Pastores gregis FR





EXHORTATION APOSTOLIQUE

POST-SYNODALE


PASTORES GREGIS

DE SA SAINTETÉ


LE PAPE JEAN-PAUL II

SUR L'ÉVÊQUE,

SERVITEUR DE L'ÉVANGILE

DE JÉSUS CHRIST

POUR L'ESPÉRANCE DU MONDE



INTRODUCTION

1 Les Pasteurs du troupeau savent que, dans l'accomplissement de leur ministère d'Évêques, ils peuvent compter sur une grâce divine particulière. Dans le Pontifical romain, pendant la prière solennelle d'ordination, l'Évêque ordinant principal, après avoir invoqué l'effusion de l'Esprit qui dirige et qui guide, répète les paroles que l'on trouvait déjà dans l'antique texte de la Tradition apostolique: « Père, toi qui connais le coeur de chacun, donne à celui que tu as choisi pour l'épiscopat de remplir sans défaillance la fonction de grand prêtre ».1 C'est ainsi que continue à être accomplie la volonté du Seigneur Jésus, Pasteur éternel qui a envoyé les Apôtres comme lui-même avait été envoyé par le Père (cf. Jn 20,21) et qui a voulu que leurs successeurs, c'est-à-dire les Évêques, soient les pasteurs dans son Église jusqu'à la fin des siècles.2

L'image du Bon Pasteur, déjà si chère à l'iconographie chrétienne primitive, était clairement présente à l'esprit des Évêques qui, venus du monde entier, se sont réunis, du 30 septembre au 27 octobre 2001, pour la Xe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques. Près de la tombe de l'Apôtre Pierre, ils ont réfléchi avec moi sur la figure de l'Évêque, serviteur de l'Évangile de Jésus Christ pour l'espérance du monde. Tous ont été d'accord pour reconnaître que la figure de Jésus Bon Pasteur est l'image privilégiée à laquelle on doit sans cesse se référer. Personne, en effet, ne peut être considéré comme un pasteur digne de ce nom « nisi per caritatem efficiatur unum cum Christo ».3 Telle est la raison fondamentale pour laquelle « la figure idéale de l'évêque, sur qui l'Église continue de compter, est celle du Pasteur qui, configuré au Christ dans la sainteté de la vie, se dépense généreusement pour l'Église qui lui est confiée, en portant en même temps dans son coeur la sollicitude pour toutes les Églises disséminées sur toute la terre (cf. 2Co 11,28) ».4

1 Rites de l'ordination d'un Évêque: Prière d'ordination; L'Ordination de l'Évêque, des prêtres, des diacres, Paris (1996), n. 47.
2 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur l'Église Lumen gentium, n. LG 18.
3 S. Thomas d'Aquin, Sur l'Évangile de Jean X, 3.
4 Jean-Paul II, Homélie de la Messe de clôture de la Xe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques (27 octobre 2001), n. 3: AAS 94 (2002), p. 114; La Documentation catholique 98 (2001), pp. 992-993.


La dixième Assemblée du Synode des Évêques

2 Nous pouvons alors rendre grâce au Seigneur, Lui qui nous a accordé de célébrer une fois encore une Assemblée du Synode des Évêques et de faire à cette occasion une expérience vraiment profonde: être-Église. Célébrée au début du troisième millénaire chrétien dans la lumière encore vive du grand Jubilé de l'An 2000, la Xe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques a eu lieu après une longue série d'assemblées: les assemblées spéciales, qui avaient en commun la perspective de l'évangélisation dans les divers continents, de l'Afrique à l'Amérique, à l'Asie, à l'Océanie et à l'Europe; et les assemblées ordinaires, dont les dernières étaient consacrées à une réflexion sur l'abondante richesse que constituent dans l'Église les diverses vocations suscitées par l'Esprit au sein du peuple de Dieu. Dans cette perspective, l'attention portée au ministère propre des Évêques a complété le cadre de l'ecclésiologie de communion et de mission qu'il est toujours nécessaire d'avoir présent à l'esprit.

