Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2020

Chapitre 20 Dieu a choisi dès le commencement trois états : le clergé, la noblesse et le laboureur.

2020   Dieu se plaint de trois choses qui se passent maintenant dans le monde. En quelle manière Dieu a choisi dès le commencement trois états : le clergé, la noblesse et le laboureur. De la peine préparée aux ingrats, et de la gloire gratuitement donnée aux hommes.

  On voyait une belle et grande compagnie céleste, à laquelle Notre-Seigneur parlait en ces termes : Bien que vous voyiez et sachiez en moi toutes choses, néanmoins je me plains de trois choses devant vous :

1° de ce que ces lieux si agréables sont vides au ciel, desquels les mouches inutiles sont déchues,

2° de ce que l’abîme insatiable de l’enfer, à qui les pierres, ni les arbres ne touchent, est toujours ouvert, dans lequel les âmes tombent comme la neige sur terre. Et comme la neige se résout en eau en présence des rayons du soleil, de même les âmes sont privées de toute sorte de biens, accablées et opprimées de toute sorte de maux.

3° Je me plains de ce qu’il y a si peu d’âmes qui considèrent attentivement ces places vides, d’où les anges ont prévariqué et d’où est venue la chute des âmes. C’est pourquoi je m’en plains avec raison, car j’ai élu dès le commencement trois hommes, par lesquels j’entends trois états dans le monde. En premier lieu, j’ai élu le clergé, afin qu’il publiât à tous par sa voix qu’il fallait faire ma volonté, et qu’il montrât cela même par la fidélité des oeuvres. En second lieu, j’ai choisi un défenseur, qui défendît mes amis aux dépens de sa vie, et fût disposé à répandre son sang pour l’amour de moi en tout et partout. En troisième lieu, j’ai choisi le roturier, afin qu’il labourât la terre de ses mains, et qu’il repût les corps de son labeur.


Le premier état, qui est le clergé, est maintenant lépreux et muet, car tous ceux qui recherchent l’éclat et la beauté des moeurs, et l’ornement des vertus en lui, s’en retournent mal édifiés ; ils se troublent de l’avoir vu et ont horreur de s’en approcher, à raison de la laideur et horreur de la lèpre de superbe insupportable et d’insatiable cupidité. D’abord, s’ils désirent l’ouïr, ils le trouvent muet pour chanter mes louanges, et babillard à se louer soi-même. Comment donc ouvrira-t-on alors la voie et les chemins pour s’approcher de si grandes suavités, si celui qui devrait procéder est débile ? Et si celui que devrait crier est muet, comment entendra-t-on les raisonnables et douces mélodies du ciel ?

Le deuxième état, qui est le défenseur du peuple, tremble ; son coeur est lâche et vide de vertu, n’a rien en la main, et a toujours peur de perdre l’honneur mondain. Il n’a rien en ses mains, d’autant qu’il ne fait aucune oeuvre divine, mais tout ce qu’il fait est pour le monde.

Qui défendra donc mon peuple, si celui qui en est le chef tremble d’effroi ? Le troisième est comme un âne qui abaisse la tête contre terre, et demeure sans rien faire, joignant les quatre pieds. Vraiment, ce peuple, est comme un âne, qui ne désire que les choses terrestres ; qui néglige les choses célestes et se lie aux choses périssables. Celui-là a comme quatre pieds, de qui la foi est petite, l’espérance vide, qui ne fait point de bonnes oeuvres, et dont la volonté est plongée dans le péché. De là vient qu’ils ont toujours la bouche ouverte à la gourmandise et à la cupidité. Voici, ô mes amis ! Comment est-ce qu’on peut, par telles personnes, amoindrir cet insatiable abîme, et comment le paradis pourra être rempli.

  Lors, la Sainte Vierge répondit : Béni soyez-vous, mon Fils ! Votre plainte est juste. Moi, ni vos mais n’avons point d’excuse pour défendre le genre humain, si ce n’est une parole que nous vous voulions dire, par laquelle le genre humain pourra être sauvé. Cette parole est : Miséricorde, ô Jésus-Christ, Fils de Dieu ! C’est ce que je vous demande, c’est de quoi vos amis vous supplient. Le Fils répondit : Vos paroles sont douces à mes oreilles, suaves à ma bouche, et entrent avec amour dans mon coeur. J’ai un clerc et défenseur et un paysan. Le premier m’est agréable comme une épouse, que l’époux très doux et courtois désire amoureusement de tout son coeur. La voix de celui-ci me sera comme la voix qui résonne mélodieusement dans les bois. Le deuxième sera prêt et disposé à donner sa vie pour l’amour de moi, et ne craindra point d’opprobre du monde ; j’armerai celui-là des armes du Saint-Esprit. Le troisième aura une foi si ferme qu’il parlera en ces termes : Je crois aussi fermement comme si je voyais ce que je crois. J’espère aussi toutes choses que Dieu a promises ; il aura la volonté de bien faire, de profiter au bien, et d’omettre toute sorte de maux.

