Bernard sermons 2017

2017 3. Et que personne ne me dise avec aussi peu de piété que de reconnaissance et de religion : cela n'est pas nouveau; c'est jadis que cette parole s'est fait entendre, il y a bien longtemps qu'on l'a dite pour la première fois, et que le Christ est né. Je suis de votre avis; il y a longtemps qu'on l'a prononcée, elle l'a été bien avant nous, ne vous étonnez pas de m'entendre dire qu'il y a bien1ongtemps, et qu'elle a été prononcée bien avant nous, car je me rappelle ces paroles du Prophète : « Elle est de toute éternité et depuis plus longtemps encore (Ex 20,18). » Oui, le Christ est né, non pas seulement avant ce siècle où nous vivons, mais avant tous les temps, sa naissance se perd dais la nuit des temps, ou plutôt dans la lumière inaccessible, dans le sein du Père, sur une montagne couverte d'ombre et de ténèbres épaisses. Or, c'est pour se faire connaître qu'il est né, mais qu'il est né dans le temps, de la chair et dans la chair, que le Verbe s'est fait chair. Faut-il s'étonner après cela qu'aujourd'hui encore l'Eglise, en parlant de celui dont il était dit si longtemps avant sa naissance . « Un enfant nous est né (Is 9,6), » dise aussi il est né? Cette parole a retenti autrefois à l'oreille des saints qui ne se sont -jamais lassés de l'entendre. D'ailleurs il s'agit de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, hier, aujourd'hui et toujours. C'était sans doute pour exprimer ce grand mystère que l'Apôtre nous a plus tard. si clairement montré dans le Christ et son Eglise, que le premier homme, notre père à tous, a dit : « L'homme abandonnera son père et sa mère, pour s'attacher à sa femme, et de deux qu'ils étaient ils deviendront une seule chair (Ep 5,31 et Gn 2,24).»

4. Mais voilà aussi pourquoi Abraham, le père des croyants, a vivement désiré voir ce jour et l'a vu en effet (Jn 8,56). Et quand il ordonna à son serviteur de placer sa main sous sa cuisse et de lui faire serment au nom du Dieu du ciel, certainement il prévoyait que ce Dieu du ciel devait naître de lui un jour. Ce même Dieu qui, en disant à l'homme selon son coeur. « J'établirai sur votre trône le fruit de votre ventre (Ps 131,11), » faisant avec serment une promesse pleine de vérité, dont il ne devait point être frustré, avait initié David au secret de ses desseins, et c'est évidemment pour l'accomplissement des promesses faites à nos pères que, selon ce que l'ange annonce, il est né à Bethléem de Juda, la cité de David. Il avait été annoncé autrefois à nos pères et aux prophètes, en diverses occasions et de diverses manières, qu'il en serait ainsi. Loin de nous la pensée que ces oracles aient été froidement entendus par les amis de Dieu. Certainement, celui qui s'écriait: «Envoyez, Seigneur, celui que vous devez nous envoyer (Ex 4,13), » ne les avait point entendus d'une oreille distraite; et celui, qui disait: » O Seigneur, si vous vouliez ouvrir les cieux et eu descendre (Is 64,1), » ne les avait point non plus entendus avec indifférence. Je pourrais en dire autant de beaucoup d'autres encore. Vinrent ensuite les apôtres qui virent de leurs yeux, entendirent de leurs oreilles, et touchèrent de leurs mains le Verbe de vie, qui leur disait avec raison: Bienheureux les yeux qui voient ce qu'il vous est donné de voir (Mt 13,16). » Enfin, les mêmes merveilles nous ont été réservées à nous autres chrétiens, mais dans les trésors de la foi, et c'est pour nous qu'il a dit encore. « Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru (Jn 20,29). » Voilà notre part dans la parole de vie. N'allez point la trouver méprisable, car c'est de la foi qu'on vit, et c'est par elle qu'on vainc le monde; il est dit en effet, le juste vit de la foi (Ha 2,4), et la victoire par laquelle le monde est vaincu, n'est le fait que de notre foi (1Jn 5,4). Oui, semblable à l'éternité, elle renferme dans les vastes replis de son sein, le passé, le présent et l'avenir, en sorte que pour elle, rien n'est passé, rien ne passe, rien ne la dépasse.