À cet égard, les travaux du Synode ont constamment fait référence à la doctrine sur l'épiscopat et sur le ministère des Évêques présentée par le Concile Vatican II, spécialement dans le chapitre III de la constitution dogmatique sur l'Église Lumen gentium et dans le décret sur la charge pastorale des Évêques Christus Dominus. À propos de cette doctrine lumineuse, qui reprend et développe les éléments théologiques et juridiques traditionnels, mon prédécesseur le Pape Paul VI pouvait dire à juste titre: « Or, Nous semble-t-il, le Concile a rappelé l'institution divine de l'autorité épiscopale, il a confirmé son rôle irremplaçable, mis en valeur ses pouvoirs pastoraux de magistère, de sanctification et de gouvernement, honoré son extension à l'Église universelle par la communion collégiale, précisé sa place dans la hiérarchie, renforcé sa coresponsabilité fraternelle avec les autres évêques à l'égard des besoins universels et particuliers de l'Église, et il l'a plus intimement associée au Chef de l'Église, centre constitutif du collège épiscopal, dans un esprit d'union subordonnée et de collaboration solidaire ».5

En même temps, conformément à ce qui était établi par le thème prévu, les Pères synodaux ont considéré leur ministère à la lumière de l'espérance théologale. Cette tâche est immédiatement apparue comme faisant partie, de manière singulière, de la mission du pasteur, qui, dans l'Église, est avant tout celui qui porte un témoignage pascal et eschatologique.

5 Discours aux Cardinaux, Archevêques et Évêques d'Italie (6 décembre 1965): AAS 58 (1966), p. 68; La Documentation catholique 63 (1966), col. 174.


Une espérance fondée sur le Christ

3 C'est en effet la charge de tout Évêque d'annoncer au monde l'espérance, à partir de la prédication de l'Évangile de Jésus Christ, « non seulement l'espérance qui concerne les réalités présentes, mais avant tout et surtout l'espérance eschatologique, celle qui aspire au trésor de la gloire de Dieu (cf. Ep 1,18), celle qui surpasse tout ce que le coeur de l'homme n'avait pas imaginé (cf. 1Co 2,9) et à laquelle ne peuvent être comparées les souffrances du temps présent (cf. Rm 8,18) ».6 La perspective de l'espérance théologale, avec celle de la foi et de la charité, doit imprégner la totalité du ministère pastoral de l'Évêque.

En particulier, il lui revient la mission d'être prophète, témoin et serviteur de l'espérance. Son devoir est de susciter la confiance et de proclamer devant quiconque les raisons de l'espérance chrétienne (cf. 1P 3,15). L'Évêque est prophète, témoin et serviteur d'une telle espérance surtout là où se fait plus forte la pression d'une culture immanentiste, qui écarte toute ouverture vers la transcendance. Là où l'espérance fait défaut, la foi elle-même est remise en cause. Et même l'amour est affaibli par la disparition de cette vertu. Car l'espérance, spécialement en des temps d'incroyance et d'indifférence croissantes, est un véritable soutien pour la foi et un précieux stimulant pour la charité. Elle tire sa force de la certitude de la volonté salvifique universelle de Dieu (cf. 1Tm 2,3) et de la constante présence du Seigneur Jésus, l'Emmanuel qui demeure toujours avec nous jusqu'à la fin du monde (cf. Mt 28,20).

C'est seulement avec la lumière et la consolation qui viennent de l'Évangile que l'Évêque peut garder vive en lui l'espérance (cf. Rm 15,4) et l'entretenir en ceux qui sont confiés à sa sollicitude de pasteur. Il se mettra donc à l'école de la Vierge Marie, Mater spei, qui a cru en l'accomplissement des paroles du Seigneur (cf. Lc 1,45). S'appuyant sur la Parole de Dieu et se tenant fermement dans l'espérance, qui est comme une ancre sûre et solide qui pénètre les cieux (cf. He 6,18-20), l'Évêque est au milieu de son Église sentinelle vigilante, prophète courageux, témoin crédible et serviteur fidèle du Christ, Lui qui est « l'espérance de la gloire » (cf. Col Col 1,27) et grâce auquel « la mort n'existera plus; et il n'y aura plus de pleurs, de cris, ni de tristesse » (Ap 21,4).

6 Proposition 3.


L'Espérance face à l'échec des espoirs

4 Chacun de nous se souvient que les sessions du Synode des Évêques se sont déroulées en des jours particulièrement dramatiques. Dans le coeur des Pères du Synode résonnait encore l'écho des terribles événements du 11septembre 2001, avec leur douloureux cortège d'innombrables victimes innocentes et l'apparition dans le monde de nouvelles et très graves situations d'incertitude et de peur pour la civilisation humaine elle-même et pour la convivialité pacifique entre les nations. Se profilaient alors de nouveaux horizons de guerre et de mort qui, s'ajoutant aux situations de conflits déjà en cours, montraient l'urgence et la nécessité de supplier le Prince de la Paix, afin que le coeur des hommes s'ouvre à nouveau à la réconciliation, à la solidarité et à la paix.7

