Pastores gregis FR 62

L'organisation métropolitaine et les Provinces ecclésiastiques

62 Le moyen concret de favoriser la communion entre les Évêques et la solidarité entre les Églises est de redonner de la vitalité à la très ancienne institution des Provinces ecclésiastiques, où les Métropolitains sont les instruments et les signes tant de la fraternité entre les Évêques de la Province que de leur communion avec le Pontife romain.258 En effet, à cause de la similitude des questions qui assaillent les Évêques et du fait que le nombre limité de ces derniers permet une entente plus large et plus efficace, un travail pastoral commun sera certainement mieux programmé dans les assemblées des Évêques de la même Province et surtout dans les Conciles provinciaux.

Là où, pour le bien commun, on jugera opportun d'ériger des Régions ecclésiastiques, cette fonction pourra être exercée par les assemblées des Évêques de la même Région ou, en tout cas, par les Conciles pléniers. Il faut redire à ce sujet ce qui a déjà été exprimé par le Concile Vatican II: « Que la vénérable institution des Synodes et des Conciles entre de nouveau en vigueur, afin qu'il soit pourvu de façon mieux appropriée et plus efficace à la croissance de la foi et au maintien de la discipline dans les différentes Églises, en fonction des circonstances ».259 Dans ces institutions, les Évêques pourront agir en exprimant non seulement la communion entre eux, mais aussi la communion avec toutes les composantes de la portion du peuple de Dieu qui leur est confiée; ces composantes sont représentées aux Conciles selon les normes du droit.

Dans les Conciles particuliers, en effet, précisément parce qu'y participent aussi, bien qu'avec voix consultative seulement, des prêtres, des diacres, des religieux, des religieuses et des laïcs, est exprimée de manière immédiate non seulement la communion entre les Évêques, mais aussi la communion entre les Églises. En outre, les Conciles particuliers, en tant que moments ecclésiaux solennels, requièrent dans leur préparation une réflexion sérieuse, qui engage toutes les catégories de fidèles, de façon à faire de ces Conciles un lieu adapté pour les décisions les plus importantes, spécialement celles qui concernent la foi. C'est pourquoi la place des Conciles particuliers ne peut être prise par les Conférences épiscopales, comme le précise le Concile Vatican II lui-même quand il souhaite que les Conciles particuliers retrouvent une nouvelle vigueur. Par contre, les Conférences épiscopales peuvent être un bon instrument pour la préparation des Conciles pléniers.260

258 Cf. Proposition 28; Code de Droit canonique, can.
CIC 437, § 1; Code des Canons des Églises orientales, can. CIO 156, § 1.
259 Décr. Christus Dominus, n. CD 36.
260 Cf. Code de Droit canonique, cann. CIC 441 CIC 443.


Les Conférences épiscopales

63 En disant cela, on n'entend nullement passer sous silence l'importance et l'utilité des Conférences des Évêques, auxquelles le dernier Concile a donné leur configuration institutionnelle, précisée ultérieurement dans le Code de Droit canonique et dans le récent Motu proprio Apostolos suos.261 Dans les Églises orientales catholiques, on a comme institutions analogues les Assemblées des Hiérarques de diverses Églises sui iuris prévues par le Code des Canons des Églises orientales, « afin que, par la mise en commun des lumières de leur sagesse et de leur expérience et par l'échange de leurs avis, il se produise une sainte convergence de forces pour le bien commun des Églises de sorte que l'unité d'action en soit favorisée, les oeuvres communes soient aidées, le bien de la religion soit plus aisément promu et la discipline ecclésiastique plus efficacement observée ».262

Ces assemblées d'Évêques sont aujourd'hui, comme le disaient également les Pères synodaux, un bon instrument pour exprimer et réaliser en pratique l'esprit collégial des Évêques. C'est pourquoi les Conférences épiscopales doivent être davantage encore mises en valeur dans toutes leurs potentialités.263 En effet, elles « se sont développées de manière notable et ont assumé le rôle d'organe préféré par les Évêques d'une nation ou d'un territoire déterminé pour les échanges de vue, pour les consultations réciproques et pour les collaborations en vue du bien commun de l'Église: “Elles sont devenues au cours de ces années une réalité concrète, vivante et efficace, dans toutes les parties du monde”. Leur importance apparaît par le fait même qu'elles contribuent efficacement à l'unité entre les Évêques, et donc à l'unité de l'Église, étant un instrument valable pour affermir la communion ecclésiale ».264

Les membres des Conférences épiscopales étant seulement les Évêques et tous ceux qui sont assimilés par le droit aux Évêques diocésains, même s'ils ne sont pas revêtus du caractère épiscopal,265 le fondement théologique de ces Conférences, à la différence des Conciles particuliers, est immédiatement la dimension collégiale de la responsabilité du gouvernement épiscopal. La communion entre les Églises ne l'est qu'indirectement.

