Discours 1977 83

À L’AMBASSADEUR DU LIBAN PRÈS LE SAINT-SIÈGE*


Vendredi 7 octobre 1977

Monsieur l’ambassadeur,


Nous sommes vraiment très touché des paroles élevées, pleines de foi et d’humanité, que Votre Excellence vient de prononcer en inaugurant ses fonctions d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Liban près le Saint-Siège. Vous avez su évoquer, de façon émouvante et simple, l’originalité de votre cher pays, son passé glorieux, ses constantes aspirations à la paix et à la liberté, les épreuves douloureuses qu’il vient de connaître et sa situation encore précaire, toutes choses qui devraient lui mériter, de la part de tous les membres de la Communauté internationale, respect, amitié et soutien.

Devant ce beau témoignage, Nous aimons vous exprimer nos voeux fervents. Et d’abord à l’adresse de Son Excellence le Président Elias Sarkis: Nous vous confions le soin de le remercier des sentiments qu’il vous a chargé de nous transmettre et de lui dire nos encouragements pour sa haute mission. Quant à vous-même, Monsieur l’ambassadeur, Nous vous souhaitons un fructueux accomplissement de vos fonctions auprès du Saint-Siège, et d’heureux contacts avec vos collègues du Corps Diplomatique présents à Rome.

84 Au-delà de votre personne, nos voeux chaleureux vont aux chères communautés chrétiennes du Liban, si diverses qu’elles soient par leur rite, leur influence historique ou leur importance numérique: elles sont toutes enracinées depuis si longtemps sur cette terre qui prolonge en quelque sorte la Terre Sainte, elles ont participé avec tant de mérites à l’histoire, à la culture et au progrès de leur patrie, qu’elles ont un droit naturel à continuer d’y vivre, à leur place, dans la justice et dans la paix. Et nos souhaits s’étendent à tous les habitants du Liban: que tous puissent y vivre et y travailler dans «la tranquillité de l’ordre» que vous avez si bien évoquée, selon une juste répartition des droits et des devoirs, dans le respect des lois et du bien commun du peuple libanais, mieux encore, dans l’amitié qui sied à des concitoyens et à des croyants.

Certes l’épreuve a durement secoué le Liban, et Nous avons souffert avec vous de ces ruines qui ont défiguré le pays et de ces massacres qui ont entraîné des souffrances difficiles à guérir. Mais, avec vous, Nous voulons croire que la vitalité, l’énergie, l’ingéniosité, la capacité d’entente et l’espérance qui surgit de la foi, chez l’ensemble de vos compatriotes, permettront la restauration et le progrès que tous les hommes de coeur vous souhaitent. Pour notre part, Nousne nous contenterons pas de bonnes paroles de compassion et d’encouragement; Nous continuerons, en union avec nos Frères Patriarches et Evêques de ce pays, à faire oeuvre de persuasion, auprès des Libanais, et aussi de toutes les parties en cause et même des instances internationales, pour construire l’avenir dans la paix. Et Nous aiderons, dans la mesure de nos moyens, à panser les blessures. Ce soutien, Nous vous le devons au nom de la charité de Notre Seigneur, au nom de la fidélité, au nom de l’estime que Nous avons toujours eue pour votre idéal de vie commune entre les différents groupes qui composent la population libanaise. Mais réciproquement, Nous osons dire que les peuples du Moyen-Orient, que l’ensemble des Nations, et, à un titre particulier, l’Eglise, ont été et seront bénéficiaires de votre exemple de vitalité et de solidarité.

Tels sont les souhaits cordiaux que Nous formons, Monsieur l’Ambassadeur, en vous accueillant ici et en vous donnant notre Bénédiction au seuil de votre délicate mission. Dimanche prochain, Nous proposerons à la vénération des fidèles du monde entier le bienheureux Charbel Makhlouf: Nous aurons alors une pensée toute spéciale pour le Liban où sa sainteté a brillé d’un éclat particulier. Dès maintenant Nous supplions Dieu d’assister, de bénir tous vos compatriotes et leurs Gouvernants, et de veiller sur la destinée de votre pays.

*AAS 69 (1977), p.673-675;

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XV, p.915-916;

OR 8.10.1977, p.2;

L’Attività della Santa Sede 1977, p.293-294;

ORf n.42 p.10.




