Bernard sermons 2035

2035 3. Peut-être me demandera-t-on comment la miséricorde peut être le propre de celui dont les jugements sont un abîme sans fond (Ps 35,6) ? D'ailleurs, quand elle parle de lui, l'Ecriture ne dit pas « toutes ses voies ne sont que miséricorde, mais toutes ses voies sont en même temps miséricorde et vérité (Ps 24,10). » Celui à qui nous attribuons dans nos cantiques la miséricorde et la justice, n'est pas moins juste que miséricordieux (Ps 100,1). Nous répétons encore dans nos chants, qu'il a miséricorde de qui il veut et qu'il endurcit qui il lui plaît (Rm 9,18) ; mais la miséricorde lui est propre, car c'est en lui qu'il trouve la matière et comme le germe de la miséricorde. Pour ce qui est au contraire de ses jugements et des condamnations qu'il prononce, c'est nous en quelque sorte qui le forçons à les prononcer, en sorte qu'il semble que c'est la miséricorde, bien plutôt que la vengeance, qui coule naturellement de son coeur. Entendez-le dire, en effet : « Est-ce que je veux la mort de l'impie, et ne veux-je pas plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive (Ez 18,23) ? » C'est donc avec raison que, au lieu de lui donner le nom de Père des jugements et des vengeances, on l'appelle Père des miséricordes (2Co 1,3), non-seulement parce que, semblable à un Père, il fait preuve de sentiments de miséricorde plutôt que d'indignation et qu'il a pitié de ceux qui le craignent, comme un père de ses enfants, mais bien plus encore, parce qu'il trouve en lui-même la cause et le principe de sa miséricorde pour nous, tandis que c'est nous qui lui fournissons matière, motif à exercer ses jugements et ses vengeances.

4. Mais si les choses étant ainsi, on peut l'appeler le Père de la miséricorde, pourquoi le nomme-t-on le Père des miséricordes ? (2Co 1,3) Le Prophète a dit : «Le Seigneur a parlé une fois, et j'ai entendu ces deux choses : que la souveraine puissance appartient essentiellement à Dieu et que vous êtes, Seigneur, rempli de miséricorde (Ps 61,12 Ps 61,15). » D'ailleurs l'Apôtre nous montre une double miséricorde dans le Verbe, dans le Fils seul, en nous disant que Dieu est le Père non d'une seule miséricorde, mais des miséricordes, le Dieu non d'une seule, mais de toute sorte de consolations (2Co 1,4), qui nous console non-seulement dans telle et telle tribulation mais dans toutes nos tribulations. Un écrivain sacré a dit que les miséricordes du Seigneur sont en grand nombre (Lm 3,32), sans doute parce que les tribulations dont il délivrera les justes sont nombreuses. Il n'y a qu'un Fils de Dieu, il n'y a qu'un Verbe, mais notre misère est multiple, et réclame, non pas seulement une grande miséricorde, mais une multitude de miséricordes. Peut-être à cause des deux substances dont se compose la nature humaine, qui sont l'une et l'autre bien misérables, pourrait-on dire avec raison que la misère de l'homme est double, bien que chacune de ces substances compte plusieurs misères, puisque les tribulations de la chair et du coeur sont nombreuses, mais celui qui sauve tout l'homme, le soustrait à cette double nature de misères. Mais comme cet unique Fils de Dieu est déjà venu sur la terre à cause de nos âmes, pour ôter les péchés du monde, et doit revenir une seconde fois pour nos corps, afin de les ressusciter et de les rendre semblables à son corps glorieux, peut-être ne semblera-t-il pas hors de raison de reconnaître une double miséricorde quand nous parlons du Père des miséricordes. En effet, lorsqu'il prit un corps et une âme semblables aux nôtres, le Prophète ne s'est pas contenté de dire une seule fois : « consolez-vous, » mais comme nous l'avons rappelé plus haut, il a dit : « Consolez-vous, consolez-vous, dit le Seigneur votre Dieu (Is 40,1), » sans doute pour nous faire comprendre que celui qui a bien voulu s'unir nos deux substances venait pour les sauver l'une et l'autre.

2036 5. Mais, selon vous, quels sont ceux qu'il doit sauver ? Evidemment il ne sauvera que son peuple, car le Prophète a dit : « Il sauvera, non pas tout le monde indistinctement, mais son peuple de ses péchés, » et plus tard, ce ne sont point tous les corps, mais seulement celui des humbles qu'il rendra semblables à son corps glorieux. Si donc il console son peuple ce ne peut être bien certainement qu'un peuple humble, celui qu'il doit sauver; car, pour les regards des superbes il doit les confondre. Voulez-vous savoir quel est son peuple ? Un homme selon son coeur nous le fait connaître en ces termes : «C'est à vous Seigneur que le soin du pauvre est laissé (Ps 10,14). » Et Jésus lui-même nous le fait comprendre dans son Evangile en disant : « Malheur à vous riches, parce que vous avez reçu votre consolation (Lc 2,24). » Dieu veuille, mes frères bien aimés, que nous préférions toujours être du nombre de ceux que le Seigneur Dieu console, non point de ceux à qui il dit : Malheur à vous ! Après tout pourquoi consolerait-il ceux qui ont déjà une consolation ? La muette enfance du Christ n'est point faite pour consoler ceux qui parlent beaucoup, ses larmes ne sauraient être la consolation de ceux qui rient sans cesse, ses langes ne consolent guère ceux qui se prélassent dans leurs beaux vêtements, et ceux qui aiment à occuper les premières places dans les synagogues ne trouvent rien qui les console dans l'étable et dans la crèche du Sauveur. Mais peut-être toutes ces choses seront-elles autant de consolations pour ceux qui attendent dans le silence que le Seigneur les console, pour ceux qui pleurent et qui ne sont couverts que de pauvres langes aussi. D'ailleurs ils peuvent remarquer que les anges n'en consolent point d'autres, c'est en effet à des bergers, qui veillaient et gardaient leurs troupeaux pendant la nuit, qu'ils annoncent la joie de la lumière nouvelle et la naissance du Sauveur. C'est pour les pauvres, pour ceux qui travaillent, non pour vous, ô riches, pour vous, qui avez déjà votre consolation avec le « malheur à vous, » tombé des lèvres d'un Dieu; que la splendeur d'un jour éclatant brille au milieu des veilles de la nuit, que la nuit même s'est éclairée comme le jour, disons mieux, que la nuit s'est changée en un jour lumineux au moment ou l'Ange disait : « Aujourd'hui même un sauveur vous est né (Lc 2,11); » aujourd'hui, disait-il, non pas cette nuit. C'est qu'en effet la nuit était passée, le jour était venu, ce jour, dis-je, qui est lumière de lumière, le salut de Dieu, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est Dieu béni par dessus tout, dans tous les siècles des siècles, ainsi soit-il.




