Pie XII Summi Pontificatus 69

Suspicions non fondées à l'égard de l'Eglise.

69 Et pourtant, Vénérables Frères, la doctrine du Christ, qui seule peut fournir à l'homme un solide fondement de foi, capable de lui ouvrir un grand horizon, de dilater divinement son coeur, de lui donner un remède efficace aux très graves difficultés actuelles, et l'action de l'Eglise pour enseigner cette doctrine, la répandre et modeler les esprits selon ses préceptes, sont parfois en butte à des suspicions, comme pouvant ébranler les montants de l'autorité civile ou usurper ses droits.

70 Contre de telles suspicions, Nous déclarons avec une apostolique sincérité — sans préjudice de tout ce qu'à enseigné Notre prédécesseur Pie XI, de vénérée mémoire, dans son encyclique Quas primas, du 11 décembre 1925, sur le pouvoir du Christ-Roi et de son Eglise — que de pareils desseins sont entièrement étrangers à l'Eglise, laquelle tend ses bras maternels vers ce monde, non pour dominer, mais pour servir. Elle ne prétend pas se substituer, dans le champ qui leur est propre, aux autres autorités légitimes, mais leur offre son aide à l'exemple et dans l'esprit de son divin Fondateur qui « passa en faisant le bien » (Ac 10,38).

71 L'Eglise prêche et inculque l'obéissance et le respect envers l'autorité terrestre, qui tient de Dieu sa noble origine ; elle s'en tient à l'enseignement du divin Maître qui a dit : « Rendez à César ce qui est à César » (Mt 22,21) ; elle n'a pas de visées d'usurpation et chante dans sa liturgie : non eripit mortalia, qui regna dat caelestia 4. Elle ne débilite pas les énergies humaines, mais les élève à tout ce qui est magnanime et généreux, et forme des caractères qui ne transigent pas avec la conscience. Ce n'est pas à elle, qui a civilisé les peuples, qu'on reprochera d'avoir retardé l'humanité dans la voie du progrès, dont au contraire elle se félicite et se réjouit avec une maternelle fierté. Le but de son activité a été merveilleusement exprimé par les anges sur le berceau du Verbe incarné, quand ils chantèrent : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » (Lc 2,14). Cette paix, que le monde ne peut donner, a été laissée comme un héritage à ses disciples par le divin Rédempteur lui-même : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix » (Jn 14,27), et c'est en suivant la sublime doctrine du Christ, résumée par lui-même dans le double précepte de l'amour de Dieu et du prochain, que des millions d'âmes l'ont obtenue, l'obtiennent et l'obtiendront. Depuis bientôt deux mille ans, l'histoire — si sagement appelée par un grand orateur romain magistra vitae5 — démontre à quel point est vraie la parole de l'Ecriture, qu'il n'y aura jamais de paix pour celui qui résiste à Dieu (Jb 9,4). Car seul le Christ est la « pierre angulaire » (Ep 2,20), sur laquelle l'homme et la société peuvent trouver stabilité et salut.


4. Hymne de la fête de l'Epiphanie.
5. Cicéron, Orat., 1, 2, 9.


72 C'est sur cette pierre angulaire que l'Eglise est fondée, et c'est pourquoi les puissances adverses ne pourront jamais prévaloir contre elle : portae inferi non praevalebunt (Mt 16,18), ni lui ôter sa vigueur, bien au contraire, les luttes tant intérieures qu'extérieures contribuent à accroître sa force et à augmenter les couronnes de ses glorieuses victoires.

A l'opposé, tout autre édifice qui n'est pas solidement fondé sur la doctrine du Christ, repose sur le sable mouvant et est destiné à une ruine misérable (cf. Mt 7,26-27).




VI. — CONCLUSION



Hommage à la Pologne.