Je mettrai en la bouche du clerc trois paroles :

1° il dira à celui qui a la foi, qu’il fasse par oeuvres ce qu’il croit ;

2° à celui qui espère fermement, qu’il soit établi en toute sorte de biens ;

3° à qui aime parfaitement et amoureusement, qu’il désire voir avec ferveur ce qu’il aime. Le défenseur, qui est noble, sera comme un lion fort au travail, industrieux pour découvrir les embûches et constant en la persévérance. Le troisième sera sage comme un serpent, qui demeurera sur sa queue et élèvera sa tête au ciel. Ceux-ci accompliront ma volonté et d’autres les suivront ; et bien que je n’en nomme que trois, néanmoins, j’entends plusieurs. Après il parlait à son épouse très aimée, disant : Demeurez stable et constante ; ne vous souciez point du monde ni des opprobres, car je suis votre Dieu et Seigneur, qui ai ouï et enduré toute sorte d’opprobres.


Chapitre 21 manière dont il fallut tirer Notre-Seigneur de la croix ;

2021   La glorieuse Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte de la manière dont il fallut tirer Notre-Seigneur de la croix ; de l’amertume et douceur en la passion de son Fils. Comment l’âme est désignée par la Vierge, et l’amour de Dieu et du monde, par deux jouvenceaux. Des conditions qu’une âme doit avoir comme une vierge.

  Ma fille, disait la Sainte Vierge Marie, vous devez penser à cinq choses : 1° tous les membres de mon Fils se refroidirent à la mort, et le sang se congela en eux.

2° Sa passion fut si amère, qu’étant pressé dans son coeur, et percé si immiséricordieusement, que celui qui lui donna le coup de lime ne s’arrêta que quand il eut atteint les côtes de l’autre côté.

3° Méditez et pensez en quelle manière il fût descendu de la croix.

Ces deux qui l’ôtaient et le descendaient de la croix, appliquaient trois échelles : l’une aux pieds, la deuxième au bras, la troisième au corps. Le premier monta et le tenait au milieu. Le deuxième, montant par l’autre échelle, arracha un des clous de la main ; après, ayant appliqué son échelle de l’autre part, il arracha l’autre clou de sa main, ces clous qui passaient outre la croix. Celui donc qui soutenait le corps descendait peu à peu, comme il pouvait, pendant que l’autre montait à l’échelle des pieds, et arracha les clous des pieds ; et s’approchant de la terre, un d’eux soutint le corps par la tête.
 

Or, moi, qui étais sa Mère, je le tenais par le milieu ; et ainsi nous trois, Notre-Dame, Joseph et Nicodème, le portâmes à une pierre que j’avais couverte d’un linge blanc et net, dans lequel nous enveloppâmes le corps ; mais je ne cousis point le linceul : je savais certainement qu’il ne pourrirait point dans la sépulture.

  Après, la Marie-Magdelène et les autres saintes femmes vinrent à nous voir ; même les anges y furent un nombre innombrable, faisant service à leur Créateur. Or, quelle fut alors ma tristesse ? Il n’y en a pas un qui le puisse dire, car j’étais comme une femme qui enfante, de laquelle tous les membres tremblent après l’enfantement ; laquelle, bien qu’à peine elle puisse respirer à raison de la douleur, néanmoins se réjouit intérieurement autant qu’elle peut, sachant que l’enfant qui lui est né ne se trouvera jamais en semblable misère ; de même, bien que je fusse extrêmement triste à raison de la mort de mon Fils, néanmoins, je me réjouissais, d’autant que je savais que mon Fils ne mourrait jamais plus, mais qu’il vivrait éternellement ; et de la sorte, ma tristesse était mélangée de joie. Vraiment je puis dire que mon Fils étant enseveli, deux coeurs furent dans un sépulcre. Eh quoi! ne dit-on pas que là où est votre trésor là est votre coeur ? De même mon coeur et ma pensée étaient toujours dans le sépulcre de mon Fils, mon trésor et mon coeur.

  Après, la Sainte Vierge Marie ajouta : Je vous parlerai de ceci par manière d’exemple : comment et en quelle posture il avait été mis, et en quelle manière il est maintenant posé. Représentez-vous une vierge épousée à quelqu’un, et que devant elle fussent deux jouvenceaux, l’un, desquels, appelé par la vierge, lui dit : Je vous conseille de ne vous arrêter point à celui que vous avez épousé, car il est rude en ses oeuvres, tardif en récompenses, avare en présents. Croyez donc à mes paroles, et je vous en montrerai un autre qui n’est pas rude, mais doux, et en tout, qui vous donnera soudain ce que vous désirerez, qui vous le donnera abondamment, et satisfera amoureusement à tous vos désirs.

