Mediator Dei FR 105


III. — LA LITURGIE EST RÉGLÉE PAR LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE

La nature de l'Eglise exige une hiérarchie...

Pour mieux comprendre ce qu'est la sainte liturgie, il faut encore considérer un autre de ses caractères, qui n'est pas de moindre importance.

L'Eglise est une société et, comme telle, elle requiert une autorité et une hiérarchie propres. Si tous les membres du Corps mystique participent aux mêmes biens et tendent aux mêmes fins, tous ne jouissent pas pourtant du même pouvoir ni ne sont habilités pour accomplir les mêmes actes. Le divin Rédempteur, en effet, a voulu constituer son royaume et l'appuyer sur des fondements stables selon l'ordre sacré, qui est une sorte d'image de la hiérarchie céleste.

Aux seuls apôtres et à ceux qui, après eux, ont reçu de leurs successeurs l'imposition des mains, a été conféré le pouvoir sacerdotal, en vertu duquel ils représentent leur peuple devant Dieu de la même manière qu'ils représentent devant leur peuple la personne de Jésus-Christ. Ce sacerdoce ne leur est pas transmis par hérédité ni par descendance humaine ; il n'émane pas non plus de la communauté chrétienne et il n'est pas une délégation du peuple. Avant de représenter le peuple auprès de Dieu, le prêtre est l'envoyé du divin Rédempteur, et parce que Jésus-Christ est la Tête de ce Corps dont les chrétiens sont les membres, il représente Dieu auprès du peuple dont il a la charge. Le pouvoir qui lui est confié n'a donc, de sa nature, rien d'humain ; il est surnaturel et il vient de Dieu : « Comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie... (Jn 20,21) ; celui qui vous écoute m'écoute... (Lc 10,16) ; allez dans le monde entier et prêchez l'Evangile à toute créature : celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Mc 16,15-16).

... et donc un sacerdoce extérieur, visible...

C'est pourquoi le sacerdoce extérieur et visible de Jésus-Christ ne se transmet pas dans l'Eglise d'une manière universelle, générale ou indéterminée : il est conféré à des hommes choisis et constitue une sorte de génération spirituelle que réalise l'un des sept sacrements, l'ordre ; celui-ci ne donne pas seulement une grâce particulière propre à cet état et à cette fonction, mais encore un « caractère » indélébile, qui configure les ministres sacrés à Jésus-Christ Prêtre et qui les rend aptes à exercer légitimement les actes de religion ordonnés à la sanctification des hommes et à la glorification de Dieu, suivant les exigences de l'économie surnaturelle.

... consacré par le sacrement de l'ordre

En effet, de même que le bain baptismal distingue tous les chrétiens et les sépare de ceux que l'eau sainte n'a point purifiés et qui ne sont point membres du Christ, de même le sacrement de l'ordre range les prêtres à part des autres fidèles du Christ qui n'ont point reçu ce don, car eux seuls, répondant à l'appel d'une sorte d'instinct surnaturel, ont accédé à l'auguste ministère qui les consacre au service des autels et fait d'eux les divins instruments par lesquels la vie céleste et surnaturelle est communiquée au Corps mystique de Jésus-Christ. Et, en outre, comme Nous l'avons dit plus haut, eux seuls sont marqués du caractère indélébile qui les fait « conformes » au Christ Prêtre ; d'eux seuls les mains ont été consacrées, « afin que tout ce qu'ils béniraient soit béni, et tout ce qu'ils consacreraient soit consacré et sanctifié au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » 18. Qu'à eux donc recourent tous ceux qui veulent vivre dans le Christ, car c'est d'eux qu'ils recevront le réconfort et l'aliment de la vie spirituelle ; d'eux ils recevront le remède du salut, grâce auquel, guéris et fortifiés, ils pourront échapper au désastre où mènent les vices ; par eux, enfin, leur vie commune familiale sera bénie et consacrée, et leur dernier souffle en cette vie mortelle deviendra l'entrée dans la béatitude éternelle.

La liturgie dépend de l'autorité ecclésiastique

a) Par sa nature même.

Puisque la liturgie sacrée est accomplie au premier chef par les prêtres au nom de l'Eglise, son ordonnancement, sa réglementation et sa forme ne peuvent pas ne pas dépendre de l'autorité de l'Eglise. Ce principe, qui découle de la nature même du culte chrétien, est confirmé par les documents de l'histoire.

b) Par ses relations étroites avec le dogme.
106 Ce droit indiscutable de la hiérarchie ecclésiastique est corroboré encore par le fait que la liturgie sacrée est en connexion intime avec les principes doctrinaux qui sont enseignés par l'Eglise comme points de vérité certaine, et par le fait qu'elle doit être mise en conformité avec les préceptes de la foi catholique édictés par le magistère suprême pour assurer l'intégrité de la religion révélée de Dieu.

