Discours 1974 19


A DES FAMILLES DE MILITAIRES ISRAÉLIENS

Mercredi 20 mars 1974




Nous vous accueillons avec émotion, et Nous sommes profondément sensible au geste de confiance que vous avez voulu accomplir à notre égard, tant en votre nom qu’au nom des autres parents et familles des militaires de votre Pays qui sont encore prisonniers depuis le conflit d’octobre dernier.

Vous nous avez manifesté votre grande peine pour l’éloignement de vos enfants. Comment ne pas penser aussi, en ce moment, à la douleur sans mesure de ceux qui n’ont pas même eu le réconfort de les savoir sains et saufs? Cet éloignement qui a tenu pendant de longs jours vos âmes dans l’anxiété, les maintient encore présentement dans l’angoisse; c’est là une peine qui fait partie des nombreuses blessures que provoque la guerre et qu’il est si difficile - quand c’est encore possible - de guérir.

Pour Nous, Nous avons pris déjà part à une telle souffrance et Nous sommes intervenus à plusieurs reprises pour contribuer à une solution positive du problème des prisonniers.

Nous voudrions vous dire, ainsi qu’à tous les parents que vous représentez, à ceux aussi qui, dans l’un et l’autre camp, ont été frappés par la perte ou par l’éloignement de ceux qui leur sont chers, ou qui ont dû quitter leurs maisons: Nous sommes près de vous par la douleur et Nous vous recommandons au Seigneur, Père plein d’amour pour tous, Lui qui a dit par la bouche de son prophète: «Moi, je suis celui qui vous console» (Is 51,12).

Nous formons des voeux pour que les Responsables, poussés par leur sens d’humanité, s’emploient dans toute la mesure et par tous les efforts qui sont possibles, à mettre fin au plus tôt à tant de souffrances. Et Nous voulons, une fois de plus, exprimer nos sentiments de réprobation pour le grand mal qu’est la guerre, et notre ardente aspiration à voir résoudre les causes qui l’entretiennent, dans un esprit de justice, de compréhension et de réconciliation.

20 Nous nous unissons de tout coeur à l’espoir que vous avez, vous et tous ceux que vous représentez, de pouvoir embrasser à nouveau vos fils; et Nous désirons que la poursuite positive et fructueuse des négociations rende possible bientôt l’échange des prisonniers et amène la solution de tous les problèmes humanitaires de la crise du Moyen-Orient, ce qui constituerait un pas en avant vers la paix tant souhaitée.


28 mars



ASSURER AUX HOMMES ET AUX PEUPLES UNE VIE PLEINEMENT HUMAINE





Le 28 mars dernier, S. E. M. le Cardinal Jean Villot, Secrétaire d’Etat, a reçu MM. Antoine Carrillo-Flores, Secrétaire Général de la Conférence Mondiale de la Population, et Raphaël Salas, Directeur Exécutif du Fond des Nations-Unies pour les Activités de la Population et responsable pour le programme de l’Année Mondiale de la Population.

Au terme d’un cordial entretien au sujet de l’activité de ladite Conférence, le Cardinal-Secrétaire d’Etat a remis à MM. Carrillo-Flores et Salas, une copie du discours que le Saint-Père aurait voulu leur adresser au cours d’une audience privée, qui n’a pu avoir lieu à cause de la légère indisposition du Pape. Voici le texte de cette allocution pontificale :



Messieurs,



Nous vous remercions tout d’abord d’être venus nous saluer. Vous avez désiré cette rencontre pour nous entretenir des hautes responsabilités dont l’Organisation des Nations Unies vous a chargés en rapport avec l’Année et la Conférence mondiale de la Population. Nous saisissons l’occasion qui nous est offerte pour vous dire l’intérêt avec lequel le Saint-Siège suit les efforts de la communauté internationale en faveur de la justice et de la paix.

Les activités multiples organisées dans le cadre de l’Année de la Population, et autour de la Conférence mondiale de la Population qui se tiendra à Bucarest au mois d’août prochain, ne peuvent pas laisser indifférent le Saint-Siège. Bien que la recherche de solutions aux problèmes posés par l’accroissement de la population demande, pour de longues années encore, un engagement généreux de tous les hommes de bonne volonté, l’Année et la Conférence mondiale de la Population constituent des circonstances particulièrement importantes pouf sensibiliser l’opinion mondiale aux besoins des hommes et des peuples.

