A la Rote 1939-2009 6800

1968 La Rote service d'Eglise


12/2/1968

Voir aujourd'hui réunis autour de Nous les prélats auditeurs de la Sacrée Rote romaine, les autres prélats et officiaux de ce Collège et les avocats chargés de la défense auprès de ce tribunal ecclésiastique, est pour Nous un motif de vive satisfaction, de réconfort et de consolation. Il est aussi consolant de pouvoir redire une fois encore quelle estime et quelle considération Nous entretenons pour vos personnes et pour le travail que vous consacrez à l'accomplissement du rôle délicat et ardu que l'Eglise a voulu vous confier.
Comme pour attester cette estime et cette considération, Nous aimons rappeler ce que Nous avons voulu récemment exprimer en élevant à la dignité cardinalice celui qui était alors le doyen des auditeurs de la Sacrée Rote, afin de pouvoir ensuite consacrer à un service encore plus complet de l'Eglise et du Saint-Siège les vertus choisies et les dons précieux de Monsieur le cardinal Francis Brennan.
Nous sommes aussi très heureux d'adresser aujourd'hui Notre salut particulier au nouveau doyen de ce Collège, Mgr Boleslas Filipiak. En même temps que Nous le remercions du message qu'il a voulu Nous adresser, Nous entendons rappeler les titres nombreux et très valables pour lesquels il assure aujourd'hui si dignement cette haute charge. Parmi ces titres, se détachent au premier rang la solide préparation et les études sérieuses; il Nous plaît d'y ajouter celui qui tient à sa patrie d'origine, la Pologne, qui Nous est si chère, non seulement pour des souvenirs personnels particuliers, mais encore en raison de la merveilleuse fidélité à l'Eglise qui représente sans confusion possible la caractéristique de ce pays.
Notre rencontre actuelle Nous offre l'heureuse opportunité de relever, ne serait-ce que brièvement, quelques thèmes de grand intérêt pour nous tous en particulier, le service nécessaire et irremplaçable que votre tribunal rend à l'Eglise dans l'exercice de la potestas judicandi; la contribution précieuse que votre Collège a offerte et offre aux activités du Siège apostolique; les perspectives d'utilisation ultérieure de cette contribution en vue d'accomplir les devoirs qui actuellement se présentent à l'Eglise dans le domaine juridique.

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Service nécessaire à l'Eglise et au Pape.

La fonction judiciaire de la sacra potestas que le Sauveur a donnée à l'Eglise, comme le complément nécessaire de la fonction législative, est liée aussi au caractère profondément humain de l'Eglise; celle-ci, tout en étant sainte, demeure cependant sujette aux manquements de ses membres. Saint Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, met en relief cette fonction qui est propre à l'autorité ecclésiastique, lorsqu'il interdit aux fidèles de se tourner vers les tribunaux païens pour résoudre leurs différends 1Co 6,1-7 1Co 5,4 A ce précepte de l'Apôtre se reporte saint Augustin: " Les méchants oppriment les faibles et les obligent à nous déférer leurs causes. Et nous n'osons pas leur dire: dis-moi, homme, qui m'a constitué juge et arbitre entre vous? L'Apôtre a voulu en effet que les ecclésiastiques soient compétents pour de telles causes, en interdisant aux chrétiens de soumettre leurs différends aux tribunaux civils (Enar. In Ps. 118, serm 24,3; PL 37,1570) ".
En reprenant les enseignements de l'Ecriture et de la Tradition que Nous avons à peine effleurés ici, le Concile Vatican II n'hésite pas à affirmer dans la constitution Lumen gentium " En vertu de ce pouvoir, les évêques ont le droit sacré et, aux yeux du Seigneur, la charge de légiférer pour leurs sujets, de juger et de régler tout ce qui touche au domaine du culte et de l'apostolat " LG 27.
Mais cette charge sacrée de juger apparut dès les premiers siècles particulièrement difficile pour le Siège de Rome, auquel, en raison de sa fonction primatiale - propter potentiorem principalitatem (St Irénée Contra haereses 3,3,2 PG 7,848) - furent de plus en plus fréquemment déférées par les pasteurs et les fidèles les controverses qui surgissaient dans les communautés locales. De là vint la nécessité pour l'Evêque de Rome de s'assurer une certaine forme d'assistance et d'aide pour être en état d'accomplir la lourde charge d'administrer la justice; assistance et aide qui, à la suite d'une évolution longue et multiforme, se trouva finalement consacrée par Notre prédécesseur Jean XXII dans l'institution de votre vénérable Collège sous la dénomination d'" Auditeurs du Sacré Palais " (Const. Ratio iuris a 1326). Depuis lors, c'est aux auditeurs de la Rote et à leur probité qu'est confiée la fonction nécessaire et irremplaçable de juges apostoliques.

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Contribution de la Rote aux activités du Siège apostolique.

