Pastores dabo vobis_(2ed) FR 10

(Le discernement évangélique)


10 La situation complexe actuelle, évoquée par quelques aperçus rapides et à titre d’exemples, doit être non seulement connue mais aussi et surtout interprétée. Ainsi seulement, on pourra répondre de façon adéquate à la question fondamentale : “Comment former des prêtres qui soient vraiment à la hauteur des circonstances actuelles, capables d’évangéliser le monde d’aujourd’hui ? ” 15

La connaissance de la situation est importante. Un simple relevé des données ne suffit pas ; il faut une enquête “scientifique” qui permette de préciser le contour d’un cadre concret des circonstances socioculturelles et ecclésiales.

L’interprétation de la situation est encore plus importante. Elle est requise par l’ambivalence et parfois par le caractère contradictoire de la situation qui, à la manière du champ de l’Évangile dans lequel sont semés et poussent ensemble le bon grain et l’ivraie (Mt 13,24-30), révèlent comme profondément enchevêtrés entre eux des difficultés et des potentialités, des éléments négatifs et des raisons d’espérer, des obstacles et des ouvertures.

La lecture interprétative, qui sache distinguer entre le bien et le mal, entre les signes d’espérance et les menaces, n’est pas toujours facile. Dans la formation des prêtres, il ne s’agit pas simplement d’accueillir les facteurs positifs et de les opposer aux négatifs. Mais il importe de soumettre ces mêmes facteurs positifs à un discernement attentif, pour ne pas les isoler l’un de l’autre et ne pas les mettre en opposition entre eux, comme s’ils étaient des absolus en opposition. Il en est de même pour les facteurs négatifs : il ne faut pas les rejeter en bloc et sans distinction, parce qu’en chacun d’eux peut se cacher une valeur qui attend d’être libérée et rendue à sa vérité totale.

Pour le croyant, l’interprétation de la situation historique se fait à partir du principe d’intelligence et du critère des choix d’action qui en découlent, qui se trouvent dans une exigence nouvelle et originale, le discernement évangélique ; cette interprétation naît dans la force et la lumière de l’Évangile, de l’Évangile vivant et personnel qui est Jésus-Christ, et grâce au don de l’Esprit Saint. Ainsi, dans la situation historique et ses aléas, le discernement évangélique recueille non une simple “donnée” dont il faut prendre acte avec précision et face à laquelle il est possible de rester indifférent ou passif, mais plutôt un “devoir ”, un défi pour la liberté responsable, soit de la personne seule soit de la communauté. C’est un défi lié à un “appel” que Dieu fait retentir dans la situation historique elle-même : aussi, en elle et par elle, Dieu appelle l’Église en premier lieu et le croyant à faire en sorte que “l’Évangile de la vocation et du sacerdoce” exprime la pérennité de la vérité dans les circonstances changeantes de la vie. Il faut appliquer aussi à la formation des prêtres les paroles du Concile Vatican II : “L’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique” 16 .

Ce discernement évangélique s’appuie sur la confiance en l’amour de Jésus-Christ qui, toujours et inlassablement, prend soin de son Église (Ep 5,29), Lui qui est Seigneur et Maître, clef de voûte, centre et fin de toute l’histoire humaine 17 ; il est éclairé et affermi par l’Esprit Saint, qui suscite en tout temps et en tout lieu l’obéissance de la foi, le joyeux courage de suivre Jésus, le don de la sagesse qui juge tout et n’est jugée par personne (1Co 2,15) ; il repose sur la fidélité du Père à ses promesses.

Ainsi, l’Église se sent capable d’affronter les difficultés et les défis de cette nouvelle période de l’histoire. Elle peut aussi assurer pour le présent et pour l’avenir la formation de prêtres qui soient des ministres fervents et convaincus pour la “nouvelle évangélisation ”, des serviteurs fidèles et généreux de Jésus-Christ et des hommes.