LES SAINTS INNOCENTS

2037

SERMON UNIQUE POUR LE JOUR DES SAINTS INNOCENTS. Sur les quatre fêtes successives de Noël, de Saint Etienne, de Saint Jean et des saints Innocents.

1. Béni soit le Seigneur Dieu, qui vient au nom de Dieu et qui a lui parmi nous. Béni soit son nom de gloire qui est aussi un nom de sainteté, le fruit saint des entrailles de Marie n'est pas venu pour rien, mais il a répandu parmi nous,, avec une grande abondance, le nom et la grâce de la sainteté. C'est par lui, en effet, qu'Etienne est saint, que Jean est saint, que les Innocents sont saints. Aussi n'est-ce point sans raison que trois fêtes solennelles font suite à la fête de Noël, c'est non-seulement pour que notre piété trouve un aliment dans cette succession non interrompue de fêtes, mais pour que nous comprenions bien qu'elles sont comme un écoulement, comme un fruit de la fête même de Noël. En effet, chacune de ces solennités nous rappelle trois sortes de sainteté auxquelles il serait bien difficile, je pense, d'en ajouter une quatrième, du moins parmi les hommes. Saint Etienne nous offre l'exemple d'un martyr où le fait et la volonté se trouvent réunis ; saint Jean n'eut que la volonté du martyre et les saints Innocents n'en eurent que le fait. Tous ont bu le calice du salut, l'un en esprit et en vérité, l'autre en esprit et les derniers en vérité. Le Seigneur avait dit à Jacques et à Jean: « Vous boirez en effet mon calice (Mt 20,23), » or il n'est pas possible de douter qu'il voulait leur parler du calice de sa passion. Lorsque s'adressant à Pierre, il lui dit : « Suivez-moi (Jn 21,20) » il l'engageait évidemment à le suivre dans la voie de sa passion. « Mais lui, se retournant, voit venir après lui, le disciple que Jésus aimait, » et qui le suivait beaucoup moins encore en marchant sur ses pas, qu'en volant par le coeur à sa suite. Ainsi donc saint Jean but en effet le calice du salut, et suivit le Seigneur aussi bien que saint Pierre, bien que d'une manière différente; car s'il demeura sans souffrir effectivement dans son corps la passion du Seigneur, ce fut par suite d'une disposition toute divine, comme le Seigneur le dit expressément lui même en ces termes : «Quant à lui, je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je revienne (Jn 22). » C'est comme s'il avait dit : il veut me suivre ainsi, mais moi je veux qu'il reste comme il est.

2. Quant aux saints Innocents, quelqu'un doute-t-il de leurs couronnes? On ne peut douter que les enfants massacrés pour Jésus-Christ aient reçu la couronne du martyre, que lorsqu'on doute si ceux qui sont régénérés en Jésus-Christ, sont comptés au nombre des enfants d'adoption. Comment peut-on croire en effet que cet enfant qui est né pour nous, non point contre nous, aurait souffert que les enfants, nés en même temps que lui, fussent mis à mort à cause de lui, s'il n'avait point voulu leur assurer quelque chose de meilleur que la vie? De même qu'à cette époque, la seule circoncision, sans aucun acte de la volonté des enfants qui la recevaient, et maintenant le baptême suffit, de même pour le salut, ainsi le martyre souffert pour Jésus-Christ a du suffire également pour les sauver. Si vous me demandez quels mérites ils ont eus aux yeux de Dieu pour être sauvés, je vous prierai de me dire quel était leur crime aux yeux d'Hérode pour être mis à mort. Est-ce que par hasard la bonté de Jésus-Christ serait moins grande pour les couronner, que la cruauté d'Hérode ne le fut pour les faire périr? Je veux bien que saint Etienne passe pour un martyr aux yeux des hommes, puisque sa mort parut volontaire de sa part, surtout quand on le voit plus inquiet pour ses propres persécuteurs, jusqu'au moment même où il rendit le dernier soupir, que pour lui-même, et oublier ses propres souffrances corporelles, pour ne songer qu'à compatir, du fond du coeur, au malheur des autres et à gémir plutôt sur leurs péchés que sur les coups qu'ils lui portaient. Que saint Jean soit aussi un martyr aux yeux des anges qui, en leur qualité d'êtres spirituels, ont vu les dispositions de son coeur, cela n'empêche point qu'ils ne soient aussi de véritables martyrs à vos yeux, ô mon Dieu, et si les hommes, ni les anges, n'ont vu aucun mérite en eux, les prévenances singulières de votre grâce ne s'en montrent pas moins pour cela en eux. Vous avez tiré la louange la plus parfaite de la bouche des enfants qui ne pouvaient point parler encore (Ps 8,3). Les anges disent bien : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2,14). » C'est beaucoup sans doute, mais j'ose dire que ce n'est pas encore là une gloire parfaite, tant que ne s'est pas fait entendre celui qui dit : «Laissez venir à moi les petits enfants, parce que le royaume des cieux appartient à ceux qui leur ressemblent (Mt 19,14), » celui, dis-je, qui est la paix des hommes et les sauve dans le sacrement de sa bonté, sans le concours de leur volonté.

