A la Rote 1939-2009 4001

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La mission de la Rote.

Votre vocation est aussi une vocation supérieure de Dieu dans le Christ pour la récompense éternelle; par cette vocation vous dirigez ici-bas le service de la justice, non pas avec lenteur, mais avec cette diligence et cette promptitude qui ne tourne pas les yeux en arrière pour s'arrêter dans le chemin, mais seulement pour tirer davantage de lumière et de conseil des trésors de sagesse du passé. Pour récolter de nouveaux mérites, vous mettez en branle votre esprit et votre intelligence avec l'année judiciaire que vous inaugurez aujourd'hui; cette science perspicace et prudente qui a rendu illustre et renommé votre Tribunal, et pour laquelle sont recherchés les nombreux volumes de ses décisions et sentences, sera pour vous une compagne et un guide pour la recherche du vrai dans la nouvelle arène et dans les questions difficiles, parce que la justice, si elle doit se faire mère de la paix, veut être fille de la vérité. C'est pourquoi à la fin du Digeste vous lisez que 'res judicata pro veritate accipitur' (2). Nulle autre joie ne satisfait, tranquillise et libère l'âme humaine que la vérité.
(2) Fr. 207 D. de div. regulis iur. art., L, 17.

La source de cette vérité, qui est la justice, c'est Dieu créateur et souverain du monde, qui siège là-haut sur un trône inaccessible avec la tiare, sublime règne de la divinité, de la justice et de la miséricorde; la miséricorde qui n'empêche pas la justice, mais la complète et l'exalte (I 21,3 ad 2um). Vous vous êtes inclinés devant ce Dieu de justice et de miséricorde en adorant et en invoquant son Esprit d'amour, parce que l'Eglise qui fut vivifiée par ses flammes au Cénacle est une mère qui, en rendant à chacun son Fils, possède aussi une tiare d'autorité divine, de justice et de miséricorde qui en orne le front. Fille de l'Eglise, la Sacrée Rote romaine sait aussi joindre la justice et la miséricorde, compagne de la justice; elle n'ignore pas l'infirmité, la timidité et la malice des hommes; elle concède une ample liberté à la défense et assiste le pauvre, elle n'entrave pas le chemin à l'incorruptible et impartiale application de la loi, qui fait la jurisprudence. Cette jurisprudence vous l'admirez dans un des tableaux de la voûte de la Chambre de la Signature: Raphaël a peint une femme tenant dans sa main l'épée élevée pour la séparation du tort et du droit, et dans la main gauche la balance aux deux plateaux égaux: us suum unicuique tribuit. Votre tribunal, auquel on recourt et on fait appel de toutes les régions du monde catholique, est une louange et un honneur du Siège apostolique et le Vicaire même du Christ lui soumet les solutions de causes particulières, de telle sorte que vous êtes appelés à prendre part à cette sollicitude de toutes les Eglises qui est le devoir du Pasteur universel.


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La sainteté du mariage et de la famille.


Et puisque dans votre Tribunal prédominent les causes matrimoniales, la Sacrée Rote romaine possède la gloire d'être le tribunal de la famille chrétienne, humble ou élevée, riche ou pauvre, dans laquelle entre la justice pour faire triompher la loi divine dans l'union conjugale, vengeresse du lien indissoluble, de la pleine liberté du consentement dans l'unité de vie et dans la sainteté du sacrement. C'est pourquoi, vous examinez et vous pesez avec un soin extrême les dépositions des parties, les témoignages, les rapports des compétences, les documents, les indices, afin de dévoiler les fraudes possibles et d'empêcher ainsi la violation du lit nuptial, où le Créateur a placé la source de la multiplication du genre humain, des époux des anges bienheureux jusqu'à la consommation des siècles, lorsque les troupes innombrables des fils d'Adam se présenteront au tribunal du Christ, juge des vivants et des morts, pour rendre compte de leurs oeuvres bonnes et mauvaises.

C'est dans la famille que naît la société humaine, que prennent vigueur et grandissent les noms de père et de mère, que l'arbre de la maison trouve ses rejetons, la patrie ses défenseurs, l'Eglise ses ministres. De cette manière la Rote romaine resplendit dans l'ordre judiciaire comme le rempart des saintes noces, et c'est pour vous une grande louange que le Studium de la Rote et les salles de votre tribunal deviennent une haute école de procédure et de discussions juridiques par le nombre croissant de prêtres, de religieux et de laïcs de toute région et de toute langue de l'univers catholique, qui s'y rassemblent et y apprennent comment la Rome chrétienne ne cesse de se présenter aux nations comme la maîtresse du droit, l'héritière et l'émule de cette sagesse sévère et scrutatrice qui rendait célèbres les jurisconsultes des Césars.
Mais si la Sacrée Rote est la gardienne et le palladium de l'indissolubilité du mariage, elle sait aussi bien distinguer le mariage contracté invalidement et qui, par conséquent, n'a jamais existé. En ce cas, le droit naturel accorde aux époux qui n'ont pas été volontairement causes de l'empêchement ou de la nullité, le droit de mettre en cause le mariage; droit auquel correspond chez le juge lorsqu'il est arrivé ex actis et probatis à se former la certitude morale de l'invalidité du mariage l'obligation de le déclarer nul en prononçant la sentence.