  La vierge, ayant ouï cela, pensa soudain en elle-même et dit : Vos paroles sont douces à ouïr ; vous êtes grandement attrayant, et beau pour allécher et ravir mon coeur. Il me semble que je dois suivre votre conseil.

  Et pendant qu’elle ôtait l’anneau de son doigt pour le donner à ce jouvenceau, elle vit au-dessus un écrit contenant ces trois paroles ;

La première était : Quand vous serez arrivée à la cime de l’arbre, donnez-vous garde de prendre une branche sèche pour vous y soutenir de peur de tomber.

La deuxième : Donnez-vous garde de prendre conseil de vos ennemis.

La troisième : Ne mettez point votre coeur entre les dents des lions.

  Or, la vierge, considérant ceci, retira la main et retint l’anneau, pensant que peut-être ces trois choses lui marquaient que celui qui la désirait prendre en épouse n’était pas fidèle. Il me semble que c’est un flatteur qui est plein de haines et qui me tuera.

  Et pensant à cela, derechef elle leva les yeux et vit une autre écriture qui contenait aussi trois paroles;

La première était : Donnez à celui qui vous a donné.

La deuxième : Donnez sang pour sang.

La troisième : N’aliénez pas au possesseur ce qui lui appartient.

   

Ayant vu et considéré ces choses, elle pensa derechef en elle-même que les trois premiers mots lui enseignent comment elle doit fuir la mort, les trois suivants, comment elle peut obtenir la vie. Il est donc juste de suivre plutôt les paroles de vie.

Lors, cette vierge, se servant du sage conseil, appela à elle son serviteur, qu’elle avait auparavant épousé, et s’approchant d’elle, le cajoleur et trompeur se retira d’eux.

  Telle est l’âme de celle qui a épousé Dieu. Ces deux jouvenceaux, qui étaient devant elle, sont l’amour de Dieu et l’amour du monde, car les amis du monde s’approchaient plus près d’elle jusques à maintenant, et lui parlaient des richesses, vanités et honneurs du monde, à quoi elle eût consenti et leur eût donné l’anneau de ses affections. Mais par la grâce de mon Fils survenant en ce fait, l’âme a vu l’écriture, c’est-à-dire, elle a ouï les paroles de miséricorde dans lesquelles elle a vu trois choses : 1° qu’elle se donnât de garde que, voulant monter plus haut, et s’appuyant aux choses périssables, une chute plus grande ne l’attendit.

2° Elle entendit qu’il n’y avait rien au monde que sollicitude et douleur.

3° Elle comprit que la rétribution du diable était mauvaise.

  Après, elle vit une autre écriture pleine de consolation, qui lui disait qu’en premier lieu, elle donnât tout à Dieu, de qui elle avait tout reçu. En second lieu, qu’elle rendît service à celui qui avait répandu son sang pour elle. En troisième lieu, qu’elle n’aliénât point son âme de son Dieu, qui l’avait créée du néant et rachetée par son sang.

  Ces choses étant ouïes et considérées attentivement, les serviteurs de Dieu s’approchèrent de lui et lui agréèrent, et les serviteurs du monde s’enfuirent.

  Mais maintenant, son âme est comme une vierge qui est nouvellement sortie des bras de son époux, qui est obligée d’avoir trois choses :

1° de belles robes, de peur qu’elle ne soit méprisée des serviteurs du roi, s’ils voyaient quelque difformité en ses vêtements.

2° Elle doit être morigénée selon les volontés de son époux, de peur que, s’il se trouvait quelque chose de moins honnête aux moeurs de l’épouse, l’époux en fût déshonoré.

3° Elle doit être très pure, afin que l’époux ne trouve en elle aucune souillure qui la puisse faire répudier ou mépriser. Après, qu’elle ait des docteurs auprès du lit de son époux, de peur qu’elle ne s’écarte ou qu’elle n’erre. Mais celui qui conduit doit avoir deux qualités : 1° qu’il soit vu de celui qu’il conduit ; 2° qu’on entende ce qu’il enseigne, et la fin qu’il prétend en sa doctrine.

  Or, celui qui suit le conducteur doit avoir trois choses :

1° qu’il ne soit paresseux et lâche à suivre ; 2° qu’il ne se cache du conducteur ; 3° qu’il considère attentivement les pas de son conducteur, et qu’il le suive soigneusement. Donc, afin que cette âme parvienne au lit de son époux, il est nécessaire qu’elle soit conduite par un directeur qui la conduise heureusement à Dieu, son époux.



