Discours 1972 51

AUX MEMBRES DE LA COMMISSION PONTIFICALE «JUSTICE ET PAIX»


Lundi 25 septembre 1972




Monsieur le Cardinal,
Messeigneurs, Mesdames et Messieurs,

52 Il y a un an, Nous avions le plaisir de recevoir les participants de l’assemblée générale de votre Commission. Cette réunion était la dernière d’une période expérimentale de cinq ans, pendant laquelle chacun, à son niveau de responsabilité, avait consacré son zèle et sa compétence à traduire dans la réalité la sensibilité de l’Eglise aux «aspirations majeures du temps présent, telles que les problèmes du développement, la promotion de la justice entre les nations et la cause de la paix» (Catholicam Christi Ecclesiam). Nous avions dit alors notre vive appréciation de l’oeuvre accomplie.

Au moment où la composition de cette Commission vient d’être en partie renouvelée pour une deuxième période expérimentale de trois ans, Nous sommes heureux de saluer ceux qui continuent d’offrir leurs services au Siège Apostolique et de souhaiter la bienvenue aux nouveaux membres et consulteurs, qui ont répondu à notre invitation à se joindre à eux.

A tous, Nous exprimons notre reconnaissance. Cette collaboration d’anciens et de nouveaux n’est-elle pas à l’image de la vie de l’Eglise elle-même, s’adjoignant chaque jour de nouveaux membres et les unissant aux anciens pour le bénéfice d’une communauté dont la stabilité et la vitalité reposent sur l’harmonieux concours de l’expérience et du renouveau? Nous sommes persuadé que, sous la conduite éclairée de sa Présidence, stimulée par son dynamique Secrétariat, la Commission Pontificale «Justice et Paix» rendra avec toujours plus de poids le témoignage de la «sympathie sans bornes» que l’Eglise porte à l’homme.

Au mois de mai de l’année dernière, Nous adressions à votre Président la Lettre ApostoliqueOctogesima Adveniens sur la question sociale. Nous constations, après un bref tableau général de la situation, que «de partout monte une aspiration à plus de justice et s’élève le désir d’une paix mieux assurée dans un respect mutuel entre les hommes et entre les peuples» (Octogesima adveniens, 2, AAS 63, 1971, p. 402). Le monde politique, auquel Nous avons constamment assuré notre appui moral en ce domaine, avait voulu, il y a dix ans, répondre à ces appels en lançant la Décennie du Développement. D’aucuns estiment que les progrès économiques et sociaux n’ont pas répondu aux espérances que l’on avait nourries: un bilan positif doit cependant être dressé sur le plan moral, car des hommes ont été mis en mouvement, des esprits se sont ouverts à la solidarité mondiale, la conception du contenu du développement a largement progressé et vous avez pu constater que la requête catholique d’un «développement intégral», exprimée solennellement dansPopulorum progressio, reçoit un accueil de plus en plus large.

Le défi de cette deuxième Décennie du Développement est de rendre la terre plus habitable à tous par l’effort des personnes et des nations. II a été exprimé avec éclat cette année tant à Santiago du Chili, à la troisième Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, qu’à Stockholm, à la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement.

Ce défi est encore chargé d’espérance. Nous devons tous travailler à le relever, chacun à la place que le Seigneur lui a assigné: la hiérarchie et le clergé dans leur rôle de guide des consciences à la lumière des paroles inaltérables de l’Evangile; les laïcs dans leur rôle particulier d’animateurs et de rénovateurs de l’ordre temporel. En présence des problèmes gigantesques posés à nos contemporains, une mission d’écoute et d’étude a été confiée à la Commission Pontificale «Justice et Paix» en vue, d’une part, de l’information de «tous les organismes appropriés de l’Eglise» (Catholicam Christi Ecclesiam) et, d’autre part, de l’animation de l’action à entreprendre. Votre tâche est donc de déceler les appels de l’Esprit-Saint à l’Eglise dans les questions qui vous concernent à travers les signes des temps, et, dans la fidélité à cette voix, d’assurer au Peuple de Dieu l’éveil et l’éducation dont il a besoin pour donner sa contribution positive et spécifique à l’édification d’un monde plus juste et pacifique.

