Messages 1971


MESSAGE DU PAPE PAUL VI À L’OCCASION DE LA

IV JOURNÉE INTERNATIONALE DE L’ALPHABÉTISATION*



A Monsieur René Maheu,
Directeur Général de l’UNESCO

La célébration de la 4ème Journée Internationale de l’Alphabétisation Nous offre, une fois de plus, l’occasion de Nous associer à votre appel en vue d’élargir et d’intensifier la lutte contre l’analphabétisme que la communauté humaine commence à livrer, particulièrement sous l’égide de votre Organisation.

Nous le faisons encore plus volontiers en cette année, qui voit la célébration du 25ème anniversaire de la fondation de l’UNESCO. Témoin de la conscience et de la persévérance avec lesquelles, nonobstant toutes les difficultés, votre Organisation ne cesse de stimuler les Gouvernements et les groupes sociaux, Nous voulons déclarer à nouveau combien Nous partageons vos préoccupations, surtout en ce qui concerne l’urgence de l’action.

L’Eglise Catholique demeure déterminée à s’unir aux efforts déployés tant par les instances officielles que par les organismes privés. Sa contribution veut se situer avant tout au niveau de l’information et de la formation. Poussée par sa foi en la fraternité universelle des hommes, elle invite ses fidèles à s’engager hardiment dans une action qui permette à tout homme d’atteindre sa stature intégrale.

Puisse l’examen critique et continu des méthodes et des moyens utilisés soutenir cet élan à l’échelle mondiale, inspirer une collaboration plus étroite et stimuler une plus grande solidarité pour la réalisation du développement plénier de l’homme. C’est de grand coeur que Nous appelons sur tous ceux et celles qui se dévouent à cette grande tâche fraternelle l’abondance des bénédictions divines.

Du Vatican, le 5 septembre 1971.

PAULUS PP. VI


*AAS 63 (1971), p.780.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. IX, p.744-745.

L'Osservatore Romano, 9.9.1971 p.3.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.38 p.8.

La Documentation catholique n.1594 p.866.



MESSAGE DU PAPE PAUL VI


À MONSIEUR RENÉ MAHEU,


DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’UNESCO, À L’OCCASION DU


25ème ANNIVERSAIRE DE FONDATION*




A Monsieur René Maheu
Directeur général de l’UNESCO

Le vingt-cinquième anniversaire de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture Nous fournit l’occasion de vous exprimer, avec Notre satisfaction pour l’oeuvre accomplie, les voeux que Nous formons pour son fécond développement. Les grandes institutions internationales ne sont-elles pas des carrefours privilégiés d’échanges créateurs pour l’avenir de l’homme? Singulièrement, de par sa charte de fondation, l’UNESCO a vocation de «contribuer au maintien de la paix et de la sécurité, en resserrant, au moyen de l’éducation, de la science et de la culture, la collaboration entre les nations». Un tel dessein ne pouvait laisser l’Eglise indifférente. Aussi le Saint-Siège a-t-il manifesté, dès la création de votre Organisation, tout l’intérêt qu’il y portait en choisissant en la personne de Mgr Roncalli - le futur Jean XXIII - son premier Observateur permanent, et en entretenant depuis lors d’étroites et confiantes relations. De nombreuses Organisations internationales catholiques vous apportent par ailleurs leur concours dans le cadre des Organisations non gouvernementales et tout récemment encore, l’année internationale de l’éducation Nous fournissait l’occasion d’expliciter la contribution spécifique de l'Eglise à ce grand oeuvre: «mettre les hommes en mesure d’accomplir, en hommes, leur merveilleuse destinée» (Note du Saint-Siège à l’occasion de l’année internationale de l’éducation , le LE 8 décembre 1970).