5. C'est donc avec raison qu'en témoignage de votre foi, dès que cette nouvelle retentit à vos oreilles, vous avez tressailli d'allégresse, vous vous êtes répandus en actions de grâce, vous vous êtes prosternés jusqu'à terre tous ensemble, comme pour vous réfugier, pleins d'espérance, à l'ombre de ses ailes, et vous cacher jusque dans ses plumes. En apprenant que le Sauveur est né, ne vous êtes-vous point écriés tous au fond de vos coeurs : «Pour moi, mon bonheur est de demeurer attaché a Dieu (Ps 72,28) ? » Ou plutôt, n'avez-vous point dit avec le prophète : « O mon âme, soyez soumise à votre Dieu (Ps 61,6) ? » O que je plaindrais ceux qui ne se prosternant qu'en apparence, ont abaissé leur corps eu conservant leur coeur toujours orgueilleusement levé, car « Il y en a qui s'humilient malicieusement et qui ont le fond du coeur plein de tromperie (Qo 19,23). » Je les plaindrais, parce que ceux qui n'ont point suffisamment arrêté leurs regards sur leur misère, sentent moins vivement leurs maux, redoutent moins le danger qui les menace, ont recours avec moins de piété, aux remèdes que leur assure le Sauveur en naissant, se soumettent avec moins d'amour à Dieu et chantent avec une foi moins vive: « Seigneur, vous êtes notre refuge (Ps 89,1), » leurs hommages sont moins agréables, leurs prosternements moins sincères, leurs humiliations moins humbles, leurs victoires moins complètes et leur foi beaucoup moins vive. Mais pourquoi dit-il : « Bienheureux ceux qui n'ont point vu et ont cru (Jn 20,29). » Est-ce que croire n'est pas une manière de voir? Remarquez bien à quiet dans quelle circonstance il parlait ainsi; c'était à l'Apôtre qui n'avait cru que parce qu'il avait vu. Il est évident qu'il y a une différence, entre croire parce qu'on a vu, et voir en croyant. D'ailleurs, de quelle manière faut-il penser que votre père Abraham a vu le jour du Seigneur, si ce n'est par la foi ? Mais comment faut-il aussi entendre ces paroles que vous chantiez cette nuit: «Sanctifiez-vous aujourd'hui et tenez-vous prêts, car demain vous verrez la majesté de Dieu au milieu de vous, » si ce n'est pas synonyme de voir en esprit, de se représenter par la piété et la dévotion, d'honorer, par une foi non feinte, ce grand mystère de charité de Jésus-Christ, qui s'est manifesté dans la chair, a été justifié dans l'esprit, a apparu aux anges, a été prêché aux nations, a été cru de l'univers et s'est élevé au ciel plein de gloire.

6. Ce qui renouvelle sans cesse nos pensées est toujours nouveau, et ce qui ne cesse de porter ses fruits sans jamais se faner, n'est jamais vieux. Or, tel est le saint auquel il est donné de ne point connaître la corruption, tel est l'homme nouveau qui, bien loin d'être capable de vieillir, rend une vraie jeunesse pleine de vie, à ceux-mêmes, qui ont vieilli jusque dans la moëlle de leurs os. Voilà pourquoi, dans la joyeuse nouvelle qui nous est annoncée aujourd'hui, il est dit, si vous l'avez remarqué, non pas il est né, mais il naît : « Jésus-Christ, le fils de Dieu, naît à Bethléem, de Juda. » De même que tous les jours, il s'immole encore d'une certaine manière, tant que nous annoncions sa mort, ainsi semble-t-il naître tant que nous représentons, parla foi, sa naissance. Demain donc, nous verrons la majesté de Dieu, mais en nous, non pas en lui: c'est-à-dire, sa majesté dans l'humilité, sa force dans la faiblesse, Dieu dans l'homme; car il est l'Emmanuel; en d'autres termes, le Dieu en nous. Mais écoutez encore, les mots sont plus clairs : « Le Verbe, est-il dit, s'est fait chair, et il a habité parmi nous (Jn 1,14). » Aussi, depuis lors et toujours, nous avons vu sa gloire, mais une gloire telle qu'il convient au Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. Ce n'est pas la gloire de la puissance ou de la splendeur du Père. Mais la gloire de la bonté du Père, la gloire de la grâce que nous avons vue, cette gloire dont l'Apôtre a dit: « Afin que la louange en soit donnée à la gloire de sa grâce (Ep 1,6). ».

2018 7. Ainsi donc il naît; mais où pensez-vous que ce soit? « A Bethléem de Juda (Lc 2,15), » il ne faut pas en effet chercher ailleurs, car les bergers ne disent point: allons au-delà de Bethléem, mais «passons à Bethléem. » Eh quoi, n'est-ce point une pauvre petite bourgade ? N'est-ce point la moindre des villes de Juda 2 Oui, mais il n'y a rien là d'indigne de celui qui de riche s'est fait pauvre pour nous, de Seigneur plein de grandeurs et de gloire est devenu pour nous un tout petit enfant ; de celui enfin qui disait : «Bienheureux les pauvres d'esprit parce que le royaume des cieux est à eux (Mt 5,3), » et « si vous ne vous convertissez et ne devenez comme ce petit enfant, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Mt 18,8).» Aussi fit-il choix d'une étable et d'une crèche, d'une maison de terre, d'un abri construit pour des animaux, afin que nous sachions bien qu'il est celui qui élève le pauvre de dessus son fumier, et qui sauve les hommes et les bêtes.

