Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4075

Chapitre 75 Paroles de l’épouse sainte Brigitte en forme de prière, qui induisent à louer hautement Dieu et la Sainte Vierge

4075 Paroles de l’épouse sainte Brigitte en forme de prière, qui induisent à louer hautement Dieu et la Sainte Vierge. Réponse de la Sainte Vierge tendant à consoler sa fille, déclarant par exemples exprès que Dieu permet souvent les mensonges du diable, afin que la vertu divine soit plus manifeste. Comment les tribulations induisent aux biens spirituels.

  Béni soyez-vous, ô mon Dieu, mon Créateur et Rédempteur ! Vous êtes cette récompense par laquelle nous sommes rachetés, par laquelle nous sommes conduits et dirigés à toutes les choses salutaires, par laquelle nous sommes unis à l’unité et à la Trinité. Partant, si j’ai honte de ma laideur et difformité, je me réjouis néanmoins que vous, qui êtes mort une fois pour notre salut, vous ne mourez plus, car vous êtes celui-là qui étiez avant les siècles, vous qui avez puissance de la vie et de la mort ; vous êtes le seul bon et juste ; vous êtes le seul tout-puissant et formidable. Partant, béni soyez-vous éternellement !

Mais que dirai-je de vous, bienheureuse Marie, le salut entier du monde ? Vous êtes semblable à l’ami dolent et affligé de quelque chose qu’il a perdue, qui lui fait voir tout soudain ce qu’il avait perdu ; par lequel la douleur était soulagée, et la joie indicible croissait, et l’esprit était tout plongé dans la joie. De même vous, ô très douce Mère, vous avez montré au monde Dieu, que les hommes avaient perdu ; vous avez engendré dans le temps celui qui était engendré de toute éternité, de la naissance duquel le ciel et la terre se sont grandement réjouis. C’est pourquoi, ô très chère Mère, aidez-moi, je vous en prie, afin que mon ennemi ne se réjouisse de moi, afin que ses fraudes, ses rudes et ses déceptions en me surprennent.

p.326

La Mère de Dieu lui répondit : Je vous aiderai. Mais pourquoi vous troublez-vous qu’une chose vous soit montrée spirituellement, et qu’un autre soit ouïe corporellement, en cela que ce chevalier qui vit corporellement, vous était montré spirituellement et qu’il avait besoin de secours spirituel. Mais ayez la certitude de ceci : toute vérité est de Dieu, et tout mensonge est du diable, car il est père du mensonge ; partant, toute vérité est de Dieu véritable ; néanmoins, de la malice du diable et du mensonge, que Dieu permet quelquefois par un juste et occulte jugement, la vertu de Dieu est plus manifeste, comme je vous le montrerai par un exemple.

Il y avait une vierge qui aimait très tendrement son époux, et semblablement l’époux aimait cette vierge, de la dilection mutuelle desquels Dieu était glorifié, et les parents des uns et des autres s’en réjouissaient grandement.

Leur ennemi, considérant cela, pensa ainsi : Je sais que l’époux et l’épouse s’entretiennent en trois manières : par lettres, par discours mutuels et par l’union des corps. Afin donc qu’ils ne reçoivent mutuellement des lettres, je remplirai les chemins d’épines et de crochets ; afin qu’ils ne s’approchent pour se parler mutuellement, j’exciterai des cris et du bruit, par lesquels ils seront distraits de leurs colloques, et afin qu’ils ne couchent ensemble, j’établirai des gardiens de telle trempe, qu’ils observeront tous les trous, afin qu’ils n’aient occasion de s’unir ensemble.