Chapitre 22 ce qui touche la sapience spirituelle et temporelle

2022   La glorieuse Vierge Marie enseigne à sa fille sainte Brigitte tout ce qui touche la sapience spirituelle et temporelle, quelle d’icelles on doit suivre, et en quelle manière la sapience spirituelle, après quelques labeurs, conduit l’homme aux consolations éternelles, et la temporelle à la damnation perpétuelle.

  Il est écrit, disait la vierge Marie, que celui qui veut être sage doit apprendre la sagesse de l’homme sage : d’où vient que, comme par exemple, je vous dis qu’il y avait quelqu’un qui, voulant apprendre la sagesse, vit deux maîtres devant soi, auxquels il dit : J’apprendrais franchement la sagesse, si je savais où elle me conduirait, quelle utilité j’en retirerais, et à quelle fin elle me conduirait.

  Un des maîtres lui répondit : Si vous voulez suivre ma sapience, elle vous conduira en une haute montagne ; mais par la voie, on trouve des pierres si dures sous les pieds, qu’elle en est difficile et l’ascendant inaccessible. Si vous travaillez à acquérir cette sapience, vous serez tout plein de ténèbres extérieurement, mais intérieurement vous serez tout illuminé. Si vous la gardez, assurément vous aurez ce que vous demandez. Elle tourne comme un cercle ; elle vous attirera ; voire elle vous alléchera de plus en plus par ses douces forces, jusqu’à ce que vous tressailliez de joie.

  Le second maître dit : Si vous suivez ma sapience, elle vous conduira en une vallée florissante, agréable en toute sorte de fruits ; la voie est douce et ne meurtrit point les pieds ; il y a seulement un peu de labeur au descendant. Si vous persistez en cette sagesse, vous aurez tout ce qui est éclatant extérieurement. Mais quand vous en voudrez jouir, elle s’enfuira ; vous aurez aussi ce qui dure si peu et finit soudain, et quand vous aurez lu le livre qui traite de cette, sapience, le livre et la lecture se perdront, et vous demeurerez vide et privé de tous les deux.

  Ce qu’ayant ouï, il pensait attentivement à part soi ces deux merveilles. Si je monte, mes pieds se débiliteront et mon dos s’affaissera ; et, si j’obtiens, ce qui est obscur par dehors, que me profitera-t-il ? Que si je me peine à acquérir ce qui n’a point de fin, quelle consolation en aurai-je ? L autre maître me promit aussi tout ce qui était éclatant par dehors, mais qui ne demeurerait point en moi, mais que la sapience avec la lecture se perdrait. Mais quelle utilité aurai-je en ceci, s’il n’y a point de stabilité ?

Or, tandis qu’il roulait de la sorte tout ceci en son esprit, soudain à l’improviste un homme entre deux maîtres vint, qui parla en ces termes : Bien que la montagne soit haute, difficile et inaccessible, ce semble, à monter, néanmoins, au coupeau de la montagne, il y a une nuée lumineuse, d’où vous aurez un grand réfrigère et soulagement. Que si ce qu’on vous promet est noir et obscur à l’extérieur, il se peut rompre, casser et dissiper, et aussi avoir l’or qui est caché au-dedans, et le posséder éternellement avec joie. Ces deux maîtres ont deux diverses sagesses : L’une est spirituelle et l’autre charnelle. La spirituelle consiste à laisser à Dieu sa propre volonté, à soupirer et aspirer de tous ses désirs et par de bonnes oeuvres au ciel, car en vérité, on ne peut pas appeler sagesse les paroles qui ne conviennent ni ne répondent aux oeuvres ; cette sagesse conduit à la vie vivante et bienheureuse ; mais cette sagesse est inaccessible et il est difficile d’y parvenir. Certes, il est dur, et difficile de résister à ses affections ; il est inaccessible de fouler aux pieds les plaisirs et de n’aimer point les honneurs du monde.

  Or, bien que cela soit ainsi difficile, néanmoins, à qui considère mûrement que le temps est bref, que le monde finira, et à qui affermira constamment son coeur en Dieu, la nuée apparaîtra au sommet de la montagne, c’est-à-dire, il jouira des consolations du Saint-Esprit. Enfin celui-là sera digne de consolation qui, ne cherche autre consolateur que Dieu ; car comment les élus de Dieu entreprendraient-ils des choses si dures et si difficiles, si l’Esprit de Dieu n’eût coopéré à la volonté de l’homme comme à un bon instrument ? Or, leur bonne volonté leur a attiré cet Esprit. La charité et l’amour divin qu’ils avaient envers Dieu les avaient alléchés à cet Esprit, attendu qu’ils travaillent d’une bonne volonté et affection, jusqu’à ce qu’ils fussent forts par les oeuvres. Or, ayant joui des consolations de l’Esprit et acquis soudain l’or de la divine délectation et amour, non seulement ils souffraient force contrariétés, mais en les souffrant, et considérant les excellentes récompenses qui les attendaient, ils y prenaient un grand plaisir. Cette délectation semble fort amère aux amateurs du monde et ténébreuse aux aveugles ; mais à ceux qui aiment Dieu, elle est plus lumineuse que le soleil, plus éclatante que l’or, d’autant qu’ils dissipent les ténèbres des vices, et montent à la montagne de pénitence, contemplant les nuées de consolation, lesquelles ne finissent jamais, mais commencent ici et s’augmentent toujours jusqu’à ce qu’elles soient animées à leur entière perfection. Or, la sagesse du monde conduit à la vallée de misère, qui rit et semble florissante en l’abondance des choses pleines d’aménités en honneurs, agréables en voluptés. Cette sagesse finit soudain et n’apporte aucune, autre utilité, si ce n’est une vue et une ouïe vaines.