8. Plaise à Dieu que nous soyons la Bethléem de Juda et que le Seigneur nous fasse la grâce de naître en nous et de nous dire : « Puisque vous craignez le Seigneur, le Soleil de justice naîtra au milieu de vous (Ml 4,2) ! » Peut-être les paroles que nous citions plus haut signifient-elles que pour voir la majesté de Dieu en nous, nous avons besoin en même temps de nous sanctifier et de nous tenir prêts. En effet, selon le prophète « la Judée devint sa sanctification (Ps 113,2), » attendu que la confession purifie tout. Quant au nom de Bethléem, qui veut dire la maison du pain, il me semble qu'il est mis là pour signifier la préparation. En effet, comment celui, qui dit « Je n'ai pas de pain à la maison (Is 31,7), » serait-il prêt pour recevoir un ami? N'est-ce point parce qu'il n'était pas prêt que l'homme de l'Évangile fut contraint d'aller au milieu de la nuit frapper à la porte de son ami en disant : « Un de mes amis qui est en voyage vient de m'arriver et je n'ai rien à lui donner (Lc 11,6) . » C'était sans doute du juste que parlait le Prophète, quand il disait : « Il a toujours le coeur prêt à espérer dans le Seigneur; et comme il est fortement affermi dans cette espérance, il ne sera point ébranlé (Ps 111,8). » On ne peut donc pas regarder comme étant prêt, un coeur qui a oublié de manger son pain, il n'a même plus de sang; au contraire, celui qui oublie le passé pour ne plus songer qu'à ce qui est placé devant ses yeux et au but auquel il tend, est vraiment tout prêt, il n'est point troublé et peut garder les commandements qui donnent la vie. Vous voyez qu'il y a deux oublis, l'un qu'on doit fuir, et l'autre qu'on doit désirer, de même que s'il y eut une partie de la tribu de Manassé qui passa le Jourdain, il y en eut une aussi qui resta sur la rive opposée. Il y en a qui oublient le Seigneur qui les a créés, et il y en a qui l'ont sans cesse présent aux yeux de leur pensée, oubliant leur peuple et la maison même de leur père; les premiers oublient le ciel, les seconds, la terre; ceux-là, le présent, ceux-ci, l'avenir; les uns ce qui se voit, les autres les choses invisibles; enfin, les premiers s'oublient eux-mêmes, les seconds oublient Jésus-Christ. Ce sont les deux demi-tribus de Manassé, ayant l'une et l'autre chacune son oubli, mais fane oublie Jérusalem, l'autre, Babylone; l'une oublie ce qui peut la retenir, elle est prête; l'autre au contraire oublie ce qui peut lui être utile et dont elle ne devrait jamais perdre le souvenir; celle-là n'est pas prête pour voir la majesté de Dieu en soi. Car ce n'est point la maison du pain où le Sauveur doit naître, et ce n'est pas le Manassé à qui doit apparaître celui qui est le chef d'Israël, et qui s'assied sur les Chérubins (Ps 79,2), selon ces paroles du Prophète : « Apparaissez, Seigneur, devant Ephraïm, Benjamin et Manassé (Ez 14). » Je pense que ces trois tribus représentent ceux qui sont sauvés, les mêmes qu'un autre prophète désigne sous les noms de Noé, Daniel et Job, et que rappellent ces trois bergers à qui l'ange annonça la grande et bonne nouvelle de la naissance de l'Ange du grand conseil.

2019 9. Peut-être aussi les trois mages signifient-ils aussi ceux qui viennent non plus seulement de l'Orient, mais aussi de l'Occident, pour s'asseoir avec Abraham, Isaac et Jacob. En effet, ce n'est peut-être point s'éloigner du sens des mots que de rapporter Ephraïm, qui signifie fructification, à l'offrande de l'encens, attendu que c'est à ceux que Dieu a établis pour aller et pour produire des fruits, c'est-à-dire aux pasteurs de l'Eglise, d'offrir de l'encens pour être un holocauste d'agréable odeur. Quant au mot Benjamin, le fils de la droite, il doit offrir l'or, c'est-à-dire la substance de ce monde, en sorte que le peuple fidèle, placé à la droite du juste juge, s'entende dire de sa bouche : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, etc. (Mt 25,35). » Pour ce qui est de, Manassé, si toutefois il veut être celui à qui Dieu apparaît, il offrira la myrrhe de la mortification, qui, selon moi, est particulièrement le fruit de notre profession. Ce que je dis, afin que nous n'appartenions point à cette demi-tribu de Manassé, qui s'est fixée au-delà du Jourdain, et qu'oubliant ce qui est derrière nous, nous dirigions toutes nos pensées et tous nos efforts vers le but qui est placé devant nous.