A ce sujet, Nous avons jugé devoir mettre en exacte lumière ceci, que vous n'ignorez sans doute point, Vénérables Frères : à savoir, l'erreur de ceux qui ont considéré la liturgie comme une sorte d'expérience des vérités à retenir comme de foi ; de façon que si une doctrine avait produit, par le moyen des rites liturgiques, des fruits de piété et de sanctification, l'Eglise l'approuverait, et qu'elle la réprouverait dans le cas contraire. D'où proviendrait l'axiome : Lex orandi, lex credenti ; « la règle de la prière est la règle de la croyance ».

Mais ce n'est point cela qu'enseigne, ce n'est point cela que prescrit l'Eglise. Le culte qui est rendu par elle au Dieu très saint est, comme le dit de façon expressive saint Augustin, une profession continue de foi catholique et un exercice d'espérance et de charité : Fide, spe, caritate colendum Deum, affirme-t-il.17 Dans la liturgie sacrée nous professons la foi catholique expressément et ouvertement, non seulement par la célébration des mystères, l'accomplissement du sacrifice, l'administration des sacrements, mais aussi en récitant ou chantant le « Symbole » de la foi, qui est comme la marque distinc-tive des chrétiens, et de même en lisant les autres textes, et surtout les Saintes Ecritures inspirées par l'Esprit-Saint. Toute la liturgie donc contient la foi catholique, en tant qu'elle atteste publiquement la foi de l'Eglise.

C'est pourquoi, chaque fois qu'il s'est agi de définir une vérité divinement révélée, les souverains pontifes et les conciles, lorsqu'ils puisaient aux « sources théologiques », tirèrent maint argument de cette discipline sacrée ; tel, par exemple, Notre prédécesseur d'immortelle mémoire Pie IX, lorsqu'il décréta l'Immaculée Conception de la Vierge Marie. Et de même l'Eglise et les saints Pères, lorsqu'ils discutaient de quelque vérité douteuse et controversée, ne négligeaient pas de demander des éclaircissements aux vénérables rites transmis depuis l'antiquité, de là vient l'axiome connu et respectable : Legem credendi lex statuat supplicandi, « que la règle de la prière fixe la règle de la croyance »18. Ainsi, la sainte liturgie ne désigne et n'établit point la foi catholique absolument et par sa propre autorité, mais plutôt, étant une profession des vérités célestes soumises au suprême magistère de l'Eglise, elle peut fournir des arguments et des témoignages de grande valeur pour décider d'un point particulier de la doctrine chrétienne. Que si l'on veut discerner et déterminer d'une façon absolue et générale les rapports entre la foi et la liturgie, on peut dire à juste titre : Lex credendi legem statuat supplicandi, « que la règle de la croyance fixe la règle de la prière ». Et il faut parler de même quand il s'agit des autres vertus théologales : In... fide, spe, caritate continuato desiderio semper oramus, « nous prions toujours et avec une ardeur continue, dans la foi, l'espérance et la charité » 19.

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IV. — PROGRÈS ET DÉVELOPPEMENT DE LA LITURGIE

De tout temps, la hiérarchie ecclésiastique a usé de ce droit sur les choses de la liturgie ; elle a organisé et réglé le culte divin, rehaussant son éclat de dignité et de splendeurs nouvelles, pour la gloire de Dieu et le profit spirituel des chrétiens. Et, de plus, elle n'a pas hésité — tout en sauvegardant l'intégrité substantielle du sacrifice eucharistique et des sacrements — à modifier ce qu'elle jugeait n'être pas parfaitement convenable et à ajouter ce qui lui paraissait plus apte à accroître l'honneur rendu à Jésus-Christ et à l'auguste Trinité, et à instruire et stimuler le peuple chrétien de façon plus bienfaisante.20

le gratia Dei « Indiculus ».
S. Augustin, Epist. 130, ad Probant, 18.
Cf. Const. Divini cultus, du 20 décembre 1928.

