Jean de la Croix, poésies 107

Romance VII SUITE DE L'INCARNATION


7 Dès lors que le temps était venu

où il convenait que se fît
le rachat de l'épouse
qui en rude joug servait,
sous cette loi (225)
que Moïse lui avait donnée,
le Père avec un tendre amour
de cette manière disait:

- Tu vois bien, Fils, que ton épouse
à ton image je l'avais faite, (230)
et en ce qu'elle te ressemble
avec toi elle convenait bien ;
mais elle diffère en la chair,
qu'en ton être simple il n'y avait.

Dans les amours parfaites (235)
cette loi se requérait,
que se fît semblable
l'amoureux à qui il aimait,
car la plus grande ressemblance
plus de délice contenait ; (240)
qui, sans doute, en ton épouse
grandement croîtrait
si elle te voyait semblable
en la chair qu'elle avait.

- Ma volonté est la tienne (245)
- le Fils lui répondait -
et la gloire que moi je détiens
est que ta volonté soit mienne ;
et à moi convient, Père,
ce que ton Altesse disait, (250)
car de cette manière
ta bonté plus se verrait ;

on verra ta grande puissance,
justice et sagesse;
j'irai le dire au monde (255)
et lui donnerai connaissance
de ta beauté et douceur
et de ta souveraineté.

J'irai chercher mon épouse,
et sur moi je prendrai (260)
ses fatigues et ses épreuves,
où tant elle pâtissait ;
et pour qu'elle ait la vie
moi pour elle je mourrai,
et la tirant du lac, (265)
à toi je la rendrai.


Romance VIII SUITE


Alors il appela un archange

qui saint Gabriel se nommait,
et l'envoya à une vierge
qui s'appelait Marie, (270)
par le consentement de laquelle
le mystère s'accomplissait ;

en elle la Trinité
de chair revêtait le Verbe ;
et bien que trois fissent l'oeuvre, (275)
en un seul elle se faisait ;
et le Verbe fut incarné
dans le ventre de Marie.

Et lui qui avait seulement un Père,
avait désormais aussi une Mère, (280)
quoique non comme n'importe laquelle
qui d'un homme concevrait,
car des entrailles d'elle
lui il recevait sa chair ;
pour cela Fils de Dieu (285)
et de l'homme il se disait.


Romance IX DE LA NATIVITÉ



Alors qu'était venu le temps
où il devait naître,
ainsi comme un époux
il sortait de son lit nuptial (290)
étreignant son épouse,
qu'en ses bras il tenait ;

lui que la gracieuse Mère
en une crèche déposait
entre des animaux (295)
qu'à ce moment il y avait là.

Les hommes disaient des chants,
les anges une mélodie,
fêtant les épousailles
qu'entre les deux il y avait. (300)

Mais Dieu en sa crèche
alors pleurait et gémissait ;
c'étaient les joyaux que l'épouse
aux épousailles apportait.

Et la Mère était stupéfaite (305)
d'un tel échange qu'elle voyait :
les pleurs de l'homme en Dieu,
et en l'homme l'allégresse ;
ce qui à l'un et à l'autre
était habituellement si étranger. - Fin. (310)


Autre romance du même d'après « Super flumina Babylonis »

Au-dessus des courants

qu'à Babylone je trouvais
là je m'assis en pleurant,
là j'arrosais la terre,
me souvenant de toi, (5)
ô Sion ! que j'aimais.

Elle était douce ta mémoire,
et avec elle plus je pleurais.

Je laissai les habits de fête,
et ceux de travail je prenais, (10)
et je suspendis aux saules verts
la musique que je portais
la mettant dans l'espérance
de ce qu'en toi j'espérais.

Là me blessa l'amour, (15)
et le coeur m'arrachait.

Je lui dis qu'il me tuât,
puisque de telle sorte il me blessait.
Je me plongeais dans son feu,
sachant qu'il m'embrasait, (20)
justifiant l'oiseau
qui dans le feu se consumait50.

J'étais en moi-même mourant,
et en toi seul je respirais.

En moi pour toi je me mourais, (25)
et par toi je ressuscitais,
car le souvenir de toi
donnait la vie et l'enlevait.

Je me mourais de ne pas mourir
et ma vie me tuait, (30)
car en se prolongeant
de ta vue elle me privait.

Ils se réjouissaient les étrangers
parmi lesquels j'étais captif.

Je constatais comment ils ne voyaient pas (35)
que la joie les trompait.

Ils me demandaient des chants
de ceux qu'à Sion je chantais :
- Chante un hymne de Sion ;
voyons comme il sonnait. (40)

- Dites, comment en terre étrangère,
où pour Sion je pleurais,
moi je chanterai l'allégresse
qu'en Sion j'éprouvais ?
je la mettrais en oubli (45)
si à l'étranger je me réjouissais.

Qu'elle s'attache à mon palais
la langue avec laquelle je parlais,
si de toi moi j'étais oublieux
en la terre où je demeurais. (50)

Sion, pour les verts rameaux
que Babylone me donnait,
que de moi s'oublie ma droite,
car c'est ce qu'en toi le plus j'aimais,
et si moi je faisais fête (55)
et sans toi je la festoyais.

Ô fille de Babylone,
misérable et infortunée!

Heureux était
celui en qui je me confiais, (60)
qui doit te donner le châtiment
que de ta main je supportais ;
et qui réunira ses petits
et moi, car en toi j'espérais
en la pierre, qui était le Christ, (65)
pour lequel moi je te délaissais.


Debetur soli gloria vera Deo.51

50 Le phénix.
51 À Dieu seul est due la vraie gloire.




Chants de l'âme dans l'intime communication d'union d'amour de Dieu

Du même auteur

Ô vive flamme d'amour,...Voir pages 1184-1185.

13

Letrillas58



1.Du Verbe divin
la Vierge enceinte
vient en chemin ;
si vous lui concédiez un gîte !


2. Somme de la perfection59
Oubli du créé,
mémoire du Créateur ;
attention à l'intérieur ;
et ne cesser d'aimer l'Aimé.


58 Letrilla : composition écrite en vers très courts et souvent mise en musique.
59 Publié tardivement en 1667, attribué à Jean de la Croix.




Les dits de lumière et d'amour.


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