A la Rote 1939-2009 7209

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La raison théologique

"L'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables", a dit avec force le Concile GS 51. La raison théologique en a été bien précisée dans le discours de Pie XII, cité plus haut: "Tout être humain, même l'enfant dans le sein de sa mère, tient le droit à la vie directement de Dieu, et non des parents ou de quelque société ou autorité humaine. Donc, il n y a aucun homme, aucune autorité humaine, aucune science, aucune "indication" médicale, eugénique, sociale, économique, morale qui puisse exhiber ou donner un titre juridique valable pour disposer directement et délibérément d'une vie humaine innocente, c'est-à-dire en disposer pour la supprimer, soit en vue d'un but, soit comme un moyen pour obtenir un but qui, peut-être en soi, n'est pas du tout illégitime . "

Les raisons tirées du droit naturel et social

Dans la constitution Gaudium et spes, le Concile, s'adressant à tous les hommes et non aux seuls chrétiens, donne aussi les raisons tirées du droit naturel et du droit social. Avant tout, la dignité de la personne humaine qui se trouve blessée non seulement dans l'innocente victime du meurtre, mais dans la mère elle-même qui s'y emploie volontairement et dans tous ceux qui - médecins ou infirmières - coopèrent à l'avortement volontaire. Les raisons sociales, de leur côté, ne sont pas les moins graves: lles sont aujourd'hui particulièrement importantes, et vous concernent plus étroitement, en tant que juristes. Si, comme le souligne le Concile, "Dieu, maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie, l'homme doit s'en acquitter d'une manière digne de l'homme" GS 51, et ce ministère, qui est en même temps un devoir et un pouvoir, repose sur tout homme, sur les communautés intermédiaires (à commencer par la famille) et surtout sur la communauté politique. Si l'Etat social contemporain se charge de plus en plus de cette tâche de protection et de promotion de la vie humaine d'une manière digne de l'homme, et cela en conformité avec les Déclarations universelles des droits de l'homme et de l'enfant, il ne fait pas de doute que cette protection doit commencer non à partir de la naissance ou à partir d'un certain âge de la personne humaine, mais dès la conception - celle-ci étant le début d'un seul et univoque processus vital - qui s'achève dans la naissance d'un nouvel être humain.

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La protection juridique de l'enfant à naître

Dans la civilisation occidentale, cette protection de l'enfant à naître a débuté très tôt, encore que pour des buts particuliers. Comme les institutions anciennes du curator ventris (Dig. 26,27,42), du changement de succession et de la révocation des donations, qui sont en faveur de l'enfant à naître, de même aujourd'hui les dispositions touchant les traitements de faveur réservés à la femme enceinte, en cas d'arrestation ou de condamnation pénale, démontrent non seulement l'intérêt public pour la vie de l'être conçu, mais prouvent aussi que le droit positif lui-même lui reconnaît des droits. Comment nier alors qu'il soit, dès le premier instant de vie, titulaire de droits, qualité qui aujourd'hui, bien distincte de la simple capacité d'agir, coïncide avec le concept juridique même de personne? Or, le premier et le plus fondamental des droits de l'homme est le droit à la vie, c'est- à-dire à la protection de la vie. Et personne ne peut jouir d'un droit contraire lorsqu'il s'agit d'un innocent. Plus le sujet est faible, plus il a besoin de protection, et plus il est du devoir de tous de le protéger et cela vaut en particulier pour la mère, tant qu'elle le porte dans son sein.

Une fausse émancipation féminine

De ce point de vue, sont fausses et aliénantes certaines déviations de l'émancipation féminine d'aujourd'hui - laquelle est juste en soi - ou de la prétendue "liberté sexuelle", qui répugnent non seulement à la morale catholique, mais à l'éthique universelle elle-même. De même que le problème de l'avortement, comme on l'a dit, ne peut être posé à partir de la seule considération individuelle de la femme, mais doit l'être aussi en fonction du bien commun et surtout de la personnalité de l'enfant à naître, de même la véritable émancipation féminine ne consiste pas en une égalité formelle et matérialiste avec l'autre sexe, mais dans la reconnaissance de ce que la personnalité féminine a d'essentiellement spécifique, la vocation de la femme à être mère. Dans une telle vocation, en effet, est implicite et appelé à se concrétiser le premier et le plus fondamental des rapports constitutifs de deux personnalités: le rapport entre ce nouvel être humain déterminé et cette femme déterminée, comme étant sa propre mère. Or, qui dit rapport dit droit; qui dit rapport fondamental dit corrélation entre un droit et un devoir équivalemment fondamentaux; qui dit rapport fondamental humain, dit valeur humaine universelle, digne d'être protégée comme contenu du bien commun précisément universel, puisque tout individu est avant tout et constitutivement né d'une femme.

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La mission du juriste chrétien

Sur ce plan, les juristes ont donc une mission qui ne le cède à aucune autre, celle de défendre dans la société cette valeur humaine universelle qui est à la source de la vie, à la racine de la civilisation non seulement chrétienne, mais simplement et universellement humaine. Telle est du reste la ligne que vous vous efforcez de suivre. Nous Nous en félicitons avec vous, et faisons des voeux pour que les résultats de votre congrès sachent donner aux questions posées les réponses adéquates, équilibrées, éclairantes, que les personnes honnêtes et soucieuses du vrai bien de la nation attendent aujourd'hui.
C'est dans ces sentiments que Nous invoquons avec confiance l'assistance divine sur vos efforts, afin que la grâce du Seigneur les fasse fructifier pleinement. De grand coeur, Nous vous accordons, à vous qui êtes ici présents et à tous ceux que vous représentez, Notre Bénédiction apostolique.


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1973 l'équité canonique

08/02/1973

Equité canonique, dans la nature du droit de l'Eglise et son rôle dans la pastorale.

