Pastores dabo vobis_(2ed) FR 36

(Le dialogue de la vocation : l’initiative de Dieu et la réponse de l’homme)


36 L’histoire de toute vocation sacerdotale, comme d’ailleurs de toute vocation chrétienne, est l’histoire d’un ineffable dialogue entre Dieu et l’homme, entre l’amour de Dieu qui appelle et la liberté de l’homme qui, dans l’amour, répond à Dieu. Ces deux aspects indissociables de la vocation, le don gratuit de Dieu et la liberté responsable de l’homme, ressortent de manière très claire et particulièrement puissante dans les paroles lapidaires par lesquelles l’évangéliste Marc présente la vocation des Douze : Jésus “gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui” (3, 13). D’un côté, il y a la décision absolument libre de Jésus, de l’autre, la “venue” des Douze, autrement dit, leur “suite de Jésus ”.

Tel est l’exemple constant, le donné indissociable de toute vocation : celle des prophètes, des apôtres, des prêtres, des religieux, des fidèles laïcs, de toute personne.

Mais ce qui est tout à fait prioritaire, et même primordial et décisif, c’est l’intervention libre et gratuite de Dieu qui appelle.Il a l’initiative d’appeler. Voici par exemple l’expérience du prophète Jérémie : “La parole du Seigneur me fut adressée : “ Avant que tu ne sois formé dans le sein de ta mère, je te connaissais, avant que tu ne sortes à la lumière, je t’avais consacré ; je t’ai établi prophète des nations ” ” (
Jr 1,4-5). La même vérité est présentée par l’Apôtre Paul qui enracine toute vocation dans l’éternelle élection du Christ, faite “avant la création du monde” et “selon le bon plaisir de sa volonté” (Ep 1,5). Le primat absolu de la grâce dans la vocation est affirmé avec la plus grande clarté dans la parole de Jésus : “Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure” (Jn 15,16).

Si la vocation sacerdotale témoigne indiscutablement du primat de la grâce, la libre et souveraine décision de Dieu d’appeler l’homme demande un respect absolu : elle ne peut nullement être forcée par une quelconque prétention humaine, elle ne peut être remplacée par aucune décision humaine. La vocation est un don de la grâce divine, et jamais un droit de l’homme. C’est pourquoi “on ne peut jamais considérer la vie sacerdotale comme une promotion simplement humaine, ni la mission du ministre comme un simple projet personnel” 101 . Par là est radicalement exclue toute prétention ou présomption de la part de ceux qui sont appelés (He 5,4). Tout l’espace spirituel du coeur doit être rempli d’une gratitude pleine d’admiration et d’émotion, et d’une espérance inébranlable, parce que les candidats savent que leur appui ne réside pas dans leurs propres forces, mais seulement dans la fidélité inconditionnée de Dieu qui appelle.

“Il appela ceux qu’il voulait et ils vinrent à lui” (Mc 3,13). Cette “venue” qui s’identifie avec la “suite” de Jésus, exprime la réponse libre des Douze à l’appel du Maître. Il en a été ainsi de Pierre et d’André : “Il leur dit : “ Suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d’hommes ”. Et eux, aussitôt, ayant laissé leurs filets, le suivirent” (Mt 4,19-20). Identique fut l’expérience de Jacques et de Jean (Mt 19,21-22). C’est ainsi que toujours, dans la vocation, brillent ensemble l’amour gratuit de Dieu et l’exaltation la plus haute possible de la liberté humaine, celle de l’adhésion à l’appel de Dieu et de la confiance en lui.

En réalité, grâce et liberté ne s’opposent pas. Au contraire, la grâce anime et soutient la liberté humaine, la délivrant de l’esclavage du péché (Jn 8,34-36), la guérissant et l’élevant dans ses capacités d’ouverture et d’accueil du don de Dieu. Et si on ne peut contester l’initiative absolument gratuite de Dieu qui appelle, on ne peut davantage contester l’extrême sérieux avec lequel la liberté de l’homme est mise au défi de répondre. C’est ainsi qu’au “viens et suis-moi” de Jésus, le jeune homme riche oppose un refus, signe – quoique négatif – de sa liberté : “Mais lui, à ces mots, s’assombrit et il s’en alla contristé, car il avait de grands biens” (Mc 10,22).