p.327

Or, l’époux, qui était plus fin que l’ennemi, oyant cela, dit à ses serviteurs : Mon ennemi me dresse des embûches en ces choses : prenez garde en tous ces lieux-là ; si vous le trouvez faire comme ci-dessus, laissez-le travailler jusqu’à ce qu’il ait dressé les lacets, et puis, sortant, vous ne le tuerez pas, mais le trompant et l’attrapant sur le fait, criez contre lui, afin que vos conserviteurs, voyant les astuces de l’ennemi, soient plus sur leurs gardes en veillant et se gardant. De même en est-il des choses spirituelles, car les lettres par lesquelles l’époux et l’épouse, c’est-à-dire, Dieu et une bonne âme, s’entretiennent, ne sont autre chose que les prières et les soupirs des bons ; car comme les lettres corporelles signifient l’affection et la volonté de celui qui les envoie, de même les prières des bons entrent dans le coeur de Dieu, et unissent l’âme à Dieu par un lien d’amour. Mais le démon empêche souvent les coeurs des hommes de demander ce qui concerne le salut de l’âme, ou ce qui est contraire aux voluptés charnelles ; il empêche encore que ceux qui prient pour les pêcheurs ne soient exaucés, et que les pécheurs ne demandent pour eux ce qui est utile à leur âme et ce qui profite pour l’éternité.

Or, que sont les mutuels colloques, par lesquels l’époux et l’épouse sont faits un même coeur et une même âme, si ce n’est la pénitence et la contrition, esquels souvent le diable fait tant de bruit qu’ils ne se peuvent entendre ? Or, quelle est sa criaillerie, sinon ses suggestions pernicieuses, pour détourner celui qui veut faire une pénitence fructueuse, disant par ses fautes ses suggestions : O âme, vous êtes grandement délicate : il vous sera dur et amer d’entreprendre des choses non accoutumées. Eh quoi ! Tous ne peuvent-ils pas être parfaits ? Il suffit que vous soyez du nombre de plusieurs ; pourquoi donc espérez-vous de plus grandes choses et y tendez-vous ? Pourquoi faites-vous ce que pas un ne fait ? Vous ne pourrez persévérer ; vous serez l’objet et le sujet des moqueries d’un chacun, si vous vous humiliez trop et vous vous soumettez de la sorte.

p.328

Or, l’âme, étant déçue par telles suggestions malheureuses, pense à part soi : Il est fâcheux, dit-elle, de laisser ce que j’ai accoutumé ; partant, je me veux confesser du passé. Il me suffit du reste de suivre la voie de plusieurs ; je ne puis pas être parfaite ; je ne suis pas assez forte. Dieu est miséricordieux ; il ne nous aurait pas rachetés par son sang, s’il nous voulait perdre. Par telles suggestions pestiférées, le diable empêcha l’âme qu’elle n’ouït et n’écoutât Dieu, non que Dieu n’oie toutes choses, mais Dieu, en oyant telles choses, ne se plaît pas en l’âme, qui consent plutôt à la tentation qu’à la raison. Qu’est-ce à dire que Dieu et l’âme sont unis uniment, si ce n’est les désirs des choses célestes, et la charité pure, de laquelle l’âme doit incessamment brûler ?

Mais cette charité est empêchée en quatre manières : 1- le diable tâche de porter l’âme à faire quelque chose contre Dieu ; et bien qu’il ne soit réputé, quand néanmoins cela plaît à l’âme, et d’autant que cette délectation semble légère, elle est négligée, et partant odieuse à Dieu. 2- Le démon suggère à l’âme de faire quelque bien pour le plaisir des hommes, et d’omettre, à raison de la crainte du monde, souvent quelques biens qu’elle pouvait faire pour l’honneur de Dieu. 3- Le diable met en l’âme l’oubli du bien qu’elle peut faire, et le dégoût, par lequel l’esprit se ralentit au bien. 4- Le démon infernal sollicite l’âme, l’inquiète et l’occupe par des songes mondains en des joies vaines, ou en des craintes dommageables et en des douleurs superflues ; par telle choses, les communications par lettres, les oraisons des justes et les colloques mutuels de l’époux et de l’épouse, sont empêchés.

p.329

Mais bien que le diable soit feint et cauteleux, Dieu néanmoins est plus sage et plus fort pour briser et rompre les lacets de Satan, afin que les lettres envoyées parviennent à l’époux. Or, les lacets sont rompus, quand Dieu nous inspire de penser aux choses bonnes, et que notre coeur désire ardemment de fuir ce qui est mauvais et de faire ce qui est agréable à Dieu. Le cri de l’ennemi capital est aussi dissipé, quand l’âme fait discrètement et sagement pénitence, ayant volonté de ne faire jamais une autre fois ce dont elle s’est confessée. Sachez aussi que le diable n’excite pas seulement ses clameurs aux ennemis de Dieu, mais encore à ses amis, comme vous pourrez l’entendre par un exemple.

