Messages 1974

Au moment où l’UNESCO, au terme de son programme mondial de dix ans, engage une nouvelle phase de sa lutte contre l’analphabétisme. Nous voulons redire tout l’intérêt que l’Église et le Saint-Siège portent à ce problème mondial, confirmant ainsi l’action poursuivie au cours des siècles et en bien des régions pour la promotion culturelle des peuples, auprès des adultes comme des jeunes.

L’homme désire naturellement savoir: la connaissance le fait accéder à un rapport nouveau avec la nature ; elle lui donne surtout des possibilités renouvelées de dialogue avec ses semblables. Le diffusion généralisée d’une instruction de base vise donc à remédier aux inégalités et aux discriminations sociales, à permettre l’accès aux responsabilités dans la vie privée et collective, à favoriser une meilleure compréhension entre les générations, contribuant ainsi à établir des conditions de communication authentique entre les hommes.

Malgré les efforts déjà accomplis, le problème reste grave et urgent, en raison de la croissance démographique et des charges accrues que les exigences d’une alphabétisation plus poussée imposent aux nations. Certes, le travail important effectué par l’UNESCO au cours des dernières années fournit une base solide de recherches et d’expérimentations. Profitant de l’expérience acquise, il convient de promouvoir maintenant une action plus large, s’adressant sans discrimination à toutes les catégories des populations. La responsabilité de telle entreprise relève alors d’une manière spéciale des autorités nationales : il leur revient de diriger les investissements et les priorités éducatives, tout en demeurant largement ouvertes au concours des initiatives privées qui s’offrent pour contribuer, de manière désintéressée, à l’effort commun. Depuis longtemps, l’Église a su prendre sa part dans ce service des plus déshérités, là en particulier où la pauvreté règne en maître, là où il n’y a pas à espérer de profit matériel, mais où la joie de voir l’homme, « debout », devenir participant de sa propre éducation, améliorer lui-même la qualité de sa vie et en découvrir enfin le sens dernier, est la seule récompense de ceux qui reconnaissent en tout être humain une image du Créateur.

Dans ce domaine privilégié de la collaboration humaine, les besoins demeurent immenses. Leur satisfaction devrait être l’objectif prioritaire de la politique intérieure comme de la coopération internationale. Comment ne pas s’étonner, alors, en considérant l’importance que tant de pays, — même parmi ceux qui sont en voie de développement — accordent unilatéralement à la recherche d’une croissance économique purement matérielle, ou bien plus encore, de manière désastreuse, à des dépenses militaires qui contribuent si souvent à rendre précaires la paix et la sécurité ? Comment ne pas rappeler surtout la grave obligation morale, pour les dirigeants des nations riches, de faire prendre conscience à leurs compatriotes du grave devoir de se sentir solidaires des peuples défavorisés, de les aider de manière désintéressée et d’inclure cette aide dans leurs programmes économiques au lieu de chercher constamment, sur le plan national ou international, à tirer le meilleur profit de leurs investissements ?

La coopération internationale doit donc s’effectuer dans un esprit de sincérité, de service désintéressé, dans le respect des spécificités culturelles de chaque peuple, avec la volonté d’éviter tout ce qui serait recherche indue d’influence ou forme subtile de domination. C’est pourquoi Nous saluons et Nous encourageons la création envisagée d’une « Fondation internationale pour l’alphabétisation ». Nous espérons qu’elle permettra d’apporter aux moins favorisés, dans le cadre de la deuxième Décennie du développement, l’aide désintéressée dont ils ont besoin, tout en fournissant aux pays les plus riches un moyen d’agir qui évite le plus possible l’esprit de rivalité ou de domination.

Dans ces perspectives, Nous saisissons l’occasion de la célébration de la Journée internationale de l’alphabétisation pour formuler de nouveau nos voeux les meilleurs pour le développement de cette grande oeuvre de fraternité humaine sur laquelle Nous invoquons, ainsi que sur tous ses ouvriers, l’abondance des divines bénédictions.




