De veritate FR 405

ARTICLE 5: Le nom de Verbe implique-t-il un rapport à la créature?

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Objections:
Il semble que non.
1. En effet, tout nom impliquant un rapport à la créature est attribué à Dieu en relation avec le temps: ainsi les noms de Créateur et de Seigneurs’. Mais le Verbe est attribué à Dieu de toute éternité; il n’implique donc pas de rapport à la créature.
2. De plus, tout ce qui est relatif, ou bien est relatif par essence, ou bien est relatif par manière de parler Or, le Verbe ne se rapporte pas à la créature par essence parce qu’il dépendrait alors de celle-ci, ni d’un autre côté par manière de parler, car ce rapport à la créature devrait s’exprimer par quelque cas [ grammaire], ce qu’on ne trouve pas: il semblerait, en effet, que ce rapport soit exprimé surtout par le cas du génitif ainsi dirait-on que le Verbe est Verbe de la créature, ce que saint Anselme refuse dans le Monologion. Le Verbe n’implique donc pas de rapport à la créature.
3. De plus, on ne peut concevoir un nom impliquant un rapport à la créature sans concevoir que celle-ci est en acte ou en puissance parce que celui qui conçoit l’un des termes d’une relation doit concevoir aussi l’autre Mais, sans concevoir qu’une créature est ou sera, on conçoit encore un Verbe en Dieu selon que le Père se dit lui-même. Le Verbe n’implique donc pas de rapport à la créature.
4. De plus, le rapport de Dieu à la créature ne peut être que comme un rapport de cause à effet. Mais, comme on le tient des paroles de saint Denis au chapitre 2 de son traité Sur les noms divins tout nom connotant un effet dans la créature est commun à la Trinité tout entière. Or, le Verbe n’est pas un nom de cette sorte; il n’implique donc pas de rapport à la créature.
5. De plus, on ne peut concevoir que Dieu se rapporte à la créature sinon par sa sagesse, sa puissance et sa bonté; mais tous ces termes ne sont attribués au Verbe que par appropriation. Par conséquent, comme le nom de Verbe est, non pas un terme approprié, mais un terme propre, il n’implique pas, semble-t-il, de rapport à la créature.
6. De plus, bien que certaines choses soient disposées par l’homme, le nom d’homme n’implique pourtant pas de rapport à celles-ci. Donc, bien que par le Verbe soient disposées toutes choses, le nom de Verbe n’impliquera cependant pas de rapport aux créatures disposées par lui.
7. De plus, le nom de verbe est dit relatif, comme le nom de fils. Mais toute la relation d’un fils se limite à un père, car il n’y a de fils que celui d’un père. Il en va donc pareillement de toute la relation d’un verbe. Par conséquent, le Verbe n’implique pas de rapport à la créature.
8. De plus, d’après le Philosophe au livre V de la Métaphysique, toute chose relative est dite telle à l’égard d’une seule chose, autrement la chose relative aurait deux essences, puisque l’essence d’une chose relative consiste à être relative à une autre. Mais le Verbe est dit relatif au Père; il n’est donc pas dit relatif aux créatures.
9. De plus, si un nom unique est donné à des choses qui diffèrent par l’espèce, c’est d’une manière équivoque qu’il s’appliquera à celles-ci: par exemple le nom de chien donné au chien qui aboie et au chien de mer Or, l’infériorité et la supériorité constituent des espèces différentes de rapport Si donc un nom unique implique l’un et l’autre rapports, ce nom sera nécessairement équivoque. Mais le rapport du Verbe à la créature n’est autre qu’un rapport de supériorité, tandis que le rapport du Verbe au Père est comme un rapport d’infériorité, non pas à cause d’une inégalité en dignité, mais en raison de l’importance de l’origine. Le Verbe, qui implique un rapport au Père, n’implique donc pas de rapport à la créature si ce n’est lorsqu’il est pris de manière équivoque.



Cependant:

1. Dans son Livre des quatre-vingt-trois questions, saint Augustin dit ceci: "Au commencement était le Verbe. Ce qui se dit en grec logos signifie en latin raison et verbe. Mais, dans ce passage, nous préférons traduire par verbe pour que soient signifiés, non seulement le rapport au Père, mais aussi le rapport à ce qui a été fait par le Verbe de par sa puissance opérative." Cela montre clairement ce qui est proposé par l’auteur.
2. De plus, à propos de ce verset du Psaume: "Dieu a parlé une fois" la Glose dit: "Une fois, c’est-à-dire il a engendré éternelle ment le Verbe en lequel il a disposé toutes choses Mais l’acte de disposer montre un rapport à l’égard de ce qui est disposé. On parle donc du Verbe relativement aux créatures.
3. De plus, tout verbe implique un rapport à ce qui est dit par lui. Mais, comme l’expose saint Anselme, Dieu, en se disant, profère toute créature. Le Verbe implique donc un rapport, non seulement au Père, mais aussi à la créature.
4. De plus, le Fils, du fait qu’il est Fils, est la parfaite image du Père selon ce qui lui est intrinsèque, mais le Verbe, de par son nom, ajoute à cela qu’il y a manifestation. Or, il n’y a pas d’autre manifestation possible que celle où le Père est manifesté par ses créatures: c’est comme une manifestation vers l’extérieur. Le Verbe implique donc un rapport à la créature.
5. De plus, au chapitre 7 de son traité Sur les noms divins, saint Denis dit que "Dieu est loué en tant que Raison" ou Verbe, "parce qu’il est dispensateur de sagesse et de raison." Ainsi est-il clair que le Verbe dont on parle à propos de Dieu comporte un sens de cause. Mais on parle de cause relativement à un effet. Le Verbe implique donc un rapport aux créatures.
6. De plus, un intellect pratique se rapporte à ce qui est opéré par lui. Mais le Verbe divin est le verbe d’un intellect pratique, puisqu’il est verbe opératif comme le dit saint Jean Damascène. Le Verbe exprime donc un rapport à la créature.



Réponse:

On doit dire ceci: chaque fois que deux choses sont telles, l’une envers l’autre, que l’une dépend de l’autre mais que l’inverse n’est pas vrai, dans la chose qui dépend de l’autre existe une relation réelle, mais dans celle dont l’autre dépend il n’y a pas de relation si ce n’est seulement une relation de raison, selon le fait que l’on ne peut concevoir la relation d’une chose à une autre sans concevoir aussi en même temps la relation inverse. Un exemple clair est celui de la science qui dépend de ce qui est connaissable tandis que l’inverse n’est pas vrai o Par conséquent, étant donné que toutes les créatures dépendent de Dieu mais que l’inverse n’est pas vrai, il existe dans les créatures des relations réelles par lesquelles elles se rapportent à Dieu mais, en Dieu, les relations inverses ne sont que selon la raison. Et, parce que les noms sont les signes des conceptions de l’intellect, on attribue de ce fait à Dieu des noms qui impliquent un rapport à la créature, alors que cependant cette relation est seulement une relation de raison, comme il a été dit: en effet, les relations réelles en Dieu sont seulement celles par lesquelles les personnes se distinguent l’une de l’autre.
D’autre part, dans ce qui a trait aux relations, nous trouvons que certains noms sont donnés pour signifier les rapports eux-mêmes, comme le nom de similitude, tandis que d’autres le sont pour signifier quelque chose auquel un rapport est associé: ainsi le nom de science est donné pour signifier une certaine qualité qu’accompagne un rapport donné. Nous trouvons cette diversité dans les noms relatifs attribués à Dieu, dans ceux qu’on lui attribue de toute éternité comme dans ceux qu’on lui attribue à partir du temps. En effet, le nom de Père, attribut de Dieu de toute éternité, et pareillement le nom de Seigneur qu’on lui confère à partir du temps, sont donnés pour signifier les rapports eux-mêmes; mais le nom de Créateur, attribué à Dieu à partir du temps, est donné pour signifier une action divine dont découle un certain rapport. Pareillement, le nom de Verbe est donné pour signifier quelque chose d’absolu joint à un rapport: le Verbe, en effet, est identique à la Sagesse engendrée comme le dit saint Augustin. Et ceci ne s’oppose pas à ce que le Verbe soit attribué à une personne parce que, de même que le terme de Père est un attribut personnel, de même aussi sont attributs personnels les expressions Dieu engendrant ou Dieu engendré.
Or, il arrive qu’une réalité absolue puisse avoir rapport à plusieurs choses; en conséquence, on peut dire d’un nom qui est donné pour signifier quelque chose d’absolu accompagné d’un rapport, qu’il est relatif à l’égard de plusieurs choses: conformément à cela, on parle de science en tant qu’elle est science relative à ce qui est connaissable mais, en tant qu’elle est quelque accident ou forme, elle se rapporte au savant. De la même façon, le nom de verbe comporte à la fois un rapport à celui qui dit le verbe et un rapport à ce qui est dit par le verbe, et ce dernier rapport peut même être exprimé de deux manières: d’une part selon la convertibilité du nom, et ainsi le verbe est dit relatif à ce qui est dit; d’autre part, le verbe se rapporte à la chose à laquelle correspond le sens du mot. Et parce que le Père se dit d’abord en engendrant son Verbe et qu’il profère les créatures par voie de conséquence, pour cette raison le Verbe se rapporte d’abord et comme essentiellement au Père, mais secondairement et comme accidentellement à la créature: en effet, que la créature soit dite par le Verbe est pour celui-ci de l’ordre de l’accident.



Solutions:

1. A la première objection, on doit répondre ceci: l’argument proposé vaut pour les noms qui impliquent un rapport en acte avec la créature, mais il ne vaut pas pour ceux qui impliquent avec celle-ci un rapport habituel. On entend par rapport habituel celui qui ne requiert pas que la créature ait en même temps l’être en acte: tels sont tous les rapports qui résultent des mouvements de l’âme, parce que la volonté et l’intellect peuvent concerner même ce qui n’est pas en acte d’exister. Or, le Verbe implique un processus de l’intellect. L’argument est donc sans portée.
2. A la deuxième objection, on doit répondre ceci: quand on parle de la relation du Verbe à la créature, il s’agit, non d’une relation réelle comme si la relation à la créature était réellement en Dieu, mais d’une relation par manière de parler. Et il n’est pas exclu qu’on puisse exprimer cette relation par quelque cas de grammaire: je peux dire, en effet, que le Verbe est Verbe de la créature, c’est-à-dire au sujet de la créature, non pas issu de la créature: c’est ce dernier sens que saint Anselme refuse. De plus, si l’on ne rapportait pas le Verbe à la créature selon un cas de grammaire, il suffirait de l’y rapporter d’une manière ou d’une autre, par exemple à l’aide d’une préposition jointe au cas approprié afin de dire que le Verbe est pour (ad) la créature, à savoir pour la créer.
3. A la troisième objection, on doit répondre que l’argument procède de ces noms qui impliquent par eux-mêmes un rapport à la créature; or, le nom de verbe n’est pas de cette sorte, comme il ressort clairement de ce qui a été dit. C’est pourquoi l’argument est sans portée.
4. A la quatrième objection, on doit répondre ceci: le nom de Verbe implique quelque chose d’absolu et, par là, il possède un caractère de causalité vis-à-vis de la créature; mais, si l’on considère l’origine réelle qu’il implique, il est donné comme relatif à une personne et, de ce point de vue, il n’a pas de caractère de causalité à l’égard de la créature.
5. La réponse à la cinquième objection est rendue évidente par ce qui vient d’être dit.
6. A la sixième objection, on doit répondre ceci: le Verbe est non seulement ce par quoi se fait la disposition, mais il est cette disposition même du Père concernant les choses à créer. C’est pourquoi le Verbe se rapporte de quelque façon à la créature.
7. A la septième objection, on doit répondre ceci: fils implique seulement le rapport de quelqu’un au principe dont il provient, mais Verbe implique un rapport à la fois au principe par lequel il est dit et à ce qui est comme son aboutissement, à savoir ce qui est manifesté par le Verbe. Ce qui est manifesté, c’est bien d’abord le Père, mais par voie de conséquence c’est la créature, laquelle ne peut en aucune manière être le principe d’une personne divine. C’est pourquoi Fils n’implique en aucune façon un rapport à la créature, contrairement à Verbe.
8. A la huitième objection, on doit répondre que l’argument procède de ces noms qui sont donnés pour signifier les rapports eux-mêmes: il est, en effet, impossible qu’un rapport unique aboutisse à des choses multiples, à moins que ces dernières ne s’enchaînent d’une manière ou d’une autre.
9. A la neuvième objection, il faut encore répondre de la même façon.
Les arguments contraires concluent aussi que le Verbe se rap porte de quelque manière à la créature mais ils ne concluent pas que le Verbe implique cette relation essentiellement et comme principalement, et en ce sens on peut les admettre.



ARTICLE 6: Les choses sont-elles plus véritablement dans le Verbe ou en elles-mêmes?

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Objections:
Et il semble qu’elles ne soient pas plus véritablement dans le Verbe.
1. En effet, une chose, là où elle est par son essence, est plus véritablement que là où elle est seulement par sa similitude Mais, dans le Verbe, les choses ne sont que par leur similitude tandis que, en elles-mêmes, elles sont par leur essence: elles sont donc en elles-mêmes plus véritablement que dans le Verbe.
2. Mais on a dit que les choses sont d’une manière plus noble dans le Verbe, dans la mesure où elles ont là un être plus noble. Contre cet argument, on peut dire: si une chose matérielle a un être plus noble dans notre âme qu’en elle-même, comme le dit aussi saint Augustin dans son traité Sur la Trinité" cette chose est cependant en elle-même plus véritablement que dans notre âme; donc, pour la même raison, elle est en elle-même plus véritablement que dans le Verbe.
3. De plus, ce qui est en acte est plus véritablement que ce qui est en puissance. Mais une chose en elle-même est en acte tandis que, dans le Verbe, elle n’est qu’en puissance comme l’oeuvre dans l’artisan." Une chose est donc en elle-même plus véritablement que dans le Verbe.
4. De plus, l’extrême perfection d’une chose est son opération. Mais les choses existant en elles-mêmes ont leurs opérations propres, qu’elles n’ont pas en tant qu’elles sont dans le Verbe: par conséquent, elles sont en elles-mêmes plus véritablement que dans le Verbe.
5. De plus, seules sont comparables les choses qui sont de même nature. Mais l’être d’une chose en elle-même et son être dans le Verbe ne sont pas de même nature. Donc, pour le moins, il n’est pas possible de dire qu’une chose est dans le Verbe plus véritablement qu’en elle-même.



Cependant:

1. "La créature dans le Créateur est essence créatrice" dit saint Anselme " Mais l’être incréé est plus véritablement que l’être créé. Une chose a donc l’être dans le Verbe plus véritablement qu’en elle-même.
2. De plus, de même que Platon soutenait que les idées des choses sont à l’extérieur de l’esprit divin, de même nous, nous affirmons qu’elles sont dans cet esprit. Mais, d’après Platon, l’homme séparé" était plus véritablement homme que l’homme matériel: en conséquence, il appelait "homme en soi" cet homme séparé. Donc, mais selon les affirmations de la foi, les choses sont dans le Verbe plus véritablement qu’elles ne sont en elles-mêmes.
3. De plus, ce qui est le plus vrai dans chaque genre sert de mesure au genre tout entier. Mais les similitudes des choses existant dans le Verbe servent de mesure de vérité à tout, parce que c’est selon cela qu’une chose est dite vraie: selon qu’elle imite son modèle qui est dans le Verbe. Les choses sont donc dans le Verbe plus véritablement qu’en elles-mêmes.