Eléments divins et éléments humains de la liturgie

En effet, la sainte liturgie est formée d'éléments humains et d'éléments divins ; ceux-ci, évidemment, ayant été établis par le divin Rédempteur, ne peuvent en aucune façon être changés par les hommes ; les premiers, au contraire, peuvent subir des modifications diverses, selon que les nécessités des temps, des choses et des âmes les demandent, et que la hiérarchie ecclésiastique, forte de l'aide de l'Esprit-Saint, les aura approuvées. De là vient l'admirable variété des rites orientaux et occidentaux ; de là l'accroissement progressif par lequel des coutumes cultuelles et des oeuvres de piété particulières se développent peu à peu, alors qu'on n'en trouvait qu'un faible indice dans les âges antérieurs ; et de là vient aussi parfois que telles pieuses institutions, que le temps avait effacées, soient de nouveau remises en usage. Toutes ces transformations attestent la vie permanente de l'Eglise à travers tant de siècles ; elles expriment le langage sacré qui, au cours des temps, s'est échangé entre elle et son divin Epoux, pour dire sa foi et celle des peuples à elle confiés, et son amour inépuisable ; et elles montrent la sage pédagogie par laquelle elle excite et augmente de jour en jour dans les croyants « le sens du Christ ».

Développement de certains éléments humains

Il y eut, certes, bien des causes au progrès et au développement de la liturgie sacrée tout au long de la glorieuse vie de l'Eglise.

a) Dû à une formulation doctrinale plus précise.

Ainsi, par exemple, tandis que la doctrine catholique du Verbe de Dieu incarné, du sacrement et du sacrifice de l'Eucharistie, de la Vierge Marie Mère de Dieu, était déterminée de façon plus certaine et plus exacte, de nouvelles formes rituelles furent introduites, par lesquelles la lumière qui avait jailli plus éclatante des déclarations du magistère ecclésiastique se trouva répétée et comme reflétée de façon plus plénière et plus juste dans les actions liturgiques, et put atteindre avec plus de facilité l'esprit et le coeur du peuple chrétien.

b) Dû à des modifications disciplinaires.

Ensuite le progrès de la discipline ecclésiastique dans l'administration des sacrements, par exemple du sacrement de pénitence, et l'institution puis la suppression du catéchuménat et encore la communion eucharistique sous une seule espèce adoptée dans l'Eglise latine, furent autant de causes qui, certainement, contribuèrent à la transformation de l'ancien rite au cours des temps et à l'introduction lente d'un rite nouveau, qui parut plus en accord avec les réglementations par là impliquées.

c) Dû aussi à des pratiques de piété extra-liturgiques.

A ce progrès et à cette transformation contribuèrent beaucoup des initiatives de piété et des oeuvres qui ne sont point en liaison intime avec la liturgie sacrée et qui, nées dans les époques suivantes par un admirable dessein de Dieu, prirent parmi le peuple une si grande importance : tel, par exemple, le culte accru et chaque jour plus attentif envers la divine Eucharistie, et de même envers les cruelles souffrances de notre Rédempteur, envers le Sacré-Coeur de Jésus, la Vierge Mère de Dieu et son très chaste Epoux.

A ces effets eurent part aussi, au gré des circonstances, les pèlerinages publics de piété au tombeau des martyrs, les jeûnes de dévotion, enfin les prières stationales qui se célébraient en esprit de pénitence dans la sainte cité et auxquelles prenait part souvent le Souverain Pontife lui-même.

d) Dû encore au développement des beaux-arts.

Et il est facile de comprendre que le développement des beaux-arts, surtout de l'architecture, de la peinture et de la musique, influa considérablement sur la détermination et les formes variées que reçurent les éléments extérieurs de la liturgie sacrée.

108 L'Eglise a usé de ce même droit sur les choses liturgiques pour défendre la sainteté du culte divin contre les abus introduits avec témérité et imprudence par des personnes privées et des Eglises particulières. Et c'est ainsi que, au XVIe siècle, les usages et coutumes de ce genre s'étant accrus à l'excès, et les initiatives privées en ces matières menaçant l'intégrité de la foi et de la piété pour le plus grand profit des hérétiques et de la propagation de leurs erreurs, Notre prédécesseur d'immortelle mémoire Sixte-Quint établit en l'année 1588 la Sacrée Congrégation des Rites, afin de défendre les rites légitimes de l'Eglise et d'en écarter tout ce qui aurait été introduit d'impur 21 ; à cette institution, de nos jours encore, il appartient, de par la fonction qui lui est dévolue, d'ordonner et décréter tout ce qui concerne la liturgie sacrée 22.