10. Mais revenons à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, et ce que le Seigneur nous a fait connaître. Comme je vous l'ai déjà dit, Bethléem signifie la maison du pain, il est donc bon pour nous de nous y trouver. Là où est le Verbe de Dieu, ne peut manquer de se trouver en même temps le pain qui fortifie le coeur, selon ces paroles du Prophète: « Fortifiez-moi par vos paroles (Ps 118,28). » Après tout, l'homme vit de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, il vit en Jésus-Christ et Jésus-Christ vit en lui. C'est là qu'il vit, là qu'il se manifeste ; or il n'aime point les coeurs inconstant et peu fermes, il n'aime que les coeurs solides et stables. Quiconque murmure, hésite, chancelle, songe à retourner à sa bauge et à son vomissement, quiconque nourrit la pensée de renoncer à ses voeux et à ses engagements, celui-là n'est pas une Bethléem, n'est pas la maison du pain; car il n'y a que la famine la plus intense qui puisse ainsi pousser un homme à descendre en Egypte, à faire paître les pourceaux et à envier les cosses dont on les nourrit, parce qu'il est loin de la maison de son père, loin de la maison du pain, de la maison où les mercenaires mêmes reçoivent du pain à discrétion. Le Christ ne naît donc point dans ces coeurs-là; ils manquent d'une foi forte qui est le vrai pain de vie, selon ces paroles de la sainte Ecriture : « Le juste vit de la foi (Ha 2,4), » attendu que la vraie vie, qui n'est autre que Jésus même, n'habite que par la foi dans nos coeurs. D'ailleurs, comment Jésus peut-il naître en eux, comment le salut se lèverait-il pour eux, s'il est incontestablement vrai que celui-là seul qui « persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (Mt 10,32) ? » Evidemment, on ne saurait trouver le Christ en eux et ce n'est pas d'eux qu'il a été dit : « Pour vous, vous avez reçu l'onction du Saint-Esprit (Jn 66,2). » On le voit bien à ce que leur coeur s'est desséché depuis le moment où ils ont oublié de manger leur pain. Mais ils ne con viennent pas davantage au Fils de Dieu qui est tel que son esprit n'a les yeux que sur les gens humbles, pacifiques et craignant ses paroles; il ne peut y avoir d'alliance possible entre l'éternité et une pareille inconstance, en celui qui est par excellence et celui qui n'est pas deux instants de suite dans le même état. Mais d'ailleurs quelque fermes et quelque forts que nous soyons dans la foi, quelque bien disposés et quelque pourvus de pains que nous nous trouvions, grâce à celui à qui nous disons tous les jours . « Donnez-nous aujourd'hui :notre pain de chaque jour (Mt 6,14), » nous devons encore ajouter à notre prière, « pardonnez-nous nos offenses » car si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (1Jn 1,8). » Or la vérité c'est précisément celui-là même qui naît non pas simplement à Bethléem mais à Bethléem de Juda, c'est-à-dire Jésus-Christ, le Fils de Dieu.