  Partant, ma fille, cherchez la sagesse de l’homme sage, c’est-à-dire, de mon Fils, car il est la sagesse, et la source inépuisable d’où dépend toute sagesse ; il est ce cercle qui ne finit jamais. Je crie à vous comme une mère à son fils, disant : Aimez la sagesse, qui est au-dedans comme un or méprisé au dehors ; intérieurement, fervente d’amour ; extérieurement, laborieuse en travaux, fructueuse en oeuvres, bien que pesante. L’Esprit de Dieu en est le consolateur. Approchez-vous, et efforcez-vous comme un homme qui veut entrer avec la presse ; ne reculez pas, accoutumez-vous d’aller de plus en plus jusqu’à ce que vous soyez arrivé au sommet de la montagne, car il n’y a rien de si difficile qui ne soit rendu facile par la constante, raisonnable et non interrompue continuation ; il n’y a rien de si honnête au commencement de l’entreprise, qui, par l’imparfaite conformation ne soit couvert de ténèbres.

Approchez-vous donc de la sapience spirituelle : celle-ci vous conduira aux peines corporelles, au mépris du monde ; aux petites tribulations et aux consolations perpétuelles. Or, la sapience du monde est fallacieuse et pleine de pièges : elle conduit à entasser des ruches temporelles aux honneurs présents, mais enfin, elle conduit à de très grands malheurs, si on ne s’en donne soigneusement garde.



Chapitre 23 Des conditions de la vraie humilité et de ses fruits admirables.

2023   La Sainte Vierge Marie déclare son humilité à sa fille sainte Brigitte. Comme l’humilité est désignée par le manteau. Des conditions de la vraie humilité et de ses fruits admirables.

  Plusieurs s’étonnent et admirent pourquoi je parle avec vous : en vérité je le fais afin de manifester mon humilité ; car comme le coeur ne se réjouit point d’un membre pourri qu’il ne soit remis en sa première santé, de même je ne me réjouis point d’un homme pécheur quel qu’il soit, s’il ne retourne à moi de tout son coeur et avec un vrai amendement, et soudain alors je serai prête à le recevoir favorablement. Je ne m’arrête pas à considérer combien il a péché, mais avec quel amour, volonté et intention il retourne. Je suis appelée de tous Mère de miséricorde. Vraiment, ô ma fille ! La miséricorde de mon Fils m’a rendue miséricordieuse ; et moi, ayant vu ses miséricordes, j’ai été compatissante. Partant, celui -là sera misérable qui ne s’approche de la miséricorde, le pouvant faire.

  Partant donc, ô ma fille ! Venez, et cachez-vous sous mon manteau : il est contemptible au dehors, mais au-dedans, il est grandement utile, à raison de trois choses :

1° d’autant qu’il met à l’abri des vents et des tempêtes orageuses ;

2° il défend de l’inclémence du temps et de la rigueur du froid ;

3° il nous met à couvert des nuées et des pluies. Ce manteau n’est autre que mon humilité : elle semble fort contemptible aux amateurs du monde, et superstitieuse à imiter ; car qu’y a-t-il de si contemptible qu’être appelé insensé, que ne se mettre en colère quand on est offensé, et ne rendre parole pour parole ? Qu’y a-t-il de si méprisable que de laisser tout et avoir besoin de tout ? Qu’y a-t-il de si douloureux et de si cuisant parmi les mondains que de dissimuler les injures reçues, se croire, se sentir et se tenir le plus humble et le plus indigne de tous ? Telle, ô ma fille ! était mon humilité, telle ma joie, telle était ma volonté de plaire à mon Fils seulement.