Permettez enfin que Notre pensée et Notre coeur retournent à la source de Notre douleur dans la contemplation des fils en armes et en guerre les uns contre les autres, comme s'ils n'étaient pas frères d'une même foi et d'une même espérance. L'histoire jugera comme elle voudra cette lutte ruineuse et destructrice; mais la pensée et le jugement de l'homme ne sont pas le jugement et la pensée de Dieu. C'est à son tribunal que les familles des nations, au cours des siècles, écoutent une sentence qui s'accomplit infailliblement: consilium Domini in aeternum manet Ps 32,11; et tandis que le Seigneur dissipat consilia gentium, reprobat autem cogitationes populorum et reprobat consilia principum avec justice et miséricorde abat et fait naître, donne et enlève les empires, en change et en ensevelit les noms sous la mousse des ruines et sous les sables des déserts, comme il dispersait déjà à tous les vents le reste d'Israël sur la face de la terre Ez 5,1-4 Ez 9,8-11. Nous Nous tournons vers ce Dieu de miséricorde et de justice, dont la miséricorde triomphe en toutes ses oeuvres, en invoquant sa bonté; parce qu'à son tribunal de justice, seule la prière à laquelle sa miséricorde donne toute sa valeur peut faire appel des péchés des hommes.
Prions, chers fils; implorons la piété et la clémence divines, afin que la tempête déchaînée sur la pauvre humanité s'apaise, que le ciel se rassérénère et que resplendisse l'aurore de la paix espérée.


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1941 Rappel des règles du devoir matrimonial

(3 octobre 1941)

Rappel des règles du devoir matrimonial.

C'est pour la troisième fois, chers fils, que pèse sur la solennelle inauguration de l'année judiciaire de la Sacrée Rote la lourde et douloureuse atmosphère de guerre qui, de mois en mois, de saison en saison, d'année en année, comme un ouragan qui ébranle, entraîne, renverse tout, se développe et grandit dans un toujours plus vaste espace sans limites, par- delà tout rivage, dans des vicissitudes, avec des formes et des ruines toujours plus affreuses. Le caractère tragique de cette situation du monde, tant du côté humain que du côté moral et religieux, étreint profondément Notre âme et en augmente les soucis et les peines, d'autant plus affligeants et étendus que Notre coeur de Pasteur universel des fidèles s'ouvre davantage pour embrasser tous les peuples. Nos sentiments - comme Nous l'avons également recueilli des nobles paroles de votre digne doyen - sont parfaitement compris par vous qui, en raison de la charge que vous a confiée le Siège apostolique, êtes au centre spirituel de la chrétienté, les ministres du droit, les représentants choisis d'un pouvoir judiciaire pénétré du sens sacré de la responsabilité, tout entier tourné vers le bien ordonné avec justice et équité dans le monde catholique. Car, ce n'est pas une chose nouvelle pour vous que l'administration de la justice dans l'Eglise soit une fonction de la cure des âmes, une émanation de cette puissance et de cette sollicitude pastorales, dont la plénitude et l'universalité sont enracinées et incluses dans la remise des clefs au premier Pierre.

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L'Eglise, champion de la justice et du droit.

C'est pourquoi, au milieu des tendances contraires et dissolvantes d'un monde agité et bouleversé, l'Eglise a toujours marché, ferme et sereine dans sa voie de justice, sans crainte à l'égard de ses ennemis, sans servilité à l'égard de ses amis. Vous qui étudiez les annales de son histoire chargée de luttes et de victoires, vous la voyez inchangée et immobile sur le fondement inébranlable de la constitution que lui a donnée son divin Fondateur. Faisant surgir au cours des siècles, sous le souffle de l'Esprit et comme expression de la féconde plénitude de sa vie, un droit qui, offrant à tous les peuples et à toutes les nations, à tous les groupements ethniques et à toutes les langues, la même situation juridique, a pu donner à l'universel grex dominicus, une organisation, un ordre où l'unité et l'ampleur, la liberté et la discipline se trouvaient admirablement conjuguées, vivifiées et soutenues. A l'heure présente, alors qu'apparaît davantage ébranlé chez beaucoup le respect envers la majesté du droit, et que des considérations d'utilité et d'intérêt, de force et de richesse prévalent sur le droit, il convient d'autant plus que les organes de l'Eglise consacrés à l'administration de la justice donnent et inculquent au peuple chrétien la vive conscience que l'épouse du Christ n'est jamais inférieure à elle-même, ne change pas de route avec le changement des jours, mais reste et va de l'avant, toujours fidèle à sa sublime mission. C'est à cette fin très haute que tend éminemment votre insigne collège.