Quand l’Eglise s’intéresse aux problèmes de la population c’est avant tout par fidélité à sa mission. Ce souci s’inscrit dans son engagement pour la promotion du bien intégral, matériel et spirituel, de tout l’homme et de tous les hommes. Elle sait que la population, ce sont les hommes, les personnes humaines. Dépositaire d’une révélation dans laquelle l’Auteur de la vie nous parle de l’homme, de ses besoins, de sa dignité, de son destin humain et spirituel, l’Eglise prend à coeur tout ce qui peut servir l’homme, mais elle se préoccupe aussi de tout ce qui peut compromettre la dignité profonde et la liberté de la personne humaine.

Nous savons que le nombre croissant des hommes, dans l’ensemble du monde et dans certains pays en particulier, constitue un défi pour la communauté des peuples, comme pour les gouvernements. Les problèmes de la faim, de la santé, de l’éducation, du logement et de l’emploi deviennent plus difficiles à résoudre quand la population s’accroît plus rapidement que les ressources disponibles.

Pour certains, la tentation est grande de se croire enfermés dans une impasse et de vouloir freiner l’accroissement de la population par des mesures radicales, souvent peu conformes aux lois inscrites par Dieu dans la nature de l’homme et peu respectueuses de la dignité de la vie humaine et de la juste liberté des hommes. De telles mesures sont parfois fondées sur une conception matérialiste du destin de l’homme.

Les vraies solutions, et nous dirions, les seules, seront celles qui tiennent compte de l’ensemble des réalités : des requêtes de la justice sociale aussi bien que du respect des lois divines de la vie, de la dignité de la personne aussi bien que de la liberté des peuples, du rôle primordial de la famille aussi bien que de la responsabilité propre des époux (cf. Populorum Progressio, PP 37 Populorum Progressio, 37 ; Humanae Vitae, HV 23 Humanae Vitae, 23 ; 31).

21 Nous ne voulons pas répéter ici en détail les principes qui sont à la base de la position de l’Eglise dans le domaine de la population, et qui ont été exprimés clairement dans la Constitution Gaudium et Spes du Concile Vatican II et dans nos Encycliques Populorum Progressio et Humanae Vitae. Ces documents, dont vous connaissez la teneur, manifestent combien l’enseignement de l’Eglise en matière de population est ferme et nuancé à la fois, soucieux des principes et en même temps profondément humain dans son approche pastorale.

Aucune pression ne devra faire dévier l’Eglise vers des compromis doctrinaux ou des solutions à courte vue. Certes, il ne lui revient pas de proposer des solutions d’ordre purement technique. Son rôle est de témoigner de la dignité et du destin de l’homme, de permettre à celui-ci de s’élever moralement et spirituellement. L’enseignement de l’Eglise, que nous ne cessons de réaffirmer, aide les fidèles à mieux comprendre leur responsabilité propre et la contribution qu’ils sont appelés à fournir à la solution de ces problèmes. Dans une telle recherche, ils ne doivent pas se laisser influencer par les affirmations des personnes ou des groupes qui prétendent rendre compte de la position de l’Eglise en omettant certains aspects essentiels de la doctrine du Magistère authentique.

L’Eglise a toujours insisté, et elle le fait encore aujourd’hui, sur la nécessité de traiter des problèmes de la population en considérant avec objectivité leurs aspects multiples, qui sont certes économiques et sociaux, mais surtout humains.

En effet, la discussion des problèmes de la population met en cause la finalité même de la personne humaine. La volonté créatrice et rédemptrice de Dieu sur l’homme peut être reconnue, confirmée ou refusée dans un débat qui touche l’existence même de l’homme. Cette existence de l’homme n’est vraiment humaine que dans la mesure où « maître de ses actions et juge de leur valeur, il est lui-même auteur de son progrès, en conformité avec la nature que lui a donnée son Créateur et dont il assume librement les possibilités et les exigences » (Populorum Progressio,
PP 34).