21 Const. Immensa, du 22 janvier 1588.
22 C. I. C, can.
CIS 253.



V. — CE PROGRÈS NE PEUT ÊTRE ABANDONNÉ A L'ARBITRAIRE DES PERSONNES PRIVÉES

C'est pourquoi au seul Souverain Pontife appartient le droit de reconnaître et établir tout usage concernant le culte divin, d'introduire et approuver de nouveaux rites, de modifier ceux mêmes qu'il aurait jugés immuables 23 ; le droit et le devoir des évêques est de veiller diligemment à l'exacte observation des préceptes des saints canons sur le culte divin24. Il n'est donc pas permis de laisser à l'arbitraire des personnes privées, fussent-elles de l'ordre du clergé, les choses saintes et vénérables qui touchent la vie religieuse de la société chrétienne, et de même l'exercice du sacerdoce de Jésus-Christ et le culte divin, l'honneur qui doit être rendu à la très sainte Trinité, au Verbe incarné, à son auguste Mère, et aux autres habitants du ciel, et le salut des hommes. Pour cette raison, aucune personne privée n'a le pouvoir de réglementer les actions extérieures de cette espèce, qui sont au plus haut point liées avec la discipline ecclésiastique et avec l'ordre, l'unité et la concorde du Corps mystique, et qui, plus est, fréquemment avec l'intégrité de la foi catholique elle-même.

23 Cf. C. I. C, can. CIS 1257.

Quelques abus téméraires
109 L'Eglise, sans doute, est un organisme vivant ; donc, même en ce qui regarde la liturgie sacrée elle croît, se développe, évolue, et s'accommode aux formes que requièrent les nécessités et les circonstances au cours des temps, pourvu que soit sauvegardée l'intégrité de la doctrine. Néanmoins, il faut réprouver l'audace tout à fait téméraire de ceux qui, de propos délibéré, introduisent de nouvelles coutumes liturgiques ou font revivre des rites périmés, en désaccord avec les lois et rubriques maintenant en vigueur. Or, Nous avons appris avec grande douleur, Vénérables Frères, que cela se produisait, et en des choses, non seulement de faible, mais aussi de très grave importance ; il en est, en effet, qui dans la célébration de l'auguste sacrifice eucharistique, se servent de la langue vulgaire, qui transfèrent à d'autres époques des jours de fête — lesquels avaient été décrétés et établis après mûre délibération — qui enfin suppriment des livres de la prière publique approuvés par l'Eglise les textes sacrés de l'Ancien Testament, parce qu'ils les jugent insuffisamment adaptés à notre temps et inopportuns.

L'emploi de la langue latine, en usage dans une grande partie de l'Eglise, est un signe d'unité manifeste et éclatant, et une protection efficace contre toute corruption de la doctrine originale. Dans bien des rites cependant, se servir du langage vulgaire peut être très profitable au peuple : mais c'est au seul Siège apostolique qu'il appartient de le concéder ; et sans son avis et son approbation, il est absolument interdit de rien faire en ce genre, car, comme Nous l'avons dit, la réglementation de la sainte liturgie dépend entièrement de son appréciation et de sa volonté.

Cf. C. I. C, can.
CIS 1261.

Attachement exagéré aux rites anciens

Il faut juger de même des efforts de certains pour remettre en usage d'anciens rites et cérémonies. Sans doute, la liturgie de l'antiquité est-elle digne de vénération ; pourtant, un usage ancien ne doit pas être considéré, à raison de son seul parfum d'antiquité, comme plus convenable et meilleur, soit en lui-même, soit quant à ses effets et aux conditions nouvelles des temps et des choses. Les rites liturgiques plus récents eux aussi, sont dignes d'être honorés et observés, puisqu'ils sont nés sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, qui assiste l'Eglise à toutes les époques jusqu'à la consommation des siècles (cf. Matth. Mt 28,20) ; et ils font partie du trésor dont se sert l'insigne Epouse du Christ pour provoquer et procurer la sainteté des hommes.

Revenir par l'esprit et le coeur aux sources de la liturgie sacrée est chose certes sage et louable, car l'étude de cette discipline, en remontant à ses origines, est d'une utilité considérable pour pénétrer avec plus de profondeur et de soin la signification des jours de fêtes, le sens des formules en usage et des cérémonies sacrées ; mais il n'est pas sage ni louable de tout ramener en toute manière à l'antiquité. De sorte que, par exemple, ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l'autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement des couleurs liturgiques le noir, d'exclure des temples les images saintes et les statues, de faire représenter le divin Rédempteur sur la croix de telle façon que n'apparaissent point les souffrances aiguës qu'il a endurées, de répudier et rejeter enfin les chants polyphoniques ou à plusieurs voix, même s'ils se conforment aux normes données par le Siège apostolique.

