A la Rote 1939-2009 8410

1984 Rôle des canonistes dans la vie de l’Eglise

LE ROLE DES CANONISTES DANS LA VIE DE L'ÉGLISE

(19 août 1984)

Message au Congrès d'Ottawa

A l'occasion du 5ème Congrès international d'étude sur le droit canon qui s'est ouvert à Ottawa le 19 août, le Pape a adressé le message suivant à Mgr Plourde

(Texte anglais dans l'O.R. 24 août Traduction, titre et notes de la DC) :

A MON VÉNÉRABLE FRÈRE JOSEPH PLOURDE, ARCHEVÊQUE D'OTTAWA,

Ayant appris la tenue, à Ottawa, du prochain Congrès de la Consociatio internationalis studio iuris canonici promovendo, je vous écris pour vous demander d'assurer tous les participants de mon profond intérêt pastoral et de ma communion dans la prière.
Je suis heureux d'apprendre que le thème choisi pour le Congrès est le nouveau Code de droit canon. Il est certainement tout à fait juste que, peu après la promulgation de la nouvelle législation de l'Église, des efforts particuliers soient faits pour développer une compréhension plus approfondie de sa signification et de sa pertinence. Je ne doute pas que, tous, vous ne vous efforciez déjà de le faire dans vos Églises locales et communautés, chacun d'entre vous apportant une contribution unique et importante. Le présent Congrès vous aidera très certainement dans cette entreprise comme il vous aide à élargir votre connaissance du contenu du nouveau Code de droit canon et à approfondir le jugement que vous portez sur lui en tant qu'instrument au service de l'Église en son ensemble, de chaque personne et de chaque communauté locale.

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Rôle et importance du Code

L'Église est l'édifice de Dieu, dont le Christ est la pierre angulaire; de cette fondation l'Église reçoit sa permanence et sa solidité
LG 6. On peut donc dire que la légitimité et la portée des différents éléments de la vie et de la structure de l'Église résident dans la relation de ces éléments à la volonté du Christ, fondateur et tête du Corps. En ce sens, le présent Code, qui énonce des principes essentiels et proclame les normes nécessaires au juste ordonnancement de la société ecclésiale, doit être regardé comme "une précieuse dotation, un don du Christ à son Église: un don que toute la communauté ecclésiale doit recevoir avec joie et gratitude. En tant que telles, les lois de la discipline canonique appellent une réponse qui est nourrie par une vision de la foi et vivifiée par l'amour.
De plus, la nouvelle version du Code de droit canon met en application les directives et le véritable esprit du Concile Vatican II, qui a suscité de la part de la communauté catholique une réponse si généreuse et a été de même bien reçu par d'autres Églises chrétiennes et communautés ecclésiales. C'est là mon espoir fervent - et un souhait qui se conforme à la nature spécifique du ministère pastoral universel du vicaire du Christ - que le Code ainsi révisé puisse pénétrer encore plus pleinement la vie du Peuple de Dieu, contribuant ainsi à cette réforme continue dont l'Église a besoin et que le Concile a si ardemment soutenue UR 6.

A cette occasion, je souhaiterais rappeler ce que j'ai déclaré dans la Constitution apostolique Sacrae disciplinae leges sur le rôle du Code CIC 1780.
Le Code de droit canon est tout à fait indispensable à l'Église. Étant donné que l'Église est établie en tant que structure sociale visible, elle doit aussi avoir des normes, afin que sa structure hiérarchique et organique soit visible; afin que l'exercice des fonctions dont elle a été investie par voie divine, et spécialement celle du pouvoir sacré et de l'administration des sacrements, puisse être convenablement organisé; afin que les relations des fidèles entre eux puissent être établies conformément à la justice fondée sur la charité, les droits des individus étant garantis et définis de façon précise; afin que, en dernier lieu, les initiatives communes prises pour vivre une vie chrétienne de manière encore plus parfaite puissent être entretenues, renforcées et encouragées par les lois canoniques.