2038 3. Que ceux qui disputent sans fin sur le fait et l'intention considèrent et remarquent qu'il ne faut négliger ni l'un ni l'autre, à moins qu'il ne soient pas possible de les réunir; surtout qu'ils sachent bien que le fait ou l'intention, quand il est impossible de les réunir, non-seulement peut opérer le salut, mais même opère la sanctification. Qu'ils soient encore fermement convaincus que le fait sans l'intention est réputé méritoire, pourvu qu'il ne soit pas contredit par l'intention; car ceux qui agissent avec une volonté feinte trouvent la damnation là où les enfants trouvent le salut. De même il y a des cas où la volonté sans le fait, non pas contre le fait, suffit également. Par exemple, un homme meurt avec l'intention louable, mais imparfaite encore et stérile, de souffrir le martyre, personne n'osera dire qu'il n'est pas sauvé. En effet, il se peut que Dieu n'ait pas permis qu'il fût mis à l'épreuve, de peur qu'il ne vînt à faiblir et à se damner. Il est bien certain que s'il était exposé, avec une volonté faible, à une épreuve trop grande pour lui, et que sa volonté ne fût point fortifiée, il faiblirait, renierait sa foi, et périrait pour toujours, s'il venait à mourir en cet état. Car il est dit : « Je rougirai devant les anges de Dieu, de ceux qui auront rougi de moi devant les hommes (Lc 9,26). » Ainsi on peut être sauvé avec une volonté même imparfaite, lorsque le fait est impossible, on ne le peut plus quand l'acte fait défaut ou quand il est défectueux. La même chose peut se produire dans l'ignorance ; efforçons-nous donc d'avoir la charité et d'y ajouter la pratique des bonnes oeuvres, et ne regardons pas d'un oeil indifférent les péchés de faiblesse et d'ignorance, et rendons grâces à notre très-bon et très-libéral Sauveur, dans les sentiments d'une âme inquiète et timorée, de ce qu'il multiplie, avec une immense charité, les occasions de salut pour les hommes, et se plaît, lui qui veut que tous les hommes se sauvent et arrivent à la connaissance de la vérité (Jn 18,3), à trouver dans les uns le fait et l’intention réunis, dans les autres l'intention sans le fait, et dans les troisièmes, le fait sans l'intention. Or la vie éternelle c'est que nous connaissions le vrai Dieu le Père, et celui qu'il a envoyé, Jésus-Christ, qui est un seul vrai Dieu avec le Père, béni par-dessus tout dans les siècles des siècles, ainsi soit-il.





CIRCONCISION

2039

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE-SEIGNEUR.

Sur ce passage de l'Evangile : « Le huitième jour auquel l'Enfant devait être circoncis étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus. »

(Lc 2,21)

1. Dans ce peu de mots nous avons entendu l'exposition d'un grand mystère de charité. Le passage qu'on vient de vous lire convient admirablement bien au Verbe amoindri que le Seigneur .a fait sur la terre. Il s'est amoindri quand il s'est fait chair; et, fait chair, il s'est amoindri encore en recevant la circoncision. Le Fils de Dieu s'est fait un peu moindre que les anges, quand il a pris la nature humaine; mais quand il a reçu le remède de la corruption des hommes, il est descendu bien davantage au dessous d'eux. Quel besoin aviez vous d'être circoncis, ô vous qui n'avez point commis le péché et qui êtes exempt de la servitude? Que vous ne l'ayez point commis c'est évident d'après votre âge; et que vous n'en ayez point contracté la souillure, c'est ce que rendait encore plus certain la divinité de votre père et la virginité de votre mère. Vous êtes le grand prêtre qui, selon la prophétie plutôt que selon le précepte de la loi, ne doit être souillé ni par son père ni par sa mère (Lv 21,11). Vous avez un Père de toute éternité, mais ce père est Dieu, et le péché ne trouve point de place en lui. Vous avez une mère dans le temps, mais elle est vierge et la pureté n'a pu enfanter la corruption. Néanmoins l'Enfant est circoncis, l'Agneau sans tâche reçoit la circoncision, non parce qu'il en a besoin, mais parce qu'il veut la recevoir. Il n'y a point en lui vestige de blessure et cependant il se laisse poser les appareils des blessés. Ce n'est point ainsi qu'agissent les impies, non ce n'est point ainsi, la perversité et l'orgueil de l'homme ont d'autres allures. Il arrive quelquefois que nous faisons jactance de nos blessures, et que nous rougissons de l'appareil qui doit les guérir. Celui que personne ne peut convaincre de péché, reçoit, sans nécessité aucune, le remède du péché, mais un remède aussi humiliant que douloureux; il ne refuse point de souffrir le tranchant du couteau de pierre, quoiqu'il n'y ait qu'en lui que ce couteau ne puisse point trouver la rouille antique qu'il doit détacher. Mais nous au contraire, demeurant étrangers à tout sentiment de honte pour ce qu'il y a de honteux dans la faute, nous rougissons de faire pénitence, ce qui est le comble de la folie. Nous courons malheureusement au-devant du mal, et la honte nous retient plus malheureusement encore quand il faudra courir au remède. Celui qui n'a point fait le péché ne refuse pas d'être mis au rang des pécheurs, nous, au contraire, nous voulons être pécheurs et nous ne voulons point passer pour tels. Est-ce donc celui qui se porte bien qui a besoin du médecin, n'est-ce pas plutôt celui qui est malade? Que dis-je, n'est-ce point le malade, mais le médecin lui-même qui a besoin de remèdes? Quel est l'homme je ne dis pas d'une telle distinction, mais seulement d'une conscience aussi innocente qui se remettrait avec ce calme entre les mains de ceux qui doivent le circoncire ? Eh bien, le Christ paie avec patience la dette qu'il n'a point contractée, lui qui était venu pour purifier les autres, non pour être purifié lui-même du péché. Peut-être me direz-vous, pourquoi Jésus enfant ne recevrait-il point la circoncision ? Bien plus même pourquoi ne la recevrait-il pas avec autant d'humilité que de douceur? Pourquoi ne garderait-il point le silence en présence de ceux qui le circoncisent, lui qui se taira devant ceux qui le dépouilleront, et qui ne soufflera pas mot devant ceux qui le mettront en croix ? D'ailleurs il lui était bien facile de conserver sa chair intacte sous le couteau, puis«il a pu faire que le sein virginal de sa mère ne s'ouvrit point à sa naissance. Certainement il n'était point difficile à cet Enfant d'empêcher que sa chair ne fut circoncise, puisqu'il a pu si aisément la préserver de la corruption, même après sa mort.

2. « Le huitième jour auquel l'Enfant devait être circoncis étant donc arrivé, on lui donna le nom de Jésus. » Grand et admirable mystère! L'enfant est circoncis et reçoit le nom de Jésus. Que signifie ce rapprochement ? La circoncision semble plutôt faite en effet pour celui qui doit être sauvé que pour celui qui sauve, mais reconnaissez là le médiateur entre Dieu et les hommes. dès les premiers jours de sa vie, il rapproche les choses humaines des choses divines, celles d'en bas de celles d'en haut. Il naît d'une femme, mais d'une femme en qui le fruit de la fécondité ne fait point tomber la fleur de la virginité ; il est enveloppé de langes, mais ces langes sont l'objet de la vénération des anges mêmes : il est déposé dans une crèche, mais il est annoncé par une étoile qui brille dans les cieux. En même temps que la circoncision prouve qu'il s'est véritablement uni la nature humaine, le nom qu'il reçoit est un nom au dessus de tout autre nom, et dénote sa gloire et sa majesté. Il est circoncis comme véritable enfant d'Abraham, et il est appelé Jésus, comme vrai fils de Dieu. Mais mon Jésus ne reçoit pas, comme ceux qui furent nommés Jésus avant lui, un nom vain et vide de sens; ce grand nom n'est plus une ombre, il exprime la vérité. D'ailleurs l'Evangéliste nous apprend qu'il fut apporté du ciel, « c'était le nom, dit-il, que l'Ange lui avait donné avant qu'il fût conçu dans le sein de sa mère. » Remarquez quel mot profond. C'est après que Jésus est né qu'il est appelé par les hommes du nom de Jésus, qui lui avait été donné par l'Ange, avant même qu'il fût conçu. C'est qu'il n'est pas moins le Sauveur des anges que des hommes, des anges depuis le commencement du monde, et des hommes depuis son incarnation.