73 Vénérables Frères, l'heure à laquelle vous parvient Notre première encyclique est, à bien des égards, une véritable hora tenebrarum (cf. Lc 22,53), où l'esprit de la violence et de la discorde verse sur l'humanité la sanglante coupe de douleurs sans nom. Est-il nécessaire de vous assurer que Notre coeur paternel, dans son amour compatissant, est tout près de ses fils, et plus spécialement de ceux qui sont éprouvés, opprimés, persécutés ? Les peuples entraînés dans le tragique tourbillon de la guerre n'en sont peut-être encore qu'au « commencement des douleurs » (Mt 24,8) ; mais déjà dans des milliers de familles régnent la mort et la désolation, les lamentations et la misère. Le sang d'innombrables êtres humains, même non combattants, élève un poignant cri de douleur, spécialement sur une nation bien-aimée, la Pologne, qui, par sa fidélité à l'Eglise, par ses mérites dans la défense de la civilisation chrétienne inscrits en caractères indélébiles dans les fastes de l'histoire, a droit à la sympathie humaine et fraternelle du monde, et attend, confiante dans la puissante intercession de Marie Auxilium Christianorum, l'heure d'une résurrection en accord avec les principes de la justice et de la vraie paix.



Efforts du pape pour maintenir la paix internationale.

74 Ce qui vient d'arriver, et ce qui arrive encore, apparaissait à Notre regard comme une vision quand, toute espérance n'ayant pas encore disparu, Nous n'avons rien omis de ce que Nous pouvions tenter, dans la forme que Nous suggéraient Notre ministère apostolique et les moyens à Notre disposition, pour empêcher le recours aux armes et maintenir ouverte la voie vers une entente honorable pour l'une et l'autre partie. Convaincu qu'à l'emploi de la force par l'une d'elles aurait répondu le recours aux armes par l'autre, Nous avons considéré comme un devoir — auquel Nous ne pouvions Nous soustraire — de Notre ministère apostolique et de l'amour chrétien, de mettre tout en oeuvre pour épargner à l'humanité entière et à la chrétienté les horreurs d'une conflagration mondiale, même au risque de voir Nos intentions et Nos buts mal compris. Nos avertissements, s'ils furent respectueusement écoutés, ne furent pourtant pas suivis. Et tandis que Notre coeur de pasteur observe, douloureux et préoccupé, voilà que surgit devant Nos yeux l'image du Bon Pasteur, et il Nous semble que Nous devons répéter au monde en son nom la plainte : « Si tu savais... ce qui peut t'apporter la paix ! Mais non, cela est maintenant caché à tes yeux ! » (Lc 19,42).



C'est l'heure de l'épreuve...

75 Au milieu de ce monde qui offre aujourd'hui un si criant contraste avec la paix du Christ dans le règne du Christ, l'Eglise et ses fidèles se trouvent en des temps et en des années d'épreuves comme ils en ont rarement connu dans leur histoire de luttes et de souffrances. Mais précisément dans des temps semblables celui qui reste fort dans la foi et garde un coeur robuste, sait que le Christ-Roi n'est jamais si proche que dans l'heure de l'épreuve, qui est l'heure de la fidélité. Le coeur déchiré des souffrances et des peines de tant de ses fils, mais avec le courage et la fermeté qui lui viennent des promesses du Seigneur, l'Epouse du Christ marche vers les orages menaçants. Elle le sait : la vérité qu'elle annonce, la charité qu'elle enseigne et met en oeuvre, seront les conseillers indispensables et les coopérateurs des hommes de bonne volonté dans la reconstruction d'un monde nouveau, selon la justice et l'amour, après que l'humanité, lasse de courir dans les chemins de l'erreur, aura goûté les fruits amers de la haine et de la violence.



... de la charité...

76 En attendant, Vénérables Frères, le monde et tous ceux qui sont frappés par la calamité de la guerre doivent savoir que le devoir de la charité chrétienne, fondement et pivot du règne du Christ, n'est pas une parole vide mais une vivante réalité. Un champ très vaste s'ouvre à la charité chrétienne sous toutes ses formes. Nous avons pleine confiance que tous Nos fils, spécialement ceux qui ne sont pas éprouvés par le fléau de la guerre, se souviendront, à l'exemple du divin Samaritain, de tous ceux qui, victimes de la guerre, ont droit à la pitié et au secours.