Cette rencontre annuelle avec vous, vénérés auditeurs et officiers de la Sacrée Rote romaine, est pour Nous une très grande joie, parce que, en plus de Nous donner l'occasion de renouveler l'expression de Notre confiance dans la mission que Nous vous avons confiée en tant que pasteur et vicaire du Christ, elle Nous permet de connaître vos sentiments et vos intentions.
C'est ainsi que Nous avons pu entendre, dans les paroles de votre vénéré doyen, Mgr Boleslas Filipiak, votre sollicitude pastorale. Cette sollicitude est chez vous une tradition de sage équité, de " modération sacerdotale " 1970 , et elle correspond pleinement à l'esprit de l'Eglise, aux directives du deuxième Concile du Vatican et aux voeux de l'épiscopat catholique tout entier. En réalité, les qualités du droit que vous appliquez doivent transparaître dans l'exercice de votre fonction et dans les sentences que vous prononcez. En interprétant le droit, vous faites usage des pouvoirs et de la liberté qui vous ont été donnés. Pour vous, un juste jugement n'est pas seulement une sentence exprimant l'équité naturelle, mais il reflète cette aequitas canonica qui est le fruit de votre charité pastorale et constitue l'une de ses expressions les plus délicates.
Dans le travail du législateur canonique comme dans celui du juge ecclésiastique, cette " équité canonique " demeure un idéal sublime et une précieuse règle de conduite. Cela fut rappelé bien clairement pendant la préparation du Concile: "Que dans toutes les lois que l'on élabore brille l'esprit de charité et de mansuétude du Christ, qui est et sera toujours la règle d'or de l'Eglise dont doivent s'inspirer les lois et les jugements " ( Rapport sur le schéma d'un texte concernant le sacrement de mariage, texte amendé, Polyglotte vaticane, 1964. ). Cette règle d'or figure aussi parmi les normes pour la révision du Code qui ont été approuvées par le Synode des évêques: " Que le Code s'attache non seulement à la justice, mais à la sage équité, qui est le fruit de la bonté et de l'amour. Qu'il fasse appel à la discrétion et à la sagesse des pasteurs et des juges pour qu'ils exercent ces vertus" (Principes devant inspirer la révision du Code de droit canonique, No 3 Communicationes, 1, 1969, 79). Le droit canonique apparaît ainsi non seulement comme norme de vie et règle pastorale, mais aussi comme école de justice, de discrétion, de charité active. Où tout cela pourra-t-il le mieux se concrétiser sinon chez vous, dans votre tribunal, où ce droit est appliqué au service des âmes?
Nous avons déjà eu l'occasion de vous manifester Notre désir d'approfondir cette notion d'" équité canonique " pour en mettre en lumière la valeur 1970 . Aujourd'hui, Nous Nous proposons de le faire; et, pour cela, il Nous faudra remonter à la nature même du droit de l'Eglise.

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Nature pastorale du droit de l'Eglise.

Nous adressant à des juges provenant de tous les pays et réunis ici, Nous avons rappelé récemment que "le droit canonique est le droit d'une société visible, certes, mais surnaturelle, édifiée par la parole et les sacrements, à laquelle il est demandé de conduire les hommes au salut éternel" 1972 , C'est pourquoi il " est un droit sacré, tout à fait distinct du droit civil. C'est, il est vrai, de par la volonté même du Christ, un droit d'un genre particulier, hiérarchique. Il s'inscrit tout entier dans l'action salvifique par laquelle l'Eglise continue l'oeuvre de la Rédemption. "1972 . Le droit canonique est donc, de sa nature, pastoral. Il est l'expression et l'instrument de la charge apostolique, et un élément constitutif de l'Eglise du Verbe incarné.
En tant que société visible, l'Eglise possède son droit, fondé sur la nature même de l'Eglise, " peuple constitué en corps social organique, en vertu d'une action et d'un dessein divins, moyennant un ministère, un service pastoral - Nous tenons à le souligner - qui promeut, dirige, enseigne, éduque et sanctifie dans le Christ l'humanité adhérant à lui dans la foi et la charité " 1970 .
Le Concile a voulu expliciter ce mystère en soulignant le caractère sacramentel de la société ecclésiale: " L'Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à- dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain "LG 1 "C'est le Christ qui l'a achetée de son sang, emplie de son Esprit et pourvue des moyens adaptés pour son unité visible et sociale "LG 9 Il y a en cela une analogie mystérieuse. En effet, poursuit le Concile: " Tout comme la nature prise par le Verbe divin est à son service comme un organe vivant de salut qui lui est indissociablement uni, de même le tout social que constitue l'Eglise est au service de l'Esprit du Christ qui lui donne la vie, en vue de la croissance du corps" LG 8. Cette union est si étroite qu'elle ne permet pas à ces deux aspects, bien que distincts, d'être en opposition entre eux. La société visible est communauté spirituelle, et celle-ci ne peut pas exister sans celle-là et en dehors d'elle: " Cette société organisée hiérarchiquement d'une part, et le Corps mystique d'autre part, l'assemblée discernable aux yeux et la communauté spirituelle, l'Eglise terrestre et l'Eglise enrichie des biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux choses, elles constituent au contraire une seule réalité complexe, faite d'un double élément humain et divin. C'est pourquoi, en vertu d'une analogie qui n'est pas sans valeur, on la compare au mystère du Verbe incarné " LG 8. Le droit tend à structurer et à organiser cette réalité organique " qui exige une forme juridique et est animée en même temps par la charité " LG 1 (note préliminaire). Droit et charité ne peuvent être en opposition là où ils sont essentiellement unis.