La liberté, donc, est essentielle à la vocation, une liberté qui, dans une réponse positive, prend le sens d’une adhésion personnelle profonde, comme donation d’amour ou mieux comme restitution au Donateur, qui est Dieu, auteur de l’appel, comme une oblation. “L’appel – disait Paul VI – est proportionné à la réponse. Il ne peut y avoir de vocations que libres, c’est-à-dire offertes spontanément d’elles-mêmes, conscientes, généreuses, totales... Nous les appelons offrandes : voilà, pratiquement, le véritable problème... C’est la voix humble et pénétrante du Christ qui dit, aujourd’hui comme hier, plus qu’hier : “ Viens ”. La liberté est placée devant sa plus haute épreuve : justement, celle de l’offrande, de la générosité, du sacrifice” 102 .

L’offrande libre, qui constitue le noyau le plus intime de la réponse de l’homme à Dieu qui appelle, trouve son modèle incomparable, mieux, sa racine vive, dans l’offrande très libre de Jésus-Christ, le premier des appelés, à la volonté du Père : “C’est pourquoi, en entrant dans le monde, le Christ dit : “ Tu n’as voulu ni sacrifice, ni oblation, mais tu m’as façonné un corps... Alors j’ai dit : Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté ” ” (He 10,5-7).

En communion intime avec le Christ, Marie, la Vierge Mère, a été la créature qui, plus que toutes, a vécu la pleine vérité de la vocation, parce que personne n’a répondu comme elle par un amour si grand à l’amour immense de Dieu 103 .




37 “Mais lui, à ces mots, s’assombrit et s’en alla contristé, car il avait de grands biens” (Mc 10,22). Le jeune homme riche de l’Évangile qui ne répond pas à l’appel de Jésus nous rappelle les grands obstacles qui peuvent bloquer ou empêcher la réponse libre de l’homme : non seulement les biens matériels peuvent fermer le coeur humain aux valeurs de l’Esprit et aux exigences radicales du Règne de Dieu, mais certaines conditions sociales et culturelles de notre temps peuvent aussi créer de nombreuses menaces et imposer des visions déformées et fausses de la vraie nature de la vocation, en rendant difficiles, sinon impossibles, l’accueil et la compréhension elle-même.

Beaucoup ont de Dieu une idée tellement générale et confuse qu’elle est voisine de formes de religiosité sans Dieu, dans lesquelles la volonté de Dieu est conçue comme un destin immuable et inéluctable auquel l’homme n’a qu’à s’adapter et se résigner en pleine passivité. Mais ce n’est pas le visage de Dieu que Jésus-Christ a voulu nous révéler. En fait, Dieu est le Père qui, avec un amour éternel et prévenant, appelle l’homme et noue avec lui un dialogue merveilleux et permanent, l’invitant à partager, en fils, sa vie divine elle-même. Il est certain qu’avec une vision erronée de Dieu, l’homme ne peut même pas reconnaître ce qu’il est lui-même en vérité, puisque la vocation ne peut être ni perçue, ni vécue dans sa valeur authentique : elle peut seulement être ressentie comme un fardeau imposé et insupportable.

De même, certaines idées fausses sur l’homme, souvent soutenues par des arguments prétendument philosophiques ou “scientifiques ”, conduisent quelquefois l’homme à comprendre son existence et sa liberté comme totalement déterminées et conditionnées par des facteurs externes d’ordre éducatif, psychologique, culturel ou social. D’autres fois, la liberté est entendue en termes d’autonomie absolue, prétendant être la source unique et ultime des choix personnels, se définissant comme affirmation de soi à tout prix. Mais, de cette manière, il devient impossible de comprendre et de vivre la vocation comme un libre dialogue d’amour qui naît de la communication de Dieu à l’homme et s’achève, pour l’homme, dans le don sincère de lui-même.