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La Rote, organe judiciaire du Saint-Siège.

Chacun sait en quelle grande estime les autres tribunaux ecclésiastiques, les moralistes et les juristes tiennent les décisions de votre tribunal. Mais plus l'autorité dont elle jouit est considérable, plus aussi la Rote est tenue d'observer saintement et d'interpréter fidèlement les normes du droit selon la pensée du Pontife romain, sous les yeux duquel, en qualité d'instrument ou d'organe du Saint-Siège lui-même, elle exerce sa propre charge.

spécialement dans les questions qui concernent le mariage.

Si on doit dire cela pour n'importe quelle matière dont s'occupe la Rote, cette affirmation vaut cependant spécialement pour les causes matrimoniales toujours plus fréquentes dont a parlé tantôt votre illustre doyen et dont l'exacte solution tend à ce que l'on pourvoie de la meilleure façon possible à la sainteté et à la stabilité du mariage, en même temps qu'au droit naturel des fidèles, en tenant dûment compte tout à la fois du bien commun de la société humaine et du bien privé des particuliers.

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Le droit au mariage et les incapacités.

I. - En premier lieu, si l'on considère le droit au mariage, Nos glorieux prédécesseurs, Léon XIII et Pie XI, ont déjà enseigné qu'"aucune loi humaine ne peut enlever à l'homme le droit naturel et premier de se marier". De fait, ce droit ayant été donné à l'homme immédiatement par l'auteur de la nature, législateur suprême, ne peut être refusé à personne, à moins qu'il ne soit prouvé que quelqu'un ou bien y a renoncé librement, ou bien est incapable de contracter mariage par un défaut de l'intelligence ou du corps. Mais pour que dans les cas particuliers le mariage à contracter puisse être empêché, ou, s'il est déjà contracté, puisse être déclaré nul, il est nécessaire que cette incapacité antérieure et perpétuelle soit établie non seulement d'une façon douteuse ou probable, mais avec une certitude morale; sans une pareille condition de certitude, on ne peut permettre le mariage et, s'il a déjà été célébré, on ne peut le dire valide.
Il n'est pas rare qu'on défère à la Sacrée Rote romaine des causes relatives à cette incapacité, soit psychique, c'est-à- dire de l'esprit, soit corporelle, causes si délicates de leur nature et souvent très complexes. C'est tout à son honneur et à sa gloire de les avoir traitées avec un discernement extrêmement soigneux et sans acception de personnes.
La Rote s'est récemment occupée d'incapacité psychique, fondée sur quelque tare pathologique, et à cette occasion la sentence du juge eut à examiner certaines théories présentées comme très nouvelles par des psychiatres et psychologues modernes. Chose certainement louable et manifestation de recherches attentives et étendues; car la jurisprudence ecclésiastique ne peut ni ne doit négliger le progrès authentique des sciences qui touchent aux matières morales et juridiques; repousser ces sciences uniquement parce qu'elles sont nouvelles ne peut être regardé comme licite ni comme convenable. La nouveauté serait-elle donc ennemie de la science? Sans de nouveaux progrès au-delà de la vérité déjà conquise, comment la science humaine pourrait-elle avancer dans l'immense champ de la nature? Il faut cependant examiner et peser avec pénétration et grand soin s'il s'agit d'une vraie science à laquelle des expériences et preuves suffisantes confèrent la certitude, et non pas seulement de vagues hypothèses et théories non appuyées sur des arguments positifs et solides; en ce cas, elles ne pourraient constituer la base d'un jugement sûr qui exclut tout doute prudent.
La Sacrée Rote romaine a dû traiter aussi plus d'une fois de l'incapacité due à un défaut corporel. Dans cette question, aussi délicate que difficile, deux tendances sont à éviter: celle qui, dans l'examen des éléments constitutifs de l'acte de la génération, donne de la valeur uniquement à la fin primaire du mariage, comme si la fin secondaire n'existait pas ou, du moins, n'était pas finis operis établie par l'ordonnateur même de la nature; et celle qui considère la fin secondaire comme également principale, la détachant de son essentielle subordination à la fin primaire, ce qui, par une nécessité logique, conduirait à de funestes conséquences. En d'autres termes, s'il est vrai que la vérité se trouve dans le juste milieu, deux extrêmes sont ici à éviter: d'une part, nier pratiquement ou sous-estimer de façon excessive la fin secondaire du mariage et de l'acte de la génération; d'autre part, dégager ou séparer outre mesure l'acte conjugal de la fin primaire à laquelle, selon toute sa structure intrinsèque, il est premièrement et principalement ordonné.