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Rôle et Importance des Canonistes

Si le Code est nécessaire à l'Église, de même le sont les canonistes qui connaissent parfaitement la nouvelle législation, qui peuvent aider à l'interpréter convenablement et conformément aux enseignements du Concile Vatican II et qui sont à même de l'appliquer avec équité et charité. C'est là le grand défi et la responsabilité qui échoit à ceux qui, en 1984, rendent un service vital à l'Église en étudiant la loi canonique et en l'appliquant convenablement à la vie et à la mission de l'Eglise.
Une réelle compréhension du rôle des canonistes au sein de la communauté ecclésiale ne peut procéder que d'une prise en considération adéquate de l'objectif de la loi elle-même et du Code qui la consacre. Comme le met en évidence la Constitution apostolique mentionnée ci-dessus, le but du Code est "de créer dans la société ecclésiale un ordre tel que, tout en donnant la primauté à l'amour, à la grâce et aux charismes, il facilite en même temps leur développement organique à la fois dans la vie de la société ecclésiale et dans celle des individus qui en font partie". En ce sens, le Code est un "outil indispensable" de la vie de l'Église et de sa vitalité.
Travailler à la mise en oeuvre appropriée du Code revient à travailler à l'édification de l'Église elle-même. C'est travailler au salut du monde. C'est jouer un rôle extraordinairement constructif dans la poursuite de la mission rédemptrice du Christ lui-même. Les canonistes doivent être conscients de leurs graves responsabilités dans la tâche d'affermir la vie de l'Église à tous les niveaux, conformément à l'esprit de l'Évangile, en surmontant les incertitudes et en bannissant le laxisme dans la pratique d'une discipline qui, parce qu'elle est ordonnée à la vie et à la mission de l'Eglise, est véritablement sainte et salvifique.

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Code dernier document majeur demandé par le Concile

Je souhaite donc exprimer mon admiration pour la contribution inestimable apportée par les canonistes à la mission pastorale et apostolique de l'Église. Comme je l'ai déclaré en d'autres occasions, le nouveau Code est le dernier document majeur demandé par le Concile. Avec sa promulgation, nous sommes arrivés à une nouvelle étape dans l'accomplissement de ce renouveau intérieur que le Concile avait en vue et pour lequel nous continuons à travailler et prier. Puissent tous les canonistes persévérer dans ce travail essentiel auquel ils ont à faire face, comme de généreux serviteurs, toujours désireux de se laisser guider par l'Esprit-Saint, comme de fidèles agents cherchant à mettre leurs compétences et leurs dons au service de la volonté du Père.
Avec ces sentiments, je prie pour que l'Esprit de vérité et d'amour affermisse tous ceux qui sont réunis à Ottawa pour cet important congrès. Sur vous tous, j'invoque la grâce et la paix de notre Seigneur Jésus-Christ et vous accorde de tout cœur ma bénédiction apostolique.

IOANNES PAULUS PP. II



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1985 - Aucune trace d'un discours à la Rote

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1986 Au service de la Justice et de la Vérité

AU SERVICE DE LA JUSTICE ET DE LA VERITE.

30/01/1986

1.- C'est pour moi une grande joie de vous rencontrer chaque année, pour réaffirmer l'importance de votre ministère ecclésial et la nécessité de votre activité judiciaire; elle est service de la justice, elle est service de la vérité; un service rendu à Dieu devant qui vous prononcez vos sentences, et un service au Peuple de Dieu et à toute personne de bonne volonté qui s'adresse au Tribunal de la Rote romaine.
Aussi j'adresse à chacun d'entre vous mon salut le plus cordial, qui est accompagné de sentiments de grande estime et de gratitude pour votre tâche, parfois difficile et lourde, et cependant si nécessaire.
Je salue ensuite de manière particulière le nouveau Doyen, Ernesto Fiore: et je forme des voeux pour qu'il contribue, avec votre diligente collaboration, à l'oeuvre constante d'adapter le Tribunal aux besoins du monde actuel et aux nécessités pastorales de notre temps.
Je me rends compte des difficultés que vous devez affronter dans l'accomplissement de votre tâche, qui vous engage à trancher selon la loi canonique des questions et des problèmes concernant les droits subjectifs, qui impliquent en même temps la conscience de ceux qui s'adressent à vous. Souvent ils se retrouvent perdus et troublés devant les avis différents qui leur viennent de tous côtés. Je saisis aussi volontiers l'occasion de cette audience pour vous exhorter à un service de vraie charité à leur égard, assumant pleinement votre responsabilité devant Dieu, suprême législateur, qui ne manquera pas, si vous l'invoquez, de venir à votre aide par la lumière de sa grâce, pour que vous puissiez être à la hauteur des attentes que l'on met en vous.

