A la Rote 1939-2009 6500

1965 le juge 'sacerdos justitiae'

11/1/1965

Monseigneur le doyen des prélats auditeurs de la Sacrée Rote romaine, et vous tous, vénérés et distingués prélats de ce Collège officiaux, avocats, consistoriaux et habilités auprès de la Sacrée Rote, qui participez à cette audience, après le sacrifice de la messe célébrée pour vous dans Notre chapelle Pauline, Nous vous accueillons avec une paternelle satisfaction, heureux de pouvoir vous témoigner, en cette occasion qui se représente chaque année sous les plus heureux présages, Notre estime, Nos encouragements et toutes Nos paternelles félicitations. Les paroles que Nous venons d'entendre Nous ont apporté la confirmation solennelle et autorisée de ce que sont vos intentions dans l'accomplissement de votre tâche délicate, prudente et difficile, au service de l'Eglise et des frères elles Nous ont dit avec quel esprit d'apostolat sacerdotal, de sérieux et de préparation professionnelle achevée, de profonde compétence et de dévouement passionné vous assumez la responsabilité quotidienne de la charge que le Saint-Siège vous a confiée pour la défense de la justice, et que considèrent avec respect, estime et espérance ceux qui ont recours a vous. En vous, Nous voyons les successeurs aussi dignes qu'expérimentés de ces lointains auditores causarum curiae Domini Papae, de ces doctores juris famosi auxquels Nos prédécesseurs, au cours des siècles et à travers d'intéressantes vicissitudes historiques, ont confié peu à peu des attributions de plus en plus larges qu'ils avaient méritées par leur savoir, l'expérience acquise dans leur service fidèle de la Chaire de Saint-Pierre, la prudence et l'intégrité de vie qui les distinguaient.

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L'homme de loi " sacerdos justitiae "

C'est pourquoi, en vous recevant comme de coutume le jour où vous ouvrez solennellement l'année judiciaire par l'humble invocation des dons du Saint-Esprit, Notre coeur se remplit de grande consolation. C'est aussi une occasion attendue, Nous pouvons bien vous le dire, car elle Nous permet d'exprimer solennellement à ce tribunal historique la reconnaissance qui lui est due pour la fonction qu'il remplit dans un domaine si vaste et Si important: défense et recherche de la justice, ce qui suffit à lui donner sa physionomie propre; service fidèle du droit en vue du bien commun de la société et des âmes; sollicitude pastorale pour la promotion exemplaire et bienfaisante de l'ordre équitable et humain, fondement premier et indispensable pour l'édification de l'ordre chrétien selon les lois imprescriptibles de l'Evangile et les sollicitudes maternelles de la sainte Eglise.
En vous exprimant ces sentiments d'approbation, à vous qui composez ce tribunal dans lequel les compétences et les fonctions de chacun s'harmonisent d'une façon ordonnée et sage, se dessine dans Notre pensée la physionomie idéale du parfait juriste qui, parce qu'il est au service de la noble vertu de justice, peut bien être appelé Sacerdos justitiae "prêtre de la justice", vénérable et très beau titre dont usait déjà Ulpien.
Il s'agit, en vérité, d'un ministère noble et élevé, dont la dignité porte le reflet de la lumière de Dieu, justice primordiale et absolue, source très pure de toute justice sur la terre. C'est dans cette lumière divine qu'il faut considérer votre ministère de justice qui doit toujours être irréprochable et fidèle. Dans cette lumière on comprend combien ce ministère doit avoir horreur de la moindre tache d'injustice, afin de conserver toute sa pureté cristalline.

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L'injustice dans la préparation et la poursuite du procès.

