De veritate FR 402

ARTICLE 2: En Dieu, le verbe est-il attribué à l’essence ou seulement à une personne?

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On se demande en deuxième lieu si, en Dieu, le verbe est attribué à l’essence ou seulement à une personne. Et il semble que le verbe puisse être attribué même à l’essence.
1. En effet, le nom de verbe est établi à partir du fait qu’il y a manifestation, comme il a été dit. Mais l’essence divine peut se manifester par elle-même: c’est donc à elle par nature qu’un verbe convient. Le verbe sera ainsi un attribut de l’essence.
2. De plus, ce qui est signifié par un nom, c’est la définition même [ la chose], comme il est dit au livre IV de la Métaphysique 38 Mais, selon saint Augustin au livre IX de son traité Sur la Trinité, le verbe "est la connaissance unie à l’amour" selon saint Anselme dans le Monologion, "pour l’Esprit très haut, dire n’est rien d’autre que regarder en pensant (cogitando). Or, dans l’une et l’autre définitions, on n’affirme rien si ce n’est ce qui est attribué à l’essence. Le verbe est donc un attribut de l’essence.
3. De plus, toute parole proférée, quelle qu’elle soit, constitue un verbe. Or, non seulement le Père se dit lui-même, mais il profère aussi le Fils et l’Esprit Saint, comme l’affirme saint Anselme dans le traité cité ci-dessus Le verbe est par conséquent commun aux trois personnes; il est donc un attribut de l’essence.
4. De plus, quiconque parle possède le verbe qu’il profère, comme l’expose saint Augustin au livre VII de son traité Sur la Trinité Mais, comme le dit saint Anselme dans le Monologion: "De même que le Père connaît et que le Fils connaît et que le Saint Esprit connaît, et que cependant ils ne sont pas trois mais un à connaître, de même le Père profère et le Fils profère et le Saint Esprit profère, et cependant ils ne sont pas trois mais un seul à proférer Le verbe correspond donc à n’importe laquelle des personnes. Mais rien n’est commun aux trois personnes hormis l’essence. En Dieu, le verbe est donc attribué à l’essence.
5. De plus, dans l'intellect il n’y a pas de différence entre dire et connaître. Or, en Dieu, on considère le verbe comme étant à la similitude du verbe qui est dans notre intellect. En Dieu donc, dire n’est pas autre chose que connaître; par conséquent, le verbe aussi n’est rien d’autre que ce qui est connu. Mais ce qui est connu en Dieu est attribué à son essence. Il en est donc ainsi du verbe.
6. De plus, le verbe divin est, comme le dit saint Augustin la puissance opérative du Père. Mais la puissance opérative est en Dieu un attribut de l’essence; le verbe est donc aussi attribut essentiel.
7. De plus, de même que l’amour implique que quelque chose émane de la volonté, de même le verbe implique que quelque chose émane de l’intellect. Mais, en Dieu, l’amour est un attribut de l’essence; il en est donc ainsi du verbe.
8. De plus, lorsque n’est pas reconnue la distinction des personnes, ce qui peut être connu en Dieu n’est pas attribué à une personne. Mais le verbe est dans ce cas, puisque même ceux qui nient la distinction des personnes affirment que Dieu se dit lui-même. Le verbe, en Dieu, n’est donc pas attribué à une personne.



Cependant:

1. Au livre VI de son traité Sur la Trinité saint Augustin dit que le Fils seul est appelé Verbe, et non pas le Père et le Fils ensemble. Mais tout ce qui est attribué à l’essence convient en commun à l’un et à l’autre. On ne peut donc pas parler du verbe comme d’un attribut de l’essence.
2. De plus, il est dit en Jean 1, 1: "Le Verbe était auprès de Dieu". Or, auprès de est une préposition transitive qui implique une distinction. Le Verbe est donc reconnu comme distinct de Dieu. Mais rien de ce qui est attribué à l’essence ne peut, en Dieu, être reconnu comme distinct. Le verbe n’est donc pas un attribut de l’essence.
3. De plus, tout ce qui, en Dieu, implique une relation de personne à personne est affirmé comme attribut personnel et non comme attribut essentiel. Mais le Verbe implique une telle relation. Donc la conclusion est la même que précédemment.
4. De plus, s’ajoute à cela l’autorité de Richard de Saint-Victor qui, dans son livre Sur la Trinité montre que seul le Fils est appelé Verbe.



