Discours 1970



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Discours 1970

Eglise et documents, vol. III – Libreria editrice Vaticana






AU CORPS DIPLOMATIQUE*

Lundi 12 janvier





Excellences et chers Messieurs,



A vous tous Nous présentons notre salut cordial et respectueux, nos vifs remerciements, nos voeux fervents pour l'année 1970. Et Nous remercions particulièrement votre Doyen, qui s'est fait aimablement l'interprète des pensées et des sentiments du Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, les exprimant en des paroles si nobles et si déférentes envers notre humble personne.

Votre présence même, qui se renouvelle chaque année en cette circonstance et Nous est particulièrement agréable, constitue à sa manière une reconnaissance hautement qualifiée de la mission de l'Eglise dans le monde. Représentants de nations si nombreuses et si diverses, vous êtes comme une synthèse du monde, et vous attestez que l'Eglise et le Siège Apostolique ne sont pas étrangers aux multiples et graves problèmes concernant le monde. C'est là, pour Nous, un témoignage précieux qui Nous réconforte dans l'accomplissement de nos devoirs ; un témoignage qui Nous invite à réfléchir avec vous sur une question souvent débattue aujourd'hui : le Saint-Siège a-t-il raison de se servir de cette forme d'activité qui s'appelle la diplomatie ? Celle-ci n'est-elle pas totalement étrangère à la nature et à la fin de l'Eglise ? Ne risque-t-elle pas de l'assimiler aux institutions et aux organismes d'ordre temporel avec lesquels elle ne peut ni ne doit être confondue ?

Lorsqu'il s'agit des Etats, une telle question ne se pose pas, car — en dépit des formes nouvelles que revêtent aujourd'hui les rapports internationaux — l'activité diplomatique demeure pour eux un instrument privilégié, consacré par une expérience historique pluriséculaire. Mais pour l'Eglise, dont le rôle est essentiellement religieux, le recours à la diplomatie est-il vraiment justifié ?

Vous, Messieurs les Ambassadeurs, pouvez en toute connaissance de cause répondre à cette question : vous pouvez dire qu'il y a des motifs valables à ce que le Saint-Siège vous reçoive et traite avec vous, à ce qu'il envoie lui-même ses propres représentants pour exercer des fonctions analogues auprès de vos Gouvernements.

2 L'activité diplomatique du Saint-Siège, en effet, répond, d'une manière très adaptée, aux développements actuels de la vie internationale et aux nécessités présentes de la mission que l'Eglise doit remplir dans le monde contemporain : de cette mission dont a parlé le Concile Vatican II, affirmant solennellement que l'Eglise est appelée à donner une aide déterminante à la société, et qu'elle entend bien le faire de toutes ses forces, en fortifiant et complétant l'union de la famille humaine : « Comme, de par sa mission et sa nature — est-il écrit dans la Constitution Gaudium et spes —, l'Eglise n'est liée à aucune forme particulière de culture, ni à aucun système politique, économique ou social, par cette universalité même, elle peut être un lien très étroit entre les différentes communautés humaines et entre les différentes nations, pourvu que celles-ci lui fassent confiance et lui reconnaissent en fait une authentique liberté pour l'accomplissement de sa mission » (n. 42). Telle est bien l'action qu'entend exercer le Saint-Siège : contribuer à rendre plus étroits les liens entre les nations, dans une loyale réciprocité, attentive à reconnaître les droits et devoirs de chacun. Les Pontifes Romains, particulièrement à l'époque moderne et contemporaine, ont pris une conscience de plus en plus vive de cette responsabilité, qui découle directement de leur mission. Et ils ont répondu à cet impératif inhérent à leur mandat : s'intéresser aussi à la société civile, non pour s'ingérer indûment dans un domaine qui n'est pas de leur compétence, mais pour favoriser le respect des principes de base de la vie civile et internationale, la justice envers tous, la concorde mutuelle, la collaboration entre les peuples : en un mot, pour concourir à la recherche pacifique de ce bien commun, dont l'autorité temporelle doit être le garant, pour servir et défendre la paix. Ecoutons encore la Constitution Gaudium et spes : « La paix n'est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas seulement à assurer l'équilibre de forces adverses ; elle ne provient pas non plus d'une domination despotique, mais c'est en toute vérité qu'on la définit "oeuvre de justice" (Is 32,17). Elle est le fruit d'un ordre inscrit dans la société humaine par son divin fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d'aspirer à une justice plus parfaite... Toutefois, la paix terrestre qui naît de l'amour du prochain est elle-même image et effet de la paix du Christ qui vient de Dieu le Père » (n. 78).

Le Pape pourrait-il vraiment se désintéresser d'une telle tâche, qui part du coeur même de Dieu ? Pourrait-il oublier que la paix, annoncée à la crèche de Jésus-Christ en la sainte nuit de Noël, doit être sur terre le reflet de la paix de Dieu ?

Au regard de quiconque veut bien aborder objectivement les problèmes, il est clair que toute l'activité de l'Eglise dans le monde est au service de la paix.

1. De la paix à l'intérieur des diverses communautés nationales tout d'abord, en les aidant « à triompher de l'égoïsme, de l'orgueil et des rivalités, à surmonter les ambitions et les injustices, à ouvrir à tous les voies d'une vie plus humaine, où chacun soit aimé et aidé comme son prochain, son frère » (Populorum progressio), 82).

A cette action quotidienne des chrétiens, les représentants du Saint-Siège, guidés par les pasteurs responsables, apportent, dans l'exercice de leur mission, un concours très efficace, en même temps qu'ils aident les églises locales à resserrer leurs liens avec Nous.