Sur ce point aussi Nous devons vous exprimer toute Notre reconnaissance. Mais Nous voudrions également attirer votre attention sur les dangers qui peuvent menacer votre activité. Celle-ci, en effet, s'exerce pour l'Eglise et en son nom. Elle doit donc être a l'abri de tout soupçon, de toute ombre d'une injustice quelconque. Et pourtant, vous savez bien que dans l'exercice de la justice, il peut parfois se produire de déplorables et douloureuses injustices qui seraient également très nuisibles pour le bon fonctionnement de votre tribunal. Nous en parlons seulement comme d'une hypothèse.
Des injustices peuvent se rencontrer dans la préparation du procès lorsque, par des manoeuvres d'hommes de loi sans scrupules, les causes qui vous seraient présentées seraient déjà fondamentalement altérées dans leur réalité juridique, en recourant à des motifs sans fondement, des preuves non concluantes, des témoignages subornés, des documents contrefaits ou manipulés. Il est donc nécessaire que vous fassiez preuve de beaucoup de vigilance et de prudence au cours de l'instruction pour éviter qu'aucune injustice ne puisse prendre consistance. Le courage de la vérité vous sera nécessaire pour avertir les époux ou toute autre partie en cause qu'on ne trompe pas le divin Juge, pour lequel la seule vérité qui compte est la vérité objective, celle qui est inhérente à la réalité des faits.
Pour accepter ou rejeter une requête, il vous faudra donc un sens éveillé de la justice, afin que les causes dénuées de tout fondement, manifestement basées sur un faux ou même sur des faits exacts, mais juridiquement inaptes à obtenir l'effet désiré, soient rejetées avec une courageuse fermeté. Le culte de la justice vous fera éviter, d'une part, un certain laxisme qui pourrait induire les parties à de dangereuses illusions, à des dépenses inutiles, à des dommages réels, en écartant pour eux des solutions plus équitables. Vous éviterez, d'autre part, un rigorisme excessif qui refuse d'accorder au plaignant une confiance raisonnable et risque de nuire a celui qui est dans son droit, ce qui entraîne de funestes conséquences pour son salut éternel lorsqu'il s'agit de porter remède à de douloureuses situations morales.
Tout soupçon d'injustice sera encore évité dans la poursuite du procès en supprimant tout délai qui ne serait pas requis par le caractère particulier ou les circonstances spéciales de telle ou telle cause, et en procédant avec beaucoup de soin, sedulo et cito, pour poser les actes judiciaires, ainsi que pour étendre, notifier, exécuter les sentences. En effet, vous savez bien que tout retard coupable dans l'accomplissement ou l'exécution de la justice, causé par la négligence ou des occupations étrangères, est déjà en soi une injustice dont tout membre des tribunaux ecclésiastiques doit s'efforcer avec soin d'éviter même le risque.

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L'assistance judiciaire dans les tribunaux ecclésiastiques.

Eviter enfin toute ombre de soupçon dans les frais de l'administration de la justice est un devoir moral qui dépasse le plan de la responsabilité individuelle, parce qu'il comporte d'importantes conséquences sociales. Ce serait, en effet, une injustice inadmissible au sein de l'Eglise qu'un particulier ne puisse espérer obtenir justice qu'à un prix élevé. Ce reproche ne peut être fait aux tribunaux ecclésiastiques - et ils peuvent en être fiers devant les hommes et devant Dieu - parce qu'ils sont largement généreux pour accorder le bénéfice de l'assistance gratuite; et comme vous avez voulu Nous le faire savoir, cette année encore, quarante pour cent des causes traitées par la Sacrée Rote romaine ont bénéficié de la défense gratuite ou d'une réduction des frais de procédure. Nous Nous en réjouissons vivement, spécialement avec vous, Messieurs les avocats habilités auprès des tribunaux de l'Eglise. Mais, vous en convenez, une manière différente de procéder serait d'autant plus blâmable qu'elle offrirait un motif immérité de critique pour toute l'oeuvre de l'Eglise.
En proposant a votre réflexion ces pensées de reconnaissance et d'exhortation, Nous invoquons sur vous et sur l'activité de la nouvelle année judiciaire la constante plénitude de la Sagesse du ciel. Que la grâce du Seigneur vous accompagne toujours, que le parfait service de l'Eglise brille devant vos yeux comme un modèle idéal et vous soutienne dans les inévitables difficultés. Que l'histoire séculaire de votre institution vous incite a employer de plus en plus noblement et fructueusement vos dons éminents d'intelligence et de volonté, afin que la splendeur de la Sacrée Rote romaine soit toujours la gloire éclatante du Siège de Pierre et le témoignage du Christ au monde dans la défense de la justice et dans la pratique de la charité.
Que Notre Bénédiction apostolique descende sur chacun de vous, chers prélats auditeurs, officiaux et avocats du tribunal de la Sacrée Rote romaine, et vous maintienne dans la paix et la joie du Seigneur, afin que sa justice " répande sur vous comme un trésor de joie et d'allégresse et vous donne en partage un nom éternel " Si 15,6.

1965 Discours sur la révision du Code de droit canon

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20 novembre 1965

Recevant en audience les membres et consulteurs de la Commission pour la révision du Code de droit canon, le Pape leur a adressé ce discours