Archéologisme excessif

De même, en effet, qu'aucun catholique sérieux ne peut, dans le but de revenir aux anciennes formules employées par les premiers conciles, écarter les expressions de la doctrine chrétienne que l'Eglise, sous l'inspiration et la conduite du divin Esprit, a dans des âges plus récents élaborées et décrété devoir être tenues, avec grand profit pour les âmes ; et qu'aucun catholique sérieux ne peut écarter les lois en vigueur pour revenir aux prescriptions des sources anciennes du Droit canonique, de même, quand il s'agit de liturgie sacrée, quiconque voudrait revenir aux antiques rites et coutumes, en rejetant les normes introduites sous l'action de la Providence, à raison du changement des circonstances, celui-là évidemment, ne serait point mû par une sollicitude sage et juste.

Une telle façon de penser et d'agir ferait revivre cette excessive et malsaine passion des choses anciennes qu'excitait le concile illégitime de Pistoie, et réveillerait les multiples erreurs qui furent à l'origine de ce faux concile et qui en résultèrent, pour le grand dommage des âmes, erreurs que l'Eglise, gardienne toujours vigilante du « dépôt de la foi » à elle confié par son divin Fondateur, a réprouvées à bon droit25. Car des desseins et des initiatives de ce genre tendent à ôter toute force et toute efficacité à l'action sanctificatrice, par laquelle la liturgie sacrée oriente, pour leur salut, vers le Père céleste les fils de l'adoption.

Que tout se fasse donc de telle façon que soit sauvegardée l'union avec la hiérarchie ecclésiastique. Que personne ne s'arroge la liberté de se donner à soi-même des règles, et de les imposer aux autres de son propre chef. Seul le Souverain Pontife, comme successeur du bienheureux Pierre à qui le divin Rédempteur a confié le soin de paître le troupeau universel (Jn 21,15-17), et avec lui les évêques, que « l'Esprit-Saint a placés... pour régir l'Eglise de Dieu » (Ac 20,28) sous la conduite du Siège apostolique, ont le droit et le devoir de gouverner le peuple chrétien. C'est pourquoi, Vénérables Frères, chaque fois que vous défendez votre autorité — et avec une sévérité salutaire s'il le faut — non seulement vous remplissez la fonction de votre charge, mais vous faites respecter la volonté même du Fondateur de l'Eglise.

25 Cf. Pie VI, Const. Auctorem fidei, du 28 août 1794, nn. XXXI-XXXIV, XXXIX, LXII, LXVI, LXIX-LXXIV.

II Le culte eucharistique

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I. — NATURE DU SACRIFICE EUCHARISTIQUE

Le point culminant et comme le centre de la religion chrétienne est le mystère de la très sainte Eucharistie que le Christ, Souverain Prêtre, a instituée, et qu'il veut voir perpétuellement renouvelé dans l'Eglise par ses ministres. Comme il s'agit de la matière principale de la liturgie, Nous estimons utile de Nous y attarder quelque peu et d'attirer votre attention, Vénérables Frères, sur ce sujet très important.

201 Le Christ, notre Seigneur, « prêtre éternel selon l'ordre de Melchisedech » (Ps 109,4), « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde » (Jn 13,1), durant la dernière Cène, la nuit où il fut trahi, voulut, comme l'exige la nature humaine, laisser à l'Eglise, son Epouse bien-aimée, un sacrifice visible, pour représenter le sacrifice sanglant qui devait s'accomplir une fois seulement sur la croix, afin donc que son souvenir demeurât jusqu'à la fin des siècles et que la vertu en fût appliquée à la rémission de nos péchés de chaque jour... Il offrit à Dieu son Père son corps et son sang sous les apparences du pain et du vin, symboles sous lesquels il les fit prendre aux apôtres, qu'il constitua alors prêtres du Nouveau Testament, et il ordonna, à eux et à leurs successeurs, de l'offrir » 26.

26 Conc. Trid., Sess. XXII, can. 1.

Il est un véritable renouvellement du sacrifice de la croix

Le saint sacrifice de l'autel n'est donc pas une pure et simple commémoration des souffrances et de la mort de Jésus-Christ, mais un vrai sacrifice, au sens propre, dans lequel, par une immolation non sanglante, le Souverain Prêtre fait ce qu'il a fait sur la croix, en s'offrant lui-même au Père éternel comme une hostie très agréable. « La victime est la même ; celui qui maintenant offre par le ministère des prêtres est celui qui s'offrit alors sur la croix ; seule la manière d'offrir diffère » 27.

