1983 Éléments essentiels


CONGRÉGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACRÉE

ET LES SOCIÉTÉS

DE VIE APOSTOLIQUE


ELEMENTS ESSENTIELS

DE L'ENSEIGNEMENT DE L'EGLISE

SUR LA VIE RELIGIEUSE

INTRODUCTION


1. Le renouveau de la vie religieuse durant les vingt dernières années a été sous de nombreux aspects, une expérience de foi. Les religieux ont effectué des efforts courageux et généreux pour approfondir dans la prière le sens de la vie consacrée selon l'Evangile, le charisme de fondation de leurs Instituts et les signes des temps. Les Instituts religieux de vie apostolique ont essayé en outre de faire face aux changements réclamés par l'évolution rapide des sociétés auxquelles ils sont envoyés, et par les développements des moyens de communication affectant leurs possibilités d'évangélisation. En même temps, ces instituts ont été aux prises avec des changements imprévus dans leur propre situation interne: élévation de l'âge moyen, raréfaction des vocations, diminution des religieux, pluriformité des styles de vie et des oeuvres, et, assez souvent, insécurité relativement à leur identité. Le résultat a été une expérience bien compréhensible présentant des aspects très positifs et certains soulevant des questions importantes.


2. A l'heure actuelle, avec l'arrivée à terme de la période d'expérimentation prévue par «Ecclesiae Sanctae II», un certain nombre d'Instituts religieux dédiés aux oeuvres d'apostolat procèdent à l'évaluation de leurs expériences. Avec l'approbation de leurs Constitutions rénovées et l'entrée en vigueur du nouveau Code de Droit canonique, ils entrent dans une nouvelle phase de leur existence. En ce moment de nouveau départ, ils entendent l'appel pastoral du Pape Jean Paul II «pour évaluer objectivement et humblement les années d'expérimentation, afin d'y reconnaître les éléments positifs et les déviations éventuelles» (Jean Paul II à l'Union Internationale des Supérieures générales, 1979, aux supérieurs majeurs de Religieux et de Religieuses en France, 1980). Des Supérieurs religieux et des chapitres ont demandé à cette Sacrée Congrégation des directives pour évaluer le passé récent et préparer l'avenir. Divers Evêques également, à cause de leur responsabilité spéciale dans la promotion de la vie religieuse, ont sollicité des conseils. Etant donné l'importance de ces requêtes, la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers selon les directives du Saint-Père a préparé ce texte composé de principes et de normes fondamentaux en vue d'établir une déclaration claire de l'enseignement de l'Eglise sur la vie religieuse à un moment particulièrement significatif et opportun.


3. Cet enseignement a été formulé récemment dans les documents magistraux du Second Concile du Vatican, particulièrement dans Lumen Gentium, Perfectae Caritatis et Ad Gentes. Il a été ensuite développé dans l'Exhortation Apostolique Evangelica Testificatio de Paul VI, dans les allocutions de Jean Paul II et dans les documents de la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers, spécialement Mutuae Relationes, Religieux et Promotion humaine et Dimension contemplative de la vie religieuse. Plus récemment, sa richesse doctrinale a été condensée et exprimée dans le Code révisé de droit canon. Tous ces textes, élaborés sur le riche patrimoine de l'enseignement préconciliaire approfondissent et affinent une théologie de la vie religieuse qui s'est développée constamment au cours des siècles.


4. La vie religieuse est une donnée historique en même temps qu'une réalité théologique. L'expérience vécue, aujourd'hui comme dans le passé est variée et c'est important. En même temps, cette expérience est une dimension qui doit être vérifiée en relation avec le fondement évangélique, le magistère de l'Eglise et les constitutions approuvées d'un Institut. L'Eglise considère certains éléments comme essentiels à la vie religieuse: l'appel de Dieu, la consécration au moyen des conseils évangéliques par des voeux publics; une forme stable de vie communautaire; pour les instituts dédiés aux oeuvres d'apostolat, une participation à la mission du Christ par un apostolat communautaire fidèle à un don spécifique de fondation et aux saines traditions; la prière personnelle et communautaire, l'ascèse, le témoignage public; une relation spécifique à l'Eglise; une formation permanente; et une forme de gouvernement réclamant une autorité religieuse basée sur la foi. Les changements historiques et culturels apportent une évolution dans la réalité vécue, mais les formes et la direction de cette évolution sont déterminées par les éléments essentiels sans lesquels la vie religieuse perd son identité. Dans le présent texte destiné aux Instituts voués aux oeuvres d'apostolat, cette Sacrée Congrégation se limite à la clarification et à la réaffirmation de ces éléments fondamentaux.