2040 3. « Il fut donc appelé Jésus, c'est le nom que l'Ange lui avait donné.» Ainsi toute parole se trouve confirmée par l’autorité de deux ou trois témoins (Mt 18,16). Celui que le Prophète nous fait voir amoindri, l’Evangile, plus explicite, nous le montre comme incarné. C'est nous, mes frères, oui c'est nous que regarde cette parabole car pour Jésus-Christ il n'a besoin du témoignage de l'Ange ni des hommes; mais selon ce qui est écrit: « il fait tout pour les élus (2Tm 2,10).» Si, donc nous ne voulons point qu'il semble que nous ayons pris le nom de notre Dieu en vain, il faut que nous cherchions un triple témoignage de notre salut. Ainsi, mes frères, il faut que nous aussi nous soyons circoncis, pour recevoir le nom du salut, mais circoncis en esprit et en vérité, non point au sens littéral, circoncis, dis-je, non dans un de nos membres, mais dans notre corps tout entier. Car, bien que c'est précisément dans cette partie du corps, où il est ordonné aux Juifs de pratiquer la circoncision, que se trouve l'excroissance de Leviathan, qui procède du mal et qui doit être retranchée, cependant il est vrai qu'elle a envahi le corps tout entier. De la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a pas une place saine en nous, pas une qui ne soit infectée par le poison. Par conséquent, si le peuple, alors qu'il était encore petit comme un enfant dans la foi et la charité, pouvait se contenter d'une circoncision restreinte, maintenant qu'il est devenu homme parfait, il est obligé de recevoir le baptême de tout le corps, ce qui n'est autre chose que la circoncision de l'homme tout entier. Voilà pourquoi notre Sauveur a voulu être circoncis le huitième jour de sa naissance, et à trente ans être mis en croix, où son corps tout entier fut assailli par la souffrance, et si nous sommes entrés en lui par la ressemblance de la mort, comme s'exprime l'Apôtre (Rm 6,5), c'est en observant les dernières prescriptions de la loi.

4. Quelle est la morale renfermée dans notre circoncision, sinon celle dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit: nous sommes satisfaits de la nourriture et des habits que nous avons. Cette pauvreté volontaire, le labeur de la pénitence, l'exacte observance de la discipline, nous purifient parfaitement et détruisent en nous tous les mauvais germes. Nous devons d'ailleurs chercher, dans cette circoncision, un triple témoignage de salut de l'Ange, de Marie et de Joseph. L'Ange du grand conseil doit, avant tout, nous imposer le nom du salut. Il faut de plus l'attestation de notre communauté, qui est comme la mère de chacun de nous, une mère, que dis-je? une Vierge comme celle que l'Apôtre a fiancée au Christ, son unique époux, pour la lui montrer comme une vierge pure et sainte. Mais celui qui cherche à imiter le Sauveur ne doit pas dédaigner le témoignage de son ministre : or, ce ministre est Joseph, qui eut le titre d'époux, mais qui, en réalité, ne fut que le serviteur, le tuteur, le nourricier, non le père dont il n'eut que le nom.

2041 5. Disons-le plus clairement encore. Il faut, mes frères, que non-seulement du dehors, mais encore ceux de l'intérieur rendent un bon témoignage de nous; il n'y a que celui dont la conduite plaît à tout le monde, et n'est pénible pour personne, qui reçoive un témoignage rassurant de tous ses frères au sujet de son salut. C'est en vain que l'accusateur acharné de ses frères l'attaque sur les choses qui ne paraissent qu'au dehors aux religieux, celui à qui tous ses frères rendent un bon témoignage. Quiconque, dans un aveu aussi plein d'humilité que de sincérité, expose à ses supérieurs, avec le désir de se soumettre à leurs décisions, non-seulement les fautes de sa vie mondaine, mais aussi les négligences de sa profession présente, (car « nous faisons tous beaucoup de fautes (Jc 3,2 et Jn 1,9), » à moins que nous rie nous croyions plus saints que le disciple bien-aimé du Seigneur,) recevra d'eux aussi un bon témoignage. Il n'a même plus rien à redouter de ce terrible accusateur, car le Seigneur ne juge pas deux fois la même faute. Mais peut-être essaiera-t-il de trouver notre intention en défaut, et tentera-t-il de dresser de ce côté un acte d'accusation qui réduise à néant le témoignage de nos frères et celui de nos supérieurs; voilà pourquoi nous avons besoin du témoignage de celui qui voit le dedans et qui regarde plutôt au coeur qu'au visage. D'ailleurs, c'est par lui qu'il faut commencer, et ne rien concevoir dans notre esprit qui n'ait reçu de lui, avant d'être conçu, un nom de salut. Puis, quand nous en venons à l'acte extérieur , il faut nous assurer les témoignages extérieurs, selon ce que dit l'Apôtre : « Tâchez de faire le bien avec tant de circonspection qu'il soit approuvé non-seulement de Dieu, mais aussi des hommes (1Co 8,21). »




2042

DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE-SEIGNEUR. Sur les différents noms de Notre-Seigneur.