27 Ibid., can. 2.

a) Prêtre identique.

C'est donc le même prêtre, Jésus-Christ, mais dont la personne sacrée est représentée par son ministre, celui-ci, en effet, par la consécration sacerdotale qu'il a reçue, est assimilé au Souverain Prêtre et jouit du pouvoir d'agir avec la puissance et au nom du Christ lui-même 28. C'est pourquoi par son action sacerdotale, d'une certaine manière, « il prête sa langue au Christ, il lui offre sa main » 29.

28 Cf. S. Thomas, Summa Tbeol., III 22,4.

b) Victime identique.

La victime est également la même, à savoir le divin Rédempteur, selon sa nature humaine et dans la vérité de son corps et de son sang. La manière dont le Christ est offert est cependant différente. Sur la croix, en effet, il offrit à Dieu tout lui-même et ses douleurs, et l'immolation de la victime fut réalisée par une mort sanglante subie librement. Sur l'autel, au contraire, à cause de l'état glorieux de sa nature humaine, « la mort n'a plus d'empire sur lui » (Rm 6,9), et, par conséquent, l'effusion du sang n'est plus possible ; mais la divine sagesse a trouvé un moyen admirable de rendre manifeste le sacrifice de notre Rédempteur par des signes extérieurs, symboles de mort. En effet, par le moyen de la transsubstantiation du pain au corps et du vin au sang du Christ, son corps se trouve réellement présent, de même que son sang, et les espèces eucharistiques, sous lesquelles il se trouve, symbolisent la séparation violente du corps et du sang. Ainsi le souvenir de sa mort réelle sur le Calvaire est renouvelé dans tout sacrifice de l'autel, car la séparation des symboles indique clairement que Jésus-Christ est en état de victime.

c) Fins identiques.

Les buts visés enfin, sont les mêmes. Le premier est la glorification du Père céleste. De son berceau jusqu'à la mort, Jésus-Christ fut enflammé du désir de procurer la gloire de Dieu ; de la croix au ciel, l'offrande de son sang s'éleva comme un parfum délectable, et pour que cet hommage ne cesse jamais, les membres s'unissent à leur Chef divin dans le sacrifice eucharistique, et avec lui, unis aux anges et aux archanges, ils adressent en choeur à Dieu de continuels hommages 30, rapportant au Père tout-puissant tout honneur et toute gloire 31.

29 Jean Chrysostome, In loann. Hom.. 86, 4.
30 Cf. Missale Rom., Praefatio.
31 Ibid., Canon.

Le second but poursuivi est de rendre à Dieu les grâces qui lui sont dues. Seul le divin Rédempteur, en tant que Fils bien-aimé du Père éternel, dont il connaissait l'immense amour, put lui offrir un digne chant d'action de grâces. C'est ce qu'il visa, ce qu'il voulut, « en rendant grâces » (Mc 14,23) à la dernière Cène. Et il ne cessa de le faire lorsqu'il était suspendu à la croix ; il ne le cesse pas dans le saint sacrifice de l'autel, dont le sens est « action de grâces » ou action « eucharistique », et ceci parce que « c'est vraiment digne et juste, équitable et salutaire » 32.

En troisième lieu, le sacrifice se propose un but d'expiation, de propitiation et de réconciliation. Aucun autre que le Christ ne pouvait assurément offrir à Dieu satisfaction pour toutes les fautes du genre humain ; aussi voulut-il être immolé lui-même sur la croix « en propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier » (1Jn 2,2). De la même manière, il s'offre tous les jours sur les autels pour notre rédemption, afin qu'arrachés à la damnation éternelle nous soyons inscrits au nombre de ses élus. Et cela non seulement pour nous qui jouissons de cette vie mortelle, mais aussi « pour tous ceux qui reposent dans le Christ, qui nous ont précédés avec le signe de la foi, et qui dorment du sommeil de la paix » 33 ; en effet, soit que nous vivions, soit que nous mourions, « nous ne nous éloignons pas du seul et unique Christ » 34.

En quatrième lieu, enfin, il y a un but impétratoire. L'homme enfant prodigue, a mal usé de tous les biens reçus du Père céleste, et les a dissipés ; aussi se trouve-t-il réduit à un état de très grande pauvreté et de très grande souillure. Cependant, du haut de la croix, le Christ « offrant avec un grand cri et des larmes... ses prières et ses supplications... fut exaucé à cause de sa piété » (He 5,7). Semblablement, sur les saints autels il exerce la même médiation efficace, afin que nous soyons comblés de toute bénédiction et de toute grâce.