En regardant l'histoire de ces siècles, il Nous est particulièrement agréable de rappeler le souvenir de l'immense somme de travail qu'ont accompli tous ceux qui vous ont précédés, comme membres de ce Collège, afin d'exalter leurs mérites au service de l'Eglise, leur science remarquable, leurs vertus éminentes. Ils furent appelés, dès les commencements " Hommes d'une doctrine et d'une probité insignes " (Ref. à J. Emerix). Jacques Emerix, dans son Tractatus seu Notitia S. Rotae Romanae, écrit au XVIIe siècle (récemment édité par un insigne homme d'étude, membre de votre Collège, Mgr Ch. Lefebvre), trace comme un portrait spirituel de votre tribunal " Et avec le cours du temps le sacré Tribunal de la Rote,
louable sur tous les points, s'éleva même a une telle supériorité que de son sein et à toutes les époques sortirent des hommes remarquables par la vertu et l'intégrité de leur vie, et parmi eux on peut nommer saint Raymond, saint Antonin, évêque de Florence, ainsi que sept papes..".
Cette éclatante probité de vie qui, chez ces auditeurs, ornait la vaste science de l'équitable et du juste, fit apparaître en eux comme une sorte de personnification de la justice " La justice vivante "; ce qui, d'après l'affirmation de saint Thomas, qui reprend la pensée d'Aristote, exprime précisément l'idéal du juge selon le sentiment du peuple

Il n'est donc pas étonnant que la "jurisprudence", que ces hommes ont mûrie, ait représenté un élément décisif dans l'élaboration de la législation ecclésiastique, à commencer par les Décrétales de Grégoire IX, et dans la formation du "Droit général".
Mais les mérites de votre Collège sont mis en relief par son activité actuelle non moins que par son merveilleux patrimoine du passé. Fidèle à sa tradition plusieurs fois séculaire, votre tribunal continue d'être aujourd'hui encore l'organe singulièrement expérimenté auquel le Pape confie la décision dans les causes déférées au Saint-Siège, en particulier les causes matrimoniales les plus délicates.
Voulant reconnaître ouvertement votre capacité qualifiée et désirant faciliter votre travail, Nous avons décrété dans Notre constitution apostolique Regimini Ecclesiae universae d'étendre la compétence de votre tribunal; en d'autres termes, Nous entendions confier à votre tribunal toutes les causes de nullité de mariage qui arrivent au Siège apostolique, même si les deux parties sont a-catholiques ou appartiennent à divers rites orientaux.
Votre " application quotidienne" à l'activité de juge prend, dans les circonstances d'aujourd'hui, l'ampleur d'une contribution exceptionnelle au bien de l'Eglise et de la société humaine. Alors qu'un sentiment anormal de la liberté voudrait précisément supprimer toute règle d'ordonnance juridique, alors qu'un certain esprit, plus superficiel que scientifique, n'hésiterait pas à substituer aux normes gravées par Dieu dans le coeur de l'homme un véritable relativisme juridique, vos décisions proclament ouvertement chaque jour l'existence d'une loi divine qui ne passe ni ne vieillit Mt 5,18 et tendent de façon autorisée à y rendre conforme la vie de tous ceux qui recourent à votre tribunal.

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Perspectives de contribution de la Rote aux nouveaux devoirs de l'Eglise.

Nous désirons en outre vous redire quel espoir le Saint- Siège place dans votre contribution précieuse et irremplaçable au sujet des deux problèmes dans lesquels l'Eglise est aujourd'hui engagée en matière juridique. Nous Nous référons avant tout à la révision du Code de droit canonique. L'expérience vaste et multiforme accumulée par votre tribunal dans les dernières années vous rend à même, aujourd'hui comme dans le passé, de fournir une matière abondante et de qualité en vue de la nouvelle législation. Non seulement, comme il est évident, la structure et la dynamique du procès canonique et la dogmatique du mariage, mais aussi les principes et institutions fondamentales du Droit canonique pourront être distingués de façon plus authentique et définis en termes plus sûrs, grâce à l'apport de la doctrine que contiennent vos décisions. A travers elles filtreront dans le nouveau Code les résultats qu'a heureusement atteints l'élaboration la plus récente du droit civil des nations, comme aussi les acquisitions de la science médicale et psychiatrique. Le sens profondément humain qui inspire vos sentences contribuera à porter la lumière sur le mystère de l'homme et du chrétien d'aujourd'hui, sur celui, en d'autres termes, qui sera le destinataire du Code rénové, auquel la nouvelle législation devra offrir une indication claire et une aide solide pour qu'il vive courageusement les vérités évangéliques et sa vocation personnelle dans l'Eglise du Christ.
Mais tout cet immense effort de révision du Code demeurerait en grande partie stérile si, dans le même temps, on ne pourvoyait pas à accroître le nombre de ceux qui se dédient aux études juridiques spécialisées et qui contribueront demain, de diverses manières et à des niveaux différents, à appliquer les lois renouvelées de l'Eglise.
C'est ici le second rôle ardu qui est demandé aujourd'hui à l'Eglise, pressée de rénover, avec les autres études ecclésiastiques, celle du Droit canonique. Nous entretenons l'espoir que votre Collège apportera là encore une contribution efficace, soit qu'il transmette à l'organisme compétent de sages suggestions en cette matière, soit qu'il continue à développer un travail authentique de formation de canonistes au moyen de votre Studio Rotale; celui-ci a sans doute été érigé récemment, mais il s'est déjà acquis des mérites incontestés devant l'Eglise et devant la science.