8 octobre



DISCOURS DU SAINT-PÈRE À L’INAUGURATION DE L’EXPOSITION ARTISTIQUE SUR ST PAUL



Le samedi 8 octobre, en présence du Saint-Père a été inaugurée une exposition de peintures, sculptures et dessins provenant de la Collection d’art moderne religieux des Musées du Vatican et consacrés à la vie de Saint Paul et au Christ mort et ressuscité. A cette occasion, le Pape a prononcé en italien une allocution dont voici la traduction.



Avant même d’arrêter notre regard sur l’Exposition artistique qui est devant nous, il nous faut tourner notre attention vers les Artistes qui en sont les auteurs, et qui méritent d’être salués avec respect, reconnaissance et cordialité. C’est aussi pour nous une excellente occasion de les connaître en personne, et la personne l’emporte toujours dans l’échelle de tout ce qui nous intéresse.

85 A vous donc, Artistes, auteurs des oeuvres ici exposées, notre respectueux salut de bienvenue, avec notre gratitude, comme Nous aimons l’offrir à ceux qui, par leur qualification professionnelle, jouissent de notre estime et de notre sympathie. Quelques-uns d’entre vous nous sont déjà connus par de précédentes rencontres, ou par la renommée qui entoure vos oeuvres; et nous sommes heureux et honoré que se présente à nous une heureuse occasion de vous assurer que l’antique et traditionnelle sympathie humaniste, dont les artistes ont bénéficié dans cette maison de Saint-Pierre où l’Ineffable a sa demeure (cf. 1P 1,1-5), n’a pas disparu ; bien plus, un amour nostalgique et un regain d’amitié donnent un nouvel élan à cette sympathie. Aujourd’hui encore, une preuve vous en est donnée. Ici, vous n’êtes pas complètement étrangers, mais vous êtes attendus, accueillis, compris également (ce n’est pas toujours chose facile !), et toujours avec la secrète espérance de notre part qu’une nouvelle manifestation d’une beauté imprévue connaisse une aurore révélatrice.

A vous donc, Messieurs, nos hommages, pleins de reconnaissance et d’admiration.

Et puis, nos yeux, c’est naturel dans une exposition d’oeuvres d’art, se tournent vers vos travaux et en subissent le charme. Nous sommes mû par un double sentiment de reconnaissance et d’admiration. Nous ne renoncerons pas non plus à un autre sentiment, celui de la critique, instinctif aussi en nous qui pourtant n’avons pas la prétention d’être d’une compétence consommée : mais nous le remettons à plus tard, après que nous aurons observé et réfléchi.

Pour comprendre cette singulière manifestation artistique, il faut nous reporter à l’idée qui en est à l’origine. Le mérite en revient à un groupe d’amis, fort aimables, et passionnés des problèmes artistiques et spirituels. Ils se sont proposés, à notre insu, d’honorer notre quatre-vingtième anniversaire en invitant quatre-vingts artistes à collaborer, chacun par une oeuvre, à la composition d’un recueil de travaux ayant tous saint Paul pour sujet. Ils entendaient ainsi nous être agréable en offrant à notre admiration une collection d’images représentant l’Apôtre dont nous sommes bien indigne mais fidèle dévot, et dont — sans renoncer en privé au prénom de Jean-Baptiste, le Précurseur que nous vénérons toujours — nous. avons pris le nom afin d’obtenir sa protection, sans aucune présomption de pouvoir suivre comme il le faut son exemple incomparable. Nous devons donc être nous-même heureux de cette apothéose précieuse et originale que vous tous, Artistes qui avez-répondu à la proposition hardie qui vous était faite, avez offerte à l’Apôtre, docteur des païens (1Tm 2,7), disciple et émule de l’Apôtre Pierre, puis son compagnon dans le martyre et dans le culte (cf. Ga Ga 1,18 Ga 2,2 Ga 2,8-9 Ga 2,14 Prat, Saint Paul, Ga 56 ss. ). Nous savons que l’idée initiale à été complétée par le désir d’illustrer un thème central de la théologie paulinienne celui du Christ crucifié et ressuscité, par des oeuvres d’autres Artistes, dont certains ne sont plus de ce monde. Que les généreux donateurs de ces oeuvres reçoivent, eux aussi, nos remerciements les plus émus et les plus sincères.