Les sessions de diverses sortes, les publications, la collaboration oecuménique dans les domaines de votre compétence, le dialogue avec les hommes de bonne volonté sont aptes à favoriser la poursuite de ces objectifs, mais l’expérience postule que votre attention primordiale soit consacrée aux Commissions Nationales «Justice et Paix», mises en place à travers le monde, sous l’autorité des épiscopats locaux. Il revient à la Commission Pontificale, en accord avec la hiérarchie du lieu, de les multiplier, de les informer, de les documenter, de les animer, de les aider au besoin à coordonner régionalement leurs efforts. Nous sommes persuadé qu’elle saura manifester, notamment dans l’exercice de cette forme large de patronage, sa liberté de discernement devant les pressions de toutes origines et les séductions d’idéologies ambiguës, «sous l’impulsion de l’Evangile, comme source de renouveau» (Octogesima adveniens, 42).

Dieu seul, en effet, peut répondre intégralement à l’espérance humaine. Le salut est offert aux hommes en Jésus-Christ, terme et plénitude de l’Histoire. Poursuivez avec le même dynamisme que pendant la période précédente vos objectifs propres dans la ligne de cette perspective pastorale et apostolique et en coordination avec les autres organismes de la Curie romaine, tout entière destinée au service de l’homme pour l’amour de Dieu. Ce faisant, vous irez, soyez-en persuadés, à la rencontre des aspirations profondes de vos frères.

Nous vous renouvelons l’expression de notre confiance en priant Dieu de vous assister de sa Lumière, de sa Force et de sa Charité et très volontiers Nous vous accordons, ainsi qu’à tous les vôtres, notre paternelle Bénédiction Apostolique.



AUX EVÊQUES DE FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»


Vendredi 29 septembre 1972




Frères très chers,

53 C’est pour Nous une joie très profonde de vous accueillir en notre demeure, que est aussi la vôtre. Nous regrettons vivement de ne pouvoir consacrer à chacun d’entre vous le temps qu’il espérait légitimement, et que Nous aurions tant aimé lui donner - c’était notre ferme intention - pour Nous entretenir de son diocèse, de ses soucis et de ses espérances de pasteur, surtout en cette année où les Evêques de France accomplissent la démarche «ad limina Apostolorum».

Frères très chers, permettez-nous de vous assurer, avec toute notre sincérité, que chacun d’entre vous a sa place dans notre coeur; et vous pourrez dire à vos prêtres et à tous vos diocésains que, bien souvent, dans nos moments de recueillement et de prière, notre pensée et notre affection rejoignent invisiblement les Eglises locales, leurs pasteurs et leurs fidèles.

Nous savons les efforts constants que vous déployez tous pour rejoindre un monde qui tend à se construire sans l’Eglise, mais dans lequel se manifestent cependant, même dans le monde des jeunes, un désir de fraternité et de vérité, une volonté de justice et de paix, une attirance pour le Christ, une recherche de Dieu, une aspiration à la prière. Nous savons votre écoute profonde des grands problèmes contemporains, que vous voulez analyser avec lucidité, pour dégager une pastorale adaptée, au niveau de vos diocèses, de vos régions, de l’ensemble du pays. Vous cherchez le langage qui pourrait ouvrir l’accès du plus grand nombre à une foi authentique, sans minimiser en rien le mystère du salut ni les exigences évangéliques. En un mot, vous partagez avec Nous cette charge redoutable du Pasteur, qui doit se préoccuper de toutes les brebis et garder contact avec elles, mais qui doit aussi marcher à leur tête, en Docteur de la foi. Il nous revient, en effet, de manifester la lumière qui dissipe les brumes de l’incertitude, et l’espérance qui renouvelle les énergies essoufflées.

Ce témoignage de foi et d’apostolat, Nous vous exhortons à le donner dans une profonde communion et charité, au sein d’une collégialité soucieuse de mettre efficacement en oeuvre l’avancée du Royaume de Dieu, sans que la personnalité et la responsabilité de chaque pasteur en soient diminuées.

