Redemptionis donum FR




EXHORTATION APOSTOLIQUE


REDEMPTIONIS DONUM

DE SA SAINTETE LE PAPE

JEAN-PAUL II

AUX RELIGIEUX ET AUX RELIGIEUSES

SUR LEUR CONSECRATION

A LA LUMIERE DU MYSTERE

DE LA REDEMPTION


Très chers Frères et Soeurs dans le Christ Jésus!



I - SALUTATION

1 Le don de la Rédemption, que la présente Année jubilaire extraordinaire met spécialement en lumière, comporte en lui-même un appel particulier à la conversion et à la réconciliation avec Dieu en Jésus Christ. Le motif extérieur de ce Jubilé a un caractère historique -on célèbre en effet le 1950e anniversaire de l'événement de la Croix et de la Résurrection-, mais en même temps le motif intérieur prend une plus grande importance car il est lié à la profondeur même du mystère de la Rédemption. L'Eglise est née de ce mystère et elle en vit tout au long de son histoire. Le temps du Jubilé extraordinaire a un caractère exceptionnel. L'appel à la conversion et à la réconciliation avec Dieu signifie que nous devons méditer plus profondément sur notre vie, sur notre vocation chrétienne à la lumière du mystère de la Rédemption, afin de les enraciner toujours davantage en lui.

Si cet appel concerne tous les membres de l'Eglise, il s'adresse d'une manière spéciale à vous,Religieux et Religieuses, qui, en vertu de votre consécration à Dieu par le voeu des conseils évangéliques, tendez à une particulière plénitude dans la vie chrétienne. Votre vocation propre et l'ensemble de votre vie dans l'Eglise et dans le monde tirent leur caractère et leur force spirituellede la profondeur même du mystère de la Rédemption. En suivant le Christ sur le chemin «étroit... et resserré»(1), vous expérimentez d'une façon extraordinaire combien «près de lui, abonde le rachat»: copiosa apud eum redemptio(2).

[1] Cfr.
Mt 7,14.
[2] Ps 130,7 (129).


2 C'est pourquoi, tandis que cette Année sainte s'achemine vers sa conclusion, je désire m'adresser particulièrement à vous tous, Religieux et Religieuses, que vous soyez totalement consacrés à la contemplation ou voués aux diverses oeuvres de l'apostolat. Je l'ai déjà fait en maints endroits et en diverses circonstances, confirmant et prolongeant l'enseignement évangélique exprimé dans toute la tradition de l'Eglise, spécialement dans le magistère du récent Concile oecuménique, de la constitution dogmatique Lumen gentium au décret Perfectae caritatis, dans l'esprit des indications données par l'exhortation apostolique Evangelica testificatio de mon prédécesseur Paul VI. Le Code de droit canonique entré récemment en vigueur, que l'on peut considérer en quelque sorte comme le dernier des documents conciliaires, sera pour vous tous une aide précieuse et un guide sûr pour préciser concrètement les moyens permettant de vivre fidèlement et généreusement votre magnifique vocation ecclésiale.

Je vous salue avec mon affection d'Evêque de Rome et de Successeur de saint Pierre, auquel vos communautés demeurent unies d'une manière caractéristique. De ce Siège de Pierre viennent aussi, comme un continuel écho, les paroles de saint Paul: «Je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ»(3). L'Eglise, qui, après les Apôtres, reçoit le trésor des noces avec l'Epoux divin, regarde avec un suprême amour tous ses fils et toutes ses filles qui,par la profession des conseils évangéliques, ont établi, grâce à sa médiation, une alliance privilégiée avec le Rédempteur du monde.

Accueillez cette parole de l'Année jubilaire de la Rédemption comme une parole d'amour prononcée par l'Eglise pour vous. Accueillez-la où que vous vous trouviez, que ce soit dans la clôture des communautés contemplatives ou dans les multiples formes du service apostolique: missions, action pastorale, hôpitaux ou autres lieux où l'on se met au service de l'homme qui souffre, instituts d'éducation, écoles ou universités, enfin chacune de vos maisons où vous êtes «réunis au nom du Christ», en ayant conscience que le Seigneur est «au milieu de vous»(4).