Ne nous cachons pas les difficultés. Elles ne sont ni rares ni légères. Pour les vaincre, nous avons notre espérance, notre foi en l’indéfectible amour du Christ, et notre certitude du caractère irremplaçable du ministère sacerdotal pour la vie de l’Église et du monde.





CHAPITRE II


IL M’A CONSACRÉ PAR L’ONCTION ET IL M’A ENVOYÉ


La nature et la mission du sacerdoce ministériel

(Le regard sur le sacerdoce)


11 “Tous dans la Synagogue avaient les yeux fixés sur lui” (Lc 4,20). Ce que dit l’évangéliste Luc au sujet de ceux qui étaient présents ce sabbat à la synagogue de Nazareth et ont écouté Jésus commenter le passage du livre du prophète Isaïe qu’il avait lu, peut s’appliquer à tous les chrétiens, toujours appelés à reconnaître en Jésus de Nazareth l’accomplissement définitif de l’annonce prophétique : “Alors il se mit à dire : “ Aujourd’hui cette Écriture est accomplie pour vous qui l’entendez ” (Lc 4,21). Ce texte de l’Écriture disait : “L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par l’onction pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur” (Lc 4,18-19 Is 61,1-2). Jésus se présente donc comme rempli de l’Esprit Saint, “consacré par l’onction ”, “pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres” : il est le Messie, le Messie prêtre, prophète et roi.

Les chrétiens doivent garder les yeux de la foi et de l’amour fixés sur ce visage du Christ. C’est à la lumière de cette “contemplation” que les Pères synodaux ont réfléchi au problème de la formation des prêtres dans les circonstances actuelles. On ne peut répondre à cette question sans réfléchir au préalable à la finalité du processus de la formation : et la finalité, c’est le sacerdoce ministériel, plus précisément le sacerdoce ministériel comme participation au sacerdoce même de Jésus-Christ, dans l’Église. La connaissance de la nature et de la mission du sacerdoce ministériel est le présupposé nécessaire et en même temps le guide le plus sûr et le stimulant le plus fort pour développer dans l’Église l’action pastorale, en vue de la promotion et du discernement des vocations sacerdotales et de la formation de ceux qui sont appelés au ministère ordonné.

La recherche d’une connaissance exacte et profonde de la nature et de la mission du sacerdoce ministériel est donc la voie à suivre – c’est celle que le Synode a effectivement suivie – pour sortir de la crise de l’identité du prêtre : “Cette crise – comme je l’ai dit dans le discours de clôture du Synode – est apparue dans les années qui ont suivi immédiatement le Concile. Elle est née d’une interprétation erronée, parfois même volontairement tendancieuse, de la doctrine du Magistère conciliaire. Là se trouve indubitablement l’une des causes d’un grand nombre de défections alors subies par l’Église ; défections qui ont gravement atteint le service pastoral et les vocations au sacerdoce, en particulier les vocations missionnaires. C’est comme si le Synode de 1990, redécouvrant toute la profondeur de l’identité sacerdotale par tant d’interventions entendues dans cette Aula, était venu apporter l’espérance après les défections douloureuses. Ces interventions ont révélé notre conscience du lien ontologique spécifique qui unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur. Cette identité est sous-jacente à la nature de la formation qui doit être donnée en vue du sacerdoce et ensuite durant toute la vie sacerdotale. C’était le but précis de ce Synode ”. 18

À cette fin, le Synode considère qu’il fallait rappeler, de manière synthétique, ce qui a trait aux fondements de la nature et de la mission du sacerdoce ministériel, nature et mission que la foi de l’Église a reconnues au cours de son histoire multiséculaire et que le Concile Vatican II a présentées aux hommes de notre temps. 19

(Dans l’Église, mystère, communion et mission)