  Véritablement, cette humilité profite à trois choses à tous ceux qui m’imitent :

1° Elle profite pour défendre des tempêtes et des orages, des opprobres des hommes et de leurs mépris ; car comme le vent fort et impétueux pousse l’homme à la part qu’il veut et le rend froid, de même les opprobres abattent facilement l’homme impatient et qui ne considère les événements du monde, et relâchent en lui la ferveur de l’amour. Mais quiconque aspire à mon humilité, qu’il considère comment moi, qui suis Dame de tout le monde, j’écoute tout, et qu’ainsi, il cherche ma louange et non la sienne. Qu’il considère que les paroles ne sont que vent, et que soudain, après les avoir écoutées humblement, il en aura la consolation. Car pourquoi pensez-vous que les mondains sont si impatients à souffrir les paroles et les opprobres, si ce n’est parce qu’ils recherchent plus leur louange propre que celle de Dieu, et qu’il n’y a en eux aucune humilité ? Car ils ont la bouche et l’oeil à leurs péchés.

  Partant, ma fille, revêtez-vous de cette humilité autant qu’il vous sera possible. Les femmes du monde portent des manteaux superbes au-dehors, et quelque peu vil au dedans: fuyez entièrement ces vêtements, car vous ne pourrez jamais avoir le manteau de l’humilité que premièrement l’amour du monde ne soit vil ; que vous n’ayez mûrement considéré la miséricorde divine et votre ingratitude ; que vous n’ayez pensé et examiné ce que vous avez fait, ce que vous faites, et quelle condamnation vous en mériterez le jour du jugement. Pourquoi pensez-vous que moi, Vierge et Mère de Dieu, me suis tant humiliée (d’ou j’ai mérité une si grande grâce), si ce n’est que j’ai toujours pensé et su que je n’avais rien de moi-même, et que rien de bon ne venait de moi comme de moi? C’est pour quoi je n’ai point voulu en être louée, mais je l’ai rapporté à mon Dieu, qui en est l’auteur et le Créateur.   

  Partant, ô ma fille ! fuyez-vous-en au manteau de mon humilité, et pensez que vous êtes plus pécheresse que toutes les créatures du monde; car bien que vous voyiez quelques-uns être mauvais, vous ne savez pas ce qu’ils pourront devenir demain ; vous ne savez aussi avec quelle vue et intention ils font leurs actions ; si c’est expressément ou par infirmité, Partant, ne vous préférez à aucun, et ne jugez personne en votre coeur.


Chapitre 24 La Sainte Vierge Marie exhorte sa fille, sainte Brigitte, se plaignant du petit nombre d'amis.

2024   La Sainte Vierge Marie exhorte sa fille, sainte Brigitte, se plaignant du petit nombre d'amis. De la manière dont Jésus-Christ parle à son épouse disant que, par les fleurs, sont entendues les mamelles sacrées. Comment il faut fructifier de ses paroles.

  La Sainte Vierge Marie parlait par un exemple très clair : Quiconque, disait-e11e, aurait le dos chargé d’un faix lourd et pesant, les bras affaissés, les yeux pleins de larmes, et passerait par une grande troupe, regarderait sans doute si quelqu’un d’eux compatirait avec lui, et le soulagerait du poids qui l’écrase. De même faisais-je, étant accablée d’afflictions dès le même jour de la naissance de mon Fils, jusques au jour de sa mort douloureuse. J'ai porté un grand faix sur mon dos, et demeurait instamment assidue aux peines de mon Fils et souffrais patiemment tous les mépris et adversités.

J’apportais entre mes bras un faix lourd, et supportais des douleurs et des tribulations si cuisantes, que jamais créature ait supportées. J ‘avais mes yeux pleins de larmes, lorsque je considérais sur les mains et sur les pieds de mon Fils les trous des clous, et lorsque je voyais que la passion douloureuse, qui avait été prédite par les prophètes, allait s’accomplissant en lui. Mais maintenant je regarde tous ceux qui sont dans le monde, pour voir s’il n’y en a pas un qui en ait compassion et qui considère mes douleurs, et j’en trouve bien peu qui pensent à mes tribulations et douleurs si amères qu’elles n’ont point d’égales

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  Partant, ma fille, bien que je sois en oubli, voire méprisé de plusieurs, ne m’oubliez pas; considérez mes douleurs, et imitez-les aussi fidèlement que vous pourrez. Voyez mes peines et mes larmes ; ayez-en douleur, car j’ai peu d’amis. Soyez constante. Voici que mon Fils vient, qui, dès qu’il sera venu, dira: Je suis votre Dieu et votre Seigneur qui parle à vous. Mes paroles sont comme les fleurs d’un bon arbre ; et bien que toutes les fleurs sortent d’une même racine, néanmoins, toutes les fleurs ne portent pas leur fruit.

  De même, bien que mes paroles soient comme quelques fleurs qui prennent source de la racine de l’amour divin, que plusieurs écoutent et reçoivent, néanmoins, elles n’apportent pas en tous les fruits, ou si elles les portent, ils ne viennent point à leur parfaite maturité, d’autant que quelques-uns les reçoivent et les retiennent pour quelque temps, et puis après les rejettent, d’autant qu’ils en sont ingrats et méconnaissants ; quelques-uns les reçoivent et les retiennent, attendu qu’ils sont pleins de charité, et ceux-ci font un grand fruit de dévotion et de saintes oeuvres.