Et nous en arrivons à la figure de Saint Paul, qui, comme il se devait, n’a pas seulement inspiré votre génie, mais l’a aussi certainement tourmenté. Il est vrai que Saint Paul avoue lui-même l’humilité de son aspect esthétique, et le changement de son nom hébreu, Saul, aux résonances majestueuses, en celui de Paul, qui évoque la petitesse est significatif; changement que saint Augustin pensait pouvoir attribuer à une volonté d’humilité de saint Paul lui-même : « Non ob aliud hoc nomen elegit, nisi ut se ostenderet parvum, tamquam minimus apostolorum » (De Spiritu et littera, VII, 12 ; PL L, 4, p. 207). Peut-être sa présence suggérait-elle cette manière de parler de soi-même, si on se souvient des paroles que Paul rapporte sur sa personne : « présent de corps, il est faible et sa parole est méprisable » (2Co 10,10).

On voit donc que s’élève autour de Paul une polémique qui vise à le discréditer, mais qui lui offre aussi l’occasion, heureuse pour nous, de faire une apologie de lui-même qui nous laisse entrevoir une incomparable grandeur. C’est une page célèbre de la seconde lettre aux Corinthiens ; elle devrait être lue et insérée dans une reconstitution historique précise, dont les Actes des Apôtres ne nous conservent que de fugitifs fragments ; qu’il nous suffise aujourd’hui d’en rappeler quelques phrases sur la stature du « petit » Paul; voici les paroles qui échappent à sa plume : « Ce dont certains osent se prévaloir — c’est une folie que je dis — j’ose m’en vanter moi aussi. Ils sont Hébreux ? Moi aussi. Ils sont Israélites ? Moi aussi. Ils sont de la descendance d’Abraham ? Moi aussi ! Ils sont ministres du Christ ? C’est une folie que je vais dire : je le suis encore plus qu’eux ! Bien plus dans les labeurs, bien plus dans les emprisonnements, infiniment plus dans les coups, bien souvent dans des périls de mort. Cinq fois, j’ai reçu des Juifs les trente neuf coups de fouet ; trois fois j’ai été flagellé, une fois lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage. Il m’est arrivé de passer un jour et une nuit dans l’abîme ! Voyages sans nombre, dangers des rivières, dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers de la ville — dangers du désert, dangers de la mer, dangers des faux frères ! Labeur et fatigue, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité! Et sans parler du reste, mon obsession quotidienne, le souci de toutes les Eglises !... S’il faut se vanter, c’est de ma faiblesse que je me vanterai. Le Dieu et Père du Seigneur Jésus — béni soit-il à jamais — sait que je ne mens pas. A Damas, l’ethnarque du roi Arétas faisait garder la ville des Damascéniens pour s’emparer de moi, et c’est par une fenêtre, dans une corbeille, qu’on me descendit le long du rempart, et ainsi j’échappai à ses mains. Il faut se vanter ? (cela ne vaut rien pourtant) eh bien ! j’en viendrai aux visions et révélations du Seigneur. Je connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans — était-ce en son corps ? je ne sais, Dieu le sait — ... cet homme-là fut ravi jusqu’au troisième ciel. Et cet homme-là... fut ravi jusqu’au paradis et entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à l’homme de redire... Et pour l’excellence même de ces révélations... il m’a été mis une écharde en la chair... A ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur pour qu’il s’éloigne de moi. Mais il m’a déclaré : ‘Ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse’. C’est donc de grand coeur que je me vanterai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. » (2Co 12).

Cette évocation à la fois dramatique et mystique que saint Paul fait de sa propre biographie nous fait penser au message doctrinal qu’il laissa à l’Eglise et aux siècles futurs au sujet du Christ. C’est ce message qui donna son achèvement à l’économie religieuse de l’ancienne Alliance et contribua de façon extraordinaire et décisive à la formation de la nouvelle Alliance, c’est-à-dire aux rapports actuels et qui dureront jusqu’à la fin des temps entre Dieu et l’humanité. Paul, bien qu’il fût favorisé d’une révélation personnelle (Ga 1,12), se situe parfaitement dans l’orbite de l’Evangile apostolique, comme Pierre et les autres apôtres et la première communauté chrétienne. Mais lui, plus que tous, présente certains aspects essentiels de la religion issue de la tradition hébraïque, tel que l’absolue et exclusive prééminence de Jésus-Christ, Sauveur et Médiateur, unique et nécessaire, dont il se sait et se déclare « héraut, apôtre et docteur en vue des païens » (2Tm 1,11). Paul rompt plus que les autres apôtres les digues qui maintenaient Israël ethniquement fermé sur lui-même, et commence à répandre la religion universelle du Christ, destinée à toute l’humanité. Il est le premier missionnaire résolu et conscient de l’Eglise catholique (cf. Rm Rm 1,14).