La Conférence épiscopale étant en tout cas un organe permanent qui se réunit périodiquement, sa fonction sera efficace si elle se situe comme auxiliaire par rapport à celle que les Évêques exercent de droit divin dans leur Église. En effet, au niveau de son Église particulière, l'Évêque diocésain paît au nom du Seigneur le troupeau qui lui est confié, en tant que pasteur propre, ordinaire et immédiat, et son action est strictement personnelle, non collégiale, même si elle est animée par l'esprit de communion. Au niveau de regroupement d'Églises particulières par zones géographiques (nation, région, etc.), les Évêques qui leur sont préposés n'exercent donc pas conjointement leur ministère pastoral par des actes collégiaux similaires à ceux du Collège épiscopal, lequel, comme sujet théologique, est indivisible.266 C'est pourquoi les Évêques de la même Conférence épiscopale réunis en Assemblée n'exercent conjointement pour le bien de leurs fidèles, dans les limites des compétences qui leur sont attribuées par le droit ou par un mandat du Siège apostolique, que certaines des fonctions qui découlent de leur ministère pastoral (munus pastorale).267

Il est certain que, pour accomplir leur service en faveur des Évêques qui les composent et donc des diverses Églises, les Conférences épiscopales les plus nombreuses requièrent une organisation complexe. En tout cas, il faut « éviter la bureaucratisation des services et des commissions qui travaillent entre les réunions plénières ».268 En effet, les Conférences épiscopales, « avec leurs commissions et leurs services, existent pour aider les Évêques et non pour se substituer à eux »,269 et encore moins pour constituer une structure intermédiaire entre le Siège apostolique et les Évêques. Les Conférences épiscopales peuvent apporter une aide efficace au Saint-Siège en exprimant leur avis sur des questions spécifiques de caractère plus général.270

Les Conférences épiscopales expriment et mettent en oeuvre l'esprit collégial qui unit les Évêques, et par conséquent la communion entre les diverses Églises, établissant entre elles, spécialement entre celles qui sont les plus proches, des relations étroites dans la recherche d'un plus grand bien.271 Cela peut être réalisé de différentes façons, par des conseils, des symposiums, des fédérations. Les réunions continentales, spécialement, ont une importance notable, mais elles n'assument jamais les compétences qui sont reconnues aux Conférences épiscopales. Ces réunions aident grandement à développer entre les Conférences épiscopales des diverses nations la collaboration qui, en ce temps de « mondialisation », s'avère particulièrement nécessaire pour en affronter les défis et mettre en oeuvre une véritable « mondialisation de la solidarité ».272

261 Cf. AAS 90 (1998), pp. 641-658; La Documentation catholique 95 (1998), p. 751-759.
262 Can.
CIO 322.
263 Cf. Propositions 29 et 30.
264 Jean-Paul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), n. 6: AAS 90 (1998), pp. 645-646; La Documentation catholique 95 (1998), pp. 752-753.
265 Cf. Code de Droit canonique, can. CIC 450.
266 Cf. Jean-Paul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), nn. 10; 12: AAS 90 (1998), pp. 648; 649-650; La Documentation catholique 95 (1998), pp. 753-754.
267 Cf. ibid., nn. 12; 13; 19: AAS, l.c., pp. 649-651; 653- 654; La Documentation catholique, l.c., pp. 754-755; 756; Code de Droit canonique, cann. CIC 381, § 1; CIC 447 CIC 455, § 1.
268 Jean-Paul II, Motu proprio Apostolos suos (21 mai 1998), n. 18: AAS 90 (1998), p. 653; La Documentation catholique 95 (1998), p. 756.
269 Ibid.
270 Cf. Proposition 25.
271 Cf. Code de Droit canonique, can. CIC 459, § 1.
272 Cf. Proposition 30.


