A la Rote 1939-2009 301

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2 .- Etant donné que les causes de nullité de mariage constituent nettement la majorité des cas qui sont soumis à la Rote, Mgr le Doyen a souligné la crise profonde qui affecte actuellement le mariage et la famille. Une donnée importante qui ressort de l'étude des causes est l'obscurcissement chez les contractants de ce que comporte, dans la célébration du mariage chrétien, la sacramentalité de celui-ci, aujourd'hui très fréquemment incomprise en sa signification ultime, sa valeur surnaturelle intrinsèque et quant à ses effets positifs sur la vie conjugale.
Après m'être arrêté les années précédentes sur la dimension naturelle du mariage, je voudrais aujourd'hui attirer votre attention sur le rapport particulier que le mariage des baptisés entretient avec le mystère du Christ, un rapport qui, dans l'Alliance nouvelle et définitive avec le Christ, revêt la dignité de sacrement.
La dimension naturelle et le rapport avec Dieu ne sont pas deux aspects juxtaposés: au contraire ils sont très intimement liés, comme le sont la vérité sur l'homme et la vérité sur Dieu. Ce thème me tient particulièrement à coeur: je reviens sur ce thème dans ce contexte également parce que la perspective de la communion de l'homme avec Dieu est plus que jamais utile, et même nécessaire, pour l'activité même des juges, des avocats et de tous ceux qui oeuvrent dans le domaine du droit de l'Eglise.

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Sécularisation et crise du mariage

3 .- Le lien entre la sécularisation et la crise du mariage et de la famille est plus qu'évident. La crise du sens de Dieu et du sens du bien et du mal est arrivée à obscurcir la connaissance des fondements mêmes du mariage et de la famille qui est fondée sur le mariage. Pour retrouver effectivement la vérité en ce domaine, il faut redécouvrir la dimension transcendante qui est intrinsèque à la vérité plénière sur le mariage et la famille, en éliminant toute dichotomie tendant à séparer les aspects profanes des aspects religieux, comme s'il existait deux mariages: un mariage profane et un autre sacré.
"Dieu créa l'homme à son image: à l'image de Dieu il le créa; homme et femme il les créa" Gn 1,27. L'image de Dieu se trouve aussi dans la dualité homme-femme et dans leur communion interpersonnelle. Aussi la transcendance est-elle inhérente à l'être même du mariage, dès le commencement, parce qu'elle dans la distinction naturelle même entre l'homme et la femme dans l'ordre de la création. Par le fait qu'ils sont "une seule chair" Gn 2,24, l'homme et la femme, tant dans leur aide réciproque que dans leur fécondité, participent à quelque chose de sacré et de religieux, comme l'a bien mis en relief, en se référant à la conscience que les peuples anciens avaient du mariage, l'Encyclique Arcanum divinae sapientiae de mon prédécesseur Léon XIII . A cet égard il observait que le mariage "dès le commencement, a été comme une figure (adumbratio) de l'Incarnation du Verbe de Dieu" . Dans l'état d'innocence originelle, Adam et Eve avaient déjà le don surnaturel de la grâce. Ainsi, avant que l'Incarnation du Verbe se produisit historiquement, son efficacité de sainteté se répandait déjà sur l'humanité.

