Discours 1972 15

À L’AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE SOCIALISTE


FÉDÉRATIVE DE YOUGOSLAVIE


PRÈS LE SAINT-SIÈGE*


Lundi 28 février 1972




Monsieur l’Ambassadeur,

Nous remercions Votre Excellence de ses aimables paroles et Nous sommes heureux de lui souhaiter la bienvenue en cette circonstance solennelle où elle nous présente les Lettres qui l’accréditent comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie auprès du Saint- Siège.

Nous savons la longue expérience que vous avez eu l’occasion d’acquérir et de mettre en oeuvre dans les postes diplomatiques qui vous furent confiés. Celui auquel vous accédez maintenant présente un caractère assez particulier dans le concert des nations. Votre mission, à laquelle Nous souhaitons le meilleur succès, s’ouvre sous d’heureux auspices, au lendemain d’une période qui a enregistré de notables développements dans les relations mutuelles entre votre pays et le Saint-Siège.

Nous agréons avec satisfaction les sentiments dont Son Excellence Monsieur le Président de la République vous a chargé d’être l’interprète. Nous sommes loin d’oublier sa visite, et Nous vous confions le soin de lui exprimer les voeux sincères que Nous formons pour lui comme pour la prospérité et le bonheur de toutes les populations yougoslaves. Celles-ci, vous le savez, nous demeurent bien chères à plusieurs titres. Nous avons grande estime pour leur histoire passée, si riche de valeurs humaines, culturelles et religieuses; et Nous avons aussi très présents à l’esprit les événements qui marquent leur vie présente. Il Nous est bien agréable, en cette circonstance, de manifester, par-delà votre personne, l’estime et la bienveillance que Nous éprouvons à leur endroit.

Nous sommes très attentif aussi aux préoccupations de votre Gouvernement, notamment en ce qui concerne le règlement pacifique des conflits et l’établissement d’une paix durable entre les nations. Il est évident qu’une telle paix ne peut se fonder que sur la justice, dans le respect des droits imprescriptibles des personnes et des minorités, et avec le souci d’harmoniser l’épanouissement de chacun avec le bien commun du pays, de l’Europe ou de l’ensemble des peuples.

Parmi ces droits et ces éléments de paix, l’Eglise est soucieuse avant tout du respect des consciences et des communautés religieuses. C’est d’ailleurs notre conviction et notre expérience: la paix religieuse qui résulte d’un tel respect constitue un signe, un stimulant et un facteur important de progrès dans tous les domaines, puisqu’elle est liée, de la façon la plus profonde, à la dignité, à la liberté et au dynamisme intime des personnes.

De la même façon, tout ce qui est bon et grand, tout ce qui est honnête et juste, tout ce qui a contribué et contribue aujourd’hui au véritable développement humain, sur le plan économique, social, culturel, artistique, moral, spirituel, intéresse vraiment l’Eglise: elle est prête à le défendre, à la valoriser, à le promouvoir. En ce sens, elle invite ses fils, les croyants, à coopérer loyalement avec tous les hommes de bonne volonté pour la construction d’un monde toujours meilleur, plus juste et plus fraternel. Pour elle, dans une civilisation digne de ce nom, toutes les personnes et tous les éléments constitutifs des peuples trouvent leur place, apportent librement leur part originale de travail, de responsabilité, d’humanisme, de culture et de foi, et sont associés à l’oeuvre commune. C’est dans cet esprit que Nous formons des voeux cordiaux pour la paix et le bien-être de chaque nation, et de chaque association internationale en attendant de voir cette coopération féconde s’étendre et se réaliser aux dimensions mêmes de l’univers, selon le plan du Créateur sur la famille humaine.

Telles sont, Votre Excellence le sait, les préoccupations constantes du Saint-Siège, tel est l’ideal qui nous anime dans nos relations avec ceux qui tiennent en mains le destin des peuples, et avec leurs représentants. Heureux de la compréhension que Nous avons déjà rencontrée auprès des autorités de votre pays, Nous ne doutons pas, Monsieur l’Ambassadeur, que votre mission ne contribue à instaurer des rapports toujours plus fructueux pour la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie comme pour l’Eglise catholique. Et en vous redisant nos meilleurs souhaits, Nous appelons les bienfaits de Dieu sur votre personne, ceux qui vous sont chers et toutes les populations yougoslaves.



