Pastores gregis FR 9

Caractère missionnaire et unitaire du ministère épiscopal

9 L'Évangile selon saint Luc (cf. 6,13) nous apprend que Jésus donna aux Douze le nom d'Apôtres, ce qui, littéralement, signifie envoyés. Dans l'Évangile selon saint Marc, nous lisons aussi que Jésus en institua douze « pour les envoyer prêcher » (3,14). Cela signifie que l'élection tout comme l'institution des Douze comme Apôtres ont la mission pour finalité. Ce premier envoi (cf. Mt 10,5 Mc 6,7 Lc 9,1-2) trouve sa plénitude dans la mission que Jésus leur confie après la Résurrection, au moment de son Ascension au ciel. Ce sont des paroles qui conservent toute leur actualité: « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,18-20). Cette mission apostolique a reçu une confirmation solennelle par l'effusion de l'Esprit Saint, le jour de la Pentecôte.

Dans le texte de l'Évangile selon saint Matthieu, que je viens de citer, la totalité du ministère pastoral peut être vue comme s'articulant autour de la triple fonction d'enseigner, de sanctifier et de gouverner. Nous y voyons un reflet de la triple dimension du service et de la mission du Christ. En effet, en tant que chrétiens et, d'une manière qualitativement nouvelle, en tant que prêtres, nous participons à la mission de notre

Maître, qui est Prophète, Prêtre et Roi, et nous sommes appelés à lui rendre un témoignage particulier dans l'Église et devant le monde.

Ces trois fonctions (triplex munus) et les pouvoirs qui y sont liés manifestent sur le plan de l'agir le ministère pastoral (munus pastorale), que chaque Évêque reçoit au moment de sa consécration épiscopale. L'amour même du Christ, auquel on participe dans la consécration, se concrétise dans l'annonce de l'Évangile de l'espérance à toutes les nations (cf. Lc 4,16-19), dans l'administration des sacrements à tous ceux qui accueillent le salut et dans la conduite du peuple saint vers la vie éternelle. Il s'agit en effet de fonctions étroitement liées entre elles, qui s'expliquent les unes par les autres, se conditionnent et s'éclairent réciproquement.43

Pour cela, quand l'Évêque enseigne, en même temps il sanctifie et il guide le peuple de Dieu; et tandis qu'il sanctifie, il enseigne aussi et il gouverne; quand il gouverne, il enseigne et il sanctifie. Saint Augustin définit l'ensemble de ce ministère épiscopal comme amoris officium.44 Cela nous donne la certitude que jamais dans l'Église la charité pastorale de Jésus Christ ne viendra à manquer.

43 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, nn. LG 21 LG 27; Jean-Paul II, Lettre aux prêtres à l'occasion du Jeudi saint (8 avril 1979), n. 3: AAS 71 (1979), p. 397; La Documentation catholique 76 (1979), p. 353.
44 Cf. In Io Ev. tract. 123, 5: PL 35, 1967.


« ... il appela ceux qu'il voulait »

(Mc 3,13)
10 Une grande foule suivait Jésus, quand il décida de monter sur la montagne et d'appeler à lui les Apôtres. Les disciples étaient nombreux, mais Il en choisit seulement douze pour la tâche spécifique d'Apôtres (cf. Mc 3,13-19). Dans la Salle du Synode on a souvent entendu l'exclamation de saint Augustin: « Pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien ».45

Don de l'Esprit fait à l'Église, l'Évêque est avant tout, et comme tout autre chrétien, fils et membre de l'Église. C'est de cette Mère sainte qu'il a reçu le don de la vie divine par le sacrement du Baptême et le premier enseignement de la foi. Avec tous les autres fidèles il partage l'incomparable dignité de fils de Dieu, qu'il doit vivre dans la communion et dans un esprit de fraternelle gratitude. Toutefois, à cause de la plénitude du sacrement de l'Ordre, l'Évêque est aussi, pour les fidèles, celui qui est maître, sanctificateur et pasteur, chargé d'agir au nom et en la personne du Christ.