p.330

Une vierge et un homme parlant ensemble, un gibet apparut devant eux, lequel l’homme vit, et non pas la vierge. Or, le propos étant fini, la vierge, levant les yeux, vit le gibet, et craignant, elle pensa à par soi : Dieu nous soit propice, dit-elle, de peur que je ne sois déçue par les lacets de l’ennemi ! Mais l’époux, voyant cette fille triste et abattue, retira soudain le gibet de devant ses yeux, et lui montra toutes les vérités. De même les hommes parfaits sont visités par les inspirations divines, par lesquelles le diable excite lors les clameurs, quand l’âme s’élève à une superbe soudaine, ou qu’elle s’abat par une crainte servile trop excessive, ou bien quand, avec dérèglement, elle condescend à souffrir le péché d’autrui, ou bien qu’elle se laisse emporter par la grande joie ou tristesse. Il en a été fait de même avec vous, car le diable suggérait à quelques-uns de vous écrire que celui-là qui vivait était mort, d’où vous avez conçu une grande douleur. Mais Dieu lui montre une mort spirituelle, de sorte que ce que les écrivains vous ont dit être faux corporellement, Dieu en vous consolant vous a montré que cela même était vrai. C’est pourquoi ce qui se dit est vrai, que les tribulations sont vraiment puissantes pour induire au bien spirituel ; car si vous n’eussiez été affligée à raison du mensonge qu’on vous a dit, vous n’eussiez pas été affligée, ni partant, une si grande vertu et beauté de l’âme ne vous eussent pas été montrées.

Partant, afin que vous entendiez la disposition, ordre et dispensation cachée de la providence divine, il vous était mis en votre âme, et Dieu comme en un gibet ; et d’autant que cette âme vous apparut comme ayant grandement besoin, d’être secourue, Dieu en toutes ses paroles garda toujours cette conclusion, savoir : S’il est mort ou vif, vous le saurez en son temps.

p.331

Mais la beauté de l’âme et les riches ornements dont elle devait être embellie à l’entrée du ciel, lui ayant été montrés, soudain le gibet fut ôté de ses yeux, la vérité lui ayant été montrée que cet homme vivait corporellement, et que spirituellement il était mort, et que celui qui doit entrer dans le ciel doit être armé de telles vertus. En vérité, néanmoins, l’intention du diable fut telle, afin qu’il éprouvât par le mensonge et vous en troublât, et afin qu’étant marrie et déboutée par la perte d’un si cher ami, il vous retirât de l’amour de Dieu. Mais après que vous avez dit : Dieu, aidez-moi, lors le voile a été ôté, et Dieu vous a montré la vérité, tant corporelle que spirituelle.

C’est pourquoi il est permis au diable de troubler les justes, afin que leur couronne s’augmente.


Chapitre 76 quels sont les amis de Dieu, et combien peu il s’en trouve en ce temps

4076   Paroles de la Sainte Vierge à sa fille, montrant quels sont les amis de Dieu, et combien peu il s’en trouve en ce temps, le montrant en tous les états, tant des laïques que des clercs ; quelle est la cause que Dieu aime les riches et la pauvreté, et comment il a élu les pauvres et non les riches ; pour quelle fin les richesses ont été concédées à l’Église.

La Mère de Dieu parle à l’épouse de Jésus-Christ : Pourquoi vous troublez-vous, ô ma fille ?

Parce que, dit-elle, je crains d’être envoyée aux endurcis de coeur.

La Mère lui dit : D’où entendez-vous qu’il y a des endurcis de Dieu ?

Je ne sais discerner, dit-elle, ni je n’ose le juger de personne, car en premier lieu, deux hommes m’ont été montrés, l’un desquels apparaissait très humble et très saint selon le jugement des hommes; l’autre large et ambitieux, l’intention et la volonté desquels néanmoins étaient différentes de l’oeuvre, et l’un et l’autre épouvantèrent grandement mon esprit.

p.332

La Mère répondit : Il est permis de juger des choses qui apparaissent ouvertement mauvaises, savoir, par un esprit de compassion et de correction ; mais quant aux choses douteuses, qui ne sont certainement évidentes de quel esprit elles ont été faites, vous n’en devez pas juger. Partant, je vous veux montrer quels sont ceux qui sont amis de Dieu : sachez donc que ceux-là sont amis de Dieu, qui, ayant reçu les dons de Dieu, sont encore timides, et rendent grâces à Dieu de ceux-là à toute heure, et ne désirent point les choses superflues, mais se contentent de ce qui leur est donné.