I.

LA VIE RELIGIEUSE,

FORME PARTICULIERE DE CONSECRATION A DIEU


5. La Consécration est la base de la vie religieuse. En insistant sur ce point, l'Eglise place en premier lieu l'initiative de Dieu et le changement dans la relation avec Lui que la vie religieuse apporte. La consécration est une action divine. Dieu appelle une personne, la met à part pour la dédier à lui-même de façon particulière. En même temps, il offre la grâce de répondre de sorte que la consécration s'exprime du côté humain par un don de soi profond et libre. La relation qui en résulte est purement un don. C'est une alliance d'amour mutuel et de fidélité, de communion et de mission, établie pour la gloire de Dieu, la joie de la personne consacrée et le salut du monde.


6. Jésus lui-même est celui que le Père a consacré et envoyé d'une manière suprême (cf. Jn. 10, 36). Il assume toutes les consécrations de la loi ancienne, qui annonçaient la sienne, et en Lui le nouveau peuple de Dieu est consacré dorénavant mystérieusement uni à Lui. Par le Baptême, il communique sa vie à chaque chrétien. Chacun est sanctifié dans le Fils. Chacun est appelé à la sainteté. Chacun est envoyé pour partager la mission du Christ, avec la capacité de croître dans l'amour et le service du Seigneur. Le don baptismal est la consécration chrétienne fondamentale et il est la racine de toutes les autres consécrations.


7. Jésus a vécu sa propre consécration précisément comme Fils de Dieu dépendant du Père, l'aimant par dessus tout et complètement donné à sa volonté. Ces aspects de sa vie de fils sont partagés par tous les chrétiens. Cependant, pour le salut de tous, Dieu donne à quelques-uns le don de suivre le Christ de plus près dans sa pauvreté, sa chasteté et son obéissance par la profession publique des conseils évangéliques, grâce à la médiation de l'Eglise. Cette profession, à l'imitation du Christ, manifeste une consécration particulière «enracinée dans la consécration du baptême et l'exprimant avec plus de plénitude» (PC n. 5). L'expression «avec plus de plénitude» rappelle l'emprise de la personne divine du Verbe sur la nature humaine qu'Il assume et elle invite à une réponse à l'imitation de celle de Jésus: un don de soi-même à Dieu d'une manière que lui seul rend possible et qui témoigne de sa sainteté et de son absolu. Une telle consécration est un don de Dieu: une grâce librement départie.


8. Quand la consécration par la profession des conseils évangéliques est affirmée comme une réponse définitive à Dieu dans un engagement public pris devant l'Eglise, elle appartient à la vie et à la sainteté de l'Eglise (cf. LG 44). C'est l'Eglise qui authentifie le don et qui intervient dans la consécration. Les chrétiens ainsi consacrés s'efforcent de vivre dès à présent ce qui sera dans la vie future. Une telle vie «manifeste plus pleinement à tous les croyants la présence des biens célestes déjà possédés ici-bas» (LG 44). De cette manière ces chrétiens «attestent d'une façon éclatante et exceptionnelle que le monde ne peut se transfigurer et être offert à Dieu en dehors de l'esprit des Béatitudes» (LG 31).