1. « Le huitième jour auquel l'Enfant devait être circoncis étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus (Lc 2,21). » Dès le principe, Dieu aime la mesure, et jamais ce qui s'en est écarté n'a plu à sa justice. Voilà pourquoi non-seulement il a tout créé lui-même avec poids et mesure, avec nombre et proportion, mais il a fait à l'homme une obligation de s'astreindre à la mesure, en lui disant : « Tu peux manger du fruit de tous les arbres du paradis, mais pour ce qui est de ceux de l'arbre de la science du bien et du mal, tu n'en mangeras point (Gn 2,16-17). » C'était assurément là un précepte bien facile, une mesure bien large; l'homme outrepassa néanmoins la mesure qui lui était prescrite, et franchit les limites qui lui avaient été tracées. Aussi le Seigneur son Dieu détourna la face de lui, et c'est à peine s'il s'adoucit enfin à l'époque où parut Abraham son ami; il donna une nouvelle mesure, il promulgua sa loi, mais ce ne fut pas comme aux premiers jours. En effet, la première loi était pour éloigner le mal; la seconde fut pour le guérir; dans le principe, ce n'était qu'une défense, une barrière élevée contre la superfluité, alors ce fut un retranchement; le précepte eut pour but, par un remède mystérieux, de faire disparaître ce qui était de trop. Enfin, l'objet de la première loi fut un arbre dont l’homme ne devait point manger le fruit; l'objet de la seconde est son propre corps, sa chair même qu'il doit circoncire. On ne peut pas douter, il est vrai, que l'excroissance de Léviathan, je veux dire le venin de la concupiscence et l'attrait immodéré d'une volupté déréglée, n'eussent envahi le corps entier de l'homme, et rendu nécessaire une circoncision générale de tous les membres.

2. Mais le corps de l'homme est trop faible et son enfance trop délicate pour supporter une circoncision pratiquée dans tous ses membres à la fois. Dieu, par une disposition pleine de bonté, en a adouci la rigueur, et a réglé que la concupiscence serait châtiée dans le membre où elle fait sentir plus violemment ses ardeurs et sa malignité. En effet, dans la révolte de la chair contre l'esprit, c'est le seul membre dont le soulèvement est si violent, qu'il se porte, en dépit de tous les efforts de la volonté, à des mouvements déshonnêtes et coupables. La circoncision se pratiquait le huitième jour de la naissance, pour rendre à l'homme l'espérance du royaume des cieux, attendu que le retour du premier jour de la naissance semblait former comme une couronne. C'est pour la même raison qu'on célèbre encore l'octave de certaines fêtes, et que, dans son sermon sur la montagne, le Seigneur termine la huitième béatitude comme il avait terminé la première (Mt 5,10), afin que la promesse du royaume des cieux, étant rappelée une seconde fois, nous figurât plus clairement encore une couronne.

2043 3. Mais ce n'est point sans une bonne raison que l'Enfant qui nous est né reçut le nom de Sauveur à sa circoncision, attendu, qu'en répandant alors son sang pour nous, il commence à opérer notre salut. Il n'est pas nécessaire, pour un chrétien, de se demander pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ voulût être circoncis; car la raison qui l'a fait circoncire est la même que celle pour laquelle il est né et pour laquelle il a souffert : ce n'est pas pour lui, mais pour les élus qu'il a fait tout cela; car il n'a point été conçu dans le péché; ce n'est point la chair du péché qui a été circoncise en lui, et ce n'est pas pour ses péchés, mais seulement pour les nôtres qu'il est mort. « Or ce nom, dit l'évangéliste, lui fut donné par l'Ange avant même qu'il fut conçu dans le sein de sa mère. » Il lui fut .donné, non imposé, attendu qu'il lui appartient de toute éternité. Il est le Sauveur par nature, et ce nom est inné en lui, plutôt qu'il ne lui est donné par un homme ou par un ange.

4. Mais comment expliquer que le grand Prophète, qui a prédit tous les noms qu'on devait donner à. cet Enfant, ait précisément omis le seul dont, selon la parole de l'Ange et la remarque de l'Évangéliste « il fut appelé? » Isaïe a tressailli du désir de voir ce jour: il l'a vu, et il a été comblé de joie. C'était aussi dans un sentiment de reconnaissance envers Dieu et en célébrant ses louanges, qu'il s'écriait : « Un Enfant nous est né et un Fils nous a été donné : il portera sur son épaule la marque de la principauté; il sera appelé l'Admirable, le Conseiller, Dieu, le Fort, le Père du siècle à venir, le Prince de la paix (
Is 9,6). » Tous noms bien grands, sans doute, mais je ne vois pas parmi ces noms celui qui est au-dessus de tous les noms, le nom de Jésus, celui auquel tout genou fléchit. Peut-être tous les autres noms ne sont-ils après tout que ce nom-là, exprimé, délayé en plusieurs mots, s'il est permis de parler ainsi. Car il est question dans le Prophète de celui dont l'épouse des cantiques dit, dans une explosion. d'amour : « Votre nom est comme l'huile qui se répand (Ct 1,2). »

2044 5. Ainsi, dans tous ces noms réunis, vous avez le nom de Jésus, et le Christ n'aurait pu ni recevoir le nom de Jésus, ni être le Sauveur, s'il lui avait manqué un seul de ces noms. En effet, n'avons-nous pas éprouvé par notre propre expérience, combien il est vraiment admirable dans le changement de nos volontés? Car c'est dans ce changement, c'est lorsque nous commençons à rejeter ce que nous aimions, à gémir de ce qui nous faisait le plus de plaisir, à embrasser ce que nous redoutions le plus, à suivre ce que nous fuyions, et à appeler de tous nos veaux ce que nous craignions davantage, que nous commençons à être saints. Assurément, celui qui produit des choses si admirables est admirable lui-même. Mais il faut aussi qu'il se montre conseiller, pour nous faire choisir la pénitence et régler notre vie, de peur que nous n'ayons un zèle dépourvu de science, une bonne volonté privée de toute prudence. Il faut aussi que nous le trouvions Dieu dans la rémission de nos péchés passés, sans cela, il n'y a pas de salut possible, car nul ne peut remettre les péchés si ce n'est Dieu. Mais ce n'est point encore assez, il faut que nous éprouvions sa force dans la lutte contre nos ennemis, sa force, dis-je, qui empêche que nous ne soyons vaincus de nouveau par nos anciennes concupiscences, et que notre dernier état ne devienne pire que le premier. Vous semble-t-il à présent qu'il lui manque quelque chose pour être un Sauveur accompli? Oui, il lui manque quelque chose encore, il lui manque même la chose la plus importante, c'est qu'il faut qu'il soit le père du siècle à venir, afin que par lui nous puissions ressusciter pour l'immortalité, de même que, par notre père du siècle présent, nous avons été engendrés pour la mort. Ce n'est pas tout encore, il faut qu'il soit enfin le Prince de la paix et qu'il nous réconcilie avec son Père à qui il va remettre le royaume; sinon, nous pourrions ressusciter comme les enfants de perdition, non pour le salut, mais pour la damnation. Sans doute son empire doit s'étendre, afin qu'il puisse être appelé avec raison le Sauveur, à cause de la multitude de ceux qui doivent être sauvés par lui : et la paix sera sans terme, pour vous apprendre que le véritable salut est seulement celui qui ne peut redouter de cesser d'être un jour le Salut.



TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE SEIGNEUR. Sur le huitième jour.

2045 1 . Mes frères, si dans la circoncision de Notre Seigneur, nous avons de quoi réveiller notre amour et exciter notre admiration ; nous avons aussi un exemple à suivre. J'y vois un grand bienfait, une grande grâce dont nous devons remercier Dieu; mais il y a quelque chose de caché que nous devons accomplir en nous. Car si le Seigneur est venu pour nous racheter par l'effusion de son sang, il est venu aussi pour nous instruire par sa parole et pour nous façonner par ses exemples; en effet, de même qu'il ne nous servirait à rien de connaître le chemin de la patrie si nous étions retenus en prison, ainsi serions-nous rachetés en pure perte, si le premier qui nous rencontrerait ignorants de la route à suivre, pouvait nous ramener à notre prison. Voilà pourquoi le Sauveur nous a donné, dans un âge plus avancé, des exemples manifestes de patience et d'humilité, de charité surtout et des autres vertus qu'il ne vous avait montrées dans son enfance que sous le voile des figures.

2. Mais, avant d'aborder ce sujet, j'éprouve du plaisir à vous entretenir quelques instants de la grâce si grande et si manifeste qu'il nous a faite. Les anges ont une gloire parfaite et sans mélange, mais nous aussi, nous aurons notre gloire. Nous voyons en effet sa gloire, une gloire telle qu'il convient au Fils unique du Père, la gloire de la miséricorde et d'un amour tout paternel, la gloire de celui qui procède du coeur de son Père, et qui en a les entrailles paternelles. Car, selon l'Apôtre, «tous les hommes ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (
Rm 3,23);» nous pouvons même ajouter avec lui : « Dieu me garde de nie glorifier en quoi que ce soit, excepté dans la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. (Ga 6,14). » Est-il en effet pour nous, rien de plus glorieux que d'avoir été estimés de Dieu à un si haut prix? Est-il gloire plus grande que la gloire qui nous revient d'une pareille grâce et d'une telle bienveillance, grâce et bienveillance d'autant plus douces qu'elles sont toutes gratuites ? Car il est mort pour les impies. Vous voyez tout ce que Jésus a fait et pour qui il l'a fait. Ce qu'il a fait, voilà de quoi nous donner bonne espérance : pour qui il l'a fait, cette pensée suffit pour abaisser notre orgueil. Aussi, mes frères, pour ne point être trouvés animés de l'esprit de ce monde, mais de celui de. Dieu, et,pour savoir ce que Dieu vous a donné, ne devenez point semblable au cheval et au mulet, je vous en prie, mais à la pieuse bête de somme qui s'écriait: « J'ai été devant vous, Seigneur, comme une bête de somme, et je me suis toujours tenu attaché à vous. (Ps 3). » Voilà en effet des bêtes de somme qui connaissent leur propriétaire et l'étable de leur maître, cette étable où il a mis pour elles un pieux fourrage, le pain même des anges. Il est le pain de vie dont tout homme doit vivre ; mais depuis que l'homme s'est fait bête de somme, son pain s'est changé en foin, afin qu'il puisse encore s'en nourrir.

2046 3. Or, nous avons célébré ce mystérieux changement le jour même de Noël, quand le Verbe s'est fait chair, car toute chair n'est que foin. C'est donc ce jour-là qu'il s'est amoindri un peu au-dessous même des anges, et qu'il s'est montré sous la forme humaine. Mais aujourd'hui j'entends parler de quelque chose de plus étonnant encore. En effet, je trouve qu'il s'est, non un peu, mais beaucoup abaissé au-dessous des anges, puisque non content de prendre la forme humaine, il a pris celle d'un pécheur, et reçu comme la marque du fer rouge des voleurs. Qu'est-ce, en effet, que la circoncision, sinon la marque de la superfluité et du péché? Mais en vous, Seigneur Jésus, qu'y a-t-il donc de superflu à circoncire ? N'êtes-vous pas vrai Dieu, né de Dieu le Père, et vrai homme, né d'une Vierge mère, sans aucune souillure? Que faites-vous donc, ô vous qui le circoncisez ?Pensez-vous que c'est pour lui qu'il a été dit: « Tout mâle dont la chair n'aura point été circoncise sera exterminé du milieu de son peuple (Gn 17,14) ? Son Père peut-il oublier jamais le Fils de son sein ? ou bien ne le reconnaîtrait-il point s'il ne portait la marque de la circoncision? Bien loin de là, s'il pouvait jamais méconnaître son Fils en qui il a placé toutes ses complaisances, ce serait surtout en le voyant marqué de ce signe, en apercevant dans sa chair la circoncision qu'il a établie pour les pécheurs, afin de les purifier de leurs péchés. Mais faut-il s'étonner que la tête ait pris un remède dont elle n'a pas besoin elle-même, mais qui était nécessaire pour la guérison de ses membres ? Est-ce qu'il n'arrive pas bien souvent, que nous appliquons de même un remède à un de nos membres pour en guérir un autre ? Nous avons mal à la tête, par exemple, on nous place un cautère au bras; sont-ce nos reins qui sont malades, c'est à la jambe qu'on applique le moxa, de même aujourd'hui pour arrêter la gangrène du corps entier, c'est à la tête qu'on place le cautère.

4. Après tout, pourquoi nous étonner que celui qui a bien voulu mourir pour nous, ait voulu aussi être circoncis pour nous? Il nous est donné tout entier et il paie pour nous tout entier. En apprenant que le Fils du grand Roi Passait devant la porte de ma prison, je me suis mis à pousser de plus grands gémissements et à crier d'une voix plus lamentable : Fils de Dieu, ayez pitié de moi. Et lui, dans son excessive bonté, demande que signifient les plaintes et les gémissements qui parviennent à ses oreilles. On lui répond : C'est le traître Adam que vous entendez; votre Père l'a fait précipiter dans cette prison en attendant qu'il ait décidé dans quels supplices il doit le faire périr. Que va faire celui dont la bonté est le propre et qui ne sait que faire miséricorde et pardonner? Il descend dans cette prison, il fait tomber les chaînes de celui qui y est détenu et il l'emmène à sa suite. Mais les Juifs qui haïssaient le Père, assouvissent leur haine sur le Fils: voilà ce qui lui fait dire : «Ils n'ont que de la haine pour moi et pour mon Père (Jn 15,24).» Que firent donc ces hommes qui ne pouvaient même point supporter sa présence ? « Voici l'héritier, se dirent-ils, venez, tuons-le (Mt 21,38). » Ils mirent donc l'Agneau de Dieu à mort, ce fut pour leur malheur, à eux, mais pour notre salut, à nous. Ils firent couler le sang de l'Agneau, et nous, nous nous sommes approchés et nous avons bu. Nous avons pris en main le calice du salut ; ah ! combien est beau cet enivrant calice! Il y a peu de jours, nous avons célébré son arrivée dans la prison de ce monde, c'est-à-dire le jour de sa naissance; aujourd'hui c'est la fête, pour nous, du jour où il rompit nos fers et prit nos liens; car c'est aujourd'hui que celui qui n'a point fait le péché a chargé ses mains innocentes des chaînes de ceux qui ont péché, afin de les sauver; aujourd'hui enfin, que celui qui a fait la loi, s'est soumis à la loi.

