S. PIE X Iucunda sane 28

28 Fréquemment, Nous trouvons dans ses écrits des avertissements dans le genre de ceux-ci:"De quel front ose-t-il s'arroger la mission d'intercéder pour le peuple, celui qui ne peut se rendre le témoignage que sa vie mérite la grâce et l'intimité de Dieu?". (Reg. Past., I, 10) "S'il traîne ses passions dans ses oeuvres, quelle est sa présomption de s'empresser à panser les blessures des autres, tandis qu'il porte une plaie au visage?" (Ibid., I, 9) Quels fruits doivent espérer des fidèles du Christ les prédicateurs de la vérité" dont la conduite dément ce qu'enseigne leur bouche?" (Ibid., I, 2) "Evidemment il n'est pas en mesure de purifier ses frères, celui qui gît sous les ruines de ses propres fautes." (Ibid., I, 11.)

29 Veut-on connaître quel est pour lui l'idéal du vrai prêtre? voici comment il le dépeint: "C'est celui qui, mort aux passions de la chair, mène une vie spirituelle; qui méprise la fortune et ne redoute point l'adversité, qui n'aspire qu'aux biens de l'âme; qui, loin de convoiter les richesses des autres, distribue les siennes; dont le coeur miséricordieux incline toujours vers le pardon, mais qui pourtant jamais, par une pitié inopportune, ne déséquilibre la balance de l'équité, qui non seulement ne se laisse aller à aucun acte illicite, mais déplore les fautes des autres comme les siennes propres, qui compatit d'un coeur affectueux aux faiblesses du prochain, qui se réjouit du bonheur de ses frères comme d'une bonne fortune personnelle; qui en tous ses actes pourrait se proposer à l'imitation, et ne trouve dans son passé aucune tache dont il doive rougir; qui s'applique à vivre de manière à pouvoir arroser des flots de sa doctrine les coeurs desséchés des chrétiens, qui, par l'usage et la pratique de l'oraison, se sait capable d'obtenir du Seigneur tout ce qu'il lui demandera." (Ibid., I, 10)

30 Comme il importe donc, Vénérables Frères, que l'évêque, avant d'imposer les mains à de nouveaux lévites, se livre en lui-même et sous le regard de Dieu à un examen approfondi! "Que jamais (c'est Grégoire qui parle), en considération de quelqu'un ou pour céder à des sollicitations, on ne consente à élever aux saints Ordres des sujets qui, par leur vie et leur conduite, s'en montrent indignes." (Registr. V, 63 (58) ad universos episcopos per Hellad.) Combien aussi il est indispensable que l'évêque pèse mûrement la décision qui confiera aux nouveaux prêtres le ministère apostolique! Car, faute de les avoir soumis à une sérieuse épreuve sous la garde vigilante de prêtres plus expérimentés, faute de s'être assurés parfaitement de la pureté de leur vie, de leur inclination à la piété, de la docilité de leur esprit et de leur promptitude à se conformer à tout ce qui a été introduit par la pratique de l'Eglise et confirmé par l'expérience des siècles, ou prescrit par ceux " que l'Esprit Saint a établis évêques pour régir l'Eglise de Dieu, " (Ac 20,28) faute de ces précautions, ces prêtres rempliront les fonctions de leur ministère non pour le salut du peuple chrétien, mais pour sa ruine. Ils sèmeront des divisions, ils fomenteront des rebellions plus ou moins latentes, et le peuple fidèle, étonné de ce spectacle bien triste certes, pourra croire à un discord des volontés dans la société chrétienne; et toute la faute de ce malheur retombe sur l'orgueilleuse opiniâtreté de quelques-uns.

Oh! écartons, écartons de toute fonction sacrée les fauteurs de discordes: l'Eglise n'a pas besoin de tels apôtres; et d'ailleurs ils ne sont pas les apôtres du Christ crucifié: ils ne prêchent qu'eux-mêmes.

31 Il nous semble voir encore se mouvant devant nos yeux, dans ce Concile pontifical du Latran, l'image de Grégoire entouré de la couronne des évêques assemblés de tous côtés, en présence de tout le clergé de la ville.

Quelle féconde exhortation coule de sa bouche touchant les devoirs des clercs: quelle intensité d'ardeur le consume; sa prière comme la foudre terrasse les hommes pervers: ses paroles sont comme autant de coups de fouet qui réveillent les indolents: ce sont des flammes de l'amour divin qui stimulent suavement les âmes même les plus ferventes. Lisez en entier, Vénérables Frères, et proposez à votre clergé, pour qu'il la lise et la médite, surtout au saint temps de la retraite annuelle, cette admirable homélie du saint Pontife (Hom. in Evang. I, 17).

32 Il y exhale entre autres, non sans une grande douleur d'âme, les plaintes suivantes: Voici que le monde est plein de prêtres et cependant dans la moisson de Dieu fort rares sont les ouvriers; car nous embrassons bien la charge sacerdotale, mais les oeuvres de notre charge nous ne les remplissons pas (Ibid., n. 3). Et vraiment, que de forces l'Eglise recueillerait aujourd'hui si elle comptait autant d'ouvriers que de prêtres! Quelle abondance de fruits la vie divine de l'Eglise ne produirait-elle pas pour les hommes si chacun s'appliquait à la développer! C'est une activité de cette sorte que le zèle de Grégoire excita tant qu'il vécut et qu'il fit encore fleurir par son élan jusque dans les temps postérieurs. Aussi le moyen âge porte-t-il l'empreinte caractéristique de Grégoire. Il faudrait presque attribuer à ce Pontife tout ce qu'il a de bon; les règles de direction pour le clergé, l'exercice de la charité et de la bienfaisance publique sous ses formes multiples, l'enseignement d'une sainteté plus parfaite, les pratiques de la vie religieuse, enfin l'ordonnance des cérémonies et des mélodies sacrées.