12 “L’identité sacerdotale – ont écrit les Pères synodaux – comme toute identité chrétienne, prend sa source dans la Très Sainte Trinité” 20 , qui se révèle et se communique aux hommes dans le Christ, constituant, en Lui et par l’action de l’Esprit, l’Église comme “le germe et le commencement” du Royaume. 21 L’exhortation Christifideles laici, synthétisant l’enseignement du Concile, présente l’Église comme mystère, communion et mission ; “elle est mystère parce que l’amour et la vie du Père, du Fils et de l’Esprit Saint sont le don absolument gratuit offert à tous ceux qui sont nés de l’eau et de l’Esprit (Jn 3,5), appelés à vivre la communion même de Dieu, à la manifester et à la communiquer dans l’histoire (mission) ”. 22

C’est à l’intérieur de l’Église comme mystère de communion trinitaire en tension missionnaire que se révèle toute identité chrétienne, et donc aussi l’identité spécifique du prêtre et de son ministère. En effet, le prêtre, en vertu de la consécration qu’il a reçue par le sacrement de l’Ordre, est envoyé du Père, par Jésus-Christ, à qui il est configuré de manière spéciale comme Tête et Pasteur de son peuple, pour vivre et agir, dans la force de l’Esprit Saint, pour le service de l’Église et pour le salut du monde. 23

On peut comprendre ainsi le caractère essentiellement “relationnel” de l’identité du prêtre : par le sacerdoce naissant de la profondeur du mystère ineffable de Dieu, c’est-à-dire de l’amour du Père, de la grâce de Jésus-Christ et du don de l’unité dans l’Esprit Saint, le prêtre est intégré sacramentellement dans la communion avec l’évêque et avec les autres prêtres, 24 pour servir le Peuple de Dieu qui est l’Église et pour conduire tous les hommes au Christ, conformément à la prière du Seigneur : “Père saint, garde-les dans ton nom que tu m’as donné pour qu’ils soient un comme nous... Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé” (Jn 17,11 Jn 17,21).

On ne peut donc définir la nature et la mission du sacerdoce ministériel hors de cette trame multiple et riche des rapports qui ont leur source dans la Très Sainte Trinité et qui se prolongent dans la communion de l’Église comme signe et instrument, dans le Christ, de l’union des hommes avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. 25 Ainsi l’ecclésiologie de communion devient décisive pour saisir l’identité du prêtre, sa dignité propre, sa vocation et sa mission dans le Peuple de Dieu et dans le monde. C’est pourquoi la référence à l’Église est nécessaire, même si elle n’est pas première dans la définition de l’identité du prêtre. En tant que mystère, l’Église est essentiellement relative à Jésus-Christ ; en effet, elle est, de lui, la plénitude, le corps et l’épouse. Elle est le “signe ”, le “mémorial” vivant de sa présence permanente et de son action parmi nous et pour nous. Le prêtre trouve la pleine vérité de son identité dans le fait d’être une dérivation, une participation spécifique et une continuation du Christ lui-même, souverain et unique prêtre de l’Alliance nouvelle et éternelle : il est une image vivante et transparente du Christ prêtre. Le sacerdoce du Christ, expression de sa “nouveauté” absolue dans l’histoire du salut, constitue la source unique et le paradigme irremplaçable du sacerdoce du chrétien, et en particulier du prêtre. La référence au Christ est ainsi la clef absolument nécessaire pour la compréhension des réalités sacerdotales.

(La relation fondamentale avec le Christ Tête et Pasteur)


13 Jésus-Christ a manifesté en lui-même la figure parfaite et définitive du sacerdoce de la Nouvelle Alliance 26 : il l’a révélée par toute sa vie terrestre, mais par-dessus tout dans l’événement central de sa passion, de sa mort et de sa résurrection.

Comme l’écrit l’auteur de la Lettre aux Hébreux, étant homme comme nous et en même temps Fils unique de Dieu, Jésus est, en son être même, médiateur parfait entre le Père et l’humanité (He 8-9), celui qui nous donne l’accès immédiat auprès de Dieu, grâce au don de l’Esprit : “Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père !” (Ga 4,6 Rm 8,15).