Réponse:

On doit répondre ceci: comme le dit saint Denis au chapitre 2 de son traité Sur les noms divins, les effets ne réussissent pas à imiter les causes qui les dépassent. En raison de cette distance entre la cause et l’effet, on attribue en toute vérité à l’effet quelque chose qu’on n’attribue pas à la cause: ainsi est-il clair qu’on ne dit pas, à proprement parler, que des plaisirs s’amusent, bien qu’ils soient pour nous des causes d’amusement. Ceci n’a lieu, assurément, que parce que le mode d’être des causes est plus élevé que ce qu’on attribue à leurs effets, et nous trouvons cela à propos de toutes les causes qui agissent de manière équivoque par exemple, le soleil ne peut être dit chaud bien que, par lui, d’autres choses deviennent chaudes, cela étant dû à la grande supériorité du soleil lui-même vis-à-vis de ce qu’on dit chaud.
Quand donc on recherche si les choses sont en elles-mêmes plus véritablement que dans le Verbe, il faut établir cette distinction que l’expression "plus véritablement" peut indiquer, soit la vérité de la chose, soit la vérité du discours. Si elle désigne la vérité de la chose, alors, sans aucun doute, la vérité des choses est plus grande dans le Verbe qu’en elles-mêmes. Mais s’il s’agit de la vérité du discours, c’est le contraire qui se produit: on parle comme homme plus véritable ment d’une chose étant dans sa nature propre que de cette chose selon qu’elle est dans le Verbe, et cela est dû, non à une déficience du Verbe mais à sa grande supériorité, comme on l’a exposé.



Solutions:

1. A la première objection, on doit donc répondre ceci: si c’est la vérité du discours qui est considérée, il est tout à fait vrai qu’une chose est plus véritablement là où elle est par son essence que là où elle est par sa similitude. Mais si l’on considère la vérité de la chose, alors une chose est plus véritablement là où elle est par la similitude qui est la cause de cette chose, tandis qu’elle est moins véritablement là où elle est par la similitude causée par elle.
2. A la deuxième objection, on doit répondre que la similitude d’une chose dans notre esprit n’est pas la cause de cette chose comme l’est la similitude des choses dans le Verbe. On ne peut donc pas comparer.
3. A la troisième objection, on doit répondre ceci: une puissance active est plus parfaite que ne l’est l’acte qui est l’effet de cette puissance, et c’est de cette manière que les choses sont dites être en puissance dans le Verbe.
4. A la quatrième objection, on doit répondre ceci: bien que, dans le Verbe, les créatures n’aient pas d’opérations propres, elles y ont cependant des opérations plus nobles en tant qu’elles sont causes effectives des choses et de leurs opérations.
5. A la cinquième objection, on doit répondre ceci: quoique l’être des créatures dans le Verbe et leur être en elles-mêmes ne soient pas de même nature selon l’univocité, ils appartiennent cependant d’une certaine façon à une même nature selon l’analogie.


RÉPONSE AUX OBJECTIONS CONTRAIRES:

1. A la première objection contraire, on doit répondre que l’argument procède de la vérité de la chose, mais non de celle du discours.
2. A la deuxième objection contraire, on doit répondre ceci: Platon est critiqué pour avoir affirmé que les formes naturelles existent selon leur nature propre indépendamment de la matière, comme si la matière se comportait comme un accident à l’égard des espèces naturelles: selon cette [ on pourrait vraiment parler de réalités naturelles à propos de ces [ qui sont sans matière. Mais nous, nous n’affirmons pas cela, et c’est pourquoi l’on ne peut comparer.
3. A la troisième objection contraire, on doit répondre comme à la première.



ARTICLE 7: Le Verbe est-il Verbe de ce qui n’est pas, ne sera pas et n’a pas été?

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On se demande en septième lieu si le Verbe est Verbe de ce qui n’est pas, ne sera pas et n’a pas été. II semble que oui.
1. En effet, le mot de verbe implique que quelque chose procède de l’intellect. Mais l’intellect divin se rapporte aussi à ce qui n’est pas, ne sera pas, et n’a pas été, comme il a été dit dans la question Sur la science de Dieu 'Le Verbe peut donc se rapporter même à cela.
2. De plus, saint Augustin dit au livre VI de son traité Sur la Trinité: "Le Fils est la science du Père, toute remplie des raisons des êtres vivants" Mais, comme le dit le même auteur dans son Livre des quatre-vingt-trois questions: "Une raison, même si rien n’est fait par elle, est à juste titre appelée raison." Le Verbe se rapporte donc même à ce qui ne sera pas fait et n’a pas été fait.
3. De plus, le Verbe ne serait pas parfait s’il ne contenait pas en lui tout ce qui est dans la science de celui qui le profère. Mais, dans la science du Père qui profère se trouve ce qui ne sera jamais et n’a jamais été fait; cela se trouvera donc aussi dans le Verbe.



Cependant:

1. Dans le Monologion, saint Anselme dit: "De ce qui n’est pas, n’a pas été et ne sera pas, il ne peut y avoir aucun verbe."
2. De plus, il relève du pouvoir de celui qui parle que tout ce qu’il dit soit fait. Mais Dieu est tout-puissant. Son Verbe ne se rapporte donc pas à quelque chose qui ne se ferait pas à un moment ou à un autre.

Réponse:
On doit répondre qu’une chose peut être dans le Verbe de deux manières. D’une première manière, comme ce que le Verbe connaît ou ce qui peut être connu dans le Verbe: c’est ainsi que dans le Verbe se trouve même ce qui n’est pas, ne sera pas et n’a pas été fait, parce que le Verbe connaît cela comme le connaît aussi le Père et que cela peut être connu dans le Verbe comme aussi dans le Père. D’une seconde manière, on dit qu’une chose est dans le Verbe comme ce qui est proféré par lui. Or, tout ce qui est exprimé par un verbe est destiné, d’une certaine façon, à être réalisé parce que, par le verbe, nous poussons les autres à agir et que nous en amenons certains à effectuer ce que notre esprit a conçu; d’où il résulte encore que, pour Dieu, dire c’est disposer son oeuvre comme il ressort clairement de la Glose sur le Psaume: "Dieu a parlé une fois..." Par conséquent, de même que Dieu ne dispose que ce qui est, sera ou a été, de même il ne dit que cela. Le Verbe se rapporte donc seulement à ces choses-là en tant que choses dites par lui, tandis que la science et l’art, et l’idée ou raison n’impliquent pas d’être ordonnés à une quelconque réalisation, et c’est pourquoi on ne peut les comparer au Verbe.
Il est clairement répondu par là aux objections.





ARTICLE 8: Tout ce qui a été fait est-il vie dans le Verbe?