Dans le contexte actuel, on trouve aussi la tendance à penser le rapport de Dieu avec l’homme d’une façon qui relève de l’individualisme et de l’intimisme, comme si l’appel de Dieu était adressé à chaque personne de manière directe, sans aucune médiation communautaire, et comme s’il avait pour objectif un avantage, ou même le salut de chaque candidat, et non pas le don total de lui-même fait à Dieu pour le service de la communauté. Nous rencontrons également une autre menace plus profonde, en même temps que subtile, qui empêche de reconnaître et de recevoir avec joie la dimension ecclésiale inscrite naturellement dans toute vocation chrétienne, et spécialement dans la vocation sacerdotale. En effet, comme le rappelle le Concile, le sacerdoce ministériel acquiert sa signification authentique et réalise sa pleine vérité dans le service et la croissance de la communauté chrétienne et du sacerdoce des fidèles 104 .

Le contexte culturel que nous venons de rappeler, dont l’influence n’est pas absente chez les chrétiens et spécialement les jeunes, aide à comprendre l’ampleur de la crise des vocations sacerdotales elles-mêmes qui, à leur origine et durant leur développement, ont affaire à de bien plus graves crises de foi. Les Pères synodaux l’ont déclaré explicitement, reconnaissant que la crise des vocations au presbytérat a de profondes racines dans le milieu culturel, dans la mentalité et la pratique des chrétiens 105 .

Dès lors, il est urgent que la pastorale des vocations de l’Église s’applique résolument et en priorité à reconstituer la “mentalité chrétienne ”, engendrée et soutenue par la foi. Plus que jamais, l’évangélisation consiste à présenter inlassablement le vrai visage de Dieu comme Père qui, en Jésus-Christ, appelle chacun de nous, ainsi que l’authentique sens de la liberté humaine, comme principe et force du don responsable de soi. C’est seulement ainsi que seront posées les bases indispensables pour que toute vocation, y compris celle des prêtres, puisse être perçue dans sa vérité, aimée dans sa beauté, et vécue avec dévouement total et joie profonde.

(Contenu de la pastorale des vocations et moyens dont elle dispose)


38 La vocation est certainement un mystère insondable qui implique la relation que Dieu établit avec l’homme : unique et non renouvelable ; mystère perçu et ressenti comme un appel attendant une réponse venue du fond de la conscience, “ sanctuaire où l’homme est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre” 106 . Mais cela n’élimine pas la dimension communautaire, et spécialement ecclésiale, de la vocation ; l’Église aussi est réellement présente et à l'oeuvre dans la vocation de tout prêtre.

Pour servir la vocation sacerdotale et son itinéraire, c’est-à-dire la naissance, le discernement et l’accompagnement de la vocation, l’Église peut trouver un exemple dans André, l’un des deux premiers disciples qui se mirent à la suite de Jésus. C’est lui-même qui se mit à raconter à son frère ce qui lui était arrivé : “Nous avons trouvé le Messie (c’est-à-dire le Christ)” (Jn 1,41). Et la narration de cette “découverte” ouvre la voie à la rencontre : “Et il le conduisit à Jésus” (Jn 1,42). Aucun doute sur l’initiative absolument libre et sur la décision souveraine de Jésus : c’est Jésus qui appelle Simon et lui donne un nouveau nom : “Jésus le regarda et dit : “ Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t’appelleras Céphas ” (ce qui veut dire Pierre)” (Jn 1,42). Mais André avait eu sa part d’initiative : il avait sollicité la rencontre de son frère avec Jésus.

Et il le conduisit à Jésus ”. C’est ici, dans un sens, que se trouve le coeur de toute la pastorale des vocations par laquelle l’Église veille sur la naissance et la croissance des vocations, en se servant des dons et des responsabilités, des charismes et du ministère reçus du Christ et de son Esprit. L’Église, comme peuple sacerdotal, prophétique et royal, est chargée de promouvoir et de servir la naissance et la maturation des vocations sacerdotales, par la prière et la vie sacramentelle, par l’annonce de la Parole et l’éducation de la foi, sous l’influence et avec le témoignage de la charité.