PAULUS PP. VI






23 octobre



DROITS DE L’HOMME ET RÉCONCILIATION





Message du Pape et des Pères Synodaux au monde



Deux anniversaires riches d’une particulière signification pour l’Eglise et pour le monde se sont produits depuis le Synode de 1971 : dixième anniversaire de Pacem in Terris, Encyclique du Pape Jean XXIII (1963) ; vingt-cinquième anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme des Nations-Unies (1948). L’un et l’autre de ces documents nous rappellent que la dignité humaine exige la défense et la promotion des droits de l’homme.

Nous voici réunis en un nouveau Synode dont le thème est l’évangélisation : proclamation de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. S’il est vrai que les vérités concernant la dignité de l’homme et ses droits sont un bien commun de tous les hommes, nous en trouvons, quant à nous, l’expression la plus complète dans l’Evangile. Et nous puisons aussi dans l’Evangile le motif le plus pressant de nous engager à la défense et à la promotion des droits de l’homme.

Au cours de ce Synode, l’étroite relation entre cet engagement et le ministère de l’Eglise s’est présentée avec évidence dans l’échange que nous avons fait de nos expériences pastorales, reflétant le caractère universel de l’Eglise, sa présence à l’intime de la conscience des peuples et sa participation à leur souffrance partout où les droits sont bafoués ou violés.

Réfléchissant sur ces expériences à la lumière de l’Evangile, nous voulons lancer un appel concernant les droits de l’homme et la réconciliation. Nous adressons ce message à l’Eglise et au monde entier, très spécialement à tous ceux qui sont en position de responsabilité. Nous voulons élever la voix au nom de tous les hommes sans voix qui souffrent d’injustices.

La dignité humaine a sa racine dans l’image et le reflet de Dieu qui sont en chacun des hommes. Par là, toutes les personnes sont essentiellement égales entre elles. Le développement personnel intégral est manifestation de cette image de Dieu en nous. Dans le moment que nous vivons, l’Eglise a pris une plus vive conscience de cette vérité. Elle croit aussi très fermement que la promotion des droits de l’homme est une requête de l’Evangile, et qu’elle doit occuper une place centrale dans son ministère.

Dans le désir de se convertir pleinement à son Seigneur et de mieux accomplir son ministère, l’Eglise entend manifester respect et souci des droits de l’homme à l’intérieur d’elle-même. Et l’Eglise a aussi acquis une conscience renouvelée de la place de la justice dans son ministère. Les progrès déjà réalisés en ce sens nous encouragent à poursuivre notre effort pour nous conformer sans cesse davantage à la volonté du Seigneur.

L’Eglise sait d’expérience que le ministère de la promotion des droits de l’homme dans le monde l’oblige à un constant examen et à une incessante purification de sa propre vie, de sa législation, de ses institutions, de ses plans d’action. Le Synode de 1971 disait : « Quiconque ose parler aux hommes de justice doit d’abord être juste à leurs yeux ». Conscients de nos propres limitations, de nos déficiences et de nos échecs, nous pouvons mieux comprendre les manques des autres, institutions aussi bien que personnes. Dans l’Eglise comme dans les autres institutions ou groupements, il faut travailler à purifier les modes d’agir, les procédures ; il faut purifier aussi les relations que l’on peut avoir avec des structures et systèmes sociaux fauteurs de violations des droits de l’homme qui doivent être dénoncées.

Aucune nation n’est aujourd’hui sans reproche en ce qui concerne les droits de l’homme. Il ne revient certes pas au Synode de spécifier des cas particuliers de violations ; cela relève plutôt du niveau local. Mais nous désirons, par nos paroles comme par nos actes, encourager tous ceux qui oeuvrent en faveur des droits de l’homme, inviter ceux qui détiennent l’autorité à promouvoir les droits de l’homme, donner aussi de l’espoir aux hommes qui souffrent violation de leurs droits. Nous voulons ici attirer l’attention sur quelques droits plus menacés aujourd’hui.