Une conviction profonde en effet anime l’Eglise: «C’est le propre de la personne humaine de n’accéder vraiment et pleinement à l’humanité que par la culture, c’est-à-dire en cultivant les biens et les valeurs de la nature» (Gaudium et Spes GS 53, § 1). Cet idéal implique le passage d’une société où l’instruction était le fait du privilège à un monde en marche vers sa promotion universelle. Cette immense entreprise, de par sa finalité même, se situe à un plan international, celui-là même où vous oeuvrez avec des moyens sans cesse accrus, mais toujours insuffisants devant l’ampleur de la tâche à accomplir.

Cloisonné par des frontières politiques et divisé par des tensions idéologiques, le monde n’en est pas moins parcouru par un profond désir d’unité, avivé par ses divisions mêmes. C’est à cette aspiration que l’UNESCO a vocation de répondre. L’éducation forme l’homme, la science lui fournit le moyen d’agir, la culture l’épanouit en le familiarisant avec le passé, en l’enracinant dans le présent, en l’ouvrant sur l’avenir. A ces trois plans, vos moyens d’action sont au service de la grande famille humaine.

Si la culture ne se réduit pas à la simple possession d’un patrimoine hérité du passé, les grandes expériences de l’humanité, dans son cheminement plurimillénaire, avec les témoignages de l’art, de la pensée, des littératures, des religions, des sciences et des techniques n’en sont pas moins une composante essentielle. S’en priver serait se couper de ses racines; y renoncer, se mutiler gravement. Aussi l’action de l’UNESCO en ce domaine doit-elle appeler la reconnaissance de tous les hommes dignes de ce nom: qu’il suffise d’évoquer ici la chaine de solidarité suscitée par la campagne entreprise pour préserver les oeuvres d’art de la Nubie. Au moment où le génie de l’homme commence à maîtriser de nouveaux espaces, nul doute que la redécouverte de son passé ne lui soit maîtresse de vie et de sagesse, en même temps que source de légitime fierté.

Encore faut-il que tous les hommes puissent prendre part à ce développement de l’esprit. Sans doute les siècles passés avaient-ils quelque moyen de faire bénéficier les masses des richesses culturelles de l’élite intellectuelle. Mais aujourd’hui l’écriture et la lecture apparaissent comme des éléments indispensables, aussi bien d’intégration sociale que d’enrichissement personnel, et donc requis pour rendre l’homme capable de s’accomplir en plénitude. Seule cette éducation de base permet d’assurer le développement. Nous le répétons avec force: «La faim d’instruction n’est pas moins déprimante que la faim d’aliments: un analphabète est un esprit sous-alimenté» (Populorum progressio PP 35). Les déclarations des plus hautes instances internationales - Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, art. 26 et 27; Droits de l’enfant solennellement proclamés le 20 novembre 1959 à l’unanimité par l’Assemblée Générale des Nations Unies, principes 2 et 7, et celles du Concile du Vatican: Constitution pastorale Gaudium et Spes, Chap. II, l’essor de la culture, n. 60 -, Nous avons plaisir à le souligner, se rejoignent sur ce point. Mais à quoi servirait-il «de proclamer des droits, si l’on ne mettait en même temps tout en oeuvre pour assurer le devoir de les respecter, par tous, partout, et pour tous»? (Message à la Conférence internationale des droits de l’homme à Téhéran , le LE 15 avril 1968, dans AAS 60, 1968, p. 285;Documentation catholique, t. LXV, 1968, Col 883) C’est dire avec quelle satisfaction l’Eglise voit se conjuguer en ce domaine, sous l’active impulsion de l’UNESCO, les initiatives privées et les projets publics. Elle-même s’y emploie du reste de longue date, selon ses moyens, avec une conviction d’autant plus ferme qu’elle s’enracine dans les grandes certitudes qui constituent sa raison d’être.