C’est pourquoi nous accueillons avec une attention passionnée également le témoignage artistique de cette Exposition. Elle nous fait sentir que notre admiration pour la figure de l’apôtre n’est jamais épuisée. Nous remercions tous les Artistes, les donateurs et les organisateurs de cette Exposition, et nous souhaitons à tous que la devise de saint Paul « Dans le Christ » soit lumière et salut. Avec notre bénédiction apostolique.








10 octobre



ACCOMPLIR VATICAN II



Le lundi 10 octobre, le Saint-Père a reçu en audience un groupe d’archevêques et d’évêques d’Irlande en visite « ad limina ». A l’adresse d’hommage que lui a adressée, au nom du groupe, par l’archevêque de Dublin, Mgr Dermot Ryan, le Pape a répondu par un discours en latin, dont voici la traduction :



Vénérables Frères,



86 Nous vous accueillons dans notre maison, avec un sentiment de joie intime, vous les évêques et les pasteurs du peuple catholique d’Irlande, qui, pour bien des raisons, mérite notre amour particulier et notre estime. Nous voulons vous saluer à l’occasion de votre visite « ad limina apostolorum ».

Vous conduisez ici, pour ainsi dire en personne, l’Eglise qui se trouve dans votre île : cette Eglise qui se glorifie à juste titre du nombre de ses saints, qui garde la foi et la piété catholique avec une constance louable, qui fait montre, dans les familles et dans les paroisses et même dans la société, des principes profondément enracinés de la doctrine de Jésus Christ.

Nous nous réjouissons beaucoup de vous voir, vénérables Frères, et, en même temps, de ce vivant témoignage de l’union de vos esprits ainsi que de l’harmonie de vos projets d’avenir. C’est pour nous une grande consolation de penser à tant de prêtres et de religieux d’Irlande qui travaillent quotidiennement à répandre largement la foi en Jésus Christ et la lumière de l’Evangile. C’est pourquoi nous vient à l’esprit l’image vivante et vigoureuse de l’Eglise d’Irlande qui brille comme un exemple pour les autres.

Nous rappelons, avec une pieuse pensée, William Cardinal Conway que nous regrettons vivement ici et que, même absent, nous félicitons comme la lumière du renouveau opéré par le Concile dans votre peuple, comme la clef de voûte de la paix et de la réconciliation dans ce pays, comme celui qui soulage votre peuple, qui nous est tellement chers, dans ses malheurs si nombreux.

Nous désirons vraiment, puisque cette occasion nous est offerte, confirmer vos coeurs et vos volontés, vénérables Frères, dans la charge pastorale que vous menez à bien au milieu de difficultés peu banales, vous aider également à rendre plus efficace votre activité apostolique. Nous avons exploré, pour ainsi dire, les tendances et les mutations de toute la société humaine dont votre peuple souffre lui aussi. Nous vous exhortons donc à agir avec audace pour l’accomplissement des très utiles enseignements du Concile Vatican II sur différents points: la participation de toute la communauté des fidèles à la vie de l’Eglise, l’effort commun des saints pasteurs, des prêtres et des fidèles dans l’évangélisation, une participation vivante et consciente de tous les membres du troupeau à la sainte liturgie et enfin l’éducation chrétienne de la jeunesse. Ne craignez pas : Christ, le Seigneur est avec vous et la foi du Christ nourrie par l’Esprit Saint dans les coeurs des prêtres et des fidèles, conduira les pasteurs et le troupeau à une vie plus pleine et à une efficacité de l’Eglise dans la société. Celle-ci, en effet, non seulement est en mutation mais encore ici ou là elle s’est éloignée du joug aimable de l’Evangile et elle glisse dans ce qu’on appelle la sécularisation.

Vous le savez — et le Synode des Evêques, qui se déroule actuellement, fait pénétrer plus fortement ce souci dans les esprits — des efforts assidus et diligents sont mis en oeuvre pour le renouveau de la catéchèse, surtout celle des enfants et des jeunes, pour qu’elle puisse mieux répondre à leurs problèmes urgents et à leurs interrogations. Ces jeunes ont soif d’une simple annonce de l’Evangile et de la foi solide professée par votre peuple tout au long des siècles.

Nous vous encourageons à soutenir encore et à promouvoir les écoles catholiques dont les mérites doivent être mis en lumière. Par ce moyen surtout, l’illustre tradition de l’Irlande c’est-à-dire sa foi catholique et le trésor de sa culture, doit être transmise à la postérité.