Réponse:

Il faut dire que, lorsqu’un verbe est attribué à Dieu dans un sens métaphorique, par exemple quand la créature elle-même est appelée verbe manifestant Dieu, ce verbe se rapporte assurément à la Trinité tout entière; mais notre recherche actuelle porte sur le verbe en tant qu’il est attribué à Dieu dans son sens propre.
Or, vue de manière superficielle, la question paraît très facile, étant donné qu’un verbe implique une origine déterminée selon laquelle les personnes sont reconnues en Dieu comme distinctes. Mais, examinée en profondeur, la question se révèle plus difficile, du fait que nous trouvons en Dieu certaines choses qui impliquent une origine conformément, non à la réalité, mais seulement à notre raison: par exemple, le nom d’opération implique incontestablement que quelque chose procède de l’agent qui opère, et pourtant ce processus n’existe que selon la raison; parce que, en Dieu, il n’y a pas de distinction entre essence, puissance et opération, il s’ensuit qu’une opération est attribuée en Dieu, non à une personne, mais à l’essence. Par conséquent, il n’est pas immédiatement évident de savoir si le nom de verbe implique un processus réel, comme c’est le cas pour le nom de Fils, ou s’il implique un processus de raison seulement, comme pour le nom d’opération, et ainsi s’il est un attribut de la personne ou de l’essence.
D’où la nécessité, pour parvenir à la connaissance sur ce point, de savoir que le verbe de notre intellect, qui nous permet de parler du verbe divin en raison de sa similitude avec lui, représente le terme de l’opération de notre intellect, c’est-à-dire cela même qui est connu, ce qui est appelé aussi conception de l’intellect. Cette conception peut être signifiée, soit par une expression simple comme dans le cas où l’intellect élabore la quiddité des choses, soit par un discours complexe comme il arrive lorsque l’intellect compose et divise Or, en nous, tout ce qui est connu procède en réalité d’autre chose soit comme les conceptions de conclusions procèdent des principes, soit comme les conceptions de quiddités de choses nouvelles procèdent des quiddités de choses antérieurement connues, soit au moins comme la conception actuelle procède de la connaissance habituelle. Ceci est universellement vrai pour tout ce que nous connaissons, que ce soit par essence ou par similitude la conception elle-même résulte, en effet, de l’acte de connaître et par conséquent, même quand l’esprit se connaît lui-même, la conception correspondante n’est pas l’esprit lui-même mais quelque chose venant de la connaissance de celui-ci.
Ainsi donc, en nous, le verbe de l’intellect comporte de par sa nature deux aspects, à savoir qu’il est ce qui est connu et qu’il est ce qui provient d’autre chose. Si donc on parle d’un verbe en Dieu selon la similitude de l’un et l’autre aspects, alors le nom de verbe impliquera, non seulement un processus de raison, mais aussi un processus réel. Si, cependant, on ne parle d’un verbe en Dieu que selon l’un de ces aspects, à savoir qu’il est ce qui est connu, alors le nom de verbe n’impliquera pas en Dieu de processus réel mais seulement un processus de raison comme l’expression même ce qui est connu; mais le verbe ne sera pas pris en son sens propre, car il ne peut s’agir du sens propre d’un mot s’il lui manque quelque aspect faisant partie de sa nature. Par conséquent, si le verbe est pris au sens propre en Dieu, on ne peut en parler que comme attribut d’une personne; si, cependant, il est pris au sens large, on pourra aussi l’attribuer à l’essence. Mais néanmoins, puisque, d’après le Philosophe il faut "se servir des noms comme le plus grand nombre le fait", on doit suivre le plus possible l’usage dans les significations des noms. Et parce que tous les saints emploient d’un commun accord le nom de verbe comme attribut d’une personne, on doit d’autant plus dire qu’il est attribué à une personne