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La défense du mariage.

Réfléchissant, enfin, aux paroles que Monsieur le Doyen a voulu Nous adresser au début de cette rencontre, Nous Nous rappelons y avoir perçu un accent d'inquiétude, un écho d'une préoccupation anxieuse, en raison des attaques qui dans la société actuelle prennent pour cible la sainte institution du mariage. Or ce cri d'alarme que vous, juges dans l'Eglise, vous avez fait entendre, s'il vient, en raison de l'attention qu'il mérite incontestablement, augmenter Notre souffrance et Notre peine, ce cri Nous offre tout autant une indication qui ranime Notre espoir et Notre confiance; c'est la certitude consolante que l'attitude spirituelle et l'engagement personnel avec lesquels vous vous appliquez à votre tâche, loin de se stériliser en une technicité froide et détachée, celle d'une bureaucratie, demeurent toujours sensibles à l'insertion dans la vie et aux finalités intimes de votre ministère la défense de l'union conjugale et spécialement la sauvegarde du don sacramentel qu'est le mariage, grâce auquel le Christ. a voulu vivifier son Eglise, les membres de son Corps mystique.
Sur cette concordance des intentions et des engagements qui de nouveau s'est manifestée, Nous invoquons maintenant l'abondante effusion des grâces célestes, en gage desquelles Nous vous donnons à tous, de bon coeur et avec une affection paternelle, Notre Bénédiction apostolique.


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1969 Autorité dans l'Eglise et 'service' juridique


27/1/1969

Nous sommes heureux de vous voir autour de Nous et de vous saluer tous. A vous-même, aux autres officiers de ce tribunal et à tous ceux qui lui apportent leur collaboration, Nous adressons Nos voeux les meilleurs pour chacune de vos personnes et pour votre activité judiciaire. Nous remercions en particulier M. le Doyen des paroles qu'il vient de Nous adresser, des informations qu'il Nous a données, où, en de brèves observations et quelques chiffres, se trouve résumé le travail intense et attentif de votre tribunal.

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Le pouvoir judiciaire de l'Eglise, expression de l'autorité qu'elle tient du Christ

Outre le plaisir d'une rencontre si cordiale et instructive, cette audience annuelle Nous offre l'heureuse occasion de considérer et d'honorer ce pouvoir judiciaire de l'Eglise catholique. Nous voyons en lui une expression originelle et capitale de l'autorité dont le Christ a voulu que soit revêtue l'Eglise dont il est le fondateur et le chef unique. Il lui a donné le pouvoir non seulement de répandre dans son Corps mystique les charismes vivifiants et sanctifiants de l'Esprit, mais de gouverner ce même Corps en son nom, avec pouvoir de juridiction, en tant qu'il est une communauté visible, sociale, organique et hiérarchique.
La fonction judiciaire découle en effet du pouvoir de juridiction. L'un et l'autre remontent au Christ, source de l'autorité dans l'Eglise. La royauté spirituelle lui est due non seulement en raison de la suprématie de sa personne divine et de sa dignité de Chef de l'Eglise, mais aussi parce qu'il l'a conquise et méritée par l'humilité et la générosité de sa passion rédemptrice III 47,2 III 48,1 III 59,3 (Pie XI Enc. Quas primas AAS XVII, 1925, p. 593 ss.). Nous devons certes reconnaître au pouvoir de juridiction dans l'Eglise l'exercice d'une causalité différente de la causalité sanctificatrice. Cette dernière a pour unique source le Christ, et celui qui la dispense est seulement ministre, instrument; la causalité juridictionnelle, par contre, bien que tirant du Christ sa force et sa raison d'être, a une procédure humaine qui lui est propre, et celui qui en est investi est ainsi un exécuteur responsable, une cause seconde, comme disent les théologiens III 8,6 (Journet, l'Eglise du Verbe incarné I, p.159). Mais ce pouvoir rend lui aussi gloire au Seigneur parce qu'il le représente 2Co 5,20: il remplit sa mission, il sert ses disciples, il témoigne de sa présence historique dans le monde.
Chacun sait que la reconnaissance du pouvoir de juridiction s'insère dans le cadre de cette ecclésiologie intégrale que Nous considérons comme authentique et qui, sans rien négliger de la réalité et de la profondeur de l'aspect mystique et charismatique de l'Eglise, prend aussi en considération l'aspect visible et social qui fait d'elle une société juridiquement parfaite. Cette société n'est pas en tous points égale à la société civile; elle a un caractère original propre. A cause de sa fin propre et des moyens par lesquels elle la réalise, elle a en effet un caractère surnaturel et spirituel. Son divin Fondateur a voulu qu'elle trouve en elle- même les ressources nécessaires à son existence et à son activité (Léon XIII, Enc. Immortale Dei, AAS XVIII, 1885-1886, p.165 )

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Le problème actuel de l'autorité dans l'Eglise.