9. L'union au Christ par la consécration au moyen de la profession des conseils évangéliques peut être vécue dans le monde, traduite en travail du monde et exprimée par les moyens du monde. Telle est la vocation spéciale des Instituts séculiers, définis par Pie XII comme «consacrés à Dieu et aux autres» dans le monde et «par les moyens du monde» (Primo Feliciter V & II). Par eux-mêmes, les conseils évangéliques n'exigent pas nécessairement la séparation du monde. De fait, c'est un don de Dieu à l'Eglise que la consécration moyennant la profession des conseils évangéliques puisse prendre la forme d'une vie vécue comme un levain caché. Les chrétiens ainsi consacrés poursuivent l'oeuvre de salut en communiquant l'amour du Christ dans une présence au monde qui le sanctifie de l'intérieur. Leur style de vie et de présence ne se distingue pas extérieurement de celui des autres chrétiens. Leur témoignage est donné dans leur milieu ordinaire de vie. Ce témoignage discret découle de la nature même de leur vocation séculière et caractérise la manière dont leur consécration doit être vécue. (cf. PC 11).


10. Tel n'est pas le cas toutefois de ceux que la consécration par la profession des conseils évangéliques constitue comme religieux. La nature même de la vocation religieuse exige un témoignage public au Christ et à l'Eglise. La profession religieuse s'effectue au moyen de voeux que l'Eglise reçoit publiquement. Une forme stable de vie communautaire dans un Institut érigé canoniquement par l'autorité ecclésiastique compétente manifeste de façon visible l'alliance et la communion qu'exprime la vie religieuse. Une certaine séparation de la famille et de la vie professionnelle au moment de l'entrée au noviciat parle avec force de l'absolu de Dieu. En même temps, c'est le début d'un lien nouveau et profond dans le Christ avec la famille qui a été laissée. Ce lien s'affermit avec le détachement des autres relations, des occupations et des formes de détente légitimes pour d'autres, afin de manifester publiquement dans toute la vie l'absolu de Dieu. Un autre aspect de la nature publique de la consécration religieuse réside dans l'apostolat des religieux qui est de quelque manière toujours communautaire. La présence religieuse est visible, affectant les moyens d'action, le vêtement et le style de vie.


11. La consécration religieuse est vécue dans un institut donné, selon des Constitutions que l'Eglise, par son autorité, accepte et approuve. Cela signifie que la consécration est vécue selon des dispositions spécifiques, qui manifestent et approfondissent une identité propre. L'identité découle de l'action de l'Esprit Saint qui est le don de fondation de l'Institut et qui détermine un type particulier de spiritualité, de vie, d'apostolat et de tradition (cf. MR 11). En considérant les nombreuses familles religieuses, on est frappé par la grande variété des dons de fondation. Le Concile insiste fortement sur la nécessité de les cultiver comme autant de dons de Dieu (cf. PC 2b). Ils déterminent la nature, l'esprit, la finalité et le caractère qui constituent le patrimoine spirituel de chaque institut, et ils sont les bases de ce sens d'identité qui est un élément clé dans la fidélité de chaque religieux.


12. Dans le cas des instituts dédiés aux oeuvres d'apostolat, la consécration religieuse présente encore une autre note: la participation à la mission du Christ est spécifique et concrète. Perfectae Caritatis rappelle que la nature même de ces instituts requiert «l'activité apostolique et les services charitables» (PC 8). Du fait de leur consécration, les membres sont dévoués à Dieu et disponibles pour être envoyés. Leur vocation implique la proclamation active de l'Evangile par «des oeuvres de charité confiées à l'Institut par l'Eglise et qui doivent être accomplies en son nom» (PC 8). Pour cette raison, l'activité apostolique de ces instituts n'est pas simplement un effort humain pour faire du bien, mais «une action qui est profondément ecclésiale» (EN 60). Elle est enracinée dans l'union avec le Christ envoyé par le Père pour accomplir cette mission. Elle exprime une consécration par Dieu qui envoie le religieux pour servir le Christ dans ses membres, de manière concrète (cf. EN 69) correspondant au don de fondation de l'Institut (cf. MR 15) «Toute la vie de ces religieux doit être pénétrée d'esprit apostolique et toute leur action apostolique doit être animée par l'esprit religieux» (PC 8).


II.