Mais où se trouvent telle sorte de personne ? Recherchons-les en premier lieu dans les communautés. Quelle est celle d’entre elles qui dit jamais : C’est aussi ; je ne cherche rien de plus grand ? Cherchons-les parmi les soldats et chevaliers, et autres seigneurs. Quel est celui d’entre eux qui pense ceci : Les biens que je possède, je les ai de mon héritage, et d’iceux je désire et prends ma nourriture modérée et conforme à mon état, selon qu’il est agréable à Dieu et convenable aux hommes ; le superflu, je le communiquerai et départirai à Dieu et aux pauvres ? Que si je savais que ces biens héréditaires fussent mal acquis, je les restituerais ou les laisserais, ne les pouvant restituer selon le conseil des Pères spirituels et bons serviteurs de Dieu ? O ma fille ! Une telle pensée est rare maintenant en la terre. Voyons aussi si, parmi les rois et les ducs, nous les trouverons. Quel est celui d’entre eux qui se contienne en son état? Certainement celui-là est roi, qui est réglé et composé en ses moeurs comme un Job, et humilié comme un David, en zèle de la loi comme un Phinées, en mansuétudes et patience comme un Moïse. Celui-là est aussi vrai duc, qui régit les armées du roi, et leur donne les formes et les manières de guerre, qui a sa confiance en Dieu et sa crainte comme un Josué, qui cherche plus l’utilité de son maître que la sienne propre, comme un Joab ; qui aime le zèle de la loi et les utilités du prochain, comme un Judas Macchabées. Un tel duc est semblable à la licorne qui a une corne fort aiguë au front, et sous la corne, une pierre précieuse.

p.333

Or, qu’est-ce que la corne d’un duc, si ce n’est son coeur magnanime et généreux, quand il faut batailler fortement, blesser et abattre les ennemis de la foi ? Or, la pierre précieuse qui est sous la corne du duc, est la charité divine, qui, demeurant incessamment dans son coeur, le rend à tout prompt, agile et victorieux. Mais lors les ducs sont semblables aux chevreuils lascifs, quand ils bataillent en tout pour la chair, et non pour l’âme ni pour Dieu.

Cherchons maintenant parmi les rois : quel est celui d’entre eux qui ne foule ses sujets à raison de sa superbe ? Quel est celui qui maintient son état selon les rentes de sa couronne ? Quel est celui qui restitue ce qui n’appartient point à sa couronne d’équité et de justice ? Quel est celui-là qui laisse ses occupations pour faire la justice pour l’amour de Dieu ? Plût à Dieu, ma fille, qu’au monde, on trouvât de tels rois, afin que Dieu fût glorifié !

p. 334

Cherchons maintenant si, parmi le clergé, nous en trouverons. Ils doivent aimer la continence, la pauvreté et la dévotion. Certainement, ceux-là aussi se sont retirés de la droite voie. Or, que sont les prêtres, sinon les pauvres et les aumôniers de Dieu, afin que, vivant d’aumônes et d’oblation à Dieu, ils fussent autant humbles et fervents envers Dieu qu’ils doivent être retirés des soins et sollicitudes du monde ? C’est pourquoi l’Église est sortie de la tribulation et a pris naissance de la pauvreté, afin que Dieu fût leur héritage, et afin qu’ils se glorifiassent, non au monde ni en la chair, mais en Dieu.

Mais, ma fille, Dieu n’eût-il pas pu élire les rois et les ducs en apôtres, et enrichir aussi l’Église de leur héritage ? Certainement, il l’eût pu. Mais Dieu, qui est la richesse même, est venu pauvre au monde pour nous en donner l’exemple, afin qu’il nous montrât que les choses terrestres sont passagères et périssables, et afin que l’homme s’unît à son Dieu et qu’il n’eût honte de la pauvreté, mais qu’il se hâtât, par la pauvreté, d’arriver aux richesses permanentes et éternelles. C’est pourquoi Dieu commença la très belle et éclatante disposition de l’Église, et le mit en sa place, afin qu’il vécût, non de l’héritage du monde, mais de celui de Jésus-Christ.