16 *AAS 64 (1972), p.230-232;

Insegnamenti di Paolo VI, vol. X, p.195-197;

OR 28-29.2.1972, p.1, 2;

ORf n.10 p.4;

DC n.1605 p.260.





AUX MEMBRES DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE


L’«ENTE NAZIONALE PER LA PROTEZIONE


E L’ASSISTENZA DEI SORDOMUTI»


Lundi 13 mars 1972




Messieurs, Mesdames,

Vous avez manifesté le désir de Nous rencontrer à l’occasion de cette réunion de travail qui vous rassemble en ce moment à Rome. Nous vous remercions de cette démarche délicate et sommes Nous-mêmes heureux d’exprimer aux experts de ce Comité, comme aux membres du Conseil d’Administration de l’«Ente nazionale per la protezione e l’assistenza dei sordomuti» - dont Nous saluons cordialement le Président, le Docteur Cesare Magarotto - notre profonde estime et nos vifs encouragements.

Vous préparez la publication et la diffusion d’un manuel d’assistance technique sur l’organisation des services en faveur des sourds. Conscient de la large expérience et de la compétence technique que vous apportez à cette entreprise, Nous souhaitons particulièrement que cette initiative contribue au soulagement effectif de ces infirmes et au réconfort de leurs familles.

Est-il besoin d’insister à nouveau sur l’intérêt que nous manifestons pour une telle oeuvre ? Par l’entremise de notre Cardinal Secrétaire d’Etat, Nous avons déjà eu l’occasion d’en adresser le témoignage aux participants du sixième Congrès de la Fédération Mondiale des Sourds, laquelle célébrait l’an dernier le vingtième anniversaire de sa fondation.

Aujourd’hui Nous vous exprimons notre satisfaction de voir attachés à la même tâche humanitaire les experts de pays si divers, seulement soucieux, en cette circonstance, de faire progresser une prise de conscience internationale en ce qui concerne la misère de la surdité, et de mettre en oeuvre, pour leurs compatriotes comme pour leurs frères infortunés du monde entier, des mesures adéquates d’assistance. Il nous plaît également de savoir que l’Organisation des Nations Unies prend soin de patronner et d’aider une telle initiative. Ces faits positifs sont à l’honneur de la famille humaine.

17 Oui, Nous vous encourageons Nous-mêmes à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour accélérer le dépistage précoce de la surdité, pour étudier les problèmes médicaux et psychologiques qui sont en cause, favoriser l’équipement des centres d’assistance, faire accéder ces infirmes, autant que faire se peut, à la culture et à une formation professionnelle, bref pour rompre les barrières qui trop souvent mettent les sourds à l’écart de la vie sociale et de l’évolution du monde. Nous nous réjouissons à la pensée de ce bonheur, de cette possibilité de communication, de participation, disons de cette dignité humaine, qui seront ainsi rendus à ces infortunés. Et sachant bien qu’une telle oeuvre dépasse les forces des intéressés et de leurs familles, s’ils sont laissés à eux-mêmes, bien qu’ils doivent eux aussi y prendre une part active, Nous avons grande confiance dans ces efforts de solidarité élargie et cette prise en charge commune dont Nous sommes témoin.

Cette sollicitude pour ceux qui n’entendent pas, le Christ l’a manifestée lui-même au plus haut point. Il les a accueillis, guéris; il leur a donné l’espérance; il a proclamé pour eux spécialement la Bonne Nouvelle, à savoir que Dieu voulait leur salut. Nous qui avons mission de donner écho à ce Témoignage de la Bonté de Dieu, Nous désirons de toute notre ardeur contribuer à combler cette attente des sourds, pour que leur corps, leur esprit et leur coeur soient ouverts au concert de la vie du monde et de leurs frères humains, comme aux réalités de la Vie divine à laquelle Dieu les appelle. C’est dans cet esprit que Nous exhortons nos Fils à favoriser la réalisation de ce grand dessein, avec tous les hommes de bonne volonté.