CARACTERISTIQUES


1. CONSECRATION PAR LES VŒUX PUBLICS


13. Il est propre à la vie religieuse, même si cela ne lui est pas exclusif, de professer les conseils évangéliques par des voeux reçus par l'Eglise. Ces voeux sont une réponse au don de Dieu qui les a précédés et qui, comme don d'amour, ne peut être rationalisé. C'est une action particulière de Dieu opérant lui-même dans la personne qu'Il a choisie.


14. Comme réponse au don de Dieu, les voeux sont une triple expression d'un unique «oui» à la relation de consécration totale. Ils sont l'acte par lequel le religieux «se donne à Dieu d'une manière nouvelle et spéciale» (LG 44). Par les voeux, le religieux consacre joyeusement toute sa vie au service de Dieu, considérant la suite du Christ «comme la seule chose nécessaire et ne cherchant avant tout que Dieu seul» (PC 5). Deux raisons inspirent cette oblation: d'abord le désir de se libérer des obstacles pouvant s'opposer à l'amour ardent du Seigneur et à son adoration parfaite (cf. ET 7); avec le désir d'être consacré plus complètement au service de Dieu (cf. LG 44). Les voeux manifestent «le lien indissoluble qui existe entre le Christ et son épouse, l'Eglise. Plus ces liens sont fermes et stables, plus la consécration religieuse du chrétien sera parfaite» (LG 44).


15. Les voeux en eux-mêmes sont spécifiques: trois manières de s'engager à vivre comme le Christ a vécu dans des zones qui comprennent toute la vie: possessions, affections, autonomie. Chaque aspect met l'accent sur une relation particulière à Jésus, consacré et envoyé. Il était riche, mais il s'est fait pauvre pour nous, il s'est anéanti et n'avait pas où reposer sa tête. Il a aimé d'un coeur entier, de manière universelle et jusqu'à la fin. Il est venu pour faire la volonté du Père qui l'a envoyé, et il l'a faite avec persévérance, apprenant l'obéissance par ses souffrances et devenant un principe de salut pour ceux qui lui obéissent.

16. La marque distinctive de l' institut religieux est la manière dont il exprime visiblement ces valeurs du Christ. Pour cette raison, le contenu des voeux exprimé dans les constitutions de chaque institut, doit être clair et sans ambiguïté. Le religieux renonce à l'usage et à la libre disposition de ses biens propres, dépend des supérieurs légitimes de son institut pour ses besoins matériels, met en commun, comme appartenant à la communauté les dons et les salaires qu'il reçoit, accepte un style de vie simple et y participe. Il s'engage à vivre la chasteté à un nouveau titre, celui du voeu et à demeurer dans le célibat consacré pour le Royaume. Cette chasteté comporte une manière de vie qui soit un témoignage convaincant et crédible d'une oblation totale et qui renonce à tout comportement, toute relation personnelle et toute forme de détente qui soit incompatible avec son engagement. Le religieux s'engage à obéir aux directives de ses supérieurs légitimes selon les constitutions de l'institut et professe en outre une obéissance spéciale au Souverain Pontife en vertu de son voeu d'obéissance. L'engagement par les voeux dans un institut religieux inclut encore de façon implicite celui de mener une vie en commun avec les membres de la communauté. Le religieux doit également vivre en fidélité avec la nature, la finalité, l'esprit et le caractère de l'institut, exprimés dans les constitutions, les lois particulières et les saines traditions. Il accepte volontiers une vie de conversion radicale et continue selon l'Evangile, comme le spécifie le contenu de chacun de ses voeux.


17. La consécration par la profession des conseils évangéliques inspire nécessairement un style de vie ayant un impact social. Certes, le but des voeux n'est pas de contester la société, mais sans aucun doute, le fait de les vivre a toujours témoigné des valeurs qui sont un défi à la société comme elles sont un défi aux religieux eux-mêmes. La pauvreté, la chasteté et l'obéissance religieuses peuvent parler avec force et netteté aujourd'hui à un monde qui souffre de l'excès de consommation, de la discrimination, de l'érotisme et de la haine, de la violence et de l'oppression (cf. RPH 15).