Sans qu’il y ait confusion sur ce point, une telle oeuvre en effet ne peut se soutenir que par un idéal, cet humanisme qui inspira l’action de tant de nos devanciers: il ne suffit pas de donner le goût du savoir et les moyens du pouvoir, il faut encore y ajouter des raisons de vivre. Vous le déclariez vous-même très justement lors de la «Rencontre des cultures» organisée au siège de votre Organisation «sous le signe de la collaboration et de la paix» au lendemain du Concile oecuménique Vatican II: «Il n’y a pas d’organisation du travail intellectuel collectif sans spiritualité . . . L’UNESCO est essentiellement cela: à la fois un instrument et une expérience spirituelle de l’universel humain» (Allocution de clôture de M. René Maheu, dans Rencontre des cultures à l’UNESCO sous le signe du Concile, Paris, Mame 1966, p. 68). Par delà l’instruction, tel est bien l’objectif de l’éducation: former des hommes, leur apprendre à vivre, apporter à une jeunesse en quête de vérité, assoiffée d’authenticité, plus qu’un savoir en perpétuelle évolution, une sagesse qui soit projet de vie enraciné dans une civilisation déterminée; en même temps leur donner le moyen de le réaliser, féconder les intelligences, forger les volontés, éveiller les consciences et préparer à l’action: bref, «construire un monde fraternel où tous les membres de la grande famille humaine . . . parviennent à maîtriser progressivement les forces de la nature, à développer harmonieusement les possibilités de la culture et, dans le respect des légitimes diversités, à promouvoir une civilisation de l’universel» (Note du Saint-Siège à l’UNESCO, n. 8).

L’UNESCO a ainsi vocation d’oeuvrer au développement intégral de l’homme, responsable de son destin devant ses frères et devant l’histoire, et appelé à résoudre les nombreuses antinomies auxquelles il est confronté: échanges culturels multipliés et sagesse ancestrale conservée, expansion d’une culture nouvelle et fidélité vivante à l’héritage des traditions, harmonisation entre l’ancienne culture classique et la nouvelle culture scientifique et technique, émiettement des disciplines spécialisées et synthèse du savoir, développement du génie inventif et épanouissement de la contemplation, symbiose entre les masses et les élites, légitime autonomie de la culture et respect des valeurs religieuses. Ces questions fondamentales (Cfr. Gaudium et Spes GS 56) ne peuvent être résolues que par une volonté commune de respect et d’accueil aux valeurs qui sont l’honneur des cultures engendrées par l’humanité, en leur diversité même: «Entre les civilisations comme entre les personnes, un dialogue sincère est en effet créateur de fraternité» (Populorum progressio PP 73 cfr.Ecclesiam suam, dans A.A.S. 56, 1964, p. 639 ss.).

Notre representant personnel aux cérémonies commémoratives qui marqueront le vingt-cinquième anniversaire de l’UNESCO, notre cher fils le Cardinal Jean Daniélou, vous portera ce voeu, que Nous aurions aimé vous exprimer Nous-même de vive voix, si les circonstances Nous avaient permis de répondre à votre déférente invitation. C’est avec ces sentiments de profonde estime et de confiance que Nous appelons de grand coeur l’abondance des divines bénédictions sur les efforts inlassables que vous faites pour hâter l’avènement d’une société plus juste et fraternelle.

Du Vatican, le 1er Novembre 1971.

PAULUS PP. VI


*AAS 63 (1971), p.837-840.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. IX p.968-972.

L'Osservatore Romano,5.11.1971 p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.46 p.2.

La Documentation catholique n.1598 p.1054-1055.




25 décembre



PAUL VI RAPPELLE AU MONDE L’ACTUALITE DU MYSTERE DE NOËL





Message de Noël au monde entier.



Ecoutez notre voix, vous tous, fidèles qui êtes venus ici pour recevoir la bénédiction de Noël ; écoutez notre message vous tous qui, en cet heureux moment, êtes en communication avec la parole qui sort de nos lèvres ; écoutez l’écho fidèle du message de la naissance de Jésus, le Christ, vous tous, habitants de cette terre qui a reçu la première annonce d’une paix nouvelle ! Que tende l’oreille tout homme en ce monde, et qu’il accueille la bienheureuse nouvelle qui de siècle en siècle, et encore aujourd’hui, en ce Noël 1971, s’exprime ainsi :

« Ne craignez pas ! Car voici que je vous apporte une bonne nouvelle, je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple, celle de toute l’humanité : aujourd’hui, le Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur » (cf. Lc Lc 2,10).