Il s'agit là, évidemment, de deux relations qui ne sont pas simplement mises l'une à côté de l'autre, mais qui se trouvent au contraire dans un rapport réciproque et intime, ordonnées l'une à l'autre parce que l'une et l'autre trouvent leur source dans la richesse du Christ, unique et souverain prêtre. L'Évêque devient « père » précisément parce qu'il est pleinement « fils » de l'Église. Nous retrouvons là le rapport entre sacerdoce commun des fidèles et sacerdoce ministériel: deux modes de participation à l'unique sacerdoce du Christ, dans lequel sont présentes les deux dimensions, qui s'unissent dans le sacrifice suprême de la croix.

Cela se reflète dans la relation qui existe, dans l'Église, entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel. Le fait que, bien qu'ils diffèrent essentiellement l'un de l'autre, ils soient ordonnés l'un à l'autre,46 crée une réciprocité qui structure harmonieusement la vie de l'Église comme lieu où s'actualise dans l'histoire le salut accompli par le Christ. Une telle réciprocité se retrouve dans la personne même de l'Évêque, qui est et demeure un baptisé, mais qui est constitué dans le sacerdoce suprême. Cette réalité la plus profonde de l'Évêque est le fondement de son « être au milieu » des autres fidèles et de son être « face à » eux.

Le Concile Vatican II le rappelle dans un texte admirable: « Si donc, dans l'Église, tous ne suivent pas le même chemin, tous néanmoins sont appelés à la sainteté et ont, par la justice de Dieu, reçu une foi du même prix (cf. 2P 2P 1,1). Même si certains, par la volonté du Christ, sont établis docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour les autres, il règne cependant entre eux tous une vraie égalité en ce qui concerne la dignité et l'action commune à tous les fidèles pour l'édification du Corps du Christ. En effet, la différence que le Seigneur a établie entre les ministres sacrés et le reste du peuple de Dieu comporte en elle-même l'union, puisque les pasteurs et les autres fidèles sont liés entre eux par une communauté de rapports; que les pasteurs de l'Église suivent l'exemple du Christ et soient au service les uns des autres et au service des autres fidèles; que ceux-ci, de leur côté, apportent aux pasteurs et docteurs leur concours empressé ».47

Le ministère pastoral reçu par l'ordination, qui place l'Évêque « face aux » autres fidèles, s'exprime dans un « être pour » les autres fidèles, qui ne lui enlève pas son « être avec » eux. Cela vaut aussi bien pour sa sanctification personnelle, qu'il doit rechercher et réaliser à travers l'exercice de son ministère, que dans sa manière d'accomplir le ministère lui-même par toutes les fonctions dans lesquelles il se déploie.

La réciprocité, qui existe entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel, et que l'on retrouve dans le ministère épiscopal lui-même, se manifeste dans une sorte de « circularité » entre les deux formes de sacerdoce: circularité entre le témoignage de foi de tous les fidèles et le témoignage de foi authentique de l'Évêque dans ses actes magistériels; circularité entre la vie sainte des fidèles et les moyens de sanctification que l'Évêque leur propose; circularité enfin entre la responsabilité personnelle de l'Évêque par rapport au bien de l'Église qui lui est confiée et la coresponsabilité de tous les fidèles par rapport au bien de cette même Église.

45 Sermon 340 (Homélie pour l'anniversaire de son ordination épiscopale), 1: PL 38, 1483: « Vobis enim sum episcopus; vobiscum sum christianus » (cf. Liturgie des Heures, 19 septembre, mémoire de saint Janvier, évêque et martyr, Office des Lectures, seconde lecture).
46 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 10.
47 Ibid., n. LG 32.




CHAPITRE II

LA VIE SPIRITUELLE DE L'ÉVÊQUE

« ... et il en institua douze pour qu'ils soient avec lui... »

(Mc 3,14)
11 Par le même acte d'amour par lequel il les établit librement comme Apôtres, Jésus appelle les Douze à partager sa vie même. Ce partage, qui est communion d'esprit et d'intention avec Lui, est donc aussi une exigence inscrite dans leur participation à sa mission elle-même. On ne doit pas réduire les fonctions de l'Évêque à une tâche de pure organisation. C'est justement pour éviter ce risque que les documents préparatoires au Synode, ainsi que les nombreuses interventions des Pères au cours de l'Assemblée synodale, ont insisté sur ce que comporte, dans la vie personnelle de l'Évêque et dans l'exercice du ministère qui lui est confié, la réalité de l'épiscopat comme plénitude du sacrement de l'Ordre, dans ses fondements théologiques, christologiques et pneumatologiques.