C’est pourquoi la naissance de l’Église fut par trois sortes de biens :

1- la ferveur de la foi ;

2- la pauvreté ;

3- les effets des vertus et des miracles.

p.335

Ces trois choses aussi furent en saint Pierre, car il eut la ferveur de la foi, quand il confessa d’une franche volonté son Dieu et n’hésita pas à mourir pour lui.

  Il eut aussi la pauvreté, quand, en voyageant, il mendiait, et se nourrissait du travail de ses mains. En vérité, il était riche dans les choses spirituelles, car ce fut bien plus de faire marcher un boiteux, ce qu’aucun des princes ne peut, que de lui donner de l’or et de l’argent. Mais quoi ! Saint Pierre n’aurait-il pas pu obtenir de Dieu de l’or, qui eût pu ressusciter un mort ? Oui, certainement ; mais il se déchargea du poids des richesses, afin qu’affranchi de tout, il entrât dans le ciel, et que, comme maître des brebis, il leur donnât exemple d’humilité, d’autant que la pauvreté corporelle ou spirituelle et l’humilité sont l’entrée du ciel.

En troisième lieu, il fut en lui l’effet des miracles, car laissant les grands et sublimes, les infirmes et malades étaient guéris par l’ombre de saint Pierre. D’autant donc qu’il avait la perfection des vertus, qui est de se contenter du nécessaire, c’est pourquoi sa langue a été faite la clef du ciel, et son nom est en bénédiction en terre et au ciel.

  Or, ceux qui ont voulu célébrer leur nom en la terre et ont aimé la fiente de la terre, sont méprisés et sont écrits au livre de la fureur de la justice d’un Dieu tout-puissant. En vérité, Dieu, voulant montrer que, ni la pauvreté de saint Pierre, ni celle des saints, n’étaient pas contraintes, mais libres, excitant l’esprit de plusieurs à leur donner et leur départir de leurs biens, mais eux se réjouissaient plus en leur extrême pauvreté que dans les épines poignantes des richesses, de sorte que, plus leur pauvreté croissait, plus leur dévotion augmentait. Et certes, ce n’est pas de merveille si ceux qui n’ont que Dieu pour leur joie, Dieu ne leur manque jamais. A ceux qui désiraient ardemment les richesses du monde, comment, je vous prie, Dieu pouvait-il leur être à goût ? Voire il n’était que comme un passant devant leurs yeux. Mais par la suite du temps, les amis de Dieu devenant plus fervents et plus déliés pour prêcher la parole divine, et afin qu'on sut que la richesse n'est point mauvaise, mais seulement l'abus qu'on en fait, partant, sous Sylvestre et autres, les biens temporels ont été donnes à l'Eglise, lesquels les hommes saints ont dispenses de longtemps pour leur seule nécessité et pour l'entretien des pauvres, amis de Dieu.

p.336

Sachez donc que tels sont les amis de Dieu, qui se contentent des dispositions divines, lesquels, bien qu'ils ne vous soient point connus, mon Fils voit fort clairement, d'autant qu'en un métal dur, souvente fois on trouve de l'or, et d'un dur caillou, on tire des scintilles de feu. Allez donc assurée, d'autant qu'il faut en premier lieu, crier, et puis faire, d'autant que mon Fils demeurant en la chair, n'a converti toute la Judée, ni les apôtres ensemble, ni la gentilité en une fois, mais il faut un plus long temps pour parfaire les oeuvres de Dieu.