Ainsi peut être fournie une précieuse contribution à la promotion humaine sous ses divers aspects : spirituel, moral, culturel, social. Ainsi est favorisé le développement du pays. Ainsi se construit la société de demain, dans l'équilibre dynamique des groupes qui la composent. Dans le domaine qui lui revient et avec un désintéressement évangélique, le représentant du Saint-Siège appuie les initiatives qui tendent à cette éducation des communautés, des familles et des personnes. A cette mission correspond aussi, Messieurs les Ambassadeurs, votre propre activité qui demeure très différente, comme Nous l'avons dit, de l'action diplomatique menée près de tout autre Etat, et qui cherche elle aussi à établir la paix, en maintenant continuellement avec le Siège Apostolique des contacts étroits qui, soyez-en sûrs, sont toujours hautement appréciés.

2. Cette action au service de la paix s'étend aussi à la paix extérieure, internationale, visant à éliminer les différends de toute sorte entre les peuples. Sur ce point, l'action du Saint-Siège voudrait apporter toute l'aide qu'elle est en mesure de fournir. Elle permet au Pape de ne pas se limiter à des déclarations de principe, à lancer des affirmations solennelles et purement théoriques, mais d'intervenir sur le plan concret de l'action pour la paix, voire même entre les parties en désaccord. C'est ainsi qu'a fait notre Prédécesseur Pie XII dans la tragique guerre mondiale qui a bouleversé le monde ; et les documents actuellement en cours de publication en sont la preuve la plus convaincante. C'est ce qu'a fait Jean XXIII, de vénérée mémoire, dans les moments de grave tension internationale, en offrant sa très haute médiation. C'est ce que Nous cherchons modestement à faire Nous aussi dans les guerres qui continuent, hélas, d'exercer leurs ravages. Tout ceci a été possible, est possible grâce aux moyens offerts par l'activité diplomatique. Ici encore, quelle aide précieuse le Pape trouve, Messieurs les Ambassadeurs, en votre collaboration qui est parfois le chemin irremplaçable pour atteindre des buts si nobles et si urgents !

L'activité diplomatique permet donc au Saint-Siège d'intervenir sur le plan international, en aidant les efforts accomplis pour l'heureux affermissement de la communauté des nations, en contribuant à assurer à de tels efforts ce contenu éthique et spirituel, sans lequel ils seraient voués à la faillite, en se maintenant à égale distance de toute partialité, de tout excès.

Pour remplir sa mission, l'Eglise emploie aussi des moyens qui revêtent aujourd'hui de nouvelles expressions, en particulier dans ses rapports avec les Organismes internationaux. En poursuivant toujours sa fin propre, le salut spirituel des hommes, elle travaille aussi à promouvoir la dignité de la personne et le progrès des peuples dans la justice et dans la paix. Ses contacts qualifiés dans le domaine international permettent au Saint-Siège de mieux faire entendre sa voix, de mieux faire valoir ses suggestions, et de traiter avec ceux qui ont en main le sort des peuples, dans une position de respect mutuel.

Le désintéressement complet, radical, d'une telle activité pour tout ce qui pourrait avoir une fin temporelle et territoriale propre, et son total dévouement aux problèmes de la vie de l'humanité sont mis en valeur, même visiblement, par la nature et la physionomie universelle, catholique et supranationale de l'Eglise et du Siège Apostolique. Nous voudrions, dans ce domaine, manifester toujours plus clairement cette pauvreté évangélique qui est une loi de notre divin Maître. Et Nous voudrions aussi que vous, Excellences et chers Messieurs, sachiez bien que lorsque le Siège Apostolique agit aux fins que Nous avons indiquées, il est mû non par des considérations calculées et occultes de profit personnel et de puissance, mais par le désir de servir la justice, la paix et la communauté internationale.

Et même lorsqu'il entretient un dialogué loyal avec les Etats, en vue de faire reconnaître les droits et la liberté de l'Eglise, il n'ambitionne nullement des privilèges ou des intérêts égoïstes, mais il agit au service et au bénéfice de l'homme, sujet commun de la société civile et de l'Eglise, comme au profit moral des Etats dans lesquels est à l'oeuvre la communauté religieuse fondée par le Christ Seigneur.

3 Experte en humanité, connaissant bien par conséquent ce qu'il y a dans le coeur de l'homme, promotrice d'un humanisme authentique et ouvert au transcendant, l'Eglise établit des contacts adéquats et féconds avec votre diplomatie, pour aider le monde moderne à résoudre ses contradictions et à réaliser une paix dynamique et constructive, centrée sur la reconnaissance et sur la promotion des valeurs humaines, personnelles et sociales.

Laissez-nous vous dire, au terme de cet entretien, combien Nous apprécions votre noble travail et la collaboration intelligente et généreuse que vous apportez à notre activité, au bénéfice d'abord de vos nations respectives, et aussi de la paix mondiale. De ces efforts communs, si profitables, cette rencontre qui inaugure l'année nouvelle est certainement un symbole hautement significatif. Volontiers, Nous en recueillons la valeur salutaire : c'est pour Nous un encouragement, et pour vous un heureux présage. Dans ces sentiments, Nous invoquons sur vos personnes, comme sur vos familles, et sur les nobles Nations que vous représentez, l'aide constante du Dieu tout-puissant, qui ne manque jamais de nous assister.

Et maintenant, permettez-Nous d'ajouter un mot encore à tout ce que Nous venons de dire en cette circonstance particulière. Les événements douloureux de ces derniers jours qui ont pour théâtre ces terres d'Afrique qui Nous sont si chères appellent tous les hommes de bonne volonté à tenter l'impossible pour éviter que le conflit nigérien — qui semble toucher à son terme — : ne devienne une affreuse tragédie, et ne se termine dans un épilogue plus cruel encore que l'horreur entraînée par tout conflit.