Dans cet esprit, vous aborderez les grands problèmes qui sont votre préoccupation quotidienne. Sans prétendre les énumérer, Nous citons: l’adaptation des moyens d’apostolat à un monde en mutation rapide; le grave problème des vocations, la formation du clergé. Comment susciter à la fois une collaboration plus active des laïcs à la prise en charge des communautés chrétiennes, et un éveil de ceux qui devront se consacrer, dans le sacerdoce, au service du Christ, de façon inconditionnelle, à la manière d’un saint Paul?

Nous ne saurions oublier tout ce que l’Eglise de France n’a cessé d’apporter à l’Eglise universelle, par la créativité et la fidélité qui ont toujours marqué son esprit missionnaire. Nous pensons à cette lignée de grands spirituels dont s’inspirent encore aujourd’hui tant de fidèles, de religieux et de prêtres. Au nom de cette Eglise universelle, Nous comptons fermement sur vous pour continuer, au profit de tous, cette marche vers la sainteté et cette recherche constructive, dans un esprit de patience évangélique et de solidarité ecclésiale. Que l’Esprit Saint vous assiste, vous guide et vous réconforte, avec notre affectueuse Bénédiction Apostolique.



AUX MEMBRES DU MOUVEMENT INTERNATIONAL D’APOSTOLAT DES MILIEUX SOCIAUX INDÉPENDANTS (M.I.A.M.S.I.)


Lundi 2 octobre 1972




Chers amis du Mouvement international d’apostolat des milieux sociaux indépendants,

C’est avec grande joie que Nous vous accueillons, alors que vous tenez ici à Rome votre troisième Assemblée Générale. Comment ne pas mesurer le chemin que vous avez parcouru en quelques années! Nous nous en souvenons encore: au début de notre pontificat, nous recevions les 9 premiers membres de votre Mouvement International, conduits par votre première Présidente, Mademoiselle Marie-Louise Monnet, que nous retrouvons avec plaisir aujourd’hui.

Vous existez sur quatre continents et 22 pays sont maintenant membres officiels. Vous organisez un apostolat aux dimensions universelles, en coopération loyale et constante avec les évêques qui vous appellent et vous soutiennent: nous nous plaisons à souligner ce sens de l’Eglise. Mais plus qu’une extension géographique, cette action concertée à un plan international vous permet de mieux saisir à quel point votre milieu partage les mêmes valeurs et déficiences, appelant un même salut, dans le respect des différences locales et nationales. Mouvement d’adultes, vous travaillez en lien avec les mouvements similaires s’adressant aux enfants et aux jeunes de votre milieu. Puissent tous ces liens qui vous unissent par dessus les frontières, comme membres d’un même milieu social, favoriser la croissance d’une Eglise qui se veut autochtone au sein des nations comme dans les groupes humains homogènes.

Cette troisième Assemblée Générale se trouve marquée par la recherche que vous avez voulu faire ces jours-ci, sur les résonances que les questions de la justice - au plan social, économique, politique - entraînent dans vos milieux. Vous étiez aidés par des documents récents: notre Lettre au Cardinal Roy à l’occasion du 80e anniversaire de l’Encyclique Rerum Novarum et le texte du dernier Synode. Car, n’est-ce pas évident: «ces paroles n’auront de poids réel que si elles s’accompagnent pour chacun d’une prise de conscience plus vive de sa propre responsabilité et d’une action effective» (Lettre au Cardinal Roy, 48). Certains d’entre vous vivent sur des continents, appartiennent à des nations où les tensions se font plus vives, où l’évolution se précipite. Partout des couches nouvelles de population s’intègrent à vos milieux et veulent y devenir partie prenante.