C'est avec une sollicitude et une joie particulières que Nous vous saluons, vous les membres et les consulteurs de la Commission pour la révision du Code de droit canonique, ici au Palais du Vatican, c'est-à-dire tout près du tombeau de saint Pierre sur qui a été fondée l'Eglise que vous servez et à l'édification de laquelle vous travaillez.
L'Eglise, dont le Concile oecuménique Vatican II a placé le mystère en meilleure lumière, "parce que de par la volonté de son Fondateur elle constitue un corps social parfait" (Pie XII, Mystici Corporis), l'Eglise est nécessairement visible et doit donc être régie par des lois. Cette volonté divine ne va en rien contre le droit naturel, en vertu duquel l'homme est un être social et est inséré dans la famille et dans la société au contraire, elle s'harmonise au mieux avec ce droit.
Cette société instituée par Dieu, Nous entendons l'Eglise, est orientée vers le salut éternel comme à sa fin; et sans doute ses fils sont citoyens de la terre, mais "ils n'ont pas ici-bas de cité permanente, ils recherchent celle de l'avenir" He 13,14. C'est pourquoi le Droit canonique, requis par la nature sociale de l'Eglise, se fonde sur le pouvoir de juridiction que le Christ a conféré à la hiérarchie, "oriente tout au bien des âmes pour que, en obéissant aux lois tutélaires, les hommes possèdent la vérité et la grâce du Christ; qu'ils vivent, grandissent et meurent saintement, pieusement, fidèlement" (Pie XII, Discours à l'occasion du quatrième centenaire de l'Université grégorienne). En d'autres termes, le Droit canonique est ordonné à ce que cette fin très haute puisse être obtenue par le moyen de l'Eglise, et, très directement, il doit pourvoir à ce que cette Eglise soit organisée et dirigée au moyen de lois et de normes droites.

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L'Eglise est une société hiérarchisée

Chacun sait, mais il est bon de le rappeler, que certains éléments constitutifs de l'Eglise, qui est une société hiérarchisée, émanent du droit divin: ainsi la primauté du pontife romain, l'épiscopat et, par suite, le presbytérat, le diaconat. Et il faut y rattacher les laïcs mêmes qui, cependant, n'ont pas le pouvoir de diriger. Du droit humain, par ailleurs, dérivent d'autres éléments constitutifs. De ce genre sont les patriarches, métropolitains, curés de paroisse, religieux.
Le droit ecclésiastique, qui est un droit humain "positif", a été exercé par les apôtres et par leurs successeurs; sans aucune interruption ces derniers ont joui de ce pouvoir. Ainsi la hiérarchie possède la faculté et est liée par le devoir de régir l'Eglise et les membres de celle- ci à la manière de pasteurs vigilants; et précisément elle a le pouvoir de gouverner, elle porte des lois et des jugements, veille à leur pleine exécution; elle a le pouvoir du magistère, enseigne avec autorité le peuple de Dieu; elle a le pouvoir d'ordre, administre les secours de la divine grâce.
Ceux qui sont soumis à la hiérarchie doivent en conscience obéir aux lois, selon cette parole: "Qui vous écoute, m'écoute, qui vous rejette, me rejette" Lc 10,16. Les préceptes du droit manifestent donc certainement la volonté du Christ, à qui nous sommes soumis comme au Seigneur.
Et il n'y a pas lieu de dire, comme certains qui exaltent outre mesure la liberté "à laquelle nous avons été appelés" Ga 5,13 que celle-ci est opposée à la loi; ils font intervenir l'enseignement de l'apôtre Paul de façon indue. Il faut, au contraire, remarquer que l'obéissance n'opprime pas la liberté, mais la perfectionne, qu'elle accroît les facultés d'action, qu'elle amplifie en quelque sorte la personnalité; tandis que la désobéissance disperse les forces et rend l'homme esclave de ses passions.
On ne peut pas non plus se ranger à l'avis de ceux qui dénigrent le Droit canon en affirmant que "la lettre tue et l'esprit vivifie" 2Co 3,6 ou, si l'on veut, que la lettre conduit à une servilité extérieure et dégradante relativement aux lois. Bien qu'on doive affirmer que la lettre ne doit jamais être contraire à l'esprit, cependant la loi, quelle qu'elle soit, a besoin de la lettre, c'est-à-dire qu'elle doit être exprimée par écrit et d'une façon claire. Et de cela nous trouvons dans le Code de droit canon un exemple tout à fait remarquable.

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L'Eglise de la charité a besoin de l'Eglise juridique