Puisse la parole d'amour que l'Eglise vous adresse en ce Jubilé de la Rédemption être le reflet de la parole d'amour que le Christ lui-même a adressée à chacun et à chacune de vous, en prononçant ce mystérieux «suis-moi»(5) qui a donné naissance à votre vocation dans l'Eglise!

[3] Cfr.
2Co 11,2.
[4] Cfr. Mt 18,20.


II - VOCATION


« Posant son regard sur lui, Jésus le prit en affection ».

3 «Posant son regard sur lui, Jésus le prit en affection»(6) et lui dit: «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi»(7). Même si nous savons que ces paroles, adressées au jeune homme riche, n'ont pas été reçues par l'appelé, leur contenu mérite toutefois une réflexion attentive car elles présentent la structure intime de la vocation.

«Posant son regard sur lui, Jésus le prit en affection». Tel est l'amour du Rédempteur: un amour qui jaillit de toute la profondeur divine et humaine de la Rédemption. En lui se reflètel'amour éternel du Père qui «a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle»(8). Le Fils, saisi par cet amour, accepta la mission de son Père dans l'Esprit Saint et devint le Rédempteur du monde. L'amour du Père s'est révélé dans son Fils comme un amour qui sauve. Et c'est cet amour qui constitue le véritable prix de la Rédemption de l'homme et du monde. Les Apôtres du Christ parlent du prix de la Rédemption avec une profonde émotion: «Ce n'est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été affranchis..., mais par un sang précieux, comme d'un agneau sans défaut et sans tache, celui du Christ», écrit saint Pierre(9). «Car vous avez été achetés fort cher», affirme saint Paul(10).

L'appel à la voie des conseils évangéliques naît de la rencontre intérieure avec l'amour du Christ, qui est un amour rédempteur. C'est par cet amour que le Christ appelle. Dans la structure de la vocation, la rencontre avec cet amour devient quelque chose de réellement personnel. Lorsque le Christ, «après avoir posé son regard sur vous, vous a pris en affection», appelant chacun et chacune de vous, chers Religieux et Religieuses, son amour rédempteur s'est porté sur une personne déterminée, prenant en même temps un caractère nuptial: il est devenu un amour d'élection. Un tel amour embrasse la personne entière, âme et corps, que ce soit un homme ou une femme, dans son «moi» personnel et absolument unique. Celui qui, s'étant donné éternellement à son Père, se «donne» lui-même dans le mystère de la Rédemption, voici qu'il a appelé l'homme pour que celui-ci, à son tour, se donne entièrement pour un service déterminé de l'oeuvre de la Rédemption en appartenant à une communauté fraternelle reconnue et approuvée par l'Eglise. Ne font-elles pas écho justement à cet appel, les paroles de saint Paul: «Ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit... et que vous ne vous appartenez pas? Car vous avez été achetés fort cher!»?(11)

Oui, l'amour du Christ a rejoint chacun et chacune de vous, chers Frères et Soeurs, au prix même de la Rédemption. En conséquence, vous vous êtes rendu compte que vous ne vous appartenez plus mais que vous lui appartenez à lui. Cette prise de conscience a été le fruit du «regard d'amour » du Christ dans le secret de votre coeur. Vous avez répondu à ce regard en choisissant Celui qui avait déjà choisi chacun et chacune de vous, vous appelant avec son immense amour rédempteur. En appelant chacun «par son nom», il fait toujours appel à la liberté de l'homme. Le Christ dit: «Si tu veux...». Et la réponse à cet appel est donc un libre choix. Vous avez choisi Jésus de Nazareth, le Rédempteur du monde, en choisissant la route qu'il vous a indiquée.

[5]
Mt 19,21 Mc 10,21 Lc 18,22.
[6] Mc 10,21.
[7] Mt 19,21.
[8] Jn 3,16.
[9] 1P 1,18.
[10] 1Co 6,20.
[11] 1Co 6,19-20.