Droit de vivre. C’est un droit fondamental et inaliénable. Il subit aujourd’hui de graves violations : contraception, stérilisation, avortement, euthanasie, pratique répandue de la torture, violences exercées sur des innocents, fléau de la guerre, génocides, campagnes massives contre le droit à la vie. La course aux armements est une folie coûteuse pour le monde ; elle crée aussi les instruments susceptibles de provoquer une destruction encore plus massive de la vie.

Droit de manger. Il est étroitement lié au droit de vivre. Des millions d’hommes sont actuellement menacés de mourir de faim. Il faut que nations et peuples entreprennent une action concertée de solidarité à la très prochaine Conférence des Nations-Unies pour l’Alimentation. Nous invitons les gouvernements à une profonde conversion de leur attitude envers les victimes de la faim; nous leur demandons d’accueillir les impératifs de justice et de réconciliation, et de trouver rapidement le moyen de nourrir ceux qui sont sans nourriture.

Droits socio-économiques. La réconciliation requiert la justice. Les inégalités massives de pouvoir et de richesse qui existent dans le monde, souvent aussi au sein des nations, sont un grave obstacle à la réconciliation. La concentration de puissance économique entre les mains d’un petit nombre de nations et de groupes multinationaux, le déséquilibre structurel des relations commerciales, les disparités dans l’évolution des prix auxquels les nations industrielles et non industrielles échangent leurs produits, l’impuissance à conjuguer croissance économique et juste distribution dans les nations comme au plan international, le chômage, les discriminations en matière d’emploi, les niveaux globaux de consommation des ressources, tout ceci appelle des réformes si l’on veut que la réconciliation soit possible.

Droits politiques et culturels. La réconciliation au sein de la société et les droits de la personne exigent que chaque homme puisse jouer un rôle effectif dans la détermination de son destin. Chacun a le droit de participer à la vie politique avec liberté et responsabilité. Il a droit également d’accéder librement à l’information. Droit de parole ; droit à la liberté de la presse ; droit à une opinion différente. Les hommes ont droit à être éduqués et à déterminer comment seront éduqués leurs enfants. Nul, ni individu ni groupe, ne doit avoir à redouter d’être arrêté, torturé, emprisonné pour des motifs politiques ou idéologiques. Et à tous dans la société, y compris aux travailleurs migrants, doit être garantie une protection juridique de leurs droits personnels, sociaux, culturels et politiques. Nous condamnons tout déni ou limitation des droits pour motif de race. Nous supplions les nations et les groupes contestataires de rechercher la réconciliation, en renonçant à toute forme de persécution et de violence, et en amnistiant avec miséricorde et équité les prisonniers et exilés politiques.

Droit à la liberté religieuse. Ce droit reflète très particulièrement la dignité personnelle telle qu’elle nous est connue par la Parole de Dieu et par la raison elle-même. Cette liberté est aujourd’hui refusée, ou bien elle est affectée de limitations, dans divers systèmes politiques qui mettent des obstacles au culte, à l’éducation religieuse et au ministère à signification sociale. Nous invitons tous les gouvernements à reconnaître le droit à la liberté religieuse en paroles et à l’assurer dans les faits, éliminant toutes les formes de discrimination et accordant à tous la sauvegarde de leurs convictions religieuses, la plénitude des droits de citoyens, sans ramener au contraire les croyants au rang de citoyens de seconde classe.

Nous célébrons en ce moment une Année Sainte de renouvellement et de réconciliation. Elle nous rappelle la grande année du Pardon (Lv 25) ainsi que le don et pouvoir de réconciliation que le Christ nous a remis (Lc 4,18-19 Ep 2,13-17). Nous réaffirmons ainsi que l’Église doit être signe et source de réconciliation parmi les peuples. Les hommes ont droit à l’espoir ; l’Eglise doit être aujourd’hui signe et source d’espoir.