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Les déclarations de nullité.

II. - En ce qui concerne les déclarations de nullité des mariages, personne n'ignore que l'Eglise ne soit, sur ce point, très réservée et bien éloignée de les favoriser. De fait, si la tranquillité, la stabilité et la sécurité de la société humaine en général exigent que les contrats ne soient pas à la légère proclamés nuls, a fortiori cela vaut-il pour un contrat d'une importance telle que le mariage, dont la solidité et la stabilité sont requises pour le bien commun de la société humaine et pour le bien privé des époux et des enfants, et dont la dignité de sacrement interdit que ce qui est sacré et sacramentel ne soit avec légèreté exposé au danger d'être profané. Qui ne sait d'ailleurs que les coeurs humains ne sont que trop enclins, dans des cas qui ne sont pas rares pour tel ou tel grief, par désaccord et dégoût de l'autre partie, ou pour ouvrir la voie à une alliance avec une autre personne coupablement aimée, à rechercher la libération du lien conjugal déjà contracté? Aussi, le juge ecclésiastique ne doit-il pas se montrer facile à déclarer la nullité du mariage, mais plutôt s'employer avant tout à valider ce qui a été invalidement contracté, surtout si les circonstances le conseillent particulièrement.
Si la validation parait évidemment impossible, parce que s'y oppose un empêchement dirimant dont l'Eglise ne peut ou n'a pas coutume de dispenser ou parce que les parties refusent de donner ou de renouveler leur consentement, la sentence de nullité ne peut alors être refusée à qui la demande justement et légitimement selon les prescriptions canoniques pourvu que soit constatée cette invalidité alléguée; cette constatation est celle qui, dans les choses humaines, se dit habituellement de ce dont on a une certitude morale, certitude excluant tout doute prudent, c'est-à-dire fondé sur des raisons positives. On ne peut, en effet, exiger la certitude absolue de la nullité, certitude excluant non seulement toute probabilité positive, mais encore la pure possibilité du contraire. La règle du droit, selon laquelle 'matrimonium gaudet favore juris; quare in dubio standum est pro valore matrimonii, donec contrarium probetur CIS 1014, ne s'entend de fait que de la certitude morale du contraire; mais cette certitude doit être bien établie. Aucun tribunal ecclésiastique n'a le droit ni le pouvoir d'exiger davantage. En exigeant davantage, on en vient facilement à léser le droit strict des parties au mariage, puisque n'étant, en réalité, liées par aucun lien matrimonial, elles jouissent du droit naturel de contracter mariage.

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L'indissolubilité.

III. - Enfin, pour ce qui concerne la dissolution du lien validement contracté, la Sacrée Rote romaine est aussi, en certains cas, appelée à rechercher si tout ce qui est requis pour la valide et licite dissolution du lien a bien été préalablement accompli et, par conséquent, s'il y a lieu, de conseiller au Souverain Pontife la concession de la faveur en question.
Ces conditions préalables regardent avant tout la dissolubilité même du mariage. Il est superflu, devant une assemblée de juristes comme la vôtre, mais non pas inutile à Notre propos, de répéter que le mariage ratum et consummatum est de droit divin indissoluble en ce qu'il ne peut être dissous par aucune puissance humaine CIS 1118; tandis que les autres mariages, bien qu'ils soient intrinsèquement indissolubles, n'ont pourtant pas une indissolubilité extrinsèque absolue mais, étant donné certaines conditions préalables nécessaires, peuvent (il s'agit, on le sait, de cas relativement bien rares) être dissous - en outre du privilège paulin - par le Pontife romain, en vertu de son pouvoir ministériel.
Le seul fait de dire que le juge ecclésiastique est appelé à rechercher s'il conste de l'existence de ces conditions vous fait comprendre tout de suite, ainsi que l'importance du sujet l'indique suffisamment, qu'une telle investigation doit être conduite avec le maximum de sévérité, de rigueur et de soin; d'autant plus que, comme il s'agit de l'usage d'un pouvoir vicarial en matière de droit divin, la validité même de la dissolution de la rupture du lien dépend de l'existence des conditions requises. D'autre part, dans tous les cas, et à quelque stade qu'on en soit du procès, c'est un devoir d'observer pleinement et rigoureusement les règles que la modestie chrétienne impose en matière si délicate.
Au reste, il est indubitable que le principe énoncé plus haut vaut ici également: à savoir qu'il suffit de la certitude morale excluant tout doute prudent du contraire. Il est bien vrai que, de nos jours, où le mépris et l'inobservation de la religion ont fait revivre l'esprit d'un nouveau paganisme jouisseur et orgueilleux, il se manifeste en beaucoup d'endroits comme une véritable manie de divorcer qui tendrait à contracter et à rompre le mariage avec plus de facilité et de légèreté qu'on ne le fait pour les contrats de location et de louage. Mais une telle manie, inconsidérée et imprudente, ne peut être une raison qui autoriserait les tribunaux ecclésiastiques à s'écarter de la règle et de la pratique que dictent et approuvent le jugement sain et la conscience délicate. Pour l'indissolubilité ou la dissolubilité du mariage, l'Eglise ne peut retenir d'autre règle ni d'autre pratique que celles établies par Dieu, auteur de la nature et de la grâce!