2047 5. Mais il faut dire maintenant le sens spirituel pratique de la circoncision ; car ce n'est pas sans cause qu'elle a été prescrite dans la loi (Gn 17,10) et accomplie dans le Seigneur, le huitième jour après sa naissance. Mais quia connu les desseins de Dieu ou, qui est entré dans le secret de ses conseils. (Rm 11,34) ? Que le Saint-Esprit réponde maintenant à vos désirs, lui qui scrute les profondeurs mêmes de Dieu, et qu'il vous explique le mystère caché dans ce huitième jour. Nous n'ignorons plus maintenant qu'il faut que l’homme reçoive une seconde naissance; car c'est pour cela que le Fils même de Dieu est né. Nous naissons tous dans le péché, et il faut que nous renaissions dans sa grâce. Or, c'est dans le baptême que nous la recouvrons; mais hélas! elle a péri tout entière dans la vie du monde. C'est à présent, pour la première fois, que, par un effet de la miséricorde de Dieu, la vertu de sa grâce opère en nous et nous fait marcher dans une nouvelle vie. L'homme naît donc seulement le jour où le soleil de justice se lève dans son âme, dissipe les ténèbres du péché, fait briller à ses yeux le terrible jugement de Dieu, sans dissiper la terreur qui le paralyse d'un nombre de jours aussi restreint que le terme en est sûr. Voilà proprement ce qu'il faut entendre par cette heure tardive, jusqu'à laquelle les larmes se prolongent, et qu'il faut voir suivie d'un joyeux matin qui vous fasse entendre la voix de la miséricorde; car voilà le soir et le matin dont se compose le jour, je veux dire le jour de la justice qui rende à chacun ce qui lui appartient, à nous la misère, à Dieu la miséricorde. C'est ce jour-là que naît l'Enfant, c'est-à-dire c'est lorsque notre coeur, comme je l'ai dit plus haut, est excité à l'amour de la pénitence et à la haine du péché.

6. Mais il n'est pas sans danger de vouloir faire pénitence au milieu du tourbillon du monde, là où les uns nous attirent au mal par leurs conseils empoisonnés, et les autres par leurs détestables exemples; là, dis-je, où ceux-ci nous poussent à la vaine gloire par leurs adulations, et ceux-là, à l'impatience par leurs détractions. Il faut que mes pas soient éclairés d'abord par le rayon de la prudence, qu'il nous montre quelles occasions et quelles fâcheuses facilités pour le péché le monde nous offre, et même fait naître devant nous, particulièrement dans ce siècle pervers: combien faible et débile est l'esprit de l'homme en leur présence, surtout quand il a grandi dans l'habitude du péché. Quand ce jour de la prudence a lui aux yeux de l’homme, qu'il prenne la résolution de fuir loin de ce siècle mauvais en disant avec le Prophète : « Je hais la société des méchants, et je neveux point m'asseoir avec les impies (Ps 25,6). » Mais ce n'est point encore assez, peut-être songe-t-il à fuir dans un désert, parce qu'il ne songe point assez ni à la faiblesse ni aux périlleux combats qu'il y aura à soutenir avec le diable. Est-il, en effet, rien de plus dangereux que d'avoir à lutter seul contre les ruses de l'antique ennemi qui nous voit et que nous ne saurions voir ? Il a donc besoin de voir se lever à ses yeux le jour de la force qui lui montre que sa force doit être confiée en garde au Seigneur, et qu'il doit la rechercher dans l'armée des innombrables combattants qui luttent à armes égales, là où l'on compte autant d'auxiliaires que de compagnons d'armes, et des auxiliaires qui peuvent dire avec l'Apôtre : « Nous n’ignorons point les pensées de l'ennemi (2Co 2,11).» En effet, l'union fait la force et devient « redoutable comme une armée rangée en bataille.» Au contraire, «malheur à celui qui est seul, car s'il vient à tomber, il n'a personne qui le relève (Qo 4,8).» Si nous apprenons, par l'histoire, que la grâce de la vie solitaire a été accordée à quelques pères, il n'est point prudent de s'exposer sans réflexion à une pareille épreuve, et il ne faut point tenter Dieu, comme s'exprime notre maître en parlant des anachorètes (Reg. s. Ben., cap,1), dans l'endroit où il dit : « Celui que la ferveur du novice, etc. » Aussi, le jour de la force, après avoir dit : « Je hais la société des méchants, » il continuera: « Je laverai mes mains dans la compagnie des innocents. »

2048 7. Mais quand il aura pris le parti d'entrer dans une communauté, voudra-t-il s'y conduire en maître, lui qui n'a pas encore été disciple, aura-t-il la prétention d'enseigner ce qu'il n'a jamais appris ? comment pourrait-il maîtriser, en lui-même ou dans les autres, les mouvements dans lesquels la raison n'est pour rien ? « nul n'a jamais haï sa propre chair (Ep 5,24). » Comment donc pensez-vous, s'il est son propre mettre, qu'il pourra facilement échapper au péril de se montrer parfois d'autant plus indulgent pour lui. qu'il s'aime davantage. Luise donc en lui le jour de la modération ; qui lui fasse chercher comment il pourra réprimer et modérer les mouvements insoumis de la volupté, les élans brutaux de la curiosité, et les fières aspirations de l'orgueil. Qu'il se plaise à être humilié dans. la maison de son Dieu, et à être soumis à un supérieur qui ploie sa volonté, et maîtrise sa concupiscence ou le frein de l'obéissance, et à devenir un de ceux dans la bouche de qui le Prophète met ces paroles : « vous avez placé des hommes au dessus de nous, Seigneur (Ps 65,12). » Il ne faut point qu'un esclave dédaigne de marcher sur les tracés du Seigneur; car « l'esclave n'est pas plus grand que son maître (Jn 13,16). » Or celui-ci avait déjà , grandi en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes, il avait atteint: l'âge de douze ans, lorsque étant demeuré à Jérusalem, il fut retrouvé par Marie et par Joseph qui passait pour être son père, au milieu des, docteurs, les écoutant et les interrogeant. Or il partit avec ses parents « et il leur était soumis (Lc 2,51) » Soyez donc soumis vous aussi, à cause de lui.