Que cela vaille également pour le pouvoir judiciaire, on en trouve facilement la preuve dans des textes du Nouveau Testament, connus de tous Mt 18,17 1Co 6,1 et ss. 1Tm 5,19 et dans toute la tradition de l'Eglise (cf. Wernz-Vidal VI, p.23 et ss.), confirmée par le récent deuxième Concile du Vatican. La constitution dogmatique Lumen Gentium, comme vous le savez, dit en effet que " les évêques ont le droit sacré, et devant Dieu le devoir, de porter des lois pour leurs sujets, de rendre les jugements iudicium faciendi et de régler tout ce qui concerne l'ordre du culte et de l'apostolat" LG 27

Il est bon de rappeler cela parce qu'aujourd'hui où la notion d'autorité dans l'Eglise est à juste titre ramenée à sa raison d'être, qui est de servir, il ne faudrait pas se méprendre sur l'origine de cette autorité, comme si elle émanait de la communauté des fidèles et non du droit divin, qui est sa source supérieure; comme si ce principe efficient se confondait avec le but pour lequel le Christ a institué l'Eglise, c'est-à-dire guider et sauver le peuple de Dieu. Il ne faudrait pas non plus que soit indûment paralysé l'exercice de l'autorité légitime de l'Eglise dans ses fonctions qui sont précisément destinées à servir de multiples façons les besoins toujours plus grands et plus complexes de la vie de l'Eglise. Il serait instructif à ce propos de rappeler à titre d'exemple que le pape saint Grégoire le Grand, qui a voulu, en esprit d'humilité et de service, se désigner comme " le serviteur des serviteurs de Dieu " ( cf. Grisar, San Gregorio P.74-75), a toujours revendiqué pour le ministère de Pierre, plus encore que les autres papes, " la sollicitude... de toute l'Eglise et l'autorité sur elle " ( cf. Battifol, San gregorio, p. 207).

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Esprit de service.

Aussi, voulant honorer dans le tribunal auquel vous appartenez et que vous servez, le caractère de service qui le justifie et le distingue, voyons-Nous volontiers en lui le reflet de certaines des vertus chrétiennes dont, avec l'aide de Dieu, Nous voulons qu'elles caractérisent Notre fonction apostolique. Notre service est avant tout un service de charité. Rappelons-nous le mandat qui est exprimé dans tout l'Evangile du Seigneur, et dont nous retrouvons l'écho dans cette exhortation que saint Bernard adressait au pape Eugène: "Ton coeur est comme une fontaine publique, à laquelle tous ont le droit de boire "(De cons. 1,5) Tel est également votre service. Sa compétence est ouverte à toute l'Eglise, conformément au droit CIS 1599, de sorte que sa sollicitude ne connaît pas de frontière, ce qui est le propre de la charité. L'ampleur croissante de votre travail le démontre d'ailleurs.
Notre service veut également être un service pastoral de vérité, de sagesse, de justice, de prudence chrétienne. Egalement - et même principalement - sous cet aspect il se reflète dans votre activité judiciaire, s'il est vrai, comme l'enseigne saint Thomas II-II 60,1, que tout jugement implique une rectitude de la raison et est comme une justice personnifiée.

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Le " juridisme "

Dans cette apologie de votre fonction canonique spécifique, et dans cette comparaison entre votre activité judiciaire et Notre mission apostolique, certains pourraient peut-être se demander s'il ne s'y cache pas du juridisme, nom hybride, qui sert à désigner une attitude théorique et pratique si critiquée par ceux qui veulent promouvoir le renouveau évangélique et spirituel de l'Eglise, et si contestée par ceux qui suscitent des courants dont l'idéal est contraire, mais en fait s'inspire aussi de la sécularisation. Telle n'est pas Notre pensée, non plus que Notre intention. Une Eglise où un Droit canonique, extérieur et formaliste, négligerait l'esprit de l'Evangile, primerait sur la spéculation théologique, étoufferait la formation d'une conscience éclairée capable de s'autodéterminer, retarderait le développement de la vie ascétique et proprement religieuse, cette Eglise-là ne répondrait pas aux orientations rénovatrices du Concile, pas plus qu'aux Nôtres, par conséquent. Mais le Concile non seulement ne répudie pas le Droit canonique, c'est-à-dire la norme qui précise les devoirs et défend les droits des membres de l'Eglise, mais il le souhaite et le veut, comme une conséquence du pouvoir laissé par le Christ à son Eglise, comme une exigence de sa nature sociale et visible, communautaire et hiérarchique LG 27 comme un guide pour la vie religieuse et la perfection chrétienne LG 45 PC 1, et comme une garantie juridique de la liberté DH 15
C'est pourquoi le Concile a voulu que soit révisé le Code de droit canon CD 44. Cette révision est en cours, comme on le sait elle s'inspire de critères qui correspondent mieux à la mission pastorale de l'Eglise et aux exigences légitimes de la vie moderne.
Ce n'est donc pas le juridisme qui anime ce prudent et sage tribunal, serviteur du droit, interprète de la justice, sensible à l'équité et à la miséricorde, comme vous l'a déjà dit Pie XII, Notre prédécesseur de vénérée mémoire 1940 mais l'esprit de l'Eglise catholique, protectrice attentive de la loi chrétienne et interprète maternelle de la réalité humaine: " C'est dans la nature intime de l'homme que le droit doit puiser sa discipline " (Cicéron De legibus II).