L'unité de l'Église et le dialogue oecuménique

64 La prière du Seigneur Jésus pour l'unité entre tous ses disciples (ut unum sint: Jn 17,21) constitue pour tout Évêque un pressant appel à un devoir apostolique précis. Il n'est pas possible de s'attendre à une telle unité comme fruit de nos efforts; elle est surtout un don de la Trinité Sainte à l'Église. Mais cela ne dispense pas les chrétiens de faire tout ce qu'ils peuvent, à commencer par la prière, pour hâter la marche vers la pleine unité. Répondant aux prières et aux intentions du Seigneur ainsi qu'à son offrande sur la Croix pour rassembler ses enfants dispersés (cf. Jn 11,52), l'Église catholique se sent engagée de manière irréversible dans le dialogue oecuménique, dont dépend l'efficacité de son témoignage dans le monde. Il faut donc persévérer sur le chemin du dialogue de la vérité et de l'amour.

De nombreux Pères synodaux ont rappelé la vocation spécifique qu'a tout Évêque de promouvoir ce dialogue dans son diocèse et de le développer in veritate et caritate (cf. Ep 4,15). Le scandale de la division entre les chrétiens est en effet ressenti par tous comme un signe opposé à l'espérance chrétienne. Les formes concrètes de cette promotion du dialogue oecuménique ont été indiquées: une meilleure connaissance réciproque entre l'Église catholique et les autres Églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas en pleine communion avec elle; des rencontres et des initiatives appropriées, et surtout le témoignage de la charité. Il existe en effet un oecuménisme de la vie quotidienne, fait d'accueil, d'écoute et de collaboration mutuels, qui possède une efficacité particulière.

D'autre part, les Pères synodaux ont également senti le risque de gestes peu réfléchis, marqués par un « oecuménisme impatient », qui peuvent être dommageables pour la marche concrète vers la pleine unité. Aussi est-il très important que tous écoutent et mettent en pratique les justes principes du dialogue oecuménique, et que l'on insiste aussi sur ces principes dans les séminaires pour les candidats au ministère sacré, dans les paroisses et dans les autres structures ecclésiales. Par ailleurs, la vie interne elle-même de l'Église doit donner un témoignage d'unité, dans le respect et dans l'ouverture d'espaces toujours plus vastes où soient accueillies les diverses traditions théologiques, spirituelles, liturgiques et disciplinaires, et où elles développent leurs grandes richesses.273

273 Cf. Proposition 60.


L'aspect missionnaire dans le ministère épiscopal

65 En tant que membres du Collège épiscopal, les Évêques sont consacrés non seulement pour un diocèse mais pour le salut de tous les hommes.274 Cette doctrine, exposée au cours du Concile VaticanII, a été rappelée par les Pères synodaux pour mettre en relief le fait que tout Évêque doit être conscient de la nature missionnaire de son ministère pastoral. Toute son action pastorale doit donc être caractérisée par un esprit missionnaire, afin de susciter et de maintenir dans l'esprit des fidèles l'ardeur pour la diffusion de l'Évangile. C'est pourquoi la tâche de l'Évêque est de susciter, de promouvoir et de diriger dans son diocèse des activités et des initiatives missionnaires, y compris sous l'aspect économique.275

Il n'est pas moins important non plus, comme on l'a dit au Synode, d'encourager la dimension missionnaire dans son Église particulière par la promotion, selon les diverses situations, de valeurs fondamentales comme la reconnaissance du prochain, le respect de la diversité culturelle et une saine intégration entre les différentes cultures. Par ailleurs, le caractère toujours plus multiculturel des villes et des sociétés, qui résulte surtout des migrations internationales, crée de nouvelles situations qui font naître un défi missionnaire particulier.

Durant le Synode, il y a eu aussi des interventions qui ont mis l'accent sur certaines questions relatives aux rapports entre les Évêques diocésains et les Congrégations religieuses missionnaires, soulignant la nécessité d'une réflexion plus profonde à ce sujet. En même temps, on a reconnu le grand apport d'expérience qu'une Église particulière peut recevoir de ces Congrégations de vie consacrée pour maintenir vivante parmi les fidèles la dimension missionnaire.