En même temps qu'elle faisait monter sa prière, l'Assemblée synodale a également élevé la voix pour condamner toute forme de violence et pour en montrer les racines les plus profondes dans le péché de l'homme. Devant l'échec des espoirs humains qui, en se fondant sur des idéologies matérialistes et immanentistes, et sur des idéologies liées à l'économie, prétendent tout mesurer à l'aune de l'efficacité et de rapports de force ou de marché, les Pères synodaux ont réaffirmé leur conviction que seuls la lumière du Ressuscité et le souffle de l'Esprit Saint aident l'homme à fonder ses attentes sur l'espérance qui ne déçoit pas. C'est pourquoi ils ont proclamé: « Nous ne saurions nous laisser intimider par les diverses formes de négation du Dieu vivant qui cherchent, plus ou moins sournoisement, à miner l'espérance chrétienne, à la parodier ou à la tourner en dérision. Nous le confessons dans la joie de l'Esprit: Christ est vraiment ressuscité. En son humanité glorifiée, il a ouvert pour tous les hommes qui acceptent de se convertir l'horizon de la Vie éternelle ».8

La conviction de cette profession de foi doit être assez forte pour rendre de jour en jour plus ferme l'espérance d'un Évêque, l'amenant à l'assurance confiante que Dieu, dans sa bonté miséricordieuse, ne cessera jamais d'ouvrir des voies de salut et de les proposer à la liberté de tout homme. C'est l'espérance qui encourage l'Évêque à discerner, dans le contexte où il exerce son ministère, les signes de vie capables de combattre les germes nocifs et mortels. C'est encore l'espérance qui le soutient quand il transforme même les conflits en occasions de croissance, faisant en sorte que les personnes s'ouvrent à la réconciliation. Ce sera aussi l'espérance en Jésus, Bon Pasteur, qui lui donnera un coeur plein de compassion, l'incitant à se pencher sur les hommes et les femmes affligés par la souffrance, pour panser leurs blessures, tout en demeurant confiant que la brebis perdue pourra être retrouvée. De cette manière, l'Évêque sera toujours davantage un signe lumineux du Christ, Pasteur et Époux de l'Église. En se comportant comme un père, un frère et un ami de tout homme, il sera auprès de chacun une vivante image du Christ, notre espérance, en qui s'accomplissent toutes les promesses de Dieu et par qui sont amenées à leur pleine réalisation toutes les attentes de la création.9

7 Cf. Jean-Paul II, Prière du 30e jour après le 11 septembre 2001: L'Osservatore Romano, 12 octobre 2001, p. 1.
8 Synode des Évêques - Xe Assemblée générale ordinaire, Message (25 octobre 2001), n. 8: L'Oss. Rom., 27 octobre 2001, p. 5; La Documentation catholique 98 (2001), pp.987-988; cf. Paul VI, Lettre apost. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 41: AAS 63 (1971), pp. 429-430;La Documentation catholique 68 (1971), p. 510.
9 Cf. Proposition 6.


Serviteurs de l'Évangile pour l'espérance du monde

5 Voici donc que je m'apprête à remettre cette exhortation apostolique, dans laquelle je reprends le patrimoine de réflexion mûri au cours de la Xe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques, des premiers Lineamenta à l'Instrumentum laboris, des interventions faites en réunion par les Pères synodaux aux deux Rapports, qui les ont introduites puis résumées, de l'enrichissement de réflexion et d'expérience pastorale découlant des circuli minores auxPropositiones qui m'ont été présentées à la fin des travaux synodaux pour que je puisse offrir à l'Église entière un document spécial sur le thème synodal, l'Évêque, serviteur de l'Évangile de Jésus Christ pour l'espérance du monde.10 J'adresse donc un salut fraternel et j'envoie le baiser de paix à tous les Évêques qui sont en communion avec ce Siège, lui qui fut tout d'abord confié à Pierre afin qu'il soit le garant de l'unité et, comme cela est reconnu par tous, qu'il préside à la charité.11

