Révélations de Sainte Brigitte de Suède


Les Révélations de Sainte Brigitte de Suède

Communément appelée « La chère épouse »

Traduites par Me Jacques Febraige, docteur en théologie

Avignon, Seguin aîné, 1850


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Livre I



Chapitre 1 Comment Notre-Seigneur Jésus-Christ certifie sa très excellente Incarnation

1001   ; en quelle manière il improuve ceux qui profanent et faussent la foi et le baptême, et en quelle sorte il invite son épouse bien-aimée à le chérir.

  JE suis le créateur du ciel et de la Terre, un en déité avec le Père et le Saint-Esprit, je suis celui qui parlait aux patriarches et aux prophètes et celui qu'ils attendaient. C'est pour accomplir leurs désirs, selon ma promesse, que j'ai pris la chair humaine sans péché ni concupiscence, entrant dans les entrailles de la Vierge comme un soleil resplendissant passe par la vitre pure et transparente. En effet, comme le soleil, en passant par la vitre, ne l'offense pas, de même la virginité de Marie n'a été ni lésée ni offensée, quand j'ai pris d'elle mon humanité. Or, j'ai pris l'humanité de telle sorte que je n'ai pas laissé la divinité.

Et bien que je fusse dans le ventre de la Vierge avec l'humanité, je n'étais pas moindre en déité avec le Père et le Saint-Esprit, conduisant et emplissant toutes choses, d'autant que, comme la splendeur ne se sépare jamais du feu, de même ma déité ne s'est jamais séparée de l'humanité, pas même dans la mort. D'ailleurs, j'ai voulu que mon corps, pur de tout péché, fût déchiré pour les péchés de tous, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, et qu'il fût attaché et cloué sur la croix. Certes, il est maintenant immolé tous les jours sur l'autel, afin que l'homme m'aime davantage, et se ressouvienne plus souvent des bienfaits et des faveurs dont je l'ai comblé. Mais maintenant, je suis oublié de tous, négligé, méprisé, et chassé de mon propre royaume comme un roi à la place duquel le larron pernicieux (le diable) est élevé et honoré. Enfin, j'ai voulu que mon royaume fût en l'homme, et je devais à bon droit être son Roi et son Seigneur, puisque je l'avais créé et racheté.

  Or, maintenant, il a enfreint et profané la foi qu'il m'avait promise au baptême, violé et méprisé les lois que je lui avais données ; il aime sa propre volonté et dédaigne de m'ouïr ; en outre, il exalte le diable, ce pernicieux larron, et il lui a donné sa foi. Il est vraiment larron, attendu qu'il me ravit, par ses suggestions mauvaises et par ses fausses promesses, l'âme que j'avais rachetée de mon sang. Il ne me la ravit pas parce qu'il est plus puissant que moi, puisque je suis tellement puissant que je puis tout par ma parole, et je suis si juste que, quand bien même tous les saints me supplieraient, je ne ferais rien qui serait tant soit peu contraire à ma justice ; mais il me la ravit d'autant que l'homme, doué du libre arbitre, cède au diable, ayant méprisé mes commandements : il est donc juste et raisonnable que l'homme expérimente sa tyrannie. Car le diable a été créé bon après moi ; mais tombant par sa mauvaise volonté, il m'est comme serviteur pour la vengeance des méchants.

  Or, bien que je sois si méprisé maintenant, néanmoins, je suis si miséricordieux, que quiconque demandera ma miséricorde et s'humiliera, je lui pardonnerai tout ce qu'il aura commis, et l'affranchirai et le délivrerai de ce larron pernicieux ; mais celui qui persistera à me mépriser, je le visiterai en ma justice, de telle sorte qu'il tremblera de peur à ma voix ; et quiconque l'expérimentera dira : Malheur ! Pourquoi ai-je donc provoqué la Majesté divine à l'ire et à l'indignation ?

  Or, vous, ma fille, que j'ai choisie pour moi, et avec qui je parle de mon Esprit, aimez-moi de tout votre coeur. non pas comme un fils ou une fille, ou bien comme les parents aiment leurs enfants, mais plus que tout ce qui est au monde ; car moi, qui vous ai créée, je n'ai pardonné à aucun de mes membres pour l'amour de vous, et j'aime tellement votre âme que j'aimerais mieux encore être crucifié une autre fois, si c'était possible, que de m'en priver.