L’Église, dans sa dignité et sa responsabilité de peuple sacerdotal, indique comme moments essentiels et premiers de la pastorale des vocations la prière et la célébration de la liturgie. En effet, nourrie de la Parole de Dieu, la prière chrétienne crée l’espace idéal pour que chacun puisse découvrir la vérité de son être et l’identité du projet de vie, personnel et unique, que le Père forme pour lui. Il est donc nécessaire d’éduquer les enfants et les jeunes pour qu’ils soient fidèles à la prière et à la méditation de la Parole de Dieu : dans le silence et dans l’écoute, ils pourront percevoir l’appel du Seigneur au sacerdoce et le suivre avec promptitude et générosité.

L’Église doit accueillir chaque jour l’invitation pressante et insistante de Jésus, qui demande de “prier le Maître de la moisson, d’envoyer des ouvriers à sa moisson” (Mt 9,38). Obéissant au commandement du Christ, l’Église accomplit, avant toute autre chose, une humble profession de foi : priant pour les vocations dont elle ressent toute l’urgence pour sa vie et pour sa mission, elle reconnaît que les vocations sont un don de Dieu et que, comme telles, elles doivent être demandées dans une supplication incessante et confiante. Cette prière, charnière de toute la pastorale des vocations, doit être pratiquée non seulement par chacun, mais par les communautés ecclésiales tout entières. Personne ne doute de l’importance des initiatives particulières de prière, des moments spéciaux réservés à cette demande, à commencer par la Journée mondiale annuelle pour les vocations, et de l’engagement explicite de personnes et de groupes particulièrement sensibles au problème des vocations sacerdotales. Mais, aujourd’hui, l’attente de nouvelles vocations dans la prière doit devenir toujours plus une habitude constante et largement partagée par la communauté chrétienne tout entière, et par toute réalité ecclésiale. C’est ainsi que l’on pourra revivre l’expérience des Apôtres qui, au Cénacle, unis à Marie, attendent en prière l’effusion de l’Esprit (Ac 1,14), qui ne manquera pas de susciter encore dans le peuple de Dieu “les prêtres dont le monde a besoin, pour le service de la prière et de l’Eucharistie, et pour annoncer l’Évangile du Christ” 107 .

Sommet et source de la vie de l’Église 108 et en particulier de toute prière chrétienne, la liturgie a aussi un rôle indispensable et une incidence privilégiée dans la pastorale des vocations. En fait, elle constitue une expérience vivante du don de Dieu et une grande école de la réponse à son appel. Comme telle, toute célébration liturgique, et surtout celle de l’Eucharistie, a de nombreux effets. Elle nous révèle le vrai visage de Dieu ; elle nous fait communier au mystère de la Pâque, c’est-à-dire à l’ “ heure” pour laquelle Jésus est venu dans le monde et vers laquelle il s’est librement et volontairement acheminé, par obéissance à l’appel du Père (Jn 13,1) ; enfin, elle nous manifeste le visage de l’Église, comme peuple de prêtres et communauté bien soudée, dans la variété et la complémentarité des charismes et des vocations. Le sacrifice rédempteur du Christ, que l’Église célèbre dans le mystère, donne une valeur particulièrement précieuse à la souffrance vécue en union avec le Seigneur Jésus. Les Pères synodaux nous ont invités à ne jamais oublier que “par l’offrande des souffrances, si fréquentes dans la vie des hommes, le chrétien malade s’offre comme victime à Dieu, à l’image du Christ qui s’est consacré lui-même pour nous tous (Jn 17,19)” et que “l’offrande des souffrances à cette intention est de grande utilité pour la promotion des vocations” (119).




39 Dans l’exercice de sa mission prophétique, l’Église sent que le devoir lui incombe (et que cette oeuvre ne peut être déléguée à personne) d’annoncer l’Evangile, tout en rendant témoignage du sens chrétien de la vocation, nous pourrions dire de “l’Évangile de la vocation ”. Elle perçoit aussi en ce domaine l’urgence des paroles de l’Apôtre : “Malheur à moi si je n’évangélise pas !” (1Co 9,16). Cet avertissement résonne avant tout pour nous pasteurs et regarde, en même temps que nous, tous les éducateurs dans l’Église. La prédication et la catéchèse doivent toujours mettre en évidence leurs rapports intimes aux vocations : la Parole de Dieu donne aux croyants la lumière nécessaire pour voir la vie comme une réponse à l’appel de Dieu et elle les accompagne pour accepter, dans la foi, le don de la vocation personnelle.