Jésus accomplit sa fonction de médiateur par l’offrande de lui-même sur la Croix, par laquelle il ouvre, une fois pour toutes, l’accès au sanctuaire céleste et à la maison du Père (He 9,24-28). Par rapport à Jésus, Moïse et tous les “médiateurs” de l’Ancien Testament entre Dieu et son peuple – les rois, les prêtres et les prophètes – ne se présentent que comme “figure” et “ombre des biens à venir ”, et non comme “l’expression même des réalités” (He 10,1).

Jésus est le Bon Pasteur annoncé à l’avance par les prophètes (Ez 34), celui qui connaît ses brebis une par une, qui offre sa vie pour elles et qui veut les rassembler toutes comme un seul troupeau avec un seul pasteur (Jn 10,11-16). Il est le pasteur, venu non “pour être servi, mais pour servir” (Mt 20,28), qui, dans le geste pascal du lavement des pieds (Jn 13,1-20), laisse aux siens le modèle du service qu’ils devront se rendre les uns aux autres, et qui s’offre librement comme “agneau innocent” immolé pour notre rédemption (Jn 1,36 Ap 5,6-12).

Par le sacrifice de la Croix unique et définitif, Jésus confère à tous ses disciples la dignité et la mission de prêtres de la nouvelle et éternelle Alliance. Ainsi s’accomplit la promesse que Dieu avait faite à Israël : “Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte” (Ex 19,6). C’est tout le peuple de la Nouvelle Alliance – écrit saint Pierre – qui est constitué comme un “édifice spirituel ”, “un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ” (1P 2,5). Les baptisés sont les “pierres vivantes” qui construisent l’édifice spirituel, faisant corps avec le Christ, “pierre vivante, ... choisie, précieuse auprès de Dieu ” (1P 2,4). Le nouveau peuple sacerdotal, qui est l’Église, non seulement a dans le Christ son image propre et authentique, mais aussi reçoit de Lui une participation réelle et ontologique à son éternel et unique sacerdoce, auquel il doit conformer toute sa vie.



14 Au service de ce sacerdoce universel de la Nouvelle Alliance, Jésus a appelé à lui, au cours de sa mission terrestre, plusieurs de ses disciples ; avec l’autorité d’une mission spécifique, il appelle et institue les Douze “pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher, avec pouvoir de chasser les démons” (Mc 3,14-15).

Ainsi, déjà durant son ministère public (Mt 16,18) et ensuite, en plénitude, après sa mort et sa résurrection (Mt 28,16-20 Jn 20,21), Jésus confère à Pierre et aux Douze des pouvoirs tout à fait particuliers vis-à-vis de la communauté future et pour l’évangélisation de tous les peuples. Après les avoir appelés à le suivre, il les garde auprès de lui et il vit avec eux, leur communiquant par l’exemple et par la parole son message de salut ; enfin, il les envoie à tous les hommes. Pour l’accomplissement de cette mission, Jésus confère aux Apôtres, avec la force de l’effusion pascale de l’Esprit Saint, la même autorité messianique qu’il a reçue du Père, qui lui a été conférée, et qui a été manifestée en plénitude par la Résurrection : “Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28,18-20).

Jésus établit ainsi une stricte relation entre le ministère confié aux Apôtres et sa propre mission : “Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé” (Mt 10,40) ; “Qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette, et qui me rejette rejette Celui qui m’a envoyé” (Lc 10,16). Bien plus, dans le quatrième Évangile, à la lumière de l’événement pascal de la mort et de la résurrection, Jésus affirme avec beaucoup de force et de clarté : “Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie” (Jn 20,21 cf. Jn 13,20 Jn 17,18). De même que Jésus a une mission qui lui vient directement de Dieu et qui rend présente l’autorité même de Dieu (Mt 7,29 Mt 21,23 Mc 1,27 Mc 11,28 Lc 20,2 Lc 24,19), de même les Apôtres ont une mission qui vient de Jésus. Comme “le Fils ne peut rien faire de lui-même” (Jn 5,19), de sorte que sa doctrine n’est pas sa propre doctrine, mais la doctrine de Celui qui l’a envoyé (Jn 7,16), de même Jésus dit aux Apôtres : “Hors de moi vous ne pouvez rien faire” (Jn 15,5) : leur mission n’est pas leur propre mission, mais la mission même de Jésus. Son accomplissement est possible non à partir des forces humaines, mais seulement avec le “don” du Christ et de son Esprit, avec la grâce sacramentelle : “Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus” (Jn 20,22-23). Ainsi, ce n’est pas en vertu de quelque mérite particulier, mais seulement en vertu d’une participation gratuite à la grâce du Christ, que les Apôtres poursuivent dans l’histoire, jusqu’à la fin des temps, la mission de salut du Christ lui-même en faveur des hommes.