Imitez mon humilité ; car moi, qui suis le Roi de gloire et le Roi des anges, j'ai été revêtu de vieux haillons et attaché nu à la colonne. J'entendis tous les opprobres, toutes les calomnies qu'on vomissait contre moi. Préférez ma volonté à la vôtre, car ma Mère, votre Dame, depuis le commencement de sa vie jusqu'à la fin, n'a jamais fait autre chose que ce que je voulais.

  Si vous faites cela, votre coeur sera dans mon coeur et sera enflammé de mon amour ; et comme ce qui est sec et aride est facilement enflammé par le feu, de même votre âme sera remplie par moi, et je serai en vous, de sorte que toutes les choses temporelles vous seront amères, et toute volupté charnelle vous sera comme un poison.

Vous vous reposerez dans les bras de ma divinité, où il n'y a aucune volupté charnelle, mais où il y a joie et délectation d'esprit ; car l'âme qui se remplit de joie intérieurement et extérieurement, ne pense ni ne désire autre chose que la joie dont elle tressaille. Aimez-moi donc tout seul ; et vous aurez à foison tout ce que vous voudrez.

Eh quoi ! N’est il pas écrit que l'huile de la veuve ne défaillit point ? Que Notre-Seigneur a donné de la pluie à la terre, selon la parole du Prophète ? Or, je suis le vrai Prophète. Si vous croyez à mes paroles et les accomplissez, l'huile, la joie, l'exultation ne vous manqueront jamais.


Chapitre 2 Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à sa fille prise maintenant pour épouse.

  Il traite des vrais articles de la foi, et quels sont les ornements, les signes et les volontés que l'épouse doit avoir en comparaison de l'Époux.

1002   Je suis le Créateur du ciel ; de la terre, et de la mer, et de tout ce qui y est renfermé, un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit (ego et Pater unum sumus). (Jn 10,30), non pas comme on disait autrefois, dieux de pierre et d'or, mais un Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ; trine en personnes et un en substance; créant toutes choses et n'étant créé par aucune ; immuable et tout-puissant ; étant sans principe et sans fin. Je suis celui qui est né de la Vierge, sans perdre ma divinité, mais l'associant à l'humanité, afin qu'en une seule personne je fusse vrai Fils de la Vierge. Je suis celui qui a été suspendu à la croix, mort et enseveli sans altération de ma divinité ; car bien que je fusse mort en l'humanité et en la chair que j'avais seul prise, je vivais néanmoins en la Divinité, en laquelle j'étais un avec le Père et le Saint-Esprit.

Je suis celui qui est ressuscité des morts, qui est monté au ciel, et qui vous parle maintenant avec mon Esprit. Je vous ai choisie et prise pour mon épouse, afin de vous manifester mes secrets, car cela me plaît ainsi.

Vous m'appartenez aussi par quelque droit, puisqu'en la mort de votre mari, vous avez résigné votre volonté en mes mains, vu que même après son décès, vous avez pensé et m'avez demandé avec prière comment vous pourriez être pauvre, et vous avez voulu tout laisser pour l'amour de moi. C'est pourquoi vous m'appartenez de droit. Il a fallu que, pour un si grand amour, j'aie eu soin de vous ; et partant, je vous prends en épouse et pour mon propre plaisir, tel que Dieu doit le prendre avec une âme chaste.

  L'épouse doit donc être prête lorsque l'époux voudra solenniser les noces, afin qu'elle soit décemment enrichie, ornée et purifiée.

Vous vous purifiez, lorsque vous pensez incessamment à vos péchés, lorsque vous pensez comment, dans le baptême, je vous ai purifiée du péché d'Adam ; combien de fois, étant tombée dans le péché, je vous ai supportée et soutenue.

L'épouse doit aussi avoir sur sa poitrine les signes et les livrées de son époux, c'est-à-dire, vous devez faire attention aux bienfaits dont je vous ai comblée, aux oeuvres que j'ai faites pour vous, savoir : combien noblement je vous ai créée en vous donnant un corps et une âme ; combien éminemment je vous ai douée, en vous donnant la santé et les choses temporelles ; combien doucement je vous ai ramenée, quand je suis mort pour vous et vous ai ramené l'héritage, si vous le voulez avoir.

  L'épouse doit aussi faire la volonté de son époux. Quelle est ma volonté, si ce n'est que vous m'aimiez par-dessus toutes choses et ne désiriez autre chose que moi ? J'ai créé toutes choses pour l'amour de l'homme, et je lui ai toutes assujetties : mais lui, il aime toutes choses, excepté moi, et il ne hait que moi. J'ai de nouveau racheté l'héritage qu'il avait perdu ; mais l'homme est tellement aliéné de sens et de raison qu'il aime mieux cet honneur passager, qui n'est qu'écume de mer, qui monte en un moment comme une montagne, et est soudain réduit à rien, que l'honneur éternel, où est le bien sans fin.