Cette annonce, toujours extraordinaire, ne vient pas de nous autres, mortels ; aucun homme ne l’a inventée, aucune idéologie ou institution terrestre ne l’a engendrée. Cette annonce, que Nous faisons retentir à nouveau, est la voix des anges : elle éveille dans la nuit les humbles bergers de Bethléem de Judée, la cité de David, et les appelle, les premiers, à aller à la rencontre du Messie qui vient. Nous portons le témoignage prophétique, qui se répète, sans plus jamais se taire, dans l’histoire de l’humanité et qui, aujourd’hui encore, se répand aux quatre vents de l’horizon, en tout lieu habité de notre planète privilégiée, la terre des hommes.

Le Sauveur est né ! Le Christ est venu dans le monde, du sein de notre humanité ! C’est Jésus ! Ne craignez pas ! Ne craignez plus ! Comme le lever du soleil fait fuir les ténèbres de la nuit, ainsi cette merveilleuse nouvelle, venue du Ciel mystérieux, un ciel plus profond et plus élevé que celui des astres (cf. Ep Ep 3,18), chasse les doutes, apaise les craintes, dissipe l’anxiété, purifie l’atmosphère obscure et pesante dans laquelle soupire plus qu’il ne respire l’homme tourmenté, dans la brève et pénible étape de son expérience naturelle, par suite de l’incertitude et des problèmes qui l’assiègent de, toute part. Ce Ciel, l’homme, avide de vérité et de vie, le cherche désespérément et a vaguement l’intuition qu’il doit être son propre destin.

Ecoutez ! Ecoutez, hommes de pensée; écoutez, hommes d’action ! Et vous, hommes de la pauvreté, de l’esclavage, et de la douleur, écoutez : le Sauveur est venu parmi nous et pour nous ! Croyez-le, c’est le Sauveur du monde qui est venu.

Nous ressentons, jusqu’à en interrompre notre discours, le crépitement des objections et des interrogations, qui surgissent de toutes parts dans le monde comme dans les esprits : que signifie « Sauveur » ? Quel est celui qui s’arroge ce titre hyperbolique ? Comment pourrait jamais sortir de la crèche de Bethléem un homme, un être assez prodigieux pour savoir révéler le secret de notre existence, guérir la série infinie de nos misères, qui ait la puissance de faire en lui-même la synthèse de tous les aspects contrastants de notre existence, et de satisfaire enfin nos insatiables espoirs ? Quel, est-il ? Un songe ? Un mythe ? Oh non, il ne peut en être ainsi ! Mais est-ce bien la réponse de la foule des hommes, à l’annonce du salut ? Au contraire, aujourd’hui plus que jamais, elle se révolte, elle insiste et s’écrie : nous n’avons pas besoin de ce salut, nous ne connaissons pas ce Sauveur, nous ne voulons pas le reconnaître ! (cf. Lc Lc 19,14). N’est-ce pas ainsi que se manifeste notre radical sécularisme contemporain ? Notre orgueilleuse et intolérante autosuffisance ? Elle n’a pas suffi, la voix des Apôtres, ni le sang des martyrs, ni la sagesse d’une civilisation entière qui se dit chrétienne ; elle n’a pas suffi, une histoire entière, parée de sainteté, de beauté, et imprégnée de nos moeurs chrétiennes pleines d’humanisme, pour garder au Christ, dans la cité moderne, non point une royauté temporelle qu’il n’ambitionne pas, mais un accueil affectueux et spirituel pour Lui, Christ de tous les temps. Comme à l’heure de sa naissance, à la Vierge Marie qui le portait dans son sein, de nos jours encore, à l’Eglise notre Mère qui l’enfante pour la société contemporaine, on déclare : « Il n’y a pas de place pour lui. Qu’il reste en marge ! » (cf. Lc Lc 2,7).