Dans son zèle, l'Évêque se montrera le serviteur et le témoin de l'espérance. Sans aucun doute, en effet, la mission est la mesure exacte de la foi en Jésus Christ et en son amour pour nous:276 de tout temps, l'homme est entraîné par elle à une vie nouvelle, animée par l'espérance. Car, en annonçant le Christ ressuscité, les chrétiens font connaître Celui qui inaugure une nouvelle ère de l'histoire et ils proclament au monde la bonne nouvelle d'un salut intégral et universel, qui comporte le gage d'un monde nouveau où la souffrance et l'injustice feront place à la joie et à la beauté. Au début d'un nouveau millénaire, alors que s'est faite plus vive la conscience de l'universalité du salut et que l'on constate que l'annonce de l'Évangile doit être chaque jour renouvelée, de l'Assemblée synodale nous arrive une invitation à ne pas ralentir l'effort missionnaire, mais à l'élargir en une coopération missionnaire toujours plus profonde.

274 Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décr. Ad gentes, n.
AGD 38.
275 Cf. Proposition 63.
276 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptoris missio (7 décembre 1990), n. RMi 11: AAS 83 (1991), pp. 259-260; La Documentation catholique 88 (1991), pp. 156-157.




CHAPITRE VII

L'ÉVÊQUE FACE AUX DÉFIS ACTUELS

« Ayez confiance: moi, je suis vainqueur du monde »

(Jn 16,33)
66 Dans la sainte Écriture, l'Église est comparée à un troupeau, « dont Dieu lui-même a proclamé à l'avance qu'il serait le pasteur et dont les brebis, même si elles sont conduites par des pasteurs humains, sont cependant menées et nourries sans cesse par le Christ lui-même, le Bon Pasteur et le Prince des Pasteurs ».277 Jésus n'a-t-il pas lui-même qualifié ses disciples de pusillus grex et ne les a-t-il pas exhortés à ne pas avoir peur, mais à cultiver l'espérance (cf. Lc 12,32)?

Plus d'une fois, Jésus a répété cette exhortation à ses disciples: « Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance: moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16,33). Au moment de retourner à son Père, après avoir lavé les pieds de ses Apôtres, il leur dit: « Ne soyez donc pas bouleversés » et il ajouta: « Je suis le Chemin [...]; personne ne va vers le Père sans passer par moi » (Jn 14,1 Jn 14,6). Sur ce Chemin qu'est le Christ, l'Église, petit troupeau, s'est mise en route, et c'est Lui, le Bon Pasteur, qui la guide, lui qui, « quand il a conduit dehors toutes ses brebis, marche à leur tête, et elles le suivent, car elles connaissent sa voix » (Jn 10,4).

À l'image du Christ Jésus et sur ses pas, l'Évêque sort lui aussi pour l'annoncer au monde comme Sauveur de l'homme, de tout homme. Missionnaire de l'Évangile, il agit au nom de l'Église, experte en humanité et proche des hommes de notre temps. C'est pourquoi l'Évêque, fort du radicalisme évangélique, a aussi le devoir de démasquer les fausses anthropologies, de libérer les valeurs bafouées par les processus idéologiques et de discerner la vérité. Il sait qu'il peut redire avec l'Apôtre: « Si nous nous donnons de la peine, si nous nous battons, c'est parce que nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, qui est le Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants » (1Tm 4,10).

L'action de l'Évêque sera alors caractérisée par cette parresía qui est fruit de l'opération de l'Esprit (cf. Ac 4,31). Ainsi, sortant de lui-même pour annoncer Jésus Christ, l'Évêque remplit sa mission dans la confiance et avec courage, factus pontifex, devenant vraiment un « pont » lancé vers chaque homme. Avec la passion du pasteur, il sort pour chercher les brebis, à la suite de Jésus qui dit: « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie: celles-là aussi, il faut que je les conduise » (Jn 10,16).

277 Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 6.


L'Évêque, artisan de justice et de paix

67 Dans le cadre de cette action missionnaire, les Pères synodaux ont parlé de l'Évêque comme d'un prophète de justice. La guerre des puissants contre les faibles a, aujourd'hui plus qu'hier, ouvert de profondes divisions entre les riches et les pauvres. Les pauvres sont légion! À l'intérieur d'un système économique injuste, marqué par des dissonances structurelles très fortes, la situation des marginaux s'aggrave de jour en jour. Nombreuses sont les régions du monde où l'on a faim aujourd'hui, tandis qu'ailleurs règne l'opulence. Ce sont surtout les pauvres, les jeunes et les réfugiés qui sont les victimes de ces disparités dramatiques. La femme elle-même, en de nombreux endroits, est rabaissée dans sa dignité de personne, victime d'une culture hédoniste et matérialiste.