54 Dès lors, comment ne pas vous sentir tous interrogés par ces appels à plus de justice sociale, à la paix entre les nations, au dialogue entre les groupes sociaux, puisque vous êtes naturellement situés aux carrefours de cette vie sociale, politique, internationale? Comment ne pas vous sentir sainement inquiétés par la nécessité d’apporter des solutions novatrices aux rapports entre les hommes, par l’urgence de réaliser le bien commun dont le pouvoir politique a la responsabilité ultime? (Cfr. Ibid. 46) Comment enfin votre présence en de multiples activités et organismes ne vous rendrait-elle pas sensibles à cette «requête actuelle de l’homme . . . pour un partage raisonnable des responsabilités et des décisions? (Ibid. 47)

Cependant, on peut écouter ces appels du monde et de l’Eglise sans en mesurer tout l’enjeu pour l’évangélisation; car celle-ci, pour ne pas se limiter au niveau individuel, doit tenir compte des réactions instinctives, inconscientes, de tout un ensemble de personnes. Comme vous le constatez vous-mêmes, votre milieu social, face aux bouleversements sociaux ou politiques, face à l’éclairage chrétien que veut y apporter l’Eglise, réagit souvent de la même façon. Il s’émeut, se trouble et quelquefois même se révolte.

Pourtant ces réactions de votre milieu peuvent devenir le point de départ de ce «dialogue du salut» (Cfr. Ecclesiam Suam, trad. La Documentation Catholique, tomo 61, 1963,
Col 1081) que vous appelez souvent «l’évangélisation collective». Vous cherchez ainsi à révéler le Seigneur Jésus en des termes compréhensibles à ceux qui partagent la même vie. Avec ces membres de vos milieux vous découvrirez une espérance ignorée de beaucoup: «l’espérance du chrétien, disions-nous dans notre lettre au Cardinal Roy, lui vient d’abord de ce qu’il sait que le Seigneur est à l’oeuvre avec nous dans le monde», et aussi de ce que «d’autres hommes sont à l’oeuvre pour entreprendre des actions convergentes de justice et de paix; car sous une apparente indifférence, il y a au coeur de chaque homme une volonté de vie fraternelle et une soif de justice et de paix qu’il s’agit d’épanouir» (Lettre au Cardinal Roy, 48).

L’Eglise fêtera ces jours-ci saint François d’Assise. Né dans ce milieu des affaires et du commerce, il connut un temps semblable au nôtre où «une partie de la famille humaine vit comme immergée dans une mentalité qui béatifie la possession» («Documents du Synode 1971», La Documentation Catholique, tomo 79, 1972, p. 16). Saint François, appelé par Dieu, fut un signe pour son temps, menant une vie de pauvre pour se faire une âme de pauvre. A vous, laïcs adultes, il n’est pas demandé de copier saint François, mais d’apprendre de lui une nouvelle façon de vivre. D’ailleurs, vous n’avez pas à vous «retirer» de ce monde qui est le vôtre et que marquent si profondément vos biens, votre culture et vos pouvoirs. Mais le dépouillement intérieur du pauvre d’Assise peut tracer, à la suite du Christ, la «voie étroite» du salut pour les «riches» de notre temps. Il saura vous aider à ouvrir, pour vous et pour vos frères, les chemins qui libèrent sans accabler, les voies qui délivrent sans écraser, parce qu’ils sont les fruits de l’amour et non du jugement.

Vous devez grandir en lucidité. Vous n’avez pas à démissionner de vos responsabilités, mais à réviser ensemble ce qui vous anime. «Que chacun demeure dans l’état où l’a trouvé l’appel de Dieu», comme dit Saint Paul (1Co 7,20), mais en se libérant peu à peu de la «volonté de puissance», de l’esprit de supériorité qui trouble tous les rapports humains; qui empêche la vraie participation des autres groupes sociaux à une construction équilibrée de ce monde confié par Dieu à tous ses enfants.

Alors vous serez libres, sans mépriser aucune des valeurs qui, en vous, milieux indépendants, doivent servir au bien commun. Car «la libération des hommes commence par la liberté intérieure qu’ils doivent retrouver face à leurs biens et à leurs pouvoirs; ils n’y arriveront que par un amour transcendant de l’homme, et par conséquent par une disponibilité effective au service» (Lettre au Cardinal Roy, 45). C’est dire la puissance de la grâce de l’Esprit-Saint qui doit vous animer, comme en une nouvelle Pentecôte. C’est en gage de cette espérance que Nous vous bénissons de tout coeur.



AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS ORGANISÉ PAR LE SECRÉTARIAT POUR LES NON-CHRÉTIENS


Jeudi 5 octobre 1972




Monsieur le Cardinal, chers Fils et chers amis,

Nous saluons avec joie et affection les participants du Congrès réuni à Rome par les soins du Secrétariat pour les non-chrétiens.

Venus de tant de pays, vous voici rassemblés à Rome, ville antique et sacrée à tant de titres, pour progresser dans la connaissance des grandes traditions religieuses de l’Asie et de l’Afrique, pour analyser ensemble comment elles font face aux expériences singulières que vivent nos contemporains. Cette connaissance que vous recherchez, aussi importante qu’elle soit en elle-même, a essentiellement pour but d’établir l’amour, le dialogue et la coopération sincère et fraternelle entre les hommes.

Vous ne l’ignorez pas, en effet, un tel dialogue avec les différentes formes de religion ou les divers patrimoines de sagesse de l’univers, a été l’un des soucis du Concile, tout comme Nous l’avions recommandé Nous-mêmes dans notre encyclique «Ecclesiam suam». C’est en vue de le favoriser que Nous avons fondé, il y a huit ans, le Secrétariat pour les non-chrétiens, en en confiant la charge au coeur et à l’intelligence du vénéré et cher cardinal Paolo Marella. On peut constater, Nous semble-t-il, que ce Secrétariat, grâce à un labeur silencieux et fidèle, a contribué grandement à établir un climat nouveau dans les rapports entre l’Eglise catholique et les adeptes des autres grandes religions du monde. Le souvenir vivant que Nous avons gardé de notre récente rencontre avec le Suprême Patriarche Bouddhiste de Thaïlande en est un témoignage, et Nous espérons n’être encore qu’au début du chemin sur lequel tous sont appelés à progresser.

55 Mais, c’est évident, ce chemin est onéreux pour tous: il n’y a pas de dialogue possible sans une compréhension approfondie de notre interlocuteur, ou, comme on se plaît à dire aujourd’hui, de l’autre. Ce noble programme exige un sens généreux de l’homme, un véritable ascétisme! Il est nécessaire de dépasser les limites qu’impose tout langage, les réflexes culturels, même les polémiques et la méfiance, pour s’ouvrir au dépassement de soi et à l’universalité. Pour un chrétien, un tel effort peut représenter une partie du grand précepte de la charité qui invite «à porter les fardeaux les uns des autres pour accomplir ainsi la loi du Christ» (Ga 6,2).

Oui, chacun attend légitimement de l’autre d’être pleinement reconnu et aimé pour lui-même, avec les valeurs et les différences de sa propre culture. Combien d’incompréhensions, de rancoeurs, de conflits sont nés, au cours de l’histoire humaine, de cette orgueilleuse fermeture sur soi qui empêche de comprendre son frère! La réussite, au contraire, de telles rencontres, est liée à une volonté résolue de respect et d’amour, avec toute la patience nécessaire. Car - la psychologie le montre et même la méthode de la recherche scientifique semble le requérir - sans amour, il n’y a pas de connaissance vraie. Et là-dessus, c’est notre conviction, l’Eglise catholique possède, dans son patrimoine spirituel et surtout dans l’exemple de son Fondateur, les raisons et le stimulant d’un amour efficace de l’homme, à quelque formation culturelle ou religieuse qu’il appartienne. Pour nous en effet, tout homme participe au mystère insondable de Dieu, est créé à son image (Gn 1,26), représente l’humanité du Christ (Cfr. Matth Mt 25, 40, 45). Chaque peuple est né de la Providence et de la bénédiction de Dieu (Cfr. Gen Gn 9,7 Act Ac 17,56) et Jésus est mort pour réconcilier les hommes dans l’unité (Cfr. Io Jn 11,52). Le récent Concile a largement invité les chrétiens à reconnaître, dans un dialogue sincère et patient, les richesses que Dieu, dans sa munificence, a dispensées aux nations (Cfr. Ad gentes divinitus, 11).