Mais tout cela, bien qu’important et essentiel, ne suffit pas : il faut une “prédication directe sur le mystère de la vocation dans l’Église, sur la valeur du sacerdoce ministériel, sur son urgente nécessité pour le peuple de Dieu” 110 . Une catéchèse organique et offerte à tous les membres de l’Église dissipe les doutes, combat les idées unilatérales et déviées sur le ministère sacerdotal, ouvre également les coeurs des croyants à l’attente du don et crée des conditions favorables pour la naissance de nouvelles vocations. Le temps est venu de parler courageusement de la vie sacerdotale, comme d’une valeur inestimable et comme d’une forme splendide et privilégiée de vie chrétienne. Les éducateurs et spécialement les prêtres ne doivent pas craindre de proposer d’une façon explicite et forte la vocation au presbytérat comme une possibilité réelle pour les jeunes qui ont les dons et les qualités appropriés. Cela ne conditionne pas ou ne limite pas leur liberté ; au contraire, une proposition précise, faite au bon moment, peut être décisive pour provoquer chez les jeunes une réponse libre et authentique. Du reste, l’histoire de l’Église et celle de tant de vocations sacerdotales, écloses même dans un âge tendre, atteste abondamment le caractère providentiel du voisinage et de la parole d’un prêtre : non seulement de la parole, mais du voisinage, c’est-à-dire d’un témoignage concret et joyeux, capable de faire surgir des interrogations et de conduire à des décisions définitives.




40 En tant que peuple royal, l’Église se sent enracinée dans la “loi de l’Esprit qui donne la vie” (Rm 8,2), et animée par elle. Or, cette loi est essentiellement la loi royale de la charité (Jc 2,8) ou la loi parfaite de la liberté (Jc 1,25). C’est pourquoi l’Église remplit sa mission quand elle amène tout fidèle à découvrir et à vivre sa propre vocation dans la liberté, et à la porter à son achèvement dans la charité.

Dans sa tâche éducative, l’Église vise avec une attention privilégiée à susciter chez les enfants, chez les adolescents et chez les jeunes le désir et la volonté de suivre Jésus-Christ en tout et de près. L’oeuvre éducative, tout en concernant la communauté chrétienne comme telle, doit s’adresser à chaque personne : Dieu, en effet, par son appel, rejoint le coeur de chaque homme, et l’Esprit, qui demeure au-dedans de chaque disciple (1Jn 3,24), se donne à chaque chrétien avec ses charismes divers et ses manifestations particulières. Chacun doit donc être aidé à recevoir le don qui lui est confié individuellement, comme à une personne unique et irremplaçable, et être aidé à écouter les paroles que l’Esprit de Dieu lui adresse.

Dans cette perspective, le souci des vocations au sacerdoce saura s’exprimer aussi dans une proposition ferme et persuasive de direction spirituelle. Il est nécessaire de redécouvrir la grande tradition de l’accompagnement spirituel personnel, qui a toujours donné des fruits nombreux et précieux dans la vie de l’Église, démarche qui peut être complétée, dans des cas déterminés et des conditions précises, par des formes d’analyse ou de secours psychologiques, mais non remplacée par elles 111 . Les enfants, les adolescents et les jeunes seront invités à découvrir et à apprécier le don de la direction spirituelle, à le rechercher, à en faire l’expérience, à le demander avec une confiante insistance à leurs éducateurs dans la foi. Les prêtres, de leur côté, doivent être les premiers à consacrer du temps et de l’énergie à cette oeuvre d’éducation et de soutien spirituel personnel : ils ne regretteront jamais d’avoir négligé ou fait passer au second plan beaucoup d’autres choses, même belles et utiles, si cela était inévitable pour continuer à croire à leur ministère de collaborateurs de l’Esprit afin d’éclairer et de conduire ceux qui sont appelés.

