Nostra aetate 2




Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes

1 A notre époque où le genre humain est uni par des liens toujours plus étroits et où les relations entre les différents peuples se multiplient, l’Église examine plus attentivement quelles sont ses relations avec les religions non chrétiennes. Dans sa tâche de promouvoir l’unité et la charité parmi les hommes et aussi parmi les peuples, elle considère ici d’abord ce qui est commun aux hommes et les conduit à vivre en communauté.

En effet, tous les peuples forment ensemble une seule communauté, ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter tout le genre humain sur toute la face de la terre 1, et ont une seule fin dernière, qui est Dieu, dont la Providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous les hommes 2, jusqu’à ce que les élus soient unis dans la Cité sainte que la gloire éclatante de Dieu illuminera et où tous les peuples marcheront à sa lumière ’. Les hommes attendent des diverses religions la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine qui, autrefois comme aujourd’hui, agitent profondément le coeur humain : Qu’est-ce que l’homme ? Quel est le sens et quelle est la finalité de notre vie ? Qu’est-ce que le bien et qu’est-ce que le péché ? Quelle est l’origine de la souffrance et quel en est le but ? Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur ? Qu’est-ce que la mort, le jugement et la rétribution après la mort ? Quel est enfin ce mystère ultime et ineffable qui embrasse notre existence, d’où nous tirons notre origine et vers lequel nous tendons ?

1 Cf. Ac 17, 26.
2 Cf. Sg 8, 1 ; Ac 14, 17 ; Rm 2, 6-7 ; 1 Tm 2, 4.
3 Cf. Ap 21, 23-24.


2 Depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours, on trouve dans les différents peuples une certaine perception de cette puissance cachée, qui est présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine, quelquefois même, on constate une reconnaissance de la Divinité suprême ou même d’un Père. Cette perception et cette reconnaissance pénètrent leur vie d’un profond sens religieux. Les religions liées au progrès de la culture s’appliquent à répondre aux mêmes questions par des notions plus précises et un langage plus élaboré. Ainsi, dans l’hindouisme, les hommes scrutent le mystère divin et l’expriment par des mythes d’une fécondité inépuisable et par les efforts pénétrants de la philosophie, et ils cherchent à se libérer des angoisses de notre condition par des formes de vie ascétique ou par la profondeur de la méditation ou par le refuge en Dieu dans un mouvement d’amour confiant. Dans le bouddhisme, selon ses formes variées, on reconnaît l’insuffisance radicale de ce monde changeant et on enseigne une voie par laquelle les hommes, dans un esprit de dévotion et de confiance, peuvent soit acquérir l’état de libération parfaite, soit atteindre l’illumination suprême en s’appuyant sur leurs propres efforts ou sur un secours d’en haut. De la même façon, les autres religions que l’on trouve à travers le monde s’efforcent, de diverses façons, d’aller au-devant de l’inquiétude du coeur humain en proposant des voies, c’est-à-dire des doctrines et des règles de vie, et aussi des rites sacrés.

L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Avec un respect sincère, elle considère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, tout en différant sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, reflètent cependant assez souvent un rayon de cette Vérité qui illumine tous les hommes. Mais elle annonce sans cesse, et elle est tenue de le faire, le Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (
Jn 14,6), en qui les hommes trouvent la plénitude de la vie religieuse, et en qui Dieu s’est réconcilié toutes choses 4.

Elle adresse donc ses exhortations à ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, sauvegardent et fassent progresser les biens spirituels et éthiques ainsi que les valeurs socio-culturelles qui se trouvent chez eux.

4 Cf. 2 Co 5, 18 19.


3 L’Église regarde aussi avec estime les musulmans qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre5, qui a parlé aux hommes, et aux décrets duquel, même s’ils sont cachés, ils s’efforcent de se soumettre de toute leur âme, comme s’est soumis à Dieu Abraham, à qui la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent cependant comme prophète, et ils honorent sa mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. En outre, ils attendent le jour du jugement, lors duquel Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. C’est pourquoi ils accordent du prix à la vie morale et ils rendent un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne.

Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés sont nées entre chrétiens et musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé, à pratiquer sincèrement la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les biens de la morale, la paix et la liberté.

5 Cf. Grégoire VII, Epist III, 21 ad Anazir (Al-Nazir) regem Mauritaniae, éd. E. Caspar in MGH, Ep. sel. II, 1920, I, p. 288, 11-15, PL 148, 451 A.



4 Scrutant le mystère de l’Église, le saint Concile se souvient du lien par lequel le peuple du Nouveau Testament est relié spirituellement à la lignée d’Abraham.