77 L'Eglise catholique, cité de Dieu, « dont le Roi est vérité, dont la loi est charité, dont la mesure est éternité »e, annonçant sans erreurs ni diminutions la vérité du Christ, travaillant selon l'amour du Christ avec un élan maternel, se tient comme une bienheureuse vision de paix au-dessus du tourbillon des erreurs et des passions, attendant le moment où la main toute-puissante du Christ-Roi apaisera la tempête et bannira les esprits de dissension qui l'ont provoquée. Ce qui est en Notre pouvoir pour hâter le jour où la colombe de la paix trouvera sur cette terre, submergée par le déluge de la discorde un endroit où poser le pied, Nous continuerons à le faire, confiant dans les éminents hommes d'Etat, qui, avant que la guerre n'éclatât, se sont noblement employés à éloigner des nations un pareil fléau ; confiant dans les millions d'âmes de tous les pays et de tous les camps qui appellent de leurs voeux non seulement la justice mais aussi la charité et la miséricorde ; confiant surtout dans le Dieu tout-puissant auquel chaque jour Nous adressons cette prière : « J'attendrai dans l'espoir, à l'ombre de tes ailes, que l'iniquité soit passée » (Ps 56,2).

78 Dieu peut tout : il tient en ses mains non seulement la félicité et le sort des peuples, mais aussi les conseils humains ; et du côté qu'il veut, doucement, il les incline ; les obstacles même sont pour sa toute-puissance des moyens dont il se sert pour modeler les choses et les événements, tourner les esprits et les volontés libres à ses fins très hautes.

6. « S. Augustin, Ep. CXXXVIII ad Marcellinum, c. 3, n. 17.



... et surtout de la prière.

79 Priez donc, Vénérables Frères, priez sans interruption, priez surtout quand vous offrez le divin sacrifice d'amour. Priez, vous à qui la profession courageuse de la foi impose aujourd'hui de durs, de pénibles et, bien des fois, d'héroïques sacrifices ; priez, vous, membres souffrants et douloureux de l'Eglise, quand Jésus vient consoler et adoucir vos peines. Et n'oubliez pas, grâce à un véritable esprit de mortification et de dignes oeuvres de pénitence, de rendre vos prières plus agréables aux yeux de Celui qui « relève tous ceux qui tombent, et redresse ceux qui sont prostrés » (Ps 144,14) afin que, dans sa miséricorde, il abrège les jours de l'épreuve et que se réalisent ainsi les paroles du psaume : « Ils ont crié vers le Seigneur dans leurs tribulations, et il les a délivrés de leurs angoisses » (Ps 106,13).

81 Et vous, candides légions d'enfants, vous les bien-aimés et les privilégiés de Jésus, quand vous communiez au Pain de vie, élevez vers Dieu vos naïves et innocentes prières et unissez-les à celles de toute l'Eglise. Le Coeur de Jésus, qui vous aime, ne résiste pas à l'innocence suppliante : priez tous, priez sans relâche : sine intermissione orate (1Th 5,17).

82 De cette façon vous mettrez en pratique le sublime précepte du divin Maître, le testament le plus sacré de son coeur : « qu'ils ne soient tous qu'un » (Jn 17,21) : qu'ils vivent tous dans cette unité de foi et d'amour à laquelle le monde reconnaisse la puissance et l'efficacité de la mission du Christ et de l'oeuvre de son Eglise.

83 L'Eglise primitive avait compris et mis en pratique ce divin précepte ; elle l'exprima dans une magnifique prière. Unissez-vous à votre tour, dans les mêmes sentiments, qui répondent si bien à la nécessité de l'heure présente : « Souviens-toi, Seigneur, de ton Eglise, pour la délivrer de tout mal et la perfectionner dans la charité ; rassemble-la des quatre vents, toute sanctifiée, dans le royaume que tu lui as préparé ; car à toi est la puissance et la gloire dans tous les siècles » 7.

84 Dans la confiance que Dieu, auteur et ami de la paix, écoutera les supplications de l'Eglise, Nous vous accordons comme gage de l'abondance des divines grâces, de la plénitude de Notre coeur paternel, la Bénédiction apostolique.

7. Doctrine des douze Apôtres, c. 10.

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