Solutions:

1. A la première objection, on doit répondre ceci: un verbe comporte de par sa nature, non seulement une manifestation, mais aussi un processus réel d’une chose à partir d’une autre. Parce que l’essence ne procède pas réellement d’elle-même, bien qu’elle se manifeste elle-même, on ne peut appeler l’essence verbe si ce n’est en raison de l’identité de l’essence avec la personne, comme l’essence est dite aussi Père ou Fils.
2. A la deuxième objection, on doit répondre que la connaissance qui est affirmée dans la définition du verbe doit être comprise comme une connaissance provenant d’autre chose, et cette connaissance constitue chez nous la connaissance en acte. Or, bien que la sagesse ou la connaissance soient, en Dieu, des attributs de l’essence, la sagesse engendrée ne peut cependant être attribuée qu’à une personne. Pareillement encore, l’affirmation de saint Anselme: "Dire est regarder en pensant" est à entendre en prenant "dire" dans le sens particulier du regard de la pensée (cogitatio) par lequel quelque chose procède, à savoir cela même qui est pensé.
3. A la troisième objection, on doit répondre ceci: la conception intellectuelle est un intermédiaire entre l’intellect et la réalité connue parce que, par cette médiation, l’opération intellectuelle atteint la réalité. C’est pourquoi la conception de l’intellect est, non seulement ce qui est connu, mais aussi ce par quoi la réalité est connue, comme on peut dire aussi que ce qui est connu est à la fois la réalité elle-même et la conception intellectuelle. Pareillement, on peut affirmer que ce qui est dit est à la fois la réalité exprimée par le verbe et le verbe lui même, comme cela est évident dans le cas du verbe extérieur, parce que par le nom lui-même sont exprimés à la fois le nom et la réalité signifiée par le nom. Je dis donc qu’on parle du Père, non comme d’un verbe, mais comme d’une réalité dite par un verbe, et il en est de même de l’Esprit Saint parce que le Fils manifeste la Trinité tout entière. En conséquence, par son Verbe unique, le Père dit l’ensemble des trois personnes.
4. A la quatrième objection, on doit répondre qu’apparemment saint Anselme se contredit lui-même en ceci: il dit, en effet, qu’un verbe n’est attribué qu’à une personne et convient au seul Fils, mais que le terme de dire convient aux trois personnes. Or, dire n’est rien d’autre qu’émettre hors de soi un verbe. Au discours de saint Anselme s’opposent encore, d’une manière semblable, les paroles de saint Augustin au livre VII de son traité Sur la Trinité où il est dit que, au sein de la Trinité, ce n’est pas chaque personne qui profère, mais le Père par son Verbe. Par conséquent, de même qu’un verbe dans son sens propre n’est attribué en Dieu qu’à une personne et convient au seul Fils, de même aussi le terme de dire ne convient qu’au seul Père. Mais saint Anselme a pris ce dernier terme au sens large de connaître et le verbe au sens propre: il aurait pu faire l’inverse si cela lui avait plu.
5. A la cinquième objection, on doit répondre ceci: pour nous, dire signifie non seulement connaître, mais à la fois connaître et exprimer hors de soi une conception, et nous ne pouvons connaître autrement qu’en exprimant une telle conception; c’est pourquoi, en nous, tout ce qui est de l’ordre du connaître est, à proprement parler, de l’ordre du dire. Mais Dieu peut connaître sans que rien ne procède réellement de lui-même parce que, en lui, il y a identité entre celui qui connaît, ce qui est connu et le fait de connaître, ce qui n’est pas le cas pour nous. Pour cette raison, en Dieu, tout ce qui est de l’ordre du connaître ne peut, à proprement parler, être affirmé comme étant de l’ordre du dire.
6. A la sixième objection, on doit répondre ceci: de même que le Verbe n’est appelé connaissance du Père que dans le sens de connaissance engendrée par le Père, de même aussi il est appelé puissance opérative du Père parce qu’il est puissance procédant du Père lui-même puissance. Or, une puissance qui procède est attribuée à une personne, et il en est ainsi de la puissance opérative procédant du Père.
7. A la septième objection, on doit répondre ceci: une chose peut procéder d’une autre de deux façons, soit comme une action procède d’un agent ou une opération de celui qui l’accomplit, soit comme une oeuvre procède de celui qui la réalise. De plus, dans le processus de l’opération accomplie par l’agent opérant, on ne discerne pas deux réalités existant par elles-mêmes mais on distingue une perfection et celui qui est perfectionné puisque toute opération perfectionne celui qui opère. Mais, dans le processus aboutissant à l’oeuvre, on distingue l’une de l’autre deux réalités. Or, en Dieu, il ne peut y avoir de distinction réelle entre une perfection et un être perfectible; cependant, on trouve en lui des réalités distinctes les unes des autres, à savoir les trois personnes. C’est pourquoi, en Dieu, le processus qui est indiqué comme celui d’une opération effectuée par celui qui opère n’est un processus que selon [ raison, mais on peut réellement rencontrer en Dieu le processus désigné comme celui d’une réalité procédant de son principe. Or, voici la différence entre l’intellect et la volonté:
l’opération de la volonté se termine à des choses dans lesquelles se trouvent le bien et le mal, mais l’opération intellectuelle se termine dans l’esprit dans lequel sont le vrai et le faux, comme il est dit au livre VI de la Métaphysique Et, pour cette raison, la volonté n’a rien, procédant d’elle-même, qui soit en elle autrement que par mode d’opération, mais l’intellect comporte en lui-même quelque chose qui procède de lui, non seulement par mode d’opération, mais aussi par mode de réalité produite. C’est pourquoi le verbe est désigné comme une réalité qui procède, mais l’amour comme une opération qui procède. Par conséquent, l’amour n’est pas tel qu’il soit, comme le verbe, attribué à une personne
8. A la huitième objection, on doit répondre ceci: si la distinction des personnes n’est pas reconnue, Dieu ne se dit pas lui-même à proprement parler, et cela n’est pas connu dans son sens propre par ceux qui ne posent pas la distinction des personnes en Dieu.