En effet, l’Église du Christ reconnaît que les débuts de sa foi et de son élection se trouvent déjà chez les patriarches, Moïse et les prophètes, selon le mystère divin du salut. Elle confesse que tous les fidèles du Christ, fils d’Abraham selon la foi6, sont inclus dans la vocation de ce patriarche, et que le salut de l’Église est symboliquement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre de servitude. C’est pourquoi l’Église ne peut oublier qu’elle a reçu la révélation de l’Ancien Testament par l’intermédiaire de ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde ineffable, a daigné conclure l’antique Alliance, et qu’elle se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les Gentils 7. En effet, l’Église croit que le Christ, notre paix, a réconcilié par sa croix les Juifs et les Gentils et, en lui-même, a fait des deux un seul8.

L’Église reste également toujours attentive aux paroles de l’apôtre Paul au sujet de ceux de sa race : « A eux appartiennent l’adoption filiale, la gloire, l’alliance, la Loi, le culte, les promesses ainsi que les patriarches, et d’eux est issu le Christ selon la chair » (
Rm 9,4-5), le fils de la Vierge Marie. Elle se souvient aussi que les apôtres, fondements et colonnes de l’Église, ainsi qu’un grand nombre des premiers disciples qui annoncèrent l’Évangile du Christ au monde, sont nés du peuple juif.

Selon le témoignage de l’Écriture sainte, Jérusalem n’a pas reconnu le temps où elle fut visitée9, et les Juifs, en grande partie, n’acceptèrent pas l’Évangile, et même assez nombreux furent ceux qui s’opposèrent à sa diffusion I0 11. Néanmoins, selon l’apôtre, les Juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance n. Avec les prophètes et le même apôtre, l’Église attend le jour connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d’une seule voix et « le serviront sous un même joug » (So 3,9 So 12).

Puisque donc le patrimoine spirituel commun aux chrétiens et aux Juifs est si important, le saint Concile veut favoriser et recommander la connaissance et l’estime mutuelles, qui résulteront surtout d’études bibliques et théologiques ainsi que d’un dialogue fraternel.

Même si les autorités juives, avec leurs partisans, ont poussé à la mort du Christ13, ce qui s’est commis durant la passion ne peut toutefois être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs d’aujourd’hui. Bien que l’Église soit le nouveau Peuple de Dieu, les Juifs ne doivent cependant être présentés ni comme réprouvés par Dieu, ni comme maudits, comme si cela découlait de l’Écriture. C’est pourquoi tous prendront soin de ne rien enseigner dans la catéchèse et la prédication de la Parole de Dieu, qui ne soit conforme à la vérité de l’Évangile et à l’esprit du Christ.

En outre, l’Église qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes quels qu’ils soient, qui se souvient du patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs et qui est poussée non par des motifs politiques mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions, les manifestations d’antisémitisme dirigées contre les Juifs, quels que soient leur époque et leurs auteurs.

Au demeurant, comme l’Église l’a toujours tenu et le tient encore, le Christ, dans son immense amour, s’est soumis volontairement à la passion et à la mort à cause des péchés de tous les hommes, pour que tous obtiennent le salut. Dans sa prédication, l’Église a donc le devoir d’annoncer la croix du Christ comme signe de l’amour universel de Dieu et comme source de toute grâce.

6 Cf. Ga 3, 7.
7 Cf Rm 11, 17-24.
8 Cf Ep 2, 14-16.
9 Cf Lc 19, 44.
10 Cf Rm 11, 28.
11 Cf Rm 11, 28-29 ; conc. Vat. II, const. dogm. Lumen Gentium, AAS 57 (1965), p. 20 (voir plus haut p. 90).
12 Cf Is 66, 23 ; Ps 65, 4 ; Rm 11, 11-32.
13 Cf Jn 19, 6.



5 Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement à l’égard de certains parmi les hommes, créés à l’image de Dieu. La relation de l’homme à Dieu le Père et la relation de l’homme aux hommes, qui sont ses frères, sont si étroitement liées que l’Écriture dit : « Celui qui n’aime pas, ne connaît pas Dieu » (1Jn 4,8).

Par là est sapé le fondement de toute théorie ou de toute pratique qui introduit entre homme et homme, entre peuple et peuple, une discrimination en ce qui concerne la dignité humaine et les droits qui en résultent.

L’Église réprouve donc, comme contraire à l’esprit du Christ, toute discrimination ou vexation dont sont victimes des hommes à cause de leur race, de leur couleur, de leur condition ou de leur religion. Par conséquent, le saint Concile, suivant les traces des saints apôtres Pierre et Paul, prie instamment les fidèles « d’avoir au milieu des nations une bonne conduite » (1P 2,12) et s’il est possible, de vivre en paix, autant qu’il dépend d’eux, avec tous les hommes 14, de façon à être vraiment les fils du Père qui est dans les cieux 15.

14 Cf. Rm 12, 18.
15 Cf Mt 5, 45.





Nostra aetate 2