Le signe et le présupposé de l’authenticité et de la fécondité de cette mission est l’unité des Apôtres avec Jésus et, en lui, entre eux et avec le Père, comme en témoigne la prière sacerdotale du Seigneur, synthèse de sa mission (Jn 17,20-23).




15 À leur tour, les Apôtres, institués par le Seigneur, s’acquitteront progressivement de leur mission en appelant, sous des formes diverses mais finalement convergentes, d’autres hommes, comme évêques, comme prêtres et comme diacres, pour accomplir la mission reçue du Christ ressuscité qui les a envoyés à tous les hommes de tous les temps.

Le Nouveau Testament souligne unanimement que l’Esprit du Christ lui-même a introduit dans le ministère ces hommes choisis du milieu des frères. Par le geste de l’imposition des mains (
Ac 6,6 1Tm 4,14 1Tm 5,22 2Tm 1,6), qui transmet le don de l’Esprit, ces hommes sont appelés et habilités à continuer le même ministère de réconcilier, de paître le troupeau de Dieu, et d’enseigner (Ac 20,28 1P 5,2).

Les prêtres sont ainsi appelés à prolonger la présence du Christ, unique et souverain Pasteur, en retrouvant son style de vie et en se rendant en quelque sorte transparents à lui au milieu du troupeau qui leur est confié. Comme l’écrit de manière claire et précise la première Lettre de Pierre : “Les anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, ancien comme eux, témoin des souffrances du Christ, et qui dois participer à la gloire qui va être révélée. Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, veillant sur lui, non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu ; non pour un gain sordide, mais avec l’élan du coeur ; non pas en faisant les seigneurs à l’égard de ceux qui vous sont échus en partage, mais en devenant les modèles du troupeau. Et quand paraîtra le Chef des pasteurs, vous recevrez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas” (1P 5,1-4).

Dans l’Église et pour l’Église, les prêtres représentent sacramentellement Jésus Christ Tête et Pasteur, ils proclament authentiquement la Parole, ils répètent ses gestes de pardon et d’offre du salut, surtout par le Baptême, la Pénitence et l’Eucharistie, ils exercent sa sollicitude pleine d’amour, jusqu’au don total de soi-même, pour le troupeau qu’ils rassemblent dans l’unité et conduisent au Père par le Christ dans l’Esprit. En un mot, les prêtres existent et agissent pour l’annonce de l’Évangile au monde et pour l’édification de l’Église au nom du Christ Tête et Pasteur en personne. 27

Telle est la manière typique et particulière dont les ministres ordonnés participent à l’unique sacerdoce du Christ. Par l’onction du sacrement de l’Ordre, l’Esprit Saint les configure, à un titre nouveau et spécifique, à Jésus Christ Tête et Pasteur, il les y conforme intérieurement et les anime de sa charité pastorale ; et dans l’Église, il en fait des serviteurs qualifiés pour l’annonce de l’Évangile à toutes les créatures et pour la plénitude de la vie chrétienne de tous les baptisés.