Vénérables et chers Frères, je vous lance à nouveau l'invitation que j'ai adressée à toute l'Église au début du nouveau millénaire: Duc in altum! Bien plus, c'est le Christ lui-même qui la renouvelle aux successeurs des Apôtres qui, de sa propre bouche, entendirent cette invitation et, se fiant à Lui, partirent pour la mission sur les routes du monde: Duc in altum (
Lc 5,4). À la lumière de cette invitation pressante du Seigneur, « nous pouvons relire le triple munus que l'Église nous a confié: munus docendi, sanctificandi et regendi [...]. Duc in docendo! “Proclame la parole – dirons-nous avec l'Apôtre –, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d'instruire” (2Tm 4,2). Duc in sanctificando! Les filets que nous sommes appelés à jeter parmi les hommes sont avant tout les Sacrements, dont nous sommes les principaux dispensateurs, organisateurs, promoteurs et gardiens [...]. Ils forment une sorte de filetsalvifique, qui libère du mal et conduit à la plénitude de la vie. Duc in regendo! Comme Pasteurs et vrais Pères, assistés par les prêtres et les autres collaborateurs, nous avons la mission de rassembler et d'animer toute la grande famille de leur troupeau, en sorte que tous vivent et agissent dans une communion de charité [...]. Quels que soient la difficulté et le caractère pénible de cette mission, personne ne doit se décourager. Avec Pierre et les premiers disciples, nous aussi nous renouvelons avec confiance notre sincère profession de foi: Seigneur, “sur ta parole, je vais jeter les filets” (Lc 5,5)! Sur ta Parole, ô Christ, nous voulons servir ton Évangile pour l'espérance du monde »!12

Ainsi, en vivant comme des hommes d'espérance et en reflétant dans leur propre ministère l'ecclésiologie de communion et de mission, les Évêques seront véritablement source d'espérance pour leur troupeau. Nous savons que le monde a besoin de « l'espérance [qui] ne trompe pas » (Rm 5,5). Nous savons que cette espérance, c'est le Christ. Nous le savons et c'est pourquoi nous proclamons l'espérance qui jaillit de la Croix.

Ave Crux spes unica! Puisse ce salut, qui a retenti dans la Salle du Synode au coeur des travaux de la Xe Assemblée générale du Synode des Évêques, retentir toujours sur nos lèvres, car la Croix est mystère de mort et de vie! La Croix est devenue pour l'Église « l'arbre de la vie ». Voilà pourquoi nous annonçons que la vie a vaincu la mort.

Dans cette annonce, nous sommes précédés par une lignée de saints Pasteurs qui, in medio Ecclesiae, ont été des signes éloquents du Bon Pasteur. C'est pourquoi nous louons sans cesse le Dieu éternel et tout-puissant, et nous lui rendons grâce, car, comme nous le chantons dans la sainte Liturgie, par l'exemple qu'ils ont donné, il nous encourage, par leur enseignement, il nous éclaire, à leur prière, il veille sur nous.13 Comme je l'ai dit en conclusion des travaux du Synode, le visage de chacun de ces saints Évêques, depuis les débuts de la vie de l'Église jusqu'à nos jours, est comme une tesselle placée dans une sorte de mosaïque mystique, dont l'ensemble compose le visage du Christ Bon Pasteur. C'est ce visage que nous devons fixer afin d'être toujours davantageministres de l'Évangile pour l'espérance du monde, nous faisant en cela aussi modèles pour le troupeau que le Pasteur des pasteurs nous a confié.

Contemplant le visage de notre Maître et Seigneur, à l'heure où il « aima les siens jusqu'au bout », nous tous, comme l'Apôtre Pierre, nous nous laissons laver les pieds pour avoir part avec Lui (cf. Jn 13,1-9). Et, par la force qui nous vient de Lui dans la sainte Église, face à nos prêtres et à nos diacres, face à toutes les personnes de vie consacrée et à tous les chers fidèles laïcs, nous redisons à haute voix: « Qui que nous soyons, que votre espérance ne repose sur nous: si nous sommes bons, nous sommes ministres, si nous sommes mauvais, nous sommes ministres. Mais si nous sommes des ministres bons et fidèles, nous sommes alors vraiment ministres ».14 Ministres de l'Évangile pour l'espérance du monde.

10 Cf. Proposition 1.
11 Cf. Optat de Milève, Contra Parmenianum donat. 2, 2: PL 11, 947; SCh 412 (1995), p. 245; S Ignace d'Antioche, Aux Romains, 1, 1: PG 5, 685; SCh 10 (1969), p. 107.
12 Jean-Paul II, Homélie de la Messe d'ouverture de la Xe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques (30 septembre 2001), n. 6: AAS 94 (2002), pp. 111-112; La Documentation catholique 98 (2001), p. 936.
13 Cf. Missel Romain, Préface des saints Pasteurs.
14 S. Augustin, Sermon 340/A, 9: PLS 2, 644.