Vous tous, Frères, pensez-y. Ce n’est pas le moment, pour Nous, de faire l’apologie de notre Sauveur, Jésus, le Christ. Mais, Nous le croyons, vous devriez être en mesure de la faire vous-mêmes et de transformer en témoignage pour lui la conscience de l’insuffisance fondamentale de l’homme à atteindre une stature digne de lui, comme aussi le souvenir de l’héritage chrétien que nous devrions encore revendiquer comme nôtre, avec fierté et humilité à la fois, puisque nous en sommes responsables (cf. Mt Mt 11,21).

Frères, le Christ est venu, aujourd’hui il est notre Sauveur, demain il sera notre Juge. Ne le repoussons pas ! Ne l’ignorons pas ! Comme les pasteurs après l’annonce de l’ange, disons-nous les uns aux autres : Allons et voyons ce qui est arrivé (cf. Lc Lc 2,15). Ouvrons pour lui, le Christ, la porte de notre conscience, de notre vie personnelle, familiale, sociale. Il ne vient pas pour prendre, mais pour donner ! Il ne vient pas encombrer l’espace de notre liberté, de notre activité, de notre humanité. Il vient plutôt pour l’illuminer, l’agrandir, mettre sa joie dans notre vie qui, à bien y regarder, a tant besoin, dans tous les domaines, de cet hôte mystérieux, l’Enfant-Jésus.

Ouvrez-lui la porte : ouvrez-lui votre coeur; venez et écoutez sa parole. Que dit-il ? Encore aujourd’hui il nous dit : « Bienheureux celui qui n’aura pas rougi de moi ! » (Mt 11,6). « Bienheureux... celui qui écoute les paroles de cette prophétie » dit le Christ Sauveur (cf. Ap Ap 1,3). Bienheureux ! Avez-vous entendu ?

Et c’est ce bonheur que veut vous apporter, en son nom et à vous tous, notre Bénédiction Apostolique.








1° janvier



MESSAGE DE PAUL VI POUR LA CÉLÉBRATION DE LA « JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX »





Hommes de pensée !

Hommes d’action !

Vous tous qui vivez en cette année 1972, accueillez encore une fois notre invitation à célébrer la Journée de la Paix !



Nous reprenons la réflexion sur la Paix, parce que Nous avons de la Paix une conception très haute, celle d’un bien essentiel et fondamental de l’humanité en ce monde, celle de la civilisation, du progrès, de l’ordre, de la fraternité.

Nous croyons que l’idée de la Paix est et doit être encore dominante au milieu des vicissitudes de la vie humaine, et qu’elle devient même plus urgente aux époques et dans les lieux où elle serait contredite dans la pensée ou dans les faits. C’est une idée nécessaire, c’est une idée impérative, c’est une idée inspiratrice. Elle polarise les aspirations humaines, les efforts, les espérances. Elle tient lieu de fin ; et comme telle, elle demeure à la base et au terme de notre activité, aussi bien individuelle que collective.

Aussi pensons-Nous qu’il est d’une extrême importance d’avoir de la Paix une idée exacte, en la dépouillant des pseudo-conceptions qui trop souvent la revêtent, la déforment et la travestissent. Nous commencerons par le dire aux jeunes : la paix n’est pas une condition statique de la vie, qui trouverait dans cette paix à la fois sa perfection et la mort. Car la vie est mouvement, croissance, travail, effort, conquête... En est-il donc ainsi de la paix ? Oui, pour la raison même qu’elle coïncide avec le bien suprême de l’homme toujours voyageur en ce monde, et ce bien n’est jamais totalement conquis, mais toujours en voie de possession nouvelle et jamais achevée : la paix est donc l’idée centrale et motrice du dynamisme le plus actif.