32 Missale Rom., Praefatio.
33 Missale Rom., Canon.
34 S. Augustin, De Trinit., lib. XIII, can. 19.

Valeur infinie du divin sacrifice

Il est donc facile de comprendre pourquoi le saint concile de Trente affirme que la vertu salutaire de la croix nous est communiquée par le sacrifice eucharistique pour la rémission de nos péchés quotidiens.35

35 Cf. Sess. XXII, can. 1.

L'apôtre des Gentils, en proclamant la surabondante plénitude et perfection du sacrifice de la croix, a déclaré que le Christ, par une seule oblation, a rendu parfaits à jamais tous les sanctifiés (cf. Hebr. He 10,14). De fait, les mérites de ce sacrifice, infinis et sans mesure, n'ont pas de limites : ils s'étendent à l'universalité des hommes de tous les lieux et de tous les temps, parce que PHomme-Dieu en est le Prêtre et la Victime ; parce que son immolation, comme son obéissance à la volonté du Père éternel, fut absolument parfaite, et parce qu'il a voulu mourir comme Chef du genre humain : « Vois comment fut traité notre rachat : le Christ pend au bois, vois à quel prix il a acheté... il a versé son sang, il a acheté avec son sang, il a acheté avec le sang de l'Agneau immaculé, avec le sang du Fils unique de Dieu... L'acheteur est le Christ, le prix, le sang ; l'achat, le monde entier » 3e.

3« S. Augustin, Enarr. in Ps. CXLVI1, n. 16.

202 Ce rachat, cependant, n'atteint pas aussitôt son plein effet : il faut que le Christ, après avoir racheté le monde au prix très précieux de lui-même, entre effectivement en possession réelle des âmes des hommes. Aussi, pour que leur rédemption et leur salut, en ce qui concerne les individus et toutes les générations qui se succéderont jusqu'à la fin des siècles, se réalisent et soient agréés de Dieu, il faut absolument que chaque homme en particulier entre en contact vital avec le sacrifice de la croix, et donc que les mérites qui en découlent lui soient transmis. On peut dire d'une certaine manière que sur le Calvaire le Christ a établi une piscine d'expiation et de salut, qu'il a remplie de son sang répandu, mais si les hommes ne se plongent pas dans ses eaux et n'y lavent les taches de leurs fautes, ils ne peuvent assurément obtenir purification ni salut.

Mais la collaboration des fidèles est nécessaire

Afin donc que chaque pécheur soit blanchi dans le sang de l'Agneau, les chrétiens doivent nécessairement associer leur travail à celui du Christ. Si, parlant en général, on peut dire, en effet, que le Christ a réconcilié avec son Père par sa mort sanglante tout le genre humain, il a voulu cependant que pour obtenir les fruits salutaires produits par lui sur la croix tous fussent conduits et amenés à sa croix, par les sacrements principalement et par le sacrifice eucharistique. Dans cette participation actuelle et personnelle, de même que les membres prennent chaque jour une ressemblance plus grande avec leur divin Chef, de même la vie salutaire découlant du Chef est communiquée aux membres, si bien que nous pouvons répéter les paroles de saint Paul : « Je suis attaché à la croix avec le Christ, et ce n'est plus moi qui vis, mais c'est le Christ qui vit en moi » (
Ga 2,19-20).

Comme Nous l'avons déjà dit en une autre occasion d'une façon expresse et concise, « Jésus-Christ en mourant sur la croix donna à son Eglise, sans aucune coopération de la part de celle-ci, l'immense trésor de la Rédemption ; mais quand il s'agit de distribuer ce trésor, non seulement il partage avec son Epouse immaculée cette oeuvre de sanctification, mais il veut encore qu'elle naisse en quelque sorte de sa propre activité » 37.

Or, le saint sacrifice de l'autel est comme l'instrument par excellence par lequel les mérites venant de la croix du divin Rédempteur sont distribués : « Toutes les fois que le souvenir de ce sacrifice est célébré, l'oeuvre de notre Rédemption s'accomplit » 38. Celui-ci, cependant, bien loin de diminuer la dignité du sacrifice sanglant, en fait plutôt connaître davantage et en rend plus évidentes la grandeur et la nécessité comme l'affirme le concile de Trente 39. Renouvelé tous les jours, il nous rappelle qu'il n'y a pas de salut hors de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (cf. Gal. Ga 6,14) ; et que Dieu lui-même tient à la continuation de ce sacrifice « de l'aurore au coucher du soleil » (Ml 1,11) pour que jamais ne cesse l'hymne de gloire et d'action de grâces dû par les hommes à leur Créateur, car ils ont perpétuellement besoin de son secours, besoin aussi du sang du Rédempteur pour effacer des péchés qui provoquent sa justice.