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4 .- Malheureusement, par l'effet du péché originel, ce qui est naturel dans le rapport entre l'homme et la femme risque d'être vécu d'une manière non conforme au plan et à la volonté de Dieu, et l'éloignement de Dieu, implique en soi une déshumanisation proportionnelle de toutes les relations familiales. Mais dans la "plénitude des temps" Jésus lui même a restauré le dessein primordial sur le mariage Mt 19,1-12 et, ainsi, dans l'état de nature rachetée, l'union entre l'homme et la femme peut non seulement réacquérir la sainteté originelle, en s libérant du péché, mais est réellement introduite dans le mystère même de l'alliance du Christ avec l'Eglise.
La lettre de Saint Paul aux Ephésiens relie directement le récite de la Genèse à ce mystère: "A cause de cela l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un" Gn 2,24. Ce mystère est grand: je le dis en pensant au Christ et à l'Eglise" Ep 5,31 Le lien intrinsèque entre le mariage, institué au début, et l'union du Verbe incarné avec l'Eglise apparaît dans toute son efficacité salvifique grâce au concept de sacrement. Le Concile Vatican II exprime cette vérité de foi du point de vue des personnes mariées: "Par la vertu du sacrement de mariage, qui leur donne de signifier en y participant le mystère de l'unité et de l'amour fécond entre le Christ et l'Eglise Ep 5,32 les époux chrétiens s'aident mutuellement à se sanctifier dans la vie conjugale, dans l'accueil et l'éducation des enfants; en leur état de vie et dans leur ordre, ils ont ainsi dans le Peuple de Dieu leurs dons propres" LG 11. Sitôt après, le Concile présente le lien étroit entre ordre naturel et ordre surnaturel également en référence à la famille, inséparable du mariage et vue comme "Eglise domestique " LG 11.

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Pourquoi doit-on rester fidèle?

5 .- La vie et la réflexion chrétienne trouvent dans cette vérité une source inépuisable de lumière. En effet, la sacramentalité du mariage constitue une voie féconde pour pénétrer dans le mystère des rapports entre la nature humaine et la grâce. Dans le fait que ce même mariage qui existait au commencement est devenu dans la loi nouvelle signe et instrument de la grâce du Christ, apparaît en évidence la transcendance constitutive de tout ce qui appartient à l'être de la personne humaine, et en particulier, à sa rationalité naturelle selon la distinction et la complémentarité entre l'homme et la femme. L'humain et le divin sont étroitement liés de manière admirable.
La mentalité d'aujourd'hui, grandement sécularisée, tend à affirmer les valeurs humaines de l'institution familiale en les détachant des valeurs religieuses et en proclamant qu'elles sont entièrement autonomes par rapport à Dieu. Influencée comme elle l'est par les modèles de vie trop souvent proposés par les médias, elle se demande: "Pourquoi doit-on être toujours fidèle à l'autre conjoint?", et cette question se transforme en doute existentiel dans les situations critiques. Les difficultés conjugales peuvent être de nature diverses, mais toutes débouchent finalement sur un problème d'amour. Aussi l'interrogation précédente peut-elle être reformulée ainsi: pourquoi faut-il toujours aimer l'autre, même quand tant de raisons, apparemment justifiées, conduiraient à le quitter?
On peut donner de nombreuses réponses, parmi lesquelles sans doute ont une grande force le bien des enfants et le bien de la société tout entière, mais la réponse la plus radicale passe avant tout par la reconnaissance du fait objectif que l'on est conjoints, et cela vu comme un don réciproque, rendu possible et avalisé par Dieu lui-même. Aussi la raison ultime du devoir d'amour fidèle n'est autre que celle qui est la base de l'Alliance divine avec l'homme: Dieu est fidèle! Pour rendre possible la fidélité du coeur à l'égard de son conjoint, même dans les cas les plus durs, c'est donc à Dieu qu'il faut recourir, dans la certitude de recevoir son aide. La voie de la fidélité mutuelle passe, du reste, par l'ouverture à cette charité du Christ qui "supporte tout, fait confiance en tout, espère tout, endure tout" 1Co 13,7. En tout mariage est rendu présent le mystère de la Rédemption, réalisée par une participation réelle à la Croix du Sauveur, selon ce paradoxe chrétien qui lie le bonheur à la souffrance assumée dans un esprit de foi.