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Cela a incité un Père du premier Synode des évêques à affirmer que dans l'Eglise le divin et l'humain ne sont pas deux choses qui s'opposent, mais des éléments qui s'unissent en une seule réalité. Leur rapport n'est pas " comme celui d'une réalité à une autre. Mais... l'un et l'autre élément, en tant qu'essentiellement constitutifs, façonnent l'unité de la vie de l'Eglise de telle sorte que la structure externe soit comme un signe sacramentel par lequel la vie interne de l'Eglise est signifiée et créée. C'est ainsi que toute l'activité juridique de l'Eglise est comme un signe de ce sacrement de salut qu'est l'Eglise, bien que ce signe ne se restreigne pas à l'activité juridique. Sous cet aspect, l'activité juridique de l'Eglise ne peut avoir d'autre fin que de manifester et de servir la vie de l'Esprit, c'est-à- dire la vie divine des fidèles, et particulièrement la charité " (Communicationes I, 1969 p.97- 98). Il Nous plaît de faire remarquer que la rédaction du " Nouveau droit ", qui devra nécessairement s'inspirer du Concile, ne fera qu'appliquer cette doctrine; et les principes de cette révision reprendront eux aussi cette même doctrine (Communicationes I, 1969, p. 79).
La sacramentalité de l'Eglise assure son union avec Dieu, son efficacité surnaturelle, son sens du Christ. Celle-ci est en outre animée par l'Esprit qui construit et anime le Corps mystique du Christ, Peuple de Dieu, y transfigure les hommes en fils de gloire et leur assure la liberté des enfants de Dieu, les fait prier avec la prière de Jésus Rm 8,15 et agit dans leur apostolat. Tout apostolat est action du Christ; il ne peut s'exercer que sous l'impulsion de l'Esprit. Et comme l'Esprit sonde les profondeurs de Dieu 1Co 2,10 et sait ce qui plaît au Seigneur Rm 8,27, ainsi il suscite en nous une prière indicible et il continue l'action salvifique du Christ à travers les actes de ses membres, pasteurs et fidèles. Si le droit canonique a son fondement dans le Christ, Verbe incarné, et donc a valeur de signe et d'instrument de salut, c'est par l'action de l'Esprit, qui lui donne force et vigueur. Il faut donc qu'il exprime la vie de l'Esprit, qu'il produise les fruits de l'Esprit, qu'il révèle l'image du Christ. C'est pourquoi il est un droit hiérarchique, un lien de communion, un droit missionnaire, un instrument de grâce, un droit de l'Eglise. Ces qualités sont les exigences de l'Esprit qui vivifie et dirige l'Eglise, l'unit au Christ, la conduit à Dieu et aux hommes en un même élan d'amour.
C'est ce travail de l'Esprit que maintenant Nous voudrions mettre en relief dans l'évolution de cette " équité canonique " qui confère au droit de l'Eglise sa physionomie propre, son caractère pastoral.

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Evolution et avenir de l'"équité canonique".

Comme nous l'avons vu, l'Eglise est sacrement de Jésus- Christ, de même que Jésus-Christ, dans son humanité, est sacrement de Dieu " H. de Lubac Méditation sur l'Eglise, 1953, p. 157). C'est dans ce mystère que nous devons voir la fonction du droit canonique, votre mission et cette vertu qui, progressivement institutionnalisée, est devenue l'" équité canonique ", définie par Hostiensis: " La justice tempérée par la douceur de la miséricorde " (Summa aurea, 1, V, De Dispensationibus), définition qui sera reprise par tous les canonistes. Hostiensis poursuit: " Voici comment Cyprien décrit ceci: l'équité est la justice, elle est le mouvement rationnel dictant la sentence et la rigueur. C'est cette équité que le juge, qui est ministre, doit toujours avoir devant les yeux. Ce qui veut dire qu'il doit savoir récompenser les bons et punir les mauvais. C'est la voie royale toute droite, qui suit la raison et ne s'écarte ni à droite ni à gauche. " En lisant ce texte, ne voyons-nous pas apparaître une lumière, le Seigneur de la justice et de la grâce, le Sauveur et le Juge des hommes?
Dès son origine, l'Eglise a assumé dans sa vie tout ce qu'il y avait de vrai, de noble, de juste et de beau dans la vie sociale et les aspirations des hommes, faisant ainsi resplendir l'amour de Dieu dans l'humanité divinisée par l'Esprit d'amour. L'équité représente l'une des plus hautes aspirations de l'homme. Si la vie sociale impose les déterminations de la loi humaine, ses lois, inévitablement générales et abstraites, ne peuvent cependant pas prévoir les circonstances concrètes dans lesquelles les lois seront appliquées. Devant ce problème, le droit a cherché à amender, rectifier, et aussi corriger la " rigueur du droit ", par l'équité, qui incarne ainsi les aspirations humaines à une justice meilleure.
L'équité, que la tradition chrétienne a reçue de la jurisprudence romaine, donne au droit canonique la qualité de ses lois, la norme de leur application, une attitude d'esprit et d'âme qui tempère la rigueur du droit. La présence de l'équité, comme élément humain correctif et facteur d'équilibre dans le processus mental qui doit amener le juge à prononcer la sentence, se rencontre dans les Décrétales et dans toute l'histoire du droit canonique, bien que sous des noms divers.
C'est cet élément qui caractérise tout spécialement votre jurisprudence. L'Eglise impose au juge ecclésiastique l'obligation de juger " équitablement et avec bonté ". Cette obligation, votre tribunal l'a toujours faite sienne, surtout dans les causes confiées à l'arbitrage de la Rote. C'est "l'équité informée par le droit".
Le Code actuel a fait siennes les exigences de miséricorde et d'humanité en vue d'une justice plus douce, plus compréhensive. Il parle d'"équité", d'"équité naturelle", d'"équité canonique", en se référant au principe ultime auquel on fera appel, le droit naturel ou le droit canonique. Il précise ensuite la portée et la fonction de l'équité: elle consiste en une justice supérieure en vue d'une fin spirituelle; elle adoucit la rigueur du droit, et parfois aussi elle aggrave certaines peines; en tout cas, elle se distingue du pur droit positif, qui ne peut tenir compte des circonstances. Enfin, conformément aux origines apostoliques du droit 1Co 6,1-7 il va même jusqu'à recommander d'éviter les procès, en remettant la cause à des arbitres qui jugeront "avec équité et bonté" CIS 1929.
Aujourd'hui, l'influence du deuxième Concile du Vatican se fait sentir toujours davantage sur l'évolution du droit. Ne sera-t-il pas nécessaire de repenser l'" équité canonique " à la lumière du Concile, afin de lui donner une valeur plus chrétienne et un sens plus fortement pastoral? Les principes de la révision semblent le suggérer: la " sage équité " dont ils parlent est le fruit de la bonté et de la charité. En repensant cette institution, on devra en sauvegarder l'esprit.

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Valeur pastorale du pouvoir de juridiction.