CHAPITRE I

MYSTÈRE ET MINISTÈRE DE L'ÉVÊQUE

« ... Il en choisit douze »

(Lc 6,13)
6 Durant son pèlerinage sur cette terre, le Seigneur Jésus annonça l'Évangile du Royaume et l'inaugura en sa personne, révélant son mystère à tous les hommes.15 Il appela des hommes et des femmes à le suivre, et parmi les disciples il en choisit douze, pour qu'ils « soient avec lui » (Mc 3,14). L'Évangile selon saint Luc précise que Jésus fit ce choix après une nuit passée en prière sur la montagne (cf. Lc 6,12). Pour sa part, l'Évangile selon saint Marc semble donner à ce geste de Jésus le caractère d'un acte souverain, acte constitutif qui confère une identité à ceux qu'il a choisis: il en institua douze (Mc 3,14). Le mystère de l'élection des Douze est ainsi dévoilé: c'est un acte d'amour, voulu librement par Jésus, en union profonde avec le Père et avec l'Esprit Saint.

La mission confiée par Jésus aux Apôtres doit durer jusqu'à la fin des siècles (cf. Mt 28,20), car l'Évangile qu'ils sont chargés de transmettre est la vie pour l'Église de tout temps. C'est bien pourquoi ils ont pris soin de se donner des successeurs, de telle sorte que, comme l'atteste saint Irénée, la tradition apostolique soit manifestée et conservée au long des siècles.16

L'effusion spéciale de l'Esprit Saint, dont les Apôtres furent comblés par le Seigneur ressuscité (cf. Ac 1,5 Ac 1,8 Ac 2,4 Jn 20,22-23), fut par eux transmise à leurs collaborateurs par le geste de l'imposition des mains (cf. 1Tm 4,14 2Tm 1,6). À leur tour, par le même geste, ces derniers l'ont transmise à d'autres, et ceux-ci à d'autres encore. De cette manière, le don spirituel des commencements est arrivé jusqu'à nous par l'imposition des mains, c'est-à-dire par la consécration épiscopale, qui confère la plénitude du sacrement de l'Ordre, le sacerdoce suprême, la totalité du ministère sacré. Ainsi, par l'intermédiaire des Évêques et des prêtres qui les assistent, le Seigneur Jésus Christ, tout en étant assis à la droite de Dieu le Père, continue d'être présent au milieu des croyants. En tout temps et en tout lieu, Il prêche la Parole de Dieu à toutes les nations, Il administre les Sacrements de la foi aux croyants et, en même temps, Il dirige le peuple du Nouveau Testament dans son pèlerinage vers la béatitude éternelle. Le Bon Pasteur n'abandonne pas son troupeau, mais il le garde et le protège toujours grâce à ceux qui, en vertu de la participation ontologique à sa vie et à sa mission, en assumant de manière éminente et visible la charge de maître, de prêtre et de pasteur, agissent à sa place dans l'exercice des fonctions que comporte le ministère pastoral et qui sont institués ses vicaires et ses ambassadeurs.17

15 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 3.
16 Cf. Adv. Haer. III, 2, 2; 3, 1: PG 7, 847; 848; SCh 211 (1974), pp. 27-29; 31; Proposition 2.
17 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, nn. LG 21 LG 27.


Le fondement trinitaire du ministère épiscopal

7La dimension christologique du ministère pastoral, considérée dans sa profondeur, nous aide à comprendre le fondement trinitaire du ministère lui-même. La vie du Christ est trinitaire. Il est le Fils éternel et unique du Père et l'oint de l'Esprit Saint, envoyé dans le monde; Il est Celui qui, avec le Père, envoie l'Esprit à l'Église. Cette dimension trinitaire, qui se manifeste dans tout le mode d'être et d'agir du Christ, façonne aussi l'être et l'agir de l'Évêque. Les Pères du Synode ont donc voulu à juste titre illustrer la vie et le ministère de l'Évêque à la lumière de l'ecclésiologie trinitaire telle qu'elle est exposée dans la doctrine du Concile Vatican II.