Il se trouve aussi des gens qui établissent une distinction entre l'Eglise qu'ils appellent "juridique" (ou "des charges") et l'Eglise "de la charité". Ils affirment que le précepte de la charité est de tous le plus élevé, qu'il faut lui attribuer la première place et que tous les maux dont souffre l'Eglise sont sortis de ce qu'ils appellent le "juridisme". Mais, comme l'âme ne peut pas être séparée du corps sans que la mort s'en suive, ainsi l'Eglise qu'ils appellent "de la charité" ne peut pas exister sans l'Eglise "juridique". On n'a pas le droit d'ignorer que l'Eglise, comme Nous l'avons dit en commençant, est de par la volonté de Dieu une société visible à tous avec les éléments qui concourent a ce qu'elle ait une direction extérieurement perceptible; que le Christ a conféré le pouvoir de juridiction aux apôtres et à leurs successeurs. L'Evangile nous en donne la certitude, là où le Seigneur déclare aux apôtres: "Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Enseignez-leur à garder tous mes commandements " Mt 28,18-20 Et l'apôtre Paul développe même ce point de doctrine clairement et en détail, surtout dans la première épître aux Corinthiens.
Bien moins encore peut-on être d'accord avec ceux qui pensent que dans l'Eglise il n'y a pas de hiérarchie, mais seulement le "ministère", et principalement le ministère de la parole; c'est-à-dire que, entre le Christ et la communauté des fidèles, il n'y a pas à placer quoi que ce soit qui les séparerait; ou avec ceux qui voudraient défendre le point de vue suivant: que la nature de l'Eglise est incompatible avec la nature du droit, ou, en d'autres termes, qu'il n'existe qu'un "droit sacramentel" pour régir l'administration des sacrements, que la hiérarchie même n existe que dans la mesure où le requiert l'administration de ces sacrements. Avec de telles inventions, on nie le droit positif lui-même.

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La révision du Droit canon dans l'esprit du Concile

Tout cela, vous le savez, est tout à fait contraire au message évangélique, à l'histoire du Christ; car lui-même a choisi, constitué, envoyé les apôtres, c'est-à-dire ceux qui composent la hiérarchie, munis de pouvoirs spéciaux, pour paître avec autorité les brebis à eux confiées, et pour les conduire au salut éternel.
Nous devons nous rappeler qu'il n'y a d'autorité que venant de Dieu Rm 13,1, que tous les pouvoirs de l'Eglise émanent du Christ et dépendent de lui, de telle sorte que le ministre sacré n est qu'un instrument du pouvoir d'ordre, ou pouvoir sacramentel, Ou bien encore cause seconde et instrumentale du pouvoir de juridiction; et que rien n'est enlevé par là au Christ Seigneur. En outre, bien que l'Eglise soit, comme Nous l'avons dit, une société hiérarchisée parce que les pouvoirs sont disposés en elle selon des degrés divers, quant au devoir d'accéder à la sainteté et au salut éternel, tous ceux qui portent le nom chrétien sont tout à fait égaux.
Ainsi, comme on le sait, le Droit canonique, qui puise dans le droit divin naturel, la Sainte Ecriture, la Tradition, les Décrétales et d'autres sources encore, se déploie selon une certaine progression. Cependant, en cette matière, il faut prendre garde à bien distinguer les choses. Comme "la théologie et le Droit canonique se trouvent associés par un pacte extrêmement solide", les éléments premiers, ceux qui sont de droit divin constituant, ne peuvent changer d'aucune façon. D'autre part, on doit, dans la mesure du possible, rester fidèle aux traditions, ce qui semble être spécialement le cas pour les institutions très anciennes.
Mais si, d'une part, le droit vise à établir et à conduire à sa fin dans la rectitude la vie des membres de l'Eglise, et aussi bien chacune des âmes que toute la communauté, car les unes et l'autre sont unies réciproquement dans l'ordre spirituel, d'autre part, tout corps vivant est en continuelle transformation, et l'Eglise vit en relations avec la société civile qui, elle, est sujette à de bien plus grandes transformations et vicissitudes. Dès lors il est clair que le Droit canonique a connu et connaît certains développements et certains progrès, qui sont utiles, bien plus, nécessaires. Nous parlons, cela va de soi, du droit "positif" humain.
Et si nous considérons le passé, une époque pas très éloignée et même une époque plus récente, nous voyons que les lois existaient en grand nombre. Mais on n'eut pas la possibilité de les étudier facilement et elles se multiplièrent au point que les hommes étaient presque écrasés sous leur multitude. C'est pour cette raison que saint Pie X prit la sage décision de faire établir le Code de droit canonique qui a rendu les plus grands services à l'Eglise; près de cinquante années d'usage le confirment.
Maintenant les conditions de vie ont bien changé - il semble que le courant de la vie se fasse plus rapide - et le Droit canonique doit être révisé avec toute la prudence requise; en d'autres termes, il doit être ajusté au nouvel état d'esprit, celui du Concile oecuménique Vatican II, qui donne le plus d'importance à la pastorale et aux nouveaux besoins du peuple de Dieu.
Si donc le Code de droit canonique "renferme en majeure partie la discipline en vigueur jusqu'à ce jour" CIS 6, il semble qu'actuellement certains éléments doivent être changés. Cela manifeste combien grave est la charge et la responsabilité de votre commission. Et il faudra même accomplir en peu de temps ce qu'auparavant on avait l'habitude de réaliser en plusieurs générations. Mais la route est plus facile, car le Code de droit canonique existant joue en quelque sorte le rôle de guide et le Concile oecuménique Vatican II offre les lignes générales de l'oeuvre nouvelle, si bien qu'il y a beaucoup de points qui devront simplement être définis et établis avec plus d'ampleur et de soin.