À la sanctification objective, qui par l'action du Christ se réalise dans le Sacrement avec la communication de l'Esprit, doit correspondre la sainteté subjective, dans laquelle l'Évêque, avec le soutien de la grâce, est invité à progresser toujours davantage à travers l'exercice du ministère. La transformation ontologique accomplie par la consécration, comme conformation au Christ, requiert un style de vie qui manifeste le fait qu'il « demeure avec Lui ». En conséquence, à maintes reprises, dans la Salle du Synode, l'insistance a été mise sur la charité pastorale, comme fruit tant du caractère conféré par le Sacrement que de la grâce qui lui est propre. La charité, a-t-on dit, est comme l'âme du ministère de l'Évêque, qui est impliqué dans un dynamisme de « pro-existentia »pastorale, à partir de laquelle il est poussé à vivre, comme le Christ Bon Pasteur, pour le Père et pour les autres, dans le don quotidien de lui-même.

C'est surtout dans l'exercice de son ministère, en imitant la charité du Bon Pasteur, que l'Évêque est appelé à se sanctifier et à sanctifier, en ayant comme principe unificateur la contemplation du visage du Christ et l'annonce de l'Évangile du salut.48 En conséquence, sa spiritualité est orientée et stimulée non seulement par les sacrements du Baptême et de la Confirmation, mais par l'Ordination épiscopale elle-même qui l'engage à vivre dans la foi, dans l'espérance et dans la charité son ministère d'évangélisateur, de liturge et de guide de la communauté. La spiritualité de l'Évêque sera donc également une spiritualité ecclésiale, car tout dans sa vie tend à édifier avec amour la sainte Église.

Cela exige de l'Évêque une attitude de service marquée par la force d'âme, par le courage apostolique et par un abandon confiant à l'action intérieure de l'Esprit. Il s'appliquera donc à adopter un style de vie qui imite la kénosis du Christ serviteur, pauvre et humble, de telle manière que l'exercice du ministère pastoral soit en lui un reflet cohérent de Jésus, Serviteur de Dieu, et qu'il le conduise à être comme Lui proche de tous, du plus grand au plus petit. En définitive, encore une fois, par une sorte de réciprocité, l'exercice, fidèle et plein d'amour, du ministère sanctifie l'Évêque et, sur le plan subjectif, le rend toujours plus conforme à la richesse ontologique de sainteté que le Sacrement a mise en lui.

Toutefois, la sainteté personnelle de l'Évêque ne s'arrête jamais à un niveau purement subjectif car, dans son efficacité, elle rejaillit toujours sur les fidèles confiés à sa sollicitude pastorale. Dans la pratique de la charité, en tant que partie intégrante du ministère pastoral reçu, l'Évêque devient signe du Christ et acquiert l'autorité morale dont l'exercice de l'autorité juridique a besoin pour pouvoir influer efficacement sur l'environnement social. En effet, si la charge épiscopale ne s'appuie pas sur le témoignage de sainteté manifesté par la charité pastorale, l'humilité et la simplicité de vie, elle finit par se réduire à un rôle presque uniquement fonctionnel et elle perd fatalement en crédibilité auprès du clergé et des fidèles.

48 Cf. Proposition 8.


Vocation à la sainteté dans l'Église de notre temps

12 Une image biblique semble particulièrement adaptée pour éclairer la figure de l'Évêque en tant qu'ami de Dieu, pasteur et guide de son peuple. C'est la figure de Moïse. En le regardant, l'Évêque peut s'inspirer de son être et de son agir de pasteur, choisi et envoyé par le Seigneur, précédant courageusement son peuple dans sa marche vers la terre promise, interprète fidèle de la parole et de la loi du Dieu vivant, médiateur de l'Alliance, ardent et confiant dans l'intercession en faveur de son peuple. Comme Moïse qui, après sa rencontre avec le Seigneur sur la sainte montagne, retourna au milieu de son peuple avec un visage rayonnant (cf. Ex 34,29-30), de même l'Évêque ne pourra être porteur, parmi ses frères, des signes de son être de père, de frère et d'ami que s'il entre dans la nuée obscure et lumineuse du mystère du Père, du Fils et de l'Esprit Saint. Illuminé par la lumière de la Trinité, il sera signe de la bonté miséricordieuse du Père, vivante image de la charité du Fils, homme transparent à l'Esprit, consacré et envoyé pour guider le peuple de Dieu sur les sentiers du temps, dans son pèlerinage vers l'éternité.