Devant et bien souvent dans ces situations d'injustice, qui ouvrent inévitablement la porte aux conflits et à la mort, l'Évêque est le défenseur des droits de l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Il prêche la doctrine morale de l'Église, pour défendre le droit de la vie, depuis sa conception jusqu'à son terme naturel; il enseigne aussi la doctrine sociale de l'Église, fondée sur l'Évangile, et il a à coeur de défendre quiconque est faible, en se faisant la voix des sans-voix pour faire valoir leurs droits. Il ne fait aucun doute que la doctrine sociale de l'Église est en mesure de susciter l'espérance même dans les situations les plus difficiles. S'il n'y pas d'espérance pour les pauvres, il n'y en aura pour personne, pas même pour ceux qu'on appelle riches.

Les Évêques ont condamné avec vigueur le terrorisme et le génocide, et ils ont élevé la voix en faveur de ceux qui pleurent à cause d'injustices, qui sont soumis à la persécution, qui sont sans travail, pour les enfants maltraités sous les modes les plus divers et toujours très graves. De même que la sainte Église est dans le monde sacrement de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain,278 de même l'Évêque est le défenseur et le père des pauvres, il est rempli de zèle pour la justice et pour les droits humains, et il est porteur d'espérance.279

La parole des Pères synodaux, unie à la mienne, a été explicite et forte. « Nous n'avons pu fermer l'oreille, au cours de ce Synode, à l'écho de tant d'autres drames collectifs. [...] Un changement d'ordre moral s'impose. [...] Certains maux endémiques, trop longtemps sous-estimés, peuvent conduire au désespoir de populations entières. Comment se taire face au drame persistant de la faim et de l'extrême pauvreté, à une époque où l'humanité possède plus que jamais les moyens d'un partage équitable? Nous ne pouvons pas, entre autres, ne pas exprimer notre solidarité avec la masse des réfugiés et des immigrés qui, par suite de la guerre, de l'oppression politique ou de la discrimination économique, sont contraints d'abandonner leur terre, à la recherche de travail et dans un espoir de paix. Les ravages du paludisme, l'expansion du sida, l'analphabétisme, le manque d'avenir pour tant d'enfants et de jeunes abandonnés à la rue, l'exploitation des femmes, la pornographie, l'intolérance,

le détournement inacceptable de la religion à des fins de violence, le trafic de la drogue et le commerce des armes... La liste n'est pas exhaustive! Pourtant, au milieu de toutes ces détresses, des humbles relèvent la tête. Le Seigneur les regarde et les soutient: “À cause du malheureux qu'on dépouille, du pauvre qui gémit, maintenant, je me lève, déclare le Seigneur” (
Ps 12,6 [11],6) ».280

Au tableau dramatique qui vient d'être esquissé, font suite avec une urgence évidente l'appel et l'engagement à la paix. En effet, les foyers de conflit hérités du siècle précédent et du millénaire tout entier sont toujours actifs. Les conflits locaux ne manquent pas non plus, qui créent de profondes lacérations entre les cultures et les nationalités. Et comment se taire face aux fondamentalismes religieux, toujours ennemis du dialogue et de la paix? En de nombreuses régions du monde, la terre ressemble à une poudrière, prête à exploser et à déverser sur la famille humaine d'immenses douleurs.

Dans cette situation, l'Église continue à annoncer la paix du Christ, qui a proclamé, dans le sermon sur la montagne, la Béatitude des « artisans de paix » (Mt 5,9). La paix est une responsabilité universelle, qui passe à travers les mille petites actions de la vie de chaque jour. Elle attend ses prophètes et ses artisans, qui ne peuvent pas manquer surtout dans les communautés ecclésiales, dont l'Évêque est le pasteur. À l'exemple de Jésus, venu pour annoncer la liberté aux opprimés et pour proclamer l'année de grâce du Seigneur (cf. Lc 4,16-21), il sera toujours prêt à montrer que l'espérance chrétienne est intimement liée au zèle pour la promotion intégrale de l'homme et de la société, comme l'enseigne la doctrine sociale de l'Église.