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Un Code commun pour l'Eglise latine et l'Eglise orientale?

Mais ici se présente une question - et elle est grave - du fait que le Code de droit canonique est double, l'un pour l'Eglise latine, l'autre pour l'Eglise orientale. Autrement dit, ne convient-il pas d'établir un Code commun et fondamental, qui renfermerait le droit constitutionnel de l'Eglise?
Votre commission, à laquelle les consulteurs apportent leur collaboration, représente d'une certaine manière l'Eglise universelle, soit du point de vue des régions, soit du point de vue des compétences dans les diverses disciplines et questions qu'elle atteint, et même dans la pratique habituelle de la vie pastorale. C'est ce souci qui Nous a conduit tout dernièrement à en augmenter de façon considérable le nombre de ses membres.
Consacrez-vous donc à cette grande tâche avec ardeur et avec un esprit averti, afin que l'Eglise, à cette époque où les hommes se transforment si rapidement et si volontiers, puisse leur montrer en des lois bien adaptées la voie qui conduit au bien véritable et à la véritable paix.
Par là vous construirez cette Eglise qui, aujourd'hui plus que jamais, est appelée à connaître d'heureux développements.
Avec instance Nous demandons à Dieu, " le Père des lumières de qui descend tout don parfait " Jc 1,17, qu'il vous soit propice, qu'il vous guide et vous comble de l'abondance de ses grâces. De tout cela soit le gage la Bénédiction apostolique que de tout coeur, Vénérables Frères et chers fils, Nous vous donnons.


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1966 Fonction pastorale du juge

25/1/1966

Nous accueillons avec une grande satisfaction la visite annuelle du tribunal de la Rote romaine. Nous avons écouté avec respect les paroles de son vénéré et illustre doyen qui, à l'expression des voeux si nobles et bienvenus, ajoutent des considérations dignes d'attention sur l'administration de la justice dans l'Eglise et sur les événements qui s'y rapportent. Cette présence et ces paroles Nous apportent le témoignage de la haute conscience avec laquelle Notre tribunal remplit son grave et providentiel office.
Aux sentiments, aux voeux, aux résolutions que vous Nous manifestez avec tant de dévouement, Nous répondons par l'expression de Notre estime, de Nos remerciements et de Nos voeux.

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La fonction pastorale du juge ecclésiastique.

Chaque fois que Nous avons l'occasion de rencontrer vos personnes ou de suivre l'exercice de vos fonctions, Nous pensons toujours spontanément à la dignité de votre office, à la profondeur et à la grandeur de ses implications théologiques, morales et sociales. D'abord parce qu'en vous apparaît avec évidence l'autorité qui rend la loi efficace en l'appliquant concrètement à un cas particulier, l'autorité qui instaure ou restaure l'ordre contesté ou troublé par des membres déterminés de la communauté. Et ensuite, à cause des titres souverains en vertu desquels l'autorité dont vous êtes l'organe est principe constitutif et directeur de cette même communauté. Dans votre cas, ces titres ne viennent pas de cette communauté, encore bien moins de la société naturelle, mais d'en haut. Ils transcendent la volonté humaine et postulent cette volonté divine qui en fondant l'Eglise, a voulu lui être immanente, en conférant tous ses pouvoirs à des personnes choisies, et donc revêtues du caractère sacré, c'est-à-dire à la hiérarchie apostolique. En vous se reflète la justice de Dieu agissant dans les relations humaines au sein de l'Eglise, cette justice qui apparaît non seulement dans la majesté, dans la sagesse et dans la force qui lui sont propres, mais aussi et surtout dans l'esprit de bonté, de providence et d'amour qui caractérise toute l'économie de la religion chrétienne et lui vaut le qualificatif évangélique de pastorale. C'est pourquoi, comme aimait à le dire Notre prédécesseur Pie XI, de vénérée mémoire, " la charge de juge est revêtue de dignité sacerdotale", iuris dicundi munus... itidem nobilissimum est sacerdotium. Et comme c'est le propre de l'autorité de l'Eglise, elle est un service, un très digne ministerium iustitiae. Par conséquent, lorsqu'il proclame le droit et garantit l'ordre, le juge se laisse pénétrer de ce sens humain, à la fois humble et sage, qui fait de lui un maître, un guide, un père et un ami.

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Réponse à l'accusation de " juridisme ".