Nous-même, dans notre récent voyage en Afrique comme en chaque occasion, Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour épargner des vies humaines, et susciter une négociation pacifique. Nous n'avons jamais manqué d'assister et de secourir, par tous les moyens en notre disposition, les nécessiteux et les affamés. Vous pouvez comprendre avec quelle émotion Nous vous, adressons cet appel, Excellences et chers Messieurs, et par votre intermédiaire, à tous, vos gouvernements, afin que le concours empressé de tous les hommes de bonne volonté réussisse à empêcher de nouvelles effusions de sang, et à épargner les vies innocentes dans le respect du droit international.

Nous savons que les Autorités nigériennes ont de nouveau manifesté leur volonté d'assurer à tous, y compris, ceux de la partie adverse, le respect des droits humains et civils, comme déjà elles avaient depuis quelque temps demandé la présence d'Observateurs de diverses nations et d'Organisations internationales : cela représente déjà un bon présage et une heureuse promesse. Puisse l'histoire attester, demain la magnanimité de tous ceux qui auront pris part à ce dénouement décisif. Le Saint-Siège est disposé pour sa part à tout faire afin d'humaniser cette douloureuse situation, et dans ce but il est prêt à mettre en oeuvre tous les moyens dont il dispose. Que les armes se taisent, et que très haut se fassent entendre les voix de la solidarité et de la charité. Puissent les efforts des peuples généreux et notre prière au Dieu de la paix attirer sur la terre africaine ces dons précieux.



*AAS 62 (1970, p.58-63.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. VIII, p.32-38.

L’Osservatore Romano, 12-13.1.1970 p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.3 p.2, 3.

La Documentation catholique, n.1556 p.107-109.




20 janvier



RECHERCHER DANS L'ECRITURE ET DANS LA THEOLOGIE LES RACINES PROFONDES DU DROIT CANONIQUE





4 Au Congrès International de droit canonique



Monsieur le Professeur et Recteur Magnifique de l'Université de Rome,



Nous vous remercions des paroles élevées, sincères et amicales que vous venez de prononcer, parmi lesquelles ont été entendues quelques-unes de celles qu'en cette circonstance extraordinaire Nous voudrions adresser aux illustres visiteurs que vous conduisez.

Et Nous remercions en même temps ces mêmes visiteurs qui, par leur présence, par leur qualification et par leur nombre Nous prouvent l'importance, le résultat et l'esprit du Congrès international de droit canonique célébré ces jours-ci à Rome, siège plus que tout autre célèbre et fécond du Droit, aussi bien civil qu'ecclésiastique. Nous les saluons tous et Nous les honorons tous d'un titre que Nous apprécions grandement, celui de la science juridique relative à la vie sociale de l'Eglise, le Droit canonique.

Nous devons tout de suite manifester Notre satisfaction pour la célébration d'un tel congrès et pour le siège qui l'a dignement reçu, l'Athénée civil de Rome. Ce fait est déjà par lui-même une reconnaissance d'un aspect de l'Eglise qui, bien qu'extérieur et historique, est d'un relief indéniable dans la vie spirituelle et dans le progrès civil de l'humanité. Et si cela est pour Nous une cause de satisfaction, c'est pour vous, pour l'Université de Rome et pour tous les autres instituts scientifiques qui sont représentés ici, un signe de noble culture et d'intelligence ouverte.

Et Nous sommes aussi très heureux de l'événement dont vous êtes les protagonistes à cause du sujet qui le caractérise et du moment historique où il se produit : « L'Eglise après le Concile ». L'Eglise et le Concile, comme tous peuvent le comprendre, absorbent Notre attention, Notre intérêt, Notre passion. Pouvons-Nous penser à autre chose, en raison de Notre charge apostolique et dans l'heure critique que nous traversons, qu'à l'Eglise et au Concile qui vient d'être célébré ? Voir que des savants renommés comme vous se réunissent en congrès pour étudier avec la compétence qui leur est propre et l'intensité d'une réflexion soutenue par vos conversations mutuelles et toujours — Nous n'en pouvons douter — avec une libre et honnête probité scientifique, Nous édifie et Nous console et suscite en Nous l'obligation de Nous informer des résultats de vos études : Nous répondrons volontiers à cette obligation, Nous estimant heureux si les nombreux et surabondants soucis de Notre ministère Nous en laissent le temps nécessaire et désiré.

Large programme d'étude





Les sujets de votre programme large et varié Nous y invitent ainsi que l'autorité de vos noms. Les renseignements peu nombreux mais importants donnés par la presse sur les discussions et les développements de votre congrès Nous en disent déjà le sérieux et la valeur, de sorte que Nous Nous abstenons, en ces quelques paroles de circonstance, d'entrer dans le fond des matières étudiées. Nous Nous abstenons donc de vous en faire le commentaire. Quelques-uns seraient peut-être nécessaires de Notre part, quelque approfondissement, quelque réserve. Notons seulement les heureuses formulations des sujets, nées de la grande réflexion que l'Eglise catholique réunie en Concile a faite sur elle-même, telles que sont principalement celles qui concernent la tradition et la rénovation du Droit canonique (traitée magistralement par le professeur Orio Giacchi), le droit divin et le droit humain dans l'Eglise, le droit canonique dans les principes conciliaires au sujet du pouvoir dans l'Eglise (dans le clair exposé du professeur Mario Petroncelli) et ainsi de suite.