Les Pères Synodaux ont mis en lumière l'importance de l'engagement spirituel dans la vie, dans le ministère et dans le cheminement de l'Évêque. J'ai moi-même donné cette priorité en harmonie avec les exigences de la vie de l'Église et les appels de l'Esprit Saint, qui ont rappelé à tous, ces dernières années, le primat de la grâce, le besoin largement répandu de spiritualité, l'urgence du témoignage de sainteté.

L'invitation à la spiritualité découle de la référence à l'action de l'Esprit Saint dans l'histoire du salut. La présence de l'Esprit est active et dynamique, prophétique et missionnaire. Le don de la plénitude de l'Esprit Saint, que l'Évêque reçoit à l'Ordination épiscopale, constitue un appel précieux et urgent à seconder son action dans la communion ecclésiale et dans la mission universelle.

Célébrée après le grand Jubilé de l'An 2000, l'Assemblée synodale a depuis le début fait sien le projet d'une vie sainte que j'avais indiqué moi-même à l'Église entière: « La perspective dans laquelle doit se placer tout le cheminement pastoral est celle de la sainteté... Une fois le Jubilé terminé, la route ordinaire reprend, mais présenter la sainteté reste plus que jamais une urgence de la pastorale ».49 Un accueil enthousiaste et généreux de mon appel à mettre à la première place la vocation à la sainteté: telle a été l'atmosphère dans laquelle se sont déroulés les travaux synodaux et le climat qui, d'une certaine manière, a unifié les interventions et les réflexions des Pères. Ils sentaient résonner dans leurs coeurs l'avertissement de saint Grégoire de Nazianze: « D'abord, se purifier, ensuite purifier; d'abord se laisser instruire par la sagesse, ensuite instruire: d'abord devenir lumière, puis éclairer; d'abord s'approcher de Dieu, ensuite y conduire les autres; d'abord être saint, ensuite sanctifier ».50

C'est pour cette raison que s'est fait entendre à maintes reprises l'invitation de l'Assemblée synodale à identifier avec clarté la spécificité « épiscopale » du chemin de sainteté d'un Évêque. Ce sera toujours une sainteté vécue avec le peuple et pour le peuple, dans une communion qui devient un stimulant et une édification réciproque dans la charité. Et il ne s'agit pas ici de questions secondaires ou marginales. En effet, c'est précisément la vie spirituelle de l'Évêque qui favorise la fécondité de son action pastorale. Le fondement de toute pastorale efficace ne réside-t-il pas dans la méditation assidue du mystère du Christ, dans la contemplation passionnée de son visage et dans l'imitation généreuse de la vie du Bon Pasteur? S'il est vrai que nous sommes dans une époque de mouvement continuel, et souvent même d'activisme, entraînant facilement le risque de « faire pour faire », alors l'Évêque doit être le premier à montrer, par l'exemple de sa vie, qu'il faut rétablir le primat de l'« être » sur le « faire », et plus encore le primat de la grâce qui, dans la vision chrétienne de la vie, est aussi un principe essentiel pour une « programmation » du ministère pastoral.51

49 Lettre apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. NM 30: AAS 93 (2001), p. 287; La Documentation catholique 98 (2001), pp. 78-79.
50 Oratio II, n. 71: PG 35, 479.
51 Jean-Paul II, Lettre apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), nn. NM 15 NM 31: AAS 93 (2001), pp. 276; 288; La Documentation catholique 98 (2001), pp. 74; 79.