« Si tu veux être parfait... »

4 Cette voie s'appelle aussi la voie de la perfection. En parlant avec le jeune homme, le Christ dit: «Si tu veux être parfait...». Si bien que le concept de «voie de la perfection» trouve sa raison d'être dans la source évangélique elle-même. N'entendons-nous pas, du reste, dans le discours sur la Montagne: «Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait»?(12) L'appel de l'homme à la perfection a été perçu d'une façon ou d'une autre par des penseurs et des moralistes du monde antique et aussi, par la suite, aux diverses époques de l'histoire. Mais l'appel biblique a un aspect tout à fait original: il est particulièrement exigeant quand il indique à l'homme la perfection à la ressemblance de Dieu même(13). Et c'est précisément sous cette forme que l'appel correspond à toute la logique interne de la Révélation selon laquelle l'homme a été crééàl'image et à la ressemblance de Dieu même. Il doit donc rechercher la perfection qui lui est propre dans la ligne de cette image et de cette ressemblance. Saint Paul écrira dans la lettre aux Ephésiens: «Cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien-aimés, et suivez la voie de l'amour, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et s'est livré pour nous, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur».14

Ainsi donc, l'appel à la perfection appartient à l'essence même de la vocation chrétienne.C'est en fonction de cet appel qu'il faut comprendre aussi les paroles adressées par le Christ au jeune homme de l'Evangile. Elles sont liées d'une façon particulière au mystère de la Rédemption de l'homme dans le monde. En effet, cette Rédemption restitue à Dieu l'oeuvre de la création contaminée par le péché, en faisant apparaître la perfection que toute la création -et l'homme en particulier- possède dans la pensée et dans la volonté de Dieu même. L'homme, spécialement, doit être donné et rendu à Dieu s'il doit être pleinement rendu à lui-même.D'où l'éternel appel: «Reviens à moi, car je t'ai racheté»(15). Les paroles du Christ «si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres...» nous introduisent sans aucun doute dans le cadre du conseil évangélique de la pauvreté, qui appartient à l'essence même de la vocation et de la profession religieuses.

En même temps, ces paroles peuvent s'entendre d'une manière plus large et, on peut dire, essentielle. Le Maître de Nazareth invite son interlocuteur à renoncer à un programme de vie dans lequel ressort au premier plan la catégorie de la possession, de l'«avoir», et à accepter au contraire, à sa place, un programme centré sur la valeur de la personne humaine, sur l'«être» personnel avec toute la transcendance qui lui est propre.

Une telle compréhension des paroles du Christ constitue comme une toile de fond plus large pour l'idéal de la pauvreté évangélique, spécialement de la pauvreté qui, en tant que conseil évangélique, fait partie du contenu essentiel de vos noces mystiques avec le divin Epoux dans l'Eglise. En lisant les paroles du Christ à la lumière du principe de la supériorité de l'«être» sur l'«avoir», surtout si ce dernier est pris dans son sens matérialiste et utilitaire, nous atteignons presque les fondements anthropologiques de la vocation dans l'Evangile. Sur l'arrière-plan du développement de la civilisation contemporaine, c'est là une découverte d'une grande actualité. Et du même coup, la vocation «à la voie de la perfection», comme le Christ l'a tracée, devient elle-même d'actualité. Si, dans le cadre de la civilisation actuelle, surtout dans le contexte de la société de consommation, l'homme ressent douloureusement le manque essentiel d'«être» personnel qu'éprouve son humanité par suite de l'abondance de toutes les formes de l'«avoir», il devient alors plus disposé à accueillir la vérité sur la vocation qui a été proférée une fois pour toutes dans l'Evangile. Oui, l'appel que vous accueillez, chers Frères et Soeurs, en entrant dans la voie de la profession religieuse, atteint les racines mêmes de l'humanité, les racines du destin de l'homme dans le monde temporel. L'«état de perfection» évangélique ne vous détache pas de ces racines. Il vous permet au contraire de vous ancrer plus fortement en ce qui fait que l'homme est un homme, en imprégnant cette humanité, alourdie de diverses façons par le péché, du ferment divin et humain du mystère de la Rédemption.

[12]
Mt 5,48.
[13] Cfr. Lv 19,2 Lv 11,44.
[14] .
[15] Is 44,22.