  Or, vous, mon épouse, si vous ne désirez que moi ; si vous méprisez tout pour l'amour de moi, non seulement je vous donnerai en douce et précieuse récompense des enfants et des parents, mais aussi des richesses et des honneurs, non pas l'or et l'argent, mais moi-même, moi qui suis Roi de gloire, je me donnerai à vous en époux et en prix. Si vous avez honte d'être pauvre et d'être méprisée, considérez que moi, votre Dieu, vous ai précédée en cela, car mes serviteurs et mes amis m'ont laissé en terre, d'autant que je n'ai pas recherché les amis de la terre, mais du ciel.

Que si vous craignez le faix du labeur et de l'infirmité, considérez combien il est douloureux de brûler dans le feu.

  Que mériteriez-vous, si vous aviez offensé quelque seigneur temporel comme vous m'avez offensé ? Car bien que je vous aime de tout mon coeur, néanmoins je ne porte pas la moindre atteinte à ma justice : comme vous m'avez offensé en tous vos membres, en tous vous y satisferez. Cependant, pour la bonne volonté et pour les propos qu'on fait de s'amender, je change ma justice en ma miséricorde, remettant, pour un petit amendement, les plus cuisants supplices.

  Embrassez donc franchement un petit labeur, afin qu'étant purifiée, vous obteniez plus tôt une grande récompense ; car il est raisonnable que l'épouse souffre et travaille avec l'époux, afin que plus fidèlement elle se repose avec lui.


Chapitre 3 Paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse touchant la doctrine de l'amour

  , et de l'humeur de l'épouse envers son époux. De la haine des méchants contre Dieu et de la dilection du monde.

1003   JE suis votre Dieu et le Seigneur que vous honorez. Je suis celui qui, par sa puissance, soutient le ciel et la terre, et qui n'est soutenu par aucun appui ni par aucunes colonnes. Je suis celui qui, sous les espèces du pain et du vin, vrai Dieu et vrai homme, est immolé tous les jours.

  Je suis le même qui vous ai choisie. Honorez mon Père ; aimez-moi ; obéissez à mon Esprit ; déférez à ma Mère un grand honneur comme a votre Dame. Honorez tous mes saints ; gardez la foi droite que vous enseignera celui qui a éprouvé en soi le conflit de la vérité et de la fausseté, et qui a vaincu par mon secours.

Gardez mon humilité vraie. Quelle est l'humilité vraie, si ce n'est se manifester tel qu'on est, et louer Dieu des biens qu'il nous a donnés ?

  Mais maintenant, plusieurs me haïssent et réputent mes oeuvres et mes paroles à douleur et à vanité, et ils embrassent et aiment l'adultère, le diable ; car tout ce qu'ils font pour moi, ils le font avec murmure et amertume, et ils en confesseraient pas mon nom, s'ils n'étaient pas confondus par la crainte des hommes.

Or, ils aiment si sincèrement le monde, que le labeur et les peines qu'il leur donne ne les lassent jamais, et qu'ils sont toujours plus fervents en son amour. Leur service me plaît ni plus ni moins que si quelqu'un donnait de l'argent à son ennemi pour faire tuer son propre fils. Ceux-ci font la même chose, car ils donnent une petite aumône, et m'honorent seulement de leurs lèvres, afin que la prospérité mondaine leur soit favorable, et qu'ils jouissent des honneurs et des voluptés. De là vient que leur esprit est mort pour le profit et l'avancement du vrai bien. Or, si vous me voulez aimer de tout votre coeur et ne désirer rien que moi, je vous attirerai à moi par la charité, comme l'aimant attire le fer ; et je vous placerai en la force de mon bras, qui est si puissant qu'aucun ne peut l'étendre, si ferme que quand il est étendu, aucun ne peut le plier ni courbe ; il est encore si doux qu'il surpasse toutes les choses aromatiques, et n'entre pas en comparaison avec les délectations du monde ; parce qu'il les surpasse toutes.

Chapitre 4 Paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ à son épouse, par lesquelles il lui dit qu'elle ne doit craindre rien de ce qui lui a été révélé,

  ni penser que ce soit du malin esprit. Il dit aussi de quelle manière on peut connaître le bon et le malin esprit.