Nous aimons à faire cette apologie bien méritée de votre mission qui est bienfaisante pour la société ecclésiastique et fait honneur au Dieu juste et bon. Cela fait contrepoids, si besoin est, aux appréciations souvent plus inconsidérées que méchantes dont elle est l'objet. On qualifie en effet facilement de "juridisme" toute décision pratique et canonique relative à la vie extérieure du corps ecclésiastique; alors que la profonde exploration théologique du mystère de l'Eglise, à laquelle le IIème Concile oecuménique du Vatican a consacré une de ses méditations les plus significatives et les plus éclairantes, a reconnu dans l'Eglise " en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain " LG 1, revendiquant ainsi le caractère constitutionnel du ministère apostolique et pastoral, qui tient du Christ le pouvoir et de l'Esprit-Saint la plénitude vivifiante LG 24 LG 27 LG 32-33 La considération du mystère de l'Eglise, de sa réalité surnaturelle, ainsi que de la spiritualité qui en est la conséquence et dont ce mystère illumine les âmes des croyants, ne doit pas cacher ni déprécier l'aspect et même la réalité institutionnelle de l'Eglise visible, son expression humaine et sociologique. Pie XII, Notre vénéré prédécesseur, disait aux élèves des séminaires romains, dès 1939, au début de son pontificat, que "c'est à tort que l'on parle d'une Eglise juridique distincte de l'Eglise de la charité. Ce n'est pas ainsi; mais cette Eglise qui est fondée juridiquement, avec le pontife à sa tête, est l'Eglise même du Christ, l'Eglise de la charité et la famille universelle des chrétiens " (Discours aux élèves des séminaires de Rome. AAS XXXI, 1939, p.250); c'est cette conception que l'encyclique Mystici Corporis reprendra et développera en des termes graves et solennels. (AAS XXXV, 1943, p. 193 ss.)
En rappelant cette doctrine si élevée et ces sources si autorisées, Nous avons voulu reconnaître une fois encore la légitimité et la nécessité de votre fonction que déjà saint Paul, comme on le sait, revendiquait comme un droit et un devoir du gouvernement de la communauté ecclésiale 1Co 6,1 ss. Nous avons voulu honorer la dignité de votre charge, montrer l'insertion de votre activité dans l'exercice du pouvoir suprême de juridiction qui est propre au Saint-Siège, indiquer le style particulier que revêt cette charge, du fait qu'elle est l'expression de la charité pastorale de l'Eglise, avec ses caractères spécifiques il est vrai; et Nous avons voulu enfin réconforter vos patients travaux par la certitude de leur mérite devant l'Eglise et devant le Seigneur.

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Un cri d'alarme devant la multiplication des causes de nullité de mariage

Que cette conscience vigilante et réconfortante vous guide et vous soutienne toujours dans la grande, silencieuse et très utile mission qui vous est confiée. Qu'elle vous rende surtout attentifs aux événements de la vie de l'Eglise, qui, sans aucun doute, ont aussi des répercussions sur l'administration canonique de la justice. Parmi ces événements, il en est spécialement deux que votre doyen a rappelés dans son discours. Nous voulons dire le Concile oecuménique et la révision annoncée du Code de droit canon. Nous sommes heureux de constater que l'esprit de fidélité et de renouveau qui vient du Concile et de l'ensemble des documents qu'il a remis à l'Eglise comme un héritage fécond a déjà pénétré ce tribunal et l'a déjà porté à considérer les phénomènes de la vie sociale qui font appel à lui pour qu'il y mette ordre par ses sentences. Dans votre discours, Monsieur le Doyen, vous poussiez un cri d'alarme devant l'accroissement impressionnant des causes de nullité de mariage. Ce cri d'alarme, Nous le faisons Nôtre, car Nous aussi Nous voyons dans ce phénomène un signe caractéristique de l'affaiblissement du caractère sacré de la loi sur lequel se fonde la famille chrétienne, de l'inquiétude de la vie moderne, de la précarité de ses conditions sociales et économiques, et par conséquent du danger qui peut menacer la solidité, la vitalité, le bonheur de l'institution familiale. Nous voulons espérer que l'intérêt porté par le Concile à la spiritualité du mariage, a son rôle dans la société tant naturelle qu'ecclésiale, à la nécessité de se préoccuper de sa préparation, de sa célébration, ainsi que des longues et diverses vicissitudes familiales, ne manquera pas de porter des fruits bienfaisants et sensibles, même pour les aspects pathologiques de la vie familiale que le juge doit examiner et guérir.

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Faire aboutir les nombreuses causes qui attendent.