La fin de l’éducation du chrétien est d’atteindre, sous l’influence de l’Esprit, la “pleine maturité du Christ” (Ep 4,13). Cela se réalise quand, en imitant et en partageant la charité du Christ, on fait de toute sa vie un service d’amour (Jn 13,14-15), en offrant à Dieu un culte spirituel qui lui soit agréable (Rm 12,1) et en se dévouant aux frères. Le service d’amour est le sens fondamental de toute vocation, et cela se vérifie tout spécialement dans la vocation du prêtre, qui, en effet, est appelé à revivre de la façon la plus radicale possible la charité pastorale de Jésus, c’est-à-dire l’amour du Bon Pasteur qui “offre sa vie pour ses brebis” (Jn 10,11).

C’est pourquoi une authentique pastorale des vocations ne se lassera jamais d’éduquer les enfants, les adolescents et les jeunes au goût de l’engagement, au sens du service gratuit, à la valeur du sacrifice, au don de soi inconditionné. L’expérience du volontariat, pour lequel grandit l’attrait de beaucoup de jeunes, est particulièrement utile, à condition qu’il s’agisse d’un volontariat évangéliquement motivé, capable d’éduquer au discernement des besoins, vécu chaque jour avec dévouement et fidélité, ouvert à l’éventualité d’un engagement définitif dans la vie consacrée, nourri de prière ; alors, il saura plus sûrement soutenir une vie d’engagement désintéressé et gratuit, et rendra celui qui s’y adonne plus sensible à la voix de Dieu qui peut l’appeler au sacerdoce. Au contraire du jeune homme riche, le bénévole pourrait accepter l’invitation pleine d’amour que Jésus lui adresse (Mc 10,21) ; et il pourrait l’accepter parce que ses biens consistent déjà dans le don de lui-même aux autres et dans la “perte” de sa vie.

(Tous, nous sommes responsables des vocations sacerdotales)


41 La vocation sacerdotale est un don de Dieu, qui constitue certainement un grand bien pour celui qui en est le premier destinataire. Mais c’est aussi un don pour l’Église entière, un bien pour sa vie et pour sa mission. L’Église, donc, est appelée à garder ce don, à l’estimer, à l’aimer : elle est responsable de la naissance et de la maturation des vocations sacerdotales. En conséquence, la pastorale des vocations a comme sujet actif, comme protagoniste, la communauté ecclésiale comme telle, dans ses diverses expressions : de l’Église universelle à l’Église particulière et, analogiquement, de celle-ci à la paroisse et à tous les membres du peuple de Dieu.

Il est plus que jamais urgent, aujourd’hui surtout, que se répande et s’enracine la conviction que ce sont tous les membres de l’Église, sans en exclure aucun, qui ont la grâce et la responsabilité du soin des vocations. Le Concile Vatican II a été aussi explicite que possible en affirmant que “le devoir de favoriser l’augmentation des vocations sacerdotales appartient à toute la communauté chrétienne, qui est tenue de s’acquitter de ce devoir avant tout par une vie pleinement chrétienne”
112 . C’est seulement sur la base de cette conviction que la pastorale des vocations pourra manifester son visage vraiment ecclésial et développer une action concertée, en se servant aussi d’organismes spéciaux et d’instruments adaptés de communion et de coresponsabilité.

La première responsabilité de la pastorale orientée vers les vocations sacerdotales, c’est celle de l’évêque 113 , qui est appelé à l’assumer personnellement, même s’il peut et doit susciter de multiples collaborations. Il est un père et un ami dans son presbyterium et il lui revient de “maintenir la continuité” du charisme et du ministère presbytéral, en lui associant de nouvelles forces par l’imposition des mains. Il veillera à ce que la dimension des vocations soit toujours présente dans l’ensemble de la pastorale ordinaire, bien plus, à ce qu’elle s’intègre et s’identifie avec elle. C’est à lui qu’il appartient de promouvoir et de coordonner les diverses initiatives en faveur des vocations 114 .

