Thérèse EJ, Histoire d'une âme A 85

Folio vide

Manuscrit A Folio 85 Verso.

EXPLICATION DES ARMOIRIES.

Le blason JHS est celui que Jésus a daigné apporter en dot à sa pauvre pette épouse. L'orpheline de la Bérésina NHA 834 501 est devenue Thérèse de l'ENFANT JÉSUS de la SAINTE FACE, ce sont là ses titres de noblesse, sa richesse et son espérance. - La Vigne qui sépare en deux le blason est encore la figure de Celui qui daigna nous dire: "Je suis la Vigne et vous êtes les branches, je veux que vous me rapportiez beaucoup de fruits." NHA 835 Jn 15,5 Les deux rameaux entourant, l'un la Ste Face, l'autre le petit Jésus sont l'image de Thérèse qui n'a qu'un désir ici-bas, celui de s'offrir comme une petite grappe de raisin 502 pour rafraîchir Jésus enfant, l'amuser, se laisser presser par Lui au gré de ses caprices et de pouvoir aussi étancher la soif ardente qu'Il ressentit pendant sa passion Jn 19,28 503 . - La harpe 504 représente encore Thérèse qui veut sans cesse chanter à Jésus des mélodies d'amour 505 .
Le blason FMT est celui de Marie-Françoise-Thérèse, la petite fleur de la Sainte Vierge, aussi cette petite fleur est-elle représentée recevant les rayons bienfaisants de la Douce Étoile du matin 506 . - La terre verdoyante représente la famille bénie au sein de laquelle la fleurette a grandi; plus loin on voit une montagne qui représente le Carmel. C'est en ce lieu béni que Thérèse a choisi pour figurer en ses armoiries le dard enflammé 507 de l'amour qui doit lui mériter la palme du martyre 508 en attendant qu'elle puisse véritablement donner son sang pour Celui qu'elle aime. Car pour répondre à tout l'amour de Jésus elle voudrait faire pour Lui ce qu'Il a fait pour elle... mais Thérèse n'oublie pas qu'elle n'est qu'un faible roseau 509 aussi l'a-t-elle placé sur son blason.
Le triangle lumineux représente l'adorable Trinité qui ne cesse de répandre ses dons inestimables 510 sur l'âme de la pauvre petite Thérèse, aussi dans sa reconnaissance elle n'oubliera jamais cette devise: "L'Amour ne se paie que par l'Amour NHA 836 511 ."

Manuscrit A Folio 86 Recto.

(En caractères Gothiques dessinés par Thérèse)

Je chanterai éternellement les Miséricordes du Seigneur!... Ps 89,2

(Ici le dessin des armoiries: Colorié par Thérèse)

(Et... en bas de page, en Gothique dessiné...) 601

Jours de Grâces, accordés par le Seigneur à sa petite épouse.

Naissance 2 Janvier 1873
Baptême 4 Janvier 1873
Sourire de la Ste Vierge Mai 1883 602
Première Communion 8 Mai 1884
Confirmation 14 juin 1884
Conversion 25 Décembre 1886
Audience de Léon XIII 20 Novembre 1887
Entrée au Carmel 9 Avril 1888
Prise d'Habit 10 Janvier 1889
Notre grande richesse 12 Février 1889 603
Examen canonique Septembre 1890
Bénédiction de Léon XIII Septembre 1890 604
Profession 8 Septembre 1890
Prise de voile 24 Septembre 1890
Offrande de moi-même à l'Amour 9 Juin 1895

(Ainsi s'achève le MANUSCRIT A)















NOTES DU MANUSCRIT A


INTRODUCTION AUX MANUSCRITS AUTOBIOGRAPHIQUES


Les avatars de l'Histoire d'une Ame, ou des Manuscrits autobiographiques, de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, sont aujourd'hui bien connus, grâce à l'édition en fac-similé du P. François de Sainte-Marie, accompagnée de trois volumes d'introductions, notes textuelles et critiques, tables et concordance (Carmel de Lisieux, 1956), et à l'édition courante qui en découla l'année suivante. Nous nous limiterons ici aux documents de base, d'autant qu'on trouvera dans les notes de nombreux compléments.