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II. — PARTICIPATION DES FIDÈLES AU SACRIFICE EUCHARISTIQUE

Participation, mais non pouvoirs sacerdotaux

Il est donc nécessaire, Vénérables Frères, que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d'une manière passive et négligente et en pensant à autre chose, mais avec une attention et une ferveur qui les unissent étroitement au Souverain Prêtre, selon la parole de l'Apôtre : « Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ-Jésus » (Ph 2,5) offrant avec lui et par lui, se sanctifiant en lui.

Lettre encycl. Mystici Corporis, du 29 juin 1943. Missale Rom,, Secreta Dom. IX post Pentec. Cf. Conc. Trid., Sess. XXII, can. 2 et 4.

Assurément le Christ est prêtre, mais il est prêtre pour nous, non pour lui, car il présente au Père éternel des prières et des sentiments religieux au nom du genre humain tout entier ; de même il est victime, mais pour nous, puisqu'il se met lui-même à la place de l'homme coupable. Le mot de l'Apôtre : « Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus », demande donc de tous les chrétiens qu'ils reproduisent, autant qu'il est humainement possible, les sentiments dont était animé le divin Rédempteur lorsqu'il offrait le sacrifice de lui-même, c'est-à-dire qu'ils reproduisent son humble soumission d'esprit, qu'ils adorent, honorent, louent et remercient la souveraine majesté de Dieu. Il demande encore d'eux-mêmes qu'ils prennent en quelque sorte la condition de victime, qu'ils se soumettent complètement aux préceptes de l'Evangile, qu'ils s'adonnent spontanément et volontiers à la pénitence, et que chacun déteste et expie ses fautes. Il demande enfin que tous avec le Christ nous mourions mystiquement sur la croix, de manière à pouvoir faire nôtre la pensée de saint Paul : « Je suis crucifié avec le Christ » (Ga 2,19). Du fait cependant que les chrétiens participent au sacrifice eucharistique, il ne s'ensuit pas qu'ils jouissent également du pouvoir sacerdotal. Il est absolument nécessaire que vous exposiez cela clairement aux yeux de vos fidèles.

Il y a en effet, Vénérables Frères, des gens qui, se rapprochant d'erreurs jadis condamnées40, enseignent aujourd'hui que dans le Nouveau Testament, le mot « sacerdoce » désigne uniquement les prérogatives de quiconque a été purifié dans le bain sacré du baptême ; de même, disent-ils, le précepte de faire ce qu'il avait fait, donné par Jésus-Christ à ses apôtres durant la dernière Cène, vise directement toute l'Eglise des chrétiens, et c'est par conséquent plus tard seulement qu'on en est arrivé au sacerdoce hiérarchique. C'est pourquoi ils prétendent que le peuple jouit d'un véritable pouvoir sacerdotal, et que le prêtre agit seulement comme un fonctionnaire délégué par la communauté. A cause de cela, ils estiment que le sacrifice eucharistique est au sens propre une « concélébration », et que les prêtres devraient « concélébrer » avec le peuple présent, plutôt que d'offrir le sacrifice en particulier en l'absence du peuple.

40 Cf. Conc. Trid., Sess. XIII, can. 4.

Combien des erreurs captieuses de ce genre contredisent aux vérités que Nous avons affirmées plus haut, en traitant de la place que tient le prêtre dans le Corps mystique du Christ, il est superflu de l'expliquer. Nous estimons cependant devoir rappeler que le prêtre remplace le peuple uniquement parce qu'il représente la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ en tant que Chef de tous les membres s'offrant lui-même pour eux ; quand il s'approche de l'autel, c'est donc en tant que ministre du Christ, inférieur au Christ, mais supérieur au peuple 41. Le peuple, au contraire, ne jouant nullement le rôle du divin Rédempteur, et n'étant pas conciliateur entre lui-même et Dieu, ne peut en aucune manière jouir du droit sacerdotal.

41 Cf. S. Robert Bellarmin, De Missa, 2, cap. 4.


1. — Participation en tant qu'ils l'offrent avec le prêtre.

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Mediator Dei FR 105