deuxième session du Concile oecuménique Vatican II, le 4 décembre 1963 ; AAS 56, 1964, p. 37.
86 Cf. Lumen Gentium, 6, 7-8, 9-17 : AAS 57, 1965, pp. 8-9. 9-12, 12-21.
87 Ibid., 63 : AAS 57, 1965, p. 64.
88 st cyprien, De catholicae Ecclesiae unitate, 5 : CSEL 3, p. 214.
89 isaac de l’étoile, Sermo LI, In Assumptione B. Mariae, PL 194, 1863.
90 Sermo XXX, 1 : S. Ch. 164, p. 134.
91 Cf. Lumen Gentium, 66-69 : AAS 57, 1965, pp. 65-67.
92 Cf. Dei Verbum, 25 : AAS 58, 1966, pp. 829-830.
93 Sacrosanctum Concilium, 13 : AAS 56, 1964, p. 103.
94 Cf. Officium magni canotas paracletici, Magnum Orologion, Athenis 1963, p. 558 ; passim dans les canons et tropaires, liturgiques : cf. sophrone eustradiadou, Theotokarion, Chennevières-sur-Marne 1931, pp. 9, 19.
95 Cf. Lumen Gentium, 69 : AAS 57, 1965, pp. 66-67.
96 Cf. ibid., 66 : AAS 57, 1965, p. 65 ; Sacrosanctum Concilium, 103 : AAS 56, 1964, p. 125.
97 Cf. Lumen Gentium, 67 : AAS 57, 1965, pp. 65-66.
98 Ibid., 66 : AAS 57, 1965, p. 65.
99 Cf. paul VI, Allocution aux Pères conciliaires, en la basilique du Vatican, le 21 novembre 1964 : AAS 56, 1964, p. 1017.
100 Unitatis redintegratio, 20 : AAS 57, 1965, p. 105.
101 Encyclique Adjutricem populi : AAS 28, 1895-1896, p. 135.
102 Cf. Lumen Gentium, 56 : AAS 57, 1965, p. 60.
103 st pierre chrysologue, Sermo CXLIII : PL 52, 583.
104 Lumen Gentium, 55 : AAS 57, 1965, pp. 59-60.
105 Cf. paul VI, Exhortation apostolique Signum magnum, I : AAS 59, 1967, pp. 467-468 ; Missale Romanum, Die 15 septembris, Super oblata.
106 Cf. Lumen Gentium, 67 : AAS 57, 1965, pp. 65-66.
107 Cf. st augustin, In Johannes Evangelium, Tractatus X, 3 : CCL 36, pp. 101-102 ; Epistula 243. Ad Laetum, 9 : CSEL 57, pp. 575-576 ; st bede le vénérable, In Lucae Evangelium expositio, IV, xi, 28 : CCL 120, p. 237 ; Homelia I, 4 : CCL 122, pp, 26-27.
108 Cf. Lumen Gentium, 58 : AAS 57, 1965, p. 61.
109 Missale Romanum, Dominica IV Adventus, Collecta. Dans le même sens, cf. Collecta du 25 mars, qui peut remplacer la précédente dans la récitation de l’Angélus.
110 pie XII, Lettre Philippinas Insulas, à l’Archevêque de Manille : AAS 38, 1946, p. 419.
111 Cf. Allocution aux participants au III° Congrès international dominicain du Rosaire : Enseignements de Paul VI, 1, 1963, pp. 463-464.
112 Cf. AAS 58, 1966, pp. 745-749.
113 Cf. AAS 61, 1969, pp. 649-654.
114 Cf. 13 : AAS 56, 1964, p. 103.
115 Apostolicam actuositatem, 11 : AAS 58, 1966, p. 848.
116 Lumen Gmtium, 11 : AAS 57, 1965, p. 16.
117 Cf. Apostolicam actuositatem, 11 : AAS 58, 1966, p. 848.
118 N. 27.
119 Lumen Gentium, 53 : AAS 57, 1965, pp. 58-59.
120 La Divine Comédie. Le Paradis, XXXIII, 4-6.
121 Cf. Lumen Gentium, 60-63 : A AS 57, 1965, pp. 62-64.
122 Cf. ibid., 65 : AAS 57, 1965, pp. 64-65.
123 Ibid., 65 : AAS 57, 1965, p. 64.
124 Cf. Gaudium et Spes, 22 : AAS 58, 1966, pp. 1042-1044.
125 Cf. Missale Romanum, die 31 maii, Collecta.




Marialis cultus FR 40