De tout coeur, Nous vous redisons nos voeux fervents pour la fécondité de vos travaux et Nous implorons sur vous et vos familles, sur ceux qui collaborent avec vous dans l’assistance aux sourds et tous ceux qui vous sont chers les Bénédictions abondantes du Dieu Sauveur.

Before taking leave of you today, we wish to express again our admiration for the Splendid work that is being accomplished on behalf of the deaf. The ideals which you pursue are most dear to us and the further achievements that you are preparing merit our closest attention and our highest esteem.

Your fraternal solicitude for the deaf is an expression of your conviction of man’s great dignity. We pray that God may sustain you in your arduous work and that he Will bless all your efforts with the most fruitful results.



À UNE DÉLÉGATION OFFICIELLE DE


L’EGLISE ORTHODOXE ROUMAINE


Samedi 18 mars 1972

Excellence,


C'est la première fois qu’il nous est donné de recevoir une Délégation officielle de l’Eglise orthodoxe roumaine et il nous semble même que votre Délégation est la première que votre Eglise ait envoyée vers l’Eglise de Rome. Aussi, en vous remerciant des paroles que vous venez de nous adresser, nous vous assurons que nous voulons voir en votre présence le signe d’une nouvelle époque dans les relations de l’Eglise catholique et de l’Eglise orthodoxe roumaine. Une vraie charité fraternelle, cette charité qui va toujours de pair avec la vérité, doit inspirer ces relations nouvelles et nous faire chercher d’un commun accord à réaliser ce qui est juste, ce qui est bon tant pour les fidèles orthodoxes que pour les fidèles catholiques. Cette charité doit nous pousser à coordonner nos efforts pour surmonter ce qui s’oppose encore au rétablissement de la pleine communion que le Christ veut voir régner entre nous.

Uniquement soucieux de réaliser la volonté de Dieu sur son Eglise, il nous faut progresser dans la connaissance mutuelle et la confiance réciproque. Le Seigneur nous donnera la force et la sagesse généreuse de rechercher de bonne foi et de bonne volonté et d’atteindre finalement la solution des difficultés qui existent aujourd’hui entre l’Eglise catholique et la vôtre: qu’elles remontent aux siècles passés ou à des années plus récentes et qu’elles soient ainsi encore plus ressenties et plus douloureuses.

Ces difficultés sont bien connues, et Nous y faisons ici seulement allusion pour dire, en même temps, par quels sentiments d’amour fraternel Nous sommes porté à les considérer et à envisager les possibilités d’une juste et charitable composition.

En terminant nous vous demandons de transmettre nos salutations et nos voeux les meilleurs à votre très vénéré Patriarche qui vous envoie et à tout le peuple Roumain auquel l’histoire et la culture nous lient si profondément. Que le Christ dont nous nous préparons à célébrer la glorieuse résurrection nous donne, à nous ses disciples, d’être toujours plus des témoins et des serviteurs fidèles de son oeuvre, de réconciliation et d’unité.



À LA DÉLÉGATION DU «CENTRE CHRÉTIEN


DES PATRONS ET DIRIGEANTS D'ENTREPRISE FRANÇAIS»


18
Mercredi 22 mars 1972

Chers Fils,


c’est bien volontiers que Nous accueillons ce matin cette délégation du «Centre chrétien des patrons et dirigeants d’entreprise français». Nous sommes touché de cette démarche que vous avez tenu à renouveler auprès de Nous, non seulement pour nous assurer de vos sentiments filiaux dans votre adhésion de foi à l’Eglise, mais pour requérir de nous quelques orientations capables de guider votre réflexion, sur les problèmes d’éthique sociale qui ont constitué le thème de votre enquête cette année et seront l’objet de vos débats à vos prochaines Assises nationales d’Angoulême. Nous apprécions grandement cette disponibilité et cette volonté de situer vos recherches et initiatives dans la lumière du dessein de Dieu que l’Eglise a pour mission de rappeler et de préciser.