C'est dans l'" équité canonique " que s'affirme le caractère pastoral de votre fonction de juges, caractère qui a été récemment réaffirmé d'une manière autorisée (Cf. D. Staffa, De natura pastorali administrationis iustitiae in Ecclesiae Periodica, 61, 1972, 3-17.) En vérité, ce ministère de l'Eglise est pastoral dans le plein sens du terme. C'est un ministère du sacerdoce chrétien LG 27. Il a ses racines dans la mission que le Seigneur a confiée au " premier Pierre " 1941 qui, dans ses successeurs, continue à gouverner, à enseigner, à juger DS 3056. Il fait partie intégrante du mandat apostolique, et y participent tous ceux, prêtres et laïcs, qui sont appelés à exercer la justice en Notre nom et au nom de Nos Frères dans l'épiscopat. Ce pouvoir fut exercé par les Apôtres, et leurs successeurs ont continué cette mission. En suivant le conseil de l'Apôtre des gentils, ils ont jugé également les causes civiles pour y faire prévaloir le droit tempéré par la charité 1Co 6,1-7. Saint Augustin le rappelle: " Il a en effet donné compétence aux hommes d'Eglise pour ces causes, en interdisant aux chrétiens de soumettre leurs différends à des tribunaux civils "(Enarrationes in Ps. 118. Serm. 28,3). Lorsque le christianisme aura transformé les moeurs de la société, ces causes séculières seront remises aux tribunaux civils, où l'on se plaît également à voir la justice appliquée selon les principes de la Vérité divine.
Ce ministère du juge ecclésiastique est pastoral, parce qu'il vient en aide aux membres du Peuple de Dieu qui sont en difficulté. Le juge est pour eux le Bon Pasteur qui console les victimes, guide ceux qui se sont fourvoyés, reconnaît les droits de ceux qui ont été lésés, calomniés ou injustement humiliés. L'autorité judiciaire est ainsi une autorité de service, un service qui consiste à exercer le pouvoir confié par le Christ à son Eglise pour le bien des âmes.
Parce qu'il est évangélique, ce service évitera toute forme d'absolutisme ou d'égoïsme. Il s'accomplira dans le respect de la personne, libre et responsable. Il consistera à guider sans opprimer, à aimer un frère qui accepte l'obéissance comme un devoir et non comme une nécessité extrinsèque, comme un bien pour le chrétien et un bénéfice pour la communauté.
Grâce à l'" équité canonique", le juge tiendra compte de tout ce que la charité suggère et permet pour éviter la rigueur du droit, la rigidité de son expression technique. En faisant de la charité, don de l'Esprit qui libère et vivifie, l'âme de ses interventions, il évitera la lettre qui tue. Il tiendra compte de la personne humaine, des exigences de la situation, lesquelles, si parfois elles imposent au juge le devoir d'appliquer la loi plus sévèrement, portent ordinairement à exercer le droit d'une manière plus humaine, plus compréhensive: il faudra veiller non seulement à protéger l'ordre juridique, mais aussi à guérir et à éduquer, en manifestant une vraie charité. L'exercice pastoral du pouvoir judiciaire est plus médicinal que vindicatif. S'il comporte des peines, celles-ci ne devront jamais apparaître comme une vengeance, mais, selon la pensée de saint Augustin, comme une expiation désirée (De civitate Dei, XXI, 13).
Cette doctrine pondérée, constamment rénovée et adaptée en vertu de l'" équité canonique " que vous appliquez, sera aussi une oeuvre pastorale.

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Les décisions de la Rote sont un monument de science juridique et de sagesse chrétienne, auquel s'ajoutent aujourd'hui, comme un heureux complément, les décisions du Tribunal suprême de la Signature apostolique, régulièrement publiées. Profitons-nous suffisamment de ces trésors, qui contiennent non seulement des normes juridiques et des règles de droit, mais aussi de nombreuses indications pastorales de caractère psychologique et social?
Mais la pastorale a aujourd'hui un autre sens, qui a un lien profond avec la tâche pastorale de l'épiscopat et la mission apostolique de l'Eglise. La pastorale est l'organisation bien pondérée de l'apostolat. Elle a en vue la répartition équilibrée des personnes, elle favorise une meilleure collaboration grâce à un programme pastoral fondé sur une information sérieuse et objective, programme qui cependant ne peut étouffer l'Esprit 1Co 12,11 ni empêcher la liberté de ses dons 1Th 5,19. Cette pastorale d'ensemble ne peut devenir ni une chaîne ni une forme nouvelle d'autoritarisme, de domination ou de centralisation excessive.
Plus encore que d'un renouveau du travail apostolique par une meilleure collaboration, la pastorale se préoccupe des personnes, de celles qui sont à la recherche de la vérité, de celles qui doivent grandir dans le Christ. C'est dans ce sens qu'une constitution du deuxième Concile du Vatican fut appelée " pastorale ". Elle constitue un effort d'insertion et de présence de l'Eglise parce que, " s'appuyant sur des principes doctrinaux, elle entend exprimer les rapports de l'Eglise et du monde, de l'Eglise et des hommes d'aujourd'hui" GS 1.
Le droit canonique, de même que les pasteurs et les juges, doit s'ouvrir aux exigences d'une pastorale rénovée. " Le Droit canonique, comme tout ce qui est dans l'Eglise, est orienté tout entier au bien des âmes, disait Notre vénéré prédécesseur Pie XII. Lorsqu'il administre les affaires ecclésiastiques, lorsqu'il exerce les fonctions de juge, lorsqu'il aide de ses conseils les ministres sacrés ou les fidèles, il (le canoniste) pensera constamment au salut des âmes (...) dont il devra rendre compte " (citation de 1953 inconnue).