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Objections:

Il semble que non.
1. En effet, c’est selon ce que les choses sont dans le Verbe que celui-ci en est la cause. Si donc les choses dans le Verbe sont vie, le Verbe en est la cause par mode de vie; mais, du fait qu’il cause les choses par mode de bonté, il s’ensuit qu’elles sont toutes bonnes; donc, du fait qu’il les cause par mode de vie, il s’ensuivra que toutes sont vivantes, ce qui est faux. Par conséquent est fausse aussi la proposition initiale.
2. De plus, les choses sont dans le Verbe comme les oeuvres chez l’artisan. Mais les oeuvres chez l’artisan ne sont pas vie: elles ne sont, en effet, ni la vie de l’artisan lui-même qui vivait déjà avant que les oeuvres ne soient en lui-même, ni celle des oeuvres qui sont privées de vie. Les créatures ne sont donc pas non plus vie dans le Verbe.
3. De plus, le pouvoir de produire la vie est, dans l’Ecriture, plus approprié à l’Esprit Saint qu’au Verbe, ainsi qu’on le voit en (
Jn 6,64): "C’est l’Esprit qui vivifie" et en plusieurs autres endroits. Mais on ne parle pas de verbe à propos de l’Esprit Saint mais seulement à propos du Fils, comme il ressort clairement de ce qui a été dit. Il ne convient donc pas non plus de dire qu’une chose est vie dans le Verbe.
4. De plus, la lumière intellectuelle n’est pas un principe de vie. Mais les choses dans le Verbe sont lumière. Il semble donc que, en lui, elles ne soient pas vie.



Cependant:

1. En (Jn 1,3), il est dit: "Ce qui a été fait, en lui était vie."
2. De plus, selon le Philosophe au livre YIII de la Physique, le mouvement du ciel est appelé "une certaine vie pour toutes les choses qui existent dans la nature." Mais le Verbe exerce davantage son action sur les créatures que le mouvement du ciel ne le fait sur la nature. Les choses, selon qu’elles sont dans le Verbe, doivent donc être appelées vie.



Réponse:

On doit répondre ceci: selon qu’elles sont dans le Verbe, les choses peuvent être considérées de deux manières; d’une première manière, par rapport au Verbe; d’une autre manière, par rapport aux choses existant dans leur nature propre. Dans les deux cas, la similitude de la créature dans le Verbe est vie.
Nous disons, en effet, que vit au sens propre du terme ce qui a en soi-même le principe de tout mouvement ou opération: d’où vient qu’en premier lieu ont été appelés vivants des êtres parce qu’on a repéré qu’ils avaient en eux-mêmes un principe les faisant mouvoir selon un quelconque mouvement. De là, le nom de vie s’est étendu à tout ce qui a en soi-même un principe d’opération propre: c’est pourquoi l’on dit aussi de quelques êtres qu’ils vivent du fait qu’ils connaissent, ou qu’ils sentent, ou qu’ils veulent, non pas seulement du fait qu’ils se mettent en mouvement en changeant de lieu ou de dimension. Cet être que possède une créature en tant qu’elle se meut elle-même pour accomplir une opération est donc appelé, au sens propre du terme, sa vie parce que "vivre est l’être du vivant", comme il est dit au livre II du traité De l’âme.
Or, en nous, aucune des opérations pour lesquelles nous nous mettons en mouvement n’est identique à notre être, et donc, pour nous, ce que nous connaissons n’est pas notre vie à proprement parler, si ce n’est lorsqu’on prend le fait de vivre pour l’oeuvre qui est signe de vie; et semblablement une similitude intellectuelle n’est pas pour nous notre vie. Mais, pour le Verbe, le fait de connaître est identique au fait d’être, et pareillement la similitude de lui-même: par conséquent, la similitude de la créature dans le Verbe est sa vie. De même aussi, la similitude de la créature est d’une certaine manière la créature elle-même, de cette manière qui fait dire que "l’âme, en quelque sorte, est tout." Donc, du fait que la similitude de la créature dans le Verbe est à la source de l’être et du mouvement de cette créature existant dans sa nature propre, il résulte d’une certaine façon que la créature se meut elle-même et s’amène elle-même à l’être, à savoir dans la mesure où elle est amenée à l’être et où elle est mue par sa similitude existant dans le Verbe. Et c’est ainsi que la similitude de la créature dans le Verbe est, d’une certaine manière, la vie de la créature 138rn



Solutions:

1. A la première objection, on doit répondre ceci: le fait que la créature existant dans le Verbe est appelée vie ne relève pas de la nature propre de la créature, mais de son mode d’être dans le Verbe. Par conséquent, comme ce mode est différent de celui qu’elle a en elle-même, il ne s’ensuit pas que la créature vive en elle-même, bien qu’elle soit vie dans le Verbe, comme elle n’est pas en elle-même immatérielle bien qu’elle le soit dans le Verbe. Mais la bonté, l’entité et des choses de ce genre appartiennent à la nature propre de la créature, et c’est pourquoi, de même que les créatures sont bonnes selon qu’elles sont dans le Verbe, de même encore elles le sont selon qu’elles sont dans leur nature propre.
2. A la deuxième objection, on doit répondre que les similitudes des choses dans l’artisan ne peuvent, à proprement parler, être appelées vie parce qu’elles ne sont ni l’être même de l’artisan qui vit, ni l’opération même de celui-ci, contrairement à ce qui a lieu en Dieu. Cependant, saint Augustin dit que le coffre vit dans l’esprit de l’artisan: mais c’est en tant que ce coffre, dans l’esprit de l’artisan, possède un être intelligible qui relève du domaine de la vie.
3. A la troisième objection, on doit répondre ceci: la vie est attribuée à l’Esprit Saint d’après le fait que Dieu est appelé la vie des choses, en tant qu’il est lui-même dans toutes les choses, les mettant en mouvement de telle façon qu’elles paraissent mues, en quelque sorte, par un principe intrinsèque. Mais la vie est appropriée au Verbe selon que les choses sont en Dieu, comme il ressort clairement de ce qui a été dit.
4. A la quatrième objection, on doit répondre ceci: de même que les similitudes des choses dans le Verbe sont pour ces choses causes d’exister, de même elles sont pour ces choses causes de connaître, dans la mesure où ces similitudes sont gravées dans les intelligences afin que ces dernières puissent connaître les choses. Et c’est pourquoi, de même que ces similitudes sont appelées vie en tant qu’elles sont principes d’exister, de même elles sont dites lumière en tant qu’elles sont principes de connaître.



QUESTION 13: LE MAÎTRE (De Magistro)


1300

(Traduction Bernadette Jollès, 1983)


ARTICLE 1: L’homme peut-il enseigner et être appelé maître, ou cela est-il réservé à Dieu seul?

1301

Nous allons maintenant traiter du maître. La première question est si un homme peut en enseigner un autre et être appelé maître, ou si cela n’appartient qu’à Dieu.