Par ailleurs, dans d'éventuelles situations de conflit armé, qui ne sont malheureusement pas rares, l'Évêque, même lorsqu'il exhorte le peuple à faire valoir ses droits, doit toujours rappeler qu'il est du devoir du chrétien de proscrire la vengeance, et de s'ouvrir au pardon et à l'amour des ennemis.281 Car il n'y a pas de justice sans pardon. Bien que difficile à accepter, l'affirmation apparaît évidente pour toute personne sensée: une paix véritable n'est rendue possible que par le pardon.282

278 Cf. ibid., n. LG 1.
279 Cf. Propositions 54-55.
280 Synode des Évêques - Xe Assemblée générale ordinaire, Message (25 octobre 2001), nn. 10-11: L'Oss. Rom., 27 octobre 2001, p. 5; La Documentation catholique 98 (2001), p. 988.
281 Cf. Proposition 55.
282 Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002 (8 décembre 2001), n. 8: AAS 94 (2002), p. 137; La Documentation catholique 99 (2002), p. 6.


Le dialogue interreligieux, surtout en faveur de la paix dans le monde

68 Comme je l'ai répété en maintes circonstances, le dialogue entre les religions doit être au service de la paix entre les peuples. Les traditions religieuses possèdent en effet les ressources nécessaires pour surmonter les fractures et pour favoriser l'amitié réciproque et le respect entre les peuples. Du Synode s'est fait entendre l'appel invitant les Évêques à promouvoir des rencontres avec les représentants des peuples pour réfléchir attentivement sur les discordes et les guerres qui déchirent le monde, afin de déterminer des voies permettant de cheminer dans un engagement commun de justice, de concorde et de paix.

Les Pères synodaux ont fortement souligné l'importance du dialogue interreligieux en vue de la paix et ils ont demandé aux Évêques de s'employer dans ce sens dans leurs diocèses respectifs. De nouveaux chemins vers la paix peuvent être ouverts à travers l'affirmation de la liberté religieuse, dont le Concile Vatican II a parlé dans le Décret Dignitatis humanae, comme aussi à travers l'action éducative au bénéfice des nouvelles générations et l'usage correct des moyens de communication sociale.283

Toutefois, il est certain que la perspective du dialogue interreligieux est plus ample et c'est pourquoi les Pères synodaux ont redit qu'il faisait partie de la nouvelle évangélisation, surtout en ces temps durant lesquels, beaucoup plus que dans le passé, vivent ensemble quotidiennement dans les mêmes régions, dans les mêmes villes, dans les mêmes lieux de travail, des personnes appartenant à des religions différentes. Le dialogue interreligieux est donc exigé dans la vie quotidienne de nombreuses familles chrétiennes et c'est aussi pour cela que les Évêques, en tant que maîtres de la foi et pasteurs du peuple de Dieu, doivent avoir pour ce dialogue une juste attention.

Ce contexte de vie en commun avec des personnes d'autres religions fait naître chez les chrétiens un devoir spécial: témoigner de l'unicité et de l'universalité du mystère salvifique de Jésus Christ, avec la nécessité qui en découle pour l'Église d'être instrument du salut pour l'humanité entière. « Cette vérité de foi n'enlève rien à la considération respectueuse et sincère de l'Église pour les religions du monde, mais en même temps elle exclut radicalement la mentalité indifférentiste imprégnée d'un relativisme religieux qui porte à considérer que “toutes les religions se valent” ».284 Il est donc clair que le dialogue interreligieux ne peut jamais se substituer à l'annonce et à la propagation de la foi, qui constituent la fin prioritaire de la prédication, de la catéchèse et de la mission de l'Église.

Affirmer franchement et sans ambiguïté que le salut de l'homme dépend de la rédemption accomplie par le Christ n'empêche pas le dialogue avec les autres religions. D'autre part, dans la perspective de la profession de l'espérance chrétienne, on n'oubliera pas que c'est justement elle qui fonde le dialogue interreligieux. En effet, comme l'affirme la Déclaration conciliaire Nostra aetate, « tous les peuples forment ensemble une même communauté, ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter tout le genre humain sur toute la face de la terre, et ont une seule fin dernière, qui est Dieu, dont la Providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s'étendent à tous les hommes, jusqu'à ce que les élus soient unis dans la Cité sainte que la gloire éclatante de Dieu illuminera et où tous les peuples marcheront à sa lumière ».285

283 Cf. Propositions 61 et 62.
284 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus Iesus (6 août 2000), n. 22: AAS92 (2000), p.763; La Documentation catholique 97 (2000), p. 820.
285 N.
NAE 1.