« Tu auras un trésor dans les cieux »

5 La vocation contient en elle-même la réponse à la question: pour quoi être un homme - et comment l'être? Cette réponse confère une nouvelle dimension à toute la vie et lui donne son sens définitif. Un tel sens apparaît sur l'horizon du paradoxe évangélique concernant la vie qui se perd quand on veut la sauver, et qui, au contraire, se sauve quand on la perd «à cause du Christ et de l'Evangile», comme on le lit dans Marc(16).

A la lumière de ces paroles, l'appel du Christ devient pleinement évident: «Va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi»(17). Entre ce «va» et les mots qui suivent: «viens, suis-moi», s'établit un rapport étroit. On peut dire que ces derniers mots déterminent l'essence même de la vocation; il s'agit en effet de suivre les traces du Christ (sequi, d'où l'expression sequela Christi). Les termes «va - vends - donne-le» semblent définir la situation qui précède la vocation. Mais, d'autre part, cette situation n'est pas «en dehors» de la vocation: elle se trouve déjà «incluse» en elle. Car l'homme fait la découverte du nouveau sens de son humanité non seulement pour «suivre» le Christ, mais dans la mesure où il le suit. Quand il «vend ce qu'il possède» et «le donne aux pauvres», il découvre que les biens et le confort qu'il possédait n'étaient pas le trésor auprès duquel il faut rester: le trésor est dans son coeur, rendu par le Christ capable de «donner» aux autres en se donnant soi-même. Le riche n'est pas celui qui possède mais celui qui donne, celui qui est capable de donner.

Sur ce point, le paradoxe évangélique se fait particulièrement expressif. Il devient un programme de l'être: être pauvre, au sens donné par le Maître de Nazareth à cette façon d'«être», signifie devenir, dans sa propre humanité, un dispensateur de bien. Cela veut dire également découvrir «le trésor». Ce trésor est indestructible. Il passe avec l'homme dans la dimension de l'éternité, il appartient à l'eschatologie divine de l'homme. Grâce à ce trésor, l'homme a son avenir définitif en Dieu. Le Christ dit: «Tu auras un trésor dans les cieux». Ce trésor n'est pas tant un «prix» accordé après la mort pour les oeuvres exécutées à l'imitation du divin Maître quel'accomplissement eschatologique de ce qui se cachait derrière ces oeuvres, déjà ici-bas, dans le «trésor» intérieur du coeur. En effet, le Christ lui-même, dans son Discours sur la Montagne(18) après avoir invité à amasser des trésors dans le ciel, ajoutait: «Où est ton trésor, là sera aussi ton coeur»(19). Cette affirmation montre le caractère eschatologique de la vocation chrétienne et plus encore le caractère eschatologique de la vocation qui se réalise sur la voie des noces spirituelles avec le Christ par la pratique des conseils évangéliques.

[16]
Mc 8,35; cfr. Mt 10,39 Lc 9,24.
[17] Mt 19,21.
[18] Cfr. Mt 6,19-20.
[19] Mt 6,21.


6 La structure de cette vocation, telle qu'elle ressort des paroles adressées au jeune homme des Evangiles synoptiques(20), est reconnue à mesure que l'on découvre le trésor fondamental de sa propre humanité dans la perspective du «trésor» que l'homme «a dans les cieux». Dans cette perspective, le trésor fondamental de son humanité se relie au fait d'«être en se donnant». Le point direct de référence, dans une telle vocation, est la personne vivante de Jésus Christ. L'appel à la voie de la perfection prend corps à partir de lui et pour lui dans l'Esprit Saint qui «rappelle»toujours à de nouvelles personnes, hommes et femmes, à divers moments de leur existence mais surtout dans la jeunesse, tout ce que le Christ «a dit»(21) et en particulier ce qu'il «a dit» au jeune homme qui lui demandait: «Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle?».(22) Par la réponse que donne le Christ en «portant son regard» sur son interlocuteur «avec affection», le puissant levain du mystère de la Rédemption pénètre la conscience, le coeur et la volonté de celui qui cherche en toute vérité et sincérité.