Objections:
Il semble que Dieu seul enseigne et doive être appelé maître:
1° Il est écrit (
Mt 23,8): "Vous n’avez qu’un Maître " et, immédiatement auparavant: "Ne vous faites pas appeler Rabbi", ce que la Glose commente ainsi: "De peur que vous n’attribuiez aux hommes un honneur qui est dû à Dieu, ou que vous ne vous appropriiez ce qui n’appartient qu’à Dieu." Donc il semble qu’être maître et enseigner n’appartiennent qu’à Dieu seul.
2° En outre, si l’homme enseigne, ce ne peut être que par des signes; car, s’il semble parfois enseigner au moyen des choses elles-mêmes, ainsi par exemple s’il se met à marcher pour répondre à quelqu’un qui lui demande ce que c’est que marcher, cela ne suffit cependant pas à enseigner si l’on n’y ajoute pas quelque signe, comme le prouve saint Augustin dans son traité Du maître du fait qu’une même chose est composée de plusieurs éléments, on ne pourra en effet savoir auquel d’entre eux se réfère la démonstration, et si elle se rapporte à la substance ou à quelque accident. Mais on ne peut parvenir à la connaissance des choses par les signes, car la connaissance des choses est supérieure à celle des signes, puisque la connaissance des signes est ordonnée à la connaissance des choses comme à sa fin et que l’effet n’est pas supérieur à sa cause. Nul ne peut donc transmettre à un autre la connaissance des choses ni par conséquent l’enseigner.
3° En outre, si les signes de certaines choses sont présentés à quelqu’un par un homme, ou bien celui à qui ces signes sont proposés connaît les choses auxquelles ces signes se rapportent, ou bien il ne les connaît pas. S’il les connaît, il n’apprend rien à leur sujet; et s’il ne les connaît pas, ne sachant rien des choses, il ne peut pas non plus connaître la signification des signes: celui, en effet, qui ne sait pas ce qu’est une pierre ne peut savoir ce que signifie le mot " pierre." Mais si nous ignorons la signification des signes, nous ne pouvons apprendre quoi que ce soit par des signes. Si donc un homme, lorsqu’il enseigne, ne fait rien d’autre que proposer des signes, il semble qu’un homme ne puisse être enseigné par un autre homme.
4° En outre, enseigner n’est rien d’autre que causer en quelque manière la science en quelqu’un d’autre. Mais le sujet de la science est l’intellect, et les signes sensibles qui sont les seuls moyens, semble-t-il, grâce auxquels l’homme peut enseigner, ne parviennent pas jusqu’à la partie intellective de l’âme, mais n’atteignent que la puissance sensitive 8 Un homme ne peut donc être enseigné par un homme.
5° En outre, si la science est causée en un homme par un autre, ou bien cette science était déjà en celui qui apprend, ou bien elle n’y était pas. Si elle n’y était pas, et qu’elle est ainsi causée en un homme par un autre, c’est donc qu’un homme crée la science en un autre, ce qui est impossible. Mais si elle y était auparavant, ou bien elle y était parfaitement actualisée, et dans ce cas elle ne peut y être causée parce que ce qui est ne devient pas, ou bien elle y était à l’état de raison séminale; mais les raisons séminales ne peuvent être actualisées par aucune puissance créée et elles n’ont été déposées dans la nature que par Dieu seul, comme le dit saint Augustin dans son traité sur La Genèse au sens littéral. Il reste donc qu’un homme ne peut en aucune manière en enseigner un autre.
6° En outre, la science est un accident. Or un accident ne passe pas d’un sujet à un autre. Dès lors, puisque l’enseigne ment ne semble pas être autre chose qu’un transfert de la science du maître au disciple, un homme ne peut en enseigner un autre.
7° En outre, à propos de (Rm 10,17): "La foi naît de la prédication", la Glose écrit " Alors que Dieu enseigne de l’intérieur, le héraut fait ses proclamations à l’extérieur " 11. Mais la science est causée intérieurement, dans l’esprit, et non extérieurement, dans le sens. L’homme est donc enseigné par Dieu seul, et non par un autre homme.
8° En outre, saint Augustin dit dans son traité Du maître: "Dieu, seul possède une chaire dans les cieux, Lui qui enseigne la vérité sur la terre, mais l’homme est à l’enseignement ce que l’agriculteur est à l’arbre " l2 Or l’agriculteur n’est pas le créateur de l’arbre, mais il est celui qui le cultive. On ne peut donc dire que l’homme est celui qui enseigne la science, mais seule ment celui qui prépare à l’acquérir.
9° En outre, si l’homme est un véritable maître, il faut qu’il enseigne la vérité. Mais quiconque enseigne la vérité illumine l’esprit, car la vérité est la lumière de l’esprit. Donc l’homme, s’il enseigne, illuminera l’esprit. Mais cette affirmation est fausse, car c’est Dieu " qui illumine tout homme venant en ce monde " (Jn 1,9). L’homme ne peut donc en enseigner véritablement un autre.
10° En outre, si un homme en enseigne un autre, il faut que, de savant en puissance il le fasse devenir savant en acte. II faut donc que le savoir de l’enseigné passe de la puissance à l’acte. Or ce qui passe de la puissance à l’acte doit nécessaire ment changer, et ainsi la science ou la sagesse sera changée, ce qui est contraire à l’opinion de saint Augustin lequel, dans son Livre des quatre-vingt-trois questions, dit que " lorsque la sagesse vient en l’homme, elle-même n’est pas changée, mais c’est elle qui change l’homme " 13.
11° En outre, il semble que la science ne soit rien d’autre qu’une représentation des choses dans l’âme, puisqu’on dit que la science est une assimilation du sujet connaissant à l’objet connu Mais un homme ne peut imprimer les ressemblances des choses dans l’âme d’un autre homme; s’il en était ainsi, en effet, il accomplirait intérieurement en cet homme une opération qui n’appartient qu’à Dieu. Un homme ne peut donc en enseigner un autre.
12° En outre, dans son livre De la consolation, Boèce dit que, par l’enseignement, l’esprit de l’homme est seulement incité à connaître 16. Mais celui qui incite l’intelligence à connaître ne la fait pas connaître pour autant, pas plus que celui qui incite quelqu’un à voir avec les yeux du corps ne le fait voir pour autant. Un homme n’est donc pas la cause du savoir d’un autre homme, et ainsi ne peut-on dire à proprement parler qu’il l’enseigne.
13° En outre, pour qu’il y ait science, il faut qu’il y ait connaissance certaine, autrement il n’y a pas science, mais opinion ou croyance, comme le dit saint Augustin dans son livre Du maître. Mais un homme ne peut produire une certitude chez un autre par le moyen des signes sensibles qu’il lui présente ce qui est en effet dans le sens est saisi d’une manière plus oblique que ce qui est dans l’intellect; mais la certitude est toujours produite par quelque chose qui est connu d’une manière plus directe. Un homme ne peut donc en enseigner un autre.
14° En outre, pour la science, seules la lumière intelligible et l’espèce sont requises. Mais ni l’une ni l’autre ne peut être produite dans un homme par un autre homme; il faudrait en effet pour cela qu’un homme créât quelque chose puisque, à ce qu’il semble, de telles formes simples ne peuvent être produites que par création. Un homme ne peut donc être la cause de la science d’un autre homme, ni donc l’enseigner.
15° En outre, rien ne peut donner une forme l’esprit de l’homme sinon Dieu seul, comme le dit saint Augustin. Mais la science est une forme de l’esprit. Donc Dieu seul peut être la cause du savoir dans l’âme.
16° En outre, la faute est dans l’esprit, et il en est de même pour l’ignorance. Mais Dieu seul purifie l’esprit de sa faute, comme il est écrit dans Is 43, 25: "C’est moi qui efface tes iniquités pour l’amour de moi." C’est donc Dieu seul qui débar rasse l’esprit de son ignorance, et ainsi Lui seul enseigne.
17° En outre, puisque la science est une connaissance cer taine 19, chacun reçoit la science de celui dont le discours engendre en lui la certitude. On n’acquiert pas la certitude, cependant, du seul fait qu’on entend un homme parler, sinon il faudrait que chacun tienne pour certain tout ce qui lui est dit par un autre homme; mais on ne parvient à la certitude que dans la mesure où l’on entend parler la vérité au-dedans de soi-même 20, et c’est de cette vérité que l’on prend également conseil pour savoir si l’on peut être certain de ce que l’on entend dire par un homme. Ce n’est donc pas l’homme qui enseigne, mais la vérité qui parle au-dedans de lui, et celle-ci est Dieu.
18° En outre, nul n’apprend par la parole d’un autre ce qu’il aurait pu répondre, avant même d’avoir entendu cette parole, si on l’avait interrogé. Mais le disciple, avant même que le maître ne parle, pourrait répondre, s’il était interrogé, sur les questions dont traite le maître; il ne pourrait être en effet instruit par la parole du maître s’il ne savait que les choses sont bien telles que les expose le maître 21 Un homme n’est donc pas instruit par la parole d’un autre homme.