Une tradition très ancienne présente l'Évêque comme image du Père, lequel, selon ce qu'écrivait saint Ignace d'Antioche, est comme l'Évêque invisible, l'Évêque de tous. Tout Évêque tient par conséquent la place du Père de Jésus Christ si bien que, en fonction même de ce rôle, il doit être respecté par tous.18 En relation avec cette structure symbolique, le siège épiscopal qui, spécialement dans la tradition de l'Église d'Orient, rappelle l'autorité paternelle de Dieu, ne peut être occupé que par l'Évêque. De cette même structure découle le devoir, pour tout Évêque, de prendre soin du peuple saint de Dieu avec un amour paternel et de le guider, avec les prêtres – collaborateurs de l'Évêque dans son ministère – et avec les diacres, sur la voie du salut.19 En contrepartie, les fidèles, comme le rappelle un texte ancien, doivent aimer les Évêques, qui sont pour eux, après Dieu, des pères et des mères.20 C'est pourquoi, selon un usage répandu dans certaines cultures, on baise la main de l'Évêque comme étant celle du Père plein d'amour et dispensateur de vie.

Le Christ est l'icône originale du Père et la manifestation de sa présence miséricordieuse au milieu des hommes. L'Évêque, agissant en la personne et au nom du Christ lui-même, devient, dans l'Église qui lui est confiée, signe vivant du Seigneur Jésus, Pasteur et Époux, Maître et Pontife de l'Église.21 Nous avons ici la source du ministère pastoral: comme le suggère le schéma d'homélie proposé par le Pontifical romain, les trois fonctions d'enseigner, de sanctifier et de gouverner le peuple de Dieu doivent être exercées selon les caractéristiques propres au Bon Pasteur: charité, connaissance du troupeau, sollicitude pour tous, action miséricordieuse envers les pauvres, les gens de passage et les personnes démunies, recherche des brebis perdues en vue de les conduire dans l'unique bergerie.

Enfin, l'onction de l'Esprit Saint, configurant l'Évêque au Christ, le rend capable d'être un prolongement vivant de son mystère au bénéfice de l'Église. En raison de cette caractéristique trinitaire de son être, tout Évêque, dans son ministère se consacre à veiller avec amour sur tout le troupeau, au milieu duquel il est placé par l'Esprit pour diriger l'Église de Dieu: au nom du Père dont il rend l'image présente; au nom de Jésus Christ son Fils, par qui il est constitué maître, prêtre et pasteur; au nom de l'Esprit Saint, qui donne la vie à l'Église et qui, par sa puissance, soutient la faiblesse humaine.22

18 Cf. Aux Magnésiens 6, 1: PG 5, 764; SCh 10 (1969), p. 85; Aux Tralliens 3, 1: PG 5, 780;SCh, ibid., p. 97; Aux Smyrniotes 8, 1: PG 5, 852; SCh, ibid., p. 139.
19 Cf. Pontifical romain, De ordinatione episcopi, n. 43: Engagement du prêtre choisi pour l'épiscopat : L'Ordination de l'évêque, des prêtres, des diacres, Paris (1996), n. 40.
20 Cf. Didascalia Apostolorum II, 33, 1: éd. F.X. Funk, I, 115.
21 Cf. Proposition 6.
22 Cf. Pontifical romain, De ordinatione episcopi, n. 42: Homélie; L'Ordination de l'Évêque, des prêtres, des diacres, Paris (1996), n. 39.


Caractère collégial du ministère épiscopal

8 « Il en institua douze » (Mc 3,14). Par ce rappel évangélique, la constitution dogmatique Lumen gentium introduit la doctrine sur le caractère collégial du groupe des Douze, institués « sous la forme d'un collège, c'est-à-dire d'un groupe stable, à la tête duquel il mit Pierre, choisi parmi eux ».23 De la même façon, par le fait que l'Évêque de Rome est le successeur personnel du bienheureux Pierre et que tous les Évêques dans leur ensemble sont les successeurs des Apôtres, le Pontife romain et les Évêques sont unis entre eux à la manière d'un Collège.24

L'union collégiale entre les Évêques est fondée à la fois sur l'ordination épiscopale et sur la communion hiérarchique; elle touche donc en profondeur l'être de tout Évêque et elle appartient à la structure de l'Église telle qu'elle a été voulue par Jésus Christ. On se trouve en effet placé dans la plénitude du ministère épiscopal en vertu de la consécration épiscopale et au moyen de la communion hiérarchique avec le Chef du Collège et avec les membres, c'est-à-dire avec le Collège qui sous-entend toujours son Chef. C'est ainsi que l'on est membre du Collège épiscopal;25 c'est pourquoi les trois fonctions reçues lors de l'ordination épiscopale – d'enseigner, de sanctifier et de gouverner – doivent être exercées dans la communion hiérarchique, même si c'est d'une manière distincte en raison de leur finalité immédiate différente.26

C'est ce qui constitue ce que l'on appelle « l'affection collégiale », ou collégialité affective, d'où provient la sollicitude des Évêques pour les autres Églises particulières et pour l'Église universelle.27 Si l'on doit donc dire qu'un Évêque n'est jamais seul, puisqu'il est toujours uni au Père par le Fils dans l'Esprit Saint, nous devons aussi ajouter qu'il n'est jamais seul parce qu'il est également, toujours et continuellement, avec ses frères dans l'épiscopat et avec celui que le Seigneur a choisi comme Successeur de Pierre.