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2. Il me semble important aujourd'hui de souligner - comme je l'ai déjà fait dans le discours adressé aux Cardinaux le 21 novembre dernier (DC 1986 n.8 1909 p.10-13) - la préoccupation de l'unité fondamentale avec le ministère de Pierre. A ce "munus Petrinum", la Curie romaine offre une collaboration qui est rendue toujours plus urgente, soit par l'importance des problèmes qui se posent dans le monde, soit par le devoir de maintenir une et catholique la profession de foi, soit encore par l'exigence d'orienter et de soutenir le Peuple de Dieu dans la compréhension fidèle du Magistère de l'Eglise. Ce service de l'unité est toujours plus nécessaire par le fait que l'Eglise s'étend à tant de pays et de continents divers et unit au trésor de la Révélation et de la foi chrétienne des cultures multiples et différentes, qui deviennent à leur tour meilleures dans la mesure où elles reconnaissent les valeurs dont le Verbe incarné est le défenseur et le garant, comme Fils du Père et Rédempteur de l'homme. L'homme doit entrer comme fils adoptif dans cette filiation divine pour être ainsi non seulement lui- même mais pour répondre toujours mieux aux intentions de Dieu, qui l'a créé à son image et à sa ressemblance.
Votre mission est grande! Elle doit maintenir, approfondir, défendre et éclairer ces valeurs divines que l'homme porte en lui comme instrument de l'amour divin. En tout homme, il y a un signe de Dieu à reconnaître, une manifestation de Dieu à mettre en relief, un mystère d'amour à exprimer en le vivant selon les vues de Dieu.

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Le sens du mariage chrétien.

3. " Dieu est amour! " Cette simple affirmation de saint Jean 1Jn 4,8 1Jn 4,16 est la clef du mystère humain. Comme Dieu, l'homme aussi sera amour: il a besoin d'amour, il doit se sentir aimé et, pour être lui-même, il doit aimer, il doit se donner, il doit faire aimer cet amour. Dieu est Trinité d'amour: don réciproque du Père et du Fils qui aiment leur amour personnel, l'Esprit-Saint. Nous savons que ce mystère divin éclaire la nature et le sens profond du mariage chrétien, qui est la réalisation la plus parfaite du mariage naturel. Celui-ci, depuis le commencement, porte l'empreinte de Dieu: " Dieu créa l'homme à son image; mâle et femelle il les créa et il leur dit: Croissez et multipliez-vous! " Gn 1,27-28
Tout mariage entre baptisés est un sacrement. Il est sacrement en vertu du baptême, qui introduit notre vie en celle de Dieu, nous rendant "participants de la nature divine" 2P 1,4 moyennant l'incorporation à son divin Fils, Verbe incarné, dans lequel nous ne formons qu'un seul corps, l'Eglise 1Co 10,17.
On comprend alors pourquoi l'amour du Christ envers l'Eglise a été comparé à l'amour indissoluble qui unit l'homme à la femme et comment il peut être efficacement signifié par ce grand sacrement qu'est le mariage chrétien, destiné à se développer dans la famille chrétienne, Eglise domestique LG 11 (b), de la même manière que l'amour du Christ et de l'Eglise assure la communion ecclésiale, visible et porteuse dès maintenant des biens célestes LG 8 (a).
Voici pourquoi le mariage chrétien est un sacrement qui opère une sorte de consécration à Dieu GS 48 (b); c'est un ministère de l'amour qui, par son témoignage, rend visible le sens de l'amour divin et la profondeur du don conjugal vécu dans la famille chrétienne; c'est un engagement de paternité et de maternité dont l'amour réciproque des personnes divines est la source, l'image infiniment parfaite, inégalable. Ce mystère s'affirmera et se réalisera par toute participation à la mission de l'Eglise, dans laquelle les époux chrétiens doivent donner la preuve de leur amour et témoigner l'amour qu'ils vivent entre eux, avec et par leurs enfants, en cette cellule ecclésiale, fondamentale et irremplaçable qu'est la famille chrétienne.