Tout programme de population doit donc se mettre au service de la personne humaine, « pour réduire les inégalités, combattre les discriminations, libérer l’homme de ses servitudes, le rendre capable d’être lui-même l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès moral, et de son épanouissement spirituel » (ibid., 34). Aussi faut-il écarter tout ce qui s’oppose à la vie elle-même ou qui blesse la personnalité libre et responsable de l’homme.

Toute politique de population doit garantir aussi la dignité et la stabilité de l’institution familiale en assurant les moyens qui permettent à la famille de jouer son vrai rôle. La cellule familiale est au service d’une vie pleinement humaine; elle est au point de départ d’une vie sociale équilibrée, dans laquelle le respect de soi est inséparable du respect d’autrui. Les époux doivent donc exercer leurs responsabilités en reconnaissant pleinement leurs devoirs envers Dieu, envers eux-mêmes, envers la famille et envers la société, dans une juste hiérarchie des valeurs. La décision relative au nombre des enfants à mettre au monde dépend de leur jugement droit et ne peut pas être laissée à la discrétion de l’autorité publique. Mais comme ce jugement suppose une conscience bien formée, il est important que soient réalisées toutes les conditions qui permettront aux parents d’accéder à un niveau de responsabilité conforme à la morale et vraiment humain qui, sans négliger l’ensemble des circonstances, tienne compte de la loi divine (cf. Humanae Vitae, HV 10 Humanae Vitae, 10 ; Gaudium et Spes, GS 50 et 87).

Un des grands thèmes qui doit être examiné est donc celui de la justice sociale. Une vie pleinement humaine, en liberté et en dignité, sera assurée à tous les hommes et à tous les peuples quand les ressources de la terre auront été partagées plus équitablement, quand les besoins des moins privilégiés se verront accorder une priorité effective dans la distribution des richesses de notre planète, quand les riches — individus aussi bien que collectivités — se seront engagés dans un effort nouveau d’aide et d’investissement en faveur des plus dépourvus.

L’Année de la Population devrait annoncer une renaissance de l’engagement de tous en faveur d’une pleine justice dans le monde, afin d’oeuvrer ensemble pour édifier l’avenir commun de l’humanité (cf. Populorum Progressio, PP 43).

On entend souvent affirmer que, pour rendre possible le développement des pays moins privilégiés et garantir aux générations futures un environnement sain, une vie digne de l’homme, l’accroissement de la population doit être freiné radicalement et qu’il incombe aux pouvoirs publics de s’en occuper.

Les pouvoirs publics, dans les limites de leur compétence, peuvent certes intervenir en développant une information appropriée, et surtout en prenant les mesures adaptées au développement économique et au progrès social, capables de sauvegarder et de promouvoir les vraies, valeurs humaines, individuelles et sociales, dans le respect des lois morales (cf. Mater et Magistra, AAS, 53, 1961 p. 447 ; Populorum Progressio, PP 37 Populorum Progressio, 37 ; Humanae Vitae, HV 23).

Messieurs, l’attitude fondamentale de l’Eglise en cette Année de la Population est une attitude d’espérance. L’histoire du monde prouve — et l’Eglise en a été la témoin au long des siècles — que l’homme peut réussir à trouver des réponses justes aux questions qui se posent quand il engage toute sa créativité, tous ses dons d’intelligence et de coeur dans une collaboration sincère en faveur de ses frères, pour assurer à tous une vie vraiment humaine dans la liberté et la responsabilité.

22 L’espoir de l’Eglise est fait, bien sûr, de réalisme mais aussi de la certitude que le champ du possible peut toujours grandir quand on marche avec Dieu.






AUX DIRIGEANTS DES COMMUNICATIONS SOCIALES DE L’EUROPE ET DE L’AMÉRIQUE DU NORD

Lundi 8 avril



CONTRIBUTION DE LA RADIO ET DE LA TÉLÉVISION AUX CÉLÉBRATIONS DE L’ANNÉE SAINTE





Le 8 avril 1974 le Saint-Père a reçu les dirigeants des organismes de radio et de télévision de 16 pays d’Europe et d’Amérique du Nord, invités à Rome par la Commission Pontificale pour les Communications Sociales.