2020 Hâtons-nous donc de nous présenter devant le Seigneur pour confesser ses louanges, de nous sanctifier et de nous tenir prêts, afin d'être trouvés des Bethléems de Juda et de mériter de voir naître le Seigneur en nous. Mais s'il se trouve une âme, ce qui nous intéresse beaucoup, une âme, dis-je, qui en soit venue au point d'être une vierge féconde, une étoile de la nuit; une âme pleine de grâce, sur laquelle le Saint-Esprit descende, je pense que le Christ daignera naître non-seulement en elle mais d'elle. Sans doute nulle âme ne peut penser cela de soi, à moins qu'il ne l'ait comme désignée lui-même du doigt, en disant. « voici quelle est ma mère, et quels sont mes frères (Mt 12,49). » Mais écoutez pourtant un de ceux que le Sauveur désignait en parlant ainsi; « Mes petits enfants, dit-il, vous pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (Ga 4,19). » Si le Christ semblait naître en eux, quand le Christ était formé en eux, comment pourrait-on dire qu'il ne naît pas de même de celui qui, en un certain sens, sentait de nouveau les douleurs de l'enfantement en eux? Mais toi-même, Synagogue impie, c'est toi qui nous as mis cet enfant au jour, sinon avec les sentiments du moins avec la fécondité d'une mère. Tu l'as rejeté de ton sein, tu l'as fait sortir de tes murs, et, l'élevant entre le ciel et la terre, il semble que tu as dit à l'Eglise des nations et à l'Eglise des premiers nés qui sont dans le ciel : ni vous, ni moi ne l'aurons, qu'on le coupe par la moitié, ou plutôt qu'on le partage non pas pour que- nous en ayons chacun notre part, mais pour que nous en soyons également privées. En effet, après l'avoir chassé de ton sein, tu l'as ensuite pris en tes mains et élevé en l'air; mais tu ne l'as éloigné et élevé que dans la mesure nécessaire pour qu'il ne fût plus dans ton enceinte, et qu'il ne touchât plus à la terre; puis tu l'as environné de fer, pour l'empêcher de s'écarter d'un côté ou de l'autre. Tu voulus que, séparé de toi, il n'appartint ni à l'une ni à l'autre Eglise. O mère cruelle, tu as voulu qu'il fût comme un enfant né avant le terme, en empêchant que personne le reçût à sa naissance. Eh bien, vois maintenant à quoi tu as réussi, ou plutôt vois que tu n'as réussi à rien. Toutes les filles de Sion sortent de leur demeure pour voir leur roi Salomon couronné du diadème que tu lui as mis sur la tête. Et lui, quittant sa mère, il s'est attaché à son épouse, pour ne plus faire qu'un avec elle en une seule chair. Chassé de ton enceinte et élevé de terre, il attire tout à lui, car il est le Dieu béni par dessus tout dans les siècles des siècles, ainsi soit-il.





JOUR DE NOËL


2021

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE NOËL. Les fontaines du Sauveur.

1. C'est un grand jour, mes frères, que le jour de la naissance de Notre-Seigneur, mais il est plus court que les autres et me force de vous parler moins longuement. Ne vous étonnez pas que j'abrége mes paroles quand Dieu le Père a lui-même diminué son Verbe. Voulez-vous savoir combien était grand celui qu'il a fait petit ? écoutez comment ce Verbe parle de lui-même a Je remplis le ciel et la terre (Jr 23,24). » Or, aujourd'hui il s'est fait chair, et on l'a déposé dans une étroite étable. «Vous êtes Dieu, lui dit le Prophète, vous l'êtes dès le commencement des siècles, et vous le serez jusqu'à la fin (Ps 89,29), » et voilà qu'il est devenu un enfant d'un jour.. Dans quel but, mes frères, pourquoi s'est-il anéanti, s'est-il humilié, s'est-il rapetissé de la sorte, lui le Seigneur de toute majesté, sinon pour que vous fissiez de même? Il commence dès maintenant à prêcher d'exemple ce qu'il doit plus tard enseigner de bouche, et à dire : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Mt 11,29). » En sorte que celui qui a dit que «Jésus a commencé par agir avant d'enseigner (Ac 10,1),» se trouve n'avoir rien dit que de vrai. Je vous en prie donc de toutes mes forces, mes frères, ne permettez pas qu'un si précieux modèle se soit en vain placé sous vos yeux, façonnez-vous sur lui, et renouvelez-vous au fond même de votre âme (Ep 4,23). Livrez-vous à l'étude de l'humilité, qui est le fondement et la gardienne de toutes les vertus; marchez sur ses pas, elle seule peut sauver vos âmes. D'ailleurs, est-il rien de plus indigne, rien de plus détestable et qui mérite de plus grands châtiments que d'entreprendre de s'élever sur la terre, quand on voit le Dieu même du ciel devenu tout petit Enfant ? il est d'une intolérable impudence, pour un misérable ver de terre, de s'enfler et de se grandir quand la majesté de Dieu même se réduit à néant.