Nous Nous bornons actuellement à recueillir le témoignage qui résulte de cette manière de votre congrès sur un double ordre de principes, ceux qui concernent les vérités fondamentales relatives à la nature et à la constitution de l'Eglise et ceux qui concernent la rénovation du Droit canonique d'après les enseignements et les voeux du Concile. Des paroles mêmes autorisées du professeur Pietro Agostino D'Avack nous avons entendu tout à l'heure le témoignage que vous donnez avant tout à la légitimité et à la nécessité de l'existence d'un droit canonique dans l'Eglise. Vous avez reconnu que l'Eglise fondée par le Christ est une société visible. L'idée que l'Eglise puisse être invisible, comme il a été affirmé en d'autres temps par des savants et par des courants d'une interprétation purement spiritualiste et libérale du christianisme, se révèle utopique, pour ne pas dire simplement contradictoire dans les termes. Ainsi la tendance, assez répandue aujourd'hui parmi les personnes et dans les rangs chrétiens, à affirmer leur propre voix charismatique, qui veut se dire libre ou digne de foi, pour affranchir la conscience personnelle et celle des autres, la conduite personnelle et celle des autres du pouvoir de réglementation de l'Eglise, se manifeste comme étrangère à l'authentique conception communautaire et hiérarchique de l'Eglise elle-même et nous rappelle l'énergique raisonnement de saint Paul dispensateur, oui, des mystères de Dieu (
1Co 4,1), mais en même temps organisateur des premières communautés chrétiennes, comme noyaux bien distincts, gouvernés par l'autorité apostolique et appartenant à un unique et même corps social, le corps mystique du Christ. A un certain point il écrit, comme faisant de la polémique : « Est-ce de chez vous qu'est sortie la parole de Dieu ? Est-ce à vous seuls qu'elle est parvenue ? Si quelqu'un se croit prophète ou inspiré par l'Esprit, qu'il reconnaisse en ce que je vous écris un commandement du Seigneur » (1Co 14,36-37). L'Eglise est un Peuple constitué, en vertu d'une action et d'un dessein divins, comme corps social organisé, grâce à un ministère de service pastoral qui promeut, dirige, instruit, éduque et sanctifie l'humanité dans le Christ auquel il adhère dans la foi et dans la charité (cf. de lubac, Méditations sur l'Eglise, p. 203).

C'est cela qui résulte du Concile. Le Concile a approfondi la doctrine de l'Eglise, a mis en relief l'aspect mystique qui lui est propre et, par conséquent, a obligé le canoniste à rechercher plus profondément dans la Sainte Ecriture et dans la théologie les raisons de sa propre doctrine. Ce fait l'a secouée dans ses habitudes, d'ordinaire portées le plus souvent à fonder son enseignement sur une tradition séculaire et indiscutée et à l'appuyer d'abord par l'apport et par la comparaison du Droit romain (quod ratio scripta est merito nuncupatum, comme disaient les canonistes), puis par celui des peuples vers lesquels l'Eglise a orienté sa mission évangélisatrice. Pour trop de motifs évidents elle continuera à le faire dans sa pensée et dans son histoire, mais fidèle, en cette heure postconciliaire, à l'impulsion doctrinale et disciplinaire du grand Synode, elle cherchera en elle-même, dans son intime et mystérieuse constitution, le pourquoi et le comment de sa discipline canonique ancienne et renouvelée (cf. Optatam totius, OT 16).

Nécessité d'une « lex fundamentalis »





5 Cela Nous semble être la nouveauté qui entre aujourd'hui dans l'étude et dans la formulation du Droit canonique, nouveauté d'où germe la révision du code en vigueur. Et ce n'est pas dans un but surtout pratique ad communem et maxime studentium utilitatem (cf. Décrétale de Grégoire IX), comme sont nées dans l'histoire du droit les grandes compilations juridiques, ou, comme Dante fait dire à Justinien : « Je retranchai des lois ce qu'elles offraient d'inutile ; et d'obscur » (Paradis, 6, 12), mais pour faire dériver la loi canonique de l'essence même de l'Eglise de Dieu, pour laquelle la loi nouvelle et originale, la loi évangélique est l'amour, est la gratia Spiritus Sancti, quae datur per fidem Christi (St thomas, I-IIae, 106,1 ; et 108, 1). De la sorte, si c'est là le principe intérieur qui guide l'Eglise dans son action, celui-ci devra se manifester toujours davantage dans sa discipline visible, extérieure et sociale, avec ses conséquences qu'il est plus facile actuellement d'entrevoir que de dire. Nous verrons surgir avant tout de cette introspection mystique et éthique de l'Eglise un besoin qui est celui de l'Eglise elle-même, de se définir dans une « Lex fundamentalis » que la théologie, plus encore que le droit, approfondit et qui, bien qu'elle soit formulée dans des canons explicites, résoudrait, peut-être même susciterait de nombreuses et graves questions au sujet de la vie catholique de notre temps.

Autorité de la tradition





Cette parenté plus étroite entre la théologie et le droit canonique donnera à celui-ci des caractéristiques nouvelles vers lesquelles votre congrès a certainement tourné ses regards, reconnaissant dans le droit canonique non seulement une loi dominante, une expression de pouvoir autocentrique, un « iussum » despotique et arbitraire, mais plutôt une règle qui tend surtout à interpréter une double loi, celle qui est supérieure, la loi divine, et celle qui est intérieure, morale, la loi de la conscience. C'est donc une loi qui promeut, qui protège, qui équilibre le mieux possible pour notre condition humaine les droits et les devoirs corrélatifs, la liberté et la responsabilité, la dignité de la personne et, en même temps, l'exigence souveraine du bien commun et — ce qui est propre à l'Eglise — son immuable constitution unitaire et communautaire avec sa faculté d'adaptation universelle dans les activités contingentes de langue et de moeurs... les exigences spéciales des diverses civilisations et les conditions historiques particulières de la société humaine. La Tradition aura dans le droit canon, comme toujours, mais maintenant avec un prestige renouvelé, une voix extrêmement influente et appréciée, un titre de sagesse et d'authenticité, et aussi son aliment auquel la communauté ecclésiale demande à participer dans le vrai, dans la perpétuelle et jamais atteinte perfection de la vocation chrétienne.