1004 Je suis votre Créateur et votre Rédempteur. Pourquoi avez-vous eu crainte de mes paroles, et pourquoi avez-vous réfléchi, pour savoir si elles étaient du bon ou du mauvais esprit ? Dites-moi, qu'avez-vous trouvé en mes paroles que la conscience ne vous ai pas dicté de faire ? Où vous ai-je commandé quelque chose contre la raison ?

  A cela Sainte Brigitte, épouse, répondit : "Non ; mais toutes ces choses sont vraies, et je me suis malheureusement trompée."

  L'Esprit, ou bien l'époux, répondit : Je vous ai commandé trois choses par lesquelles vous puissiez connaître le bon esprit :

1° je vous ai commandé d'honorer Dieu, qui vous a créée et qui vous a donné tout ce que vous avez. La raison vous dicte que vous l'honoriez par-dessus tout.

2° Je vous ai commandé de tenir une fois droite, savoir, que sans Dieu il n'y aurait rien de fait, et que, sans lui, rien ne peut être fait.

3° Je vous ai commandé aussi d'aimer la juste et raisonnable continence en toutes choses, car le monde a été fait pour l'homme afin qu'il en usât à sa nécessité, de sorte aussi que, par les trois choses contraires à celles-ci, vous pouvez connaître l'esprit immonde, car le diable vous pousse à la recherche de votre propre louange et à vous enorgueillir de ce qui vous est donné. Il vous pousse aussi à la perfidie et à la déloyauté ; il vous enflamme aussi d'incontinence dans tous les membres, et embrase le coeur de la concupiscence de toutes choses. Il déçoit parfois sous prétexte de bien.

  C'est pourquoi je vous ai commandé d'examiner tous les jours votre conscience et de la découvrir à ceux qui sont sages et spirituels. Partant, ne doutez plus que le bon Esprit ne soit avec vous, quand vous ne désirerez que Dieu et que vous serez tout enflammée de son amour. Je puis seul faire cela, et il est impossible que le diable d'approche de vous ; même aucun mal ne peut s'approcher de l'homme sans que je le permette, ou à cause de ses péchés, ou bien pour quelque occulte jugement connu de moi seul, car il est ma créature, comme tout le reste, et je l'ai fait bon ; mais il est mauvais par sa malice, et c'est pourquoi je suis le Seigneur sur lui.

  Partant, plusieurs m'imputent à faute, disant que ceux qui me servent avec grande dévotion, sont fous ou possédés du démon. Ils me font semblable à l'homme qui, ayant une femme chaste qui se confie à son mari, l'expose à un adultère. J'en ferais de même, si je permettais qu'un homme juste et qui m'aime, fût donné au diable. Mais parce que je suis fidèle, le diable ne dominera en rien l'âme qui me sert fidèlement et dévotement.

  Or, bien que quelquefois mes amis semblent des fous, cela n'arrive pas pourtant par l'instigation du diable, ni parce qu'ils me servent avec une fervente dévotion, mais bien, ou par la faiblesse du cerveau des hommes, ou pour quelque sujet occulte et secret qui sert à les humilier. Il se peut faire aussi parfois que je donne puissance au diable sur la chair des hommes justes, pour leurs plus grandes récompenses, ou bien qu'il obscurcisse leurs consciences ; mais dans les âmes de ceux qui ont la foi et la dilection envers moi, il n'a ni domination, ni pouvoir.


Chapitre 5 Paroles d'un très grand amour adressées à l'épouse de Jésus-Christ, en la figure admirable d'un camp bien rangé, par lequel l'Église militante est désignée.

  Comment, par les prières de la bienheureuse Vierge et des saints, l'Église de Dieu est encore réédifiée.

1005   Je suis le Créateur de toutes choses. Je suis le Roi de gloire et le Seigneur des anges. Je me suis fait un noble camp où j'ai mis mes élus. Mes ennemis ont percé le fondement de ce camp, et ils ont tellement prévalu sur mes amis, qu'ils ont fait sortir la moelle de leurs pieds liés et attachés à la colonne. Leur bouche a été froissée avec des pierres, et ils ont été opprimés de faim et de soif ; et d'ailleurs, ils poursuivent leur Seigneur. Maintenant, mes amis demandent secours avec gémissement; la justice crie vengeance, et la miséricorde néanmoins veut le pardon.