1. CIRCONSTANCES

C'est à la soeur aînée de Thérèse, Marie du Sacré-Coeur, que l'on doit deux de ces trois textes inestimables (et indirectement, par ricochet, le troisième). Elle en a fait elle-même le récit au Procès de l'Ordinaire, répondant à la question: «Que savez-vous de l'origine de ce manuscrit (l'Histoire d'une Ame) et de son état d'intégrité? »

« Un soir d'hiver, après matines, nous nous chauffions, réunies avec soeur Thérèse, soeur Geneviève et notre R.M. prieure Agnès de Jésus. Soeur Thérèse nous raconta deux ou trois traits de son enfance. Je dis alors à notre mère prieure, Agnès de Jésus: "Est-il possible que vous lui laissiez faire des petites poésies pour faire plaisir aux unes et aux autres, et qu'elle ne nous écrive rien de tous ses souvenirs d'enfance? Vous verrez, c'est un ange qui ne restera pas longtemps sur la terre, et nous aurons perdu tous ces détails si intéressants pour nous." Notre mère prieure hésita d'abord, puis, sur nos instances, elle dit à la Servante de Dieu qu'elle lui ferait plaisir de lui remettre pour le jour de sa fête le récit de son enfance (Manuscrit A).
«(...) Plus tard, mère Agnès de Jésus, voyant soeur Thérèse très malade, persuada à la R.M. Marie de Gonzague, alors prieure, de faire écrire par soeur Thérèse, l'histoire de sa vie religieuse, qui est la seconde partie du manuscrit (Manuscrit C). Enfin, je lui demandai moi-même pendant sa dernière retraite (1896) de me mettre par écrit ce que j'appelais sa petite doctrine. Elle l'a fait, et on a ajouté ces pages, comme une troisième partie, quand on a imprimé l'"Histoire de sa vie" (Manuscrit B).» (PO, p. 237.)

Mère Agnès précise: «Au commencement de l'année 1895, deux ans et demi avant la mort de soeur Thérèse», et confirme le récit de Marie du Sacré-Coeur (sans mentionner toutefois la présence de soeur Geneviève). Elle indique que Thérèse «riait comme si l'on s'était moqué d'elle» et poursuit:
«La Servante de Dieu se mit à l'oeuvre par obéissance, car j'étais alors sa mère prieure. Elle écrivit uniquement pendant ses temps libres et me donna son cahier le 20 janvier 1896 pour ma fête. J'étais à l'oraison du soir. En passant pour aller à sa stalle, soeur Thérèse de l'Enfant Jésus s'agenouilla et me remit ce trésor. Je lui répondis par un simple signe de tête et posai le manuscrit sur notre stalle, sans l'ouvrir. Je ne pris le temps de le lire qu'après les élections de cette même année, au printemps. Je remarquai la vertu de la Servante de Dieu, car après son acte d'obéissance, elle ne s'en était plus du tout préoccupée, ne me demandant jamais si j'avais lu son cahier, ni ce que j'en pensais. Un jour, je lui dis que je n'avais pas eu le temps d'en rien lire; elle ne parut nullement peinée.
«Je trouvai ses récits incomplets. Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus avait insisté particulièrement sur son enfance et sa première jeunesse, comme je le lui avais demandé; sa vie religieuse y était à peine esquissée (...).
« Je pensai que c'était bien dommage qu'elle n'eût pas rédigé avec le même développement ce qui avait trait à sa vie au Carmel, mais sur ces entrefaites j'avais cessé d'être prieure et la mère Marie de Gonzague était rentrée dans cette charge. Je craignais qu'elle n'attachât pas à cette composition le même intérêt que moi et je n'osais rien lui en dire. Mais enfin, voyant soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus devenue très malade, je voulus tenter l'impossible. Le soir du 2 juin 1897, quatre mois avant la mort de soeur Thérèse, vers minuit, j'allai trouver notre mère prieure: "Ma mère, lui dis-je, il m'est impossible de dormir avant de vous avoir confié un secret. Pendant que j'étais prieure, soeur Thérèse m'écrivit pour me faire plaisir et par obéissance quelques souvenirs de son enfance. J'ai relu cela l'autre jour; c'est gentil, mais vous ne pourrez pas en tirer grand'chose pour vous aider à faire sa circulaire après sa mort, car il n'y a presque rien sur sa vie religieuse. Si vous le lui commandiez, elle pourrait écrire quelque chose de plus sérieux, et je ne doute pas que ce que vous auriez ne soit incomparablement mieux que ce que j'ai." Le bon Dieu bénit ma démarche, et le lendemain matin notre mère ordonna à soeur Thérèse de l'Enfant Jésus de continuer son récit » (PO, pp. 146-147; cf. PA, p. 201).