Le cheminement spirituel de l'Évêque

13 Un Évêque ne peut s'estimer vraiment ministre de la communion et de l'espérance pour le peuple saint de Dieu que lorsqu'il chemine en présence du Seigneur. Il n'est pas possible, en effet, d'être au service des hommes sans être d'abord « serviteur de Dieu ». Et l'on ne peut être serviteur de Dieu si l'on n'est pas d'abord « homme de Dieu ». C'est pourquoi j'ai dit dans l'homélie d'ouverture du Synode: « Le Pasteur doit être un “homme de Dieu”; sa vie et son ministère sont entièrement placés sous la seigneurie divine; ils tirent lumière et vigueur du mystère suréminent de Dieu ».52

En ce qui concerne l'Évêque, l'appel à la sainteté est inhérent à l'événement sacramentel même qui se trouve à l'origine de son ministère, à savoir son Ordination épiscopale. L'antique Eucologe de Sérapion formule en ces termes l'invocation rituelle de la consécration: « Dieu de vérité, fais de ton serviteur un Évêque vivant, un Évêque saint dans la succession des saints Apôtres ».53 Toutefois, parce que l'Ordination épiscopale n'infuse pas la perfection des vertus, « l'Évêque est appelé à poursuivre son chemin de sanctification avec plus d'intensité, pour arriver à la hauteur du Christ, Homme parfait ».54

Le caractère christologique et trinitaire de son mystère et de son ministère exige pour l'Évêque un cheminement de sainteté, qui consiste à avancer progressivement vers une maturité spirituelle et apostolique toujours plus profonde, marquée par le primat de la charité pastorale. Un cheminement vécu bien sûr avec son peuple, dans un itinéraire qui est en même temps personnel et communautaire, comme la vie même de l'Église. Dans ce cheminement, cependant, l'Évêque, en intime communion avec le Christ et dans une docilité vigilante à l'Esprit, devient témoin, modèle, promoteur et animateur. C'est ainsi que s'exprime également la loi canonique: « L'Évêque diocésain, se souvenant qu'il est tenu par l'obligation de donner l'exemple de la sainteté dans la charité, l'humilité et la simplicité de vie, s'appliquera à promouvoir de toutes ses forces la sainteté des fidèles, selon la vocation propre à chacun, et comme il est le principal dispensateur des mystères de Dieu, il n'épargnera aucun effort pour que les fidèles dont il a la charge grandissent en grâce par la célébration sacramentelle, qu'ils connaissent le mystère pascal et en vivent ».55

Le cheminement spirituel de l'Évêque, comme celui de tout fidèle chrétien, s'enracine assurément dans la grâce sacramentelle du Baptême et de la Confirmation. Cette grâce l'unit à tous les fidèles, puisque, comme le rappelle le Concile Vatican II, « tous les fidèles, quel que soit leur état ou leur rang, sont appelés à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité ».56 L'affirmation bien connue de saint Augustin, riche de réalisme et de sagesse surnaturelle, prend tout son sens dans ce cas: « Ce que je suis pour vous me terrifie, mais ce que je suis avec vous me console: car pour vous je suis Évêque, avec vous je suis chrétien. Le premier titre est celui d'une charge, le second, d'une grâce. Celui-là désigne le péril, celui-ci, le salut ».57 Toutefois, grâce à la charité pastorale, la charge devient service et le danger se transforme en occasion de croissance et de maturation. Le ministère épiscopal n'est pas seulement une source de sainteté pour les autres, mais il est déjà un motif de sanctification pour celui qui laisse passer la charité de Dieu à travers son coeur et sa vie.

Les Pères synodaux ont résumé quelques exigences propres à ce cheminement. Ils ont tout d'abord rappelé le caractère baptismal et chrismal, qui depuis le début de l'existence chrétienne, au moyen des vertus théologales, rend capable de croire en Dieu, d'espérer en lui et de l'aimer. Pour sa part, l'Esprit Saint infuse ses dons, favorisant la croissance dans le bien à travers l'exercice des vertus morales, qui donnent aussi une consistance humaine à la vie spirituelle.58 En vertu du Baptême qu'il a reçu, l'Évêque participe, comme tout chrétien, à la spiritualité qui est enracinée dans l'incorporation au Christ et qui se manifeste dans la suite du Christ selon l'Évangile. C'est pourquoi il partage la vocation de tous les fidèles à la sainteté. Il doit donc cultiver une vie de prière et de foi profonde et mettre en Dieu toute sa confiance, en témoignant de l'Évangile dans une obéissance docile à ce que l'Esprit Saint lui suggère, et en réservant une dévotion particulière et filiale à la Vierge Marie, qui est maîtresse parfaite de vie spirituelle.59

