A la Rote 1939-2009 4600

1946 Procédures civile et ecclésiastique

6/10/1946

comparaison entre la procédure ecclésiastique et la procédure civile.

Voici qu'une année s'est déjà écoulée, chers fils, depuis que Nous vous vîmes pour la dernière fois réunis autour de Nous; une année de labeur intense pour vous, spécialement dans le champ des causes matrimoniales. Continuant l'étude commencée dans Notre précédent discours 1945 , Nous saisissons aujourd'hui l'occasion qui Nous est offerte de revenir encore une fois sur cette matière qui constitue la partie principale de votre activité et dont a parlé aussi votre vénérable doyen dans son rapport habituel (S. Exc. Mgr André JULLIEN, doyen de la Rote, souligna, dans son adresse d'hommage filial au pape, que le tribunal romain avait, durant l'année, accordé la gratuité de la procédure pour la moitié des causes jugées. Il rappela également les attaques dont le mariage chrétien était l'objet presque dans tous les pays, ainsi que les effets désastreux de la guerre sur le lien conjugal et la stabilité de la famille.).
Nous avons commencé l'année dernière à parler de la différence qui existe entre la procédure ecclésiastique et la procédure civile. Ayant, en effet, examiné la distinction fondamentale, au point de vue de leur origine et de leur nature, des deux pouvoirs suprêmes, dont le pouvoir judiciaire est une importante et nécessaire fonction, Nous en avons déduit une différence essentielle également entre les deux procédures judiciaires, malgré les multiples ressemblances qui se rencontrent dans l'une et dans l'autre.

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Différence entre la procédure ecclésiastique et la procédure civile provenant de l'objet propre à chacune.

On arrive à la même conclusion, si l'on confronte l'objet propre de chacune. Là encore se trouvent des éléments et des traits communs. En vérité, dans les deux sociétés parfaites, la sauvegarde du bien commun exige que les droits et les biens de leurs membres puissent être reconnus, garantis, récupérés par la voie judiciaire. En outre, ces droits et ces biens sont en partie les mêmes dans l'Eglise et dans l'Etat. De fait, l'Eglise elle aussi est une société visible, dont la vie est nécessairement attachée à un mode physique d'être, aux conditions d'espace et de temps dans lesquelles l'homme vit. Mais, d'un autre côté, il y a des droits et des biens tellement spéciaux et propres à la juridiction ecclésiastique, qu'en raison de leur nature ils ne sont pas et ne peuvent être l'objet du pouvoir judiciaire de l'Etat.

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I -

La défense de la foi catholique.

Parmi les biens que les tribunaux ecclésiastiques (aussi bien ceux des Ordinaires de lieux que du Saint-Siège) ont, au cours de l'histoire, défendus parfois durement, on doit signaler la foi elle-même, fondement de toute la vie surnaturelle. Le tribunal pour la défense de la foi catholique est donc un organe légitime du pouvoir judiciaire dans l'Eglise, en tant que cette dernière est une société religieuse parfaite. Son rôle est de répondre juridiquement à toute attaque qui vise à atteindre un de ses biens les plus vitaux et les plus importants. Les délits d'hérésie et d'apostasie n'ont pu et ne peuvent laisser l'Eglise indifférente et inerte. Sans doute, au cours des siècles, le tribunal chargé de la défense de la foi a pu prendre des formes et des méthodes qui n'étaient pas exigées par la nature même des choses, mais qui s'expliquent à la lumière des circonstances historiques particulières; il serait toutefois faux de vouloir en tirer un argument contre la légitimité du tribunal lui-même.
Nous n'ignorons pas que le seul nom de ce tribunal heurte le sentiment de beaucoup d'hommes de notre temps. Ce sont ceux dont la pensée et le sens intime se trouvent fascinés par une doctrine qui, rejetant toute idée de surnaturel et de révélation, attribue à la raison humaine le pouvoir de comprendre à fond le monde, la prérogative de dominer toute la vie et, par conséquent, exige en cela la pleine indépendance de l'homme de n'importe quel lien de subordination. Nous connaissons les sources, les partisans, les progrès de cette doctrine; Nous savons son influence sur la vie intellectuelle, morale et sociale, sur l'économie et sur la politique; Nous connaissons également ses péripéties au cours de l'histoire des derniers siècles, spécialement des cent dernières années. Ses représentants font appel au principe de "la liberté de conscience", au principe de "la tolérance" dans les matières qui concernent la vie spirituelle, surtout religieuse. Toutefois, trop souvent, à peine ont-ils eux-mêmes conquis le pouvoir, qu'ils n'ont rien de plus pressé que de violenter les consciences, d'imposer à la partie catholique de leur peuple un joug oppresseur, spécialement en ce qui regarde le droit des parents dans l'éducation de leurs enfants (1).
(1) A l'occasion du procès inique fait à Mgr Stépinac, archevêque de Zagreb, par le gouvernement yougoslave communiste, le pape souligne avec preuves à l'appui que l'Eglise réprouve formellement les conversions forcées au catholicisme, et que ni le Saint-Siège ni l'épiscopat croate n'ont admis et approuvé les conversions du genre de celles qu'on reproche sans aucune preuve à Mgr Stépinac.