N’attendez cependant pas de Nous, dans le cadre de ce bref entretien, un enseignement nouveau, exhaustif, décisif et de portée universelle sur la question qui vous préoccupe: «Pouvoir et libertés dans la société industrielle». D’abord l’Eglise a déjà tracé quelques voies en ce domaine, en particulier dans l’encyclique Mater et Magistra et la Constitution conciliaire Gaudium et Spes.Certes le thème mérite d’être sérieusement approfondi et développé aujourd’hui : le pouvoir est sommé de décliner les titres au nom desquels il exerce son rôle de direction et de décision, cependant que tous ceux qui participent à l’entreprise aspirent à ce qu’on reconnaisse effectivement leur liberté et leur responsabilité. Mais, comme Nous le disions dans notre récente lettre au Cardinal Roy (Octogesitna adveniens, 4), il vous revient d’analyser avec objectivité les situations qui sont votre lot quotidien, de les confronter aux principes chrétiens et de renouveler votre confiance dans la force et l’originalité des exigences évangéliques avec l’aide de vos aumôniers. Nous sommes particulièrement heureux de rendre hommage, à cette occasion, à votre Conseiller ecclésiastique, le Révérend Père Roger Heckel. Ce matin, Nous nous contentons de souligner quelques pistes de réflexions.

Pour ce qui est de l’analyse, Nous vous invitons à ne pas en rester à celle des techniques qui vous semblent les mieux adaptées à une organisation à la fois rationnelle et humaine de l’entreprise, ni à celle des systèmes idéologiques qui visent un modèle de société. Votre regard doit s’attacher d’abord à l’attitude concrète des personnes, à ce que révèle leur comportement face au pouvoir et aux exigences croissantes de responsabilité, pour en arriver à une véritable révision de vie qui cerne, autant que faire se peut, la mentalité réelle des patrons et dirigeants d’entreprise, avec ses valeurs, ses richesses, ses limites. Ainsi l’ajustement ou le changement éventuel de structures prendra racine dans une disponibilité et une conversion des coeurs qui éviteront les blocages redoutables dont souffre notre société.

Vous n’esquiverez pas pour autant la question fondamentale que vous voulez approfondir: qu’est-ce qui justifie l’autorité, le pouvoir, dans l’entreprise? Souvent dans le passé un tel pouvoir s’inscrivait dans la possession d’un patrimoine. Aujourd’hui vous pressentez à bon droit que ce titre juridique s’avère insuffisant.

Peut-être y aurait-il lieu de distinguer encore les deux visages que prend en fait le pouvoir dans la société industrielle où vous déployez votre activité: l’un qu’on pourrait appeler purement économique et l’autre technique. Le «pouvoir économique» se rattache à toutes les conditions qui sont comme extérieures au travail proprement dit de l’entreprise: non seulement l’initiative de départ et l’apport originel du capital sans lesquels l’entreprise n’aurait pu ni voir le jour ni survivre, mais tout le pouvoir financier qui conditionne les crédits dont elle a sans cesse besoin, bien plus, tout le réseau de production et de distribution dans lequel le travail de l’entreprise est obligé de s’insérer. Il serait injuste et utopique de ne pas en tenir compte.

Mais si l’on regarde l’entreprise elle-même, le «pouvoir technique», de direction, de gestion, d’organisation, s’adresse à des hommes libres: ils y apportent leur travail, leur sueur, leur ingéniosité, leur responsabilité, qu’il ne sera jamais permis d’assimiler à des choses. Là, la notion de patrimoine se révèle inadéquate. «Ce sont des personnes qui sont associées entre elles, nous rappelle le Concile, c’est-à-dire des êtres libres et autonomes, créés à l’image de Dieu» (Gaudium et Spes
GS 68,1). L’autorité et l’unité de direction, indispensables certes, ont alors pour but d’harmoniser et de faire converger efficacement ces efforts responsables, mais il ne s’ensuit nullement que ceux qui viennent chaque jour y travailler doivent être traités comme de simples exécuteurs silencieux et passifs (Mater et Magistra MM 16). Il faut que l’entreprise soit «viable», non seulement en ce sens qu’elle soit industriellement rentable, mais en ce sens qu’elle rende véritablement service aux hommes qui y sont attachés, et qu’elle permette une «vie» vraiment humaine; et il faut tendre à ce que l’entreprise devienne une communauté de personnes dans les relations, les fonctions et les situations de chacun de ses membres (Ibid.). Ce pouvoir, sui generis, se justifie alors par le bien commun de ces hommes, sans que cesse leur solidarité avec leurs compatriotes et avec leurs frères de tous les pays en voie de développement.