Mais, de notre côté, pourquoi cacher notre désir de voir les adeptes des grandes religions non chrétiennes manifester aussi le souci de connaître davantage l’Eglise, de la même façon que notre coeur s’est ouvert à leur égard? Car vous le savez, l’Eglise, par amour, ne désire rien tant que de faire connaître à tous les hommes «la sagesse multiforme de Dieu» (Ep 3,10) qui lui a été révélée pour la paix et le salut de tous. Nous reprenons à notre compte les paroles du Seigneur Jésus à la Samaritaine: «Si tu savais le don de Dieu» (Jn 4,10). C’est dans cet esprit que nous faisons le premier pas dans le dialogue avec nos frères qui ne partagent pas notre foi.

Mais cette estime et cet amour réciproques doivent trouver leur expression dans une collaboration pratique. Nous souhaitons voir prochainement le jour où toutes les religions uniront concrètement leurs efforts au service de l’homme, de sa liberté, de sa dignité. Et là encore, l’Eglise catholique ne voudrait le céder à aucune autre sur ce terrain, à l’exemple du Seigneur qui est venu, «non pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie» pour les hommes (Mc 10,45). Ne croyez-vous pas que l’humanité a besoin aujourd’hui plus que jamais de trouver une aide et une orientation près des hommes foncièrement religieux? Vous le savez, les religions contribuent à la paix, à la fraternité, à la justice; elles inspirent la morale, elles suscitent l’espérance. Même les rapports sociaux deviennent difficiles lorsque n’intervient plus cette référence aux forces vives de l’esprit, dont les religions sont l’expression la plus haute et la plus universelle.

Cette collaboration pratique qui est à promouvoir, comme cette connaissance mutuelle dans le dialogue dont Nous avons parlé, ne doivent évidemment pas être confondues avec un syncrétisme qui ferait fi du problème de la «vraie Religion». Ce problème demeure entier, et il est posé à la conscience de chaque homme et de chaque groupe humain, comme le précisait la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae DH 1, § 2). Nous serons d’ailleurs d’autant plus aptes à comprendre et à aimer les autres, que nous serons plus fidèles à la vérité unique et transcendante de notre Religion, qui puise sa certitude et son autorité dans la réalité de la Révélation, univoque et universelle.

C’est dans cet esprit que Nous vous encourageons à poursuivre le dialogue engagé, à l’approfondir, à l’élargir. Et Nous invoquons de grand coeur sur vos travaux, et sur tous ceux qui vous sont devenus proches, les bénédictions abondantes du Très-Haut.



AUX PARTICIPANTS À LA SIXIÈME SESSION PLÉNIÈRE DU CONSEIL DES LAÏCS


Lundi 9 octobre 1972




Monsieur le Cardinal,
Chers amis,

Nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion d’accueillir ce Conseil depuis son institution, le 6 janvier 1967, et sa première réunion en avril de la même année. Nous avons alors exprimé l’espérance que le Saint-Siège mettait dans ce jeune organisme, et précisé abondamment les grandes lignes, encore mouvantes, de son action, de son rôle au sein de la Curie romaine, en soulignant la place essentielle des laïcs, hommes et femmes, dans l’Eglise.

Aujourd’hui, Nous n’aurons donc pas besoin d’y insister à nouveau. Mais c’est une joie particulière que Nous éprouvons à vous recevoir, au cours de cette sixième Session plénière.

56 D’abord, vous inaugurez une nouvelle période expérimentale de trois ans, et Nous tenons à vous manifester hautement notre satisfaction pour le travail accompli jusqu’ici, de recherche, de coordination, d’initiative, en liaison étroite avec le Saint-Siège. Et Nous avons la confiance, mieux, la conviction, que ce Conseil va s’affirmer de plus en plus comme un instrument irremplaçable et efficient pour la promotion du laïcat dans l’Eglise.