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6 .- De ces principes on peut tirer de multiples conséquences pratiques, de caractère pastoral, moral et juridique. Je me limite à en énoncer certaines liées tout spécialement à votre activité judiciaire. Tout d'abord, vous ne pouvez jamais oublier que vous tenez entre vos mains ce grand mystère dont parle Saint Paul Ep 5,32, qu'il s'agisse d'un sacrement au sens strict, ou d'un mariage qui porte en lui le caractère sacré du commencement, car il est appelé à devenir sacrement par l'intermédiaire du baptême des deux époux. La considération de la sacramentalité met en relief la transcendance de votre fonction, le lien qui l'unit effectivement à l'économie salvifique. Le sens religieux doit donc imprégner tout votre travail. Des études scientifiques sur cette matière à l'activité quotidienne dans l'administration de la justice, il n'y a pas de place dans l'Eglise pour une vision purement immanente et profane du mariage, tout simplement parce que cette vision n'est pas théologiquement et juridiquement vraie.

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Une réalité sacrée

7 .- Dans cette perspective, il faut par exemple, prendre très au sérieux l'obligation formellement imposée au juge par le CIC 1676 de favoriser et de rechercher activement la possible convalidation du mariage et la réconciliation. Naturellement la même attitude de soutien apporté au mariage et à la famille doit régner avant le recours aux tribunaux: dans l'assistance pastorale, les consciences doivent être patiemment éclairées par la vérité sur le devoir transcendant de la fidélité, présentée d'une manière favorable et attractive. Dans l'effort pour surmonter de manière positive des conflits conjugaux et dans l'aide apportée aux fidèles en situation matrimoniale irrégulière, il faut créer une synergie qui implique toutes les personnes dans l'Eglise: les pasteurs d'âmes, les juristes, les experts en sciences psychologiques et psychiatriques, les autres fidèles, et tout particulièrement ceux qui sont mariés et qui ont une expérience de la vie conjugale. Tous doivent être bien conscients qu'ils se trouvent devant une réalité sacrée et face à une question qui touche au salut des âmes.

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8 .- L'importance de la sacramentalité du mariage et la nécessité de la foi pour connaître et vivre pleinement cette dimension, pourraient aussi donner lieu à certaines équivoques soit au moment de l'admission au mariage, soit au moment du jugement sur sa validité. L'Eglise ne refuse pas la célébration du mariage à celui qui est bien disposé (bene dispositus), même s'il est imparfaitement préparé du point de vue surnaturel, pourvu qu'il ait l'intention droit de se marier, selon la réalité naturelle de la conjugalité. On ne peut en effet se représenter, à coté du mariage naturel, un autre modèle de mariage chrétien avec des exigences surnaturelles spécifiques.
Cette vérité ne doit pas être oubliée au moment de délimiter l'exclusion de la sacramentalité CIC 1101,2 et l'erreur déterminante quant à la dignité sacramentelle CIC 1099 comme d'éventuels chefs de nullité. Dans les deux cas, il est décisif de bien garder à l'esprit que l'attitude des personnes qui se marient et qui ne tient pas compte de la dimension surnaturelle dans le mariage ne peut rendre nul que si elle entame sa validité au plan naturel dans laquelle se situe le signe sacramentel lui-même. L'Eglise catholique a toujours reconnu les mariages entre les non baptisés, qui deviennent un sacrement chrétien par le baptême des conjoints, et elle n'a aucun doute quant à la validité du mariage d'un catholique avec une personne non baptisée s'il est célébré avec la dispense nécessaire.
Au terme de cette rencontre, ma pensée va aux époux et aux familles, pour invoquer sur ceux-ci la protection de la Vierge. En cette occasion également, il m'est cher de proposer une nouvelle fois l'exhortation que je leur ai adressée dans ma lettre apostolique 'Rosarium Virginis Mariae': "La famille qui est unie dans la prière demeure unie. Par tradition ancienne, le saint Rosaire se prête tout spécialement à être une prière dans laquelle la famille se retrouve" RVM 41.
Chers prélats auditeurs, officiers et avocats de la Rote romaine, je vous accorde à tous, affectueusement, ma Bénédiction!