Une telle affection collégiale est réalisée et s'exprime à différents niveaux et de diverses manières, y compris de façon institutionnelle, comme par exemple le Synode des Évêques, les Conciles particuliers, les Conférences des Évêques, la Curie romaine, les visites ad limina, la collaboration missionnaire, etc. Mais l'affection collégiale n'est réalisée et ne s'exprime en plénitude que dans l'action collégiale au sens strict, c'est-à-dire dans l'action de tous les Évêques avec leur Chef, avec qui ils exercent le pouvoir plénier et suprême sur toute l'Église.28

Cette nature collégiale du ministère apostolique est voulue par le Christ lui-même. L'affection collégiale, ou collégialité affective (collegialitas affectiva), existe donc toujours entre les Évêques comme communio episcoporum, mais elle ne se manifeste comme collégialité effective (collegialitas effectiva) que dans certains actes. Les différents modes de mise en oeuvre de la collégialité affective en collégialité effective sont d'ordre humain, mais ils concrétisent, à des degrés divers, l'exigence divine que l'épiscopat s'exprime de manière collégiale.29 Dans les Conciles oecuméniques, le pouvoir suprême du Collège sur toute l'Église est exercé de manière solennelle.30

La dimension collégiale donne à l'épiscopat son caractère d'universalité. Il est ainsi possible d'établir un parallèle entre l'Église une et universelle, donc indivise, et l'épiscopat un et indivis, donc universel. Le principe et le fondement de cette unité, aussi bien celle de l'Église que celle du Collège des Évêques, c'est le Pontife romain. Comme l'enseigne en effet le Concile Vatican II, « dans la mesure où il est composé de membres nombreux, ce collège exprime la variété et l'universalité du peuple de Dieu; dans la mesure où il est rassemblé sous une seule Tête, il exprime l'unité du troupeau du Christ ».31 C'est pourquoi « l'unité de l'épiscopat est l'un des éléments constitutifs de l'unité de l'Église ».32

L'Église universelle n'est pas la somme des Églises particulières, ni une fédération de ces Églises, ni même le résultat de leur communion, du fait que, dans son mystère essentiel, selon les expressions des Pères de l'Église primitive et de la Liturgie, elle précède leur création même.33 À la lumière de cette doctrine, il est possible d'ajouter que le rapport d'intériorité réciproque qui existe entre l'Église universelle et l'Église particulière, et qui fait que les Églises particulières sont « formées à l'image de l'Église universelle, [Églises particulières] dans lesquelles et à partir desquelles existe l'Église catholique, une et unique »,34 se retrouve dans le rapport entre le Collège épiscopal dans sa totalité et l'Évêque pris individuellement. C'est pourquoi « le Collège épiscopal ne doit pas être compris comme la somme des Évêques à qui sont confiées les Églises particulières, ni comme le résultat de leur communion, mais, en tant qu'élément essentiel de l'Église universelle, il est une réalité antérieure à la charge d'être tête de l'Église particulière ».35

Nous pouvons mieux comprendre ce parallélisme entre l'Église universelle et le Collège des Évêques à la lumière de ce que le Concile affirme: « Les Apôtres furent les germes du nouvel Israël et en même temps l'origine de la hiérarchie sacrée ».36 Dans les Apôtres, considérés non pas individuellement mais comme étant un Collège, était contenue la structure de l'Église, constituée en eux dans son universalité et dans son unité, ainsi que la structure du Collège des Évêques, leurs successeurs, qui est le signe de cette universalité et de cette unité.37

C'est ainsi que « le pouvoir du Collège épiscopal sur toute l'Église n'est pas constitué par la somme des pouvoirs exercés individuellement par les Évêques dans leurs Églises particulières; il s'agit d'une réalité antérieure à laquelle participent les Évêques, qui ne peuvent agir pour toute l'Église sinon collégialement ».38 Les Évêques participent solidairement d'une manière immédiate à ce pouvoir d'enseigner et de gouverner par le fait même qu'ils sont membres du Collège épiscopal, dans lequel demeure réellement le Collège apostolique.39