Chapitre 77

4077   Ici sont les paroles de l'épouse à Jésus-Christ, qui manifestent la grande et magnifique miséricorde que Jésus-Christ a faite avec elle; et les paroles de Jésus-Christ à la même épouse, confirmant la même miséricorde en elle. En quelle manière il l'a élue un vase qui doit être rempli de vie, et par elle doit être donne à boire aux serviteurs de Dieu. De l'humble et agréable demande de l'épouse à Jésus-Christ

p.337

Honneur et gloire à Dieu Tout-Puissant pour toutes les choses qu’il a créées ! Louange lui soit pour toutes ses vertus ! Que le Ios lui en soit rendu et service pour toute la charité ! Moi (1), indigne créature, qui, dès ma jeunesse, ai beaucoup offensé la divine bonté, je vous rends grâces, ô mon doux Jésus ! Et pour cela singulièrement, d’autant qu’il n’y a créature si criminelle à qui vous refusiez votre miséricorde, qui vous la demande avec charité et vraie humilité, avec résolution de s’amender. O mon très cher Jésus et le plus clément de tous ! Ce que vous m’avez fait est admirable devant les yeux de tous, car quand il vous plaît, vous assoupissez mon corps, non pas toute fois avec un sommeil corporel, mais par une paix spirituelle. Or, vous m’excitez comme quasi du sommeil, pour voir, ouïr et sentir spirituellement. O Seigneur Dieu ! Oh ! Que douces sont vos paroles à ma bouche ! Il me semble que toutes fois et quand est que j’entends les paroles de votre Esprit, mon âme les engloutit en elle-même avec quelque sentiment ineffable de votre douceur signalée, comme une viande très douce qui semble tomber dans le coeur de mon corps avec une grande joie et une ineffable consolation. Néanmoins, cela me semble admirable que, quand j’entends vos paroles, je demeure rassasiée et affamée : je suis rassasiée, d’autant qu’alors rien ne me satisfait, si ce n’est vos paroles ; affamée, parce que mon appétit augment toujours.

Béni soyez-vous donc, ô Jésus-Christ, mon Dieu ! Donnez-moi, je vous supplie, le secours que je vous demande, afin que tous les jours de ma vie, je puisse faire ce qui vous est agréable.

  (1) Sainte Brigitte

p.338

Or, Notre-Seigneur répondit, disant : Je suis sans commencement et sans fin. Toutes choses sont créées de ma main toute-puissante, et disposées et réglées par mon inscrutable sapience ; mon jugement régit toutes choses, et rien ne met impossible. Et de fait, toutes mes oeuvres sont disposées avec charité. Et partant, ce coeur est trop dur, qui ne veut m’aimez ni me craindre, puisque je suis nourricier de toutes choses et Juge. Or, le diable, qui est mon bourreau, est traité des hommes et servi, et on accomplit ses volontés. Enfin, ce diable a donné à boire au monde un venin si pestiféré et mortifère, que l’âme qui le goûte avec délectation ne saurait vivre, mais morte à la grâce, elle tombe misérablement dans l’enfer, pour vivre d’une mort animée de misères éternelles. Ce venin est le péché, qui, bien qu’il soit goûté de plusieurs au commencement, à la fin néanmoins est horriblement amer.

  Certainement, ce venin est bu et reçu de la main du diable à toute heure avec délectation, qui engage aux malheurs : et qui a jamais ouï telles choses, ou quoi est plus admirable, voire étonnant ? La vie est présentée aux hommes, et ils choisissent misérablement la mort et embrassent volontairement les supplices éternels.

Mais moi (Jésus-Christ), qui suis puissant sur toutes choses, je compatis à leurs misères et à leurs pressantes angoisses. J’ai fait comme un roi riche et charitable qui, envoyant à ses plus familiers serviteurs le vin le plus précieux, leur dirait : Buvez et donnez-en à boire à plusieurs, car il est très salutaire : il rend la santé aux malades, aux triste la consolation, et donne un coeur généreux aux hommes sains. On n’envoie point aussi le vin sans vase. Véritablement, j’en ai fait de même en ce royaume, car j’ai envoyé à mes serviteurs mes paroles, qui sont comparées au vin le plus précieux, et eux le donneront aux autres, d’autant qu’elles sont très bonnes et salutaires. Par le vase, j’entends vous-même, qui écoutez mes paroles, car vous avez fait l’un et l’autre ; car vous avez écouté et prêché mes paroles, attendu que vous êtes mon propre vase. Je le remplirai aussi quand je le voudrai, et j’y puiserai quand il me plaira. Et partant, mon Esprit vous montrera où vous devez aller, ce que vous devez dire. Et ne craigniez personne, si ce n’est moi ; mais vous devez aller avec joie là où je voudrai, et dire sans crainte ce que je vous enverrai dire, car rien ne me peut résister, et je veux demeurer avec vous.

p.339

L’épouse parlait après : Moi, qui est entendu cette voix, je répondis en ces termes avec larmes : O Seigneur, mon Dieu, je suis en votre puissance comme un petit ver. Je vous prie de me donner licence de vous répondre.