Cependant:
1° Il est dit dans (2Tm 1,11): "De cet Évangile, j’ai été établi prédicateur et maître pour les Gentils." Un homme peut donc être maître et être appelé maître.
2° En outre, on lit dans (2Tm 3,14) " Pour toi, demeure ferme dans ce que tu as appris et qui t’a été confié; et la Glose ajoute: "par moi, comme par un véritable maître." Et ainsi aboutit-on à la même conclusion que précédemment.
3° En outre, il est dit simultanément dans (Mt 23,8-9) " Vous n’avez qu’un Maître " et " Vous n’avez qu’un Père s. Mais le fait que Dieu soit le Père de tous n’empêche pas que l’homme puisse être appelé, lui aussi, véritablement père; ainsi n’est-il donc pas davantage exclu que l’homme puisse être appelé maître.
4° En outre, à propos de ce verset de (Rm 10,15): "Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds de ceux qui annoncent la paix " 23, la Glose commente: "Ce sont là les pieds de ceux qui illuminent l’Église." Mais elle parle ici des Apôtres, et puisque illuminer est l’acte du maître, il semble donc qu’il appartient aux hommes d’enseigner.
5° En outre, comme il est dit au livre IV des Météorologiques 25, une chose est parfaite lorsqu’elle est capable d’en engendrer une autre qui lui soit semblable. Mais la science est une connaissance parfaite. L’homme qui possède la science peut donc en enseigner un autre.
6° En outre, dans son livre Contre les Manichéens, saint Augustin dit que, comme la terre qui était arrosée avant le péché par une source eut besoin après le péché de la pluie tombée des nuages, ainsi l’esprit humain, symbolisé par la terre et fécondé avant le péché par la source de la vérité, a besoin après le péché d’un enseignement qui lui soit dispensé par d’autres comme d’une pluie tombée des nuages. C’est donc que l’homme, au moins après le péché, est enseigné par l’homme.


Réponse:
Certains ont dit, en effet, que toutes les formes sensibles tenaient leur être d’un agent extérieur, c’est-à-dire d’une substance ou d’une forme séparée appelée donatrice des formes ou intelligence agente, et que tous les agents naturels inférieurs n’avaient d’autre rôle que de préparer la matière à recevoir la forme. D’une manière semblable, Avicenne dit dans sa Métaphysique que " notre action n’est pas la cause de l’habitus du bien, mais que l’action écarte ce qui est contraire à cet habitus et prépare à le recevoir, de telle sorte que cet habitus puisse venir de la substance qui donne leur perfection aux âmes des hommes, c’est-à-dire de l’intelligence agente ou d’une substance qui lui est semblable " Les mêmes auteurs affirment également que la science ne peut être produite en nous que par un agent séparé, et c’est la raison pour laquelle Avicenne, au livre VI de son traité Des réalités de la nature, déclare que les formes intelligibles s’écoulent de l’intelligence agente jusqu’en notre esprit.
Certains, en revanche, ont été d’une opinion contraire. Ils ont pensé que toutes ces formes étaient insérées dans les choses et ne dépendaient pas d’une cause extérieure, et que l’action extérieure n’avait d’autre rôle que de rendre ces formes manifestes quelques-uns ont en effet affirmé que toutes les formes naturelles étaient en acte, d’une manière cachée, dans la matière, et que l’agent naturel ne faisait rien d’autre que les tirer de cet état latent pour les rendre manifestes. D’autres ont pensé d’une manière semblable que tous les habitus des vertus étaient implantés en nous par la nature et que la pratique des oeuvres supprimait les obstacles qui occultent en quelque sorte ces habitus, comme l’action de polir enlève la rouille et fait apparaître l’éclat du fer. De même, certains ont dit que la science de toutes choses était créée en même temps que l’âme, et que l’enseignement et les moyens extérieurs qui nous permettent de parvenir à la science ne font rien d’autre qu’amener l’âme à se souvenir de ce qu’elle savait auparavant ou à le considérer à nouveau; ils disent donc qu’apprendre n’est pas autre chose que se souvenir.
Ces deux opinions sont cependant dépourvues l’une et l’autre de raison. La première exclut en effet les causes prochaines, puisqu’elle attribue aux seules causes premières tout ce qui se produit dans le monde inférieur; en cela elle porte atteinte à l’ordre de l’univers qui est constitué par l’enchaînement ordonné des causes, selon lequel la cause première, en raison de son éminente bonté, donne aux autres choses, non seulement d’être, mais aussi d’être causes. La seconde opinion présente à peu de chose près le même inconvénient: en effet, puisque ce qui écarte ou supprime les obstacles ne meut que par accident, comme il est dit au livre VIII de la Physique, si les agents inférieurs ne faisaient rien d’autre que de rendre manifeste ce qui est caché en écartant les obstacles qui occultent les formes et les habitus des vertus et des sciences, il s’ensuivrait que tous les agents inférieurs n’agiraient que par accident.
C’est pourquoi, conformément à l’enseignement d’Aristote, c’est une voie intermédiaire entre ces deux opinions qu’il faut emprunter sur tous les points dont il vient d’être question. En effet, les formes naturelles préexistent sans doute dans la matière", non pas en acte comme le disaient les partisans de la seconde opinion, mais seulement en puissance, et c’est de là qu’elles passent à l’acte sous l’action d’un agent extrinsèque prochain, et pas seulement sous l’action de la cause première, comme l’affirmaient les partisans de la première opinion.
De la même manière, toujours selon l’opinion d’Aristote au livre VI de l’Éthique, avant de parvenir à leur plein achève ment les habitus des vertus préexistent en nous sous la forme d’inclinations naturelles qui sont comme des ébauches des vertus, mais ils sont ensuite conduits à la perfection à laquelle ils sont destinés, par la pratique des oeuvres.