En conséquence, elle entend pardonner à tous ceux qui l’ont persécutée ou calomniée ; et elle promet ouverture, sympathie et compréhension à tous ceux qui la mettent en question, la défient ou s’attaquent à elle. Nous invitons finalement chaque homme, chaque femme à reconnaître la responsabilité qu’il a, ou qu’elle a, en conscience, par rapport aux droits d’autrui. A la lumière de ce que nous percevons de notre devoir d’évangélisation et avec la force de notre obligation de proclamer la Bonne Nouvelle, nous affirmons notre propre détermination de promouvoir les droits de l’homme et la réconciliation partout dans l’Église et dans le monde aujourd’hui.






8 décembre



LA RÉCONCILIATION, CHEMIN VERS LA PAIX





A tous les hommes de bonne volonté !

Voici notre message pour l’année 1975.

Vous le connaissez désormais, et il ne saurait être autre que :

Frères, faisons la paix !



Notre message est très simple, mais en même temps il est si grave et si exigeant qu’il pourrait sembler offensant : la paix n’existe-t-elle pas déjà ? Que peut-on faire d’autre pour la paix, que peut-on faire de plus que ce qui a déjà été fait et se fait encore ? L’histoire de l’humanité n’est-elle pas déjà en marche, par sa propre force, vers la paix universelle ?

Oui, il en est ainsi ; ou plutôt, il semble en être ainsi. Mais la paix doit être « faite », elle doit être continuellement engendrée et produite; elle résulte d’un équilibre instable que seul le mouvement peut assurer et qui est proportionnel à la vitesse de ce mouvement. Les institutions mêmes qui, sur le plan juridique et dans le concert des nations, ont pour rôle — et ont le mérite — de proclamer et de conserver la paix, n’atteignent le but prévu que si elles sont continuellement à l’oeuvre, si elles savent à chaque instant engendrer la paix, faire la paix.

Cette nécessité résulte principalement du devenir humain, de l’incessant processus d’évolution de l’humanité. Les hommes succèdent aux hommes, les générations aux générations. Même si aucun changement ne se produisait dans les situations juridiques et historiques existantes, il faudrait quand même oeuvrer continuellement pour éduquer l’humanité à rester fidèle aux droits fondamentaux de la société : ces derniers doivent demeurer et guideront l’histoire pendant un temps indéfini, à condition que les hommes, changeants, et que les jeunes qui viennent remplacer les anciens disparus, soient sans cesse formés à la discipline de l’ordre nécessaire au bien commun et à l’idéal de la paix. Faire la paix, sous cet angle, signifie éduquer à la paix. L’entreprise n’est pas mince, ni facile.

Mais nous savons tous que les hommes ne sont pas les seuls à changer sur la scène de l’histoire. Les choses aussi changent, c’est-à-dire les questions dont la solution équilibrée conditionne la coexistence pacifique entre les hommes. Nul ne peut soutenir que désormais l’organisation de la société civile et du contexte international soit parfaite. De nombreux, de très nombreux problèmes restent encore potentiellement ouverts : ceux d’hier demeurent, de nouveaux surgissent aujourd’hui, d’autres surgiront demain ; tous attendent une solution. Cette dernière, Nous l’affirmons, ne peut pas, ne doit jamais plus découler de conflits égoïstes ou violents, encore moins de guerres meurtrières entre les hommes. Cela a été dit par les hommes sages, spécialistes de l’histoire des peuples et experts en économie des nations. Nous aussi, sans armes au milieu des querelles du monde, et fort d’une Parole divine, Nous l’avons dit : tous les hommes sont frères. Finalement toute la civilisation semble avoir admis ce principe fondamental. Si donc les hommes sont frères, mais s’il existe encore entre eux et s’il surgit toujours des causes de conflit, il faut que la paix devienne opérante et sage. Il faut faire la paix, il faut la produire, il faut l’inventer, il faut la créer avec un génie toujours vigilant, avec une volonté toujours neuve et inlassable. Nous sommes par conséquent tous persuadés du principe qui inspire la société contemporaine: la paix ne peut être ni passive, ni oppressive; elle doit inventer, prévenir, agir.