Sa soeur Céline (soeur Geneviève de Sainte-Thérèse), qui recevait communication des petits cahiers du Ms A au fur et à mesure, donne des précisions intéressantes sur la manière dont Thérèse travaillait: « Elle n'avait aucune arrière-pensée, lorsqu'elle commença son manuscrit. Elle l'écrivit uniquement par obéissance, s'efforçant toutefois de relater certains faits, spéciaux à chacun des membres de sa famille, afin de faire plaisir à tous, par ce récit des souvenirs de sa jeunesse. Son manuscrit était en effet un "souvenir de famille", exclusivement destiné à ses soeurs. C'est ce qui explique l'abandon familial dans lequel il fut écrit, et aussi certains détails enfantins devant lesquels sa plume aurait reculé, si elle eût prévu que cet écrit devait sortir du cercle fraternel. Elle n'écrivait qu'à bâtons rompus, pendant les rares moments libres que lui laissaient la Règle et ses occupations auprès des novices. Elle ne fit aucun brouillon, écrivant au courant de la plume, et cependant son manuscrit ne contient pas de ratures» (PO, p. 274).
La description de Céline fait bien apparaître que les Manuscrits s'apparentent davantage au genre épistolaire qu'à celui des notes intimes, pour ne pas parler des «traités spirituels». Une grille de lecture fort importante, non seulement parce qu'elle explique le charme et la spontanéité du style de Thérèse, mais aussi le rayonnement contagieux d'une personnalité transparente à l'amour et à la grâce de Dieu (cf. Jean Guitton sur les paroles de Thérèse, DE, p. 119, n. 26).
On trouvera dans l'introduction générale des Manuscrits autobiographiques («Nouvelle Edition du Centenaire») une description détaillée des manuscrits de Thérèse, d'après le P. François de Sainte-Marie.


2. THÉRÈSE ET LA PUBLICATION DE SON «OEUVRE»

Thérèse a rédigé les Manuscrits A et C par obéissance à ses prieures, le Manuscrit B à la demande de sa soeur Marie du Sacré-Coeur. Elle même n'avait pas eu l'idée de laisser une trace écrite de ses souvenirs et de ses pensées. Pourtant, ses lettres et ses poésies étaient pour elle, à la fois, un moyen d'expression et une manière de répandre son amour du Christ. Et dès le début, elle sut que, sous une certaine forme, son Manuscrit C était destiné à une publication, puisque Mère Agnès avait donné à Mère Marie de Gonzague, comme raison de la « commande », la rédaction de sa « Circulaire nécrologique »...
Thérèse a pris cette idée de publication très au sérieux (cf. Poésies, II. pp. 25ss), et elle multiplie les allusions dans les Derniers Entretiens, en partie probablement pour soutenir le moral de ses soeurs (cf. CJ 27.5.1).

Plus le temps avance et plus elle s'intéresse à cette oeuvre posthume (cf. ; 10.7.2; 11.7.3; 20.7.3; 29.7.7; 1.8.2 et NV 1.8.2 fin, en DE II (DP), p. 229; CJ 25.9.2 : « Sur son lit de mort, elle attachait une grande importance à cette publication et y voyait un moyen d'apostolat. Elle me dit un jour avec assurance: « Il faudra publier le manuscrit sans aucun retard après ma mort. Si vous tardez, si vous commettez l'imprudence d'en parler à qui que ce soit, sauf à notre mère, le démon vous tendra mille embûches pour empêcher cette publication pourtant bien importante. Mais si vous faites tout ce qui est en votre pouvoir, pour ne pas la laisser entraver, ne craignez rien des difficultés que vous rencontrerez. Pour ma mission, comme pour celle de Jeanne d'Arc, "la volonté de Dieu s'accomplira malgré la jalousie des hommes". Vous pensez donc que c'est par ce manuscrit que vous ferez du bien aux âmes? - Oui, c'est un moyen dont le Bon Dieu se servira pour m'exaucer. Il fera du bien à toutes sortes d'âmes, excepté à celles qui sont dans les voies extraordinaires» (Mère Agnès, PA, p.202, montage de plusieurs paroles différentes de Thérèse: cf. PO, pp. 147, 176, 200-201; CJ 27.7.6; 9.8.2.
Il est indéniable que Thérèse a institué Mère Agnès comme son « éditeur ». Celle-ci a déclaré sous la foi du serment que sa soeur lui avait dit: «Ma Mère, tout ce vous trouverez bon de retrancher ou d'ajouter au cahier de ma vie, c'est moi qui le retranche ou qui l'ajoute. Rappelez-vous cela plus tard, et n'ayez aucun scrupule à ce sujet » (PO, p. 147; cf. PA, pp. 201-202; CV et NV, dans DE II(DP), pp. 164-165); et une autre fois, à propos du Ms C: « Je n'ai pas écrit ce que je voulais, me dit-elle tristement, il m'aurait fallu plus de solitude. Cependant ma pensée y est, vous n'aurez plus qu'à classer» (PA, p. 173). Le P. François de Sainte-Marie commente à bon droit: « Retrancher, ajouter, classer - les trois opérations que l'auteur des manuscrits prévoyait et approuvait à l'avance, son éditrice les a effectuées très largement dans la suite. On peut certes discuter du nombre et de l'opportunité de ces modifications. Mais la question de droit ne fait pas de doute: le blanc-seing a été donné » (Mss 1, p. 72, où l'on trouvera les diverses références aux Procès sur cette question).