La spiritualité de l'Évêque sera donc une spiritualité de communion, vécue en syntonie avec tous les autres baptisés, tous fils avec lui de l'unique Père du ciel et de l'unique Mère sur la terre, la sainte Église. Comme tous ceux qui croient au Christ, il a besoin d'entretenir sa vie spirituelle en se nourrissant de la parole vivante et efficace de l'Évangile, et du pain de vie de la sainte Eucharistie, nourriture de vie éternelle. À cause de la fragilité humaine, l'Évêque est lui aussi appelé à fréquenter à intervalles réguliers le sacrement de la Pénitence, afin d'obtenir le don de la miséricorde dont il est aussi devenu le ministre. Conscient, donc, de sa faiblesse humaine et de ses péchés, tout Évêque, en même temps que ses prêtres, vit avant tout pour lui-même le sacrement de la Réconciliation, comme une exigence profonde et comme une grâce toujours attendue de manière nouvelle, pour donner un élan renouvelé à son engagement de sanctification dans l'exercice du ministère. En agissant ainsi, il exprime visiblement aussi le mystère d'une Église qui est en elle-même sainte, mais également composée de pécheurs qui ont besoin d'être pardonnés.

Comme tous les prêtres, et bien sûr en communion spéciale avec les prêtres du presbytérium diocésain, l'Évêque s'emploiera à parcourir un chemin de spiritualité spécifique. En effet, il est appelé aussi à la sainteté à un nouveau titre qui découle de l'Ordre sacré. C'est pourquoi l'Évêque vit de foi, d'espérance et de charité en tant que ministre de la Parole du Seigneur, de la sanctification et du progrès spirituel du peuple de Dieu. Il doit être saint parce qu'il doit servir l'Église comme maître, sanctificateur et guide. Comme tel, il doit aussi aimer profondément et intensément l'Église. Tout Évêque est conformé au Christ pour aimer l'Église avec l'amour du Christ époux et pour être, dans l'Église, ministre de son unité, c'est-à-dire pour faire de l'Église « le peuple uni de l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit Saint ».60

La spiritualité propre à l'Évêque, les Pères synodaux l'ont souligné de manière répétée, s'enrichit ultérieurement de l'apport de grâce inhérent à la plénitude du Sacerdoce qui lui est conférée au moment de l'Ordination. En tant que pasteur du troupeau et serviteur de l'Évangile de Jésus Christ dans l'espérance, l'Évêque doit refléter et faire transparaître pour ainsi dire en lui la personne même du Christ, Pasteur suprême. Dans le Pontifical romain, cet engagement est explicitement rappelé: « Recevez la mitre; que brille en vous l'éclat de la sainteté, pour que vous puissiez recevoir l'impérissable couronne de gloire, lorsque paraîtra le chef des pasteurs ».61

C'est pourquoi l'Évêque a besoin constamment de la grâce de Dieu, qui fortifie et qui perfectionne sa nature humaine. Il peut affirmer avec l'Apôtre Paul: « Notre capacité vient de Dieu: c'est lui qui nous a rendus capables d'être les ministres d'une Alliance nouvelle » (
2Co 3,5-6). Il faut donc le souligner: le ministère apostolique est pour l'Évêque une source de spiritualité, à laquelle il doit puiser les ressources spirituelles qui le font croître en sainteté et qui lui permettent de découvrir l'action de l'Esprit Saint dans le peuple de Dieu confié à sa sollicitude pastorale.62

Le cheminement spirituel de l'Évêque coïncide, dans cette perspective, avec la charité pastorale elle-même, qui à juste titre doit être considérée comme l'âme de son apostolat, comme elle l'est aussi de l'apostolat du prêtre et du diacre. Il s'agit en effet, non seulement d'une existentia, mais aussi d'une pro-existentia, c'est-à-dire d'une vie qui s'inspire du modèle suprême constitué par le Christ Seigneur et qui, par conséquent, se dépense totalement dans l'adoration du Père et dans le service des frères. À ce propos, le Concile Vatican II affirme très justement que les Pasteurs, à l'image du Christ, doivent accomplir avec sainteté et empressement, avec humilité et force, leur ministère, qui, « s'il est exercé de cette façon, sera aussi pour eux un moyen éminent de sanctification ».63 Aucun Évêque ne peut ignorer que le sommet de la sainteté demeure le Christ Crucifié, dans son offrande suprême à son Père et à ses frères dans l'Esprit Saint. C'est pourquoi la configuration au Christ et la participation à ses souffrances (cf. 1P 1P 4,13) devient la voie royale de la sainteté de l'Évêque au milieu de son peuple.