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En une heure grave et décisive de la vie de l'Eglise.

C'est pourquoi Nous honorons volontiers cette institution, Nous la confirmons, Nous lui exprimons Notre reconnaissance, Nos encouragements, Nos éloges.
Et ici, Nous devrions parler de votre travail. Mais vous pouvez bien imaginer quelle est Notre pensée sur ce point, et il est superflu que Nous retenions davantage votre patiente attention.
En cette heure de renouveau de la vie de l'Eglise, grave et décisive sous de nombreux aspects; en cette heure où certains de ses fils sont inquiets, où les mentalités évoluent, où les moeurs se relâchent, où tous les processus humains s'accélèrent, où les disciplines juridiques et scientifiques progressent, où l'on a besoin de témoignages d'intégrité, de fermeté, de bonté, où l'on attend de l'Eglise catholique que dans toutes ses manifestations elle soit davantage consciente de sa mission, plus libre à l'égard des intérêts temporels, qu'elle irradie davantage l'Evangile de salut dont elle est messagère, il est bien certain que Nous attendons également de vous, membres de Notre illustre Tribunal de la Sacrée Rote romaine, une nouvelle résolution de perfection dans tous vos éléments. Quant à Nous, Nous sommes prêt à le soutenir et à l'aider afin qu'il mérite toujours davantage la confiance publique et qu'avec Notre bénédiction il ait aussi celle de Dieu.


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1970 Justice et juges dans l'Eglise.

29/01/1970

Le Pape magnifie la haute fonction de ces magistrats, et expose les difficultés de l'exercice de la justice dans l'Eglise actuelle.

Nous sommes heureux d'approuver de tout coeur les paroles du vénéré doyen de la Sacrée Rote romaine, Mgr Boleslas Filipiak, qui s'est fait l'interprète exact de vos sentiments en cette circonstance particulière, chers et vénérés auditeurs et officiers de ce Tribunal. Ses paroles Nous ont donné une image vivante du juge dans l'Eglise d'aujourd'hui, de sa conscience, des qualités qui doivent le soutenir dans l'exercice de ses fonctions - humilité, sens du devoir et de la responsabilité, discrétion, clémence allant de pair avec la rigueur, elle aussi nécessaire - afin qu'il soit toujours un interprète serein et impartial de la loi, lorsqu'il doit l'appliquer aux cas concrets présentés par notre vie mouvementée.
D'où la gravité de votre mission. Le service que vous rendez à l'Eglise est d'une importance si fondamentale, que Nous ne pouvons que vous en exprimer Nos sincères félicitations, Notre vive reconnaissance et Nos paternels encouragements. Nous aimons à vous redire, pour vous réconforter dans votre délicate mission, ces paroles sobres, mais expressives, dans lesquelles un insigne juriste du passé exprimait ce que doit être, pour le temps présent et pour la vie future, l'activité du canoniste: " Quiconque enseigne dans l'Eglise doit interpréter ou appliquer les lois de l'Eglise de façon à ramener à la primauté de la charité tout ce qu'il enseigne ou expose, en ne tombant ni dans le péché ni dans l'erreur; en travaillant au salut de ses frères, il recherche la fin vers laquelle doivent tendre les institutions sacrées. " (Yves de Chartres cité par PAUL VI Discours au congrès des canonistes 25/5/1968)
En appliquant bien cette règle aux cas concrets, vous complétez l'oeuvre du législateur et vous contribuez au développement vivant de l'organisation de l'Eglise. Mais ce qui est le plus important dans votre mission, c'est la charité chrétienne, qui rend plus noble et plus fructueuse l'équité des jugements, cette équité qui fut l'honneur du droit romain et qui, avec l'esprit de l'Evangile, est devenue pour vous la " modération sacerdotale ", selon la belle expression de saint Grégoire le Grand.
Nous vous disons donc Notre estime pour la sensibilité morale dont vous faites preuve, et Nous voulons de plus vous encourager à toujours exercer vos fonctions avec sérieux et générosité.

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Eléments objectifs et subjectifs du jugement.

1. Nous louons votre sensibilité morale; c'est une très noble et indispensable prérogative du juge. Il Nous semble que c'est votre signe distinctif essentiel, et Nous sommes très heureux de constater que vous en êtes profondément conscients. En effet, comme chacun le sait, le juge interprète le droit objectif, c'est-à-dire la loi, en usant de son propre droit subjectif, c'est-à-dire du pouvoir et de la liberté dont il doit pouvoir disposer au maximum. Il en résulte qu'il doit avoir une grande objectivité de jugement, et en même temps une grande équité, pour pouvoir évaluer tous les éléments qu'avec patience et ténacité il a pu recueillir, et pour juger en conséquence avec une impartialité imperturbable. Il serait pour cela fort utile d'approfondir la notion d'équité, dans l'évolution du droit romain et dans l'ensemble du droit canonique. Cette notion implique une rigoureuse appréciation de celui qui fait l'objet du jugement. C'est pourquoi la procédure moderne, canonique ou civile, tient compte de la psychologie des parties en cause, des éléments subjectifs, du milieu familial, sociologique, etc. Evidemment, lorsqu'il met en oeuvre cette objectivité, cette équité, le juge ne doit jamais s'écarter des critères fondamentaux du droit naturel, c'est-à- dire humain et juste, ni de la loi en vigueur, ce "droit écrit" qui est supposé être l'expression de la raison et des exigences du bien commun. Mais pour tenir compte de tous ces éléments, le juge doit avoir une parfaite droiture morale, car il serait vain de chercher à l'établir si lui-même en était dépourvu. Et il est pour Nous réconfortant de savoir qu'en nobles serviteurs de l'Eglise, vous êtes conscients de l'urgence et du sérieux de cette exigence.