Nous sommes heureux de constater que ces critères directeurs de la vie collective dans le monde sont aujourd’hui, au moins dans leur principe, universellement accueillis. Et Nous nous sentons le devoir de remercier, de louer, d’encourager les responsables et les institutions actuellement destinées à promouvoir la paix sur la terre qui ont su choisir, comme premier article de leur action, cet axiome fondamental : seule la paix engendre la paix.

Laissez-nous vous répéter à tous de manière prophétique le message du récent Concile oecuménique jusqu’aux confins de l’horizon : « Nous devons tendre à préparer de toutes nos forces ce moment où, de l’assentiment général des nations, toute guerre pourra être absolument interdite... La paix doit naître de la confiance mutuelle entre peuples au lieu d’être imposée aux nations par la terreur des armes... Les chefs d’Etat, qui sont les répondants du bien commun de leur propre nation et en même temps les promoteurs du bien universel, sont très dépendants des opinions et des sentiments de la multitude. Il leur est inutile de chercher à faire la paix tant que les sentiments d’hostilité, de mépris et de défiance, tant que les haines raciales et les partis-pris idéologiques divisent les hommes et les opposent. D’où l’urgence et l’extrême nécessité d’un renouveau dans la formation des mentalités et d’un changement de ton dans l’opinion publique.

« Que ceux qui se consacrent à une oeuvre d’éducation, en particulier auprès des jeunes, ou qui forment l’opinion publique, considèrent comme leur plus grave devoir celui d’inculquer à tous les esprits de nouveaux sentiments générateurs de paix.

« Nous avons tous assurément à changer notre coeur et à ouvrir les yeux sur le monde, comme sur les tâches que nous pouvons entreprendre tous ensemble pour le progrès du genre humain » (Gaudium et Spes, GS 82).

C’est là que notre message se centre sur le point caractéristique qui l’inspire, en affirmant que la paix a d’autant plus de valeur lorsque, avant d’être extérieure, elle cherche à être intérieure. Il faut désarmer les esprits si nous voulons empêcher efficacement le recours aux armes qui atteignent les corps. Il faut donner à la paix, c’est-à-dire à tous les hommes, les racines spirituelles d’une manière commune de penser et d’aimer. Elle ne suffit pas, écrit Saint Augustin, le maître théoricien d’une Cité nouvelle, elle ne suffit pas, pour associer les hommes entre eux, l’identité de leur nature ; encore faut-il leur enseigner à parler un même langage, c’est-à-dire à se comprendre, à posséder une culture commune, à partager les mêmes sentiments; autrement, « l’homme aimera mieux se trouver avec son chien qu’avec un homme étranger » (cf. De Civitate Dei, XIX, VII ; PL 41, 634).

C’est dans cette intériorisation de la paix que résident le véritable humanisme, la véritable civilisation. Heureusement, elle est déjà en train de se réaliser. Elle mûrit avec le progrès du monde. Elle trouve sa force persuasive dans les dimensions universelles des rapports de tout genre que les hommes sont en train d’établir entre eux. C’est un travail lent et compliqué, mais qui, à beaucoup d’égards, s’impose de soi : le monde marche vers son unité. Toutefois, Nous ne pouvons pas nous faire illusion : tandis que s’étend au milieu des hommes la concorde pacifique — grâce à la découverte progressive de la complémentarité et de l’interdépendance des pays, aux échanges commerciaux, à la diffusion d’une même vision de l’homme, toujours respectueuse cependant de l’originalité et de la spécificité des diverses cultures, grâce encore à la facilité des voyages et des moyens de communication sociale, etc. —, Nous devons remarquer que se manifestent aujourd’hui de nouvelles formes de nationalismes jaloux, braqués sur des manifestations hargneuses de revanche pour des raisons de race, de langue, de tradition ; que subsistent des situations vraiment tristes de misère et de faim ; que surgissent de puissantes expressions économiques multinationales, chargées d’antagonismes égoïstes ; que s’organisent socialement des idéologies exclusivistes et dominatrices ; que des conflits territoriaux éclatent avec une impressionnante facilité ; et surtout que les engins meurtriers capables d’engendrer des destructions catastrophiques s’accroissent en nombre et en puissance, jusqu’à imposer à la terreur le nom de paix. Oui, le monde marche vers son unité alors que, d’un autre côté, se font plus nombreuses les hypothèses terrifiantes qui laissent prévoir comme plus possibles, plus faciles et plus périlleux des affrontements fatals considérés, sous certains aspects, comme inévitables et nécessaires, voire même réclamés par la justice. Faut-il qu’un jour la justice ne soit plus soeur de la paix, mais de la guerre (cf. saint augustin, ibid.) ?