Le Souverain Pontife a adressé le discours suivant à ses visiteurs :



En vous accueillant aujourd’hui, Messieurs, malgré le programme particulièrement lourd de la Semaine Sainte, nous voulons donner un nouveau témoignage de l’intérêt du Saint-Siège pour les instruments de la Communication Sociale, et vous redire combien nous sommes conscient de leur immense importance pour la formation de la mentalité de l’homme d’aujourd’hui. Nous voulons aussi vous dire notre estime personnelle, notre confiance, et faire un appel à votre responsabilité et à votre compétence en vue de la toute proche Année Sainte.



Quiconque réfléchit tant soit peu aux transformations du monde moderne ne peut manquer d’être frappé par celle qui saute aux yeux de tous : la place prise, dans la vie des hommes, en quelques années, par les techniques audio-visuelles. Non seulement les appareils de radio et de télévision ne sont plus un article de luxe, réservé à un public d’une certaine élévation sociale et culturelle : ils sont devenus le bien de tous, un objet qui fait partie, pour ainsi dire, du mobilier de la famille : de celle de l’ouvrier comme de celle du dirigeant d’entreprise ; un instrument dont le langage est accessible à l’illettré aussi bien qu’à l’homme de haute culture. Dans les vastes zones recouvertes par la civilisation industrielle, ces techniques font partie de la vie, s’y intègrent, influent sur son déroulement. Ceux qui les dirigent sont devenus, en quelque sorte, les docteurs et les maîtres de ce monde de l’audition et de l’image, ils constituent désormais une nouvelle catégorie parmi les « pédagogues » de l’humanité.

Quelle responsabilité cela entraîne, tout le monde le voit sans peine. Nos prédécesseurs immédiats et nous-même y avons insisté dans de multiples documents, dont les principaux vous sont sans doute connus. Mais on peut se demander si cette responsabilité ne se trouve pas devoir faire face aujourd’hui à un fait nouveau. Il semble que l’accélération du rythme des sensations audio-visuelles amène une sorte de saturation, engendre une certaine lassitude, aboutit à une certaine déconvenue. L’exploration de toutes les possibilités imaginables en ce domaine fait prendre conscience qu’elles n’apportent pas à l’homme une satisfaction totale, qu’elles n’apaisent pas ses aspirations les plus profondes. C’est qu’elles laissent, hélas ! trop souvent de côté — et parfois offensent gravement — les exigences qui sont le plus enracinées dans l’âme humaine : les exigences morales et religieuses. Et c’est sans doute ce qui explique le succès de certaines émissions où est présenté, dans un relief saisissant, l’aspect tragique de la destinée humaine ; où sont abordés les problèmes fondamentaux pour l’homme : celui de son origine et de sa fin, le mystère du gouvernement du monde — hasard ou Providence —, le problème du mal. L’homme se sent alors concerné, non dans une zone superficielle de son être, mais dans sa réalité profonde.



En vous invitant à considérer, au point de vue des « mass-media », la perspective de l’Année Sainte, nous vous suggérons, par le fait même, d’être attentifs à cette exigence profonde de l’homme moderne, et aux moyens de la satisfaire. Et nous croyons répondre au véritable bien de l’humanité — qui est, vous le savez, le grand souci de l’Eglise — en vous invitant à faire une large place, dans vos émissions, au grand événement social et religieux que va constituer l’Année Sainte 1975.

Vous en étudierez les modalités avec notre Commission Pontificale pour les Communications Sociales. Pour notre part, nous voudrions insister seulement sur l’entière disponibilité du Saint-Siège, sur son désir de favoriser au maximum votre travail, sur son intention de vous fournir toute l’aide et la collaboration que vous êtes en droit de nous demander.

Il est facile, pensons-nous, de discerner dans cette collaboration une convergence d’intérêts : c’est l’intérêt de l’Eglise que les mass média fassent un large écho aux finalités de l’Année Sainte et à ses principales manifestations ; c’est votre intérêt que la collaboration la plus ouverte vous soit assurée dans ce but ; c’est encore et surtout, pensons-nous, l’intérêt de l’homme moderne, en proie à tant d’angoissants problèmes, à tant d’insatisfactions et d’incertitudes, c’est l’intérêt de toute la société, que lui soient largement ouvertes les sources d’un renouveau spirituel, auquel elle aspire sans en avoir toujours conscience, et que l’Année Sainte se propose de lui apporter.