52 N. 5: AAS 94 (2002), p. 111; La Documentation catholique 98 (2001), p. 936.
53 Sacramentarium Serapionis, 28: éd. F.X. Funk, II, 191.
54 Jean-Paul II, Homélie pour l'ouverture de la Xe Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques (30 septembre 2001), n. 5: AAS 94 (2002), p. 111; La Documentation catholique 98 (2001), p. 936.
55 Code de Droit canonique, can. CIC 387; cf. Code des Canons des Églises orientales, can. CIO 197.
56 Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 40.
57 Sermon 340 (Homélie pour l'anniversaire de son ordination épiscopale), 1: PL 38, 1483 (cf.Liturgie des Heures, 19 septembre, mémoire de saint Janvier, évêque et martyr, Office des Lectures, seconde lecture).
58 Cf. Catéchisme de l'Église catholique, nn. CEC 1804 CEC 1839.
59 Cf. Proposition 7.
60 S. Cyprien, De Oratione dominica 23: PL 4, 535; cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm.Lumen gentium, n. LG 4.
61 L'Ordination de l'évêque, des prêtres, des diacres, Paris 1996, n. 53: imposition de la mitre.
62 Cf. Proposition 7.
63 Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 41.


Marie, Mère de l'espérance et maîtresse de vie spirituelle\i.

14 La présence maternelle de la Vierge Marie, Mater spei et spes nostra, comme l'invoque l'Église, sera aussi un soutien pour la vie spirituelle de l'Évêque. Celui-ci nourrira donc à l'égard de Marie une dévotion authentique et filiale, se sentant appelé à faire sien son fiat, à revivre et à actualiser chaque jour le geste de Jésus confiant Marie, debout au pied de la Croix, au Disciple et le Disciple bien-aimé à Marie (cf. Jn 19,26-27). De la même manière, l'Évêque est appelé à se refléter dans la prière unanime et persévérante des disciples et des Apôtres du Fils avec sa Mère, avant la Pentecôte. Dans cette icône de l'Église naissante s'exprime le lien indissoluble qui unit Marie et les successeurs des Apôtres (cf. Ac 1,14).

La sainte Mère de Dieu sera donc pour l'Évêque la maîtresse dans l'écoute et dans l'accomplissement empressé de la Parole de Dieu, dans le fait d'être disciple fidèle de l'unique Maître, dans la stabilité de la foi, dans l'espérance confiante et dans l'ardente charité. Comme Marie, « mémoire » de l'Incarnation du Verbe dans la première communauté chrétienne, l'Évêque sera le gardien et l'intermédiaire de la Tradition vivante de l'Église, dans la communion avec tous les autres Évêques, en union avec le Successeur de Pierre et sous son autorité.

La solide dévotion mariale de l'Évêque s'exprimera dans une référence constante à la Liturgie, où la Vierge a une présence particulière dans la célébration des mystères du salut et où elle est pour toute l'Église un modèle parfait d'écoute et de prière, d'offrande et de maternité spirituelle. C'est même la tâche de l'Évêque de faire en sorte que la Liturgie apparaisse toujours comme « “une forme exemplaire”, une source d'inspiration, un point de référence constant et un but ultime ».64 pour la piété mariale du peuple de Dieu. Ce principe restant ferme, l'Évêque nourrira lui aussi sa piété mariale personnelle et communautaire par les pieux exercices approuvés et recommandés par l'Église, spécialement la récitation de ce résumé de l'Évangile qu'est le saint Rosaire. Ayant l'expérience de cette prière, toute centrée sur la contemplation des événements salvifiques de la vie du Christ, auxquels sa Mère fut étroitement associée, tout Évêque est invité à en être un promoteur actif.65

64 Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, Directoire sur la piété populaire et la liturgie. Principes et orientations (17 décembre 2001), n. 184: Paris 2003, p. 152.
65 Cf. Jean-Paul II, Lettre apost. Rosarium Virginis Mariae (16 octobre 2002), n. RVM 43: AAS 95 (2003), pp. 35-36; La Documentation catholique 99 (2002), p. 969.