Quant à la révision du Code de droit canon, déjà entreprise par la nombreuse et importante Commission que Nous avons créée, Nous avons confiance que l'autorité et l'expérience de ce tribunal insigne et historique apporteront une solide contribution à l'étude et à la formulation des modifications souhaitées.
En attendant ces mesures, tous doivent sentir la nécessité d'une justice rendue d'une façon plus sage et plus moderne. Qu'il Nous soit permis d'exprimer le voeu que l'efficacité morale, scientifique et numérique de ce tribunal parvienne a résoudre le problème préoccupant de toutes ces causes qui restent en attente, et à les faire aboutir le plus rapidement possible. Nous souhaitons aussi que, affermi par le renouveau spirituel du Concile, le sens de la loi divine et de l'honnêteté humaine qui doit régir la vie des fidèles tempère et même prévienne la multiplicité des causes judiciaires.
Nous ne voulons pas terminer cette audience sans exprimer Notre reconnaissance pour l'activité généreuse de ce tribunal, et Nous ne voulons pas manquer de remercier et de saluer tous ceux qui y concourent: juges, officiaux, attachés, avocats. A tous Nous adressons à Notre tour Nos meilleurs voeux pour cette année, et sur tous Nous invoquons la divine assistance en leur donnant de tout coeur Notre Bénédiction apostolique.


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1967 Justice et société; mariage et divorce.

23/1/1967

C'est avec une vive satisfaction que Nous vous recevons, Monseigneur le Doyen de Notre Tribunal de la Sacrée Rote romaine; et c'est dans les mêmes sentiments que Nous accueillons la visite annuelle du collège des prélats auditeurs qui la composent, ainsi que des autres officiers qui en font partie; Nous saluons également le Studio Rotale associé à cette audience, et Nous étendons Notre salut au groupe des avocats de la Rote que Nous voyons largement représentés ici.
L'occasion Nous est ainsi donnée de rendre hommage aux personnes qui font, de l'administration de la justice au nom de ce Siège apostolique, leur profession; Nous dirons même leur idéal, leur mission et, pour ceux qui unissent au caractère de magistrats celui de prêtres, un ministère! Il Nous plaît de leur redire quel respect, quelle estime, quelle confiance Nous réservons à chacun d'eux et au Tribunal tout entier. Nous sommes assuré d'avoir en chacune de leurs personnes et dans toute leur corporation un témoignage vivant de cette justice qui, avant d'être intimée aux autres, est professée par soi- même dans la sainte crainte de Dieu; de cette justice qui, tandis qu'elle fait peser la plus grande responsabilité qui puisse incomber à une conscience, libère cette conscience de toute crainte humaine et l'affranchit de tout bas intérêt de cette justice qui, parce qu'elle vient de la loi évangélique, fait expérimenter en celui qui l'exerce les exigences suprêmes de la vérité et les urgences fraternelles de la charité. Que le Saint-Siège puisse être connu et vénéré dans la sagesse, dans l'intégrité, dans la qualité d'une semblable couronne de magistrats et d'attachés à son tribunal ordinaire, est un grand réconfort dont Nous remercions la Providence, et dont Nous attribuons le mérite à tous ceux à qui il est dû.

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Pour une administration plus efficace de la justice.

Les paroles élevées que Nous venons d'entendre Nous confirment dans cette appréciation. Elles Nous révèlent, s'il en était besoin, à quelle source s'alimente la conscience de ce service. Cette source, c'est le sentire cum Ecclesia qui fait sienne la doctrine de l'Eglise, en expérimente la vérité logique et forte, y retrouve honorées et rachetées les acquisitions de la sagesse humaine, jouit de cette mystérieuse clarté que lui confère la foi. De plus, cette doctrine ajoute à la pensée l'amour qui fait d'elle une vie et, ici, dans un tribunal, une loi, une loi de vie. C'est pourquoi il Nous plaît d'honorer, après les personnes, la double fonction de ce tribunal. La première, ordinaire et très importante, consiste à juger les causes, toujours plus nombreuses, soumises à votre jugement de toutes les parties du monde. Nous savons avec quelle assiduité et quelle compétence vous vous acquittez de cette grande tâche, et Nous sommes disposé à appuyer de Notre autorité les mesures qui sembleraient opportunes pour hâter la solution des causes; pour diminuer le nombre de celles qui sont en suspens; pour freiner la reprise artificieuse des causes qui devraient être passées en jugement; pour donner à la loi, s'il le faut, une plus grande clarté, de manière à exclure toute interprétation arbitraire, et une plus grande efficacité, de manière à empêcher tout recours abusif au jugement du juge.

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La justice entendue comme fondement de la vie sociale.