S'il peut paraître à la conscience moderne que la répression des délits dommageables pour la foi a parfois, dans les siècles passés, dépassé les justes limites, par contre, la société d'aujourd'hui montre généralement à ce point de vue une insensibilité et une indifférence excessives. Les contacts toujours plus fréquents et le mélange confus des diverses confessions religieuses au sein d'un même peuple ont amené les tribunaux civils à suivre le principe de "la tolérance" et de la "liberté de conscience". Il y a aussi une tolérance politique, civile et sociale à l'endroit des fidèles des autres religions qui, en ces sortes de circonstances, est également pour les catholiques un devoir moral.

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L'Eglise ne force personne à embrasser la foi catholique. Les prétendues conversions forcées en Croatie.

L'Eglise elle-même, dans le CIS 1351, a donné force de loi à la maxime: Ad amplexandam fidem catholicam nemo invitus cogatur, " personne ne doit être forcé à embrasser la foi catholique contre sa volonté ". Ce canon reproduit les paroles mêmes de Notre grand prédécesseur Léon XIII dans l'encyclique Immortale Dei, du 1er novembre 1885. Il est l'écho fidèle de la doctrine enseignée par l'Eglise depuis les premiers siècles du christianisme. Qu'il Nous suffise de citer le témoignage de Lactance, écrit vers les années 305- 310: "... Il n'est pas besoin de violence et d'injustice, parce que la religion ne peut être imposée de force; il faut user plutôt de paroles que de coups, afin d'obtenir ce qu'on veut... C'est - pourquoi personne n'est retenu par nous malgré lui; celui qui manque de dévotion et de foi est inutile devant Dieu... Rien n'est si volontaire que la religion; si l'âme du sacrifiant y fait défaut, la religion elle-même a déjà disparu, elle est déjà inexistante... " (1)
(1) Divinae institutiones, 1. 5, c. 19; Corpus Script. Eccles. Lot., vol. XIX, pp. 463-465.

Si, par conséquent, il y a peu de jours, selon les nouvelles données par la presse, le ministère public a affirmé, dans un procès scandaleux, que le pape avait approuvé aussi "lesdites conversions forcées" et cela, ce qui serait encore plus grave, pour des fins d'impérialisme national, Nous avons le droit et le devoir de repousser une accusation aussi fausse. Et afin que Notre assertion ne manque pas d'être sérieusement documentée, Nous croyons opportun de vous donner lecture d'un mémorandum de Notre Secrétairerie d'Etat, daté du 25 janvier 1942, qui constitue une réponse à une demande de la légation yougoslave auprès du Saint-Siège au sujet du mouvement des conversions, mouvement dans lequel, du reste, comme la légation elle-même l'a expressément reconnu, ni le Saint-Siège ni l'épiscopat catholique croate n'ont eu aucune part.
Voici donc le texte de ce mémorandum (Le pape reçut de Mgr VENINI, qui se trouvait à ses côtés, le texte français du mémorandum du 25 janvier 1942 tiré des archives de la Secrétairerie d'Etat, et en donna lecture en français).