3. L'« HISTOIRE D'UNE AME »

Lors du Procès de l'Ordinaire, Mère Agnès a déclaré: « C'est moi qui eus l'initiative de proposer cette publication (l'Histoire d'une Ame) après sa mort. En relisant les manuscrits que j'avais entre les mains, j'eus l'impression que je possédais un trésor qui pourrait faire beaucoup de bien aux âmes. »
A la question: « Le livre imprimé concorde-t-il tout à fait avec l'autographe de la Servante de Dieu, de sorte qu'on puisse lire l'un pour l'autre avec sécurité? », Mère Agnès répond (le 17/8/1910): « Il y a quelques changements, mais de peu d'importance et qui ne changent pas le sens général et substantiel du récit. Ces changements sont: 1 la suppression de quelques passages très courts, relatant des détails intimes de la vie de famille pendant son enfance; 2 la suppression d'une ou deux pages dont le contenu me paraissait moins intéressant pour des lecteurs étrangers au Carmel; 3 enfin, comme l'histoire manuscrite était composée de trois parties, l'une s'adressant à moi (sa soeur Pauline), l'autre à sa soeur Marie et la dernière en date à la mère Marie de Gonzague, alors prieure, cette dernière, qui présida à la publication du manuscrit, exigea certaines retouches de détail dans les parties adressées à ses soeurs, afin que, pour plus d'unité, le tout parût lui avoir été adressé à elle-même» (p. 149).
A la suite de cette déposition, le tribunal décida fort opportunément de faire « établir un exemplaire authentique de l'Autographe, selon les règles du droit en la matière, et (de) l'insérer dans les documents du Procès »(PO,p. 150), ce qui fut fait le 29 août 1911 (PO,pp. 599-720).

Sur la conduite de Mère Marie de Gonzague, considérée comme un indice de jalousie maladive, il convient peut-être d'être plus prudent que Mère Agnès, qui parle de « subterfuge » dans sa note du 22 novembre 1907 (à la première page du Manuscrit A; cf. infra). Lors du PO, en 1910, elle se contente d'invoquer le souci d'assurer « plus d'unité » à l'Histoire d'une Ame (supra). Sans doute faut-il se replacer dans l'atmosphère de l'époque pour apprécier cette initiative singulière.
En 1898, Mère Marie de Gonzague était prieure, et son autorité restait solide dans la communauté. N'était-ce pas une réaction de prudence, vis-à-vis des soeurs (de la part des deux Mères, conjointement), que de faire endosser à Mère Marie de Gonzague la responsabilité, non seulement de la publication, mais aussi du devoir d'obéissance fait à Thérèse d'écrire ses « souvenirs » (que ce fût en 1895, en 1896, ainsi qu'on le corrigea dans le Manuscrit A, ou en 1897 pour le Manuscrit C)?
Car cet ordre n'avait jamais été donné à personne d'autre jusqu'alors. Si la communauté avait appris que c'était une « histoire de famille », un « ordre » de Mère Agnès à sa propre petite soeur, pour faire plaisir à ses proches... est-ce que le Manuscrit A n'en aurait pas perdu une part de son prestige, de sa valeur spirituelle, aux yeux des soeurs qui n'appréciaient pas tellement l'importance du « clan Martin »? On peut donc penser que, « l'ordre » venant de Mère Marie de Gonzague, qui connaissait Thérèse depuis l'âge de neuf ans, l'Histoire d'une Ame revêtait d'emblée une tout autre valeur « religieuse ». Dans ce cas, en 1907 ou en 1910, la gloire de Thérèse débordant largement le monastère (et Mère Marie de Gonzague étant morte en 1904), il n'était plus besoin de prendre autant de précautions vis-à-vis de la communauté, alors que la nécessité était bien réelle de fournir une explication aux juges ecclésiastiques. Cette interprétation du « subterfuge » reste pourtant hypothétique.