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2004 le mariage jouit de la faveur du droit.

LE MARIAGE JOUIT DE LA FAVEUR DU DROIT CIC 1060

29/1/2004

Biens chers membres du Tribunal de la Rote Romaine

1 .- Je me réjouis de cette rencontre annuelle avec vous à l'occasion de l'inauguration de l'Année judiciaire. Elle le donne l'heureuse occasion de réaffirmer l'importance de votre ministère ecclésial et la nécessité de votre activité judiciaire.
Je salue cordialement le collège des Prélats Auditeurs, à commencer par votre doyen, Mgr Raffaello FUNGHINI, que je remercie des réflexions profondes par lesquelles il a exprimé le sens et la valeur de votre travail. Je salue ensuite les officiers, les avocats et les autres collaborateurs de ce Tribunal apostolique, ainsi que les membres du Studio de la Rote, et tous ceux qui sont ici présents.

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2.- Lors des rencontres de ces dernières années, j'ai traité de certains aspects fondamentaux du mariage : son caractère naturel, son indissolubilité, sa dignité sacramentelle. En réalité, d'autres causes, de genres divers, parviennent également à ce Tribunal du siège apostolique, selon ce qui est établi par le Code de Droit Canonique (cf. CIC 1443-1444 et la constitution apostolique Pastor Bonus . Cependant, c'est surtout sur le mariage que l'on demande à ce Tribunal de porter son attention. Aussi, aujourd'hui, répondant également aux préoccupations qu'a manifestées Mgr le Doyen, je voudrais à nouveau m'arrêter un instant sur les causes matrimoniales qui vous sont confiées, et, particulièrement, sur un aspect juridico-pastoral qui en ressort: je fais allusion à la "Favor juris" dont jouit le mariage, et à la présomption de validité - qui lui est liée - en cas de doute, telle qu'elle est énoncée par le CIC 1060 du Code latin et le CIO 779 du Code des canons des Eglises orientales.
En effet, on entend parfois des avis critiques à cet égard. Ces principes semblent à certains liés à des situations sociales et culturelles du passé, dans lesquelles la demande de se marier selon la forme canonique présupposait normalement chez les futurs mariés la compréhension et l'acceptation de la vraie nature du mariage. Dans la crise qui en tant de milieux, affecte malheureusement aujourd'hui cette institution, il leur semble que la validité même du consentement doit être souvent regardée comme compromise, à cause des divers types d'incapacité ou bien à cause de l'exclusion de biens essentiels. Devant cette situation, les critiques dont je viens de parler se demandent s'il ne serait pas plus juste de présumer l'invalidité du mariage contracté plutôt que sa validité.
Dans cette perspective, la favor matrimonii affirment-ils, devrait céder la place à la favor personnae ou à la favor veritatis subjecti ou encore à la favor libertatis.

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3 .- Pour évaluer correctement les positions nouvelles, il est opportun, tout d'abord, d'identifier le fondement et les limites de la favor en question. Il s'agit en réalité d'un principe qui transcende de beaucoup la présomption de validité, puisqu'il informe toutes les normes canoniques, tant substantielles que processuelles, qui concernent le mariage. Le soutien accordé au mariage, en effet, doit inspirer toute l'activité de l'Eglise, des Pasteurs et des fidèles, de la société civile, en un mot: de toutes les personnes de bonne volonté. Le fondement de cette attitude n'est pas un choix plus ou moins discutable, mais bien l'appréciation du bien objectif que représentent toute union conjugale et toute famille. C'est précisément quand est menacée la reconnaissance personnelle et sociale d'un bien aussi fondamental que l'on redécouvre plus profondément son importance pour les personnes et pour les communautés.
A la lumière de ces considérations, il apparaît clairement que le devoir de défendre et de favoriser le mariage revient certainement d'une manière toute particulière aux Pasteurs, mais constitue aussi une responsabilité précieuse pour tous les fidèles, et même pour tous les hommes et les Autorités civiles, chacun selon les compétences qui lui sont propres.