Nous ne jouons pas à formuler des utopies, ni optimistes, ni pessimistes. Nous voulons nous en tenir à la réalité qui, par cette phénoménologie d’espérance illusoire et de désespoir regrettable, nous avertit encore une fois que quelque chose ne fonctionne pas bien dans le char monumental de notre civilisation. Cette dernière pourrait éclater en une conflagration indescriptible par un défaut de construction. Nous disons défaut, et non manque ; défaut du coefficient spirituel, que Nous admettons toutefois comme déjà présent et opérant dans l’économie générale du développement pacifique de l’histoire contemporaine, et comme digne de toute reconnaissance favorable et de tout encouragement : n’avons-nous pas attribué Nous-même à l’UNESCO notre prix qui porte le nom du Pape Jean XXIII, auteur de l’Encyclique Pacem in terris ?

Mais Nous osons dire qu’il faut faire davantage, qu’il faut valoriser et appliquer le coefficient spirituel, pour le rendre capable non seulement d’empêcher les conflits entre les hommes et de prédisposer ceux-ci à des sentiments pacifiques et civilisés, mais de produire la réconciliation entre les hommes eux-mêmes, c’est-à-dire d’engendrer la paix. Il ne suffit pas de contenir les guerres, de suspendre les luttes, d’imposer trêves et armistices, de définir frontières et rapports, de créer des sources d’intérêts communs ; il ne suffit pas de paralyser les possibilités de contestations radicales par la terreur de destructions et de souffrances inouïes ; une paix imposée ne suffit pas, non plus qu’une paix utilitaire et provisoire ; il faut tendre vers une paix aimée, libre, fraternelle, et donc fondée sur la réconciliation des esprits.

Nous savons que c’est difficile, plus difficile qu’aucune autre méthode. Mais ce n’est pas impossible, ce n’est pas inconcevable. Nous croyons en la bonté fondamentale des hommes et des peuples. Dieu a fait salutaires les créatures (Sg 1,14). L’effort intelligent et persévérant pour la compréhension mutuelle des hommes, des classes sociales, des Cités, des peuples, des civilisations, n’est pas stérile.

Nous nous réjouissons, spécialement à la veille de l’Année internationale de la Femme, proclamée par les Nations-Unies, de la participation toujours plus étendue des femmes à la vie de la société : elles y apportent une contribution spécifique de grande valeur grâce aux qualités que Dieu leur à données. Intuition, créativité, sensibilité, aptitude à la pitié et à la compassion, large capacité de compréhension et d’amour, permettent en effet aux femmes d’oeuvrer, d’une manière tout à fait particulière, à la réconciliation dans les familles et dans la société.

Nous éprouvons également une grande satisfaction à constater que l’éducation des jeunes à une nouvelle mentalité universelle de la vie en société, mentalité qui n’est ni sceptique, ni vile, ni inepte, ni oublieuse de la justice, mais généreuse et pleine d’amour, est déjà commencée et déjà bien avancée ; elle renferme des ressources imprévisibles pour la réconciliation, et elle peut tracer le chemin de la paix dans la vérité, l’honneur, la justice, l’amour, et donc dans la stabilité, pour la nouvelle histoire de l’humanité.