Dès lors, une série de réflexions s’offrent à vous. Et d’abord, quelle est la place du «pouvoir économique» par rapport à ce «pouvoir technique»? Vous savez que, pour l’Eglise, le premier, qui a tendance à se faire abstrait et anonyme, ne saurait asservir le second, mais seulement en faciliter l’exercice. «Economie et technique n’ont de sens que par l’homme qu’elles doivent servir» (Populorum Progressio PP 34). Et quand Nous parlons de l’homme, Nous pensons au producteur et au consommateur. C’est d’ailleurs notre conviction que les hommes ne sauraient se résoudre à subir tout court le «pouvoir économique»: c’est une réalité qui ne doit pas échapper à leur prise, à leur jugement moral, à leur action solidaire pour l’insérer dans un projet social vraiment humain. Reste aussi le difficile problème de l’équilibre nécessaire à instaurer entre le secteur agricole et le secteur industriel (Mater et Magistra MM 16). Quant au pouvoir de direction, de décision, de gestion, exercé dans l’entreprise elle-même, plusieurs questions se posent à son sujet: par qui est-il exercé, dans quel esprit, en fonction de quelle conception de l’homme? Ne devraient-ils pas y accéder ceux qui sont capables de ce service, de par leurs talents naturels, leur désintéressement? Et si une certaine unité de direction demeure évidemment nécessaire, qu’en est-il de la répartition des responsabilités? Ceux qui exercent le pouvoir suscitent-ils non seulement l’intérêt de tous, mais leur collaboration active? Beaucoup d’entre vous, Nous le savons, s’efforcent de développer l’information au sein de l’entreprise. Jusqu’où doit aller la participation dans les décisions, dans la gestion, dans la propriété? Ce sont des questions complexes que nous laissons à votre compétence, à votre expérience et à votre conscience. Leur solution pourra mûrir dans une réflexion approfondie entre chefs d’entreprise catholiques, dans un dialogue avec vos autres collègues et dans une confrontation loyale avec tous ceux qui participent à la vie des entreprises.

L’Evangile lui-même fournirait-il une nouvelle perspective à ces problèmes? C’est un fait que le Christ a revendiqué le titre de Fils de l’Homme en corrélation avec le service (Cfr. Marc Mc 10,44), et il a averti ses disciples: «Que celui qui gouverne soit comme celui qui sert» (Lc 22,26). L’autorité dans l’Eglise se veut aussi comme un service de la communauté. Certes, les réalités du Royaume de Dieu ne peuvent se transposer telles quelles dans le monde temporel, mais ne sont-elles pas capables de l’éclairer profondément? C’est notre conviction: le pouvoir, qu’il soit politique ou économique, pour un chrétien, ne doit être pensé qu’en termes de service de ses frères, et même la propriété des biens de la terre, à cause de leur destination universelle, doit être pensée, dans une certaine mesure, en termes d’intendance.

Nous sommes conscient, chers Messieurs, de la tâche difficile qui vous revient aujourd’hui, pour contribuer à donner un nouveau visage, un visage plus évangélique, au «pouvoir» qui doit s’exercer dans un concert de responsabilités librement associées. Nous en savons le risque, mais aussi le prix, pour construire une société plus humaine, digne des fils de Dieu. Qu’il s’agisse de préciser les fondements théoriques de cette société ou d’en mettre en oeuvre les implications concrètes, soyez assurés de notre estime, de notre encouragement et de notre prière. C’est dans cet esprit que Nous vous donnons, comme aux membres du Centre chrétien des patrons et dirigeants d’entreprise français que vous représentez ici, à vos familles et à tous ceux qui vous sont chers, notre paternelle Bénédiction Apostolique.