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La présomption de la validité du mariage

4 . - La favor juris dont jouit le mariage implique la présomption de sa validité, jusqu'à ce que le contraire soit prouvé CIC 1060 CIO 779. Pour saisir la signification de cette présomption, il convient en premier lieu de rappeler qu'elle ne représente pas une exception par rapport à une règle générale qui lui serait opposée. Au contraire il s'agit de l'application au mariage d'une présomption qui constitue un principe fondamental de tout système juridique: les actes humains qui sont permis en eux-mêmes et qui ont une incidence sur les rapports juridiques sont présumés valides, tout en admettant évidemment la preuve de leur invalidité CIC 124 § 2 CIO 931 § 2.
Cette présomption ne peut être interprétée comme une pure protection des apparences ou du statu quo en tant que tel car est aussi prévue, dans des limites raisonnables, la possibilité de contester l'acte. Cependant, ce qui, extérieurement, apparaît correctement mis en acte, dans la mesure où il rentre dans la sphère de la licéité, mérite une considération initiale de validité, et donc la protection juridique qui s'ensuit, car ce point de référence extérieur est l'unique dont l'organisation juridique dispose de manière réaliste pour discerner les situations auxquelles elle doit apporter sa protection. Avancer l'hypothèse du contraire, c'est-à-dire le devoir d'apporter la preuve positive de la validité des actes respectifs, serait exposer les sujets à une exigence dont la réalisation est pratiquement impossible. La preuve devrait en effet comprendre les multiples présupposés et qualités requises de l'acte, lesquels ont souvent une extension dans le temps et dans l'espace, et impliquent une très ample série de personnes et d'actes antérieurs ou liés à l'acte.

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5 .- Que dire alors de la thèse selon laquelle l'échec de la vie conjugale devrait faire présumer l'invalidité du mariage ? Malheureusement, la force de cette prise de position erronée est parfois si grande qu'elle se transforme en un préjugé très répandu, qui amène à chercher les chefs de nullité comme de pures justifications formelles d'une déclaration qui en réalité, s'appuie sur le fait empirique de l'échec du mariage. Ce formalisme injuste de ceux qui contrecarrent la traditionnelle favor matrimonii peut en arriver à oublier que, selon l'expérience humaine marquée par le péché, un mariage valide peut échouer à cause de l'usage erroné de la liberté même des conjoints.
La constatation des nullités véritables devrait porter plutôt à vérifier avec davantage de sérieux, au moment du mariage, les qualités requises et nécessaires pour se marier, spécialement celles qui concernent le consentement et les dispositions réelles des futurs époux. Les curés et ceux qui collaborent avec eux en ce domaine ont le grave devoir de ne pas céder à une vision purement bureaucratique de l'enquête prématrimoniale dont parle le CIC 1067. Leur intervention pastorale doit être guidée par la conscience que les personnes peuvent, précisément à ce moment-là, découvrir le bien naturel et surnaturel du mariage, et s'engager par conséquent à le poursuivre.