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Un reflet de la justice de Dieu.

2. Nous vous exhortons donc, chers fils, à exercer votre fonction pratique de juges avec droiture et ferveur. Combien cela exige de vertus, et lesquelles, vous le savez, vous qui vivez quotidiennement en contact avec les réalités et les difficultés de votre fonction. Il faut être impartial, comme Nous l'avons dit, ce qui suppose une honnêteté profonde et inébranlable; il faut être désintéressé, pour qu'autour du tribunal ne prévalent pas des intérêts étrangers au jugement (vénalité, politique, favoritisme, etc.); il faut prendre à coeur la cause de la justice, en ayant conscience que par elle on sert noblement Celui qui est " miséricordieux, sensible et juste" Ps 111,4, le " juste juge" 2Tm 4,8 " fidèle et juste" 1Jn 1,9.
Faites toujours honneur à votre fonction en exerçant toujours ainsi votre très haute mission. Elle s'élèvera alors jusqu'à la justice même de Dieu, à laquelle elle doit s'unir et dont elle sera le reflet, le fidèle instrument.

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Réponses à trois objections.

3. Mais ici, nous devrons nous arrêter pour étudier une question de fond. Ces considérations - disons cette apologie du juge que Nous avons faites, semblent impliquer le besoin de défendre sa fonction, c'est-à-dire l'exercice du pouvoir judiciaire, aujourd'hui critiqué, spécialement dans l'Eglise, comme s'il était une "structure" se superposant à la spiritualité et à la liberté du message évangélique. Personne n'ignore qu'aujourd'hui on a de plus en plus tendance à déprécier l'autorité au nom de la liberté. Le Concile l'a souligné dans un document très significatif, la Déclaration sur la liberté religieuse, où il est dit: "Nombreux sont ceux qui, sous prétexte de liberté, rejettent toute sujétion et font peu de cas de l'obéissance requise. "DH 8 Cette tendance répandue, que l'on appelle charismatique, devient hostilité à la hiérarchie. On souligne exclusivement le rôle de l'esprit, difficilement définissable, aux dépens de l'autorité. C'est ainsi que se répand un état d'esprit qui, pour défendre la liberté dont doivent jouir les enfants de Dieu, voudrait présenter la désobéissance comme légitime et justifiée.
Les motifs de cette attitude requerraient un long développement, parce qu'il s'agit d'un sujet très vaste. Le temps dont Nous disposons étant limité, Nous pouvons réduire à trois les objections qui sont à sa base:

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Ceux qui en appellent à l'Evangile pour défendre la liberté contre la loi.

a) D'abord, on en appelle à la liberté contre la loi, contre toute loi. C'est pourquoi on se prévaut de l'Evangile. Effectivement, l'Evangile invoque la prééminente liberté de l'esprit. On ne peut oublier les sévères condamnations que Jésus a portées contre le légalisme pharisaïque, en faveur de l'amour et de la liberté des enfants de Dieu: "Vous avez appris qu'il a été dit... Eh bien! moi je vous dis..." Mt 5,21 ss. Toute sa prédication, d'ailleurs, tendait à la spiritualité intérieure, à la charité qui libère du joug de la contrainte. Les paroles et les exemples de Jésus vont dans ce sens, ainsi que l'a souligné la déclaration déjà citée: " Le Christ, en effet, notre Maître et Seigneur, doux et humble de coeur, a invité et attiré les disciples avec patience. Certes, il a appuyé et confirmé sa prédication par des miracles, mais c'était pour susciter et fortifier la foi de ses auditeurs, non pour exercer sur eux une contrainte. (...) Reconnaissant que de l'ivraie avait été semée avec du froment, il ordonna de les laisser croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson, qui aura lieu à la fin des temps. Ne se voulant pas messie politique dominant par la force, il préféra se dire Fils de l'homme, venu pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude Mc 10,45 (...) Enfin, en achevant sur la croix l'oeuvre de la Rédemption qui devait valoir aux hommes le salut et la vraie liberté, il a parachevé sa révélation ". DH 11 D'où les déclarations lapidaires de saint Paul dans les épîtres aux Romains et aux Galates; d'où sa doctrine polémique sur la liberté, lorsqu'il écrivait contre le légalisme judaïsant " Si l'Esprit vous anime, vous n'êtes pas sous la loi", ou lorsqu'il donnait le code de l'amour, étranger à toute coercition: " Un seul précepte contient toute la loi en sa plénitude: tu aimeras ton prochain comme toi-même" Ga 5,18 Ga 5,14