33 Puis des temps, à l'esprit bien différent, ont succédé. Mais, Nous l'avons dit souvent, la vie de l'Eglise n'a changé en rien. Car depuis qu'elle possède cette force reçue par héritage de son divin Fondateur, elle peut non seulement pourvoir, en ce qui est ce sa charge, aux besoins des âmes et des époques les plus diverses, mais encore contribuer puissamment à accroître la véritable civilisation. C'est une conséquence de la nature même de son ministère.

34 Et certes il ne peut se faire que les vérités révélées par Dieu et confiées à la garde de l'Eglise n'impriment un grand essor à tout ce qu'elle peut voir de vrai, de bon et de beau dans l'ordre naturel, et cela avec d'autant plus d'efficacité qu'on les rapporte davantage à Dieu, le principe souverain de toute vérité, de tout bien et de toute beauté.

35 Grand est le profit que la doctrine divine procure à la science humaine, soit qu'elle lui ouvre plus vaste le champ des nouvelles découvertes, soit qu'elle fraye un droit chemin à ses investigations, en écartant les erreurs de méthode, autour de la science et de la voie qui mène à son acquisition.

Ainsi brillent dans le port les feux d'un phare. Tout en découvrant aux navigateurs qui voguent dans la nuit beaucoup d'objets que le voile des ténèbres enveloppe, il les avertit d'éviter les écueils sur lesquels le navire risque de se briser et de faire naufrage.

36 Pour ce qui touche à la discipline des moeurs, notre Sauveur et Seigneur nous propose pour suprême exemplaire de perfection la bonté même de Dieu son Père (Mt 5,48). Et qui ne voit combien elles y gagnent d'encouragements? car ainsi la loi naturelle imprimée dans tous les coeurs s'y grave d'une façon plus profonde et plus parfaite, au point que les individus, comme la famille et la société humaine tout entière, jouissent d'une vie plus heureuse.

Ce fut sans doute cette force qui fit passer les hommes grossiers de la barbarie à la civilisation, qui revendiqua pour la femme sa dignité déchue, secoua le joug de l'esclavage, restaura l'ordre en débridant avec équité les liens qui accordent entre elles les différentes classes des citoyens, qui rétablit la justice, promulgua la vraie liberté de l'âme, pourvut sûrement à la tranquillité de la famille et à celle de l'Etat.

37 Les arts enfin, en s'élevant jusqu'à Dieu, le modèle éternel de toute beauté, d'où découle chacune des beautés et des formes qui sont dans la nature, s'éloignent plus aisément du sens vulgaire et expriment d'une façon beaucoup plus puissante les conceptions de l'esprit, où la vie de l'art a son siège. On ne saurait assez dire quel appoint a apporté, aux arts l'usage de les employer au service de la religion, et d'offrir ainsi à Dieu tout ce qu'ils comportent de plus digne de lui dans leur richesse et leur variété, leur beauté et leur élégance de formes. Telle est l'origine de l'art sacré, qui servit et sert encore de fondement à n'importe quel art profane. Nous avons touché naguère dans un Motu proprio spécial la question du chant romain pour le ramener aux pratiques anciennes, ainsi que celle de la musique sacrée. Mais les autres arts, chacun dans leur domaine, tombent sous les mêmes lois, de sorte que ce qui est dit du chant convient également à la peinture, à la sculpture et à l'architecture, ces nobles flambeaux de l'esprit humain, que l'Eglise a toujours ravivés et entretenus. Le genre humain tout entier, nourri de cette beauté sublime, érige ces temples imposants, où, dans la maison de Dieu, comme dans sa demeure propre, parmi l'abondance la plus splendide de tous les arts, au milieu des cérémonies augustes et des plus suaves mélodies, les esprits sont rappelés aux choses du ciel.

38 Tels sont, nous l'avons dit, les bienfaits que Grégoire put apporter à son époque et aux âges postérieurs. En ces jours, où, établis sur la fermeté du même fondement, nous sommes pourvus des mêmes moyens, il nous sera permis d'obtenir de nouveau ces avantages, si l'on met tous ses soins à conserver les pratiques louables, s'il en est encore - grâce à Dieu, il en reste - et à restaurer dans le Christ les usages qui ont dévié du droit chemin (Ad Ephes. I, 10).

39 Il nous plaît de mettre fin à cette lettre par les termes mêmes dans lesquels Grégoire acheva ce discours mémorable prononcé au Latran dans un Conseil pontifical: Mes Frères, réfléchissez attentivement avec vous-mêmes sur toutes ces choses: dispensez-les à votre prochain et préparez-vous à rendre au Dieu tout-puissant le fruit de la charge que vous avez acceptée. Mais ce que Nous disons, Nous l'obtiendrons mieux auprès de vous par la prière que par la parole. Prions: Ô Dieu, qui avez voulu Nous appeler pour pasteurs dans le peuple, accordez, nous vous en supplions, que ce que nous sommes de nom sur les lèvres des hommes nous puissions l'être à vos yeux (Hom. cit., n. 18).

40 Avec la confiance que Dieu, sur la prière même du saint pontife Grégoire, prêtera à ces voeux suppliants une oreille bienveillante, en présage de ses dons célestes, et en témoignage de Notre paternelle bienveillance Nous accordons de grand coeur, à vous tous, Vénérables Frères, au clergé ainsi qu'à votre peuple, la bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le IV des Ides de mars, l'an MDCCCIV, le jour de la fête de saint Grégoire Ier, Pape et Docteur de l'Eglise, et la première année de Notre Pontificat



S. PIE X Iucunda sane 28