La réconciliation ! Hommes jeunes, hommes courageux, hommes responsables, hommes libres, hommes bons, y pensez-vous ? Ce mot magique ne pourrait-il entrer dans le vocabulaire de vos espérances, de vos succès ?

Voilà notre message et notre souhait pour vous tous : la réconciliation est le chemin vers la paix.



A vous maintenant, hommes d’Eglise !

Frères dans l’épiscopat, prêtres, religieux et religieuses.

A vous, membres de notre laïcat militant

et à tous les fidèles !



Le Message sur la réconciliation comme chemin vers la paix exige un complément, même s’il vous est déjà connu et présent à l’esprit.

Ce n’est pas seulement une partie intégrante, mais une partie essentielle de notre message, vous le savez. En effet, il nous rappelle à tous que la première et indispensable réconciliation à réaliser est la réconciliation avec Dieu. Il ne peut y avoir pour nous croyants d’autre chemin vers la paix que celui-là ; bien plus, dans la définition de notre salut, la réconciliation avec Dieu et notre paix coïncident, sont cause l’une de l’autre. C’est l’oeuvre du Christ. Il a réparé la rupture que le péché opère dans nos rapports vitaux avec Dieu. Souvenons-nous, parmi beaucoup d’autres, d’une parole de Saint Paul à ce propos : « Et le tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ » (2Co 5,18).

L’Année Sainte que nous allons commencer veut nous rendre attentifs à cette première et heureuse réconciliation: le Christ est notre paix ; il est le principe de la réconciliation dans l’unité de son corps mystique (cf. Ep Ep 2,14-16). Dix ans après la conclusion du Concile Vatican II, nous ferons bien de méditer plus profondément le sens théologique et ecclésiologique de ces vérités fondamentales de notre foi et de notre vie chrétienne.

Surgit alors une conséquence logique, normale, et même facile si nous sommes vraiment dans le Christ: nous devons perfectionner le sens de notre unité ; unité dans l’Église, unité de l’Église; la première est une communion mystique, constitutive (cf. 1Co 1,10 1Co 12,12-27) ; la seconde, une recomposition oecuménique de l’unité entre tous les chrétiens (cf. Unitatis redintegratio ) ; l’une et l’autre exigent un travail particulier de réconciliation qui doit apporter à la communauté chrétienne cette paix, qui est fruit de l’Esprit, résultant de sa charité et de sa joie (cf. Ga Ga 5,22).

En ces domaines aussi nous devons « faire la paix » ! Le texte de notre « Exhortation sur la réconciliation à l’intérieur de l’Église », publié ces jours-ci, vous arrivera certainement en mains ; Nous vous supplions, au nom de Jésus-Christ, de bien vouloir méditer ce document, de bien vouloir en tirer des résolutions de réconciliation et de paix. Que personne ne pense pouvoir éluder les exigences inévitables de la communion avec le Christ, la réconciliation et la paix, en demeurant sur ses habituelles positions contestataires face à son Église ; tâchons au contraire de faire en sorte que tous et chacun apportent une nouvelle et loyale contribution pour édifier cette Église de façon filiale, humble, positive. Ne devrons-nous pas nous rappeler la parole ultime du Seigneur, pour l’apologie de son Évangile : « Qu’ils soient parfaitement un, et que le monde sache que tu m’as envoyé » (Jn 17,23) ? N’aurons-nous pas la joie de revoir des frères aimés et lointains revenir à la joyeuse harmonie d’autrefois ?

Nous devrons prier pour que cette Année Sainte donne à l’Église catholique l’ineffable expérience de la reconstitution de l’unité de quelques groupes de frères déjà si proches de l’unique bercail, mais qui hésitent encore à en franchir le seuil. Et nous prierons aussi pour les croyants sincères d’autres religions, afin que se développe le dialogue amical que nous avons commencé avec eux, et qu’ensemble nous puissions collaborer pour la paix mondiale. Nous devrons surtout demander à Dieu pour nous-mêmes l’humilité et l’amour, afin de donner à la claire et constante profession de notre foi la capacité d’entraîner la réconciliation et le charisme fortifiant et joyeux de la paix.