À L’AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE D'HAÏTI


PRÈS LE SAINT-SIÈGE*


19
Jeudi 23 mars 1972




Monsieur l’Ambassadeur,

Nous remercions Votre Excellence de ses aimables paroles et Nous agréons avec plaisir les voeux fervents qu’elle vient d’exprimer pour le rayonnement de l’Eglise catholique et pour notre personne. Nous vous confions le soin de transmettre notre respectueuse salutation et notre gratitude à Monsieur le Président de la République d’Haïti dont vous vous êtes fait l’interprète.

Au moment où vous assumez la charge de représenter ici votre noble Pays comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Nous formons les meilleurs souhaits pour l’accomplissement de votre haute mission, afin que vous puissiez contribuer à resserrer les liens entre la République d’Haïti et le Saint-Siège, et à aplanir, s’il en était besoin, les difficultés qui pourraient surgir.

L’Eglise catholique, c’est un fait, s’est rapidement et solidement implantée en Haïti. Son message de salut a été accueilli par la majorité des populations, sa foi a marqué leur sensibilité religieuse et suscité, non seulement des manifestations cultuelles appréciables, mais un engagement à marcher dans la voie du Christ qui est Vérité, Justice, Amour. Les catholiques ne demandent rien d’autre, vous le savez, que de bénéficier de la liberté religieuse qui leur permet d’épanouir cette foi et de vivre cet engagement, aidés de leurs pasteurs, qu’ils soient autochtones ou missionnaires.

Dans ces conditions, ils peuvent contribuer grandement, c’est notre conviction, à développer dans leur propre pays ces biens d’une importance vitale que Votre Excellence évoquait: le climat de détente, de concorde, de paix; le souci d’honnêteté et de justice sociale, dans une collaboration active et loyale avec toutes les forces vives de la société; la recherche d’un développement dans tous les domaines; le respect des droits imprescriptibles de la personne humaine; une ouverture fraternelle aux autres partenaires de la communauté mondiale; une haute estime et une pratique assidue des valeurs morales et spirituelles qui donnent à un peuple ses raisons de vivre, son dynamisme et son espérance, en conformité avec le dessein du Dieu Créateur.

Tels sont les voeux que Nous ne cessons de formuler, non seulement à l’adresse de nos fils catholiques, mais à celle des hommes de bonne volonté de l’univers entier. C’est dans cette voie, Nous n’en doutons pas, que le cher peuple haïtien trouvera le bonheur, le progrès et sa juste place dans le concert des nations que Nous lui souhaitons ardemment. Nous sommes heureux de lui exprimer, par delà votre personne, l’estime et l’affection que Nous lui portons, et Nous implorons sur lui comme sur Votre Excellence et sur tous ceux qui ont la charge du bien commun de votre Pays l’abondance des divines Bénédictions.

*AAS 64 (1972), p.302-303.

Insegnamenti di Paolo VI, X, p.295-296.

L’Attività della Santa Sede 1972, p.101-102.

L'Osservatore Romano, 24.3.1972, p.1.

20 L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.13 p.2





DISCOURS DU PAPE PAUL VI


POUR L’INAUGURATION


DE L’EXPOSITION «LE LIVRE DE LA BIBLE» ORGANISÉE


DANS LE CADRE DE L'ANNÉE INTERNATIONALE


DU LIVRE, PATRONNÉE PAR L'UNESCO*


Samedi 25 mars 1972




Monsieur le Directeur Général,
Vénérables Frères,
Chers Fils,
et vous tous qui avez voulu nous honorer de votre présence,

C'est une circonstance bien remarquable, et sans doute unique en son genre, celle qui nous rassemble aujourd’hui dans ce sanctuaire de la science et de la culture qu’est la Bibliothèque Apostolique Vaticane: il s’agit d’un témoignage actif et parlant, que veut donner l’Eglise catholique, de sont intérêt et de sa haute appréciation pour une initiative en apparence bien profane, l’«Année internationale du Livre», proclamée pour 1972 par la Seizième Session de la Conférence Générale de l’UNESCO.