2. Voilà donc pourquoi, il s'est anéanti en prenant la forme de l'esclave, lui qui était par sa forme égal à Dieu le Père; mais s'il s'est anéanti, c'est comme puissance et comme majesté, non point en tant que bon et miséricordieux. En effet, que dit l'Apôtre? « La bonté et l'humanité de Dieu, notre Sauveur, a paru dans le monde (Tt 3,4). » La puissance avait paru dans la création du monde, sa sagesse dans la manière dont il est gouverné, mais c'est surtout aujourd'hui dans son humanité que sa bonté et sa miséricorde se montrent à nous. Les Juifs avaient vu sa puissance éclater dans les prodiges et dans les miracles, aussi lisons-nous dans la loi ces paroles : « C'est moi qui suis le Seigneur, oui, c'est moi. » Les philosophes ont pu aussi par leurs propres yeux constater bien souvent quelle est sa majesté, car l'Apôtre a dit : « Ils ont connu ce qui peut se découvrir de Dieu (Rm 1,19).» Mais d'un côté les Juifs tremblaient à la pensée de sa puissance, et les philosophes étaient écrasés, dans leurs études sur Dieu, par le poids de sa gloire. La puissance commande la soumission; la majesté, l'admiration; ni l'une ni l'autre ne commandait l'imitation. Montrez-nous donc, Seigneur, votre bonté que l'homme créé à votre image puisse imiter, car nous ne pouvons point imiter et ne devons pas vous envier votre majesté, votre puissance et votre sagesse. Jusques à quand votre miséricorde demeurera-t-elle à l'étroit au milieu des anges, et n'avez-vous que votre justice à montrer au genre humain tout entier ? «Seigneur, votre miséricorde est grande dans les cieux, et votre vérité l'est de la terre jusqu'aux nues (Ps 35,6), » et condamne également la terre tout entière et toutes les puissances de l'air. Que votre miséricorde étende son empire, qu'elle porte plus loin les pieux et les colonnes de la vérité, qu'elle agrandisse son bien et qu'elle atteigne d'un bout du monde à l'autre, avec force et dispose tout avec douceur. Seigneur, votre sein est resserré par le jugement, dénouez votre ceinture, et venez à nous ruisselant de miséricorde et débordant de charité.

2022 3. Que crains-tu, ô homme, pourquoi trembles-tu à la pensée de la présence du Seigneur qui vient ? S'il vient, ce n'est pas pour te juger, mais pour te sauver. Jadis un de ses esclaves infidèles te persuada de lui dérober furtivement sa couronne et de ceindre ton front de son diadème. Pris sur le fait, tu avais tout à craindre, tu devais chercher à te soustraire à sa vue, d'autant plus que peut-être déjà le glaive flamboyait dans sa main. Mais aujourd'hui, dans le lieu de ton exil, là même où tu manges un pain arrosé de tes sueurs, un cri a retenti dans toute la contrée, le dominateur arrive. Où fuir le souffle de ses lèvres, où te cacher de sa présence ? Non, non, ne t'enfuis point, n'aie pas peur. Il ne vient pas les armes à la main, il ne veut point te punir, mais te sauver. Bien plus, pour que tu ne puisses dire encore : «J'ai entendu votre voix et je me suis caché (Gn 3,10), » il vient aujourd'hui sous les traits d'un tout petit enfant qui, bien loin de parler, ne fait entendre que des vagissements plus touchants que terribles, du moins pour toi, sinon pour tout autre. Il s'est fait tout petit enfant, une Vierge mère enveloppe ses membres délicats de langes, peux-tu trembler encore ?Reconnais du moins à ces signes qu'il est venu, non pour te perdre, mais pour te sauver, non pour te garrotter, mais pour t'arracher à tes chaînes. Déjà même il lutte contre tes ennemis, déjà, cet enfant, qui n'est rien moins que la vertu et la sagesse de Dieu, foule de son pied le cou des grands et des superbes.

4. Tu comptes deux ennemis, la mort et le péché; c'est-à-dire la mort du corps et celle de l'âme. II vient pour les terrasser tous les deux et pour te délivrer de leurs mains, n'aie donc point peur. Et d'abord, il a commencé par vaincre le péché dans sa propre personne, en prenant la nature humaine sans en prendre la souillure. Le péché subit une éclatante défaite et se vit en effet complètement terrassé le jour où la nature humaine, qu'il se glorifiait d'avoir asservie et infectée tout entière de sa présence, se trouva, dans le Christ, complètement soustraite à son empire. Dès ce moment-là le Christ s'est mis à la poursuite de tes ennemis, et s'est rendu maître d'eux, et il ne s'est donné de cesse qu'il les ait anéantis. Ainsi il s'est attaqué au péché dans toute sa conduite, le harcelant par ses paroles et par ses exemples; il l'a chargé de chaînes dans sa passion, comme le fort armé de l'Evangile, et jeté au vent tout ce qui est à lui. Puis, continuant ses triomphes, il vainc la mort en lui-même d'abord, le jour où il ressuscite le premier de ceux qui dorment dans le sépulcre, le premier né d'entre les morts; ensuite il se prépare à la terrasser également en nous tous, le jour où il rappellera nos corps mortels à la vie, et portera le dernier coup à la mort elle-même. Voilà pourquoi il se revêtit de gloire en ressuscitant, non plus de langes comme il en avait pris à sa naissance. Voilà pourquoi celui qui commença par laisser flotter les pans de sa miséricorde et ne jugea personne, les releva à sa résurrection, et semble les avoir serrés contre lui en se ceignant les reins de la ceinture de la justice ; c'est que maintenant il se prépare au jugement qui doit avoir lieu le jour de notre résurrection. Il a donc commencé à venir sous les traits d'un tout petit enfant pour prodiguer la miséricorde, il voulait qu'elle devançât le jugement dernier, afin d'en tempérer la sévère justice.