2. COMMUNION EN COMMUNAUTE


18. La consécration religieuse établit une communion particulière entre les religieux et Dieu et, en Lui, entre les membres du même institut. La communion est l'élément fondamental de l'unité d'un institut. Une tradition partagée, des oeuvres communes, des structures bien faites, des ressources communes, des constitutions et un esprit de corps sain peuvent favoriser et fortifier l'unité. Cependant la base véritable de l'unité réside dans la communion avec le Christ établie par le don spécial de fondation, enracinée dans la consécration religieuse elle-même, animée par l'esprit évangélique, nourrie de la prière, marquée par une généreuse mortification et caractérisée par la joie et l'espérance jaillissant de la Croix. (cf. ET 41).


19. Pour les religieux, la communion au Christ s'exprime de façon stable et visible par la vie communautaire. Celle-ci est si importante pour la consécration religieuse que tout religieux, quel que soit son apostolat, y est tenu par le fait même de sa profession et doit normalement vivre sous l'autorité d'un supérieur local dans une communauté de l'Institut auquel il appartient. Normalement aussi, la vie communautaire entraîne un partage de vie selon des structures spécifiques et les dispositions prévues par les constitutions. Le partage de la prière, du travail, des repas et des détentes, l'esprit communautaire, «les rapports d'amitié et d'entraide fraternelle dans un même apostolat, ainsi que le soutien mutuel d'une communauté de vie choisie pour un meilleur service du Christ, sont de précieux adjuvants dans le cheminement quotidien» (ET 39). Une communauté rassemblée comme une vraie famille réunie au nom du Seigneur, jouit de sa présence (cf. MT 18, 25) par l'amour de Dieu répandu par l'Esprit Saint (cf. Rm 5,5). Son unité symbolise la venue du Christ et est une source de puissante énergie apostolique (cf. PC 15). Dans une telle communauté, la vie consacrée peut fleurir dans des conditions favorables et la formation continue de ses membres est assurée. La capacité de vivre la vie communautaire avec ses joies et ses exigences, est une qualité qui marque la vocation religieuse dans un Institut, c'est un critère essentiel dans le discernement des vocations des candidats.


20. La communauté locale - lieu où la vie religieuse se vit d'abord - doit être organisée de telle façon que les valeurs religieuses y soient mises en évidence. Son centre est l'Eucharistie à laquelle les membres participent quotidiennement dans la mesure du possible et qui est honorée dans un oratoire où la messe peut être célébrée et où le Saint Sacrement est conservé (cf. ET 48). Des temps forts quotidiens de prière commune basée sur la Parole de Dieu, en union avec la prière de l'Eglise, spécialement par la Liturgie des Heures, constituent un soutien de la vie communautaire. Un rythme hebdomadaire et mensuel de prière plus intense et une retraite annuelle sont également nécessaires. La réception fréquente du Sacrement de Pénitence fait aussi partie de la vie religieuse. Outre l'aspect personnel du pardon de Dieu et de son amour renouvelant pour la personne, le sacrement construit la communauté par son pouvoir de réconciliation et manifeste encore un lien spécial avec l'Eglise. Selon la loi propre de l'Institut, il faut aussi réserver du temps pour la prière privée quotidienne et pour une bonne lecture spirituelle. Des moyens doivent être envisagés pour approfondir les dévotions particulières de l'Institut spécialement envers la Vierge Marie, Mère de Dieu. La communauté doit également porter dans sa prière les nécessités de l'institut, ainsi que le souvenir des membres que le Père a rappelés à Lui. La croissance de ces valeurs religieuses de la vie communautaire et leur garantie par une organisation susceptible de les promouvoir engagent la responsabilité de tous les membres de la communauté, mais en particulier celle du supérieur local (cf. ET 26).


21. Le style de la vie communautaire elle-même est en relation avec la forme d'apostolat pour lequel les membres sont responsables; il est aussi en rapport avec la culture et la société où cette responsabilité est acceptée. La forme de l'apostolat peut déterminer la dimension et l'emplacement d'une communauté, ses besoins et son niveau de vie. Mais, quel que soit l'apostolat, la communauté s'efforcera de vivre simplement selon les normes établies au niveau général et provincial, et appliquées à ses circonstances spéciales. Elle intégrera dans sa façon de vivre l'ascèse qui fait partie de la consécration religieuse. Elle pourvoira aux besoins de ses membres selon ses ressources et n'oubliera pas ses responsabilités envers l'institut dans son ensemble et envers les pauvres.