  Donc, vous, ô mon épouse! qui êtes à moi par droit divin, il faut que vous ayez trois maisons: en la première, vous devez avoir ce qui est nécessaire au corps; en la deuxième, les vêtements qui couvrent le corps extérieurement; en la troisième, vous devez avoir les instruments nécessaires et utiles à la maison. En la première, vous devez avoir pain, boisson et tout ce qui est bon à manger ; en la deuxième, vêtement de laine, de lin et de soie; en la troisième, des vases pour tenir les liqueurs, et écuries pour tenir chevaux, ânes, etc. et des instruments manuels.


Chapitre 25 Jésus-Christ avertit l'épouse des provisions qu’il faut qu’elle fasse en ces trois maisons.

2025 Jésus-Christ avertit l'épouse des provisions qu’il faut qu’elle fasse en ces trois maisons. Comment, par le pain, est signifiée la bonne volonté; par la boisson la méditation divine, et par les viandés bonnes à manger, la sagesse divine. En quelle manière la sapience divine n’est pas en la lettre, mais dans le coeur et en la banne vie.

Moi-même qui vous parle, suis le Créateur de toutes choses et ne suis créé d'aucun. Devant moi, il n’y avait rien, ni après moi. Sans moi rien ne pouvait être, d’autant que je suis de toute éternité et suis toujours. Je suis le Seigneur à la puissance duquel personne ne peut résister, et duquel dépendent, toute puissance et toute domination. Je vous parle comme un homme parle à son épouse.

  Mon épouse, nous devons avoir trois maisons : en l’une, il faut avoir du pain, de la boisson, et d’autres viandes pour manger. Mais vous me pourriez demander ce que j’entends par ce pain n’est-ce pas le pain qui est à l’autel ? Oui, vraiment. Mais les paroles étant dûment prononcées : Ceci est mon corps, il n’est pas pain, mais mon corps que j’ai pris du ventre virginal de Marie, et qui a été crucifié. C’est de ce pain que j’entends que vous devez avoir en la maison. Mais le pain que nous devons amasser en la maison, est une bonne et sincère volonté.

  Le corporel, s’il est pur, fait deux biens :

1° il conforte et renforce les veines, les artères et les nerfs;

2° il chasse toute la pourriture intérieure, la fait descendre, et ainsi l’homme est purifié.

Il en est de même de la volonté pure :

1° elle conforte l’homme, car si l’homme ne veut que ce que Dieu veut, il ne se travaille point et ne se trouble point, mais il cherche l’honneur et la gloire de Dieu; il désire de tout son coeur de sortir du monde et d’être avec Dieu. Cette volonté conforte l’homme au bien, augmente l’amour de Dieu, lui cause l’horreur du monde, fortifie la patience, affermit l’espérance d’acquérir la gloire, de sorte qu’il porte et souffre joyeusement toute sorte de rencontres.

2° Une bonne volonté arrache et repousse toute pourriture.

  Quelle est la pourriture qui nuit à l’âme, si ce n’est la superbe, la cupidité et la luxure ? Car quand la pourriture de la superbe et de quelque autre vice, saisit l’esprit de l'homme, il la chasse, s’il considère en cette sorte la superbe est vaine, car il n’est pas décent que l’homme se loue de ce qu’il reçoit mais bien il est juste que celui qui le donne en soit loué. La cupidité est vaine, car tout ce qui est terrestre nous laissera le jour de la mort. La luxure n’est qu’une puanteur extrême, partant, je l’abhorre, et veux suivre la volonté de mon Dieu, dont le prix ne finira jamais, dont les biens ne vieillissent jamais.

Lors, la tentation de la superbe et cupidité se retire, et la bonne volonté demeure permanente au bien.

  La boisson que nous devons avoir en nos maisons, est la divine préméditation en tout ce que nous devons faire, car la boisson corporelle apporte deux biens: 1° elle fait une bonne digestion, car quiconque propose de faire quelque bien, s’il considère à part soi et le ballotte diligemment, voyant les tenants et aboutissants avant de l’exécuter, pour voir quel honneur en réussira pour Dieu, quelle utilité pour le prochain, quel profit pour l’âme, et il le veut faire, qui ne voit qu’en son entreprise il y a quelque utilité divine?