La vie civique, sociale et économique

69 Dans son action pastorale, l'Évêque ne peut manquer de prêter une attention particulière aux exigences d'amour et de justice qui découlent des conditions sociales et économiques des personnes les plus pauvres, les plus abandonnées, les plus maltraitées, dans lesquelles le croyant contemple autant d'icônes particulières du Christ. Leur présence à l'intérieur des communautés ecclésiales et civiles est un banc d'essai pour l'authenticité de notre foi chrétienne.

Je voudrais dire un mot sur le phénomène complexe de ce qu'on appelle la mondialisation, qui est l'une des caractéristiques du monde actuel. Il existe en effet une « mondialisation » de l'économie, de la finance et aussi de la culture qui s'affirme peu à peu comme effet des progrès rapides liés aux technologies informatiques. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire en d'autres occasions, elle exige un discernement attentif qui a pour but de mettre en évidence ses aspects positifs et négatifs, et les diverses conséquences qui peuvent en découler pour l'Église et pour le genre humain tout entier. L'apport des Évêques est important dans une telle oeuvre; ils ne manqueront jamais de rappeler l'urgence de parvenir à une « mondialisation de la charité », qui évite toute mise à l'écart. À ce sujet, les Pères synodaux ont rappelé eux aussi le devoir de promouvoir une « mondialisation de la charité », en considérant dans le même contexte les questions relatives à la remise de la dette extérieure, qui compromet les économies de populations entières, en freinant leur progrès social et politique.286

Sans m'arrêter ici sur une problématique aussi grave, je reprends seulement quelques aspects fondamentaux déjà exposés ailleurs: la vision de l'Église en cette matière comprend trois points de référence essentiels et concomitants, qui sont la dignité de la personne humaine, la solidarité et la subsidiarité. C'est pourquoi « l'économie mondialisée doit être examinée à la lumière des principes de la justice sociale, en respectant l'option préférentielle pour les pauvres, qui doivent être mis en mesure de se défendre dans une économie mondialisée, et les exigences du bien commun international ».287 Greffée aussi sur le dynamisme de la solidarité, la mondialisation ne provoque plus d'exclusion. En effet, la mondialisation de la solidarité est la conséquence directe de la charité universelle, qui est l'âme de l'Évangile.

286 Cf. Proposition 56.
287 Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Ecclesia in America (22 janvier 1999), n. : AAS91(1999), pp. 790-791; La Documentation catholique 96 (1999), p. 128.


Le respect de l'environnement et la sauvegarde de la création

70 Les Pères synodaux ont aussi rappelé les aspects éthiques de la question écologique.288 En effet, le sens profond de l'appel à mondialiser la solidarité concerne également, et de manière urgente, la question de la sauvegarde de la création et celle des ressources de la terre. Le « gémissement de la création », auquel l'Apôtre fait allusion (cf. Rm 8,22), semble aujourd'hui se vérifier dans une perspective renversée, car il ne s'agit plus d'une tension eschatologique, dans l'attente de la révélation des fils de Dieu (cf. Rm 8,19), mais au contraire d'une souffrance de mort qui tend à saisir l'homme lui-même pour le détruire.

C'est ici que se dévoile, dans sa forme la plus insidieuse et la plus perverse, la question écologique. En effet, « le signe le plus profond et le plus grave des implications morales du problème écologique se trouve dans les manquements au respect de la vie qui se manifestent dans de nombreux comportements entraînant la pollution. Les conditions de la production prévalent souvent sur la dignité du travailleur, et les intérêts économiques l'emportent sur le bien des personnes, sinon même sur celui de populations entières. Dans ces cas, la pollution ou la destruction de l'environnement sont le résultat d'une vision réductrice et antinaturelle qui dénote parfois un véritable mépris de l'homme ».289

Il est évident que ce qui est en jeu ne concerne pas seulement une écologie physique, c'est-à-dire attentive à sauvegarder l'habitat des différents êtres vivants, mais aussi une écologie humaine, qui protège le bien fondamental de la vie dans toute ses manifestations et qui prépare aux générations futures un environnement qui s'approche le plus possible du projet du Créateur. Il faut donc uneconversion écologique, à laquelle les Évêques apporteront leur contribution en enseignant le rapport correct de l'homme avec la nature. À la lumière de la doctrine sur Dieu le Père, créateur du ciel et de la terre, il s'agit d'un rapport « ministériel »: l'homme est en effet situé au centre de la création comme ministre du Créateur.

288 Cf. Proposition 56.
289 Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 1990 (8 décembre 1989), n. 7:AAS 82 (1990), p. 150; La Documentation catholique 87 (1990), p. 10.



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