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La recherche de la vérité

6 .- En vérité la présomption de la validité du mariage se situe dans un contexte plus large. Souvent le vrai problème n'est pas tant la présomption en tant que telle, que la vision d'ensemble du mariage lui-même, et donc du procès pour certifier la validité de sa célébration. Ce procès est essentiellement incompréhensible en dehors de l'horizon de l'établissement de la vérité. Cette référence téléologique à la vérité est ce qui unit tous les protagonistes du procès, malgré la diversité de leurs rôles. A cet égard on a insinué un scepticisme plus ou moins affirmé en ce qui concerne la capacité humaine de connaître la vérité quant à la validité d'un mariage. Dans ce domaine aussi on a besoin d'une confiance renouvelée en la raison humaine, tant en ce qui concerne les aspects essentiels du mariage qu'en ce qui regarde les circonstances particulières de toute union.
La tendance à amplifier instrumentalement les nullités, en oubliant l'horizon de la vérité objective, comporte une distorsion structurelle de tout le procès. Dans cette perspective, l'instruction de la cause perd son caractère incisif en tant que l'issue est déterminée à l'avance. La recherche elle même de la vérité, à laquelle le juge est obligé gravement ex officio CIC 1452 CIO 1110, pour l'obtention de laquelle il se sert de l'aide apportée par le défenseur du lien et l'avocat, ne serait plus finalement qu'une succession de formalismes dépourvus de vie. La sentence - étant donné qu'à la place de la capacité d'enquête et de critique viendrait à prévaloir la construction de réponses prédéterminées - perdrait ou atténuerait gravement sa tension constitutive vers la vérité. Des concepts clefs comme ceux de la certitude morale ou de la libre appréciation des preuves, demeureraient sans leur nécessaire point de référence à la vérité objective CIC 1608 CIO 1291, que l'on renonce à la chercher ou qu'on la considère comme insaisissable.

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7 .- Plus en amont le problème concerne la conception du mariage, à son tour insérée dans une vision globale de la réalité. La dimension de justice du mariage, qui fonde son être dans une réalité intrinsèquement juridique, est remplacée par des optiques empiriques, de caractère sociologique, psychologique, etc., ainsi que par diverses modalités de positivisme juridique. Sans rien enlever aux apports valables qui peuvent venir de la sociologie, de la psychologie ou de la psychiatrie, on ne peut oublier qu'une considération authentiquement juridique du mariage requiert une vision métaphysique de la personne humaine et de la relationalité conjugale. Sans ce fondement ontologique, l'institution matrimoniale devient une pure superstructure extrinsèque, fruit de la loi et du conditionnement social, limitant la personne en sa libre réalisation?
Il faut au contraire redécouvrir la vérité, la bonté et la beauté de l'institution matrimoniale qui, étant l'oeuvre de Dieu lui même par l'intermédiaire de la nature humaine et de la liberté de consentement des conjoints, demeure comme une réalité personnelle indissoluble, comme un lien de justice et d'amour, lié depuis toujours au dessein de salut et élevé dans la plénitude des temps à la dignité de sacrement chrétien. Telle est la réalité que l'Eglise et le monde doivent favoriser! C'est là la véritable favor matrimonii!
En vous présentant ces points de réflexion, je voudrais vous renouveler l'expression de ma gratitude pour votre travail délicat et prenant dans l'administration de la justice. Avec ces sentiments, tandis que j'invoque su chacun d'entre vous la constante assistance divine, chers Prélats Auditeurs, Officiers et avocats de la Rote Romaine, je vous accorde, à tous, avec affection, ma Bénédiction.


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2005 Les sentences injustes ne sont pas une solution pastorale

29/1/2005


Les sentences injustes ne sont jamais une vraie solution pastorale

Sous titre de la rédaction
Respecter, dans les procès, la vérité sur le mariage

A l'occasion de l'inauguration de l'année judiciaire du tribunal de la Rote Romaine

1. Ce rendez-vous annuel avec vous, chers Prélats auditeurs du Tribunal apostolique de la Rote romaine, souligne le lien essentiel de votre travail précieux avec la dimension judiciaire du ministère pétrinien. Les paroles du Doyen de votre Collège ont exprimé l'engagement commun de pleine fidélité dans votre service ecclésial.
C'est dans ce contexte que je voudrais inscrire aujourd'hui plusieurs considérations à propos de la dimension morale de l'activité des agents juridiques qui travaillent dans les tribunaux ecclésiastiques, en particulier en ce qui concerne le devoir de respecter la vérité sur le mariage, telle qu'elle est enseignée par l'Eglise.