Initiative profane: en apparence seulement! Car tout ce qui touche à l’âme humaine, au progrès de l’intelligence, à l’extension de la culture, a nécessairement un aspect moral qui rencontre par quelque côté le rapport de l’homme avec Dieu, pénètre de ce fait dans le domaine religieux et retient la sollicitude attentive de l’Eglise.

Quel but a poursuivi l’UNESCO en promouvant cette initiative? Nous venons de l’entendre, en des termes d’une grande noblesse, des lèvres de son Directeur Général, et la devise placée en tête de son programme l’exprime parfaitement: «Des livres pour tous!». Cette très méritante Organisation a voulu par là - et avant tout - attirer l’attention du monde sur l’irremplaçable fonction du livre, considéré comme moyen privilégié de culture et d’éducation, comme facteur incomparable de progrès spirituel, comme agent possible de pensées pacifiques, susceptibles de contribuer efficacement à une meilleure compréhension entre les peuples. Elle a voulu ensuite - et c’est également tout à sa louange - étudier les moyens les plus aptes à assurer la diffusion du livre, en particulier parmi les jeunes et dans les pays en voie de développement.

De tout cela l’Eglise prend acte avec une vive satisfaction. Au festival international du Livre, qui se tenait à Nice en mai de l’année dernière, Nous avions déjà, par un message de notre Cardinal Secrétaire d’Etat, rendu présente la voix de l’Eglise et exprimé la conviction que le rôle véritable du livre, le but que doivent poursuivre ceux qui le diffusent, c’est avant tout d’instruire, d’élever, de guider l’humanité vers la conquête de son véritable bien.

De fait, pour quiconque réfléchit, le progrès matériel, si éclatant soit-il, n’est qu’un aspect partiel du progrès humain intégral. L’homme a besoin des valeurs de l’esprit pour être pleinement homme, pour assurer l’harmonieux équilibre de sa vie et la fécondité de ses activités terrestres. Et de fait, grâce aux instruments techniques dont dispose l’homme moderne, les livres se multiplient sans fin. Mais tout le monde voit que le critère de jugement ne saurait être ici purement quantitatif: il ne s’agit pas de répandre à foison n’importe quels livres! C’est par sa qualité que le livre peut jouer son rôle bienfaisant; c’est dans la mesure où il est porteur des valeurs de l’esprit qu’il fait vraiment avancer l’humanité, qu’il contribue à construire et non à détruire. Et c’est naturellement dans cette lumière que l’initiative de l’UNESCO apparaît au Saint-Siège et à l’Eglise comme digne d’approbation et d’encouragement.

21 Ce que Nous avons dit jusqu’ici concerne l’intérêt que Nous pourrions appeler «générique» de l’Eglise pour le livre en tant qu’instrument de culture. Mais l’Eglise a quelque chose de plus spécifique à dire en ce domaine. Elle a, elle aussi, «son» livre, le livre des livres, si l’on peut dire, celui qui est traduit dans toutes les langues, imprimé à des millions d’exemplaires, répandu et lu dans tous les pays du monde, une sorte de «best seller» permanent de l’humanité: la Bible. Dépositaire et gardienne de ce trésor précieux entre tous, l’Eglise se propose avant tout, en acceptant de participer à l’«Année internationale du Livre», de promouvoir une meilleure et plus large connaissance de la Bible.

Elle estime pouvoir et devoir agir ainsi. Car pour les croyants, la Bible est quelque chose de radicalement différent de toutes les productions de l’esprit humain, quelque chose de très supérieur: elle est Parole de Dieu. L’auteur sacré, quel qu’ait pu être son talent, n’a été ici que l’instrument dont Dieu s’est servi. Il s’agit d’un livre inspiré, d’un livre qui a Dieu pour auteur principal. En choisissant et en utilisant des hommes en pleine possession de toutes leurs facultés et capacités (Cfr. Dei Verbum
DV 11), Dieu a en quelque sorte consacré la splendide mission de l’homme écrivain.