L’évêque sait qu’il peut compter avant tout sur la collaboration de son presbyterium. Tous les prêtres sont, avec lui, solidaires et coresponsables dans la recherche et dans la promotion des vocations presbytérales. En effet, comme l’affirme le Concile, “il appartient aux prêtres, comme éducateurs de la foi, de veiller à ce que chaque chrétien parvienne, dans le Saint-Esprit, à l’épanouissement de sa vocation personnelle” 115 . Et c’est là “un devoir qui découle de la mission sacerdotale elle-même, par laquelle le prêtre participe au souci qu’a l’Église entière d’éviter toujours ici-bas le manque d’ouvriers dans le peuple de Dieu” 116 . La vie des prêtres, leur dévouement absolu au peuple de Dieu, leur témoignage de service d’amour pour le Seigneur et son Église – un témoignage marqué du signe de la croix, acceptée dans l’espérance et la joie pascale – leur concorde fraternelle et leur zèle pour l’évangélisation du monde sont les premiers et les plus convaincants des facteurs de la fécondité des vocations 117 .

Une responsabilité très particulière est confiée à la famille chrétienne, qui, en vertu du sacrement de mariage, participe d’une façon spéciale et originale à la mission éducatrice de l’Église maîtresse et mère. Comme l’ont écrit les Pères synodaux, “la famille chrétienne, qui est véritablement comme une “ Église domestique ” (Lumen gentium LG 11), a toujours offert et continue à offrir les conditions favorables pour la naissance des vocations. Parce que, aujourd’hui, l’image de la famille chrétienne est en danger, il faut donner une grande importance à la pastorale familiale. De cette façon les familles elles-mêmes, accueillant généreusement le don de la vie humaine, constitueront “ comme le premier séminaire ” (Optatam totius OT 2), dans lequel les enfants pourront acquérir, dès le début, le sens de la piété, de la prière et de l’amour envers l’Église” 118 . En continuité et en harmonie avec l’action des parents et de la famille, on doit placer l’école, qui est appelée à vivre son identité de “communauté éducatrice” avec aussi un projet culturel capable de faire la lumière sur la dimension de la vocation, comme valeur naturelle et fondamentale de la personne humaine. En ce sens, une fois opportunément enrichie d’esprit chrétien (soit par une présence religieuse explicite à l’école d’État, selon les divers arrangements nationaux, soit surtout dans le cas de l’école catholique), l’école peut faire pénétrer, “dans l’esprit des enfants et des jeunes, le désir d’accomplir la volonté de Dieu dans l’état de vie le plus adapté à chacun, sans jamais exclure la vocation au ministère sacerdotal” 119 .

Les fidèles laïcs, en particulier les catéchistes, les enseignants, les éducateurs, les animateurs de la pastorale des jeunes, chacun avec ses ressources et ses capacités propres, ont une grande importance dans la pastorale des vocations sacerdotales. En effet, plus ils approfondiront le sens de leur vocation et de leur mission dans l’Église, plus ils pourront reconnaître la valeur et le caractère irremplaçable de la vocation et de la mission sacerdotale.

Dans le cadre des communautés diocésaines et paroissiales, les groupes de réflexion sur les vocations doivent être estimés et encouragés. Leurs membres offrent leur contribution de prière et de souffrances pour les vocations sacerdotales et religieuses, ainsi que leur soutien moral et matériel.

Il faut rappeler ici également les nombreux groupes, mouvements et associations de fidèles laïcs que l’Esprit Saint fait lever et croître dans l’Église, en vue d’une présence chrétienne plus missionnaire dans le monde. Ces diverses organisations de laïcs se révèlent comme un milieu particulièrement riche en vocations consacrées, comme des lieux véritablement adaptés à la proposition et à la croissance des vocations. De nombreux jeunes, en effet, précisément dans le cadre et à cause de ces associations, ont entendu l’appel du Seigneur à le suivre sur la voie du sacerdoce ministériel et ont répondu avec une réconfortante générosité 120 . Il faut donc les faire valoir afin qu’en communion avec toute l’Église et pour sa croissance, ils donnent leur contribution propre au développement de la pastorale des vocations.

Les instances variées et les différents membres de l’Église engagés dans la pastorale des vocations rendront leur action d’autant plus efficace qu’ils feront davantage comprendre à la communauté ecclésiale comme telle, à commencer par la paroisse, que le problème des vocations sacerdotales ne peut absolument pas être délégué à certains “responsables” (les prêtres en général, et les prêtres du séminaire en particulier), mais que c’est “un problème vital qui est au coeur même de l’Église” 121 , et donc qu’il doit se situer au centre de l’amour de tout chrétien pour l’Église.