La vérité du prêtre telle qu’elle émane de la Parole de Dieu, c’est-à-dire de Jésus-Christ lui-même, et de son dessein concernant la constitution de l’Église, est chantée en une joyeuse action de grâce liturgique dans la préface de la messe chrismale : “Par l’onction de l’Esprit Saint, tu as établi ton Fils unique prêtre de l’Alliance nouvelle et éternelle ; et tu as voulu que son unique sacerdoce demeure vivant dans l’Église. C’est lui, le Christ, qui donne à tout le peuple racheté la dignité du sacerdoce royal ; c’est lui qui choisit, dans son amour pour ses frères, ceux qui, recevant l’imposition des mains, auront part à son ministère. Ils offrent en son nom l’unique sacrifice du salut à la table du banquet pascal : ils ont à se dévouer au service de ton peuple pour le nourrir de ta Parole et le faire vivre de tes sacrements ; ils seront de vrais témoins de la foi et de la charité, prêts à donner leur vie comme le Christ pour leurs frères et pour toi ”.

(Au service de l’Église et du monde)


16 La relation fondamentale du prêtre est celle qui l’unit à Jésus Christ Tête et Pasteur : il participe en effet, d’une manière spécifique et authentique, à la “consécration ”, ou “onction ”, et à la “mission” du Christ (Lc 4,18-20). Mais à cette relation-là est intimement liée celle qui l’unit à l’Église. Il ne s’agit pas de “relations” simplement juxtaposées : elles sont elles-mêmes intimement unies par une sorte d’immanence réciproque. La référence à l’Église est inscrite dans l’unique et même rapport du prêtre au Christ, en ce sens que c’est la “ représentation sacramentelle ” du Christ par le prêtre qui fonde et anime son rapport à l’Église.

En ce sens, les Pères synodaux ont écrit : “En tant qu’il représente le Christ Tête, Pasteur et Époux de l’Église, le prêtre est placé non seulement dans l’Église, mais aussi face à l’Église.Le sacerdoce, en même temps que la Parole de Dieu et les signes sacramentels dont il est le serviteur, appartient aux éléments constitutifs de l’Église. Le ministère du prêtre est entièrement au service de l’Église pour promouvoir l’exercice du sacerdoce commun de tout le peuple de Dieu ; il est ordonné non seulement à l’Église particulière, mais encore à l’Église universelle (Presbyterorum ordinis PO 10), en communion avec l’évêque, avec Pierre et sous l’autorité de Pierre. Par le sacerdoce de l’évêque, le sacerdoce du second ordre est incorporé à la structure apostolique de l’Église. Ainsi le prêtre, comme les Apôtres, remplit la fonction d’ambassadeur du Christ (2Co 5,20). C’est là que se fonde le caractère missionnaire du sacerdoce ”. 28

Le ministère ordonné naît ainsi avec l’Église ; qu’il s’agisse de celui des évêques ou, en référence et en communion avec eux, de celui des prêtres, il a un lien particulier avec le ministère des Apôtres à l’origine, dont il prend réellement la succession, même si, par rapport à celui-ci, il présente des modalités existentielles différentes.

On ne doit donc pas considérer le sacerdoce ordonné comme s’il était antérieur à l’Église : il est entièrement au service de l’Église elle-même ; mais il ne doit pas non plus être envisagé comme postérieur à la communauté ecclésiale, comme si celle-ci pouvait être comprise comme étant déjà constituée sans ce sacerdoce.

La relation du prêtre avec Jésus-Christ et, en lui, avec son Église s’inscrit dans l’être même du prêtre, en vertu de sa consécration ou de l’onction sacramentelle, et dans son agir, c’est-à-dire dans sa mission ou dans son ministère. En particulier, “le prêtre ministre est serviteur du Christ présent dans l’Église mystère, communion et mission. Du fait qu’il participe à l’“ onction” et à la “mission” du Christ, il peut prolonger dans l’Église sa prière, sa parole, son sacrifice, son action salvifique. Il est donc serviteur de l’Église mystère parce qu’il accomplit les signes ecclésiaux et sacramentels de la présence du Christ ressuscité. Il est serviteur de l’Église communion parce que – en unité avec l’évêque et en lien étroit avec le presbyterium – il construit l’unité de la communauté ecclésiale dans l’harmonie des diverses vocations, des charismes et des services. Il est, enfin, serviteur de l’Église mission parce qu’il fait de la communauté une communauté annonciatrice et témoin de l’Évangile.” 29