22. Etant donné l'importance de la vie communautaire, il convient de noter que sa qualité est affectée positivement ou négativement par deux facteurs: la diversité des membres et celle des oeuvres. Ce sont les diversités évoquées par l'image paulinienne des membres du Corps du Christ, ou celle conciliaire, du peuple de Dieu pèlerin. Dans les deux cas, la diversité est une variété de dons qui enrichit une seule réalité. Le critère, pour accepter des membres ou des oeuvres dans un institut religieux demeure la promotion de l'unité (MR 12). Il faut donc se demander: les dons de Dieu à cette personne, à ce projet, à ce groupe, favorisent-ils l'unité, approfondissent-ils la communion dans l'institut? Si la réponse est affirmative, la communauté peut les accueillir. Dans le cas contraire, même si les dons semblent bons en eux-mêmes et peut-être souhaitables, ils ne sont pas adaptés à l'Institut. C'est une erreur de vouloir tout inclure dans le charisme d'un institut. Un don qui sépare virtuellement un membre de la communion de la communauté ne peut être encouragé. Il n'est pas sage de tolérer des orientations largement divergentes qui ne peuvent contribuer à l'unité de l'institut. La diversité sans division et l'unité sans embrigadement, sont une richesse et une émulation qui favorisent la croissance des communautés de prière, de joie et de service comme témoignage de la réalité du Christ. Il revient particulièrement aux supérieurs et aux religieux assumant des charges de formation, de veiller à ce que les différences pouvant porter à la désintégration ne soient pas confondues avec la valeur authentique de la diversité.



3. MISSION EVANGELIQUE


23. Quand Dieu consacre une personne, il lui accorde un don spécial en vue d'achever ses propres desseins d'amour: la réconciliation et le salut de la race humaine. Non seulement il choisit la personne, la met à part, se la voue à Lui-même, mais il l'engage dans son oeuvre divine. La consécration implique inévitablement la mission: ce sont deux aspects de la même réalité. Le choix d'une personne par Dieu est pour le salut des autres: la personne consacrée est envoyée pour accomplir l'oeuvre de Dieu dans le pouvoir de Dieu. Jésus lui-même en avait pleinement conscience: il se savait consacré et envoyé pour apporter le salut de Dieu; entièrement dédié au Père dans l'adoration, l'amour et l'abandon, entièrement donné à l'oeuvre du Père, qui est le salut du monde.


24. Par leur forme de consécration particulière, les religieux sont nécessairement et profondément engagés dans la mission du Christ. Comme lui, ils sont appelés pour les autres: entièrement donnés au service de salut pour leurs frères. Cette vérité s'applique à la vie religieuse sous toutes ses formes. La vie des contemplatives cloîtrées a son propre apostolat caché et fructueux (cf. PC 7); elle proclame à tous que Dieu existe et que Dieu est amour. Les religieux voués aux oeuvres d'apostolat continuent dans notre temps le Christ «annonçant le Royaume de Dieu à la multitude guérissant les malades et les infirmes, convertissant les pécheurs, bénissant les enfants, faisant le bien à tous, et obéissant toujours à la volonté du Père qui l'avait envoyé» (LG 46). Cette oeuvre salvatrice du Christ est partagée par les religieux réalisant des services concrets pour lesquels ils sont mandatés par l'Eglise au moyen de l'approbation des constitutions. Le fait de cette approbation détermine la nature du service entrepris qui doit être fidèle à l'Evangile, à l'Eglise et à l'Institut. Il établit aussi certaines limites, puisque la mission des religieux est à la fois renforcée et restreinte par les conséquences de leur consécration dans un institut donné. De plus, la nature du service religieux détermine comment la mission doit être réalisée: dans une profonde union avec le Seigneur et une grande sensibilité aux temps, ce qui permet aux religieux a de transmettre le message du Verbe incarné en des termes que le monde peut comprendre» (ET 9).