" Se référant à la note de la légation royale de Yougoslavie près le Saint-Siège, n. 1/42 du 9 janvier courant, la Secrétairerie d'Etat de Sa Sainteté a l'honneur de porter à la connaissance de la même légation ce qui suit:
" D'après les principes de la doctrine catholique, la conversion doit être le résultat, non pas de contraintes extérieures, mais de l'adhésion de l'âme aux vérités enseignées par l'Eglise catholique.
" C'est pour cela que l'Eglise catholique n'admet dans son sein les adultes qui demandent à y entrer ou à y faire retour qu'à la condition qu'ils soient pleinement conscients de la portée et des conséquences de l'acte qu'ils veulent accomplir.
" Par conséquent, le fait que, tout à coup, un grand nombre de dissidents croates demandât à être reçu dans l'Eglise catholique, ne pouvait pas ne pas préoccuper vivement l'épiscopat croate auquel reviennent naturellement la défense et la protection des intérêts catholiques en Croatie.
" Loin de prendre acte officiellement, soit explicitement, soit implicitement, de ce fait, il se fit un devoir de rappeler formellement à qui de droit la nécessité que le retour des dissidents pût s'accomplir en toute liberté, et de revendiquer en même temps, pour l'autorité ecclésiastique, la compétence exclusive de donner des ordres et des directives en matière de conversions.
" Si un comité épiscopal fut aussitôt constitué avec la charge de traiter et de décider toutes les questions concernant cette matière, cela a été fait précisément dans le but d'obtenir que les conversions fussent, en conformité avec les principes de la doctrine catholique, le fruit de la persuasion et non pas d'une contrainte.
" Le Saint-Siège, de son côté, ne négligera pas non plus de recommander et d'inculquer l'observance exacte des prescriptions canoniques et des directives données à ce sujet ".

Pour reprendre maintenant le fil de Notre raisonnement, Nous devons ajouter que le tribunal ecclésiastique, dans l'exercice de sa juridiction, ne peut faire sienne la règle suivie par les tribunaux civils. L'Eglise catholique, comme Nous l'avons déjà dit, est une société parfaite qui a pour fondement la vérité de la foi infailliblement révélée par Dieu. Tout ce qui s'oppose à cette vérité est nécessairement une erreur et on ne peut objectivement reconnaître à l'erreur les mêmes droits qu'à la vérité. De cette façon, la liberté de penser et la liberté de conscience ont leurs limites essentielles dans la véracité de Dieu révélant. Nous disons leurs limites essentielles, si réellement la vérité n'est pas égale à l'erreur et si réellement la saine conscience dans l'homme est la voix de Dieu. Il suit de là qu'un membre de l'Eglise ne peut sans faute nier ou répudier la vérité catholique déjà connue et admise; et si l'Eglise, après avoir acquis la certitude du fait de l'hérésie et de l'apostasie, le punit, par exemple, en excluant le coupable de la communion des fidèles, elle reste strictement dans le domaine de sa compétence et agit pour la protection, pour ainsi dire, de son droit domestique.

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II -

Compétence de l'Eglise dans les questions et les procès de mariage.