  Alors Dieu même dit à l'armée céleste qui est debout devant lui : Que vous semble-t-il de ceux-ci, qui ont envahi et occupé mon camp ? L'armée céleste répondit unanimement : Seigneur, en vous est toute justice, et en vous nous voyons toutes choses. Vous êtes Fils de Dieu, sans principe et sans fin ; tout jugement vous est donné ; vous êtes leur juge. Et Notre-Seigneur leur dit : Bien que vous sachiez et voyiez tout en moi, néanmoins, pour l'amour de cette épouse (sainte Brigitte), prononcez un juste jugement. Et eux répondirent : Telle est la justice et l'équité : que ceux qui ont percé la muraille soient punis comme des larrons ; que ceux qui persistent en leur malice, soient châtiés comme ceux qui entrent par assaut ; que les captifs soient affranchis et les faméliques rassasiés.

  Alors la Mère de Dieu, la Sainte Vierge Marie, s'étant tue au commencement, parla en ces termes : Mon Seigneur et mon très cher Fils, vous avez été en mon ventre vrai Dieu et vrai homme; vous m'avez sanctifiée par votre bonté, moi qui n'étais qu'un vase de terre. Je vous en prie, ayez pitié d'eux encore une fois.

  Alors Notre-Seigneur répondit à sa Mère : Bénie soit la parole de votre bouche ! Elle s'est élevée vers Dieu comme une odeur très aromatique. Vous êtes la gloire et la Reine des anges et des saints, attendu que vous avez en quelque sorte consolé la divinité et réjoui tous les saints. Et parce que votre volonté a été, dès le commencement de votre jeunesse, unie à la mienne, je ferai encore une fois ce que vous voulez. Et il dit à l'armée céleste : D'autant que vous avez généreusement combattu, je serai encore apaisé à raison de votre charité. Voilà que je réédifierai ce mur pour l'amour de vos prières. Je sauverai et guérirai ceux qui ont été opprimés par violence; je les honorerai au centuple au-delà des calomnies qu'ils ont souffertes. Mais je donnerai paix et miséricorde à ceux qui se feront violence et qui me demanderont miséricorde ; et ceux qui la mépriseront sentiront et éprouveront ma justice.

  Il dit ensuite à son épouse : Mon épouse, je vous ai choisie et j'ai versé mon Esprit dans le vôtre, ou bien je vous ai attirée dans le mien. Vous entendez mes paroles et celles de tous mes saints, qui, bien qu'ils voient toutes choses en moi, ont néanmoins parlé pour l'amour de vous, afin que vous compreniez mieux ; car vous, qui êtes encore en la chair, vous ne pouvez voir toutes choses en moi, comme eux, qui sont des esprits épurés et dégagés de la matière. Maintenant aussi, je vous dirai ce que ces choses signifient : le camp dont nous avons parlé ci-dessus est l'Église militante, que j'ai édifiée de mon sang et de celui de mes saints ; je l'ai liée et conjointe par mon amour et j'ai mis en elle mes élus et mes amis. La foi en est le fondement, savoir, de croire que je suis juge juste et miséricordieux.

Or, maintenant, le fondement est creusé, d'autant que tous croient en moi et publient ma miséricorde, mais presque pas un ne me publie juste juge ni ne croit que je juge justement. Car le juge serait inique, qui, ému de miséricorde, renverrait les méchants impunis, afin que les méchants oppriment de plus en plus les justes. Or, je suis juge juste et miséricordieux, de sorte que je ne laisse pas le moindre péché impuni ni le moindre bien sans récompense. Ceux qui pèchent sans crainte, qui nient que je sois juste, et troublent de la même manière mes amis qui ont troublé ceux qui sont liés au cep, sont entrés en la sainte Église par le ceux de la muraille, car mes amis n'ont point de joie ni de consolation, mais on vomit sur eux mille sorte d'opprobres, et on les tourmente comme des démoniaques. S'ils parlent de moi avec vérité, on les repousse et on les accuse de mensonge. Il y en a qui désirent grandement d'ouïr parler ou dire des choses bonnes, mais il n'y a personne qui les écoute ou qui leur parle des choses justes.

  On vomit des blasphèmes contre moi, qui suis Seigneur et Créateur : ils disent en effet : Nous ne savons pas s'il y a un Dieu ; et, s'il y en a un, ne nous en soucions point. Ils jettent par terre l'étendard de ma croix et le foulent aux pieds, disant : Pourquoi a-t-il souffert ? A quoi cela nous sert-il ? S'il veut satisfaire ici nos appétits et nos désirs, nous en sommes contents : qu'il garde son royaume et son ciel. Je veux aussi entrer dans leurs coeurs, mais ils disent : Nous aimons mieux mourir que de quitter nos volontés. Voyez, ô mon épouse ! De quelle trempe ils sont : je les ai faits, et avec une parole, je pourrais les effacer et détruire : néanmoins, regardez comme ils s'enorgueillissent contre moi.