5. Mais s'il vient à nous sous la forme d'un petit enfant, il ne s'en suit point qu'il ne nous apporte et ne nous donne rien que de petit. Si vous me demandez ce qu'il nous apporte, je vous répondrai qu'avant tout, il vous apporte la miséricorde par laquelle, selon l'Apôtre, « Il nous a sauvés (Tt 3,5). » Car il ne fit pas de bien seulement à ceux qu'il trouva sur la terre quand il y arriva, mais, semblable à une fontaine qu'on ne peut jamais épuiser, Jésus-Christ, Notre-Seigneur, est pour nous une source où nous sommes lavés, comme il est écrit: « Il nous a aimés et nous a lavés de nos péchés dans son sang (Ap 1,5). » Mais l'eau ne sert pas seulement à laver nos souillures, elle étanche aussi notre soif; voilà pourquoi le sage après avoir dit: « Heureux l'homme qui demeure appliqué à la sagesse et qui s'exerce à pratiquer la vertu (Qo 14,22), ajoute-t-il : Elle lui fera boire l'eau du salut (Qo 15,2),» car la sagesse de la chair est une mort et celle du monde est ennemie de Dieu; il n'y a que la sagesse de Dieu qui soit salutaire et qui, selon saint Jacques, «d'abord est chaste, et en second lieu amie de la paix (Jc 3,17). » Au contraire, la sagesse de la chair est amie du plaisir et n'a rien de modeste; celle du monde aime le tumulte et n'a rien de pacifique. Quant à la sagesse qui vient de Dieu, elle est chaste avant tout, ne recherche point son avantage, mais les intérêts de Jésus-Christ, et ne porte point les hommes à faire leur volonté, mais à considérer quelle est celle de Dieu; ensuite elle est pacifique, c'est-à-dire que, bien loin d'abonder dans son propre sens, elle préfère se ranger à la manière de voir et aux conseils d'autrui.

2023 6. En troisième lieu, l'eau sert à l'arrosage, or ce dont les nouvelles plantations ont le plus besoin, c'est précisément d'être arrosées, car faute d'eau, où elles languissent, ou même elles périssent tout à fait de sécheresse. Que ceux donc qui ont semé la semence des bonnes oeuvres puisent de l'eau de la dévotion, s'ils veulent que leur jardin de la bonne vie, arrosé des eaux de la grâce, se fasse remarquer par sa verdure continuelle, au lieu d'être brûlé par la sécheresse. C'est pour eux que le Prophète fait cette prière : « Que votre holocauste soit gras (Ps 19,4). » De même, c'est à la louange d'Aaron que nous voyons écrit dans les saintes Lettres, que le feu dévorait tous les jours son sacrifice. Or, toutes ces expressions ne signifient pas autre chose, sinon que toutes nos bonnes oeuvres doivent être assaisonnées d'une dévotion pleine de ferveur, et de la douceur de la grâce spirituelle. Pourrons-nous trouver la quatrième fontaine qui nous rendra ce paradis charmant que quatre sources arrosaient? Car, si nous avons perdu tout espoir de recouvrer le paradis de la terre, comment pourrions-nous conserver l'espérance de posséder celui du ciel? «En effet, si vous ne me croyez pas, est-il dit, lorsque je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous quand je vous parlerai de celles du ciel. (Jn 3,12)? » Or, puisque la vue des choses présentes vous fait espérer plus fermement les choses futures, nous avons un paradis bien meilleur et bien plus agréable que celui de nos premiers parents; car notre paradis à nous, c'est notre Seigneur Jésus-Christ. Nous avons déjà trouvé trois fontaines en lui; cherchons quelle est la quatrième Nous avons la fontaine de la miséricorde, dont les eaux de pardon lavent nos souillures; nous avons celle de la sagesse, dont les eaux de discrétion servent à étancher notre soif ; nous avons enfin celle de la grâce, dont les eaux de dévotion arrosent les plantes de nos bonnes oeuvres : cherchons maintenant de l'eau bouillante, les eaux du zèle, pour faire cuire nos aliments. Ce sont, en effet, les eaux bouillantes de la charité qui font cuire et assaisonnent nos affections. Voilà pourquoi le Prophète disait : « Mon coeur s'est échauffé au dedans de moi, et tandis que j'étais en méditation, il était embrasé par le feu (Ps 38,4). » Et encore : « Le zèle de votre demeure me consume (Ps 60,10). » En effet, quiconque est amené par la douceur de la dévotion à l'amour de la justice, est conduit par la ferveur de la charité à la haine de l'iniquité. Ne pensez-vous point que 'est de ces fontaines que parlait le Prophète quand il disait : « Vous puiserez de l'eau avec joie aux fontaines du Sauveur (Is 12,3)?» Si vous voulez vous convaincre qu'en cet endroit ses promesses ont rapport à la vie présente, non point à la vie future, veuillez remarquer la suite de son discours : « Et pleins de joie, dit-il, vous vous écrierez alors, chantez les louanges du Seigneur, et invoquez son nom (Is 12,4)» En effet, l'invocation n'a rapport qu'au temps présent, selon ce qui est écrit : « Invoquez-moi au jour de la tribulation (Ps 49,15). »