Un autre objet qui fait clairement ressortir la différence entre la procédure judiciaire ecclésiastique et la procédure judiciaire civile, c'est le mariage. Celui-ci est, suivant la volonté du Créateur, une res sacra. C'est pourquoi, quand il s'agit de l'union entre baptisés, il demeure, par sa nature, en dehors de la compétence de l'autorité civile. Mais, même parmi les non-baptisés, les mariages légitimement contractés sont, dans l'ordre naturel, une chose sacrée, de sorte que les tribunaux civils n'ont pas le pouvoir de les dissoudre, et l'Eglise, en pareil cas, n'a jamais reconnu la validité des sentences de divorce. Cela n'empêche pas que les simples déclarations de nullité des mariages eux-mêmes, relativement rares en comparaison des jugements de divorces, peuvent, dans des circonstances déterminées, être justement prononcées par des tribunaux civils, et, partant, être reconnues par l'Eglise.
Il ne fait pas de doute que, concernant les effets purement civils du mariage même entre baptisés, l'autorité civile est juge compétent, ainsi que tous le savent CIS 1016 Mais bien plus ample et profonde est la compétence de l'Eglise dans les questions matrimoniales parce que c'est d'elle, en vertu de l'institution divine, que dépend surtout ce qui regarde la protection du lien conjugal et de la sainteté des noces.
Vous aussi, chers fils, vous participez à cette compétence, appelés comme vous l'êtes à prononcer vos sentences dans les causes matrimoniales.
Si, au commencement de Notre discours, Nous vous avons exprimé Notre paternelle reconnaissance pour votre activité assidue, particulièrement dans ce domaine, Nous ne pouvons, maintenant, vous cacher Notre préoccupation pour le nombre croissant de ces procès, préoccupation qui, Nous savons, est également la vôtre, ainsi que les considérations exposées par votre digne interprète Nous l'ont nettement manifesté tout à l'heure.
Les procès matrimoniaux en instance devant votre tribunal ne sont-ils pas un indice et ne donnent-ils pas la mesure de la dissolution progressive de la vie conjugale, dissolution qui menace d'empoisonner et de corrompre aussi les moeurs des populations catholiques? Au développement d'un si funeste désordre, les deux guerres mondiales, mais la seconde incomparablement plus que la première, ont largement contribué. Nul ne peut rester froidement insensible en face de cette tragédie qui traîne encore derrière elle ses lamentables conséquences, ni à la pensée des millions de jeunes époux qu'une séparation forcée a tenus éloignés les uns des autres durant de longs mois et de longues années. Quelle somme de courage, d'abnégation, de patience, quel trésor d'affectueuse confiance, quel esprit de foi chrétienne étaient nécessaires pour maintenir intacte la foi jurée, pour résister! Un grand nombre, certes, avec l'aide de la grâce obtenue par la prière, ont su rester fermes. Mais à côté d'eux, combien d'autres ont été moins forts! Que de ruines de foyers détruits! Que de blessures d'âmes frappées dans leur dignité humaine, dans leur délicatesse conjugale! Combien de chutes mortelles pour le bonheur familial!
Maintenant, il s'agit de réparer ces ruines, de guérir ces plaies, de soigner ces maux. Le coeur maternel de l'Eglise saigne à la vue des indicibles angoisses de tant de ses fils; pour leur venir en aide, elle n'épargne aucun effort et pousse jusqu'à l'extrême la limite de sa condescendance. Cette limite extrême se trouve solennellement formulée dans le CIS 1118: Matrimonium validum ratum et consummatum nulla humana potestate nullaque causa, praeterquam morte, dissolvi potest.
Personne ne doute qu'actuellement l'un des principaux soucis de l'Eglise doit être de freiner par tous les moyens la décadence croissante du mariage et de la famille, et elle en a pleine conscience, tout en étant bien convaincue que ses efforts ne pourront obtenir de résultats effectifs que dans la mesure où les conditions générales, économiques, sociales et surtout morales rendront pratiquement moins pénible la conduite d'une vie conjugale agréable au Seigneur. A cet égard, bien grandes sont les responsabilités qui pèsent sur les pouvoirs publics.
Cependant, en attendant que cette amélioration de la moralité publique soit obtenue, vous devrez, chers fils, avec "fatigue et patience " (cf. Ap 2,2), supporter et dominer l'afflux incessant des procès matrimoniaux. Car autre chose est l'action pour l'assainissement de la vie conjugale et familiale, et autre chose la procédure judiciaire concernant les mariages. Celle-ci est chargée de juger et de résoudre les cas qui lui sont présentés, objectivement, selon l'état de fait et les normes du droit canonique. Continuez à apporter dans l'exercice de votre charité, avec l'inaltérable impartialité du juge consciencieux, la conviction que vous contribuez ainsi hautement à l'édification de l'Eglise. La sage équité avec laquelle votre tribunal considère aussi le côté financier des procès eux-mêmes dans les difficiles conditions économiques présentes, équité à laquelle correspond la généreuse coopération des avocats de la Rote, montre déjà clairement que vous concevez votre oeuvre telle qu'elle est réellement: un service rendu au vrai bien des fidèles, au salut des âmes.

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III -

Justification de la procédure suivie par le Saint- Office.