  Or, maintenant, à raison des prières de ma Mère et de tous les saints, je suis encore si miséricordieux et si patient, que je veux leur envoyer les paroles qui sont sorties de ma bouche, et leur offrir ma miséricorde. S'ils le veulent recevoir, je serai apaisé et je les aimerai, sinon, je leur ferai ressentir ma justice, et ils seront confondus publiquement devant les anges et les hommes, et ils seront jugés de tous comme des larrons. Car comme des larrons pendus au gibet sont dévorés par les corbeaux, de même ceux-ci seront dévorés par les démons sans jamais se consommer ; et comme aussi ceux qui sont punis par le cep de bois ne trouvent aucun repos, de même ceux-ci seront en tout et partout environnés de douleur et d'amertume. Un fleuve ardent coulera en leur bouche, et leur ventre ne sera pas rempli et rassasié, mais de jour en jour ils seront en proie à de nouveaux supplices.

Or, mes amis seront sauvés, et seront consolés par les paroles qui sortent de ma bouche. Ils verront ma justice et ma miséricorde. Je les revêtirai des armés de l'amour, et les rendrai tellement forts, que les adversaires de la foi tomberont à la renverse comme de la boue ; et ils auront honte éternellement, quand ils verront ma justice, parce qu'ils ont abusé de ma patience.

Chapitre 6 Paroles de Jésus-Christ à son épouse. Comment son Esprit ne peut être avec les iniques.

  De la séparation des mauvais d'avec les bons. De la mission des bons, et de ceux qui sont armés spirituellement contre le monde.

1006   Mes ennemis sont comme des bêtes farouches qui ne peuvent jamais rassasier ni s'apaiser ; leur coeur est tellement vide de charité que la pensée de ma passion n'y entre jamais. Jamais cette parole n'est sortie une fois de l'intime de leur coeur : Seigneur, vous nous avez rachetés : Louange vous soit pour votre amère passion ! Comment mon Esprit peut-il être avec eux ? Ils n'ont aucun amour envers moi ; ils trahissent librement les autres afin d'accomplir leurs volontés ; leur coeur est plein de vile vermine, c'est-à-dire, d'affections du monde ; le diable a mis en leur bouche la fiente du péché : c'est pourquoi mes paroles ne leur plaisent point.

  Partant, je les séparerai des mes amis avec la scie tranchante ; et comme il n'y a pas de mort plus amère que celle qui est faite avec la scie, de même il n'y aura pas de supplice qu'ils n'expérimentent et n'éprouvent ; et le diable les sciera par le milieu ; et ils seront séparés de moi parce qu'ils me sont odieux ; tous ceux aussi qui sont unis avez eux, seront séparés de moi : c'est pourquoi j'envoie mes amis pour séparer de mes membres les membres du diable, car ils sont vraiment mes ennemis.

  Je les envoie donc comme mes soldats à la guerre, car celui qui afflige sa chair et s'abstient des choses illicites, est en vérité mon soldat. Ils ont pour lance les paroles que j'ai dites ; pour glaive en leur main la foi ; pour cuirasse sur leur poitrine l'amour, afin qu'en toute sorte de rencontre, ils m'aiment de même manière. Ils ont au côté le bouclier de la patience, afin de supporter toutes choses patiemment, car je les ai enserrés comme l'or dans le vase, et maintenant ils doivent sortir et marcher par ma voie. Et moi, je ne pouvais entrer, selon la justice bien ordonnée, en la gloire majestueuse avec mon humanité sans tribulation ; comment donc y entreront-ils ? Si leur Seigneur souffrait, est-ce extraordinaire qu'ils souffrent ? Si Notre-Seigneur a supporté les coups de fouets, ce n'est pas grand chose s'ils endurent les paroles. Qu'ils ne craignent pas, car je ne les laisse jamais ; car comme il est impossible au diable de toucher le coeur de Dieu et de le diviser, de même il lui est impossible de séparer de moi mes amis. Et d'autant qu'ils sont devant moi comme l'or précieux, s'ils sont éprouvés par un petit feu, je ne les abandonne pas pourtant, mais cela réussit pour une plus grande récompense.


Chapitre 7 Paroles de la glorieuse Vierge Marie à sa fille sainte Brigitte, qui lui enseignent la manière d'être vêtue.

  Quels sont les vêtements et ornements dont une vierge doit être revêtue et parée.