Que de choses, que de choses suggérerait, même pour un simple discours comme celui-ci, un sujet d'une telle ampleur et d'une telle importance !

Mais Nous conclurons par l'expression de Notre approbation et par Notre exhortation à continuer vos études sur le droit canonique et ecclésiastique, d'autant plus dignes de votre diligence que le Concile en a montré davantage la nouvelle fécondité et les nouvelles références à la vie de l'Eglise et à celle de la société moderne dans des parties qui ne sont pas de peu d'importance.

Eglise et société civile





Laissez-Nous, Nous qui avons été mis par la Providence, à Notre confusion mais avec un immense (Nous voudrions pouvoir dire : incomparable : cf. Jn
Jn 21,15) amour comme chef visible de l'Eglise, dont le Christ est le seul et souverain Chef et auteur éternel, laissez-Nous vous inviter à regarder l'Eglise, même dans son aspect extérieur, temporel et juridique, pour ce qu'elle est réellement et pour ce à quoi elle est réellement destinée. Le Concile vous aide, vous oblige presque à cette nouvelle vue plus profonde et plus réaliste. Si les hommes d'Eglise ne devraient plus être coupables de juridisme et de formalisme, même lorsqu'ils doivent légiférer et gouverner, vous voyez que ces accusations retombent sur ces études canoniques qui se conforment aux vieilles positions du positivisme ou de l’historicisme juridiques. Sachez voir aussi dans l'Eglise, au-delà de l'écran de son caractère profane, la « societas spiritus » (Ph 2,1 St augustin, Serm. Ph 71, PL Ph 38,206). Ne croyez pas que, comparée à la société civile dont elle se sépare ou à laquelle elle s'oppose (cf. Gaudium et spes ), ou dans laquelle elle trouve son animation pour la dominer (cf. Ep. Diognetum, V-VI), ou en s'accordant avec elle, l'Eglise veuille encore aujourd'hui concéder ou demander des privilèges ; croyez plutôt que désormais, privée de puissance temporelle et pas ambitieuse d'en récupérer le poids et l'avantage, elle n'a pas d'autre désir que celui d'être effectivement assurée du libre exercice de sa mission spirituelle et morale, grâce à d'équitables, de loyales, de stables délimitations des compétences respectives. Ne craignez pas l'Eglise, aimez-la plutôt vous aussi. Nous vous dirons avec saint Augustin : Amate hanc Ecclesiam, estote in tali Ecclesia, estote talis Ecclesia ! (Serm. 138, PL 38, 769). Et ayez vous aussi la perception de la référence unique, personnelle et vitale que cette mystérieuse institution, que nous pouvons certainement appeler le sacrement du salut (cf. Lumen gentium, LG 48), a avec chacun de nous, comme intermédiaire obligatoire et décisif de la question centrale et inévitable de notre destinée, la question religieuse. C'est pourquoi la parole de Cyprien est toujours vraie et urgente : « Pour avoir Dieu comme Père, il faut d'abord avoir l'Eglise comme mère » (De cath. unitate, c. 6, PL 4, 503).

Que pour tout cela, Messieurs et Fils, Notre Bénédiction Apostolique vous soit propice.








29 janvier



LIBERTE ET AUTORITE, VALEURS QUI SE COMPLÈTENT





Audience de Paul VI au Tribunal de la Sainte Rote Romaine



Nous sommes heureux d'être en accord de tout coeur avec les paroles du vénéré Doyen de la S. Rote Romaine, Mgr Boleslao Filipiak, qui a bien interprété vos sentiments et votre esprit en cette circonstance particulière, chers et vénérés Auditeurs et Officiers de ce tribunal. D'après ses paroles s'est présentée très vive à Notre esprit l'image du juge dans l'Eglise d'aujourd'hui, sa conscience, les qualités qui doivent le soutenir dans l'accomplissement de ses fonctions, avec l'humilité, le sens du devoir et de la responsabilité qui lui incombe, avec la discrétion, avec la clémence unie à la juste rigueur, pour être toujours l'interprète serein et impartial de la loi dans son application aux cas concrets que lui offre la mobilité de la vie.

6 De là vient l'importance de votre mission. Le service que vous rendez à l'Eglise est d'une importance fondamentale, de sorte que Nous ne pouvons pas ne pas dire à ce sujet des paroles de sincère louange, de vive reconnaissance et de paternel encouragement. Et il Nous plaît encore aujourd'hui de répéter (cf. Discorso al convegno internazionale dei canonisti : AAS 60, 1968, p. 341), pour le réconfort de votre délicate mission, ces paroles dépouillées mais significatives par lesquelles un juriste du passé qualifiait pour le temps présent et pour la vie future l'activité du maître et du jurisconsulte canonique : « Tout docteur ecclésiastique doit donc interpréter ou régler les lois de l'Eglise de sorte que tout ce qu'il enseignera et exposera se rapporte au règne de la charité et qu'il ne pèche pas ni ne se trompe ; qu'il ait l'intention d'arriver au but qui est dû aux institutions sacrées, en se préoccupant du salut du prochain » (yves de chartres, Prologue du Décret, PL 161, 47-48).