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A cet égard, il est deux passages des Livres Saints qui, d'une certaine manière, indiquent les limites entre lesquelles la solution du lien doit se situer, excluant soit le laxisme actuel, soit le rigorisme contraire à la volonté et à l'ordre de Dieu. L'un: Quod Deus conjunxit, homo non separet Mt 19,6 revient à dire que ce n'est pas l'homme, mais Dieu qui peut séparer les conjoints et, par conséquent, que la séparation est nulle là où Dieu lui-même ne délie pas du lien. L'autre passage: Non servituti subjectus est frater aut soror...; in pace autem vocavit nos Deus 1Co 7,15, veut dire qu'il n'y a plus ni servitude ni lien là où Dieu les enlève, permettant ainsi au conjoint de convoler licitement en de nouvelles noces. En tout cas, la norme suprême selon laquelle le Pontife romain fait usage de son pouvoir vicarial de dissoudre les mariages est celle que Nous avons déjà indiquée au début comme la règle de l'exercice du pouvoir judiciaire dans l'Eglise, c'est-à-dire le Salus animarum, le salut des âmes, pour l'obtention duquel tant le bien commun de la société religieuse et, en général, de la société humaine, que le bien des particuliers doivent trouver l'attention qui est requise et au degré qui convient.

Souhaits du Saint-Père pour la fécondité de la nouvelle année judiciaire.

Que Nos paroles, inaugurant la nouvelle année judiciaire de la Sacrée Rote romaine, soient un souhait aussi pour vous, chers fils. Qu'avec le secours de la grâce divine, vos travaux, rigoureux et pénibles, pour la recherche et la proclamation de la justice et de la paix au sein des fidèles qui recourent à votre tribunal pour n'importe quelle affaire, puissent vous mériter devant Dieu la récompense des athlètes qui luttent dans le stade, de la jurisprudence chrétienne. Mais au début de cette année nouvelle, Nous voulons, d'autre part, saluer l'entrée de la Sacrée Rote romaine dans son nouveau siège, préparé et organisé par Nous - achevant ainsi l'oeuvre de Notre immortel prédécesseur- dans les salles majestueuses de la Chancellerie apostolique. Là, le sol de la Rome antique mis à nu, les murs historiés, les escaliers et les portiques témoins d'une histoire et d'un art renommés, vous inspireront de profondes réflexions. C'est pour Nous une satisfaction particulière de donner au doyen si méritant et aux autres membres de votre remarquable tribunal une preuve si manifeste de Notre estime pour votre sage et exemplaire travail. Aussi Nous espérons - et il Nous semble déjà le voir - que dans ces nouvelles chambres et salles qui répondent mieux à la situation centrale, à l'importance de la dignité hiérarchique de votre tribunal, la jurisprudence ecclésiastique fera arriver à maturité des fruits nouveaux et plus magnifiques, et cela pour l'honneur de l'Eglise et pour le salut des âmes.
Dans cette attente et avec cet espoir confiant, Nous invoquons sur tous et sur chacun de ceux qui sont ici présents, les lumières et l'assistance du Dieu tout-puissant, pendant que, de tout coeur, Nous donnons à tous Notre paternelle Bénédiction apostolique.


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1942 Certitude du juge.