4. LE TRAVAIL DE MÈRE AGNES

Grâce à la publication de « La première Histoire d'une Ame » de 1898 dans la « Nouvelle Edition du Centenaire », on pourra juger, par comparaison, des « quelques changements de peu d'importance » opérés à l'époque... Le P. François de Sainte-Marie a fait parfaitement le procès » du travail de Mère Agnès, présentant tour à tour l'accusation et la défense:

« Il n'eût, certes, pas été possible de publier textuellement les cahiers de Thérèse. (...) En une époque où l'on attachait une telle importance à la parfaite correction du style et au respect scrupuleux des conventions littéraires, comment aurait-on pu imprimer les brouillons d'une jeune religieuse inconnue sans se couvrir de ridicule et la trahir elle même? La matière du récit exigeait tout autant que la forme certaines mises au point. (...)
« Mais il faut reconnaître que l'éditrice de l'Histoire d'une Ame s'est montrée fort généreuse dans le domaine des corrections. (...) Mère Agnès de Jésus a corrigé ces pages comme elle corrigeait aux Buissonnets les compositions hésitantes de la petite Thérèse. (...) Sa propre psychologie, son tempérament jaillissant l'inclinaient à mettre un cachet personnel sur les écrits qui lui étaient soumis, à les retoucher presque spontanément. Pour elle, d'ailleurs, l'essentiel était d'atteindre les âmes, de leur faire du bien en luttant contre les derniers relents de jansénisme qui flottaient encore dans certains milieux religieux. Thérèse - elle en avait le sentiment - était, entre ses mains, un merveilleux instrument pour accomplir cette oeuvre. Après tout, pensait-elle, la teneur littérale de ses écrits importait moins. Il convenait même d'en écarter tout ce qui aurait pu éloigner ou rebuter le lecteur.
« En fait, Mère Agnès de Jésus a «récrit» l'autobiographie de Thérèse. (...) Sans doute, la matière du récit reste sensiblement la même, le fond de la doctrine aussi, mais la forme est différente dans la mesure où le tempérament de Mère Agnès n'est pas celui de Thérèse. (...) Ces modifications n'ont certes pas empêché les âmes de rejoindre authentiquement Thérèse et de se pénétrer de sa doctrine. Mais sur le plan proprement scientifique, il est inutile de chercher à concilier les exigences de la critique moderne avec la manière dont fut retouché le texte original. (...) Sur une synopse où les deux textes figurent en regard et où leurs divergences sont notées, des plus légères aux plus importantes, nous relevons plus de 7.000 variantes » (Mss 1, p. 78).

Parmi les options les plus discutables de Mère Agnès, on notera l'entorse à la chronologie, et donc le changement de perspective, que constitue l'utilisation de la lettre à soeur Marie du Sacré-Coeur (Ms B) comme conclusion de toute l'Histoire d'une Ame, présentée comme une «autobiographie», alors que le Ms C, écrit peu avant sa mort, reflète le dernier visage de Thérèse. Même après le rétablissement des véritables destinataires de chacun des manuscrits, en 1914, cette anomalie subsistera, jusqu'en 1955; seule l'édition du P. François de Sainte Marie y mettra fin.