Parmi les objets du pouvoir judiciaire ecclésiastique, Nous devons aussi énumérer les matières qui (outre la défense de la foi) sont propres au tribunal de la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office. La sévérité de sa procédure est voulue par la sainteté des biens qu'elle a la mission de défendre et par la gravité des délits qu'elle est appelée à juger. Il n'y aurait pas lieu d'en faire une mention particulière, si sa manière de procéder n'était pas signalée comme étant en opposition avec le principe, aujourd'hui généralement admis, de la publicité des jugements, considérée comme une garantie nécessaire contre des sentences arbitraires, au préjudice de la justice.
L'activité du tribunal suprême, même dans les causes criminelles, s'exerce en réalité avec l'obligation du secret. Mais avant tout, il faut rappeler que même la procédure pénale des Etats civils prévoit dans quelques cas que les débats auront lieu, en totalité ou en partie, à "huis clos", c'est-à- dire lorsqu'un tel procédé est requis par le bien commun; or, précisément, ce principe même, l'Eglise l'applique dans les procès pénaux du Saint-Office. D'autre part, cependant, il est indispensable qu'en pareil cas soient assurées toutes les garanties essentielles d'un juste et équitable jugement: contestation des accusations portées contre l'inculpé, avec faculté pour lui de les réfuter ou d'indiquer tout ce qu'il estime utile à sa justification; défense libre, soit personnelle, soit par le ministère d'un avocat nommé d'office ou choisi par l'accusé; pleine objectivité et esprit de conscience des jugements. Or, toutes ces conditions sont réalisées pour le tribunal du Saint- Office.

Exhortation finale aux membres du tribunal de la Rote.

Votre fonction est bien importante, chers fils, non seulement à cause de son étendue, mais encore à cause des responsabilités qu'elle comporte et de l'austérité du travail qu'elle impose. Sainte et bienfaisante fonction, elle est pourtant ignorée d'un grand nombre et méconnue par d'autres. Mais le Seigneur la regarde avec complaisance, et en voyant avec quel courage vous travaillez pour son honneur, pour le service de son Eglise, pour l'intérêt des âmes, pour le salut de la société, il fait descendre sur vous l'abondance de ses grâces, en gage desquelles Nous vous donnons de tout coeur, à vous tous ici présents, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


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1947 Relations Eglise Etat


(29 octobre 1947)

Pie XII félicite le tribunal pour son activité.(1)

Il Nous est particulièrement agréable de vous voir rassemblés de nouveau ici, chers fils, et de vous adresser Notre salut reconnaissant, après avoir accueilli des lèvres de votre vénéré doyen le témoignage du travail toujours croissant et ardu, accompli durant l'année qui vient de s'écouler par votre sacré tribunal.

(1) Ce discours fait logiquement suite aux discours prononcés: 1945>4500; 1946>4600]. Durant l'année 1947, la Rote a prononcé 79 jugements définitifs, 19 jugements confirmant ou infirmant des sentences portées antérieurement par lui, dont une concernant un règlement de droit, 18 relatifs à des nullités de mariage et 60 sentences concernant des cas de mariages. (Cf. pour plus de détails sur cette activité les AAS, XL, 1948, p. 186, et NRT 1948, p. 767.)

Accusation contre l'Eglise.

Année pour l'Eglise, de réconforts et d'amertumes, de conquêtes et de luttes, au milieu de l'opposition toujours changeante et contradictoire, mais aussi tenace du monde contre elle, suivant la parole du Rédempteur: Si mundus vos odit, scitote quia me priorem vobis odio habuit. " Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le premier" Jn 15,18.
Ainsi ce qui était hier pour beaucoup un devoir de l'Eglise dont on exigeait d'elle l'accomplissement par des moyens même déplacés, à savoir qu'elle résistât aux injustices des gouvernements totalitaires, oppresseurs des consciences et qu'elle les dénonçât et les condamnât devant le monde (ce qu'elle n'a jamais manqué de faire de sa propre et libre initiative et dans les formes requises), cela est aujourd'hui, pour ces mêmes hommes parvenus au pouvoir, délit et immixtion illicite dans le domaine propre de l'autorité civile. Et les mêmes arguments que les gouvernements tyranniques d'hier opposaient à l'Eglise dans sa lutte pour la défense des droits divins et de la juste dignité et liberté des hommes, sont aujourd'hui utilisés par les nouveaux dominateurs pour combattre sa persévérante action pour la protection de la vérité et de la justice. Mais l'Eglise va droit son chemin, tendant constamment vers la fin pour laquelle son divin Fondateur l'a instituée, c'est-à-dire conduire les hommes par les sentiers surnaturels de la vertu et du bien au bonheur céleste et éternel, favorisant par là en même temps la pacifique et prospère communauté humaine.