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Nous sommes heureux d'avoir pu faire ces réflexions avec vous sur les exigences de votre mission, sur la nature du droit canonique et sur le mystère de l'Eglise. Ce mystère de " l'Eglise de la Trinité " (St Cyprien De orat. Dom. 23: PL 4,553 ) est toujours présent à Notre esprit. Nous en avons fait si souvent l'objet de Nos considérations que ses divines profondeurs Nous apparaissent toujours plus lumineuses et réconfortantes. C'est cela l'Eglise. Elle est " le Christ total " qui, dans l'Esprit, unit l'humanité à la vie divine où le Père des lumières s'exprime dans son Verbe pour s'unir l'une et l'autre dans ce mutuel amour qu'est l'Esprit-Saint. L'Eglise est le sacrement de cet amour. Voilà pourquoi elle est la mère des hommes créés à l'image de Dieu et sauvés par le Verbe fait chair. Elle est signe de vie divine et instrument de salut. Et vous, lorsque vous prononcez vos sentences, " en ayant en vue Dieu seul ", vous servez et vous adorez précisément ce Dieu d'amour.
La justice, que vous devez exercer avec " équité canonique", vous la voulez plus rapide, plus douce, plus sereine. Plus rapide: en effet, la prudence ne s'identifie pas nécessairement avec la lenteur, laquelle aboutit parfois à une véritable injustice, pour le plus grand mal des âmes; plus douce, mais " l'équité canonique" " ne doit pas être sollicitée plus qu'il se doit, au point qu'elle fasse négliger la loi ", parce qu'alors elle deviendrait nuisible et serait une cause d'incertitude (F.Roberti De processibus p. 99) plus sereine, mais là encore, rien ne serait plus nuisible à l'ordre social qu'une jurisprudence qui, pour être pastorale, voudrait négliger le droit; qui, pour remédier à des situations douloureuses, porterait atteinte à la vérité révélée et aux données de la foi; et qui ne parviendrait plus à voir dans le consentement matrimonial ce contrat de fidélité et ce signe d'union qui, dans la volonté humaine, sont la première fleur de l'amour.
Nous savons la préoccupation de tant de juges qui, comme vous, voient diminuer le nombre des étudiants dans Nos facultés de droit canonique. Cette situation met certaines Eglises particulières dans l'impossibilité d'exercer avec compétence et rapidité la " fonction de juger " qui leur est confiée par Dieu. Elle peut aussi porter préjudice au plein exercice des prérogatives de l'épiscopat.
Voilà les pensées que Nous avons cru bon de soumettre à votre réflexion, en ayant confiance qu'elles vous feront toujours mieux comprendre que votre mission est importante, que votre responsabilité est pastorale, que vos sentences peuvent être source de paix et de réconfort.
En signe de Notre reconnaissance et de Notre estime, à vous tous qui êtes ici présents et à vos collaborateurs, Nous donnons Notre Bénédiction apostolique.

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1973 Congrès International de Droit Canonique

17 septembre 1973


Les Participants au deuxième Congrès international de droit canonique, qui se sont réunis à Milan du 10 au 15 septembre sur le thème: "Personne et droit dans la vie de l'Eglise", viennent à Castel Gandolfo pour une audience avec le Pape. Dans son allocution Paul VI, reprenant le thème de leur congrès, insiste sur la nécessité et le fondement d'une théologie du droit qui assume les Principes de la Révélation.

Nous vous accueillons avec une affectueuse et profonde estime, touché par le désir que vous avez eu de venir spécialement à Rome pour cette audience, au terme de votre deuxième Congrès international qui s'est tenu la semaine dernière à Milan, sous les auspices de l'Université catholique du Sacré-Coeur. Nous remercions l'éminent professeur Orio GIACCHI des nobles paroles qu'il Nous a fait parvenir et qui Nous ont bien attesté l'esprit dans lequel le Comité d'organisation et vous tous avez donné vie à cette rencontre si riche et si représentative, qui fait dignement suite à celle de janvier 1972 , dont Nous gardons encore le souvenir vivant. Nous félicitons aussi l'Athénée catholique italien, où les études juridiques sont particulièrement cultivées, d'avoir favorisé et accueilli une si belle initiative qui fait honneur à la recherche prestigieuse des canonistes.
Nous vous remercions de cette présence, en raison non seulement du réconfort personnel qu'elle Nous donne, mais spécialement de la signification toute particulière que, objectivement parlant, elle revêt en elle-même.

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I.DROIT CANONIQUE ET SCIENCES SACREES

Comme vous le savez, on a voulu, sans bienveillance, jeter la suspicion sur le droit de l'Eglise. Certains pensent que l'Eglise, en tant que société visible, ne doit pas avoir besoin d'un droit propre et qu'elle peut se contenter de règlements ou de dispositions internes. D'autres n'ont pas vu que, à la lumière du deuxième Concile du Vatican, ce droit est profondément enraciné dans le mystère même de l'Eglise. Mais par votre témoignage d'experts au niveau international, vous nous dites quelle importance a le droit en cet instant particulier de la vie de l'Eglise et du monde, après le deuxième Concile du Vatican, et avec quelle attention doit être suivi le travail intense qui est en cours pour la révision et la réforme de ce droit.
Comme Nous l'avons dit en d'autres circonstances, l'étude du droit canonique est nécessaire, parce qu'elle est une voie d'accès à la vie concrète de l'Eglise. Par le moyen d'institutions renouvelées ou entièrement nouvelles qui doivent être mises sur pied et éprouvées par l'expérience, l'esprit du Concile doit être en mesure de s'exprimer et d'être traduit dans la pratique. C'est pourquoi, à l'occasion de votre premier Congrès international, Nous vous avions dit qu'en approfondissant la doctrine de l'Eglise et en mettant en relief l'aspect mystique qui lui est propre, le Concile "a obligé le canoniste à rechercher plus profondément dans la Sainte Ecriture et dans la théologie les raisons de sa doctrine" Disc au Congrès international de DC 1970 . Après le Concile, le droit canonique ne peut pas ne pas avoir des relations toujours plus étroites avec la théologie et les autres sciences sacrées. Il est en effet lui aussi une science sacrée, et non pas, comme certains le voudraient, un "art pratique" qui n'aurait d'autre tâche que de revêtir de formules juridiques les conclusions théologiques et pastorales le concernant. Le deuxième Concile du Vatican a clos définitivement le temps où certains canonistes ne voulaient pas considérer l'aspect théologique des disciplines étudiées ou des lois appliquées. Aujourd'hui, il est impossible d'étudier le droit canonique sans une sérieuse formation théologique. Ce que l'Eglise a demandé à ses ministres pourra être demandé aussi aux laïcs qui étudient ou enseignent son droit, ou sont appelés à l'appliquer dans l'administration de la justice et dans l'organisation de la communauté ecclésiale. Le rapport intime entre le droit canonique et la théologie se pose donc avec urgence. La collaboration entre canonistes et théologiens doit devenir plus étroite. Aucun domaine de la Révélation ne peut demeurer ignoré si l'on veut exprimer et approfondir dans la foi le mystère de l'Eglise, dont l'aspect institutionnel a été voulu par son Fondateur et appartient essentiellement à son caractère fondamentalement sacramentel LG 1.