Or, la voix répondit, disant : J’ai connu votre épouse avant que vous l’ayez conçue. En vérité, je vous donne néanmoins licence de parler.

Lors l’épouse dit : Je vous le demande, ô Roi de gloire ! vous qui versez en nous la sapience, et qui opérez en nous toutes les vertus, vous êtes la vertu même, pourquoi me voulez-vous choisir pour un tel office et charge, moi qui ai consommé mon corps en péchés, qui suis, touchant la sagesse, semblable à l’âme débile et lâche pour l’exercice de toute sorte de vertus ?

Ne vous courroucez pas, à raison de cela, contre moi, qui vous ai interrogé de la sorte, car il ne faut en rien se défier de vous, car vous pouvez faire tout ce que vous voulez de moi. Je m’étonne grandement, d’autant que je vous ai grandement offensé, et me suis amendée.

p.340

La voix répondit, disant : Certainement, je vous réponds par similitude : Si on présentait à un roi riche et puissant diverses monnaies, lesquelles le roi ferait fondre après et en ferait ce que bon lui semblerait, comme, par exemple, couronnes, anneaux, de la monnaie d’or, des vases à boire, de la monnaie d’argent, des chaudrons et des poêles, de la monnaie de cuivre et que le roi se servît de toutes ces choses pour son honneur et sa commodité ; puisque vous ne vous étonneriez pas qu’il en usât de la sorte, il ne faut donc pas que vous vous étonniez que je reçoive les coeurs de mes amis, quand ils me sont franchement offert par eux-mêmes, faisant d’eux tout ce que bon me semble ; et bien que quelques-uns aient un plus grand sens, d’autres un sens moindre, néanmoins, quand il me présentent leur coeur, lors je me sers des uns pour une chose, des autre pour une autre, de tous néanmoins pour mon honneur et pour ma gloire, car le coeur du juste est une monnaie qui me plaît grandement ; et partant, je puis disposer des choses qui sont à moi comme je veux ; et puisque vous êtes à moi, vous ne devez vous étonner des choses que je veux faire avec vous, mais soyez constante et ferme pour soutenir, et volontaire pour faire tout ce que je vous commanderai, car je suis puissant en tous lieux pour vous donner tout ce qui vous est nécessaire.

p.341

Chapitre 78

4078   Paroles qui ont été divinement révélées à l’épouse sainte Brigitte, voire déclarées et envoyées à elle par la bouche très douce de la glorieuse Vierge Marie.

  J’ai, veuve, signifié à votre honorable paternité quelque choses qui ont été révélées, quelques choses grandement prodigieuses, lorsque cette personne était en son pays, choses qui ont été examinées diligemment et approuvées par des évêques, par des prêtres séculiers et par des moines, qui tous ont dit avoir procédé d’une pensée et merveilleuse influence du Saint-Esprit, ce que le roi et la reine de ce pays-là ont aussi connu par des raisons très probables.

La même femme veuve, étant assez incommodément à la ville de Rome, un jour en l’Eglise de sainte Marie-Majeure, occupée en oraison, fut ravie en une vision spirituelle, son corps étant comme malade et appesanti, non pas toutefois qu’elle fût plongée dans le sommeil.

En cette heure-là lui apparut quelque très révérende vierge. Mais cette femme, étant troublée de l’admiration de la vision, connaissant sa fragilité, craignait la déception de Satan, c’est pourquoi elle suppliait intimement la divine piété q’elle ne permît point qu’elle tombât dans les tourments du diable. La Vierge donc qui lui apparaissait, lui dit : Ne craignez point ce que vous voyez, et oyez maintenant, pensant que cela soit du malin esprit ; car comme de l’approche du soleil deux choses nous arrivent, savoir, la lumière et la chaleur qui ne suivent jamais, mais chassent les ombres épaisses, de même quand le Saint-Esprit est en une âme, deux choses arrivent en son coeur, savoir, l’ardeur de la divine charité et la parfaite lumière de la foi catholique. Or, vous sentez ces deux choses en vous, de sorte que vous n’aimez rien tant que Dieu, et il ne vous manque pas un seul point de l’intégrité de la foi. Mais le malin esprit qui est comparé aux ombres épaisses et palpables, ne suit pas ses deux choses.

p.342

Après, la même vierge ajouta, disant à la même femme : Vous devez envoyer de ma part mes paroles à un tel prélat.