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Fins diverses de l'Eglise et de l'Etat...

Cette pensée Nous ramène naturellement au troisième point proposé par Nous à votre examen, au cours des deux dernières années. C'est pourquoi, ayant déjà traité des différences entre l'ordre judiciaire ecclésiastique et l'ordre judiciaire civil, en ce qui concerne aussi bien l'origine et la nature que l'objet de l'un et de l'autre, il Nous reste aujourd'hui à parler de la fin essentiellement différente des deux sociétés.
Cette dernière différence, fondée sur la finalité, exclut sans nul doute la soumission forcée et comme l'insertion de l'Eglise dans l'Etat, contrairement à la nature même de l'une et de l'autre, que tout totalitarisme tend, au moins en principe, à réaliser. Cependant elle ne nie certainement pas toute union entre les deux sociétés, et encore moins en vient- elle à créer entre elles une atmosphère froide et dissolvante d'agnosticisme et d'indifférence. Quiconque voudrait entendre ainsi la vraie doctrine que l'Eglise et l'Etat sont des sociétés parfaites, distinctes, tomberait dans l'erreur. Il ne pourrait expliquer les formes multiples, propres au passé et au présent, et génératrices, bien qu'à des degrés différents, d'union entre les deux pouvoirs; il ne tiendrait pas compte surtout que l'Eglise et l'Etat remontent à la même source, Dieu, et que tous les deux s'occupent du même homme, de sa dignité personnelle, naturelle ou surnaturelle. Notre glorieux prédécesseur Léon XIII ne put ni ne voulut l'oublier lorsque dans son encyclique 'Immortale Dei', en date du 1er novembre 1885, il fixait clairement, se basant sur leur fin différente, les limites des deux sociétés et il faisait observer qu'il incombe à l'Etat, directement et avant tout, de veiller aux intérêts terrestres, et à l'Eglise de procurer aux hommes les biens célestes et éternels (1) en ce sens que les hommes ont besoin de sécurité et d'appui de la part soit de l'Etat pour les choses terrestres, soit de l'Eglise pour les choses éternelles.
(1) Leonis XIII Acta, éd. rom., vol. V, 1886, p. 128.

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...mais interdépendance entre elles sous plusieurs rapports.

Ne voyons-nous pas là, sous certains aspects, quelque analogie avec les relations entre le corps et l'âme? L'un et l'autre agissent conjointement, de façon que le caractère psychologique de l'homme se ressent à tout instant de son tempérament et de ses conditions physiologiques, tandis que vice-versa les impressions morales, les émotions, les passions se reflètent sur la sensibilité physique si puissamment que l'âme modèle aussi les traits du visage, sur lesquels elle imprime, pour ainsi dire, son image.

Chacune de ces deux sociétés doit posséder un pouvoir judiciaire autonome.

Il y a donc entre les deux sociétés cette différence de la fin, différence qui exerce une influence diverse et profonde sur l'Eglise et sur l'Etat, principalement sur le pouvoir suprême des deux sociétés et partant aussi sur le pouvoir judiciaire, lequel n'en est qu'une partie et une fonction. Indépendamment de cette circonstance que les juges ecclésiastiques en soient personnellement conscients ou non, toute leur activité judiciaire est et reste incluse dans la plénitude de vie de l'Eglise avec sa fin sublime: coelestia ac sempiterna bona comparare. Cette finis operis du pouvoir judiciaire ecclésiastique lui donne l'empreinte objective et en fait une institution de l'Eglise comme société surnaturelle. Et parce que cette empreinte provient de la fin ultra-terrestre de l'Eglise, le pouvoir judiciaire ecclésiastique ne tombera jamais dans la rigidité et l'immobilité auxquelles les institutions purement terrestres, par crainte des responsabilités, ou par l'indolence, ou encore par un souci mal compris de protéger le bien, certes élevé, de la sécurité du droit, sont facilement sujettes.