1007   Je suis Marie, qui ai enfanté le vrai Dieu et le vrai homme, le Fils de Dieu. Je suis la Reine des anges. Mon Fils vous aime de tout son coeur, c'est pourquoi aimez-le aussi.

Vous devez être ornée et revêtue de vêtements honnêtes ; je vous montrerai quels et comment ils doivent être ; car comme vous avez eu premièrement une chemise, puis une tunique, des souliers, un manteau, et un collier sur votre poitrine, de même maintenant, spirituellement, vous devez avoir la chemise de contrition : car comme elle est plus proche de la chair, de même la contrition et la confession est la première voie pour aller à Dieu, voie par laquelle l'âme qui se réjouissait dans le péché est purifiée, et la chair sale et sordide est revêtue. Les deux souliers sont les deux affections, savoir : la volonté de s'amender des fautes commises, et la volonté de faire le bien et de s'abstenir du mal. Votre tunique est l'espérance, avec laquelle vous aspirez à Dieu : car comme la tunique a deux manches, de même que la justice et la miséricorde se trouvent en votre espérance, afin que vous espériez en Dieu de telle sorte que vous ne négligiez pas sa justice. Et pensez tellement à sa justice et à son jugement que vous n'oubliiez sa miséricorde, car il ne se fait aucune justice sans miséricorde, ni aucune miséricorde sans justice.

Le manteau est la foi : en effet, comme le manteau couvre tout, de même l'homme, par la foi, peut comprendre et atteindre toutes choses. Ce manteau doit être parsemé des signes de l'amour de votre cher époux, savoir : comment il vous a créée, comme il vous a rachetée, comment il vous a nourrie et vous a introduite en son esprit, et vous a ouvert les yeux de l'esprit.

Le collier est la considération de la Passion, qui doit être incessamment en votre poitrine : comme mon Fils a été conspué et flagellé ; comment il a été ensanglanté ; comment, ayant tous les nerfs percés, il était debout sur la croix ; comment tout son corps trembla dans sa mort, à cause de sa douleur immense ; comment il mit son esprit entre les mains de son Père.

Que ce collier soit toujours suspendu sur votre poitrine. Que sa couronne soit sur votre tête, c'est-à-dire, aimez tant la chasteté que vous aimiez mieux endurer les coups de verges que vous salir désormais. Et de là, soyez en tout pudique et honnête ; ne pensez à rien ; ne désirez rien que votre Dieu, votre Créateur : quand vous le posséderez, vous posséderez tout ; et ainsi parée et enrichie, vous attendrez l'arrivée de votre cher Époux.

Chapitre 8: de quelle manière elle doit aimer et louer le Fils et la Mère

1008   Paroles de la Reine du ciel à sa fille bien-aimée sainte Brigitte, par lesquelles elle lui enseigne de quelle manière elle doit aimer et louer le Fils et la Mère.

  Je suis la Reine du ciel. Il faut chercher avec soin la manière dont vous me devez louer. Ayez pour certain que toute la louange de mon Fils est ma louange, et que qui l'honore m'honore. En fait, nous nous sommes réciproquement aimés avec tant de ferveur que nous avons été tous deux comme un seul coeur ; et il m'a si spécialement honorée, moi qui n'étais qu'un vase de terre, qu'il m'a exaltée par-dessus les anges. C'est donc de cette manière que vous devez me louer :

  Béni soyez-vous, ô Dieu ! Créateur de toutes choses, qui avez daigné descendre dans le sein de la Vierge Marie sans incommodité, et qui avez daigné prendre d'elle une chair humaine sans péché ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! Qui êtes venu à la Vierge sainte, qui êtes né d'elle sans péché, remplissant des tressaillements d'une joie ineffable son âme et tous ses membres !

Béni soyez-vous, ô Dieu ! Qui avez réjoui la Vierge Marie, votre Mère, après l'Ascension, lui donnant tant d'admirables consolations, et qui l'avez elle-même visitée en la consolant divinement ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! Qui avez emporté au ciel le corps et l'âme de la Vierge Marie, votre Mère, et qui l'avez honorablement placée auprès de la divinité, au-dessus de tous les anges. Faites-moi miséricorde à raison de ses prières amoureuses.

Chapitre 9 doux amour que le Fils avait envers la Vierge Mère.

1009   Paroles de la Reine du ciel à sa fille bien-aimée, qui traitent du doux amour que le Fils avait envers la Vierge Mère. Comment, d'un mariage très chaste, la Mère de Dieu fut conçue et sanctifiée dès le sein de sa mère. Comment elle a été enlevée en corps et en âme dans le ciel. Desvertus de son nom. Des anges, bons ou mauvais, députés pour l'homme.