Mais il n’est pas question pour autant que la Paix coïncide avec la force. Et ceci, Nous le dirons spécialement aux hommes responsables, car pour eux, dont c’est l’intérêt et le devoir de maintenir un régime de rapports entre les membres d’un groupe donné — famille, école, entreprise, communauté, classe sociale, cité, Etat — la tentation est constante d’imposer par la force un tel régime de rapports, qui prend le visage de la paix. L’ambiguïté de la communauté de vie se transforme alors en tourment et en corruption des esprits, tout comme se change en imposture vécue l’atmosphère issue tantôt d’une victoire sans gloire, tantôt d’un despotisme irrationnel, d’une répression écrasante, ou encore d’un équilibre de forces dont l’opposition permanente va en général croissant jusqu’à l’explosion violente qui manifeste, sous forme de ruines de toute sorte, combien était fausse une Paix imposée par le seul prestige de la puissance et de la force.

La paix n’est pas un piège (cf. Jb Jb 15,21). La paix n’est pas un mensonge établi (cf. Jr Jr 6,14). Encore moins une tyrannie totalitaire et impitoyable, et surtout pas une violence ; du moins la violence n’ose plus s’approprier le nom auguste de Paix.

Même si c’est difficile, il est indispensable de se faire une conception authentique de la Paix. C’est difficile pour celui qui ferme les yeux à son intuition première, qui nous dit que la Paix est une chose très humaine. Voilà la bonne voie pour arriver à la découverte authentique de la Paix. Si nous cherchons d’où elle vient vraiment, nous nous apercevons qu’elle plonge ses racines dans le sens loyal de l’homme. Une Paix qui ne résulte pas du culte véritable de l’homme n’est pas elle-même une véritable Paix. Et comment appelons-nous ce sens loyal de l’homme ? La Justice.

Mais la Justice n’est-elle pas elle-même comme une déesse immobile ? Si, elle l’est dans ses expressions que nous appelons droits et devoirs, et que nous codifions dans nos fameux codes, c’est-à-dire dans les lois et dans les pactes, qui produisent cette stabilité de rapports sociaux, culturels, économiques, qu’il n’est pas permis d’enfreindre : c’est l’ordre, c’est la Paix. Mais si la Justice, autrement dit ce qui est et ce qui doit être, suscitait d’autres expressions meilleures que celles que nous avons présentement, qu’arriverait-il ?

Avant de répondre, demandons-nous si cette hypothèse, c’est-à-dire celle d’un développement de la conscience de la Justice, s’avère admissible, ou probable, ou souhaitable.

Oui. C’est là le fait qui caractérise le monde moderne et le distingue du monde antique. Aujourd’hui la conscience de la Justice progresse. Personne, croyons-nous, ne conteste ce phénomène. Nous ne nous arrêtons pas présentement à en faire l’analyse. Mais nous savons tous qu’aujourd’hui, grâce à la diffusion de la culture, l’homme, tout homme, a de lui-même une conscience nouvelle. Tout homme aujourd’hui sait être une Personne, et il s’éprouve comme Personne, autrement dit un être inviolable, égal aux autres, libre et responsable, disons-le : sacré. Il s’ensuit qu’une attention nouvelle et meilleure, c’est-à-dire plus complète et plus exigeante, pour ce qu’on pourrait appeler la « diastole » et la « systole » de sa personnalité, Nous voulons dire son double mouvement moral au rythme du droit et du devoir, pénètre la conscience de l’homme : une Justice, non plus statique, mais dynamique, surgit de son coeur. Ce n’est pas un phénomène simplement individuel, ni réservé à des groupes choisis et restreints. C’est un phénomène désormais collectif, universel. Les pays en cours de développement le proclament à haute voix; c’est la voix des Peuples, la voix de l’humanité ; elle réclame une nouvelle expression de la Justice, une nouvelle base pour la Paix.