Nous savons également que vous avez des associations catholiques florissantes, qui doivent sans aucun doute être guidées par vos directives attentives et qui, dans la mesure où cela les concerne, doivent s’insérer dans la vie pastorale de chacun des diocèses et dans celle du corps de l’Eglise tout entier de votre pays.

Nous nous réjouissons parce que, comme nous l’avons appris, les vocations ecclésiastiques ont augmenté au cours des années qui viennent de s’écouler. Nous formons des voeux pour que la même chose se produise pour les candidats aux missions qui, comme nous l’avons souligné, ont été et restent la gloire de l’Irlande catholique.

Nous approuvons vivement l’étude que vous faites sur les difficultés sociales et économiques dont on s’occupe également dans votre région. Nous nous souvenons bien et nous vous félicitons de la lettre pastorale que récemment vous avez publié ensemble sur cette question : « Opus justitiae ». On peut certainement toujours tirer de la doctrine catholique des moyens valables pour améliorer la condition sociale et pour engager les fidèles à devenir plus conscients de leur devoir d’aider leurs frères dans le besoin.

Enfin, avec ardeur, nous vous souhaitons la paix : que la concorde des citoyens dans l’ordre revienne enfin, surtout dans la partie nord de votre île. C’est le rôle de l’Eglise catholique, en associant aussi son action à celle des membres des autres religions, d’instaurer la paix parmi les hommes, de prier Dieu pour la paix, de s’appuyer sur les efforts de tous pour que les esprits s’apaisent dans une paix véritable et qu’ainsi se construise une société où les droits de chacun soient reconnus et d’où soient enlevées la haine et les tensions violentes.

87 Voici quels sont nos sentiments, quand nous vous voyons ici, vénérables Frères, et quand nous pensons en même temps à vos fidèles : avec eux nous vous embrassons dans une charité sincère, nous demandons pour vous et pour eux l’abondance des dons célestes et en gage de ceux-ci, nous vous donnons d’un coeur très bienveillant notre bénédiction apostolique.






13 octobre



VIVRE LA FOI



Le jeudi 13 octobre, le Saint-Père a reçu en audience les Evêques de Bavière (Allemagne fédérale), à l’occasion de leur visite « ad limina ». Autour du Cardinal J. Ratzinger, archevêque de Munich, qui a prononcé l’allocution d’hommage au Souverain Pontife, se trouvaient réunis l’archevêque de Bamberg et les Evêques de Wurzburg, Passau, Ratisbonne, Augsburg, Eichstâtt et les auxiliaires de Munich et Passau. Le Pape Paul VI a répondu en latin par le discours dont nous publions la traduction :



Vénérables Frères,



« Quel bonheur et quelle joie pour des frères d’habiter ensemble ! » (Ps 133,1). Le son même de ce verset — comme dit Saint Augustin — « est aussi doux que la charité qui fait habiter des frères ensemble » (Commentaires des Ps 132 PL Ps 37,193). Oui, vraiment nous nous réjouissons beaucoup de ce que récemment, au cours de cette année, il nous ait été donné de profiter d’une fraternelle rencontre avec les Evêques d’Allemagne à l’occasion de leur visite ad limina. Nous vous saluons cordialement, vous-mêmes, comme ceux qui vous ont précédé, et en particulier Joseph, Cardinal Ratzinger, archevêque de Munich et de Freising, ainsi que Elmar Marie Kredel, archevêque de Bamberg.

Nous sommes très reconnaissant à notre vénérable Frère des excellentes paroles et des bons voeux qu’il vient de nous adresser au nom des autres Evêques. Certainement les manifestations extérieures de respect, d’obéissance, d’amour qui nous arrivent à l’occasion de notre anniversaire, sont un signe des liens intérieurs qui doivent relier les membres de l’Eglise avec son Chef visible.

En vous voyant, notre esprit se tourne également vers les diocèses de Bavière que vous représentez. Nous vous remercions et nous vous félicitons du zèle avec lequel vous vous occupez et vous veillez sur la portion du troupeau du Seigneur qui vous est confiée,

Nous avons été informé, par les rapports quinquennaux que vous avez présentés au Saint-Siège, du bon fonctionnement de la vie chrétienne dans vos diocèses et des difficultés qui lui font obstacle.

La charge, que nous avons reçue du commandement de Jésus Christ, est de vous confirmer (Lc 22,32), vous, nos Frères dans l’Episcopat ; nous voulons confirmer aussi vos collaborateurs, les prêtres, les religieux et les laïcs qui, avec vous, se dévouent activement à la culture du champ du Seigneur et qui « portent le poids du jour et de la chaleur » (cf. Mt Mt 20,12).