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II - PERSONNE ET DROIT DANS L'EGLISE

Cette étroite osmose entre la théologie et le droit est du reste bien exprimée par le thème de votre congrès: "Personne et droit dans l'Eglise". Ce thème, vous l'avez, à juste titre, étudié sous tous ses aspects, parce que non seulement il entre dans le vif d'un problème auquel on est aujourd'hui très sensible, mais il rappelle des principes fondamentaux de la Révélation et du Magistère sur lesquels Nous voudrions Nous arrêter un instant avec vous.

1 - La personne humaine

La personne humaine d'abord. Elle est revêtue d'une dignité et d'une liberté très grandes, parce que l'homme est crée à l'image de Dieu, comme l'attestent les magnifiques premières pages de la Sainte Ecriture. Et parce que image de Dieu, l'homme a réellement une nature spirituelle, existant en elle- même, qui constitue un tout ontologique, ouvert à la vérité, à la bonté et à la beauté qu'il recherche pour parvenir à sa perfection, jusqu'à ce qu'il les trouve en Dieu, vérité, bonté et beauté absolues, dans lequel son coeur inquiet pourra finalement reposer (St Augustin Confessions I, 1). C'est pourquoi l'homme - personne est pour nous le sommet de toute la création.
Là est la racine de sa grande dignité, qui brille dans sa spiritualité et dans sa liberté personnelle. De sorte que l'homme ne peut jamais être considéré comme un simple instrument que d'autres peuvent utiliser. C'est ce que malheureusement semble parfois ignorer l'état d'esprit technique et politique d'aujourd'hui, en oubliant les valeurs et les droits de l'esprit humain. De plus, c'est la personne qui fonde la vie sociale, dans laquelle elle s'intègre et se développe. Et même, il n'y a pas de vraie vie sociale si on ne reconnaît pas que son fondement et sa fin sont précisément la personne humaine. L'homme n'est pas une personne parce qu'il est social; il est social parce qu'il est une personne. Les rapports sociaux ne sont pas autre chose que des rapports entre personnes, destinés à assurer le bien commun. En conséquence, la vie sociale exige un ordre et une autorité qui garantissent cet ordre, qui assurent l'exercice de la liberté et l'épanouissement pacifique de toute la personne, insérée harmonieusement dans la société.

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2 - L'Eglise, société surnaturelle

Quel rapport existe-t-il entre l'homme-personne et l'Eglise? Si l'Eglise est une société religieuse, et de plus surnaturelle, comment peut-elle inclure en elle-même des éléments institutionnels? Les rapports avec Dieu ne sont-ils pas tellement intimes, personnels, uniques, qu'ils sont incompatibles avec une organisation externe? Telles sont les interrogations, ou plutôt les défis qu'aujourd'hui on entend le plus souvent. La réponse a déjà été donnée par le pape Pie XII, dans l'encyclique Mystici Corporis, où il a souligné que l'Eglise ne se réduit pas a une organisation externe, mais qu'elle a une vie intime qui est la vie du Christ en elle. Elle possède, en effet, un "principe interne" qui "n'est pas de l'ordre naturel, mais de l'ordre surnaturel, et qui, bien mieux, est en lui-même quelque chose d'absolument infini et incréé, à savoir l'Esprit de Dieu qui, selon saint Thomas (De veritate q. 29 a. 4 c), 'un et unique, remplit toute l'Eglise et en fait l'unité' "(Enc. Mystici Corporis 29-6-1943).
Le deuxième Concile du Vatican a développé ces grandes idées en suivant cette profonde méditation sur la réalité de l'Eglise, qui a constitué l'ecclésiologie de ces dernières décennies. Dès le début de la constitution Lumen Gentium, le Concile a présenté l'Eglise comme le mystère du salut, parce que, comme Nous l'avons déjà dit, elle est "dans le Christ en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain" LG 1, C'est parce qu'elle est sacrement d'unité et de salut pour les hommes que l'Eglise apparaît comme une réalité absolument unique, composée d'un élément à la fois intérieur et extérieur, pour exercer sa mission dans le monde. Elle est le corps social du Christ; elle a pour âme l'Esprit- Saint qui informe ce corps et l'enrichit d'une double relation sociale. L'Eglise, avant tout, assure à ses membres l'union avec Dieu et l'efficacité surnaturelle de leur action. Et donc, animée par l'Esprit, elle rassemble le Corps mystique. Dans ce Peuple de Dieu, l'Esprit transfigure les hommes en fils de gloire et leur fait crier "Abba, Père" Rm 8,15 il est l'âme de leur action.
Par conséquent, la constitution de l'Eglise est à la fois pneumatique et institutionnelle. L'Eglise est le mystère de salut rendu visible par sa constitution de vraie société humaine et par son activité externe. C'est ainsi que dans l'Eglise, en tant qu'union sociale humaine, les hommes s'unissent dans le Christ et, par lui, avec Dieu, parvenant ainsi au salut. L'Esprit-Saint est présent en elle, et il est à l'oeuvre dans tout le déploiement de sa vie. Cela revient à dire que l'Eglise-institution est en même temps intrinsèquement spirituelle, surnaturelle.
Dans l'Eglise, les droits et les devoirs ont donc un caractère surnaturel. Si l'Eglise est un dessein divin - Ecclesia de Trinitate - , ses institutions, bien que perfectibles, doivent avoir pour fin de communiquer la grâce de Dieu et de favoriser, selon les dons et la mission de chacun, le bien des fidèles, but essentiel de l'Eglise. Ce but social, le salut des âmes, demeure le but suprême des institutions, du droit, des lois. Le bien commun de l'Eglise rejoint donc un mystère divin, celui de la vie de la grâce, que tous les chrétiens appelés à être fils de Dieu vivent en participant à la vie trinitaire: Ecclesia in Trinitate. Dans ce sens, le deuxième Concile du Vatican a parlé de l'Eglise aussi comme "communion" LG 4 LG 9 LG 13, en mettant ainsi en lumière le fondement spirituel du droit dans l'Eglise, lequel est ordonné au salut de l'homme. Et alors, dans cette structure de communion et de grâce, le droit devient droit de charité pour le Corps de l'Eglise tout entier.