5. LES MODIFICATIONS DE L'« HISTOIRE D'UNE AME »

Mère Agnès ayant promptement accompli sa révision, la première édition de l'Histoire d'une Ame sort de l'Imprimerie Saint-Paul, à Bar-le-Duc, le 30 septembre 1898, soit un an jour pour jour après la mort de Thérèse. Soeur Marie du Sacré-Coeur avait dit à celle-ci peu avant: « J'aurai bien de la peine à consoler Mère Agnès que (votre) mort va tant affliger » et Thérèse avait répondu: « Ne vous inquiétez pas. Mère Agnès de Jésus n'aura pas le temps de penser à sa peine, car jusqu'à la fin de sa vie, elle sera si occupée de moi qu'elle ne pourra même pas suffire à tout » (PO, p. 255; cf. PA, p. 245; DE, pp. 659-660). Une fois de plus, elle est bon prophète: ce livre qu'on tiré, avec quelque crainte, à 2.000 exemplaires, va se répandre de plus en plus vite, entraînant miracles, « pluies de roses » et de lettres (cinquante par jour en 1911, cinq cents en 1915), demandes de prières, images, souvenirs, livres (plusieurs rééditions de l'Histoire d'une Ame, en particulier, et les traductions dès 1901), enfin le Procès de béatification, tout cela pesant en grande partie sur les épaules de Mère Agnès.
L'approche des Procès justement va poser le problème de fond. Malgré les efforts que feront les témoins pour minimiser les différences entre les manuscrits originaux et le texte de l'Histoire d'une Ame, celles-ci sont trop importantes pour passer inaperçues. Dans l'édition de 1907, on concède seulement au lecteur que le manuscrit original a été découpé en chapitres. Puis dans celle de 1914, on rétablit la distinction des trois manuscrits (PA, p. 202), après que Marie du Sacré-Coeur ait reconstitué « dans son état premier le manuscrit original », dont « copie authentique a été envoyée à Rome » (ibid.). Mais Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, affirme dans sa lettre-préface: « Cette modification ne change presque rien au texte imprimé jusqu'ici »... Il en dira davantage dans l'Avis au lecteur du 6 mars 1924 (voir MS/NEC, Introduction générale, et l'exégèse de cet Avis par le P. François de Sainte-Marie dans Mss 1, pp. 86-87).


6. LES CORRECTIONS DES MANUSCRITS

Malgré ces propos officiels apaisants, Mère Agnès et ses soeurs n'ont pas manqué de soucis concernant les manuscrits de Thérèse. Le livre n'a guère subi d'autres changements que ceux indiqués ci-dessus: toute autre modification substantielle aurait été dangereuse pour sa réputation d'authenticité. Mais il a fallu adapter les manuscrits de Thérèse aux diverses péripéties et conjonctures de sa gloire posthume... Et d'abord aux conséquences de l'exigence de Mère Marie de Gonzague (cf. supra). Voici ce que Mère Agnès écrit à ce sujet, le 22 novembre 1907, sur le cahier même de Thérèse, à la première page du Manuscrit A:

«Le manuscrit de Sr Thérèse de l'Enfant Jésus contient deux parties, c'est-à-dire deux cahiers différents. Le premier fut écrit à la demande de sa soeur Pauline Sr Agnès de Jésus élue prieure en 1893. Le deuxième cahier fut écrit à la demande de la Révérende Mère Marie de Gonzague, élue prieure en 1896. Cette Révérende Mère ne consentit à la publication du Manuscrit sous le titre: " Histoire d'une âme " qu'à la condition que tout semblerait lui avoir été dédié. Quelque temps après la publication de l'ouvrage, une religieuse de la communauté demanda à Mère Marie de Gonzague de lui montrer le manuscrit original. Celle-ci, ne voulant à aucun prix que, ni à ce moment, ni plus tard on sut que la première partie ne lui était pas adressée, décida (d'après un conseil qui lui fut donné) qu'on brûlerait le Manuscrit. Pour le sauver de la destruction, Mère Agnès de Jésus proposa d'effacer son nom et de le remplacer par celui de Mère Marie de Gonzague. Elle supprima en même temps, à l'aide d'un grattoir, certains passages absolument pour elle et qui ne pouvaient pas convenir à Mère Marie de Gonzague. C'est ce qui explique les nombreuses ratures de ce cahier, et les non-sens qui résultent inévitablement de ce subterfuge.
« Au moment où l'on va s'occuper d'introduire la Cause de la Servante de Dieu Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face auteur de ce manuscrit, on a fait un devoir de conscience à Mère Agnès de Jésus de faire connaître la vérité par le présent acte et de le signer elle même, prenant pour témoins les trois religieuses dignes de foi qui forment son conseil.
Sr Agnès de Jésus, Prieure
Sr Marie des Anges, Sous-prieure
Sr Madeleine de Jésus, dépositaire
Sr Thérèse de St Augustin, Conseillère ».