Selon l’affirmation de notre vénérable Frère Joseph, Cardinal Ratzinger, on trouve profondément enracinés dans le coeur de votre population catholique l’amour à l’égard de l’Eglise et à l’égard de sa tradition authentique, ainsi que l’obéissance à l’égard des successeurs du bienheureux Pierre. La foi chrétienne, héritage précieux reçu de vos ancêtres, vit encore, chez vous, et avec vigueur non seulement dans les institutions qui ont un rapport évident avec l’Eglise et le service de l’homme, mais encore dans la religion populaire elle-même. Celle-ci, — comme nous le disons dans l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi — « si elle est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation... est riche de valeurs ». Il faut donc rejeter les efforts qui tendraient à dissoudre les formes populaires de cette piété, il faut les conserver et les promouvoir et, si c’est nécessaire, les purifier de leurs aspects moins adaptés.

A ce propos nous rappelons avec félicitations le culte mariai pour lequel — c’est bien connu — vos fidèles ont une grande ferveur. Une preuve, parmi d’autres, de cette ferveur est donnée par les foules qui affluent au sanctuaire d’Altotting, comme on l’appelle communément, et qui se trouve dans le territoire du diocèse de Passau : de même il faut mentionner la consécration par laquelle votre peuple s’est voué à la Vierge mère de Dieu « Patronne de la Bavière ».

88 Nous partageons cependant aussi vos soucis devant les risques qui menacent votre troupeau. Car la « sécularisation » qui progresse, comme presque partout dans la société humaine contemporaine, peut avoir sur eux aussi une influence pernicieuse. Il faut donc s’efforcer avec toute l’ardeur possible de la repousser et de faire que le « bon sel » dont le Seigneur parle dans l’Evangile, opère vraiment avec efficacité et une saine vigueur.

Une autre difficulté qui est étroitement liée à la première est l’aliénation et le détachement de beaucoup par rapport à la doctrine chrétienne et à l’Eglise. C’est pourquoi ce temps exige au maximum que les Evêques soient des témoins infatigables et qu’ils professent l’annonce du Christ, sans la diminuer ni l’altérer le moins du monde. En effet, ce risque, où la foi de beaucoup se trouve engagée, avec cette « sécularisation », peut rendre plus difficile — pour ne pas dire menacer — le renouveau qui a été proposé par le Concile Oecuménique Vatican II. Ce renouveau doit naître de l’intime de la conscience de sorte que le chrétien véritablement « vive de la foi » (cf. Rm
Rm 1,17).

Pour cela, l’institution des vérités de la foi est d’une importance extrême. C’est ce dont témoigne manifestement le Synode des Evêques qui se déroule actuellement et dans lequel nous mettons un grand espoir. Nous savons que vous accordez un soin vigilant à cette institution surtout dans l’éducation et dans la pastorale des sacrements. Qu’il nous soit permis de vous encourager aujourd’hui à redoubler vos efforts pour une cause d’une aussi grande importance. A ce labeur il faut appeler, pour leur part, les religieux et les religieuses qui sont assez nombreux chez vous, ainsi que les laïcs. D’ailleurs ce renouveau doit être opéré continuellement pour ainsi dire et certainement avec sagesse, constance et intrépidité.

Ces paroles s’harmonisent avec les avertissements de Saint Paul à Timothée, son compagnon de labeur : « Proclame la Parole, interviens à temps et à contre-temps, reprends, réprimande, exhorte en toute patience et avec souci d’enseigner. Car il y aura un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine... Pour toi, sois sobre en tout, supporte la souffrance, fais oeuvre d’évangéliste, assure pleinement ton service » (1Tm 4,2-5). Ces exhortations sont contenues dans le seul mot de charité qui, pour utiliser une phrase du docteur d’Hippone : « se penche vers les uns, s’élève contre les autres ; encourage les uns, reprend sévèrement les autres, sans être l’ennemi d’aucun, car elle est la mère de tous » (Eléments de catéchèse, 15 ; PL 40, 328).

Dans cet esprit, vénérables Frères, nous vous donnons volontiers notre bénédiction apostolique, en gage de consolation céleste et de force, à vous-même et au troupeau qui est confié à chacun d’entre vous.





AUX MEMBRES DU CONSEIL DE L’ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES


Samedi 22 octobre 1977




Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Nous sommes très heureux de recevoir votre visite. Et la raison en est double: la présence du Conseil de l’Académie pontificale des Sciences et celle d’éminents cancérologues.