Pourquoi alors, convaincus comme nous le sommes tous de cette affirmation irréfutable, nous attardons-nous à donner à la Paix une autre base que celle de la Justice ? Comme l’a souligné la récente Assemblée du Synode des Evêques, ne reste-t-il pas encore à instaurer une plus grande justice, aussi bien au sein de la communauté nationale que sur le plan international ?

Est-il juste, par exemple, qu’à des populations entières ne soit pas accordée l’expression libre et normale du droit le plus jalousement revendiqué par l’esprit humain, le droit religieux ? Quelle autorité, quelle idéologie, quel intérêt historique ou civil peut s’arroger le pouvoir de réprimer, d’étouffer le sentiment religieux dans son expression légitime et humaine (nous ne disons pas superstitieuse, ni fanatique, ni fautrice de troubles) ? Et quel nom donnerons-nous à la Paix qui prétend s’imposer en foulant aux pieds cette Justice primordiale ?

Là où d’autres formes indiscutables de Justice — au plan national, social, culturel, économique... — auraient été blessées ou bafouées, pourrions-nous être sûrs qu’il s’agisse d’une vraie Paix si elle résultait d’un tel processus de violence ? Serait-elle stable ? Et quand bien même elle serait stable, serait-elle juste et humaine ?

Et ne fait-il pas partie également de la Justice, le devoir de mettre tout pays en état de promouvoir son propre développement dans le cadre d’une coopération exempte de toute intention ou calcul de domination, aussi bien économique que politique ?

Le problème devient extrêmement grave et complexe. Et il ne Nous appartient pas de le rendre plus aigu, pas plus que de le résoudre pratiquement. Telle n’est pas la compétence de celui qui parle de ce Siège Apostolique.

Mais justement, d’ici, notre invitation à célébrer la Paix retentit comme une invitation à pratiquer la Justice. Opus iustitiae pax. L’oeuvre de la justice, c’est la paix (cf. Is Is 32,17). Nous le répétons aujourd’hui sous une formule plus incisive et dynamique : « Si tu veux la paix, agis pour la Justice ».

C’est une invitation qui n’ignore pas la difficulté de pratiquer la Justice, et tout d’abord de la définir, puis de l’actualiser; et ce n’est jamais sans quelque sacrifice de son propre prestige ou de son propre intérêt. Il faut peut-être une plus grande magnanimité pour obtempérer aux raisons de la Justice et de la Paix que pour lutter et imposer son propre droit, authentique ou présumé, à l’adversaire.

Et Nous avons une si grande confiance de voir les idéaux conjoints de la Justice et de la Paix trouver par eux-mêmes le moyen d’engendrer dans l’homme moderne les énergies morales qui assureront leur propre réalisation, que Nous sommes convaincu de leur victoire progressive. Bien plus, Nous sommes d’autant plus confiant que l’homme moderne a désormais en lui-même l’intelligence des voies de la Paix, au point de se faire lui-même le promoteur de cette Justice, qui lui ouvre ces chemins et les lui fait parcourir avec une espérance ardente et prophétique.

Voilà pourquoi Nous osons, encore une fois, lancer l’invitation à célébrer la Journée de la Paix ; et, en cette année 1972, ce sera sous le signe austère et serein de la Justice, avec le désir

ardent de susciter des oeuvres qui expriment, de façon convergente, une sincère volonté de Justice et une sincère volonté de Paix.



A nos Frères et Fils de l’Eglise catholique, Nous recommandons cette invitation. Il faut porter aux hommes d’aujourd’hui un message d’espérance, grâce à une fraternité vécue et à un effort honnête et persévérant pour une plus grande Justice, pour une réelle Justice. Notre invitation rejoint logiquement la déclaration du récent Synode des évêques sur la « Justice dans le monde ». Et elle prend sa force dans la certitude que « Lui, le Christ, est notre Paix» (cf. Ep Ep 2,14).



8 décembre 1971.



paulus PP. VI





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