L’événement, vous le voyez, dépasse de beaucoup, dans notre intention, les frontières de l’Eglise catholique. Il concerne et voudrait atteindre le plus grand nombre possible d’hommes de bonne volonté : cela dépendra, après la grâce de Dieu, de l’efficacité des mass média qui sont entre vos mains !

23 C’est vous dire, Messieurs, de quel coeur nous vous accueillons aujourd’hui. En formant des voeux fervents pour qu’ensemble nous puissions travailler utilement au véritable bien de l’humanité, nous invoquons sur vos personnes, sur vos familles, et sur vos activités en vue et au cours de l’Année Sainte l’abondance des divines bénédictions.








20 avril



DISCOURS DU SOUVERAIN PONTIFE AUX PARTICIPANTS DU CONGRÈS THOMISTE





Le 20 avril dernier le Saint-Père a rendu visite aux congressistes réunis à l’Université Saint-Thomas d’Aquin à Rome pour célébrer le VII° centenaire de la mort du saint Docteur. De nombreuses personnalités s’étaient jointes aux congressistes pour rendre hommage à Paul VI et notamment LL. EE. Messieurs les Cardinaux Confalonieri, Marella, Seper, Garrone, Wojtyla, Poletti, Staffa, Philippe, Vagnozzi et Mozzoni. Etaient également présents plusieurs ministres italiens et de nombreux diplomates accrédités près le Saint-Siège.

Paul VI a prononcé, en langue italienne, un discours dont voici la traduction :





Nous sommes très heureux d’être ici au milieu de vous, alors que vous êtes réunis pour célébrer le souvenir de Saint Thomas d’Aquin, en ce VII° centenaire de sa mort. Nous nous réjouissons pour l’honneur ainsi rendu à ce Saint Docteur et pour la signification qu’un hommage aussi autorisé, venant de personnes aussi nombreuses, peut revêtir pour l’Eglise de Dieu et pour la culture du monde contemporain. Cette assemblée atteste en effet la grandeur de Saint Thomas sous un triple aspect; son énergie morale totalement consacrée à montrer et faciliter la route qui conduit l’esprit humain jusqu’à Dieu (cf. St. TH., XV, 1, 633) ; sa science philosophique si exaltée par notre grand Prédécesseur Léon XIII dans son Encyclique bien connue Aeterni Patris du 4 août 1879 (cf. Acta, PP 225-284); sa spéculation théologique qui, selon ce célèbre document pontifical et la confirmation de l’histoire, place l’Aquinate parmi les plus grands maîtres de la pensée religieuse. Notre satisfaction augmente en voyant dans l’hommage rendu au Maître insigne du Moyen-Age, non seulement une reconnaissance de sa personnalité de premier plan et de l’influence profonde et décisive de ses travaux sur la pensée de son temps et des siècles suivants, mais aussi un témoignage clair et significatif en faveur de l’actualité de Saint Thomas.

Votre présence, chers Messieurs, illustres Professeurs et valeureux hommes de science, prouve que la voix de Saint Thomas d’Aquin n’est pas un simple écho d’outre-tombe, comme celle de tant d’autres penseurs éminents qui font la joie de la culture moderne, soucieuse de les mieux situer dans l’histoire, de déchiffrer l’effort intellectuel qu’ils accomplirent pour pénétrer les secrets de l’univers, de retrouver dans leurs spéculations personnelles des expressions très riches dans leur originalité et leur élégance. Votre présence démontre surtout que cette voix de l’incomparable fils de Saint Dominique parle encore à nos esprits, comme la voix d’un maître vivant, dont il est précieux d’entendre l’enseignement en raison de son contenu toujours valable et actuel. Beaucoup parmi vous en reconnaissent l’urgent besoin, un besoin qu’on ne saurait laisser dans l’ombre.