Ainsi, l'appel à la voie des conseils évangéliques prend toujours naissance en Dieu: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi; mais c'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure»(23). La vocation, dans laquelle l'homme découvre jusqu'en ses profondeurs la loi évangélique du don inscrite dans son humanité, est elle-même un don! C'est un don riche du contenu le plus profond de l'Evangile, un don dans lequel se reflète l'aspect divin et humain du mystère de la Rédemption du monde. «En ceci consiste l'amour: ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation»(24).

[20] Cfr.
Mt 19,21 Mc 10,21 Lc 18,22.
[21] Cfr. Jn 14,26.
[22] Mt 19,16.
[23] Jn 15,16.
[24] Jn 4,10.


III - CONSÉCRATION

.

La profession religieuse «exprime avec plus de plénitude» la consécration du baptême.

7 La vocation, chers Frères et Soeurs, vous a conduits à la profession religieuse grâce à laquelle vous avez été consacrés à Dieu par le ministère de l'Eglise et, en même temps, incorporés dans votre famille religieuse. Aussi l'Eglise voit-elle en vous avant tout des personnes «consacrées»:consacrées à Dieu en Jésus Christ pour lui appartenir exclusivement. Cette consécration détermine votre place dans la grande communauté de l'Eglise, du Peuple de Dieu. En même temps, elle introduit dans la mission universelle de ce Peuple des ressources singulières d'énergie spirituelle et surnaturelle: une forme particulière de vie, de témoignage et d'apostolat en fidélité à la mission de votre Institut, à son identité et à son patrimoine spirituel. La mission universelle du Peuple de Dieu s'enracine dans la mission messianique du Christ lui-même -Prophète, Prêtre et Roi- à laquelle tous participent à des titres divers. La forme de participation qui est propre aux personnes «consacrées» correspond à la forme de votre enracinement dans le Christ. La profondeur et la force de cet enracinement sont déterminées précisément par la profession religieuse.

Celle-ci crée, en Jésus Christ, un lien nouveau entre l'homme et le Dieu un en trois Personnes. Ce lien se développe à partir du lien originel établi par le sacrement du baptême. La profession religieuse «s'enracine intimement dans la consécration du baptême et l'exprime avec plus de plénitude»(25). De cette façon, elle devient, dans ses éléments constitutifs, une nouvelle consécration, la consécration et le don de la personne humaine à Dieu, aimé par-dessus tout. Par les voeux, vous vous êtes engagés à vivre concrètement les conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, selon les dispositions propres à vos familles religieuses telles qu'elles sont établies dans les Constitutions: cet engagement représente l'expression d'une consécration totale à Dieu et, en même temps, le moyen qui permet de la réaliser. C'est aussi ce qui donne leur forme au témoignage des personnes consacrées et à leur apostolat propre. Mais les racines de cette consécration consciente et libre, et donc du don de soi fait à Dieu pour lui appartenir, il faut les chercher dans le baptême, ce sacrement qui nous conduit au mystère pascal comme sommet et centre de la Rédemption accomplie par le Christ.

En conséquence, pour mettre pleinement en relief la réalité de la profession religieuse, il faut se reporter aux paroles vibrantes de Paul dans sa lettre aux Romains: «Ignorez-vous que, baptisésdans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ..., nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle»(26). «Notre vieil homme a été crucifié avec lui..., afin que nous cessions d'être asservis au péché»(27). «Et vous de même, considérez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ»(28).

La profession religieuse - sur le fondement sacramentel du baptême dans lequel elle s'enracine - est un nouvel «ensevelissement dans la mort du Christ»: nouveau, par le fait de la prise de conscience et du choix; nouveau, par le fait de l'amour et de la vocation; nouveau, par le fait de la «conversion» incessante. Un tel «ensevelissement dans la mort» fait que l'homme, «enseveli avec le Christ», «vit avec le Christ dans une vie nouvelle». C'est dans le Christ crucifié que trouvent leur fondement ultime aussi bien la consécration baptismale que la profession des conseils évangéliques qui, selon les paroles du Concile Vatican II, «constitue une consécration particulière». Elle est à la fois mort et libération. Saint Paul écrit: «Considérez que vous êtes morts au péché»; en même temps, toutefois, il appelle cette mort «libération de l'esclavage du péché». Mais surtout, la consécration religieuse constitue, sur le fondement sacramentel du saint baptême, une vie nouvelle «pour Dieu en Jésus Christ».