CHAPITRE V


IL EN INSTITUA DOUZE POUR ÊTRE SES COMPAGNONS


La formation des candidats au sacerdoce



Vivre à la suite du Christ comme les Apôtres




42 “Il gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui, et il en institua Douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher, avec le pouvoir de chasser les démons” (Mc 3,13-15).

Pour être avec lui” : dans ces mots, il n’est pas difficile de lire “l’accompagnement des vocations” des Apôtres, de la part de Jésus. Après les avoir appelés et avant de les envoyer, et même pour pouvoir les envoyer prêcher, Jésus leur impose un temps de formation destiné à développer un rapport de communion et d’amitié profonde avec lui. Il leur réserve une catéchèse approfondie (Mt 13,11), et il veut en faire des témoins de sa prière silencieuse à son Père (Jn 17,1-26 Lc 22,39-45).

Dans le soin qu’elle apporte aux vocations sacerdotales, l’Église, de tout temps, s’inspire de l’exemple du Christ. Il y a eu, et il y a encore aujourd’hui dans l’Église, des modalités concrètes très variées de pastorale des vocations, celle-ci étant destinée non seulement à discerner, mais aussi à “accompagner” les vocations au sacerdoce. Mais l’esprit qui doit les animer et les soutenir est le même : mener jusqu’au sacerdoce seulement ceux qui y sont appelés après les avoir adéquatement formés ; elle les dispose ainsi à donner une réponse consciente et libre engageant toute leur personne à Jésus-Christ, qui appelle à vivre dans son intimité et dans le partage de sa mission de salut. En ce sens, le “séminaire ”, dans ses différentes formes, et, de façon analogue, la “maison de formation” des prêtres religieux, avant d’être un lieu ou un espace matériel, est un espace spirituel, un itinéraire de vie, une atmosphère qui favorise et assure un processus de formation permettant à celui qui est appelé par Dieu au sacerdoce de devenir, par le sacrement de l’Ordre, une image vivante de Jésus-Christ, Tête et Pasteur de l’Église. Dans leur Message final, les Pères synodaux ont exprimé clairement le sens original et spécifique de la formation des candidats au sacerdoce : “Vivre au séminaire, école d’Évangile, veut dire vivre à la suite du Christ comme les Apôtres, se laisser initier par lui au service du Père et des hommes, sous la conduite de l’Esprit Saint, et se laisser configurer au Christ Bon Pasteur pour un meilleur service sacerdotal dans l’Église et dans le monde.

Se former au sacerdoce signifie s’entraîner à donner une réponse personnelle à la question fondamentale du Christ : “ M’aimes-tu ? ” La réponse, pour le futur prêtre, ne peut être que le don total de sa vie” 122 .

Il s’agit de traduire en fonction des conditions sociales, psychologiques, politiques et culturelles du monde actuel cet esprit, qui ne manquera jamais à l’Église ; ces conditions sont variées et complexes, comme en ont témoigné les Pères synodaux, eu égard à la situation des différentes Églises particulières. Avec des accents reflétant d’angoissantes préoccupations mais aussi une grande espérance, les Pères ont pu réfléchir longuement sur les efforts de recherche et d’adaptation des méthodes de formation des candidats au sacerdoce, en cours de réalisation dans leurs Églises.

La présente Exhortation n’a d’autre intention que de recueillir le fruit des travaux synodaux. Elle veut préciser quelques points acquis, désigner les objectifs auxquels on ne peut renoncer, mettre à la disposition de tous la richesse des itinéraires de formation déjà expérimentés d’une façon positive. Dans cette Exhortation, on fait la distinction entre la formation “initiale ” et la formation “permanente ”, sans jamais oublier cependant le lien profond qui les unit et qui fait des deux un unique parcours de vie chrétienne et sacerdotale. L’Exhortation traite des différentes dimensions de la formation humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale, comme aussi des milieux et des sujets responsables de la formation des candidats.


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