(1er octobre 1942 )

Vous voir, chers fils, rassemblés autour de Nous, pour l'inauguration de la nouvelle année judiciaire de la Sacrée Rote romaine, est pour Notre âme un présage et un réconfort, non seulement en raison de ce que votre très digne doyen Nous a fait connaître de vos travaux et du grand nombre de causes jugées (91 sentences de fond et 26 sentences incidentes. 87 causes de nullité de mariage, dont 29 ont conclu à la nullité), en des termes choisis et pleins de sagesse, mais plus encore parce que la pieuse demande d'usage des charismes de l'Esprit- Saint, Esprit envoyé par le Père Jn 14,26 et par le Christ Jn 16,7 pour renouveler la face de la terre Ps 103,30, a précédé cette réunion d'hommage filial. Oh! si la face de la terre pouvait encore se renouveler aujourd'hui sous l'impulsion de cet Esprit qui planait à l'origine sur les ténèbres du chaos! Gn 1,2. Oh! si l'humanité troublée par les calamiteuses contestations des peuples et des nations pouvait se rénover en un printemps de justice et de paix! Mais il est certain que l'Esprit divin qui renouvelle pour Nous la joie de vous parler, renouvelle en vous la vie et la vigueur pour affronter les travaux savants et fatigants qui vous attendent pour la défense du droit et de la justice au milieu du peuple chrétien, tandis que Notre parole confirme, comme si elle les renouvelait, la dignité et l'autorité que Nos prédécesseurs ont voulu conférer et confier au tribunal de la Sacrée Rote romaine.
L'Esprit de Jésus-Christ, Rédempteur du genre humain, qui par son Evangile éleva à une plus haute perfection la foi et le culte du vrai Dieu, rénova aussi la morale de l'homme en restaurant le mariage dans son unité et son indissolubilité qui sont, comme les faits le prouvent, la matière la plus étendue de vos sentences judiciaires. L'Eglise, en effet, n'est-elle pas, par l'autorité qu'elle a reçue de son divin Fondateur et qui est suprêmement personnifiée dans le Pontife romain, gardienne et vengeresse des conditions de validité du mariage, des empêchements et des effets du lien conjugal (sauf la compétence de l'Etat en ce qui regarde les effets purement civils)?

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La certitude absolue et la quasi-certitude.

1.- Dans les causes qui concernent l'incapacité psychique ou physique de contracter mariage, comme dans les causes qui concernent la déclaration de nullité du mariage ou la dissolution, en certains cas déterminés, du lien validement contracté, Nous avons considéré dans le discours que, l'an dernier, Nous avons prononcé devant vous, comment intervient la certitude morale 1941 . L'importance du sujet Nous fait juger utile d'examiner aujourd'hui de plus près ce concept. Car, aux termes du CIS 1869 Par. 1, on exige la certitude morale sur l'état de fait de la cause à juger, pour que le juge puisse procéder au prononcé de sa sentence. Or, une telle certitude, s'appuyant sur la constance des lois et des usages qui gouvernent la vie humaine, admet divers degrés.
Il y a une certitude absolue, où est totalement exclu tout doute possible sur la vérité du fait et l'inexistence du contraire. Pourtant, une pareille certitude absolue n'est pas nécessaire pour prononcer la sentence. Dans beaucoup de cas, il n'est pas possible aux hommes d'y atteindre; l'exiger équivaudrait à demander aux juges et aux parties une chose irraisonnable; ce serait aggraver l'administration de la justice au-delà d'une mesure tolérable; bien plus, ce serait en entraver la marche dans de vastes proportions.
En opposition avec ce suprême degré de certitude, il arrive que le langage commun appelle certaine une connaissance qui, strictement parlant, ne mérite pas une telle appellation, mais qui doit être qualifiée comme une plus grande ou une moindre probabilité, parce qu'elle n'exclut pas tout doute raisonnable et laisse subsister, non sans fondement, une crainte d'erreur. Cette probabilité ou quasi-certitude n'offre pas une base suffisante pour une sentence judiciaire, en ce qui concerne la vérité objective du fait.
En pareil cas, c'est-à-dire quand le manque de certitude sur le fait à juger empêche de prononcer un jugement positif sur le fond de l'affaire, la loi, et en particulier l'ordonnance des procès, fournit au juge des règles obligatoires sur le mode de procéder, dans lesquelles les praesumptiones juris et les favores juris ont une importance décisive. Le juge ne peut pas ne pas tenir compte de ces règles de droit et de procédure. C'en serait pourtant une application exagérée ou erronée et comme une fausse interprétation de la volonté du législateur, si le juge voulait y recourir quand on a non seulement une quasi- sécurité, mais une certitude au vrai sens du mot. En effet, contre la vérité et sa connaissance certaine, il ne peut y avoir ni praesumptiones ni favores du droit (ni présomptions, ni faveurs du droit).

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La certitude morale.