Ainsi donc, en même temps que l'on fait profession des conseils évangéliques, d'une façon beaucoup plus mûre et plus consciente on «dépouille le vieil homme» et, pareillement, on «revêt l'homme nouveau, créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité», pour employer encore les paroles de la lettre aux Ephésiens(29).

[25] CONC. OEC. VAT. II, Decr. Perfectae Caritatis,
PC 5; cfr. etiam Documentum Sacrae Congregationis pro Religiosis et Institutis Saecularibus, quod ita inscribitur: « Elementi essenziali dell'insegnamento della Chiesa sulla vita religiosa » (21 Maii 1983), nn. 5 ss.
[26] Rm 6,3-4.
[27] Rm 6,6.
[28] Rm 6,11.
[29] Cfr. Ep 4,22-24.


Alliance de l'amour nuptial

8 C'est pourquoi, chers Frères et Soeurs, vous tous qui, dans l'Eglise entière, vivez l'alliance de la profession des conseils évangéliques, durant cette Année sainte de la Rédemption vous prenez une conscience nouvelle de votre participation spéciale àla mort en croix du Rédempteur, participation grâce à laquelle vous êtes ressuscités avec Lui et vous renaissez constamment à une vie nouvelle. Le Seigneur parle à chacun et à chacune d'entre vous comme autrefois il a parlé par le prophète Isaïe:

«Ne crains pas, car je t'ai racheté,
je t'ai appelé par ton nom: tu es à moi»(30).

L'appel évangélique: «Si tu veux être parfait..., suis-moi»(31) nous guide à la lumière des paroles du divin Maître. Du plus profond de la Rédemption parvient à l'homme l'appel du Christ, et c'est de cette profondeur qu'il rejoint son âme; en vertu de la grâce de la Rédemption, cet appel salvifique prend dans le coeur de l'appelé la forme concrète de la profession des conseils évangéliques. C'est sous cette forme que vous répondez à l'appel de l'amour rédempteur, et cette réponse est également une réponse d'amour: amour de donation, qui est l'âme de la consécration, entendons de la consécration de la personne. Les paroles d'Isaïe «je t'ai racheté - tu es à moi» semblent sceller précisément cet amour, l'amour d'une consécration totale et exclusive à Dieu.

De cette façon s'établit l'alliance particulière de l'amour nuptial, où semblent résonner comme un écho permanent les paroles concernant Israël que le Seigneur «s'est choisi..., dont il a fait son bien»(32). En toute personne consacrée, c'est en effet l'«Israël» de l'Alliance nouvelle et éternelle qui est choisi. Le peuple messianique tout entier - l'Eglise entière - est élu en toute personne que le Seigneur choisit au milieu de ce peuple, en toute personne qui, pour tous, se consacre à Dieu afin de lui appartenir exclusivement. Aucun homme, certes, pas même le plus saint, ne peut répéter les paroles du Christ «pour eux je me consacre moi-même»(33) avec la puissance rédemptrice propre à ces paroles, mais, grâce au don de soi par amour, en s'offrant à Dieu pour lui appartenir exclusivement, chacun peut se trouver par la foi dans la ligne de ces paroles.

N'est-ce pas à cela que nous renvoient les autres paroles de l'Apôtre dans sa lettre aux Romainsque nous répétons et méditons si souvent: «Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c'est là le culte spirituel que vous avez à rendre»?(34) Dans ces paroles résonne comme un écho lointain de Celui qui, en venant dans le monde, en devenant homme, dit au Père: «Tu m'as façonné un corps... Voici, je viens... pour faire, ô Dieu, ta volonté»(35).