Au verso de cette première page du Ms A figure un autre avertissement de Mère Agnès, du 28 mai 1910:
« En Avril 1910, Soeur Marie du Sacré Coeur (Marie) soeur aînée de la Servante de Dieu, rétablit sur des données certaines les passages de ce manuscrit qui avaient été effacés. »

Nouvelle source de ratures, donc: la reconstitution du texte initial (notamment les « corrections d'attribution ») par Marie, qui n'a pas grande idée des exigences critiques... Elle oublie certaines corrections et profite de l'occasion pour apporter aussi quelques modifications de détail. Et Mère Agnès elle-même, toujours perfectionniste, relisant les manuscrits de sa soeur au long des années, fera de nouvelles retouches, de style, d'orthographe, de ponctuation, qui parfois affectent le sens (cf. Mss I, pp. 91-94)...


7. VERS UNE EDITION CRITIQUE

L'édition, en 1948, des Lettres de Thérèse, dans une version aussi rigoureuse et complète que l'ont permise la ténacité de l'abbé Combes et la résistance, aussi touchante qu'opiniâtre, de soeur Geneviève (cf. CG, pp. 39-51), ouvre la voie à une version authentique de l'Histoire d'une Ame, surtout après les « demi-aveux » de Mgr Lemonnier en 1924. Les arguments de l'abbé Combes dans sa belle lettre à soeur Geneviève du 11/9/1947 (cf. infra, l'introduction aux Lettres) ne seront sans doute pas oubliés.
Au même moment, d'ailleurs, le P. Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus Définiteur Général de l'Ordre du Carmel, écrit à Mère Agnès: « L'Eglise a parlé. La sainteté et la mission doctrinale de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus sont reconnues universellement. Il résulte de ce fait qu'elle appartient désormais à l'Eglise et à l'histoire. Pour réfuter et éviter les interprétations erronées ou incomplètes, pour approfondir progressivement la doctrine et l'âme de la Petite Sainte, les documents et textes qui nous sont fournis si généreusement ne nous suffisent pas, les textes originaux peuvent seuls permettre de découvrir le mouvement de la pensée, le rythme en quelque sorte de la vie et toute la lumière des formules ordinairement si précises et si fermes » (lettre du 3/9/1947; Mss I, pp. 87-88).
Agée de quatre-vingt-six ans, Mère Agnès n'avait pas la force d'affronter cette publication, qui atteignait en partie l'oeuvre de sa vie, et risquait de troubler vivement les fervents de l'Histoire d'une Ame. Mais elle ne s'y opposait pas et déclara à soeur Geneviève, le 2 novembre 1950: «Après ma mort, je vous charge de le faire en mon nom» (Mss I, p. 88). Le Carmel de Lisieux s'était donc engagé de façon irréversible dans l'édition critique et intégrale de l'oeuvre thérésienne.


8. UN TEXTE QUASI DEFINITIF

L'abbé Combes ayant cessé de s'occuper des manuscrits de Thérèse en 1950, le P. François de Sainte-Marie (François Liffort de Buffévent 1910-1961), carme déchaux, est désigné comme maître d'oeuvre. Avec l'édition en fac-similé qu'il réalise en 1956, grâce au travail magistral de l'imprimerie Draeger, à Montrouge, c'est un progrès considérable, presque définitif, qui est accompli dans l'édition des manuscrits de Thérèse, grâce à la publication conjointe des notes historiques du P. François, et surtout des expertises ligne à ligne de Raymond Trillat et Félix Michaud, sur tous les ajouts, suppressions et ratures des Manuscrits autobiographiques (nom nouveau donné à l'oeuvre de Thérèse, pour indiquer une rupture avec le texte antérieur). Progrès et rupture concrétisés dans le grand public par l'édition imprimée de ces mêmes Manuscrits, en 1957 (cf. les justifications du P. François dans cet ouvrage, pp. IX-XV) (1). ------ Note 1. L'édition 1957 du Carmel de Lisieux a été reprise par les Editions du Cerf et Desclée De Brouwer à partir de 1972, sous le double titre Histoire d'une Ame - Manuscrits autobiographiques, afin de ne pas désorienter les lecteurs non spécialistes qui continuaient à demander en librairie l'Histoire d'une Ame en édition courante. ------
C'est cette dernière publication qui a servi de base à l'édition critique publiée en 1992 dans la « Nouvelle Edition du Centenaire », et au texte du présent volume, avec les modifications exigées par de nouvelles approches critiques (inévitables après trente-cinq ans d'études sur un texte aussi rudement malmené); il faut noter aussi un retour à la littéralité typographique, que le P. François de Sainte-Marie avait cru bon d'interpréter librement pour traduire la spontanéité de la pensée et de l'écriture thérésienne (ibid., p. XII). Pour toutes précisions, on se reportera aux Notes sur l'établissement du texte et aux Notes de critique textuelle des Manuscrits autobiographiques (MS/NEC).