Entre la certitude absolue et la quasi-certitude ou probabilité, se trouve, comme entre deux extrêmes, cette certitude morale, dont il s'agit d'ordinaire dans les questions soumises au tribunal de la Rote et à laquelle Nous entendons principalement Nous référer. Sous son aspect positif elle est caractérisée par ce fait qu'elle exclut tout doute fondé ou raisonnable, et ainsi elle se distingue essentiellement de la quasi-certitude mentionnée ci dessus; sous son aspect négatif, elle laisse subsister la possibilité absolue du contraire, et par là se différencie de la certitude absolue. Cette certitude morale dont Nous parlons maintenant est nécessaire et suffisante pour prononcer une sentence, même si dans le cas particulier il était possible d'aboutir, par voie directe ou indirecte, à une certitude absolue. C'est ainsi seulement qu'on peut prétendre à une administration régulière et ordonnée de la justice, qui procède sans s'embarrasser de retards inutiles et de soucis excessifs pour le tribunal comme pour les parties.
2.- Parfois la certitude morale ne résulte que d'une quantité d'indices et de preuves qui, pris séparément, ne peuvent fonder une vraie certitude, mais qui, dans leur ensemble, ne laissent subsister, pour un homme de jugement sain, aucun doute raisonnable. De cette façon, il ne faut pas croire qu'on accomplit un passage de la probabilité à la certitude au moyen d'un simple total de probabilités, ce qui serait une illégitime transition de genere ad genus, d'une espèce à une autre espèce essentiellement différente (Aristote, De coelo, I, 1.). Il s'agit, au contraire, de reconnaître que la présence simultanée de tous et de chacun de ces indices et preuves ne peut avoir de fondement suffisant que dans l'existence d'une source ou base commune d'où ils dérivent; c'est-à-dire de la vérité et de la réalité objective. La certitude provient donc, en ce cas, de la sage application d'un principe d'absolue sécurité et d'universelle valeur, c'est-à- dire du principe, de la raison suffisante. Si donc, dans la motivation de sa sentence, le juge affirme que les preuves produites, considérées séparément, ne peuvent être déclarées suffisantes mais, prises ensemble et comme embrassées d'un seul regard, offrent les éléments nécessaires pour arriver à un jugement sûr et définitif, il faut reconnaître qu'une telle argumentation est en principe juste et légitime.

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Ses bases objectives.

3.- De toute façon, cette certitude doit être entendue comme certitude objective, c'est-à-dire basée sur des motifs objectifs; il ne faut pas l'entendre comme une certitude purement subjective, qui se fonde sur le sentiment ou sur l'opinion purement subjective de celui-ci ou de celui-là, peut- être même sur quelque crédulité personnelle, légèreté ou inexpérience. La certitude morale objectivement fondée est absente, s'il y a pour la réalité du contraire des motifs qu'un jugement sain, sérieux, compétent, déclare comme étant, au moins en quelque manière, dignes d'attention; ces motifs, par conséquent, permettent de penser que le contraire doive être déclaré non seulement comme possible absolument, mais aussi, de quelque façon, probable.
Pour assurer l'objectivité de cette certitude, la procédure juridique établit des règles bien définies d'enquêtes et de preuves. On exige des preuves déterminées ou des corroborations de preuves; d'autres, au contraire, sont regardées comme insuffisantes (cf. CIS 1747-1836 et diverses dispositions particulières du droit criminel et matrimonial.); on établit spécialement des services et des personnes, chargés pendant le procès d'avoir devant les yeux, d'affirmer, de défendre des droits ou faits déterminés CIS 1585-1590 Qu'est-ce donc que cela, sinon un juste formalisme juridique qui, parfois regarde davantage le côté matériel, parfois davantage le côté formel du procès ou du cas juridique?
L'observation consciencieuse de ces règles est un des devoirs du juge. Mais, d'autre part, dans leur application, il doit se souvenir qu'elles ne sont pas des fins en soi, mais bien des moyens pour arriver à la fin, c'est-à-dire pour procurer et consolider une certitude morale objectivement fondée sur la réalité du fait. Il ne faut pas que ce qui, selon la volonté du législateur, doit être une aide et une garantie pour la découverte de la vérité, en devienne, au contraire, un obstacle. Si, d'ailleurs, l'observation du droit formel se changeait en une injustice ou en un manque d'équité, il est toujours possible de recourir au législateur.

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Formalisme juridique et libre appréciation des preuves.