Remontons donc, en ce contexte particulier de l'Année jubilaire de la Rédemption, au mystère du corps et de l'âme du Christ, comme au sujet intégral de l'amour nuptial et rédempteur: nuptial, parce que rédempteur. Par amour, il s'est offert lui-même, par amour il a donné son corps «pour le péché du monde». En vous plongeant par la consécration des voeux religieux dans le mystère pascal du Rédempteur, vous-mêmes, par l'amour d'un don total, vous désirez que vos âmes et vos corps soient pénétrés de l'esprit de sacrifice, comme saint Paul nous invite à le faire par les paroles de la lettre aux Romains que je viens de citer: «Offrir vos personnes en hostie vivante»(36). De cette façon, votre profession religieuse est marquée de la ressemblance avec l'amour qui, dans le coeur du Christ, est rédempteur et en même temps nuptial. Un tel amour doit jaillir en chacun d'entre vous, chers Frères et Soeurs, de la source même de la consécration particulière qui, sur le fondement sacramentel du saint baptême, est le commencement de votrevie nouvelle dans le Christ et dans l'Eglise, le commencement de la nouvelle création.

En même temps que cet amour, que s'approfondisse en chacun et chacune d'entre vous la joie d'appartenir exclusivement à Dieu, d'être un héritage particulier de la Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit! Répétez de temps en temps les paroles inspirées du psalmiste:

«Qui donc est pour moi dans le ciel
si je n'ai, même avec toi, aucune joie sur la terre?
Ma chair et mon coeur sont usés:
ma part, le roc de mon coeur, c'est Dieu pour
[toujours»(37).

Ou encore:

«J'ai dit au Seigneur: "Tu es mon Dieu!
Je n'ai pas d'autre bonheur que toi "...
Seigneur, mon partage et ma coupe: de toi dépend mon sort»(38).

Que la conscience d'appartenir à Dieu lui-même en Jésus Christ, Rédempteur du monde et Epoux de l'Eglise, soit comme un sceau qui marque du signe de l'épouse biblique vos coeurs(39), toutes vos pensées, vos paroles et vos actions. Comme vous le savez, cette connaissance chaleureuse et profonde du Christ se réalise et s'approfondit chaque jour davantage grâce à la vie de prière personnelle, communautaire et liturgique propre à chacune de vos familles religieuses. Ici encore, et surtout, les religieux et les religieuses consacrés totalement à la contemplation apportent une aide substantielle et un soutien stimulant à leurs frères et à leurs soeurs voués aux oeuvres d'apostolat. Que cette conscience d'appartenir au Christ ouvre vos coeurs, vos pensées et vos actions, avec la clé du mystère de la Rédemption, à toutes les souffrances, à tous les besoins et à toutes les espérances des hommes et du monde, au milieu desquels votre consécration évangélique a été insérée comme un signe particulier de la présence de Dieu «pour lequel tous vivent»(40), entrant tous dans l'extension invisible de son Règne.

Le mot «suis-moi», prononcé par le Christ lorsqu'il «porta son regard» sur chacun et chacune d'entre vous, chers Frères et Soeurs, «et le prit en affection», a aussi cette signification: prends part, de la façon la plus complète et la plus radicale possible, à la formation de la «création nouvelle»(41) qui doit résulter de la rédemption du monde par la force de l'Esprit de Vérité à l'oeuvre de par le mystère pascal du Christ, surabondant de grâce.

[30]
Is 43,1.
[31] Mt 19,21.
[32] Ps 135,4 (134).
[33] Jn 17,19.
[34] Rm 12,1.
[35] He 10,5 He 10,7.
[36] Rm 12,1.
[37] Ps 73,25-26 (72).
[38] Ps 16,2 Ps 16,5 (15).
[39] Cfr. Ct 8,6.
[40] Cfr. Lc 20,38.
[41] 2Co 5,17.