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Procès canonique et Ethique

2. La question éthique se pose depuis toujours avec une intensité particulière dans tous les types de procès judiciaire. En effet, les intérêts individuels et collectifs peuvent pousser les parties à avoir recours à divers genres de faux éléments et même à la corruption, dans le but de parvenir à une sentence favorable.
Les procès canoniques, dans lesquels on cherche à connaître la vérité sur l'existence ou non d'un mariage, ne sont pas non plus exempts de ce risque. L'importance indubitable que cela possède pour la conscience morale des parties rend moins probable la soumission à des intérêts étrangers à la recherche de la vérité. Malgré tout, on peut constater des cas dans lesquels une telle soumission se manifeste, compromettant la régularité de la procédure judiciaire. On connaît la sévère position de la norme canonique face à de tels comportements CIC 1389 CIC 1391 CIC 1457 CIC 1488 CIC 1489.

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Des procès fictifs ?

3. Toutefois, dans les circonstances actuelles, un autre risque est présent. Au nom de prétendues exigences pastorales, des voix se sont élevées pour proposer de déclarer nulles les unions qui sont un échec total. Pour obtenir ce résultat, on suggère d'avoir recours à l'expédient de conserver les apparences de la procédure et de la substance, en dissimulant l'inexistence d'un véritable jugement issu d'un procès. On est ainsi tenté de procéder à une présentation des chefs de nullité et de leurs preuves en opposition avec les principes les plus élémentaires de la réglementation et du magistère de l'Eglise.
De façon évidente apparaît la gravité juridique et morale objective de ces comportements, qui ne constituent assurément pas une solution valable d'un point de vue pastoral aux problèmes posés par les crises matrimoniales.
Grâce à Dieu, il ne manque pas de fidèles dont la conscience ne se laisse pas tromper, et parmi eux, on en compte également un grand nombre qui, bien qu'étant concernés personnellement par une crise conjugale, ne sont disposés à la résoudre qu'en suivant la voie de la vérité.

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Procès canonique et vérité

4. Dans les discours annuels à la Rote romaine, j'ai plusieurs fois rappelé le rapport essentiel que le procès entretient avec la recherche de la vérité objective. Ceux qui doivent s'en charger, sont tout d'abord les Evêques, qui sont les juges de droit divin de leurs communautés. C'est en leur nom que les tribunaux administrent la justice. Ils sont donc appelés à s'engager personnellement pour s'assurer de l'idonéité des membres des tribunaux, diocésains ou interdiocésains, dont ils sont les Modérateurs, et pour certifier la conformité des sentences avec la juste doctrine.
Les saints Pasteurs ne peuvent pas penser que l'oeuvre de leurs tribunaux soit une question purement "technique" dont ils pourraient se désintéresser, en la confiant entièrement à leurs juges vicaires CIC 391 CIC 1419 CIC 1423.

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Il faut résister à la peur de la vérité.

5. La déontologie du juge trouve son critère d'inspiration dans l'amour pour la vérité. Il doit donc tout d'abord être convaincu que la vérité existe. C'est pourquoi il faut la chercher avec le désir authentique de la connaître, malgré tous les inconvénients qui peuvent dériver de cette connaissance. Il faut résister à la peur de la vérité, qui peut parfois naître de la crainte de blesser les personnes. La vérité, qui est le Christ lui-même Jn 8,32 Jn 8,36, nous libère de toute forme de compromis avec les mensonges intéressés.
Le juge qui agit vraiment en juge, c'est-à-dire avec justice, ne se laisse conditionner ni par des sentiments de fausse compassion pour les personnes, ni par de faux modèles de pensée, même s'ils existent de façon diffuse alentour. Il sait que les sentences injustes ne constituent jamais une véritable solution pastorale, et que le jugement de Dieu sur sa propre action est ce qui compte pour l'éternité.