RÉPONSE AUX OBJECTIONS CONTRAIRES:

On pourrait facilement répondre aux objections contraires proposées, si quelqu’un voulait soutenir les thèses opposées:
1. Relativement à l’objection concernant les paroles de saint Augustin, on pourrait dire, en effet, que cet auteur considère le verbe en tant
qu’il implique une origine réelle.
2. A la deuxième objection, on pourrait dire que, même si la préposition auprès de implique une distinction, celle-ci n’est cependant pas impliquée par le nom de verbe. On ne peut donc pas conclure, du fait que le Verbe est affirmé comme étant auprès du Père, que le verbe est un attribut personnel, parce qu’il [le Verbe] est appelé aussi Dieu de Dieu et Dieu auprès de Dieu.
3. A la troisième objection, on peut répondre que la relation dont il est question est seulement une relation de raison.
4. A la quatrième objection, on peut répondre comme à la première.



ARTICLE 3: Le nom de verbe convient-il à l’Esprit Saint?

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Objections:
Il semble que oui.
1. Dans son Sermon III sur l’Esprit-Saint, saint Basile dit en effet: "C’est de la même manière que le Fils se rapporte au Père et que l’Esprit se rapporte au Fils; à cause de cela, le Fils étant le verbe de Dieu, l’Esprit est aussi le verbe du Fils". L’Esprit Saint est donc appelé verbe.
2. De plus, il est dit en Hébreux 1, 3 au sujet du Fils: "Splendeur de sa gloire et figure de sa substance, il porte tout par son verbe puissant". Le Fils possède donc un verbe procédant de lui, par lequel tout est porté. Mais, en Dieu, il ne procède du Fils que l’Esprit-Saint. Celui-ci est donc appelé verbe.
3. De plus, comme le dit saint Augustin au livre IX de son traité Sur la Trinité, le verbe "est la connaissance unie à l’amour" Mais, de même que la connaissance est appropriée au Fils, de même l’amour est approprié à l’Esprit-Saint. Donc, de même que le [ de] verbe convient au Fils, de même il convient aussi à l’Esprit-Saint.
4. De plus, au sujet de He 1, 3: "Il porte tout par son verbe puissant la Glose dit que le mot de verbe est pris ici dans le sens d’autorité. Mais l’autorité est placée parmi les signes de la volonté 61 Donc, comme l’Esprit Saint procède par mode de volonté, il semble qu’il puisse être appelé verbe.
5. De plus, un verbe implique de par sa nature qu’il y a manifestation. Mais, de même que le Fils manifeste le Père, de même l’Esprit Saint manifeste le Père et le Fils, d’où il est dit en Jean 16, 13 que l’Esprit Saint "enseigne toute vérité". L’Esprit Saint doit donc être appelé verbe.



Cependant:

Dans le livre VI de son traité Sur la T saint Augustin dit que "le Fils est appelé verbe du fait qu’il est Fils". Or, le Fils est appelé Fils parce qu’il est engendré. Il est donc aussi appelé verbe du fait qu’il est engendré. Mais l’Esprit Saint n’est pas engendré; il n’est donc pas verbe.



Réponse:
On doit dire ceci: autre est l’usage qui est fait de ces noms de verbe et d’image chez nous et nos saints 'autre est celui qui en a été fait chez les anciens docteurs grecs". Ces derniers, en effet, ont employé les noms de verbe et d’image pour tout ce qui procède en Dieu, dès lors ils ont appelé indifféremment verbe et image l’Esprit Saint et le Fils. Mais nous et nos saints suivons, dans l’usage de ces noms, la coutume de l’Ecriture canonique qui ne donne pour ainsi dire jamais les noms de verbe et d’image si ce n’est pour le Fils. Il n’appartient pas, en fait, à la présente question de traiter de l’image mais, en ce qui concerne le verbe, l’usage que nous en faisons apparaît très raisonnable.
Un verbe, en effet, implique qu’il y a une certaine manifestation. Or, on ne trouve de manifestation en tant que telle que dans l’intellect: en effet, si l’on parle de manifestation à propos d’une chose située en-dehors de l’intellect, c’est seulement dans la mesure où quelque élément venant de cette chose est demeuré dans l’intellect. Ce qui manifeste de façon immédiate se trouve donc dans l’intellect, mais il peut exister aussi en-dehors de celui-ci ce qui manifeste de manière plus lointaine.
Et c’est pourquoi le nom de verbe est attribué au sens propre à ce qui procède de l’intellect, tandis que ce qui ne procède pas de l’intellect ne peut être appelé verbe que dans un sens métaphorique, dans la mesure où, d’une façon ou d’une autre, il y a manifestation. Je dis donc que, en Dieu, seul le Fils procède par voie d’intellect parce qu’il procède d’un seul. L’Esprit Saint, en effet, qui procède de deux, procède par voie de volonté et, pour cette raison, il ne peut être appelé verbe que dans le sens métaphorique selon lequel toute chose qui manifeste est dite verbe: c’est de cette manière qu’on doit expliquer les paroles de Basile



Solutions:

1. La réponse à la première objection est donnée ainsi clairement.
2. A la seconde objection, on doit répondre que, comme Basile le fait le verbe est pris ici pour l’Esprit Saint, et la réponse doit être donc la même qu’à la première objection. Ou encore, en suivant la Glose on peut dire que le verbe est pris pour l’autorité du Fils, autorité qui est dite verbe par métaphore parce que nous avons l’habitude de commander par un verbe.
3. A la troisième objection, on doit répondre que la connaissance fait partie de la définition du verbe comme impliquant l’essence du verbe, mais l’amour fait partie de la définition du verbe, non pas comme appartenant à son essence, mais comme accompagnant le verbe lui-même, ainsi que le font voir les paroles mêmes de saint Augustin introduites dans l’objection. C’est pourquoi l’on peut conclure, non que l’Esprit Saint est verbe, mais qu’il procède du verbe.
4. A la quatrième objection, on doit répondre ceci: le verbe manifeste, non seulement ce qui est dans l’intellect, mais aussi ce qui se trouve dans la volonté, en tant que cette volonté elle-même est aussi connue. C’est pourquoi l’autorité, bien qu’elle soit un signe de la volonté, peut cependant être appelée verbe et elle relève de l’intellect.
5. La solution de la cinquième objection découle de manière évidente de ce qui a été dit.