On doit enfin parler de la même manière de l’acquisition de la science. Des germes de sciences préexistent en nous, à savoir ces premières conceptions de l’intellect qui nous sont immédiatement connues, grâce à la lumière de l’intellect agent, par le moyen des espèces abstraites des objets sensibles, soit qu’il s’agisse de principes complexes tels que les axiomes, soit qu’il s’agisse de notions simples telles que la notion d’être, la notion d’un, ou d’autres notions semblables que l’intellect saisit instantanément 39. Dans ces principes universels, comme en des raisons séminales sont incluses toutes les conséquences. Quand donc l’esprit est conduit, à partir de ces notions universelles, à connaître en acte des choses particulières qui n’étaient connues auparavant que dans l’universel et comme en puissance alors on dit que quelqu’un acquiert la science.
Il faut cependant savoir que, dans la nature, quelque chose préexiste en puissance de deux manières. Une chose peut être tout d’abord en puissance active complète, à savoir lorsqu’un principe intrinsèque suffit à la conduire à la perfection de son acte: ainsi en est-il par exemple de la guérison, où le malade revient à la santé par la force naturelle qui est en lui. Mais elle peut être en second lieu en puissance passive, à savoir lorsque le principe intrinsèque ne suffit pas à la faire passer à l’acte, comme il arrive lorsque l’air devient feu, car cela ne peut se faire grâce à une force qui existerait dans l’air. Quand donc quelque chose préexiste en puissance active complète, l’agent extrinsèque n’agit alors qu’en aidant l’agent intrinsèque et en lui fournissant ce qui lui permettra de passer à l’acte; ainsi le médecin, dans la guérison, se fait le serviteur de la nature qui est l’agent principal, en confortant la nature et en lui apportant des remèdes qui serviront en quelque sorte d’instruments à la nature pour parvenir à la guérison. Mais, lorsque quelque chose préexiste seulement comme puissance passive, c’est alors l’agent extrinsèque qui est l’agent principal du passage de la puissance à l’acte, comme il en est du feu lequel, à partir de l’air qui est feu en puissance, fait du feu en acte.
La science préexiste donc en celui qui apprend, non pas comme puissance purement passive, mais comme puissance active, sans cela l’homme ne pourrait pas acquérir la science par lui-même. De même donc que quelqu’un peut être guéri de deux manières, soit par l’opération de la nature seule, soit par la nature aidée de la médecine, ainsi y a-t-il également deux manières d’acquérir la science soit que la raison naturelle parvienne par elle-même à la connaissance de ce qu’elle ignore, et cette première manière est appelée invention; soit que quel qu’un apporte son aide, de l’extérieur, à la raison naturelle, et cette seconde manière s’appelle l’enseignement.
Mais, dans tout ce qui est produit à la fois par la nature et par l’art, l’art opère de la même manière et par les mêmes moyens que la nature elle-même: de même, en effet, que la nature rendrait la santé à celui qui est malade à cause du froid, en le réchauffant, de même ferait le médecin, et c’est la rai son pour laquelle on dit que l’art imite la nature 41. Il en va de même pour l’acquisition de la science: celui qui enseigne achemine les autres vers la connaissance de ce qu’ils ignorent, en procédant de la même manière que celui qui s’achemine lui-même, par la méthode de l’invention, vers la connaissance de ce qu’il ne sait pas.
Pour parvenir par mode d’invention à la connaissance de ce qu’elle ignore, cependant, la raison procède en appliquant les principes communs et connus par soi à des objets déterminés, puis en passant de là à des conclusions particulières et de celles-ci à d’autres. On dit donc, à partir de cela, que l’un enseigne l’autre dans la mesure où le premier expose au second, à l’aide de signes, le processus rationnel qu’il développe en lui-même par sa propre raison naturelle; ainsi, grâce à ce qui lui est proposé de cette manière et qui lui sert en quelque sorte d’instrument, la raison naturelle du disciple parvient à la connaissance de ce qu’elle ignorait.
De même donc que l’on dit du médecin qu’il est la cause de la santé rendue au malade par l’action de la nature, de même dit-on qu’un homme est la cause de la science engendrée en un autre par l’activité de la raison naturelle de ce dernier; et voilà ce que c’est qu’enseigner. De là vient que l’on dit qu’un homme en enseigne un autre et qu’il est son maître. Et c’est en ce sens que le Philosophe dit, au premier livre des Seconds Analytiques, que " la démonstration est un syllogisme qui fait savoir ".
Si quelqu’un propose en revanche à un autre des choses qui ne sont pas incluses dans les principes connus par soi ou dont il n’est pas manifeste qu’elles y sont incluses, il n’engendrera pas en lui la science, mais peut-être l’opinion ou la croyance, encore que cela aussi soit causé en quelque manière par les principes innés: c’est en effet à partir de ces principes connus par soi que l’enseigné considère que ce qui en découle d’une manière nécessaire doit être tenu pour certain, et que ce qui leur est contraire doit être totalement rejeté, alors qu’il peut donner ou ne pas donner son assentiment aux autres conclusions.
Quant à cette lumière de la raison par laquelle ces principes évidents nous sont connus, elle est mise en nous par Dieu comme une ressemblance de la vérité incréée présente en nous 4 C’est pourquoi, étant donné qu’aucun enseignement humain ne peut avoir d’efficacité qu’en vertu de cette lumière, il est évident que Dieu seul est celui qui enseigne intérieurement et principalement, comme la nature est ce qui rend intérieure ment la santé et se trouve être l’agent principal de la guérison; on peut dire néanmoins, à proprement parler, et dans le sens qu’on vient d’expliquer, que l’homme guérit et qu’il enseigne.