Tout cela est parfaitement vrai. Mais il est également vrai que l'enseignement de l'Evangile et des apôtres ne se limite pas à cela. Le même Jésus qui a prêché l'amour, qui a proclamé l'intériorité et la liberté, a aussi donné des prescriptions morales et pratiques que ses disciples ont l'obligation d'observer fidèlement il a voulu - et Nous y reviendrons - qu'une autorité munie de pouvoirs déterminés soit au service de l'homme.
A ceux qui en appellent à l'Evangile pour défendre la liberté contre la loi, il faudra donc rappeler le sens polyvalent du mot " loi ": la loi mosaïque a été abrogée; la loi naturelle demeure dans toute sa vigueur originelle, et elle est supposée par le Nouveau Testament; et, de même que la loi naturelle ne prive pas l'homme de sa liberté, mais guide celle- ci d'une façon intrinsèquement juste, de même la loi positive, toujours soutenue ou suggérée par la loi naturelle, protège les biens humains, établit et promeut le bien commun, garantit contre tous abus et interférences éventuels l'inviolable et responsable autonomie de l'individu, en vertu de laquelle tout être humain est capable de faire un fructueux usage de sa personnalité. Liberté et autorité ne sont pas des termes contradictoires, mais des valeurs qui se complètent. Ensemble, l'une et l'autre, elles favorisent et le développement de la communauté et la capacité d'initiative ou d'enrichissement de chacun de ses membres.
L'évocation du principe d'autorité et de la nécessité d'un ordre juridique ne retire rien à la valeur de la liberté et à l'estime dans laquelle elle doit être tenue. Elle souligne, au contraire, les exigences d'une sûre et efficace protection des biens communs. L'exercice de la liberté, que seule une société bien ordonnée peut garantir comme il faut, est l'un de ces biens, et il est fondamental. En quoi, en effet, la liberté servirait-elle l'individu si elle n'était pas protégée par des normes sages et opportunes? Le grand Cicéron le disait avec raison: " Les magistrats sont ministres de la loi; les juges en sont les interprètes; et enfin, tous nous en sommes les serviteurs pour pouvoir être libres. " (Pro Cluentio,146).
La loi de l'Evangile, enfin, se résume en l'amour de Dieu et du prochain, mais elle se ramifie dans trois directions: la conscience, à laquelle la liberté unie à la vérité donne plus de développement et d'efficience; les nombreux préceptes et vertus, qui ne contraignent pas, mais élèvent la liberté personnelle dans le respect de Dieu, de soi-même et du prochain; et les charismes de l'Esprit existant chez les fidèles, ceux- ci devant cependant être toujours dociles à l'autorité pastorale et à son service, pour l'édification du corps tout entier dans la charité Ep 4,16.

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Ceux qui en appellent à l'Evangile pour défendre la liberté contre la hiérarchie

b) Une seconde objection, pour justifier l'attitude actuelle contre la hiérarchie, en appelle à la liberté contre l'autorité. Ici encore, on invoque l'Evangile. Or, l'Evangile non seulement n'abolit pas l'autorité, mais il l'institue et l'assure. Il la met, certes, au service du bien des autres, non pas parce que et en tant qu'elle vient de la communauté, comme si elle était sa servante, mais parce qu'elle vient d'en haut pour gouverner et juger, et qu'à son origine il y a une intervention positive de la volonté du Seigneur. En effet, Jésus a voulu que son enseignement ne soit pas sujet à la libre interprétation de chacun, mais confié à un pouvoir qualifié Mt 28,16-20 Mc 16,15 Lc 24,45-48 Jn 20,21-23 il a voulu que sa communauté soit structurée et rassemblée dans l'unité, constituée hiérarchiquement; qu'elle soit un organisme social, spirituel et visible, une seule réalité complexe résultant d'un double élément, humain et divin LG 8 Et parce que l'Eglise est aussi une réalité sociale, elle exige et postule des structures et des normes extérieures, avec les caractères propres du droit: ubi societas, ibi jus, là où il y a société, il y a droit.
Si donc la primauté revient à l'esprit et à l'intériorité, l'insertion organique dans le corps de l'Eglise et la soumission à l'autorité demeurent toujours des éléments indispensables, voulus par le Fondateur de l'Eglise lui-même. Le Concile nous l'a rappelé: " L'Eglise, que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu'il en soit le pasteur Jn 21,15 ss., qu'il lui confia à lui et aux autres apôtres pour la répandre et la diriger Mt 28,18-20, et dont il a fait pour toujours la colonne et le fondement de la vérité 1Tm 3,15; cette Eglise comme société constituée et organisée en ce monde, c'est dans l'Eglise catholique qu'elle se trouve, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui..." LG 8 Le Droit canon fait certes de la primauté de l'esprit sa loi suprême, mais en même temps il répond aux besoins inhérents à l'Eglise en tant que communauté organisée. Il est centré sur les valeurs spirituelles; il protège et garantit scrupuleusement l'administration des sacrements, qui sont au centre de ses normes; il interdit d'administrer le baptême à l'adulte qui n'est pas " conscient et volontaire" CIS 752; il ne veut pas que quelqu'un qui n'a pas choisi librement l'état sacerdotal devienne prêtre ou demeure incorporé au clergé CIS 214 Par.1 CIS 1994 Par.2; il ne considère pas comme valide le sacrement de mariage contracté sans libre consentement CIS 1087 Par 1. Mais en même temps, il ne tolère pas que soit altéré le dépôt de la Révélation CIS 1322-1323; que les pouvoirs dans l'Eglise tombent dans la confusion, sans distinctions entre les ordres et les fonctions ministérielles CIS 108 Par 1-3 CIS 948; que l'ordre institué par le Christ soit bouleversé à la libre initiative de chacun, et que les règles de la communion de la foi, des sacrements et de la discipline fassent l'objet de négociations humaines, à la seule initiative de groupes non revêtus de responsabilités qualifiées CIS 109 CIS 218 CIS 329.
Le Droit canon obéit à un précepte fondamental qui, comme le dit saint Clément dans sa première lettre aux Corinthiens, part de Dieu et, par Jésus-Christ, est confié aux apôtres, lesquels " ensuite établirent le principe de succession, de sorte qu'après leur mort d'autres hommes éprouvés recueillent leur ministère " (Clément 1 Cor. 42-44,2). La structure organique et hiérarchique caractérise donc le droit canonique en tant que loi constitutionnelle de l'Eglise; et le Christ a voulu qu'il en soit ainsi pour le bien et le salut des hommes qui, " libérés du péché et asservis à Dieu" Rm 6,22, sont appelés à vivre en plénitude la vie de l'esprit.