En ces brefs moments nous n’avons pas l’intention d’apporter une contribution aux très intéressants et très nombreux rapports qui ont été donnés ici grâce à votre culture surabondante et consommée. Nous gardons plutôt l’espérance que ces nombreuses et excellentes études, rassemblées dans une publication adéquate, nous pourrons y accéder, nous aussi, en partie du moins, dans les quelques moments libres de notre lourd ministère. Nous voulons surtout louer et encourager l’intérêt que vous portez à Saint Thomas. Nous estimons en effet d’un grand prix le souci que vous avez de votre travail intellectuel, utile à vos propres personnes, candidates plus que toutes autres à la conquête de cette suprême Sagesse qui coïncide avec la Vie véritable.

Nous ne voudrions pas cependant manquer l’occasion opportune qui nous est offerte de rappeler à vos élèves, sinon à vous-mêmes, artisans qualifiés de la pensée, combien il peut être utile aujourd’hui de s’asseoir à l’école de Saint Thomas, et aussi — en raison de leur commun mérite — à l’école d’autres Scolastiques éminents, pour apprendre, avant toute autre science, l’art de bien penser. Nous nous limitons, en ce moment, à soulever une question de méthode, de pédagogie intellectuelle. « Travailler à bien penser » nous conseille Pascal (cf. Pensées, 347), c’est-à-dire qu’il faut prêter attention à la logique. Nous entendons la logique au sens large et vrai : l’usage rigoureux et honnête de l’intelligence dans la recherche de la vérité des choses et de la vie. Pourquoi cette recommandation ? Parce que nous craignons que les facultés cognitives de la nouvelle génération soient trop tentées de se satisfaire de la facilité et de l’affluence des connaissances sensibles phénoméno-scientifiques, c’est-à-dire extérieures à l’esprit humain et détournées de l’effort systématique et absorbant qui consiste à remonter jusqu’aux raisons supérieures aussi bien du savoir que de l’être. Nous craignons une carence de la philosophie, de l’authentique, capable de soutenir aujourd’hui la pensée humaine, soit dans l’effort scientifique cohérent et progressif, soit surtout dans la formation de l’esprit à percevoir la vérité en tant que telle. C’est elle qui peut donner à l’esprit humain l’ampleur et la profondeur de vues auxquelles il est aussi destiné, avec le danger de ne pas rejoindre les connaissances suprêmes, cependant élémentaires et fondamentales, qui sont susceptibles de l’aider à réaliser son véritable destin et à entrer dans la connaissance du monde divin, indispensable même si elle n’est qu’un commencement. Nous sommes certain qu’un exercice correct, honnête et rigoureux de la pensée philosophique prédispose l’esprit à accueillir également le message surnaturel de la lumière divine qui s’appelle la foi. Le Seigneur le dit : « Celui qui agit dans la vérité, vient à la lumière » (Jn 3,21).

L’école de Saint Thomas peut nous servir de propédeutique élémentaire mais providentielle de cet alpinisme intellectuel aussi bien philosophique que théologique, qui exige, certes, le respect des lois de la pensée, dans l’analyse comme dans la synthèse, dans la recherche inductive comme dans la conclusion déductive. Ce respect est indispensable pour atteindre les sommets de la vérité et pour épargner à l’esprit humain les vaines expériences de constructions illusoires et souvent fragiles. Il est encore un autre objectif toujours au plan didactique, mais très important dans l’ordre de la pensée. C’est celui qui consiste a habituer le disciple — et face au savoir, nous sommes tous des disciples — à raisonner en vertu des principes subjectifs de la vérité et des principes objectifs de la réalité et non selon des formules que la culture au goût du jour, souvent favorisée par de nombreux facteurs extérieurs et occasionnels, impose à la mentalité passive d’un milieu donné ou d’un moment de l’histoire. Cela peut paraître étrange, mais c’est ainsi: le grand Maître Saint Thomas, loin de priver l’élève de ses capacités personnelles et originales de connaissance et de recherche, réveille plutôt « l’appétit de la vérité » qui assure à la pensée une fécondité toujours nouvelle et à l’étudiant son authentique personnalité.

Il y aurait trop à dire sur ce sujet. Ces quelques observations suffisent pour vous assurer de notre estime, vous qui avez le culte des études thomistes, et pour encourager votre travail considérable et multiforme: vous y trouverez un approfondissement de la pensée, surtout de la pensée philosophique; vous y trouverez aussi un aliment indispensable à la pensée religieuse, à la foi qui ne s’oppose pas à la raison mais a besoin d’elle. Elle reste en effet très juste cette affirmation de Saint Thomas : « Credere est cum assensu cogitare » (II-IIae 2, 1).