RÉPONSE AUX OBJECTIONS.

1° A la première objection, on doit répondre que, pour éviter que l’on ne voie une interdiction absolue dans cette prescription donnée par le Seigneur à ses disciples de ne pas se faire appeler maître, la Glose explique de quelle manière cette interdiction doit être comprise. Il nous est en effet défendu de donner le titre de maître à un homme si nous voulons par là lui attribuer, dans l’exercice de son magistère, le rôle principal qui appartient à Dieu, comme si nous mettions notre espérance dans la sagesse des hommes et comme si nous ne nous en rapportions pas plutôt, en ce que nous entendons dire par les hommes, à la vérité divine qui parle au-dedans de nous à travers l’empreinte de sa ressemblance, par laquelle nous pouvons juger de toutes choses.
2° A la seconde objection, on doit répondre que a connaissance des choses n’est pas produite en nous par la connaissance des signes, mais par celle d’autres choses plus certaines, à savoir par la connaissance des principes. Ceux-ci nous sont présentés à l’aide des signes et ils sont appliqués à des choses qui nous étaient auparavant tout à fait inconnues, bien qu’elles fussent cependant connues d’une certaine manière, comme on l’a dit précédemment. C’est la connaissance des principes, et non celle des signes, qui engendre en effet en nous la science des conclusions.
3° A la troisième objection, on doit répondre qu’en ce qui concerne les choses qui nous sont enseignées par des signes, elles nous sont pour une part connues, et pour une part inconnues. Si l’on nous enseigne en effet ce qu’est l’homme, il faut que nous connaissions au préalable quelque chose de ce qui se rapporte à lui, comme la notion d’animal, de substance, ou au moins la notion d’être que nous ne pouvons ignorer; et de même, si l’on nous enseigne quelque conclusion, il faut que nous sachions au préalable ce que sont le sujet et le prédicat, les principes à partir desquels la conclusion est enseignée étant eux-mêmes auparavant connus. Comme il est dit en effet au commencement des Seconds Analytiques, " tout enseignement pro cède d’une connaissance préalable." Ainsi l’objection est-elle sans portée.
4° A la quatrième objection, on doit répondre que, à partir des signes sensibles reçus par la puissance sensitive l’intellect établit les intentions intelligibles dont il se sert pour constituer en lui-même son savoir. La cause prochaine du savoir ne doit pas être en effet cherchée dans les signes mais, comme on l’a dit, dans la raison qui passe des principes aux conclusions.
5° A la cinquième objection, on doit répondre que la science ne préexistait pas en acte complet chez celui qui est enseigné, mais qu’elle s’y trouvait comme en des raisons séminales en ce sens que les notions universelles dont la connaissance est imprimée en nous par la nature sont comme les germes de toutes les connaissances qui en découlent par voie de conséquence. Mais, bien que les raisons séminales ne soient pas amenées à l’acte par un agent créé comme si elles avaient été infusées par une puissance créée, néanmoins ce qui se trouve en elles originellement et virtuellement peut passer à l’acte sous l’action d’un agent créé.
6° A la sixième objection, on doit répondre que l’on ne dit pas que l’enseignant transfère la science dans le disciple, comme si la science qui est dans le maître était la même, numérique ment parlant, que celle qui est engendrée dans le disciple, mais on dit que, par l’enseignement, une science semblable à celle du maître est produite dans le disciple et qu’elle passe en lui de la puissance à l’acte comme il a été expliqué précédemment.
7° A la septième objection, on doit répondre que, comme on dit du médecin qu’il procure la santé bien qu’il agisse de l’extérieur et que la nature soit seule à agir de l’intérieur, de même dit-on que l’homme enseigne la vérité bien qu’il l’annonce extérieurement et que ce soit Dieu qui enseigne intérieurement.
8° A la huitième objection, on doit répondre que, lorsqu’il prouve, dans son traité Du maître, que Dieu seul enseigne, saint Augustin n’entend pas nier pour autant que l’homme enseigne de l’extérieur, mais il veut dire que Dieu seul enseigne intérieurement.
9° A la neuvième objection, on doit répondre qu’un homme peut être, à proprement parler, appelé maître, enseignant la vérité et illuminant l’esprit, non pas en tant qu’il infuse la lumière de la raison, mais en tant qu’il apporte son aide à la lumière de la raison pour conduire celle-ci à la perfection de la science par ce qu’il lui propose de l’extérieur, comme le dit Eph 3, 8.
" C’est à moi, le dernier de tous les saints, qu’a été donnée cette grâce d’illuminer tous les hommes, etc."
10° A la dixième objection, on doit répondre en disant qu’il y a une double sagesse, la sagesse créée et la sagesse incréée, que l’une et l’autre sont infusées en l’homme et que, par cette infusion, l’homme change et devient meilleur. La sagesse incréée est absolument immuable, alors que la sagesse créée, elle, change en nous, mais par accident et non par soi. Cette sagesse créée peut être en effet considérée elle-même de deux manières différentes: envisagée d’abord dans sa relation avec les réalités éternelles dont elle traite, elle est, elle aussi, absolument immuable; mais si, en se plaçant à un autre point de vue, on considère le mode d’existence qui est le sien dans un sujet, elle change alors par accident lorsque le sujet est lui-même changé de sujet possédant la sagesse en puissance en sujet possédant la sagesse en acte en effet, les formes intelligibles qui constituent la sagesse sont à la fois des similitudes des choses et des for mes qui perfectionnent l’intellect.
11° A la onzième objection, on doit répondre que les formes intelligibles, dont est constituée la science acquise par l’enseignement, sont imprimées dans le disciple d’une manière immédiate par l’intellect agent mais de manière médiate par celui qui enseigne. Le maître présente en effet des signes des réalités intelligibles, d’où l’intellect agent abstrait les intentions intelligibles et les imprime dans l’intellect possible. De là vient que les paroles du maître elles-mêmes, qu’elles soient entendues ou qu’elles soient vues dans un écrit, exercent leur causalité de la même manière, dans la production de la science dans l’intellect, que les choses extérieures à l’âme, parce que l’intellect agent tire des unes et des autres les intentions intelligibles. Les paroles du maître cependant, en tant que signes des intentions intelligibles, exercent leur causalité dans la production de la science d’une manière plus immédiate que les objets sensibles subsistant en dehors de l’âme.
12° A la douzième objection, on doit répondre qu'il n'y a pas parfaire similitude entre l'intellect et le sens de la vue. Le sens de la vue, en effet, n’est pas doté d’un pouvoir de synthèse qui lui permette, à partir de certains objets, d’en saisir d’autres, mais tous les objets propres à ce sens sont visibles pour lui aussitôt qu’il se tourne vers eux. Ainsi celui qui dispose de la faculté de voir se trouve de la sorte, en ce qui concerne la perception de toutes les choses visibles, dans la même situation que celui qui dispose d’un habitus lui permettant de fixer son attention sur les choses dont il a une science habituelle. C’est pourquoi celui qui voit n’a pas besoin d’être incité à voir par un autre, si ce n’est dans la mesure où, par cet autre, son regard est dirigé vers quelque objet visible à l’aide d’un signe du doigt ou de quelque chose de ce genre. Mais la puissance intellective, parce qu’elle est douée d’un pouvoir de synthèse, est capable de passer de certaines choses à d’autres. Aussi ne se trouve-t-elle le pas dans une situation identique à l’égard de toutes les choses intelligibles qu’elle considère. Elle voit en effet instantanément certaines d’entre elles, qui sont connues par soi et dans lesquelles d’autres sont implicitement contenues qu’elle ne peut connaître qu’en explicitant, grâce à la raison, ce qui est implicitement contenu dans les principes. Il ressort de là qu’en ce qui concerne la connaissance de telles choses, et avant qu’il n’acquière l’habitus correspondant, l’intellect n’est pas seulement en puissance accidentelle, mais aussi en puissance essentielle: il a en effet besoin d’une cause motrice qui le fasse passer à l’acte par l’enseignement, comme il est dit au livre VIII de la Physique, à cause motrice dont n’a pas besoin celui qui connaît déjà quelque chose d’une manière habituelle. Le maître incite donc i’intellect à connaître ce qu’il enseigne, à la manière d’une cause motrice essentielle faisant passer de la puissance à l’acte; mais celui qui montre quelque chose au sens corporel de la vue stimule celui-ci à la manière d’une cause motrice accidentelle, comme celui qui possède l’habitus de la science peut être incité à réfléchir par un autre.
13° A la treizième objection, on doit répondre que la certitude de la science provient tout entière de la certitude des principes. Les conclusions sont en effet connues avec certitude lorsqu’elles sont ramenées à leurs principes. C’est pourquoi le fait que quelque chose puisse être connu avec certitude pro vient de la lumière de la raison, divinement infusée au-dedans de nous-mêmes par laquelle Dieu parle en nous, et non pas de l’homme qui enseigne de l’extérieur, si ce n’est pourtant dans la mesure où, en nous enseignant, il ramène les conclusions à leurs principes. Mais nous ne parviendrions pas de cette manière à la certitude de la science s’il n’y avait en nous la certitude des principes dans lesquels se résolvent les conclusions.
14° A la quatorzième objection, on doit répondre que l’homme qui enseigne de l’extérieur n’infuse pas la lumière intelligible, mais qu’il est en quelque manière la cause de l’espèce intelligible, en tant qu’il nous propose des signes des intentions intelligibles que notre intellect tire de ces signes et conserve en lui-même.
15° A la quinzième objection, on doit répondre que, lorsqu’on dit que " rien ne peut former l’esprit, sinon Dieu", ceci doit s’entendre de la forme ultime de l’esprit, sans laquelle celui-ci est considéré comme informe, quel que soit le nombre des autres formes qu’il possède. Mais cette forme ultime est celle par laquelle l’esprit se tourne vers le Verbe et adhère à lui, seule forme par laquelle la nature raisonnable puisse être dite formée, comme il ressort du traité sur La Genèse au sens littéral de saint Augustin.
16° A la seizième objection, on doit répondre que la faute est dans la volonté, sur laquelle Dieu seul peut agir, comme on le verra plus loin dans un autre article. L’ignorance, en revanche, est dans l’intellect sur lequel même une force créée peut exercer son action, comme le fait l’intellect agent lorsqu’il imprime des espèces intelligibles dans l’intellect possible et que, grâce à cette médiation, la science est produite dans notre âme à partir des choses sensibles et par l’enseignement de l’homme, comme on l’a dit plus haut.
17° A la dix-septième objection, on doit répondre que la certitude de la science, comme on l’a dit, ne vient que de Dieu qui a mis au-dedans de nous la lumière de la raison, par laquelle nous connaissons les principes d’où découle la certitude de la science. Cependant, on l’a dit aussi, la science est également en quelque manière engendrée en nous par l’homme.
18° A la dix-huitième objection, on doit répondre que, si le disciple était interrogé avant que le maître ne prenne la parole, il serait sans doute capable, dans sa réponse, de parler des principes grâce auxquels il peut recevoir un enseignement, mais non des conclusions que quelqu’un lui enseigne. D’où il ressort que le disciple n’apprend pas du maître les principes, mais seulement les conclusions.



De veritate FR 405