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Ceux qui contestent l'exercice du pouvoir coercitif.

c) Une troisième objection en appelle à la liberté contre certaines formes dépassées, trop relâchées ou trop sévères, de l'exercice du pouvoir judiciaire. La discussion est ouverte avec la révision du Code de droit canonique. Par exemple, tout ce qui est mise en garde, condamnation, excommunication a tendance à être rejeté par la chatouilleuse susceptibilité actuelle, comme des vestiges d'un absolutisme désormais périmé. Et pourtant il ne faut pas oublier que le pouvoir coercitif a lui aussi son fondement dans l'expérience de l'Eglise primitive. Déjà saint Paul en fit usage dans la communauté chrétienne de Corinthe 1Co 5. Cette citation suffit pour nous faire comprendre la signification pastorale d'une mesure si sévère, qui avait pour unique objectif l'intégrité spirituelle et morale de l'Eglise tout entière, et le bien du coupable, afin que l'esprit soit sauvé au Jour du Seigneur" 1Co 5,5.
L'exercice de ce pouvoir, sous une forme et dans une mesure convenables, est donc au service du droit de la personne et de l'ordre de la communauté. Il se situe ainsi dans la perspective de la charité, et c'est dans cette lumière qu'il doit être vu et présenté lorsque des circonstances graves et proportionnées le requièrent pour le bien commun, mais avec la plus grande délicatesse et la plus grande compréhension à l'égard de ceux qui errent. Son application pratique est à l'étude afin de le rendre toujours plus parfait et adapté aux exigences du respect de la personne humaine, devenues aujourd'hui plus poussées, et afin de l'insérer plus harmonieusement dans le contexte de la réalité sociologique moderne. Mais personne ne voudra contester la nécessité, l'opportunité et l'efficacité de cet exercice inhérent à l'essence même du pouvoir judiciaire, parce que, comme Nous l'avons dit, il est, lui aussi, l'expression de cette charité qui est la loi suprême de l'Eglise. De même que c'est la charité qui l'inspire, afin de sauvegarder la communauté de l'Eglise, de même c'est la charité qui en fait comprendre la nécessité à celui qui en est l'objet et lui fait accepter humblement mais fructueusement ses pénibles conséquences médicinales.
C'est pourquoi, non seulement à vous, qui pesez la loi et l'interprétez sagement, mais aussi à tous Nos fils, Nous voulons redire cette invitation donnée par le Concile dans la Déclaration sur la liberté religieuse " Former des hommes qui, dans la soumission à l'ordre moral, sachent obéir à l'autorité légitime et aient à cour la liberté authentique " DH 8. Nous sommes très heureux que la rencontre d'aujourd'hui Nous ait permis de vous entretenir, bien que d'une façon fragmentaire, d'un problème si important et auquel on est si sensible.
En même temps que Nous vous exprimons Notre vive satisfaction, Nous vous adressons ces exhortations, paternellement et du fond du coeur, en cette circonstance solennelle: exercez votre fonction avec une haute conscience chrétienne; faites honneur à l'Eglise en répondant pleinement à la confiance qu'elle met en vous; servez les âmes avec humilité, amour et désintéressement. Que la grâce du Seigneur vous accompagne toujours, qu'elle soit votre lumière quotidienne, qu'elle vous donne la force nécessaire et une paix profonde!
Tels sont les voeux que Nous formons de tout coeur pour l'ouverture de l'année judiciaire, et Nous les accompagnons de Notre Bénédiction apostolique.


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A la Rote 1939-2009 6800