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Participation au ministère de Pierre.

4. Si j'évoque devant vous la richesse et la profondeur du mariage chrétien, je le fais principalement pour souligner la beauté, la grandeur et l'étendue de votre mission, étant donné que la plus grande partie de votre travail concerne des causes matrimoniales. Votre travail est judiciaire, mais votre mission est évangélique, ecclésiale et sacerdotale, restant en même temps humanitaire et sociale.
Même si la validité d'un mariage suppose des éléments essentiels qui, sous le profil juridique, doivent être clairement exprimés et techniquement appliqués, il est toutefois nécessaire de considérer ces éléments dans leur pleine signification humaine et ecclésiale. En soulignant cet aspect théologique dans l'élaboration des sentences, vous offrirez la vision du mariage chrétien voulu par Dieu comme image divine et comme modèle et perfection de toute union conjugale humaine. Ceci vaut pour toute culture. La doctrine de l'Eglise ne se limite pas à son expression canonique et cette dernière - comme le veut le Concile Vatican Il - doit être vue et comprise dans l'ampleur du mystère de l'Eglise OT 16 Cette norme conciliaire souligne l'importance du droit ecclésial - Jus ecclesiale - et en éclaire opportunément la nature de droit de communion, droit de charité, droit de l'Esprit.

5. Vos sentences, éclairées par ce mystère d'amour divin et humain, acquièrent une grande importance en participant - de manière vicaire - au ministère de Pierre. En effet, en son nom vous interrogez, vous jugez et vous prononcez la sentence. Il ne s'agit pas d'une simple délégation, mais d'une participation plus profonde à sa mission.
Sans doute, l'application du nouveau Code peut courir le risque d'interprétations innovatrices imprécises et incohérentes, particulièrement dans le cas de perturbations psychiques invalidant le consentement matrimonial CIC 1095, ou dans celui de l'empêchement de dol CIC 1098 et de l'erreur conditionnant la volonté CIC 1099, comme aussi dans l'interprétation de certaines normes nouvelles de procédure.
Ce risque doit être couru et surmonté avec sérénité par une étude approfondie, soit de la portée réelle de la norme canonique, soit de toutes les circonstances concrètes qui entourent le cas, en maintenant vive la conscience de servir uniquement Dieu, l'Eglise et les âmes, sans céder à une mentalité permissive superficielle qui ne tient pas suffisamment compte des exigences, auxquelles on ne peut déroger, du mariage-sacrement.

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La durée des procès.

6. Je voudrais aussi dire un mot sur le fait qu'il serait utile que l'examen des causes ne se prolonge pas trop longtemps. Je sais très bien que la durée d'un procès ne dépend pas seulement des juges qui doivent décider: il y a bien d'autres motifs qui peuvent causer du retard. Mais vous, à qui a été confiée la tâche d'administrer la justice pour porter ainsi la paix intérieure à tant de fidèles, vous devez vous efforcer au maximum de faire en sorte que l'iter se déroule avec cette sollicitude que requiert le bien des âmes et que prescrit le nouveau Code de droit canonique quand il affirme: " Les causes ne se prolongeront pas plus d'une année devant le tribunal de première instance et, en deuxième instance, au-delà de six mois. " CIC 1453.
Qu'aucun fidèle ne puisse tirer prétexte de la durée excessive d'un procès pour renoncer à proposer sa propre cause ou pour se désister, choisissant des solutions en nette opposition avec la doctrine catholique.