A tous, nous accordons notre Bénédiction.








9 mai



POUR LA DÉFENSE ET POUR LA PROMOTION RELIGIEUSE, MORALE, CIVILE, SOCIALE, JURIDIQUE DE LA FAMILLE





24 Le 9 mai dernier, Paul VI s’est rendu au Centre connu sous le nom de « Domus Aurea », où, il y a quelques semaines, la Conférence Episcopale Italienne a établi son nouveau Siège. Cette visite du Saint-Père inaugurait la nouvelle destination de l’édifice, construit il y a quelques années pour les organisations de l’Apostolat des Laïcs.

Accueilli à son arrivée par le Président, le Cardinal Antonio Poma, par le Vice-Président et par le Secrétaire de la C.E.I. Mgr Bartoletti, Paul VI s’est rendu à la Salle des Conférences où se trouvaient réunis, le Conseil de Présidence de la C.E.I., les Présidents des Conférences Régionales et le personnel employé dans les services du Centre National. Le Saint-Père a prononcé un discours dont voici notre traduction :



Nous sommes heureux de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui de rencontrer et de saluer le Conseil Permanent de la Conférence Episcopale Italienne au nouveau siège que celle-ci s’est assignée. Nous remercions cordialement Monsieur le Cardinal Poma, Président de la C.E.I., pour les aimables paroles qu’il vient de nous adresser au nom du Conseil Permanent et de l’Episcopat Italien tout entier ; nous formons des voeux pour que l’hospitalité trouvée dans cet édifice consacré à l’apostolat catholique dès le début, puisse modestement, mais pratiquement favoriser l’activité qui lui est propre et dont nous connaissons le croissant développement organique imposé par les nouveaux et complexes problèmes d’un ministère pastoral conçu selon les besoins et selon les critères de notre temps.

Au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis l’institution de la C.E.I., et principalement depuis 10 ans, depuis la fin du Concile, l’oeuvre que celle-ci a réalisée s’est déjà révélée très sage et féconde dans l’application, d’abord occasionnelle et expérimentale, puis programmée et organisée, de l’élémentaire et grand principe de l’union à l’échelle nationale ; c’est là une manifestation locale — et partant incomplète — de la collégialité universelle de l’Episcopat, à laquelle la récente réflexion doctrinale du Concile a donné un suffrage si ample et si lumineux, tout en réaffirmant la fonction de Pierre comme « principe et fondement perpétuel et visible de l’unité de la foi et de la communion » (Lumen Gentium,
LG 18).

C’est pourquoi, pensons-nous, l’Union des Evêques Italiens peut trouver dans cette demeure, en même temps que son expression symbolique, un centre opérationnel pour un travail efficient et un instrument de concorde facile et exemplaire; une maison de frères, en somme ; un atelier d’activité intense, un cénacle d’ardente spiritualité. Cette union n’enlève certainement rien à l’autorité propre des Evêques dans l’accomplissement responsable et original de leur ministère pastoral ; au contraire, elle invite leur sagesse personnelle à offrir une contribution libre et fraternelle à la préparation préalable des programmes communs, mais elle réclame ensuite, souvent avec un généreux concours et parfois aussi au prix d’un déférent et loyal sacrifice des propres vues personnelles, un effort de conformité, de collaboration, de solidarité dans l’exécution des plans d’action élaborés, avec autorité, en commun. Comme dans un concert symphonique, la charité collégiale requiert une harmonie parfaite d’où découlent sa force morale, sa beauté spirituelle, son exemplarité sociale. La charité collégiale, non moins qu’un concert artistique, exige et provoque ce qui lui est souverainement propre, l’union et, plus exactement, au sommet, l’unité. Et ce que nous disons pour nous, Evêques de l’Eglise de Dieu, nous le recommandons à nos bien-aimés Prêtres, qu’ils soient diocésains ou religieux. Citons encore une fois la célèbre comparaison de Saint Ignace d’Antioche : vestrum presbyterium Deo dignum, sic concordatum est episcopo ut chordae citharae (Ad Ep, IV).