Nous sommes toujours prêt en effet à encourager l’activité de notre Académie, stimulée avec zèle par son Président et son Conseil. Le Saint-Siège tient à honorer ainsi, dans la personne des membres de cette Institution pontificale, et à travers eux, tous ceux qui illustrent dignement la science. Car ils contribuent, en scrutant objectivement l’immense domaine des réalités physiques et biologiques, à assurer un progrès authentique des connaissances scientifiques, conformément à l’invitation du Créateur, et à préparer un progrès technique en harmonie avec la vocation et le bien intégral de l’homme, et donc sous la responsabilité qui relève de la conscience morale.

Mais ce matin, notre intérêt se concrétise et s’accroît puisque vous venez, avec les spécialistes que Nous sommes heureux de saluer, de consacrer une semaine d’études à ce qui, à bon droit, fait l’objet d’une préoccupation profonde de nos contemporains: la manière de prévenir et de soigner le cancer.

89 Vous avez concentré votre attention sur l’immunité non spécifique en ce domaine. Nous attribuons Nous-même une grande importance à de tels travaux, car Nous partageons l’inquiétude de nos frères et le désir ardent du Christ de voir les malades soulagés ou guéris de leurs infirmités. Et là, il s’agit d’une plaie terrible, qui frappe, de façon trop souvent encore irrémédiable et au milieu de dures souffrances, un grand nombre de gens de tout pays, même relativement jeunes. Le mal est d’autant plus redoutable que ses mécanismes semblent intimement liés aux processus normaux de reproduction cellulaire où ils créent une grave anarchie.

A côté des interventions chirurgicales et des cures radiologiques qui ont déjà réalisé de gros progrès, au risque cependant d’agir aussi bien sur les cellules normales que sur celles des tumeurs cancéreuses, vous avez voulu, vous, approfondir l’exploration d’une nouvelle voie, en utilisant les moyens immunologiques et immunochimiques, pour activer les défenses propres de l’organisme ou pour bloquer la prolifération des cellules néoplasiques. Nous vous remercions vivement de Nous faire par du résultat de vos travaux. Nous souhaitons qu’ils contribuent à préparer le progrès médical auquel tant de gens aspirent, médecins, malades et proches des malades. Nous vous félicitons pour ce haut service de l’humanité et de grand coeur Nous implorons sur vous et sur les vôtres les Bénédictions de Dieu, Source de vie et Sauveur.




28 octobre



LE PAPE AUX EVÊQUES D’AFRIQUE ET DE MADAGASCAR



Le vendredi 28 octobre, exactement dix ans après le Message de Paul VI à l’Afrique, les Evêques de ce continent, Afrique et Madagascar, ont souhaité rencontrer le Pape pour le remercier de ses encouragements. Le Cardinal Maurice Otunga s’est adressé dans ce sens au Souverain Pontife. Le Saint-Père a répondu, d’abord en anglais puis en français, par les paroles suivantes :



Chers Frères dans le Christ,



Nous sommes particulièrement heureux de vous recevoir, vous qui représentez à ce Synode tout le continent africain. Voilà juste dix ans, en date du 29 octobre, notre Message exprimait a tous les Africains notre affection, nos espérances et nos voeux. Depuis lors, notre coeur pastoral n’a cessé de rejoindre de mille manières vos joies et vos préoccupations : soit lors de notre voyage en Ouganda, soit lors de la réunion de votre symposium à Rome voici deux ans, soit en recevant fréquemment vos visites, vos lettres, vos rapports. Et de votre côté, nous apprécions beaucoup votre vif souci de demeurer en étroite communion avec nous, garant de la fidélité doctrinale et de l’unité, et nous vous remercions encore des sentiments exprimés à l’instant par votre Président. Puissiez-vous lire dans notre réponse, nécessairement brève, notre estime, notre confiance, nos encouragements.