S'en remettre à la Parole

15 L'Assemblée du Synode des Évêques a indiqué quelques moyens nécessaires pour nourrir la vie spirituelle et la faire progresser.66 Parmi ces moyens, on trouve à la première place la lecture et la méditation de la Parole de Dieu. Tout Évêque devra toujours se confier et se sentir confié « à Dieu et à son message de grâce, qui a le pouvoir de construire l'édifice et de faire participer les hommes à l'héritage de ceux qui ont été sanctifiés » (Ac 20,32). C'est pourquoi, avant d'être un transmetteur de la Parole, l'Évêque, avec ses prêtres et comme tout fidèle, bien plus comme l'Église elle-même,67 doit être un auditeur de la Parole. Il doit être comme « à l'intérieur » de la Parole, pour se laisser garder et nourrir par elle, comme dans le sein maternel. Avec saint Ignace d'Antioche, l'Évêque redit: « Je me réfugie dans l'Évangile comme dans la chair de Jésus Christ ».68 Tout Évêque se souviendra donc sans cesse pour lui-même de cet avertissement de saint Jérôme, repris par le Concile Vatican II: « L'ignorance des Écritures est, en effet, l'ignorance du Christ ».69 En effet, il n'y a pas de primat de la sainteté sans écoute de la Parole de Dieu, qui est un guide et une nourriture de la sainteté.

S'en remettre à la Parole de Dieu et la garder, comme la Vierge Marie qui fut Virgo audiens,70 implique d'utiliser concrètement certains moyens que la tradition et l'expérience spirituelle de l'Église n'ont jamais manqué de suggérer. Il s'agit avant tout de la lecture personnelle fréquente ainsi que de l'étude attentive et assidue de la sainte Écriture. Un Évêque serait en vain prédicateur de la Parole à l'extérieur, s'il ne l'écoutait pas d'abord de l'intérieur.71 Sans le contact fréquent avec la sainte Écriture, un Évêque serait un ministre peu crédible de l'espérance, s'il est vrai, comme le rappelle saint Paul, que nous possédons « l'espérance grâce à la persévérance et au courage que donne l'Écriture » (Rm 15,4). Ce qu'écrivait Origène est donc toujours valable: « Telles sont les deux activités du Pontife: apprendre de Dieu en lisant les Écritures et en les méditant très souvent, ou enseigner le peuple. Mais qu'il enseigne ce qu'il a appris de Dieu ».72

Le Synode a rappelé l'importance de la lectio et de la meditatio de la Parole de Dieu dans la vie des Pasteurs et dans leur ministère même au service de la communauté. Comme je l'ai écrit dans la lettre apostolique Novo millennio ineunte, « il est nécessaire que l'écoute de la Parole devienne une rencontre vitale, selon l'antique et toujours actuelle tradition de la lectio divina permettant de puiser dans le texte biblique la parole vivante qui interpelle, qui oriente, qui façonne l'existence ».73 Dans les moments de méditation et de lectio, le coeur qui a déjà accueilli la Parole s'ouvre à la contemplation de l'action de Dieu et, par conséquent, à la conversion au Seigneur de ses pensées et de sa vie, accompagnée de la requête suppliante du pardon et de la grâce de Dieu.

66 Cf. Proposition 8.
67 Cf. Paul VI, Exhort. apost. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), n. EN 59: AAS 68 (1976), p. 50; La Documentation catholique 73 (1976), p. 13.
68 Lettre aux Philadelphiens, 5: PG 5, 700; SCh 10 (1969), p.125.
69 Comm. in Is., Prol.: PL 24, 17; cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. sur la Révélation divineDei Verbum, n. DV 25.
70 Paul VI, Exhort. apost. Marialis cultus (2 février 1974), n. 17: AAS 66 (1974), p. 128; La Documentation catholique 71 (1974), p. 306.
71 Cf. S. Augustin, Sermon 179, 1: PL 38, 966.
72 Homélies sur le Lévitique, VI: PG 12, 474 C; SCh 286 (1981), p. 297.
73 N. NM 39: AAS 93 (2001), p. 294; La Documentation catholique 98 (2001), p. 82.



Pastores gregis FR 9