Et, de l’activité qui place ici son centre laborieux, nous voyons se dégager un visage renouvelé de l’Eglise Italienne, où les lignes maîtresses de sa tradition catholique rajeunissent et se revigorent sous le souffle intérieur de l’Esprit conciliaire et sous la pression extérieure de nécessités pastorales toujours nouvelles. C’est tout spontanément que l’on observe combien votre oeuvre est en train déjà d’imprimer à cette ancienne et complexe communauté ecclésiale italienne des marques unitaires et robustes de vitalité nouvelle, grâce à des documents remarquables tant pour leur fidélité au déposition apostolique que pour leur actualité de dialogue avec le monde moderne; rappelons par exemple, votre affirmation au sujet du « droit à la naissance » (3-1-72) ; l’instauration du diaconat permanent en Italie (25-2-72) ; la note programmatique sur la catéchèse (avril 73) ; le plan pastoral pour les vocations (août 73) ; le document préparatoire au prochain Synode des Evêques (24-2-1974) et spécialement ceux concernant l’Année Sainte (1-11-1973) et l’Evangélisation et les Sacrements (12-7-1973) qui promettent une action ample et simultanée, animatrice d’une orientation religieuse très élevée et sûre, prête à répandre sa lumière spirituelle et son énergie fortifiante sur la vie morale du peuple et sur ses aspirations socioculturelles. On verra ainsi, avec l’aide de Dieu, combien la religion catholique, professée avec une parfaite authenticité de foi dans ses charismes intérieurs et avec la simplicité et la virilité des résolutions humaines, peut concourir à conférer à un peuple, travailleur et aimable — comme l’est le peuple italien — mais qui a encore besoin de fraternité intérieure et progressive et de progrès civil et économique, une physionomie plus franche de forte jeunesse et de naturelle bonté.

Nous nous réjouissons de ce bon travail et nous remercions tous ceux qui en ont le mérite ; nous l’encourageons de tous nos voeux paternels et fraternels et nous l’assistons de nos prières.

Nous ne pouvons en ce moment passer sous silence notre pleine adhésion à la position que — par fidélité à l’Evangile et au constant Magistère de l’Eglise Universelle, — l’Episcopat Italien a prise dans les circonstances actuelles pour la promotion religieuse, morale, civile, sociale et juridique de la Famille. L’affirmation que Vous, Pasteurs sages et responsables de toute la communauté ecclésiale italienne, vous avez faite au sujet de l’indissolubilité du mariage, fondée sur la Parole du Christ et sur l’essence même de la société conjugale, exige également de nous, et de nous en premier lieu, une franche confirmation, qui n’est suggérée par aucune considération unilatérale de la question et ne veut avoir aucune résonance polémique, mais prétend reconnaître publiquement l’autorité de votre notification pastorale et veut, en même temps, avec respect et confiance à l’égard de tous ceux qui ont à coeur la plénitude inconditionnelle de l’amour entre les époux, la solidité de l’institution familiale, la protection obligatoire et l’éducation amoureuse des enfants par leurs parents, reproposer un thème plus important que jamais.

De toute manière, cette question fondamentale de la Famille, nous la recommandons vivement — stimulé aussi par les contingences actuelles — à votre charité pastorale également pour l’avenir, et nous ne mettons pas en doute le fait que les Familles elles-mêmes, les premières, les Autorités publiques et tous ceux qui ont des rapports avec les milieux de l’éducation, de l’assistance sanitaire, juridique et civile, voudront accorder au foyer domestique, principalement à celui qui a le plus besoin d’aide et de soin, l’intérêt le plus sage et le plus empressé.

C’est cela que nous souhaitons pour votre mission comme pour le bien commun public.

Aujourd’hui, chaque question assume de grands et nouveaux aspects qui, en soi, effrayent notre pauvre et craintive âme humaine ; mais en même temps réveillent cette charité qui « urget nos » et accroît l’humble audace de notre activité pastorale, multipliant en nous cette confiance que le Christ, pour nous mort et ressuscité, nous assure.

25 Qu’il en soit ainsi, avec notre fraternelle et Apostolique Bénédiction.







Discours 1974 19