Par une exacte application de la règle aux cas concrets, vous complétez l'oeuvre du législateur et contribuez au développement vital de l'organisation ecclésiale. Mais ce qui resplendit le plus dans votre mission est précisément la caritas christiana qui rend encore plus noble et plus profitable cette aequitas des jugements dont le droit romain a tiré tant d'honneur et qui est devenue par vous, en vertu de l'esprit évangélique, la « modération sacerdotale », selon la belle expression de saint Grégoire le Grand.

Et en même temps que Nous vous disons Notre appréciation pour la sensibilité morale que vous y manifestez, Nous voulons aussi vous adresser Notre encouragement pour l'exercice toujours cohérent et généreux de vos fonctions pratiques.

Sensibilité morale et équité





1. Nous louons votre sensibilité morale qui est la très haute et indispensable prérogative du juge. Il Nous paraît possible de saisir ici le trait essentiel qui doit vous distinguer, et Nous Nous réjouissons intimement de constater combien vous en êtes profondément pénétrés. En fait le juge, comme tout le monde le sait, est l'interprète du jus objectif, c'est-à-dire de la loi par l'intermédiaire de l'usage du jus personnel subjectif — soit de cette potestas et libertas dont il doit pouvoir disposer au maximum. Il s'ensuit que le juge doit posséder une grande objectivité dans le jugement et, en même temps, une grande équité pour pouvoir évaluer tous les éléments dont il arrive patiemment et tenacement à être en possession et pour juger en conséquence avec une impartialité imperturbable. Dans ce but il serait très utile d'approfondir le concept auquel Nous avons déjà fait allusion, celui d'aequitas, soit dans le progrès du droit romain, soit dans l'ensemble du droit canonique. Ce concept implique une rigoureuse estimation du sujet soumis au jugement. C'est de là que vient le processus moderne, canonique ou civil, qui tient compte de la psychologie des parties en cause et des éléments subjectifs, estimant aussi les circonstances ambiantes, familiales, sociologiques etc. Evidemment, dans l'application de cette objectivité, de cette « aequitas », le juge en viendra toujours aux critères fondamentaux du droit naturel, c'est-à-dire humain, juste et à l'observance de la loi en vigueur, du jus scriptum, qu'on suppose être l'expression de la raison et des nécessités du bien commun. Mais, pour tenir compte de tous ces éléments, il faut chez le juge une intègre droiture morale qu'on chercherait en vain à instaurer si, d'avance, il en était privé. Et cela Nous réconforte de savoir que, dans cette noble assemblée de serviteurs de l'Eglise, cette exigence est perçue avec toute son urgence et tout son sérieux.

2. Nous vous exhortons donc, chers fils, à l'exercice droit et fervent de votre fonction de juges. Combien de vertus et quelles vertus cela exige ! Vous le savez bien, vous qui vivez en contact quotidien avec les réalités et les difficultés de votre fonction. L'impartialité qui suppose une profonde et inébranlable honnêteté est nécessaire, disions-Nous. Nécessaire aussi le désintéressement à cause du danger que des intérêts étrangers au jugement, la vénalité, la politique, le favoritisme etc. ne fassent pression sur les tribunaux. La sollicitude qui prend à coeur la cause de la justice est, elle aussi, nécessaire, dans la conscience qu'elle est un haut service de Celui qui est juste et miséricordieux, misericors et miserator et justus (
Ps 3,4), justus judex (2Tm 4,8), fidelis et justus (1Jn 1,9).

Faites toujours honneur à votre charge, exerçant toujours votre très haute mission en sorte qu'elle se conforme, en se sublimant, à la justice même de Dieu, dont elle se fait le miroir et le fidèle instrument.

3. Mais ici Nous devons Nous arrêter pour examiner une question de fond. Ces considérations que Nous avons faites, disons cette apologie du juge, semblent impliquer un besoin de défense de sa fonction, c'est-à-dire de l'exercice du pouvoir judiciaire, critiqué aujourd'hui, spécialement dans l'Eglise, comme s'il était une « structure » superposée à la spiritualité et à la liberté du message évangélique. Personne n'ignore la tendance accentuée à déprécier l'autorité au nom de la liberté. Le Concile a souligné dans un document très significatif, justement sur la liberté religieuse, que « nombreux sont ceux qui, sous prétexte de liberté, rejettent toute sujétion et font peu de cas de l'obéissance requise » (Dignitatis humanae, DH 8).

C'est une tendance répandue, soi-disant charismatique, qui devient anti-hiérarchique : on souligne exclusivement la fonction de l'esprit difficile à définir, aux dépens de l'autorité. De cette manière se répand une mentalité qui voudrait présenter la désobéissance comme légitime et justifiée, pour sauvegarder la liberté dont doivent jouir les enfants de Dieu.

Les raisons de cette attitude offriraient l'occasion d'un examen attentif et long parce qu'il s'agit d'un sujet très ample. Mais par de simples allusions, parce que malheureusement cela Nous est imposé par la limite du temps dont Nous disposons, Nous pouvons ramener à trois les objections qui en sont la base.