Ainsi dans son être même et dans sa mission sacramentelle, le prêtre apparaît, dans la structure de l’Église, comme signe de la priorité absolue et de la gratuité de la grâce, qui est donnée à l’Église par le Christ ressuscité. Par le sacerdoce ministériel, l’Église prend conscience, dans la foi, de ne pas exister par elle-même, mais par la grâce du Christ dans l’Esprit Saint. Les Apôtres et leurs successeurs, comme détenteurs d’une autorité qui leur vient du Christ Tête et Pasteur, sont placés – par leur ministère – face à l’Église, comme prolongement visible et signe sacramentel du Christ, à sa propre place en face de l’Église et du monde, comme origine permanente et toujours nouvelle du salut, “lui le sauveur du Corps” (Ep 5,23).




17 Le ministère ordonné, de par sa nature même, ne peut être accompli que pour autant que le prêtre est uni au Christ par l’insertion sacramentelle dans l’ordre presbytéral et donc pour autant qu’il est en communion hiérarchique avec son évêque. Le ministère ordonné a une “forme communautaire” radicale et ne peut être rempli que comme “oeuvre collective30 . Le Concile s’est longuement exprimé sur cette nature communionnelle du sacerdoce, en examinant distinctement les relations du prêtre avec son évêque, avec les autres prêtres et avec les fidèles laïcs. 31

Le ministère des prêtres est avant tout communion et collaboration responsable et nécessaire au ministère de l’évêque, dans la sollicitude pour l’Église universelle et pour les Églises particulières, au service desquelles ils constituent avec l’évêque un unique presbyterium.

Chaque prêtre, qu’il soit diocésain ou religieux, est uni aux autres membres du presbyterium, en fonction du sacrement de l’Ordre, par des liens particuliers de charité apostolique, de ministère et de fraternité. Tous les prêtres, en effet, diocésains ou religieux, participent à l’unique sacerdoce du Christ Tête et Pasteur, “visent le même but : construire le Corps du Christ ; de notre temps surtout, cette tâche réclame des fonctions multiples et des adaptations nouvelles ”, et elle s’enrichit au cours des siècles de charismes toujours nouveaux. 32

Les prêtres, enfin, parce que leur figure et leur tâche dans l’Église ne remplacent pas, mais bien plutôt promeuvent le sacerdoce baptismal de tout le peuple de Dieu, le conduisant à sa pleine réalisation ecclésiale, se trouvent en relation positive et constructive avec les laïcs. Ils sont au service de leur foi, de leur espérance et de leur charité. Ils en reconnaissent et soutiennent, comme frères et amis, la dignité de fils de Dieu et ils les aident à exercer pleinement leur rôle spécifique dans le cadre de la mission de l’Église. 33

Le sacerdoce ministériel conféré par le sacrement de l’ordre et le sacerdoce commun ou “royal” des fidèles, qui ont entre eux une différence essentielle et non seulement de degrés 34 , sont ordonnés l’un à l’autre ; ils dérivent l’un et l’autre – sous des formes différentes – de l’unique sacerdoce du Christ. Le sacerdoce ministériel, en effet, ne signifie pas en soi un degré plus élevé de sainteté par rapport au sacerdoce commun des fidèles ; mais, par le sacerdoce ministériel, les prêtres ont reçu du Christ, par l’Esprit, un don spécifique, afin de pouvoir aider le peuple de Dieu à exercer fidèlement et pleinement le sacerdoce commun qui lui est conféré. 35




18 Comme le Concile le souligne, “le don spirituel que les prêtres ont reçu à l’ordination les prépare non pas à une mission limitée et restreinte, mais à une mission de salut d’ampleur universelle “ jusqu’aux extrémités de la terre ” ; n’importe quel ministère sacerdotal participe, en effet, aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux Apôtres ”. 36 En vertu de la nature même de leur ministère, ils doivent donc être pénétrés et animés d’un profond esprit missionnaire et “de cet esprit vraiment catholique qui les habituera à dépasser les limites de leur propre diocèse, de leur nation et de leur rite, pour subvenir aux besoins de l’Église entière, prêts au fond du coeur à prêcher l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre ”. 37