4.- Aussi, voit-on pourquoi dans la procédure judiciaire moderne, même ecclésiastique, on ne place pas en première ligne le principe du formalisme juridique, mais le principe de la libre appréciation des preuves. Sans préjudice des prescriptions de procédure mentionnées, le juge doit décider selon sa propre science et conscience si les preuves produites et l'enquête ordonnée sont ou non suffisantes (CIS 1869 Par.3 ), autrement dit si elles suffisent à la certitude morale nécessaire en ce qui concerne la vérité et la réalité du cas à juger.
Sans doute, des conflits peuvent surgir entre "le formalisme juridique" et "la libre appréciation des preuves", mais, dans la plupart des cas, ce ne sont que des conflits apparents et donc ordinairement de solution facile. En effet, de même que la vérité objective est une, ainsi la certitude morale objectivement déterminée ne peut également n'être qu'une.
On ne peut donc admettre qu'un juge puisse déclarer avoir personnellement, sur la base des actes judiciaires, la certitude morale sur la vérité du fait à juger, et, en même temps, refuser, en tant que juge, sous l'aspect du droit processif, cette même certitude objective. Cette contradiction devrait plutôt l'induire à un examen ultérieur et plus soigné de la cause. Il n'est pas rare que cela provienne du fait que certains côtés de la question, qui n'acquièrent leur plein relief, leur pleine valeur que considérés dans l'ensemble, n'ont pas été convenablement appréciés, ou bien que les règles juridico-formelles ont été interprétées inexactement ou appliquées contre le sens et l'intention du législateur. De toute façon, la confiance, dont les tribunaux doivent jouir parmi le peuple, exige que soient évités et résolus, chaque fois que c'est possible en quelque manière, de semblables conflits entre l'opinion officielle des juges et les sentiments raisonnables du public spécialement cultivé.

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Degré de certitude morale requis.

5.- Mais la certitude morale admettant divers degrés, comme Nous l'avons dit, quel degré le juge pourra-t-il et devra-t-il exiger pour être en état de procéder au prononcé de la sentence? Premièrement, dans tous les cas, il devra s'assurer qu'on a, en réalité, une certitude morale objective, autrement dit exclusive de tout doute raisonnable au sujet de la vérité.
Assuré de cela il ne doit pas, selon la règle, demander un plus haut degré de certitude, à moins que la loi, en raison de l'importance du cas, ne le prescrive (CIS 1869 Par.3 CIS 1791 Par.2. Il pourra arriver aussi que la prudence conseille au juge, même en l'absence d'une disposition expresse de la loi, de ne pas se contenter d'un degré infime de certitude dans des causes qui présentent un plus grand intérêt. Si cependant, après une considération et un examen sérieux, on obtient une sécurité correspondant aux prescriptions légales et à l'importance du cas, on ne devra pas insister, avec une notable aggravation des dépens des parties, pour obtenir qu'elles apportent de nouvelles preuves afin de parvenir à un degré encore plus élevé de certitude. Exiger la plus grande sécurité possible, alors que la certitude correspondante existe déjà, est une pratique à repousser, comme n'ayant pas de juste fondement.
Par cet exposé de Notre pensée sur un point si délicat de l'office du juge, Nous n'avons fait que saluer, encourager, remercier les membres sagaces de votre insigne collège et tribunal de la jurisprudence chrétienne qui, non seulement n'ignorent pas, mais aussi pratiquent la sentence du Docteur angélique, selon laquelle unusquisque debet niti ad hoc quod de rebus judicet, secundum quod sunt: que chacun s'efforce de juger des choses comme elles sont II-II 60,4 ad 2um. La vérité vaut exactement l'entité et la réalité; c'est pourquoi notre intelligence qui prend la science des choses, en prend encore la règle et la mesure, selon que les choses sont ou ne sont pas; de telle manière que la vérité est la loi de la justice I 21,2. Le monde a besoin de la vérité, qui est justice, et de cette justice, qui est vérité; car, disait déjà le grand philosophe de Stagire, la justice est et in bello et in pace utilis: utile dans la guerre et dans la paix (Aristote, Rhét., 1, 9.). Que l'éternel Soleil de justice illumine la terre et ses gouvernants, et que, pour la plus grande gloire de Dieu, de l'Eglise et du peuple chrétien, il vous guide dans tous vos pas dans la recherche de la réalité de cette vérité, qui tranquillise dans la certitude morale le visage de la justice!
Pendant que, exprimant ce souhait sacré, Nous invoquons sur tous et sur chacun de vous les dons les plus lumineux de la divine Sagesse, Nous vous donnons avec une paternelle affection Notre Bénédiction apostolique.



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Il semble qu'il y ait une allocution à la Rote en Octobre 43 Mais pas de trace dans les Documents pontificaux de Pie XII Voir dans les Acta Apostolicae Sedis


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A la Rote 1939-2009 4001