8. Mais dans les voies de l'obéissance il peut se présenter parfois des choses dures et difficiles à faire, des préceptes ,qui, bien que salutaires, semblent pourtant un peu pénibles. Si vous ne les supportez qu'avec peine, si vous vous mettez à juger vôtre supérieur, et à murmurer au fond de votre coeur, quand même au dehors vous accompliriez ce qu’il vous est prescrit, vous n'auriez point la vertu de patience. Votre vêtu ne serait qu'un voile jeté sur votre malice: Il faut dés lors que le jour de la patience se lève pour vous, afin que vous voyiez à embrasser avec un coeur soumis les choses les plus dures et les plus difficiles, apprenant à ne juger que vous, à vous trouver fortement répréhensible d avoir si peu de goût pour les choses du salut, à prendre toujours, alitant que possible, le parti de votre supérieur contra vous, à vous accuser vous-même et à excuser plutôt votre supérieur.

2049 9. Quand vous en êtes arrivé là, ce dont vous devez, le plus vous garder, suivant moi. c'est l'orgueil, car il est bien grand de le vaincre ainsi soi-même. Salomon a dit en effet ; « l’homme patient vaut mieux que l'homme courageux, et celui qui sait maîtriser son esprit vaut mieux que celui qui force des villes (Pr 16,32). » D'ailleurs, remarquez en quels termes assez claire le Prophète nous recommande l'humilité après la patience : « ô mon âme, soyez soumise à Dieu, puisque c'est de lui que me vient la patience (Ps 61,6). » ne vous semble-t-il pas, à l'entendre parler ainsi, qu'il se sentait porté à concevoir de l'orgueil de se patience ? Il est donc nécessaire que le rayon de l'humilité éclaire votre coeur, et vous fasse voir ce qui vient de vous, et ce qui vient de Dieu, afin que vous ne vous laissiez point aller aux sentiments de l'orgueil, attendu que « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jc 4,6). »

10. Lorsque vous vous serez exercé assez longtemps dans ces vertus, priez Dieu de faire luire à vos yeux la lumière de la dévotion, ce jour d'une extrême sérénité, le sabbat de l'âme, pendant lequel, tel qu'un soldat consommé, vous vivez sans fatigue au milieu de toutes les fatigues, et courez avec un coeur dilaté par la joie, dans la voie des commandements de Dieu. Ce jour vous fera accomplir avec une extrême douceur et un grand bonheur, ce que vous ne faisiez d'abord qu’avec contrainte et amertume. Voilà, si je ne me trompe, la grâce que demandait celui qui disait : « accordez-moi quelque relâche, afin que je me rafraîchisse (Ps 38,18). » C'est comme s'il avait dit : jusques à quand serai-je accablé par la sueur et la douleur, et sous le coup d'une mort qui me menace pendant une journée tout entière ? « laissez-moi un peu de relâche afin que je me rafraîchisse. » Mais, si je ne me trompe, il n'y en a pas beaucoup qui atteignent à ce degré de perfection en cette vie, et celui qui semble y 'être arrivé, ne doit pas trop se flatter pour cela, surtout s'il n'est encore que novice et s'il n'a pas franchi tous les degrés de sa profession, car le bon Jésus, Notre-Seigneur a coutume d'attirer ceux dont le coeur est encore faible, par de semblables douceurs. Mais il ne faut pas que ceux qui sont l'objet de ces faveurs oublient que cette grâce ne leur est que prêtée, non donnée, et que, dans les bons jours ils se rappellent qu'ils en ont eu de mauvais, et, dans les mauvais, qu'ils en ont eu de bons. Il en est tout autrement de ceux qui se sont depuis longtemps exercés, ceux-là goûtent avec bonheur les douces jouissances de la dévotion. Mais il y en a beaucoup qui aspirent toute leur vie après. ce bonheur et n'y arrivent jamais; toutefois s'ils ont, persévéré dans leurs pieux efforts, ils, ont à peine fermé les yeux, qu'ils reçoivent, en l'autre vie, ce qui leur a été refusé dans celle-ci : la grâce les conduit seule alors, où dans le principe ils tendaient avec elle, et, après une, vie de courte durée, ils, remplissent le cours d'une multitude de siècles (Sg 4,3).

2050 11. Ceux qui sont, arrivés à la grâce de la dévotion semblent n'avoir, plus qu'un péril à craindre, c'est celui que peut leur faire courir le démon du midi. « Car satan même se transforme en ange de lumière (2Co 11,14). » Celui qui fait tout avec tant de bonheur, doit donc appréhender d'exténuer son corps par des pratiques; excessives, pendant qu'il s'y livre avec tant de consolations, et d'être contraint plus tard, au grand détriment de la vie spirituelle, de prendre soin de son corps débilité. Afin donc que celui qui court dans ces voies ne se heurte point à cette pierre d'achoppement, il faut qu'il soit éclairé par le jour de la discrétion qui est la mère de toutes les vertus et le couronnement de la perfection. C'est elle en effet qui nous apprend à éviter tout excès, et c'est ce que signifie le huitième jour où l'Enfant est circoncis; car, la discrétion est une véritable circoncision qui empêche qu'on ne fasse trop ou trop peu. En effet, quiconque fait trop ne circoncit point ses bonnes couvres, il en fait, avorter le fruit, de même. que, celui qui fait trop peu dans sa tiédeur. C'est donc le huitième jour que nos couvres reçoivent leur nom, mais, un nom de salut. Et, quant à moi, je n'hésite point à affirmer que, quiconque vit ainsi, opère. lui-même son salut. Jusqu'à de jour-là les anges ont pu donner à ses oeuvres un nom de salut, parce qu'ils connaissent les secrets desseins de Dieu, mais moi, ce n'est que ce jour-là même que je puis le leur donner avec confiance. Mais, mes frères, comme la vertu de discrétion est une: merveille bien rare sur la terre, je souhaite que la vertu d'obéissance la supplée en vous, et que vous ne fassiez jamais ni plus, ni moins, ni autrement que ce qui vous est prescrit.




Bernard sermons 2035