Note 1

Note 1: Initiales de Jésus. Marie. Joseph. Thérèse d'Avila. En-tête en usage au Carmel, que l'on retrouve presque partout chez Thérèse.

Note 2: "L'histoire de la petite fleur cueillie par Jésus" (MSA 3,2v ) va courir à travers le Ms A. jusqu'aux armoiries (MSA 85,2v ). La "petite fleur blanche", c'est la saxifrage que son père a offerte à Thérèse quand elle lui a confié sa Vocation (MSA 50,2v ) Cf MSA 17,1r; MSA 31,2v; MSA 81,2v; MSB 4,1r /v PN 34 PN 51 etc.

Note: 3 Le grand thème du Ms A. Le mot miséricorde, qu'on retrouve dans la même page avec la citation de Saint Paul, revient vingt-neuf fois dans les Manuscrits autobiographiques. A côté de la prière majeure, l'Acte d'offrande à l'Amour Miséricordieux (PRI 6).

Note: 4 La " Vierge du Sourire ", qui surmonte aujourd'hui la châsse de la sainte. Elle joue un rôle essentiel dans la vie de Thérèse, la guérissant, dans son enfance de sa maladie nerveuse (MSA 29,2-31,1v /31r ) et l'accompagnant dans son agonie à l'infirmerie.

Note: 5 Thérèse insiste sur l'idée, qui lui est chère, du plaisir de Dieu, qui revient quatorze fois dans les Mss. La gratuité de l'amour de Dieu est au centre de son message Cf. MSC 2,1r .

Note: 6 Un des "gestes", une des images essentielles de l'amour, de la grâce divine pour Thérèse qui revient vingt-quatre fois dans les Ecrits (cf surtout MSB 3,2v fin).

Note: 7 Cf. MSA 50,2v .

Note: 8 Toute la famille de Thérèse: à ce moment, " trois Lys " au Carmel; " un autre lys" (Léonie) à la Visitation; "les deux tiges bénies" (les parents), qui ont retrouvé "les quatre Lys", les frères et soeurs morts en bas âge.

Note: 9 Petite enfance à Alençon (jusqu'à la mort de sa mère), enfance aux Buissonnets (jusqu'à la «Grâce de Noël», 1886) puis de 1886 jusqu'à la date de rédaction du Ms A (1895). Les limites de ces périodes ne sont pas très déterminées, d'autant que, en MSA 13,1r et en MSA 45,2v Thérèse parle des trois périodes « de sa vie ».

Note 10

Note: 10 Lettre de Mme Martin à sa fille Pauline (5/12/1875). A cet endroit, Thérèse rajoute un feuillet (MSA 5,1r /v ), pour transcrire des passages des lettres de Mme Martin que Mère Agnès lui a communiquées.

Note: 11 De Mme Martin à Marie et Pauline, 25/6/1874.

Note: 12 De Mme Martin à Pauline, 29/10/1876.

Note: 13 De Mme Martin à Pauline, 21/5/1876.

Note: 14 Sa soeur Marie. Elle était sortie de pension (la Visitation du Mans) le 2/8/1875.

Note: 15 Le 23/5/1875; Thérèse avait donc deux ans et demi.

Note: 16 Armandine Dagorau, compagne de première communion, que Mme Martin avait « habillée », suivant l'usage touchant des familles aisées d'Alençon. « Cette enfant ne quitta pas Léonie un seul instant de ce beau jour; et le soir, au grand diner, on la mit à la place d'honneur » (HA).

Note: 17 En réalité, le 1 /7/ 1873.

Note: 18 Rose Taillé, qui habitait Semallée, à deux heures de marche d'Alençon. Thérèse lui fut confiée du 15 ou 16/3/1873 au 2/4/1874.

Note: 19 De Mme Martin à Pauline, 14/5/1876.


Thérèse EJ, Histoire d'une âme A 85