25. Quelles que soient les oeuvres de service par lesquelles la parole de Dieu est transmise, la mission demeure toujours une responsabilité communautaire. C'est à l'institut comme tel que l'Eglise confie la participation à la mission du Christ qui le caractérise et qui trouve son expression dans les oeuvres inspirées par le don de fondation. Cette mission communautaire fait partie de l'identité de l'Institut, ce qui ne veut pas dire que tous les membres de l'Institut font la même chose ni que les dons des individus ne sont pas respectés. Cela signifie cependant que les tâches de tous les membres sont en relation directe avec l'apostolat communautaire reconnu par l'Eglise comme l'expression concrète de sa finalité. Cet apostolat exercé en commun et de façon constante fait partie des saines traditions de l'Institut. Il est si étroitement lié à son identité qu'on ne peut le modifier sans modifier en même temps l'institut lui-même. C'est donc une pierre de touche pour évaluer de nouvelles oeuvres, qui seraient envisagées pour les groupes ou pour certains religieux. L'intégrité de cet apostolat communautaire constitue une responsabilité particulière des supérieurs majeurs qui doivent veiller à ce que l'institut soit en même temps fidèle à sa mission traditionnelle dans l'Eglise et ouvert à de nouvelles manières de la réaliser. Les oeuvres doivent être rénovées et revitalisées, mais il faut le faire en fidélité à l'apostolat de l'Institut approuvé par l'Eglise, en collaboration avec les autorités ecclésiastiques concernées. Un tel renouveau sera caractérisé par les quatre grandes fidélités soulignées dans le document Religieux et Promotion Humaine: «fidélité à l'homme et à notre temps; fidélité au Christ et à l'Evangile, fidélité à l'Eglise et à sa mission dans le monde; fidélité à la vie religieuse et au charisme de l'Institut» (RPH 13).


26. L'oeuvre apostolique du religieux se situe dans la mission ecclésiale de son institut. Ce sera essentiellement une mission d'évangélisation. Le religieux travaille dans l'Eglise et selon la mission de son institut pour apporter la bonne nouvelle de l'Evangile «à toutes les couches de l'humanité et par ce moyen transformer l'humanité elle-même de l'intérieur» (EN 18; RPH, Intro). En pratique, cette mission comprendra des formes de service en harmonie avec la finalité de l'institut, et acceptées communément par les frères ou les soeurs de la même famille religieuse. Dans le cas de certains instituts cléricaux ou missionnaires, la mission peut demander parfois qu'un membre vive seul. Dans le cas des autres instituts, le travail isolé doit toujours se réaliser avec la permission des supérieurs pour répondre temporairement à une nécessité exceptionnelle. Pour beaucoup de religieux l'apostolat à la fin de leur vie sera uniquement une mission de prière et de souffrance. Mais, à toutes les étapes, l'oeuvre apostolique individuelle est celle d'un religieux envoyé par son institut, en communion avec l'Eglise qui l'a mandaté. C'est à dire que sa source réside dans l'obéissance religieuse (cf. PC 8, 1); son caractère est différent de celui des apostolats propres aux laïcs (cf. RPH 22; AA 2, 7, 13, 25). De cette manière, les religieux témoignent, individuellement aussi bien que communautairement, que leur vie est authentiquement apostolique, non parce qu'ils exercent un «apostolat», mais parce qu'ils vivent à la manière des apôtres: suivant le Christ en service et en communion selon l'enseignement de l'Evangile dans l'Eglise qu'il a fondée.