7. De ces quatre fontaines (a), il y en a trois qui semblent convenir proprement aux trois ordres de l'Eglise. En effet, le premier état est commun à tous les fidèles; attendu que tous nous faisons encore bien des fautes et que tous, par conséquent, nous avons bien besoin des eaux de la fontaine de miséricorde pour nous purifier de la souillure de nos péchés. « Tous, dit en effet PAp8tre, nous sommes pécheurs et avons besoin de la gloire de Dieu (Rm 3,23). » Oui, tous, tant que nous sommes, prélats, célibataires et hommes mariés, « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes (1Jn 1,8). » Mais si personne n'est exempt de souillure, tout le monde a donc besoin de miséricorde; aussi Noë, Daniel et Job, doivent-ils courir à cette fontaine avec la même ardeur ? Au reste, Job peut rechercher la fontaine de la sagesse, car il se douve au milieu des filets de l'ennemi, et il serait bien surprenant qu'il pût échapper à toute espèce de péchés. Quant à Daniel, c'est à la fontaine de la grâce qu'il doit courir, car il a besoin de la grâce de la dévotion. pour engraisser les couvres de pénitence et les fatigues de l'abstinence. Quant à nous, ce qui nous importe le plus, c'est de faire toutes nos actions en esprit de joie: «Car Dieu aime celui qui donne avec joie (2Co 9,7).» Or, la terre où nous vivons est loin d'être fertile en cette sorte de moisson qu'on appelle une bonne vie; aussi se dessèche-t-elle bien vite, si on ne l'arrose souvent. Voilà pourquoi, dans l'Oraison dominicale, nous demandons cette grâce, sous le nom de notre pain quotidien. Et nous avons bien raison de le faire, si nous voulons échapper à cette terrible imprécation du Prophète «Qu'ils deviennent semblables à l'herbe qui pousse sur les toits et qui se sèche avant qu'on l'arrache (Ps 128,6). » Mais la fontaine du zèle convient plus particulièrement à Noë, parce que c'est aux prélats surtout qu'il appartient d'avoir du zèle.

2024 8. Or, Jésus-Christ montre en lui ces quatre fontaines à tous ceux qui comptent encore au nombre des vivants. Quant à la cinquième, après laquelle le Prophète soupirait en ces termes: » Mon âme est dévorée du désir du Seigneur, comme par les ardeurs de la soif (Ps 41,2), » c'est la fontaine de la vie que le Christ nous promet après la mort. Peut-être sont-ce ces- quatre fontaines que représentent les quatre plaies que le Sauveur reçut pendant qu'il était encore vivant sur la croix ; la cinquième serait figurée par le coup de lance qui lui perça le coeur après qu'il eût expiré. Il vivait encore quand on lui perça les pieds et les mains, pour nous ouvrir, pendant notre vie, quatre fontaines qui coulassent de lui: il reçut la cinquième plaie après avoir rendu le dernier soupir, afin de nous ouvrir en lui, après sa mort, une cinquième fontaine. Mais, pendant que nous approfondissons le mystère de la naissance du Sauveur, nous voilà conduits à parler de celui de la passion. Après tout, il n'y a rien d'étonnant que nous cherchions dans la passion ce qu'il nous a apporté dans sa naissance, car c'est alors que les cordons de la bourse qui renfermait le pria de notre rédemption, ayant été coupés, les trésors qu'elle renfermait se répandirent sur la terre.

a Consulter le quatre-vingt-seizième des Sermons divers, où saint Bernard donne une autre explication de ces quatre fontaines.



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DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE NOEL. Les trois principales oeuvres de Dieu et ses trois mélanges.


Bernard sermons 2017