IV - CONSEILS ÉVANGÉLIQUES


Economie de la Rédemption

9 Par la profession s'ouvre devant chacun et chacune d'entre vous la voie des conseils évangéliques. Dans l'Evangile, il y a beaucoup de recommandations qui dépassent le niveau du commandement, indiquant non seulement ce qui est «nécessaire», mais ce qui est «meilleur». Ainsi, par exemple, l'exhortation à ne pas juger(42), à prêter «sans rien attendre en retour»(43), à satisfaire toutes les demandes et les désirs du prochain(44), à inviter les pauvres au festin(45), à pardonner toujours(46), et beaucoup d'autres de ce genre. Si, selon la tradition, la profession des conseils évangéliques s'est concentrée sur les trois points de la chasteté, de la pauvreté et de l'obéissance, cette coutume semble mettre en relief, de façon suffisamment claire, leur importance d'éléments clés, d'éléments qui, en quelque sorte, «résument» l'économie entière du salut. Tout ce qui, dans l'Evangile, est conseil entre indirectement dans le programme de la voie à laquelle le Christ invite lorsqu'il dit: «Suis-moi». Mais la chasteté, la pauvreté et l'obéissance donnent à cette voie un caractère christocentrique particulièr et la marquent du signe spécifique de l'économie de la Rédemption.

Cette «économie» comporte comme élément essentiel la transformation de tout le cosmos à travers le coeur de l'homme, c'est-à-dire du dedans: «La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu... avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu»(47). Cette transformation va de pair avec l'amour que l'appel du Christ répand dans le coeur de l'homme, l'amour qui constitue la substance même de la consécration, de cet acte par lequel l'homme ou la femme se voue à Dieu dans la profession religieuse, sur le fondement de la consécration sacramentelle du baptême. Nous pouvons découvrir les bases de l'économie de la Rédemption en lisant les paroles de la première lettre de saint Jean: «N'aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde - la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie - vient non pas du Père mais du monde. Or le monde passe avec ses convoitises; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement»(48).

La profession religieuse met dans le coeur de chacun et de chacune d'entre vous, chers Frères et Soeurs, l'amour du Père, l'amour même qui est dans le coeur de Jésus Christ, le Rédempteur du monde. C'est un amour qui embrasse le monde et tout ce qui en lui vient du Père, et qui en même temps recherche la défaite de tout ce qui, dans le monde, «ne vient pas du Père». Il tend donc à vaincre la triple concupiscence. «La convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie» se trouvent à l'intérieur de l'homme comme un héritage du péché originel, à cause duquel le rapport avec le monde créé par Dieu et donné à l'homme pour qu'il le soumette(49) a été déformé de diverses façons dans le coeur humain. Dans l'économie de la Rédemption, les conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d'obéissance constituent les moyens les plus radicaux pour transformer dans le coeur de l'homme ce rapport avec «le monde», avec le monde extérieur et avec son propre «moi» qui, en un sens, est la partie centrale «du monde» selon la perspective biblique, dans la mesure où prend naissance en lui ce qui «ne vient pas du Père».

En considérant le texte de la première lettre de saint Jean déjà cité, il n'est pas difficile de remarquer l'importance fondamentale des trois conseils évangéliques dans toute l'économie de la Rédemption. La chasteté évangélique nous aide à transformer dans notre vie intérieure tout ce qui trouve sa source dans la concupiscence de la chair; la pauvreté évangélique, ce qui a sa source dans la concupiscence des yeux; enfin l'obéissance évangélique nous permet de transformer de façon radicale ce qui, dans le coeur humain, vient de l'orgueil de la vie. C'est volontairement que nous parlons ici du dépassement comme d'une transformation, car toute l'économie de la Rédemption tient dans les paroles adressées par le Christ à son Père au cours de la prière sacerdotale: «Je ne te prie pas de les enlever du monde, mais de les garder du mauvais»(50). Lesconseils évangéliques, dans leur principale finalité, servent au «renouveau de la création»: «le monde», grâce à eux, doit être soumis à l'homme et lui être donné, afin que l'homme soit lui-même parfaitement donné à Dieu.

[42] Cfr.
Mt 7,1.
[43] Cfr. Lc 6,35.
[44] Cfr. Mt 5,40-42.
[45] Cfr. Lc 14,13-14.
[46] Cfr. Mt 6,14-15.
[47] Rm 8,19-21.
[48] 1Jn 2,15-17, secundum textura Veteris Vulgatae Editionis, quibus e verbis diuturna traditio apud Patres Ecclesiae et rei asceticae auctores manavit.
[49] Cfr. Gn 1,28.
[50] Jn 17,15.



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