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3 - La personne humaine dans l'Eglise-Communion

Pour pouvoir être inséré dans cette "communion", il faut avant tout posséder l'Esprit du Christ: "Si quelqu'un n a pas l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas" Rm 8,9 LG 14 C'est la vie sacramentelle qui confère aux fidèles l'Esprit- Saint, particulièrement par le caractère baptismal, qui unit le baptisé au Christ d'une façon vraie et réelle, afin que, en vertu de cette union et de cette configuration, il puisse travailler non seulement à son propre salut, mais au salut des autres. L'union sacramentelle avec le Christ, médiateur et chef de notre alliance, se manifeste comme le fondement de la personnalité dans l'ordre surnaturel. Dans l'Eglise, la personne humaine trouve donc toute sa dignité, parce que le baptisé peut efficacement tendre à Dieu-Trinité, sa fin ultime, à laquelle il est ordonné en vue d'avoir part à sa vie et à son amour infini. Et la nouvelle liberté du baptisé - "la liberté de la gloire des enfants de Dieu" Rm 8,21 - est la liberté propre de la personne humaine, mais une liberté élevée à un degré exceptionnel, parce que, lorsqu'il en use, non seulement l'homme n'est plus soumis à la loi du péché et de la nature désordonnée, mais, éclairé et revigoré par l'Esprit, il peut poursuivre son chemin vers Dieu - Trinité.
Cette liberté se concrétise dans les droits fondamentaux d'ordre surnaturel correspondant aux biens surnaturels. Mais parce que les baptisés sont unis non seulement intérieurement, mais socialement au Christ, en formant en lui un unique corps, la charité ecclésiale, l'union fraternelle des hommes acquiert valeur de signe au sein de la communion existant dans l'Eglise. Cela signifie que la vie chrétienne doit se dérouler dans cette communion: les droits fondamentaux d'ordre surnaturel sont destinés à être acquis et exercés dans l'Eglise, droits auxquels correspondent des devoirs précis, parmi lesquels les devoirs fondamentaux de professer la foi de l'Eglise et de reconnaître les sacrements ainsi que la constitution hiérarchique. Les réalités conférées sacramentellement sont ordonnées à se réaliser dans l'Eglise: la communion est l'union des baptisés, réalité spirituelle, mais socialement représentée; les baptisés ne sont qu'un dans le Christ, parce qu'ils lui sont unis par l'Esprit-Saint qui leur est conféré par la voie des sacrements. Le principe d'activité de cette communication spirituelle et sociale est l'Esprit, dont toute l'action tend à l'édification du Corps du Christ.

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4 - La communion hiérarchique

Par ailleurs, la communion ecclésiale ne peut exister socialement ni avoir d'influence efficace sur la vie chrétienne s'il n'y a pas à son origine un ministère hiérarchique de parole, de grâce, de guide pastoral, et que de cette façon l'ordre et la paix soient assurés. C'est pourquoi il appartient à la communion hiérarchique, créée et informée par l'Esprit du Christ, de veiller à ce que l'ordre et la paix règnent réellement, que l'unité de la communion soit conservée et que la vie de celle-ci se déroule de façon à donner un témoignage, également missionnaire, du Christ.
La communion de l'Eglise est ordonnée à l'édification du corps social du Christ. L'accomplissement de la tâche confiée à l'Eglise du Christ requiert donc aussi la coopération de tous les fidèles. Par contre, c'est à la communion hiérarchique qu'il appartient d'exercer les tâches qui lui sont propres et qui ne relèvent pas du sacerdoce commun des fidèles, car ceux- ci n'en ont reçu en propre ni la mission ni le pouvoir, ni le don de l'Esprit qui leur est lié d'une façon spéciale. Le Pasteur suprême de l'Eglise représente l'Eglise universelle, parce qu'il représente le Christ devant toute la communion des pasteurs et des fidèles. Pour le même motif, l'évêque représente l'Eglise particulière dont il est le chef.
Mais, comme Nous l'avons dit, la communion hiérarchique est constituée par un don de l'Esprit, et, par ce don, elle s'applique principalement à continuer la mission du Christ dans toute son ampleur. Donc, également tout ce qui est imposé pour garantir l'ordre et la paix dans la communauté des chrétiens - voilà le droit canonique au for externe - procède en dernière analyse de l'Esprit, et par conséquent, bien loin de porter préjudice à la liberté et à la dignité de la personne, valorise celles-ci et les défend.

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Unité de l'action objective et charismatique de l'Esprit