Tout d’abord, il est un fait dont l’Eglise a pris conscience avec réalisme et espérance : vos pays ont connu une exceptionnelle évolution depuis deux décennies. Au plan civil, la plupart sont passés d’un pouvoir colonial à un pouvoir local, conformément au droit naturel des peuples à devenir les artisans de leur destin, avec aussi d’énormes problèmes économiques et sociaux à résoudre. Au plan international, on assiste à une affirmation toujours plus marquée de la présence africaine et de l’originalité culturelle de l’Afrique. Au plan de l’Eglise, l’accession à l’épiscopat, et à beaucoup d’autres charges ecclésiales, du clergé local, commencée heureusement avant l’indépendance, illustre la même mutation. Dire cela, ce n’est pas oublier le rôle des personnes et des Instituts missionnaires qui ont eu le mérite d’implanter l’Eglise : nous leur devons tous une profonde reconnaissance ; ils ont semé et d’autres ont récolté les fruits (cf. Jn Jn 4,35-38). Et leur coopération désintéressée demeure bien nécessaire. Mais c’est un fait que vous, Evêques africains, vous êtes désormais chargés au premier rang du destin chrétien de toute l’Afrique, avec l’aide de l’Esprit Saint.

Quel est donc l’enjeu de cette immense tâche ? Comme nous l’écrivions il y a dix ans : « C’est à vous qu’il revient de rendre vivante et efficace la rencontre du christianisme avec l’antique tradition africaine » (Message Africae Terrarum, n. 23). C’est alors qu’on pourra parler de véritable implantation de l’Eglise. Il s’agit de susciter ou d’approfondir une nouvelle civilisation, à la fois africaine et chrétienne (cf. discours au Symposium d’Ouganda). Et nous affirmons, avec la grâce de Dieu, que le christianisme peut et doit être totalement « chez lui » dans les cultures africaines, que l’âme africaine est destinée et préparée à recevoir le salut du Christ.

Comment y parvenir ? Il faut que la foi, authentiquement chrétienne, catholique, anime du dedans les traditions et la civilisation qu’elles entraînent. La foi chrétienne, catholique, a été comme greffée sur le vénérable tronc ancestral : c’est elle qui doit donner qualité et saveur aux fruits de l’arbre. Cela suppose que la foi soit vraiment assimilée, formulée en termes appropriés, mais sans rien perdre de sa vigueur spécifique, de sa nature qui est un don gratuit de Dieu, et que nous avons tous reçu par le Christ, que nous soyons européens ou africains ou d’un autre continent. En tant qu’Evêques, votre première charge est d’être les Docteurs inlassables de cette foi ; elle permettra d’éclairer la recherche et la solution des autres problèmes ; elle apportera l’espérance du salut, quelles que soient les épreuves. Comme nous l’avons dit pendant votre symposium à Rome : « La foi doit demeurer... le motif suprême de toute activité sociale de l’Eglise » (AAS 67, 1975, p. 571). Bien plus : « La victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi » (1Jn 5,4).



Pour l’avenir de la foi chrétienne en terre africaine, nous accordons comme vous une grande importance à la formation de ceux qui consacrent toute leur vie au Christ comme prêtres, religieux et religieuses. Ils seront comme l’âme de vos communautés chrétiennes, prenant peu à peu la relève de ceux qui sont venus d’ailleurs pour ce service incomparable, ou collaborant avec eux, car « vous êtes désormais vos propres missionnaires », comme nous vous le disions à Kampala (cf. AAS 61, 1969, p. 575). Aussi notons-nous avec satisfaction les signes prometteurs, comme l’inauguration de nouveaux séminaires, ou l’ouverture d’Instituts supérieurs de théologie. Puisse cette formation des disciples du Seigneur être à la hauteur de la tâche et du témoignage qu’on attend d’eux : disponibilité à servir partout où c’est nécessaire, y compris chez les plus pauvres, formation spirituelle, doctrinale, pastorale, ouverture à l’Eglise universelle et donc ferme attachement à son centre romain. Sur ce dernier point, vous savez comme nous — puisque beaucoup d’entre vous en ont bénéficié — l’intérêt, quand c’est possible, de plusieurs années d’études universitaires passées près du Siège de Pierre, avec des collègues du monde entier.

La foi, relation à Dieu, ne peut manquer de transformer les relations humaines. Chaque page de l’Evangile invite à faire taire en soi l’esprit de domination et de privilège, à servir le prochain comme un frère, à se faire artisan de justice et de paix. Ceci contraste avec les pénibles situations de discrimination raciale qui sont encore la plaie de certains pays d’Afrique. Et vous sentez vous-mêmes chaque jour davantage combien la conquête du pouvoir peut conduire aussi à de graves abus et à de grandes souffrances, si elle n’est pas accompagnée de cette rectitude morale, de cette volonté de service, de ce sens du bien commun et du partage équitable, de ce respect des libertés fondamentales et de ce refus de la violence qui sont des fruits de l’esprit évangélique. Les chrétiens ont sur ce point un témoignage exemplaire à donner.


Discours 1977 83