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C'est le droit seul qui doit guider les juges...

Cela ne veut pas dire cependant que dans l'ordre judiciaire ordinaire il y ait un champ laissé libre à la seule appréciation du juge dans le traitement de chacun des cas. Les erreurs d'une prétendue "vitalité du droit" sont de tristes produits de notre temps dans le domaine des activités étrangères à l'Eglise. Sans verser dans un anti- intellectualisme aujourd'hui assez répandu, l'Eglise demeure ferme sur le principe: le juge décide dans chaque cas suivant la loi; principe qui, sans favoriser un "formalisme juridique" excessif dont Nous avons parlé en une autre occasion , repousse cependant cet "arbitraire subjectif" qui en viendrait à placer le juge, non pas au- dessous mais au-dessus de la loi.

qui doivent appliquer les règles du droit aux cas présentés...

Comprendre comme il faut la règle juridique dans le sens du législateur, et analyser, comme il convient, chaque cas en lui appliquant la norme qui le concerne, est un travail intellectuel qui constitue une partie essentielle de l'activité judiciaire concrète. Sans cette façon de procéder, la sentence du juge serait un simple commandement et non pas ce que le mot "droit positif" veut exprimer, c'est-à-dire dans chaque cas particulier et partant concret, mettre de l'ordre dans le monde, lequel a été créé par la sagesse divine, comme formant un tout dans l'ordre et pour l'ordre.

et à l'édification du bien commun de la société.

Ce domaine de l'activité judiciaire n'est-il pas riche de vie? Plus encore: la loi ecclésiastique vise au bien commun de la société ecclésiastique, elle est par conséquent inséparablement liée à la fin de l'Eglise. Lors donc que le juge applique la loi aux cas particuliers, il contribue à l'accomplissement parfait de la fin qui anime l'Eglise. Lorsqu'au contraire, il se voit placé en face de cas douteux, ou lorsque la législation lui laisse sa liberté, la connexion de l'ordre judiciaire ecclésiastique avec la fin de l'Eglise l'aidera aussi alors à trouver et à motiver la décision exacte et à préserver sa fonction de la tache du pur arbitraire.
C'est pourquoi, de quelque manière que l'on considère les rapports du pouvoir judiciaire ecclésiastique avec cette finalité, ils apparaissent comme la plus sûre garantie de la vraie vitalité de ses décisions; et du fait qu'ils revêtent le juge ecclésiastique d'une fonction voulue par Dieu, ils lui inspirent ce sentiment de responsabilité qui constitue aussi dans l'Eglise la protection indispensable, supérieure à tout ordre légal, de la sûreté du droit.

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Si les Etats modernes professent la neutralité religieuse, l'Eglise, elle, doit juger selon les normes de la vérité religieuse.

Par là Nous n'entendons aucunement méconnaître les difficultés pratiques que malgré tout la vie moderne occasionne même au pouvoir judiciaire ecclésiastique, plus encore sous certains aspects que dans le domaine civil. Que l'on songe seulement à certains biens spirituels à l'égard desquels le pouvoir judiciaire de l'Etat se sent moins lié ou plutôt reste consciemment indifférent. Typiques sont en ce sens, les cas de délits contre la foi ou de l'apostasie, ceux concernant "la liberté de conscience" et la "tolérance religieuse", comme aussi les procès matrimoniaux. Dans ces cas, l'Eglise, et par conséquent aussi le juge ecclésiastique, ne peuvent adopter l'attitude neutre des Etats de confession religieuse mixte et encore moins celle d'un monde tombé dans l'indifférence religieuse, mais elle doit se laisser guider uniquement par la fin essentielle que Dieu lui a donnée.

Les deux juridictions sont donc nettement différentes.