En outre, en particulier parce que le prêtre est, à l’intérieur de l’Église, homme de la communion, il doit être, à l’égard de tous les hommes, homme de la mission et du dialogue. Profondément enraciné dans la vérité et dans la charité du Christ, et animé du désir et de la nécessité intérieure d’annoncer à tous le salut, il est appelé à nouer avec tous les hommes des rapports de fraternité et de service, dans une recherche commune de la vérité, en travaillant à promouvoir la justice et la paix. Il doit nouer ces rapports fraternels en premier lieu avec les frères des autres Églises et des confessions chrétiennes, mais aussi avec les fidèles des autres religions, avec les hommes de bonne volonté, et, d’une manière spéciale, avec les pauvres et avec les plus faibles, ainsi qu’avec tous ceux qui aspirent, sans le savoir ou sans l’exprimer, à la vérité et au salut apporté par le Christ, selon la parole et l’exemple de Jésus qui a dit : “Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades ;... je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs” (Mc 2,17).

Aujourd’hui, en particulier, la tâche pastorale prioritaire de la nouvelle évangélisation incombe à tout le peuple de Dieu, et demande une nouvelle ardeur, de nouvelles méthodes et un nouveau langage pour l’annonce et le témoignage évangéliques. Il exige que les prêtres soient radicalement et totalement plongés dans le mystère du Christ et capables de réaliser un nouveau style de vie pastorale, caractérisé par une profonde communion avec le Pape, les évêques et entre eux, et par une collaboration féconde avec les laïcs, dans le respect et la promotion des divers rôles, des charismes et des ministères au sein de la communauté ecclésiale. 38

“Aujourd’hui, cette Écriture est accomplie pour vous qui l’entendez” (Lc 4,21). Écoutons encore une fois ces paroles de Jésus à la lumière du sacerdoce ministériel dont nous avons présenté la nature et la mission. L’ “aujourd’hui ” dont parle Jésus, parce qu’il appartient à la “plénitude des temps” et la définit – temps du salut accompli et définitif – désigne le temps de l’Église. La consécration et la mission du Christ exprimées par ces paroles : “L’Esprit du Seigneur... m’a consacré par l’onction, pour porter aux pauvres la Bonne Nouvelle” sont la racine vivante d’où germe la consécration et la mission de l’Église, “plénitude” du Christ (Ep 1,23) ; avec la régénération baptismale, tous les chrétiens ont reçu l’effusion de l’Esprit du Seigneur, qui les consacre pour former un temple spirituel et un sacerdoce saint. L’Esprit les envoie proclamer les merveilles accomplies par Celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière (1P 2,4-10). Le prêtre participe à la consécration et à la mission du Christ de manière spécifique et avec autorité, c’est-à-dire par le sacrement de l’Ordre ; en vertu de ce dernier, il est configuré dans son être même à Jésus-Christ, Tête et Pasteur, et il participe à la mission d’ “annoncer aux pauvres la Bonne Nouvelle” au nom et en la personne du Christ.

Dans leur message final, les Pères synodaux ont condensé en une formule brève, mais riche de sens, la “vérité ”, ou mieux le “mystère” et le “don” du sacerdoce ministériel, en disant : “Notre identité a sa source ultime dans l’amour du Père. Au Fils qu’il a envoyé, Souverain Prêtre et Bon Pasteur, nous sommes unis sacramentellement par le sacerdoce ministériel dans la puissance de l’Esprit Saint. La vie et le ministère du prêtre sont la continuation de la vie et de l’action du Christ lui-même. Là réside notre identité, notre vraie dignité, notre source de joie, et notre certitude de vie ”. 39




Pastores dabo vobis_(2ed) FR 10