Le don de l'Esprit, conféré à tous les baptisés, est le fondement tant de la liberté des fils de Dieu dans l'exercice de leurs droits dans l'Eglise, que des dons charismatiques qu'il confère directement aux fidèles. Dans sa conscience, l'homme, étant donné sa nature spirituelle, est toujours ordonné directement à Dieu, et il ne trouve sa perfection qu'en Dieu. Le don de l'Esprit élève ce rapport fondamental et ontologique avec Dieu à un niveau surnaturel. Et parce que, dans l'Eglise, les fidèles constituent une seule communion avec le Christ, exprimée par un signe institutionnel et social, c'est encore le don de l'Esprit qui rend surnaturels la personnalité, la dignité, la liberté, les droits du baptisé. Ce même don unit toujours les fidèles en un mutuel rapport d'amour, de telle sorte que leur position dans la communion exclut de soi tout caractère égocentrique et individualiste. Il en résulte, et Nous ne ferons que le rappeler, que la responsabilité de chacun dans l'organisation sociale de l'Eglise - responsabilité n'autorisant certainement pas une liberté qui consisterait à s'émanciper de l'autorité et de la loi - appelle elle aussi au libre don de soi, avec une exigence plus grande vis-à-vis de soi-même et des autres.
Les principes directeurs de la révision du Code de droit canonique tiennent compte de ces présupposés théologiques; ils visent à la protection juridique des droits de chaque fidèle, et aussi de chaque homme en tant que tel. Le nouveau Code répond, certes, à cet énoncé. Cependant, même avec ce postulat, on ne doit pas atténuer le devoir qu'ont les pasteurs de pourvoir efficacement au bien commun de leur communauté et, en dernière analyse, au salut des hommes.
La hiérarchie des pasteurs, en communion avec le Pasteur suprême, est l'instrument du Seigneur, par le fait que le Seigneur lui-même agit objectivement dans leur ministère par son Esprit. Ce serait donc une erreur de considérer comme action de l'Esprit uniquement celle par laquelle il distribue à chacun ses charismes particuliers. L'Esprit-Saint a institué les Apôtres pour gouverner l'Eglise de Dieu Ac 20,28 Jn 16,13 Le charisme ne peut être opposé à la fonction dans l'Eglise, parce que c'est le même Esprit qui est à l'oeuvre, en premier lieu, dans et par la fonction. Pour cette raison, tous les membres de l'Eglise sont tenus de reconnaître en elle l'exigence d'une loi. Si celle-ci faisait défaut, la communion dans le Christ ne pourrait pas être socialement réalisée et elle ne pourrait pas opérer efficacement. Saint Paul lie l'exercice des charismes à la loi existant dans l'Eglise 1Co 14,37-40 En effet, l'Esprit- Saint ne peut pas se contredire de même qu'il confère les charismes, de même ceux-ci sont subordonnés à son action par le moyen de la fonction. Comme l'a bien dit le Concile: "Unique est l'Esprit qui distribue ses dons variés pour le bien de l'Eglise" LG 7. Pour cette raison, tous les éléments institutionnels et juridiques sont sacrés et spirituels, parce que vivifiés par l'Esprit. En réalité, de par leur même source, il y a entre l'Esprit et le droit une union où l'élément spirituel est déterminant. L'Eglise du "droit" et l'Eglise de la "charité" sont une seule réalité, dont la vie intérieure a pour signe extérieur la forme juridique. Il est donc évident que cette union doit être conservée dans l'exercice de toute charge et de tout pouvoir au sein de l'Eglise, parce que toute activité de l'Eglise doit manifester et promouvoir la vie spirituelle. La même chose peut être dite de la législation canonique, comme de toute autre activité extérieure de l'Eglise qui, tout en étant activité humaine, doit être informée par l'Esprit. Le double caractère de l'Eglise, spirituel et surnaturel d'une part, institutionnel et juridique d'autre part, loin de devenir source de tension, est toujours orienté vers le bien de l'Eglise, laquelle est intérieurement animée et extérieurement scellée par l'Esprit- Saint. Et cela paraît d'autant plus vrai si l'on pense que le caractère institutionnel et juridique de l'Eglise (qui prévaut au for externe et dans l'ordre hiérarchique), loin de faire obstacle à l'ordre spirituel et surnaturel (qui prévaut dans les âmes des fidèles, à l'ensemble desquels sont ouverts les degrés supérieurs de l'ordre de la grâce) le protège, le promeut et l'exalte. Dans l'échelle de la grâce les premiers sont les petits Mt 18,3-4 Mt 19,14 C'est pourquoi les pauvres, ceux qui souffrent, ceux qui ont le cour pur, ont-ils la première place dans les Béatitudes, dans la sainteté. Le Seigneur nous enseigne même que "collecteurs d'impôts et prostituées vous précéderont dans le Royaume de Dieu", si dans la foi et la pénitence ils ont mieux répondu à son appel Mt 21,31 L'Eglise hiérarchique reconnaît, par exemple, cette supériorité de la grâce et de la sainteté dans la canonisation des meilleurs de ses fils, les élus, même s'ils sont d'humbles fidèles.

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III.- POUR UNE THEOLOGIE DU DROIT

Revenons donc à ce que Nous avons dit au début: aujourd'hui est nécessaire une théologie du droit assumant tout ce que dit la Révélation divine sur le mystère de l'Eglise. Dans les différents aspects de la question de la personne et du droit dans l'Eglise, est présente l'action à la fois secrète et extérieurement manifeste de l'Esprit. C'est cette action qui doit faire l'objet de votre réflexion. Comme Nous l'avons souligné récemment, à la christologie et à l'ecclésiologie du Concile doivent faire suite une étude nouvelle et un culte renouvelé de l'Esprit-Saint, comme complément indispensable de l'enseignement du Concile. Nous voudrions inviter aussi les canonistes à participer à cet effort. Le travail accompli par le Concile postule une théologie du droit, qui non seulement approfondisse, mais perfectionne l'effort déjà entrepris par le Concile.
Si le droit de l'Eglise a son fondement en Jésus-Christ, s'il a valeur de signe de l'action interne de l'Esprit, il doit exprimer et favoriser la vie de l'Esprit, produire les fruits de l'Esprit, être instrument de grâce et lien d'unité, sur un plan cependant subordonné et distinct de celui des sacrements, qui sont d'institution divine. Le droit définit les institutions, détermine les exigences de la vie par des lois et des décrets, complète les traits essentiels des rapports juridiques entre fidèles, pasteurs et laïcs par ses prescriptions, lesquelles sont parfois des conseils, des exhortations, des directives de perfection, des indications pastorales. Limiter le droit de l'Eglise à un ordre rigide d'injonctions serait faire violence à l'Esprit qui nous guide vers la charité parfaite dans l'unité de l'Eglise. Votre première préoccupation ne sera donc pas d'établir un ordre juridique purement calqué sur le droit civil, mais d'approfondir l'action de l'Esprit, qui doit s'exprimer aussi dans le droit de l'Eglise.
Vénérés maîtres, si votre congrès est terminé, votre travail, lui, ne l'est pas. Il doit reprendre plus intense, éclairé par les recherches que vous avez entreprises et illustrées, stimulé surtout par les exigences de l'Esprit qui est à l'oeuvre dans l'Eglise, comme Nous avons voulu vous le montrer pour vous faire participer à Nos sollicitudes. Et Nous sommes certain que vous ferez vôtres ces voeux que Nous formons du fond du coeur pour la grande oeuvre du renouveau du droit de l'Eglise, pour son étroite union avec la théologie et son progrès dans la vie de l'Eglise.
Dans cette joyeuse confiance, Nous vous bénissons tous au nom du Seigneur, en invoquant sur vous et sur ceux qui vous sont chers l'abondance des grâces divines.


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A la Rote 1939-2009 7209