ARTICLE 4: Le Père profère-t-il la créature par le Verbe par lequel il se dit?

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Objections:

Il semble que non.
1. En effet, lorsque nous disons: "Le Père se dit", il n’est signifié par là rien d’autre que celui qui parle et ce qui est dit et, d’un côté comme de l’autre, seul le Père est désigné. Donc, puisque le Père ne produit le Verbe hors de lui que selon qu’il se dit, il semble que, par le Verbe qui procède du Père, la créature ne soit pas proférée.
2. De plus, le verbe par lequel chaque chose est dite est une similitude de cette chose. Mais le Verbe ne peut être appelé une similitude de la créature, comme saint Anselme le prouve dans le Monologion en effet, ou bien il y aurait une concordance parfaite entre le Verbe et l créatures et, dans ce cas, le Verbe serait soumis au changement comme elles et sa souveraine immutabilité disparaîtrait, ou bien il n’y aurait pas de concordance au plus haut degré, et alors il n’y aurait pas en lui de vérité éminente puisqu’une similitude est d’autant plus vraie qu’elle correspond davantage à ce dont elle est la similitude. Le Fils n’est donc pas le verbe par lequel la créature est proférée.
3. De plus, on parle en Dieu du verbe des créatures de la même manière dont on parle du verbe des oeuvres de l’art chez l’artisan. Or, ce verbe des oeuvres chez l’artisan n’est autre que la disposition concernant ces oeuvres. Le verbe des créatures en Dieu n’est donc non plus rien d’autre que la disposition concernant les créatures. Mais cette disposition est attribuée en Dieu à l’essence et non à la personne. Par conséquent, le verbe par lequel sont proférées les créatures n’est pas le Verbe qui est attribué à une personne.
4. De plus, tout verbe a un rapport, soit de modèle, soit d’image, avec ce qui est proféré par lui. Il a un rapport de modèle lorsqu’il est cause d’une chose, comme c’est le cas pour l’intellect pratique, tandis qu’il a un rapport d’image lorsqu’il est causé par une chose, comme cela se produit dans notre intellect spéculatif. Mais, en Dieu, il ne peut y avoir de verbe de la créature qui soit l’image de la créature. Il faut donc que, en Dieu, le verbe de la créature soit le modèle de celle-ci. Mais le modèle de la créature, en Dieu, c’est l’idée. Par conséquent, le verbe de la créature n’est en Dieu rien d’autre que l’idée. Or, l’idée est attribuée en Dieu, non à la personne, mais à l’essence. Le Verbe, dont on parle en Dieu comme d’un attribut personnel et par lequel le Père se dit lui-même, n’est donc pas le verbe par lequel sont proférées les créatures.
5. De plus, la créature est à plus grande distance de Dieu que de quelque autre créature. Mais aux différentes créatures correspondent plusieurs idées en Dieu. Donc, aussi, ce n’est pas le même verbe par lequel le Père se dit et par lequel il prof la créature.
6. De plus, d’après saint Augustin il [le Fils] est appelé Verbe du fait qu’il est Image. Mais le Fils n’est pas l’image de la créature, mais celle du seul Père. Le Fils n’est donc pas le verbe de la créature.
7. De plus, tout verbe procède de ce dont il est le verbe. Mais le Fils ne procède pas de la créature: il n’est donc pas le verbe par lequel la créature est proférée.