  Lors s'il se rencontre quelque indiscrétion. Lors cette oeuvre aura un bon progrès comme une bonne digestion. Lors, s’il se rencontre quelque indiscrétion en l’exécution de son oeuvre, il la découvre soudain. Lors, s’il trouve quelque chose injuste, il la corrige dès l’instant, et lors son oeuvre sera droite, juste, raisonnable et pleine d’édification devant les hommes car qui n’a en ses oeuvres la préméditation de Dieu, ne cherche ni l’utilité de l’âme ni l’honneur de Dieu ; et bien que son oeuvre ait quelque heureux progrès pour quelque temps, à la fin néanmoins, s il ne s’en corrige, son intention sera pour néant.

  En second lieu, la boisson éteint la soif. Quelle soif est pire que le péché des cupidités perverses et le vice de colère? Que si l‘homme préméditait quelles sont 1es utilités qui peuvent provenir de ses péchés; combien misérablement il finit; quelle récompenses on obtient, si on résiste à cette méchante et insatiable soif des vices; cette soifs soudain par la grâce divine; l’ardeur de la charité divine et des bons désires s'embrase; la joie s’éveille de ce qu’il n’a pas fait le mal qui lui était venu à l’esprit; il cherché l’occasion comme il pourra désormais se garder de ce qui l’aurait supplanté, si la méditation ne l’eut secouru, et ne l’eût rendu soigneux de s’en donner garde à l’avenir. Telle est la boisson, ô mon épouse ! Que nous devons mettre en notre revenu.

  En troisième lieu, on y doit avoir des viandes à manger, qui font deux effets :

1° elles rendent les autres choses savoureuses à la bouche, et conviennent mieux au corps que le pain seul;

2° elles font le sang meilleur que le pain et le vin seuls.

De même en fait la viande spirituelle. Or, quelle est cette viande, si ce n’est la sagesse divine ?

Car quiconque a une bonne volonté, ne voulant rien de plus, sinon ce qui est de Dieu et la divine méditation de ses mystères, ne faisant rien sans qu’il y connaisse l’avancement de l’honneur de Dieu, celui-là est grandement sage.

  Maintenant vous ne pourriez demander quelle est la divine sagesse, car plusieurs sont simples; qui ne savent que le Pater noster, et encore à grand’peine bien; d’autres grandement savants:

n’est-ce pas cela la sagesse divine? nenni, car la sagesse divine n’est pas précisément dans les lettres, mais dans le coeur et dans la bonne vie.

  Quiconque considère sérieusement la voie qui nous conduit à la mort, la qualité de la mort et le jugement d’après la mort, celui-là est sage. Quiconque se retire des vanités fallacieuses du monde, se dépouille des superfluités, se contente des nécessités, et s’adonne autant qu’il peut à l’amour de Dieu, celui-là a l’aliment de la sagesse, qui rend la bonne volonté et la préméditation plus savoureuse: car quand l’homme considère la mort, et en la mort, le dépouillement entier de toutes choses; quand il pèse attentivement les formidables et terribles jugements de Dieu; qu'il voit que rien ne lui est caché, que rien ne demeure impuni ; et quand il pense à l’instabilité, à l’inconstance, à la vicissitude du monde et de ses vanités, ne se réjouit-il pas d’avoir résigné sa volonté à la volonté de Dieu, et d’avoir fui les péchés? La chair n’est pas lors consolée, le sang renouvelé (c’est-à-dire, l’infirmité de l’âme qui n’est autre que la dissolution des moeurs, laquelle elle chasse d’elle généreusement, et lors le sang de la divine charité se renouvelle, car il considère qu’il est plus raisonnable d’aimer ce qui est éternel que ce qui est périssable.

  Donc, la divine sagesse n’est pas précisément dans les Ecritures, mais dans les bonnes oeuvres, car il y en a plusieurs qui sont sages selon le monde et selon leurs désirs, mais entièrement fous pour l’observance des commandements de Dieu, de ses volontés, et pour mortifier leurs corps; et ceux-ci ne sont pas sages, mais sont des fous aveugles, car ils savent que tout cela est caduc et périssable, utile pour un moment, et méprisent et oublient ce qui est éternel. D’autres ne sont point sages et habiles pour rechercher les plaisirs du monde, ni les honneurs, mais fort sages pour considérer ce qui est de Dieu, et sont fermes à son service: ceux-ci vraiment sont sages, car ils goûtent les commandements de Dieu et ses volontés ceux-ci sont en vérité illuminés et ont les yeux ouverts car ils considèrent toujours comment ils pourront parvenir à la vraie vie et à la vraie lumière. Les autres marchent en ténèbres, et il leur est plus agréable d’y être plongés que de rechercher la lumière par laquelle ils pourraient parvenir à la vie.

  Partant, ô mon épouse! amassons et entassons en nos greniers ces trois choses, savoir une bonne volonté, la préméditation divine et la sagesse de Dieu, car en ces trois choses, nous tous devons réjouir, bien que je vous avertisse, vous et tous mes élus, que l’âme du juste est mon épouse, car je suis le Créateur et le Rédempteur.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2020