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Le juge et la loi

6. Le juge doit ensuite s'en tenir aux lois canoniques, correctement interprétées. Il ne doit donc jamais perdre de vue la connexion intrinsèque des normes juridiques avec la doctrine de l'Eglise. En effet, on prétend quelquefois séparer les lois de l'Eglise des enseignements magistériels, comme s'ils appartenaient à deux sphères distinctes, dont la première serait l'unique à posséder une force juridiquement contraignante, alors que la deuxième aurait uniquement une valeur d'orientation ou d'exhortation.
Une telle présentation révèle au fond une mentalité positiviste, qui est en opposition avec la meilleure tradition juridique classique et chrétienne sur le droit. En réalité, l'interprétation authentique de la Parole de Dieu, accomplie par le magistère de l'Eglise DV 10 Par. 2, possède une valeur juridique dans la mesure où elle concerne le domaine du droit, sans avoir besoin d'aucun autre passage formel supplémentaire pour devenir juridiquement et moralement contraignante.
Pour une saine herméneutique juridique, il est ensuite indispensable de saisir l'ensemble des enseignements de l'Eglise, en plaçant de façon organique chaque affirmation dans le cadre de la tradition. De cette façon, on pourra échapper aussi bien à des interprétations sélectives et déviantes, qu'à des critiques stériles de certains passages.
Enfin, un moment important de la recherche de la vérité est celui de l'instruction du procès. Celle-ci est menacée dans sa raison d'être elle-même et dégénère en pur formalisme, lorsque l'issue du procès est déjà tenue pour certaine. Il est vrai que le devoir d'une justice efficace fait également partie du service concret à la vérité et constitue un droit des personnes. Toutefois, une fausse célérité, qui serait faite au détriment de la vérité, est encore plus gravement injuste.

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7. Je voudrais conclure cette rencontre en adressant de tout coeur un remerciement à vous, Prélats auditeurs, aux Officiaux, aux Avocats et à tous ceux qui oeuvrent dans ce Tribunal apostolique, ainsi qu'aux membres du "Studio Rotale".
Vous savez que vous pouvez compter sur la prière du Pape et de très nombreuses personnes de bonne volonté qui reconnaissent la valeur de votre action au service de la vérité. Le Seigneur récompensera vos efforts quotidiens, non seulement dans la vie future, mais déjà dans celle-ci, avec la paix et la joie de la conscience et avec l'estime et le soutien de ceux qui aiment la justice.
En exprimant le souhait que la vérité de la justice resplendisse toujours davantage dans l'Eglise et dans votre vie, je donne de tout coeur à tous ma Bénédiction.


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BENOIT XVI

2006 La procédure s’oppose-t-elle à la pastorale?

OPPOSITION APPARENTE ENTRE PROCEDURE ET « PASTORALE »


Samedi 28 janvier 2006

Illustres Juges, Officiers et collaborateurs du Tribunal apostolique de la Rote romaine!
Presque une année s'est écoulée depuis la dernière rencontre de votre Tribunal avec mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II. Ce fut la dernière d'une longue série. De l'immense héritage qu'il nous a légué, également en matière de droit canonique, je voudrais aujourd'hui signaler en particulier l'Instruction Dignitas connubii, sur la procédure à suivre dans les causes de nullité matrimoniale. Avec celle-ci, on a voulu rédiger une sorte de vademecum, qui rassemble non seulement les normes en vigueur dans ce domaine, mais les enrichit par des dispositions supplémentaires, nécessaires pour une correcte application des premières. La plus grande contribution de cette Instruction, que je souhaite voir appliquée intégralement par le personnel des tribunaux ecclésiastiques, consiste à indiquer dans quelle mesure et de quelle façon doivent être appliquées dans les causes de nullité matrimoniale les normes contenues dans les canons relatifs au jugement contentieux ordinaire, dans le respect des normes spéciales dictées pour les causes sur l'état des personnes et pour celles de bien public.


A la Rote 1939-2009 301