Cependant:

1. Saint Anselme affirme que le Père, en se disant, a proféré toute créature Mais le Verbe par lequel il s’est dit, c’est le Fils. C’est donc par le Verbe qui est Fils qu’il [ Père] profère toute créature.
2. De plus, saint Augustin explique ainsi cette phrase: "Il dit, et cela fut fait" il [le Père] engendra le Verbe par lequel il était possible que cela fût fait. C’est donc par le Verbe qui est Fils que le Père a proféré toute créature.
3. De plus, c’est dans un même mouvement que l’artisan se tourne vers l’art et vers l’oeuvre. Mais Dieu lui-même est l’art éternel par lequel les créatures sont produites comme autant d’oeuvres. C’est donc dans un même mouvement que le Père se tourne vers lui et vers toutes ses créatures. Ainsi, en se disant, il profère toutes les créatures.
4. De plus, tout ce qui vient en second, dans un genre donné, peut être ramené à ce qui existe en premier comme à sa cause. Or, les créatures sont proférées par Dieu: elles peuvent donc être ramenées à ce qui est proféré en premier par lui. Mais Dieu se dit d’abord lui-même. C’est donc par ce qu’il se dit qu’il profère toutes les créatures.



Réponse:

On doit dire que le Fils procède du Père et par mode de nature en tant qu’il procède comme Fils, et par mode d’intellect en tant qu’il procède comme Verbe. Nous trouvons d’ailleurs chez nous ces deux manières de procéder, bien qu’elles n’aboutissent pas dans ce cas à une même réalité: en effet, il n’y a rien chez nous qui procède d’autre chose par mode d’intellect et par mode de nature, parce que connaître et être ne s’identifient pas chez nous comme ils le font en Dieu.
Or, l’une et l’autre manière de procéder présentent, selon qu’on les trouve en nous ou en Dieu, une différence similaire. En effet, chez l’homme, le fils qui procède de son père par voie de nature n’a pas en lui la substance entière de son père, il n’en reçoit qu’une partie. Mais le Fils de Dieu, en tant qu’il procède du Père par voie de nature, reçoit en lui toute la nature du Père en sorte qu’ils sont, Fils et Père, d’une nature unique en nombre On trouve une différence semblable dans le processus qui a lieu par voie d’intellect. En effet, le verbe, que nous exprimons grâce à la pensée en acte et qui est en quelque sorte issu de la considération de choses connues antérieurement ou au moins de la connaissance habituelle, ne contient pas en lui la totalité de ce qui existe en ce dont il provient; car, quel que soit ce que nous possédons d’une connaissance habituelle, notre intellect n’en exprime pas la totalité en concevant un seul verbe, mais seulement une partie; pareillement, dans la considération d’une seule conclusion n’est pas exprimé tout ce qui était virtuellement contenu dans les principes. Mais, en Dieu, pour que son verbe soit parfait, il faut que ce verbe exprime tout ce qui est contenu en ce dont il provient, et d’une manière particulière étant donné que Dieu voit tout, sans division, en une seule vision intuitive. Ainsi donc, pour que le verbe soit vrai et corresponde à son principe, il faut que, quel que soit ce qui est contenu dans la science du Père, tout soit exprimé par le verbe unique du [ lui-même, et de la manière même dont cela est contenu dans cette science. Or, par sa science, le Père se connaît et, en se connaissant, il connaît toutes les autres choses. Il en résulte que son verbe aussi exprime d’abord le Père lui-même, et par suite toutes les autres réalités que le Père connaît en se connaissant lui-même. Ainsi le Fils, du fait même qu’il est verbe exprimant parfaitement le Père, exprime toute créature. Cet ordre des choses est montré par les paroles de saint Anselme affirmant que, en se disant, il [le Père] a proféré toute créature



Solutions:

1. A la première objection, on doit donc répondre ceci: lorsqu’on dit "Le Père se dit", dans cette expression est incluse aussi toute créature, dans la mesure où le Père, en tant que modèle de la création tout entière, contient dans sa science toute créature.
2. A la deuxième objection, on doit répondre qu e saint Anselme prend le nom de similitude au sens strict, comme le fait aussi saint Denis au chapitre IX de son traité Sur les noms divins. saint Denis dit là que nous trouvons le caractère réciproque de la similitude dans les choses disposées également l’une envers l’autre, de sorte que l’une est dite semblable à l’autre et réciproquement Mais, quand il s’agit de réalités ayant entre elles un rapport de cause à effet, on ne peut trouver, à proprement parler, de réciprocité de la similitude: nous disons, en effet, que l’image d’Hercule est semblable à Hercule, mais non l’inverse. En conséquence, parce que, contrairement à notre verbe, le Verbe divin n’est pas fait à l’imitation de la créature mais que plutôt l’inverse est vrai, saint Anselme veut dire que le Verbe n’est pas la similitude de la créature mais que c’est l’inverse qui est vrai. Mais si nous prenons le mot de similitude au sens large, nous pouvons dire que le Verbe est la similitude de la créature, non comme s’il était son image, mais à la manière d’un modèle, comme saint Augustin dit aussi que les idées sont les similitudes des choses; et il n’en résulte pourtant pas qu’il n’y ait pas dans le Verbe de vérité éminente du fait qu’il est immuable tandis que les créatures existantes sont soumises au changement, parce qu’il n’est pas requis pour la vérité d’un verbe que celui-ci présente, avec la réalité proférée par lui, une similitude selon une conformité de nature, mais est requise une similitude selon la représentation, comme il a été dit dans la question Sur la science de Dieu.
3. A la troisième objection, on doit répondre ceci: la disposition des créatures n’est appelée verbe; à proprement parler, qu’en tant qu’elle procède d’autre chose: elle est une disposition engendrée et elle est un attribut personnel, comme l’est aussi la sagesse engendrée, alors que, prise sans qualificatif, la disposition est un attribut de l’essence.
4. A la quatrième objection, on doit répondre que le verbe est différent de l’idée: l’idée, en effet, désigne une forme exemplaire dans l’absolu, mais le verbe de la créature désigne en Dieu une forme exemplaire issue d’autre chose. C’est pourquoi, en Dieu, l’idée appartient à l’essence, mais le verbe appartient à une personne.
5. A la cinquième objection, on doit répondre ceci: bien que Dieu soit à une très grande distance de la créature si l’on considère le caractère propre de sa nature, il est cependant le modèle de la créature, tandis qu’une créature donnée n’est pas le modèle d’une autre. C’est pourquoi, par le Verbe par lequel Dieu s’exprime, toute créature est exprimée alors que, par l’idée par laquelle une créature donnée est exprimée, une autre créature ne l’est pas. Il ressort aussi de là une autre différence entre le verbe et l’idée: parce que l’idée concerne directement la créature, à plusieurs créatures correspondent donc plusieurs idées, mais le Verbe concerne directement Dieu que le Verbe exprime d’abord et, par voie de conséquence, il concerne les créatures. Et parce que, selon qu’elles sont en Dieu, les créatures constituent une réalité unique, il n’y a pour cette raison qu’un verbe unique de toutes les créatures
6. A la sixième objection, on doit répondre ceci: quand saint Augustin dit que le Fils "est appelé Verbe du fait qu’il est Image", il comprend cela en rapport avec le caractère propre et personnel du Fils, caractère qui est réellement le même, qu’on parle selon lui de Fils, de Verbe ou d’Image. Mais, quant à la signification, il n’y a pas identité de sens entre les trois noms mentionnés: le mot de verbe, en effet, implique non seulement l’idée d’une origine et celle d’une imitation, mais aussi celle d’une manifestation, et par là le Verbe est, d’une certaine façon, le Verbe de la créature dans la mesure où, par le Verbe, la créature est manifestée.
7. A la septième objection, on doit répondre qu’un verbe est verbe de quelque chose de plusieurs manières: d’une première manière, en tant que verbe de celui qui parle, et ainsi il procède de ce dont il est le verbe; d’une autre manière, comme verbe de ce qui est manifesté par lui, et il ne doit pas alors procéder de ce dont il est le verbe, si ce n’est quand la science dont il procède est causée par les choses, ce qui n’arrive pas en Dieu. C’est pourquoi l’argument est sans portée.






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