Nécessité d'une organisation juridique



7 a) Avant tout on fait appel ici à la liberté contre la loi, contre n'importe quelle loi. Et, pour cela, on se rapporte à l'évangile. Effectivement l'évangile est un appel à la liberté prééminente de l'esprit. On ne peut oublier les sévères condamnations du légalisme pharisaïque prononcées par Jésus en faveur de l'amour et de la liberté des enfants de Dieu : Vous avez entendu qu'il a été dit..., et Moi, je vous dis (cf. Mt Mt 5,21 et suiv.). Toute sa prédication d'ailleurs a été orientée vers la spiritualité intérieure, vers la charité qui libère du joug de la contrainte. Les paroles et l'exemple de Jésus sont orientés en ce sens : « En effet — comme l'a souligné le Concile dans le Décret cité — le Christ, notre Maître et Seigneur, doux et humble de coeur, a invité et attiré les disciples avec patience. Certes, il a appuyé et confirmé sa prédication par des miracles, mais c'était pour susciter et fortifier la foi de ses auditeurs, non pour exercer sur eux une contrainte... Mais, reconnaissant que de l'ivraie avait été semée avec le froment, il ordonna de les laisser croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson, qui aura lieu à la fin des temps. Ne se voulant pas Messie politique dominant par la force, il préféra se dire Fils de l'Homme, venu pour "servir et donner sa vie en rançon pour une multitude" (Mc 10,45)... Enfin, en achevant sur la croix l'oeuvre de la rédemption qui devait valoir aux hommes le salut et la vraie liberté, il a parachevé sa révélation » (Dignitatis humanae, DH 11). De là les déclarations lapidaires de saint Paul dans les épîtres aux Romains et aux Galates et sa doctrine polémique sur la liberté quand, par opposition au légalisme judaïsant, il écrivait : « Si vous êtes conduits par l'esprit, vous n'êtes pas sous la loi », ou quand il dictait le code de l'amour, libéré de toute imposition : « Car un seul précepte contient toute la loi dans sa plénitude : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 18, 14).

Tout ceci est très vrai. Mais il est vrai aussi que l'enseignement évangélique et apostolique ne s'arrête pas là. Le même Jésus qui prêche l'amour et qui proclame la vie intérieure et la liberté a donné des prescriptions morales et des pratiques qui obligent ses disciples à une fidèle observance, et il a voulu, comme Nous dirons encore, une autorité pourvue de pouvoirs déterminés au service de l'homme.

A ceux qui font appel à l'évangile pour défendre la liberté contre la loi, il conviendra donc de rappeler le sens polyvalent du mot « loi » : la loi mosaïque a été abrogée, la loi naturelle subsiste dans toute sa vigueur innée et est supposée par le Nouveau Testament. Et, comme elle ne prive pas l'homme de sa liberté mais en est le guide intrinsèquement juste, ainsi la loi positive, toujours soutenue ou suggérée par la loi naturelle, protège les biens humains, dispose et suscite le bien commun, garantit contre toute interférence et tout abus éventuels cette autonomie inviolable et responsable de l'individu, en vertu de laquelle chaque être humain est capable de mettre fructueusement en oeuvre sa personnalité. Liberté et autorité ne sont pas des termes qui se contredisent, mais des valeurs qui se complètent. Leur concours réciproque favorise en même temps la croissance de la communauté et la capacité d'initiative et de développement de chacun de ses membres.

Le rappel du principe de l'autorité et de la nécessité d'une organisation juridique n'enlève rien à la valeur de la liberté et à l'estime dans laquelle elle doit être tenue. On doit plutôt souligner les exigences d'une protection sûre et efficace des biens communs, parmi lesquels celui qui est fondamental, l'exercice de la liberté elle-même que seule une société bien organisée peut garantir d'une manière adéquate. En effet, que vaudrait la liberté pour l'individu si elle n'était pas protégée par des règles sages et opportunes ? Le grand Cicéron affirmait avec raison : « Legum ministri magistratus, legum interpretes iudices, legum denique idcirco omnes servi sumus ut liberi esse possimus » (CICERON, Pro Cluentio, 146).

La structure hiérarchique de l'Eglise





La loi évangélique enfin se ramène à l'amour de Dieu et du prochain, mais elle se ramifie dans trois directions : dans la conscience qui devient plus développée et qui agit dans la liberté liée par la vérité, dans les multiples préceptes et vertus qui ne contraignent pas mais exaltent la liberté personnelle dans le respect de Dieu, de soi-même et du prochain, enfin dans les charismes de l'Esprit chez le fidèle, toujours docile cependant au pouvoir pastoral et à son service pour la construction du corps entier dans la charité (cf. Ep Ep 4,16).

b) Une seconde objection, qui voudrait justifier l'attitude antihiérarchique actuelle, fait appel à la liberté contre l’autorité. Ici aussi on fait appel à l'évangile. Or non seulement l'évangile n'abolit pas l'autorité, mais il l'institue et la fixe. Il la met au service du bien d'autrui, non pas parce qu'elle vient de la communauté et dans la mesure où elle en vient, comme si elle était sa servante, mais parce qu'elle vient d'en haut pour gouverner et juger, tirant son origine d'une intervention positive du Seigneur. En effet Jésus a voulu que son enseignement ne soit pas sujet à l'interprétation de chacun, mais qu'il soit confié à un pouvoir qualifié (cf. Mt Mt 28,16-20 Mc 16,15 Lc 24,45-48 Jn 20,21-23). Il a voulu que sa communauté soit structurée et assemblée dans l'unité, constituée par des organismes hiérarchiques, qu'elle soit un organisme social, spirituel et visible, une seule réalité complexe résultant d'un double élément, humain et divin (cf. Lumen gentium, LG 8). C'est pourquoi l'Eglise, étant aussi un fait social, exige et postule des structures et des règles extérieures avec les caractères propres du droit : ubi societas, ibi ius.