  Je suis la Reine du ciel. Aimez mon Fils, attendu qu'il est très honnête ; et quand vous le posséderez, vous aurez toute honnêteté. Il est aussi très désirable ; et quand vous l'aurez, vous aurez tout ce qui est désirable. Aimez-le aussi, car il est très vertueux ; et quand vous l'aurez, vous aurez toutes les vertus. Je veux vous dire de combien de délices il a aimé mon corps et mon âme, combien aussi il a honoré mon nom.

  Mon Fils m'a plutôt aimée que je ne l'ai aimé, car il est mon Créateur ; il a fait et uni avec tant de chasteté le mariage de mon père et de ma mère, qu'ils ne voulaient jamais avoir affaire ensemble que pour avoir des enfants. Et lorsqu'il leur fut annoncé par l'ange qu'ils enfanteraient une Vierge d'où procéderait le salut du monde, ils eussent mieux aimé mourir que de se connaître par amour charnel. Et certes, la volupté charnelle était éteinte en eux. Néanmoins, je vous certifie qu'ils se connurent en la chair, non par concupiscence voluptueuse, mais contre toute sorte de volupté, par la charité divine, par la parole de l'ange qui l'annonçait ainsi, et par la dilection divine ; et ainsi, c'est par la charité divine que ma chair a été faite.

  Or, mon corps ayant été fait, Dieu, créant mon âme, la mit dans mon corps, et soudain mon âme et mon corps ont été sanctifiés, âme que les anges gardaient et conservaient jour et nuit dès qu'elle fut créée ; et lorsque mon âme était sanctifiée et était unie à mon corps, ma mère ressentait tant de joie qu'il serait impossible de le dire. Après avoir accompli le cours de ma vie, il éleva premièrement mon âme, qui dominait le corps, vers la Divinité, si excellemment au-dessus des autres, et puis mon corps, qu'il n'y a corps d'aucune créature qui soit si près de Dieu que le mien. Voyez combien mon Fils a aimé mon corps et mon âme.

  Mais il y en a qui sont d'un malin esprit, qui nient que j'ai été enlevée vers la Divinité en corps et en âme. Voyez aussi combien mon Fils a honoré mon nom : mon nom est MARIE, comme on le lit dans l'Évangile. Lorsque les anges entendent prononcer ce nom, ils se réjouissent en eux-mêmes, et rendent grâces à Dieu, qui leur a fait une telle grâce et une telle faveur, que, par moi et avec moi, ils voient l'humanité de mon Fils glorifiée en la Divinité. Ceux qui sont dans le purgatoire s'en réjouissent outre mesure, comme un malade gisant dans son lit, s'il entend quelque parole de soulagement et qui lui plaise, tressaille soudain d'un contentement indicible. Les bons anges aussi, entendant prononcer le nom de Marie, se rapprochent soudain des hommes justes qu'ils gardent, et de l'avancement desquels ils se réjouissent merveilleusement : car à tous les hommes sont donnés de bons anges pour leur garde, et de mauvais anges pour les éprouver, non pas de telle sorte que les anges soient séparés de Dieu, mais ils servent l'âme de telle manière qu'ils ne laissent pas Dieu. Ils sont incessamment devant lui, et néanmoins, ils enflamment et incitent l'âme à bien faire.

  Tous les diables aussi craignent le nom de Marie et le révèrent, car l'entendant prononcer, ils lâchent soudain l'âme qu'ils tenaient sous leurs griffes. Comme un oiseau de rapine qui tient une proie en ses griffes et en son bec, s'il entend quelque son lâche sa proie, et voyant qu'il n'y a rien en effet qui l'empêche, y retourne soudain, de même ces diables, ayant ouï mon nom, laissent l'âme, épouvantés, mais y reviennent comme un trait poussé vivement d'un arc bien tendu, à moins que quelque amendement ne s'ensuive. Car aussi, il n'y a pas un chrétien, si froid qu'il soit en l'amour de Dieu, à moins toutefois qu'il ne soit condamné, qui, s'il veut invoquer ce nom avec l'intention de ne vouloir jamais plus retourner à ses fautes accoutumées, ne soit délaissé par le diable ; et le diable ne reviendra jamais plus vers lui, à moins qu'il ne reprenne la volonté de pécher mortellement. Néanmoins, il lui est permis de le troubler quelquefois, pour la plus grande récompense et la plus grande gloire du chrétien ainsi éprouvé, mais non de le posséder.


Révélations de Sainte Brigitte de Suède