Par ailleurs, le Conseil a été en grande partie renouvelé dans sa composition. Nous sommes heureux de souhaiter la plus cordiale bienvenue aux nouveaux membres et consulteurs, aux côtés des anciens à qui Nous redisons notre estime. C’est un fait qui, espérons- le, n’échappera à personne: le visage de ce Conseil manifeste davantage les différents continents, les différentes cultures, les différents âges et sexes du Peuple de Dieu. Sans doute n’a-t-il pas été possible d’y inclure l’expression de toutes les situations et de toutes les diversités sociales de l’humanité, Nous en avons bien conscience. Mais tel qu’il est, ce Conseil doit s’efforcer de représenter l’universalité du laïcat.

Et Nous, Pasteur de l’Eglise universelle, chargé de confirmer nos Frères dans la foi, d’assurer la communion ecclésiale et d’authentifier la mission des différents membres de l’Eglise, qu’attendons-Nous de vous? Nous vous le disons très franchement et simplement: le témoignage de la foi, le souci de toute la vie de l’Eglise, une collaboration active, une réflexion approfondie.

Vous êtes d’abord des témoins du Christ, et de l’Eglise qui ne saurait en être dissociée, comme son Epouse. Un témoin vous le savez, ce n’est pas un propagandiste, le colporteur d’un message extérieur, c’est un apôtre qui doit lui-même s’efforcer de mener sa propre vie en liaison intime avec le Seigneur, comme s’il voyait l’invisible dans la trame du quotidien; il doit se nourrir de sa Parole, de son Pain de vie, entrer dans son grand dessein de salut qui demeure souvent ignoré de nos compagnons de route - et nous en souffrons - rechercher la volonté actuelle de Dieu, pour écrire, avec l’assistance de l’Esprit Saint, une nouvelle page d’histoire sainte. Cette foi, nous ne l’inventons pas, nous la recevons tous; elle est une, malgré la diversité des cultures: «un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême» (Cfr. Eph
Ep 4,5). C’est une Bonne Nouvelle que l’Eglise doit proposer à toutes les nations. Et si, de fait, elle a déjà retenti aujourd’hui dans tous les pays - comment ne pas saluer en passant le zèle des pionniers missionnaires! - il reste maintenant aux laïcs de tous les continents, avec l’aide de leurs évêques, de leurs prêtres, des religieux et religieuses, à en faire pénétrer le levain dans toutes les réalités temporelles, dans tous les milieux sociaux, dans le réseau, chaque jour plus complexe, des relations internationales. Voilà la foi qui doit vous animer vous-mêmes, voilà la mission que vous partagez à une place privilégiée.

L’action de l’Esprit Saint, ou son appel, se manifeste déjà dans les secteurs les plus variés de la vie de l’Eglise, et même chez les hommes qui paraissent en dehors d’elle. Vous devez donc également être ici les témoins objectifs de ces manifestations de foi ou de ces aspirations. Les populations autochtones doivent trouver en ce Conseil le lieu où s’expriment ces diversités légitimes et bénéfiques; et donc trouver en lui une constante et bienveillante attention aux événements et problèmes de leur vie. Sans doute l’appartenance à un mouvement d’apostolat apporte à cet égard ouverture et soutien. Mais, pour chacun de vos pays ou continents, vous n’êtes pas pour autant les représentants d’un seul mouvement ou d’une seule option. Aucune forme de vie ou d’action religieuse et apostolique ne doit vous laisser indifférents. Vous êtes ici, pourrait-on dire, le miroir des joies et des souffrances, des efforts, des échecs et des espérances de tous vos frères (Cfr. Gaudium et Spes GS 1).

Cette écoute ne suffit pas: vous ne sauriez rester des témoins passifs. Il revient à chacun de vous de porter, dans vos divers pays et continents, la préoccupation de la mission confiée au Conseil des Laïcs. Sans prétendre bien sûr donner les directives qui relèvent de l’épiscopat, ni supplanter les initiatives locales des laïcs, vous pouvez être, dans un dialogue amical avec eux, l’intermédiaire toujours disponible pour connaître et faire connaître les besoins, les difficultés, les efforts au regard desquels le Conseil des Laïcs pourrait offrir ses services. De cette manière, ce Conseil contribuera effectivement à ce que les expressions culturelles de chaque milieu, de chaque peuple, de chaque région, leurs traditions, leurs charismes et leur génie inventif, éclairés par la lumière de l’Evangile, soient assumés vraiment dans l’unité catholique de l’Eglise (Cfr. Ad gentes divinitus, 22). Le temps est venu, dans le sillage du Concile Vatican II, de hâter cette manifestation de la vitalité multiforme de l’unique Corps du Christ. C’est le mystère de la Pentecôte, avec le rayonnement de sa diversité et la cohésion de son unité, qu’il s’agit de vivre, dans l’espérance que donne l’Esprit Saint.