27. Sans aucun doute, en bien des endroits du monde, les religieux dédiés aux oeuvres d'apostolat doivent faire pace à l'heure actuelle à bon nombre de questions délicates et difficiles relativement à l'apostolat. La diminution du nombre des religieux, la raréfaction des vocations, l'élévation de l'âge moyen, les pressions sociales des mouvements contemporains coïncident avec une prise de conscience plus grande des besoins, avec un souci accru du développement personnel, et un niveau plus élevé de conscientisation par rapport à la justice, à la paix et la promotion humaine, Il existe une tentation de vouloir tout faire, de prendre l'expression de Saint Paul «être tout à tous» (1 Co 9, 22) dans un sens que l'apôtre ne lui donnait pas. Il existe également une tentation d'abandonner les oeuvres considérées comme stables, bien qu'elles expriment vraiment le charisme de l'institut, en faveur de celles qu'on croit plus immédiatement adaptées aux nécessités sociales mais qui expriment beaucoup moins clairement l'identité de l'Institut. Il existe encore une autre tentation: celle de disperser les ressources d'un institut dans une diversité d'activités à court terme ne présentant qu'un rapport très vague avec le charisme de fondation. Dans tous ces exemples, les effets ne sont pas immédiats, mais à la longue, l'unité et l'identité de l'institut sont compromises et c'est une perte pour l'Eglise et pour sa mission.



4. PRIERE


28. La vie religieuse ne peut se soutenir sans une profonde vie de prière à la fois individuelle, communautaire et liturgique. Le religieux qui embrasse concrètement une vie de consécration totale est appelé à connaître le Seigneur ressuscité d'une connaissance chaleureuse et personnelle, et à le connaître comme celui avec qui il est en communion personnelle: «La vie éternelle c'est qu'ils te connaissent, toi le seul véritable Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ» (Jn 17, 3). La connaissance du Christ dans la foi mène à l'amour: «Sans l'avoir vu, vous l'aimez, sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d'une joie indicible et pleine de gloire» (I Pierre, 1, 8). Cette joie de l'amour et de la connaissance s'approfondit de diverses manières, mais fondamentalement et comme un moyen essentiel et nécessaire, par la rencontre individuelle et communautaire avec Dieu dans la prière. C'est là que le religieux trouve «la concentration du regard sur Dieu» qui unifie toute sa vie et sa mission (DmC 1).


29. Comme Jésus, pour qui la prière, comme acte distinct, prenait dans sa vie une place large et essentielle, le religieux a besoin de prier pour approfondir son union avec Dieu (Lc 5,16). La prière est aussi une condition nécessaire pour proclamer l'évangile (Mc. 1, 35-38). Elle doit accompagner les décisions et les événements importants (Lc 6,12-13). Comme chez Jésus aussi, l'habitude de la prière est nécessaire pour assurer aux religieux la vision contemplative qui révèle Dieu par la foi dans les événements ordinaires de la vie (Cf. DmC 1). C'est la dimension contemplative que l'Eglise et le monde ont le droit d'attendre des religieux du fait de leur consécration. Elle doit être fortifiée par des moments prolongés donnés exclusivement à l'adoration du Père, à son amour et à l'écoute silencieuse de sa parole. Pour cette raison Paul VI insistait: «La fidélité à la prière quotidienne demeure pour chaque religieux une nécessité primordiale et doit avoir la première place dans vos constitutions et dans votre vie» (ET 45).

30 . En disant «dans vos constitutions», Paul VI rappelait que pour les religieux, la prière n'est pas seulement une conversion personnelle d'amour envers Dieu, mais aussi une réponse communautaire d'adoration, d'intercession, de louange et d'actions de grâces qui doit être assurée de façon stable (cf. ET 43). Cela ne se produit pas par hasard. Des dispositions concrètes doivent être prises an niveau de chaque institut, de chaque province, de chaque communauté locale pour que la prière fleurisse dans la vie religieuse des individus et des communautés. C'est seulement par la prière que le religieux est finalement capable de répondre à sa consécration. La prière communautaire contribue grandement à cet appui spirituel nécessaire. Chaque religieux a le droit d'être aidé par la présence et l'exemple des autres membres de la communauté en prière. Chacun d'eux a le privilège et le devoir de prier avec les autres et de participer avec eux à la liturgie qui constitue le centre unifiant de sa vie. Une telle aide encourage l'effort pour mener la vie d'union avec le Seigneur à laquelle les religieux sont appelés. «Le peuple doit sentir qu'à travers vous il y a un autre qui agit. Dans la mesure où vous vivez votre consécration totale au Seigneur, vous communiquez quelque chose de Lui, et finalement c'est Lui que le coeur humain attend» (Jean Paul II à Altötting).




1983 Éléments essentiels