De même que l'Église universelle est une et indivisible, de même aussi le Collège épiscopal est un « sujet théologique indivisible », et donc également le pouvoir suprême, plénier et universel, dont le Collège est le sujet, comme l'est le Pontife romain personnellement, est un et indivisible. Précisément parce que le Collège épiscopal est une réalité antérieure à la charge de chef de l'Église particulière, beaucoup d'Évêques, tout en exerçant des tâches véritablement épiscopales, ne sont pas à la tête d'une Église particulière.40 Chaque Évêque, toujours en union avec tous ses Frères dans l'épiscopat et avec le Pontife romain, représente le Christ Tête et Pasteur de l'Église: non seulement de manière personnelle et spécifique quand il reçoit la charge de pasteur d'une Église particulière, mais aussi quand il collabore avec l'Évêque diocésain dans le gouvernement de son Église,41 ou bien quand il participe à la charge de pasteur universel du Pontife romain dans le gouvernement de l'Église universelle. Tout au long de son histoire, l'Église a reconnu, outre la forme propre de présidence d'une Église particulière, d'autres formes d'exercice du ministère épiscopal, comme celle d'Évêque auxiliaire ou de Représentant du Pontife romain dans les Bureaux du Saint-Siège ou dans les Légations pontificales; accueillant cet héritage, elle admet aujourd'hui encore de telles formes, selon les normes du droit et quand cela s'avère nécessaire.42

23 N. LG 19.
24 Cf. ibid., n. LG 22; Code de Droit canonique, can. CIC 330; Code des Canons des Églises orientales, can. CIO 42.
25 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 22; Code de Droit canonique, can. CIC 336; Code des Canons des Églises orientales, can. CIO 49.
26 Cf. Proposition 20; Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 21; Code de Droit canonique, can. CIC 375, § 2.
27 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 23; Décret sur la charge pastorale des Évêques dans l'Église Christus Dominus, nn. CD 3 CD 5 CD 6. Jean-Paul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), n. 13: AAS 90 (1998), pp. 650- 651; La Documentation catholique 95 (1998), pp. 755-756.
28 Cf. Jean-Paul II, Const. apost. Pastor bonus (28 juin 1988), Annexe I, n. 4: AAS 80 (1988), pp. 914-915; La Documentation catholique 85 (1988), p. 980; Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm.Lumen gentium, n. LG 22; Code de Droit canonique, can. CIC 337, §§ 1, 2; Code des Canons des Églises orientales, can. CIO 50, §§ 1, 2.
29 Cf. Jean-Paul II, Allocution de clôture de la VIIe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques (29 octobre 1987), n. 4: AAS 80 (1988), p. 610; L'Oss. Rom. Éd. hebd. en langue française, 10 nov. 1987, p. 5; Const. apost. Pastor bonus (28 juin 1988), Annexe I : AAS 80 (1988), p. 915- 916; La Documentation catholique 85 (1988), p. 980; Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 22.
30 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 22.
31 Ibid. LG 22
32 Jean-Paul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), n. 8: AAS 90 (1998), p. 647; La Documentation catholique 95 (1998), p. 753.
33 Cf. Sacramentaire d'Angoulême, In dedicatione basilicae novae: « Dirige, Domine, ecclesiam tuam dispensatione caelesti, ut quae ante mundi principium in tua semper est praesentia praeparata, usque ad plenitudinem gloriamque promissam te moderante perveniat »: CCSL159 C, rubr. 1851; Catéchisme de l'Église catholique, nn. 758-760; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Communionis notio (28 mai 1992), n. 9: AAS 85 (1993), p. 843; La Documentation catholique 89 (1992), p. 731.
34 Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 23.
35 Jean-Paul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), n. 12: AAS 90 (1998), pp. 649-650; La Documentation catholique 95 (1998), p. 754.
36 Conc. oecum. Vat. II, Décret sur l'activité missionnaire de l'Église Ad gentes, n. AGD 5.
37 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 22.
38 Jean-Paul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), n. 12: AAS 90 (1998), p. 650; La Documentation catholique 95 (1998), p. 754.
39 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 22.
40 Cf. Jean-Paul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), n. 12: AAS 90 (1998), p. 649-650;La Documentation catholique, l.c., p. 754.
41 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décr. Christus Dominus, nn. CD 25-26.
42 Cf. Proposition 33.



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