Mais votre rôle, pensons-Nous, ne s’arrête pas à ce labeur apostolique vécu dans l’immédiat. Devant la gigantesque mutation que nous pressentons ou constatons déjà, de graves problèmes d’ensemble se posent sous un jour nouveau. Le Conseil des Laïcs a plus que d’autres la mission d’y réfléchir en commun. Il a déjà mis à son programme certaines questions majeures que soulèvent, au plan international, des événements significatifs. Citons, à titre d’exemple: les remises en question des jeunes, l’évolution de la cellule familiale, le respect de la vie, la participation de la femme dans la société et dans l’Eglise, l’influence grandissante et le conditionnement des massmedia qui touchent la vie religieuse elle-même, dans la présentation de l’information . . . Nous n’oublions pas l’aménagement des structures sociales, économiques et politiques dont se préoccupe plus spécialement notre Commission «Justice et Paix», et qui suppose précisément une évangélisation des personnes et des mentalités collectives.

Il s’agit, fondamentalement, de préparer un humanisme ouvert sur l’absolu; tout en maintenant une autonomie légitime du temporel, on ne saurait, d’un coeur léger, négliger les moyens de référence directe au Dieu personnel dans un monde sécularisé. Ce doit être pour vous une grave préoccupation. Car la marche de l’humanité, dont vous voulez et devez être partie prenante, demeure pour nous croyants une histoire du Salut, dont l’accomplissement dépasse les perspectives de la cité terrestre. Et parfois, Nous nous posons cette question: les admirables Constitutions conciliaires Lumen gentium et Gaudium et spes, l’une et l’autre s’éclairant mutuellement, ont-elles été suffisamment lues, méditées, approfondies par les chrétiens dans toutes leurs dimensions, non seulement morales, mais théologales, disons même eschatologiques? C’est là sans doute aujourd’hui une tâche primordiale des théologiens professionnels, fidèles à la foi de l’Eglise: ils ont un éclairage particulier à vous apporter en rapport avec la Révélation transcendante de Dieu et toute la Tradition de l’Eglise; mais vous avez une place irremplaçable à leurs côtés, avec tout le laïcat chrétien, pour que la lumière évangélique saisisse vraiment le contexte temporel dans lequel vous êtes plongés par vocation. Ainsi vous contribuerez à préparer un monde qui soit inséparablement celui de frères et de fils de Dieu.

Est-ce trop dire qu’ici, à Rome où Nous vous avons appelés, le Conseil des Laïcs pourra susciter toujours davantage, au sein de la Curie corne au dehors, l’attention et la considération pour le rôle des laïcs dans l’unique service de l’Eglise? Votre loyal attachement au Siège de Pierre est un gage, n’en doutez pas, de l’authenticité et de la fécondité de cet apostolat. Soyez assurés, en retour, de l’affection et de l’espérance avec lesquelles Nous vous bénissons, vous et tous ceux que vous représentez en ce Conseil des Laïcs.



AUX MEMBRES DE LA COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE


Mercredi 11 octobre 1972




Nous sommes heureux de vous rencontrer, ne serait-ce que quelques instants, avant la clôture de votre réunion annuelle. Nous désirons Nous-mêmes vous saluer tous, tandis que vous êtes en train d’accomplir la fonction que l’Eglise, par notre mandat, vous a confiée. Cette fonction consiste à lui présenter les conclusions de vos études et de vos discussions sur les questions actuelles concernant la foi, ce qui est le propre de votre haute qualification de théologiens.


Discours 1972 51