La seconde fonction que Nous voulons honorer dans le Tribunal de la Sacrée Rote romaine transcende tout le reste: il représente la justice, telle que l'Eglise la conçoit, la professe et la défend, c'est-à-dire celle qui est fondée sur les principes moraux, tirant leur consistance de l'ordre objectif de la loi divine, naturelle et positive, non moins que de la conscience subjective, et qui confère aux principes juridiques, outre leur force de loi, leur stabilité et leur caractère social.
Il Nous semble, en effet, qu'il appartient à ce tribunal de faire d'une façon originale l'inépuisable apologie de la justice entendue comme fondement de la vie sociale. Il affermit ainsi dans la conscience de l'homme moderne, si enclin au subjectivisme moral, à l'opportunisme, à la morale de situation, et donc également au relativisme juridique, le sens noble et bienfaisant de la justice, condition indispensable de la liberté et de la paix. C'est ainsi que la Conférence épiscopale italienne, qui déplorait ces jours derniers l'extension de la triste plaie de la délinquance violente et organisée, concluait son rappel pastoral sur une mention explicite de la justice, destinée à assurer au peuple de Dieu la concorde civile et le progrès pacifique.

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La protection de l'institution familiale.

Mais c'est dans la discussion et la solution des causes matrimoniales que ce tribunal professe avant tout son culte de la justice. Il accomplit là une oeuvre d'un grand mérite, sur le plan non seulement juridique, mais aussi pastoral, et donc humain et civique. Sa sollicitude attentive (qui ne s'intéresse pas seulement aux causes des personnes riches, mais aussi - et dans un pourcentage élevé - à celles bénéficiant de l'assistance gratuite) est consacrée aux contestations portant sur le lien constitutif du mariage, sur le caractère exclusif et indissoluble qui lui est essentiel, lorsqu'il est validement et parfaitement contracté, ainsi que sur tous les autres différends relatifs aux droits de la famille qui relèvent du Droit canon. Nous savons que la sagesse du Tribunal de la Rote, de même que celle des autres tribunaux ecclésiastiques qui traitent de cette matière, s'appuie sur deux fondements: d'une part la compréhension la plus ouverte pour les vicissitudes humaines, sans qu'une indulgence préconçue vienne déformer la réalité juridique objective, et d'autre part la fidélité la plus ferme à la loi inviolable qui, par disposition divine et pour la dignité et le bonheur de l'humanité rachetée, régit l'unité et la perpétuité du mariage, et par conséquent de l'institution familiale tout entière. C'est là un service éminent rendu à la justice. Tout en conservant à la loi positive, sans apriorismes déraisonnables, sa majesté, sa rectitude et sa force providentielle, il rappelle aux intéressés et aux observateurs la conception la plus haute et la plus vraie de la vie. Gouvernée par une loi qui n'est pas entièrement écrite dans les codes, cette conception de la vie est gravée dans les exigences sacrées et profondes de l'existence humaine. C'est ainsi qu'elle éduque l'homme et la société au sens supérieur de la justice. Ce service est grand, parce qu'il protège, soigne, illustre dans ses cas particuliers, pathologiques, typiques, cette institution de la famille qu'on ne saurait jamais trop vénérer.

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A propos d'une éventuelle introduction du divorce en Italie.

Par une nécessaire association d'idées, Notre propos Nous amène a l'épisode parlementaire italien de ces jours derniers, concernant une déclaration qui prétend soutenir qu'il n'est pas contraire à la Constitution de proposer une loi tendant à introduire le divorce dans la législation italienne. Nous ne voulons pas entrer actuellement dans la discussion concernant cette assertion, même si elle a provoqué en Nous de la surprise et du déplaisir, même si elle exige de Nous les réserves nécessaires. Par contre, Nous ne voulons pas passer sous silence la triste impression que Nous a toujours faite la pression de ceux qui cherchent à introduire le divorce dans la législation et dans les habitudes de pays qui ont le bonheur d'en être préservés. Comme s'il était déshonorant de n'avoir pas aujourd'hui cette institution, qui est le signe d'une décadence morale pernicieuse. Et comme si le divorce était le remède à des maux que, bien au contraire, il aggrave en favorisant l'égoïsme, l'infidélité, la discorde, là où devraient régner l'amour, la patience, la concorde, et en sacrifiant avec une froideur impitoyable les intérêts et les droits des enfants, faibles victimes de désordres familiaux légalisés.
Nous pensons que c'est pour un peuple un avantage moral et social, ainsi que l'indice d'une civilisation supérieure, que de conserver une institution familiale saine, intacte et sacrée. Nous voulons croire que le peuple italien, pour lequel les stipulations du Concordat concernant le mariage constituent non pas un joug qui lui a été imposé, mais une garantie et un honneur, comprendra quel est le choix qu'il doit faire et défendre dans ce domaine fondamental, pour son bien moral et civique.
Avec ces voeux et d'autres encore que Nous formulons devant le Seigneur pour l'heureux déroulement de l'année judiciaire, Nous vous saluons cordialement et Nous vous bénissons, vous tous ici présents, ainsi que tous ceux que vous portez en votre coeur et assistez par votre travail.


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A la Rote 1939-2009 6500