Et certes, il est singulièrement suggestif de penser à ce choix que Dieu a fait du livre pour se communiquer aux hommes, pour «les inviter et les admettre à entrer en communion avec lui» (Dei Verbum DV 2), pour leur faire connaître ou leur rappeler au cours des siècles, ses desseins d’amour sur son peuple et sur l’humanité. La Bible réalise en perfection, peut-on dire, le but le plus élevé qu’un livre ait jamais pu se proposer: faire entrer l’homme en contact avec son Créateur. Et elle le fait avec une fraîcheur qui traverse les siècles sans jamais vieillir, et avec une variété qui enchante l’esprit et le coeur.

La Bible en effet n’est pas seulement un livre: elle est à elle seule toute une bibliothèque, un ensemble de livres, appartenant aux genres littéraires les plus divers. Tantôt à travers la limpidité du genre narratif, tantôt dans la véhémence des objurgations des prophètes, tantôt par des chants de la plus haute poésie, où se reflètent toutes les nuances de la sagesse divine et de la psychologie humaine, Dieu instruit les générations qui se succèdent sur la terre, les éclaire et les réjouit de sa lumière.

Au contact de la Bible, des hommes de tous les temps et de tous les pays ont appris le langage de la foi et de l’espérance, de la justice et de la paix; des millions d’âmes se sont ouvertes à des horizons de lumière et de joie, ont puisé ou retrouvé la confiance dans le destin de l’homme et du monde.

C’est sur toute cette richesse spirituelle - et sans aucune arrière-pensée de propagande intéressée, inutile de le dire - que le Saint- Siège se propose d’attirer l’attention des hommes de bonne volonté. Il entend leur offrir, en toute simplicité et cordialité, une occasion nouvelle de s’approcher de ce livre unique, qui a joué un si grand rôle dans l’histoire de la culture et de la civilisation. Et aux croyants, il adresse une invitation à approfondir leur connaissance de ces pages qui leur sont familières, et à y nourrir plus intensément leur vie spirituelle, comme les y engage le récent Concile.

Et maintenant Nous allons inaugurer, et vous allez pouvoir visiter l’exposition qui a été préparée avec grand soin et grande compétence par le Préfet de notre Bibliothèque apostolique et par ses dévoués collaborateurs. Il s’agit - comme on nous l’a dit à l’instant, et comme vous allez le voir - d’une collection d’exemplaires particulièrement rares ou importants de la Bible, échelonnés le long des siècles, et appartenant aux langues et aux régions les plus variées du monde chrétien. Vous pourrez admirer à la fois les acquisitions anciennes et nouvelles de la Bibliothèque Vaticane. Une des plus récentes - mais il s’agit d’un texte très ancien - est le papyrus «Bodmer», qui nous est venu du célèbre collectionneur suisse, dont le nom méritait bien d’être évoqué ici aujourd’hui. Et parmi les acquisitions plus anciennes figure, entre autres, un manuscrit remarquable par son contenu et sa graphie, et connu des exégètes du monde entier, le «Codex B», auquel sa présence ici a valu aussi l’appellatif de «Codex Vaticanus».

Le désir de mieux faire connaître ces précieux documents nous a inspiré naguère l’idée d’en faire exécuter un certain nombre des reproductions photostatiques. Nous nous proposons d’en remettre une du «Codex» entre vos mains tout à l’heure, Monsieur le Directeur Général, si vous voulez bien l’agréer comme le don du Saint- Siège à l’UNESCO et le symbole de sa participation à la campagne menée par votre Organisation.

Il ne nous reste plus qu’à féliciter chaleureusement tous les bons artisans de cette exposition, à remercier ceux qui nous ont fait l’honneur de venir l’inaugurer avec nous ce soir, et à formuler les voeux les plus fervents pour le plein succès de l’«Année internationale du Livre».



*Insegnamenti di Paolo VI, vol. X, p.298-301.

L'Osservatore Romano, 27-28.3.1972, p.2.

22 L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.13 p.9, 11.

La Documentation catholique n.1607 p.358-359.




Discours 1972 15