7. Avant de conclure, je voudrais encore vous exhorter à voir votre service ecclésial dans le contexte général de l'activité des autres dicastères de la Curie romaine, avec une référence spéciale à ceux qui s'occupent de matières qui ont une relation avec l'activité judiciaire en général et en particulier avec ce qui regarde le mariage.
Il faut en outre tenir compte de l'influence de la Rote romaine sur l'activité des tribunaux ecclésiastiques régionaux et diocésains. La jurisprudence rotale, en particulier, a toujours été et doit continuer à être pour eux un point sûr de référence.
Le " Studio " de la Rote (1) vous donne la possibilité de mettre votre doctrine et votre expérience judiciaire à la disposition de ceux qui se préparent à devenir juges ou avocats et de ceux qui veulent approfondir la connaissance du droit de l'Eglise. Grâce à cela, vous contribuez à la renaissance de l'intérêt pour l'étude du Code de droit canonique et vous fournissez l'occasion d'un approfondissement toujours plus grand de cette matière dans les Facultés de droit canonique.
(1)Le " Studio " de la Rote est une école supérieure de droit dont le but est de former les avocats et avoués de la Rote et les futurs juges, promoteurs de la foi et défenseurs du lien des tribunaux ecclésiastiques. Les élèves doivent être titulaires de la licence ou du doctorat en droit canonique.
Aussi, de grand coeur, je vous exprime ma vive satisfaction pour votre travail sérieux et constant et je bénis vos efforts et votre ministère.
Que Dieu, qui est amour, demeure toujours votre lumière, votre force, votre paix.


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1987 Causes psychologiques de nullité

05/02/1987

La difficile recherche des causes psychologiques de nullité de mariage.

1.Cette rencontre annuelle avec vous me procure une vive joie, chers Frères qui exercez votre activité au Tribunal de la Rote romaine. Je suis très reconnaissant à Mgr le Doyen, au Collège des prélats auditeurs, aux autres Officiers ainsi qu'aux avocats de la Rote, de la collaboration constante et diligente que vous m'apportez dans l'accomplissement du 'munus' judiciaire qui appartient au successeur de Pierre à l'égard de l'Eglise universelle. C'est un travail précieux, qui m'est offert par des personnes hautement qualifiées dans le domaine juridique et qui représentent la variété des langues et des cultures de tant de parties de la terre où l'Eglise de Dieu exerce sa mission.
Je vous suis également reconnaissant de votre promesse de fidélité à l'Evangile et à la Tradition, qui va de pair avec l'effort de traiter des besoins nouveaux de l'Eglise et d'approfondir la connaissance de l'authentique réalité humaine à la lumière de la vérité révélée.
Dans cette perspective, je voudrais consacrer aujourd'hui une attention particulière aux incapacités psychiques qui, spécialement en certains pays, sont devenues le motif d'un nombre élevé de déclarations de nullité de mariage.