Si donc la primauté appartient à l'esprit et à la vie intérieure, l'insertion organique dans le corps ecclésial avec la soumission à l'autorité reste toujours un élément impossible à supprimer, voulu par le Fondateur même de l'Eglise. Le Concile a rappelé cela : « L'Eglise que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu'il en soit le pasteur, qu'il lui confia, à lui et aux autres apôtres, pour la répandre et la diriger, et dont il a fait pour toujours la "colonne et le fondement de la vérité" (1Tm 3,15). Cette Eglise, comme société constituée et organisée en ce monde, c'est dans l'Eglise catholique qu'elle se trouve, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui... » (Lumen gentium, LG 8). Le Droit canonique consacre la primauté de l'esprit comme sa propre suprema lex, mais répond également à la nécessité inhérente à l'Eglise comme communatué organisée. Il gravite autour des valeurs spirituelles, protège et sauvegarde scrupuleusement l'administration des sacrements qui sont au centre de ses règles, interdit de donner le baptême à un adulte qui ne soit pas « sciens et volens » (can. 752), il ne veut pas qu'entre et reste parmi les ministres sacrés celui qui n'a pas choisi librement l'état sacerdotal (canons 214, parag. 1 ; 1994, parag. 2), il ne considère pas comme valide le sacrement de mariage contracté sans libre consentement (can. 1087, parag. 1). Mais en même temps il ne tolère pas que le dépôt de la révélation soit altéré (canons 1322-1323), que les pouvoirs dans l'Eglise tombent dans la confusion, sans distinction des ordres et des fonctions ministérielles (canons 108, parag. 1-3 ; 948), que la libre initiative de chacun bouleverse l'ordre établi par le Christ et que les règles de la communia fidei, sacramentorum et disciplinae soient l'héritage et l'objet de pourparlers humains organisés par les seules initiatives de groupes qui n'ont aucune responsabilité qualifiée (canons 109, 218, 329). Le Droit canonique obéit à un précepte de fond qui, comme le dit saint Clément dans sa première lettre aux Corinthiens, part de Dieu et, par l'intermédiaire de Jésus-Christ, est confié aux apôtres qui « ensuite ont fixé la règle de succession en sorte qu'à leur mort d'autres hommes sûrs en recueillent le ministère » (1Co 42-44). La structure organique et hiérarchique marque donc l'organisation canonique comme loi constitutionnelle de l'Eglise voulue ainsi par le Christ pour le bien et le salut des hommes qui, libérés du péché et asservis à Dieu (Rm 6,22), sont appelés à vivre dans la plénitude de la vie de l'esprit.

Légitimité du pouvoir judiciaire



c) Une troisième objection fait appel à la liberté contre certaines formes anciennes ou trop discrétionnaires de l'exercice du pouvoir judiciaire. La discussion est ouverte à l'occasion de la révision du Code de Droit canonique. Tout, par exemple, se réfère à des mises en garde, à des condamnations, à des excommunications et porte la jalouse sensibilité actuelle à penser en termes de refus, comme si on était en face de vestiges d'un pouvoir absolu désormais dépassé. Cependant il ne faut pas oublier que le pouvoir coercitif est lui aussi fondé sur l'expérience de l'Eglise primitive, et déjà saint Paul en faisait usage dans la communauté chrétienne de Corinthe (1Co 5). Il suffit de la perspective de cette citation pour faire comprendre le sens pastoral d'une mesure si sévère, prise uniquement en vue de l'intégrité spirituelle et morale de l'Eglise tout entière et pour le bien du coupable lui-même : afin que l'esprit soit sauvé au jour de Notre Seigneur Jésus-Christ (ibid. 5, 5).

Cet exercice, dans la forme et la mesure convenables, est donc au service du droit de la personne comme du bon ordre de la communauté. Il entre donc dans le domaine de la charité et, dans cette lumière, il est considéré et présenté, dans le cas où des circonstances graves et proportionnées l'exigent pour le bien commun, avec la plus grande délicatesse et la plus grande compréhension envers ceux qui errent. Son application pratique est à l'étude, dans le but de le perfectionner toujours davantage pour l'adapter aux exigences du respect de la personne humaine, devenues aujourd'hui plus sévères et plus attentives, et pour l'insérer ainsi d'une manière plus harmonieuse dans la réalité sociologique moderne. Personne donc ne voudra contester la nécessité, l'opportunité et l'efficacité de cet exercice, inhérent à l'essence même du pouvoir judiciaire parce que, Nous l'avons dit, il est lui aussi l'expression de la charité qui est la loi suprême dans l'Eglise et, comme par la charité il agit pour la sauvegarde de la communauté ecclésiale, ainsi la charité en fait comprendre la nécessité à celui qui en est l'objet, lui en fait accepter avec une fructueuse humilité les pénibles conséquences médicinales.

8 Nous voudrions donc, non seulement pour vous, insignes appréciateurs de la loi et sages interprètes de ses règles, mais aussi pour tous Nos fils, répéter l'invitation du Concile dans le Décret déjà cité sur la liberté religieuse « à former des hommes qui, dans la soumission à l'ordre moral, sachent obéir à l'autorité légitime et aient à coeur la liberté authentique » (Dignitatis humanae, DH 8). Et Nous sommes très heureux que la rencontre d'aujourd'hui Nous ait permis de vous entretenir, bien que d'une manière fragmentaire, sur un problème si important et dont on parle tant.

Nous vous répétons, avec Notre satisfaction, l'exhortation paternelle qui jaillit de notre coeur en cette circonstance solennelle et toujours agréable : Remplissez votre office avec une haute conscience chrétienne, faites honneur à l'Eglise en répondant par un absolu dévouement à la confiance qui vous est accordée, servez les âmes avec humilité, avec amour et avec désintéressement. Que la grâce du Seigneur vous accompagne toujours et vous soit chaque jour une lumière, vous infuse la force nécessaire, vous donne une paix profonde.

C'est le souhait, que Nous formons pour vous de tout coeur à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire, et Nous l'accompagnons de Notre Bénédiction Apostolique.






Discours 1970