De cette façon, nous rencontrerons toujours à nouveau la profonde différence que la diversité de la fin détermine entre les pouvoirs judiciaires ecclésiastique et civil. Assurément rien n'empêche que l'un se prévale des résultats obtenus par l'autre, aussi bien dans les connaissances théoriques que dans les expériences pratiques; toutefois, ce serait une erreur que de vouloir transférer automatiquement les éléments et les normes de l'un à l'autre, et encore plus de vouloir les égaler absolument. Le pouvoir judiciaire ecclésiastique et le juge ecclésiastique n'ont pas à chercher ailleurs leur idéal, mais ils doivent le porter en eux-mêmes; ils doivent avoir constamment présent à leur regard que l'Eglise est un organisme surnaturel renfermant un principe surnaturel inné, principe qui doit animer et diriger même le pouvoir judiciaire et la fonction du juge ecclésiastique.

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Les évêques sont par mandat divin constitués juges dans l'Eglise.

Sont juges dans l'Eglise, en vertu de leur charge et de la volonté divine, les évêques dont l'Apôtre dit qu'ils "ont été constitués par le Saint-Esprit pour gouverner l'Eglise de Dieu" Ac 20,38. Mais "gouverner" inclut "juger", comme une fonction nécessaire. Donc suivant l'Apôtre, le Saint-Esprit appelle les évêques aussi bien aux fonctions de juge qu'au gouvernement de l'Eglise. C'est pourquoi, du Saint-Esprit découle le caractère sacré de cette fonction. Les fidèles de l'Eglise de Dieu, "acquise par lui au prix de son propre sang", sont ceux auxquels se réfère l'activité judiciaire. La loi du Christ est fondamentalement celle suivant laquelle, dans l'Eglise, les sentences sont prononcées. Le principe vital divin de l'Eglise porte vers sa fin tous les fidèles et tout ce qui est en elle, donc aussi le pouvoir judiciaire et le juge: coelestia ac sempiterna bona comparare; procurer les biens célestes et éternels.

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Le Tribunal de la Rote est l'organe appelé à juger au nom du Siège apostolique.

C'est pourquoi, vous qui exercez la fonction de juges dans ce tribunal ordinaire du Siège apostolique, soyez conscients de votre singulière dignité. Non dans un esprit de prétention et d'orgueil, mais avec le sentiment humble et simple de l'accomplissement d'un devoir sacré. Alors l'idéal de votre fonction sera revigoré, moins comme fruit de votre propre effort que comme grâce de l'Esprit-Saint.
Mais Notre parole, même dans cette circonstance, veut surtout être l'expression de Notre gratitude pour le travail accompli par vous et spécialement pour l'esprit de sentiment religieux dont il est la claire manifestation. Les âpres critiques contradictoires et procédant de principes opposés - comme celles qu'on a lancées contre vous (6) - sont par elles- mêmes ordinairement un signe que la raison est du côté de celui qui est l'objet de ces critiques; et comme dans le cas présent cette présomption est confirmée par les statistiques présentées par votre doyen, cela établit aux yeux de tous que le respect consciencieux de la loi de Dieu, la ferme proposition de protéger la vérité et la justice, et cette benignitas et humanitas Tt 3,4 apportée au monde par le divin Sauveur et propre à ceux qui ont à coeur le salut des âmes, sont vraiment l'étoile polaire qui guide toute votre activité de juges.

(6) De plusieurs côtés la presse, sous la signature d'adversaires de l'Eglise, a reproché au Vatican, d'une part de rompre trop facilement le lien conjugal et d'introduire dans l'Eglise un divorce travesti au profit des riches, et d'autre part, de maintenir une attitude intransigeante concernant l'indissolubilité de ce même lien, alors, dit-on, que celui-ci devient insupportable.

Fixez constamment votre regard sur cette étoile, sans vous laisser troubler par les vagues déchaînées des passions humaines et des attaques ennemies, satisfaits et joyeux du témoignage de votre conscience, vous assurant que vous contribuez par votre action à "l'édification du corps du Christ". Ep 4,12
En implorant sur vous l'abondance de la grâce divine, fécondatrice de votre travail, Nous vous donnons, chers fils, Notre paternelle Bénédiction apostolique.

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