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2. Nous connaissons bien les grands progrès accomplis par la psychiatrie et la psychologie contemporaines. On peut apprécier tout ce que ces sciences modernes ont fait et font encore pour éclairer les processus psychiques de la personne, conscients ou inconscients, ainsi que l'aide qu'elles apportent, par la pharmacothérapie et la psychothérapie, à de nombreuses personnes en difficulté. Les grandes recherches accomplies et l'incontestable dévouement de tant de psychologues et de psychiatres sont certainement dignes de louange. On ne peut pas, cependant, ne pas reconnaître que les découvertes et les acquisitions dans le domaine purement psychique et psychiatrique ne sont pas en mesure d'offrir une vision vraiment intégrale de la personne, en résolvant par elles seules les questions fondamentales qui concernent le sens de la vie et la vocation humaine. Certains courants de la psychologie contemporaine, cependant, outrepassant leur compétence spécifique, s'aventurent sur ce terrain et s'y meuvent sous l'impulsion de présupposés anthropologiques qui ne sont pas conciliables avec l'anthropologie chrétienne. D'où les difficultés et les obstacles dans le dialogue entre les sciences psychologiques et les sciences métaphysiques ou éthiques.
En conséquence, le traitement des causes de nullité de mariage pour limitations psychiques ou psychiatriques exige, d'une part, l'aide d'experts en ces disciplines qui évaluent, selon leur compétence propre, la nature et le degré des processus psychiques qui concernent le consentement matrimonial et la capacité de la personne à remplir les obligations essentielles du mariage; d'autre part, cela ne dispense pas le juge ecclésiastique, dans l'usage des expertises, du devoir de ne pas se laisser influencer par des concepts anthropologiques inacceptables, finissant par être impliqué dans des interprétations erronées de la vérité des faits et des significations.
En tout cas, il est hors de doute qu'une connaissance approfondie des théories élaborées et des résultats auxquels sont parvenues les sciences que nous avons mentionnées, offre la possibilité d'évaluer la réponse humaine à la vocation au mariage d'une manière plus précise et plus différenciée que ne le permettraient la seule philosophie et la seule théologie.

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Le besoin d'une vision anthropologique commune.

3. De ce que nous venons de dire, il apparaît que le dialogue et une communication constructive entre le juge et le psychiatre ou le psychologue sont plus faciles si, pour eux deux, le point de départ se situe sur l'horizon d'une anthropologie commune, de sorte que, malgré la diversité des méthodes et des intérêts et finalités, une vision reste ouverte à l'autre.
Si, au contraire, l'horizon à l'intérieur duquel se meut l'expert, psychiatre ou psychologue, est opposé ou fermé à celui dans lequel se meut le canoniste, le dialogue et la communication peuvent devenir source de confusion et de méprise. Le très grave danger qui découle de cette seconde hypothèse, en ce qui concerne les décisions sur la nullité du mariage, n'échappe à personne: le dialogue entre juge et expert, qui repose dès le départ sur une équivoque, peut en effet facilement porter à des conclusions fausses et dommageables pour le vrai bien des personnes et de l'Eglise.

4. Ce danger n'est pas qu'une hypothèse Si nous considérons que la vision anthropologique d'où proviennent de nombreux courants dans le champ des sciences psychologiques de l'époque moderne, est résolument, dans son ensemble, inconciliable avec les éléments essentiels de l'anthropologie chrétienne, parce qu'elle est fermée aux valeurs et aux sens qui transcendent le donné immanent et qui permettent à l'homme de s'orienter vers l'amour de Dieu et du prochain comme vers sa vocation ultime.
Cette fermeture est inconciliable avec cette vision chrétienne qui considère l'homme comme un être " créé à l'image de Dieu, capable de connaître et d'aimer son Créateur "GS 12 mais en même temps divisé en lui-même GS 10. Les courants psychologiques que nous avons rappelés, au contraire, partent, ou bien de l'idée pessimiste selon laquelle l'homme ne pourrait pas concevoir d'autre aspiration que celle qui lui serait imposée par ses pulsions ou par les conditionnements sociaux, ou bien, à l'opposé, de l'idée exagérément optimiste selon laquelle l'homme aurait en lui- même sa réalisation et pourrait l'atteindre par lui-même.

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5. La vision du mariage qu'ont certains courants psychologiques est telle qu'elle réduit la signification de l'union conjugale à un simple moyen de gratification personnelle ou d'auto-réalisation, ou de décompression psychologique.
En conséquence, pour les experts qui s'inspirent de ces courants, tout obstacle qui demande un effort, un engagement ou un renoncement et, encore plus, tout échec de fait de l'union conjugale, devient facilement la confirmation de l'impossibilité pour les présumés conjoints de comprendre de manière correcte et de réaliser leur mariage.
Les expertises conduites selon ces prémisses anthropologiques réductrices n'envisagent pas, en pratique, le devoir d'un engagement conscient de la part des époux à surmonter, même au prix de sacrifices et de renoncements, les obstacles qui s'opposent à la réalisation du mariage et, donc, évaluent toute tension comme un signe négatif et un indice de faiblesse et d'incapacité à vivre le mariage.
De telles expertises sont donc portées à élargir les cas d'incapacité du consentement même à des situations où, à cause de l'influence de l'inconscient dans la vie psychique ordinaire, les personnes font l'expérience d'une diminution, mais non pas de la privation, de leur liberté effective de tendre au bien qui a été choisi. Et, enfin, elles considèrent facilement aussi les psychopathologies légères ou même les déficiences d'ordre moral comme la preuve d'une incapacité à assumer les obligations essentielles de la vie conjugale.
Et il peut cependant arriver que ces manières d'envisager les problèmes soient parfois acceptées de manière non critique par des juges ecclésiastiques.