« Alors — c’est là notre souhait — la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos coeurs et vos pensées, dans le Christ Jésus » (Ph 4,7).



Du Vatican, le 8 décembre 1974.




PAULUS PP. VI






25 décembre



MESSAGE DE NOËL DU PAPE PAUL VI





A l’issue de la Messe qu’il a célébrée à 11 heures, le Jour de Noël, dans la Basilique Saint-Pierre, le Saint-Père a adressé à l’Église son traditionnel message de Noël.



Frères et Fils

de Rome et du monde entier !



Qu’il est beau, qu’il est grand, qu’il est prophétique de répéter, en cette heure bénie et de ce lieu choisi l’heureuse annonce de l’ange : « Ne craignez pas, car voici que je vous communique une bonne nouvelle — l’Évangile par excellence ! —, une bonne nouvelle qui est une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui dans la cité de David — à Bethléem — un Sauveur vous est né qui est le Christ Seigneur ! » (Lc 2,10-11). Annonce joyeuse, annonce historique, annonce libératrice, annonce messianique, qui ouvre le ciel, en dégage la route, en laisse entrevoir la profondeur mystérieuse et surnaturelle ; annonce incomparable aussi, qui inonde la terre de paix et d’allégresse ! De même que, pour nous, le ministère apostolique qui nous fait répéter non seulement l’écho, mais les magnifiques paroles de ce message prophétique, est un motif de joie intime et mystique, de même nous voudrions qu’il soit pour vous — pour vous tous, fidèles ou appelés à la foi — une source de bonheur et d’espérance. C’est la liturgie inaugurale, cosmique et ineffable, qui célèbre par ce chant la nouvelle alliance entre le Dieu de l’éternité et les hommes de l’histoire, entre le ciel et la terre, entre la gloire du royaume — pour nous encore invisible et à venir — et la scène du monde, splendide et tourmentée, dans laquelle, nous qui sommes tous vivants et pèlerins dans le temps, nous sommes, pendant un instant fugitif, les protagonistes responsables et heureux.

Nous devons imprimer en nos coeurs ce moment béni, qui révèle la vérité religieuse et existentielle de notre vie, et qui, tel un éclair lumineux, nous permet de découvrir le panorama de l’authentique situation humaine et le but offert à notre destinée.

Frères, nous tous qui participons à une même vocation transcendante, nous devons donc, de cette clairvoyante et providentielle vision de Noël, fixer en nous la sage leçon : Noël est la première, la grande page de la pensée chrétienne. Nous le devons pour fuir les ténèbres de la nuit dans laquelle nous sommes fatalement plongés malgré les innombrables efforts — dont beaucoup sont valables et louables — pour allumer quelque lueur d’intelligence et d’intuition sur le chemin obscur et périlleux de nos pas.

Mais voici Noël. Le Messie, c’est-à-dire le guide, le Maître, est venu : voici Jésus, le Sauveur, qui nous révèle le Père. Le Père, c’est-à-dire la Bonté vigilante, sage et pleine d’amour, le Dieu vivant. Et voici alors une seconde révélation — personnifiée dans le Christ Jésus — portant sur l’humanité, sur l’histoire, sur la société, sur chacune de nos existences. Combien, combien en fin de compte est étendu notre savoir ! Nous ne savons pas tout, certainement ; mais peut-être en savons-nous trop. Théologie et humanisme sont des registres de sagesse incomparable qui, pour celui qui sait les découvrir, forment le berceau dans lequel repose l’Enfant Jésus.

Voilà ce que nous voulons aujourd’hui rappeler à votre méditation, à votre dévotion : c’est là et c’est comme cela qu’est le christianisme ; c’est là et c’est comme cela qu’est notre science de la vie ; c’est là et c’est comme cela qu’est notre foi !


Messages 1974