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Une occasion d'erreur.

6. Une telle vision de la personne et de l'institution matrimoniale est inconciliable avec le concept chrétien du mariage comme " communauté intime de vie et d'amour conjugal " dans laquelle les conjoints " se donnent et se reçoivent mutuellement " GS 48; CIC 1055 Par. 1.
Dans la conception chrétienne, l'homme est appelé à adhérer à Dieu comme à la fin ultime en laquelle il trouve sa réalisation, bien qu'il soit contrarié, dans la réalisation de la vocation qui est la sienne, par les résistances qui proviennent de sa concupiscence DS 1515. Les déséquilibres dont souffre le monde contemporain " ont un lien avec ce déséquilibre plus profond qui a sa racine dans le coeur de l'homme GS 10. Dans le domaine du mariage, cela entraîne que la réalisation du sens de l'union conjugale, par le don réciproque des époux, ne devient possible que par un effort continuel qui inclut aussi renoncement et sacrifice. L'amour entre les conjoints doit en fait se modeler sur l'amour même du Christ qui " a aimé et s'est donné lui-même pour nous, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur ". Ep 5,2 Ep 5,25

L'approfondissement de la complexité et des conditionnements de la vie psychique ne doit pas faire perdre de vue cette conception intégrale et complète de l'homme qui est appelé par Dieu et sauvé de ses faiblesses par l'Esprit du Christ GS 10 GS 13 Et cela surtout quand on veut dessiner une vision authentique du mariage, voulu par Dieu comme institution fondamentale de la société et élevé par le Christ au rang de moyen de grâce et de sanctification.
Donc, même les résultats des expertises, influencés par les conceptions dont nous avons parlé, constituent une réelle occasion d'erreur pour le juge qui ne s'aperçoit pas de l'équivoque anthropologique initiale. A travers ces expertises, on finit par confondre une maturité psychique qui serait le point d'arrivée du développement humain avec la maturité canonique qui, au contraire, est le point minimum de départ pour la validité du mariage.

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7. Pour le canoniste, le principe doit rester clair que seule l'incapacité, et non pas la difficulté, à donner le consentement et à réaliser une vraie communauté de vie et d'amour, rend nul le mariage. L'échec de l'union conjugale, par ailleurs, n'est jamais en soi une preuve pour démontrer cette incapacité des contractants: ceux-ci peuvent avoir négligé les moyens aussi bien naturels que surnaturels qui sont à leur disposition, ou en avoir mal usé, ou bien ne pas avoir accepté les limites inévitables et les pesanteurs de la vie conjugale, que ce soit par des blocages de nature inconsciente ou par des pathologies légères qui n'entament pas la liberté humaine dans son essence, ou que ce soit enfin à cause de déficiences d'ordre moral. On ne peut faire l'hypothèse d'une véritable incapacité qu'en présence d'une forme sérieuse d'anomalie qui, de quelque façon qu'on la définisse, doit entamer de manière substantielle les capacités de comprendre et/ou de vouloir de celui qui contracte.

8. Le juge ne peut donc pas, et il ne doit pas, attendre de l'expert un jugement sur la nullité du mariage, et il doit encore moins se sentir obligé par le jugement que l'expert aurait éventuellement exprimé en ce sens. L'évaluation de la nullité du mariage appartient uniquement au juge. La tâche de l'expert est seulement d'apprécier les éléments concernant sa compétence spécifique, c'est-à-dire la nature et le degré des réalités psychiques et psychiatriques à cause desquelles est revendiquée la nullité du mariage. En effet, le Code, aux CIC 1578-1579 exige expressément du juge qu'il évalue les expertises de manière critique. Il est important que, dans cette évaluation, il ne se laisse induire en erreur ni par des jugements superficiels ni par des expressions apparemment neutres mais qui, en réalité, contiennent des prémisses anthropologiques inacceptables.
De toute façon, il faut encourager tout effort aussi bien pour la formation de juges ecclésiastiques qui sachent découvrir et discerner les prémisses anthropologiques impliquées dans les expertises, que pour la formation d'experts dans les diverses sciences humaines, qui promeuvent une réelle intégration du message chrétien et du véritable et incessant progrès des recherches scientifiques conduites selon les critères d'une autonomie correcte GS 62.

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Le ministère du juge ecclésiastique.

9. La tâche ardue du juge - traiter avec sérieux des causes difficiles, comme celles concernant les incapacités psychiques au mariage, en tenant toujours compte de la nature humaine, de la vocation de l'homme et, en lien avec cela, de la juste conception du mariage - est certainement un ministère de vérité et de charité dans l'Eglise et pour l'Eglise. C'est un ministère de vérité, en tant qu'il défend l'authenticité du concept chrétien du mariage, même au milieu de cultures ou de modes qui tendent à l'obscurcir. C'est un ministère de charité envers la communauté ecclésiale, qui est préservée du scandale de voir détruite en pratique la valeur du mariage chrétien par la multiplication exagérée et quasi automatique des déclarations de nullité, en cas d'échec du mariage, sous le prétexte d'une quelconque immaturité ou faiblesse psychique des contractants. C'est un service de charité également envers les parties à qui, par amour de la vérité, on doit refuser la déclaration de nullité parce que ainsi on les aide au moins à ne pas se tromper sur les vraies causes de l'échec de leur mariage et on les garde du risque probable de se retrouver dans les mêmes difficultés lors d'une nouvelle union recherchée comme remède au premier échec, sans avoir d'abord employé tous les moyens pour surmonter les obstacles dont les époux ont fait l'expérience au cours de leur mariage valide. Et c'est enfin un ministère de charité à l'égard des autres institutions et organismes pastoraux de l'Eglise parce que le Tribunal ecclésiastique qui refuse de se transformer en une voie facile pour la solution des mariages qui n'ont pas réussi et des situations irrégulières entre les époux, empêche de fait la paresse dans la formation des jeunes au mariage, condition importante pour s'approcher du sacrement FC 66; 1981 , et il stimule un accroissement de l'effort dans l'usage des moyens pour la pastorale après le mariage FC 69-72 et pour la pastorale spécifique aux cas difficiles FC 77-85.
De cette manière, l'action du juge du Tribunal ecclésiastique est réellement liée, et doit toujours davantage être liée, comme l'a relevé Mgr le Doyen, au reste de l'activité pastorale tout entière de l'Eglise, faisant en sorte que le refus de la déclaration de nullité devienne l'occasion d'ouvrir d'autres voies de solution aux problèmes des époux en difficulté qui recourent au ministère de l'Eglise, sans jamais oublier que toute solution passe par le mystère pascal de mort et de résurrection, qui exige tout l'engagement des époux eux- mêmes à se convertir au salut pour se réconcilier avec le Père Mt 4,17 Mc 1,15.

10. Je vous exprime enfin le souhait que votre engagement, nourri par l'amour du Christ et de son Eglise, ainsi que par le zèle pastoral, apporte aussi, par la diffusion des volumes qui recueillent vos sentences, une contribution valable de clarté pour la discussion des causes dont j'ai parlé, et qu'il se reflète de manière bénéfique dans l'activité des tribunaux inférieurs. En vous assurant de ma continuelle bienveillance, je vous accorde de tout coeur ma bénédiction.


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