La femme lui répondit avec un grand regret au coeur, disant : O ma révérende vierge, il ne me croira pas, mais, comme je pense, il aura mes paroles à risée plutôt que de les estimer être de la divine vérité.

La Vierge répondit, disant : Quoique je connaisse fort bien la disposition de son coeur et la réponse qu’il fera, et la fin de sa vie, néanmoins vous lui devez envoyer mes paroles. Certainement, Je lui fais connaître que, du côté droit de l’Eglise, le fondement est grandement ruiné, de sorte que la voûte menace de si grandes ruines périlleuses que plusieurs y perdront leur vie. La plus grande partie des colonnes qui tendaient en haut, sont maintenant toutes courbées en bas jusqu’à terre, et tout le pavé est tellement fossoyé que les aveugles qui y entrent tombent avec grand danger ; voire même cela arrive souvent à ceux qui voient clair, à raison des fosses dudit pavé ; et pour toutes ces choses, l’Eglise de Dieu est en de grand dangers. Et que doit-il résulter de là ? Soudain on le verra, car certainement, elle souffrira une ruine totale, si on ne la répare ; et sa ruine sera si grande qu’elle sera ouï par toute la chrétienté, et ces choses doivent être entendues spirituellement.

p.343

Quand à moi, je suis cette Vierge au ventre de laquelle le Fils de Dieu a daigné venir avec la Déité et le Saint-Esprit, sans aucune mauvaise délectation corporelle. Et celui qui est Fils de Dieu éternel est né de mon ventre sans rupture, avec la Déité de l’humanité, et le Saint-Esprit avec une grande consolation et sans peine.

J’ai aussi demeuré auprès de la croix, quand lui surmontait l’enfer avec la vraie patience, et ouvrait le ciel avec le sang de son coeur. Véritablement j’étais en la montagne, quand le même Fils de Dieu, qui en vérité est mon Fils, montait au ciel. Enfin, j’ai connu clairement toute la foi catholique, laquelle il a enseignée en évangélisant tous ceux qui veulent entrer dans le ciel.

Je demeure donc au monde avec mon oraison assidue envers mon très cher Fils, comme l’arc sur les nuées du ciel, qui semble s’abaisser jusques à la terre et la toucher de ses deux bouts. Partant, j’entends moi-même ; et de fait, je m’abaisse aux habitants de l’univers, savoir, en les touchant des deux bouts de mon oraison, savoir, les bons et les mauvais. Je m’abaisse aux bons, afin qu’ils soient constants et fermés en tout ce que la Sainte Mère l’Eglise commande, et aux mauvais, afin qu’ils n’avancent en leur malice et ne se rendent pires.

Je signifie donc à ceux auxquels j’envoie mes paroles, que d’une partie de la terre sortent des nuées très horribles contre l’éclat de la beauté de l’arc, par lesquelles j’entends les hommes incontinents et les insatiables richesses, comme la mer des ruisseaux, qui donnent aussi les biens prodigalement et irraisonnablement pour la pompe mondaine et pour la vanité, comme un torrent épand son eau en son impétuosité.

p.344

Les pourvoyeurs de la sainte Mère l’Eglise exercent d’ordinaire ces trois horribles forfaits, dont les péchés abominables montent au ciel, et s’élèvent de la terre devant Dieu comme des nuées pour noircir et offusquer l’éclat signalé et la beauté nom pareille de mon arc ; et de la sorte, ceux qui devaient avec moi apaiser Dieu, provoquent misérablement sur leur tête l’ire et l’indignation d’un Dieu tout-puissant, et telle sorte de gens ne devraient pas être rehaussés et loués dans l’Eglise,mais bien être déprimés.

Que quiconque donc voudra avoir soin que les fondements de l’Eglise demeurent fermes et stables, et que le pavé demeurent plein et égal par un bon et nouvel établissement, désire ardemment de renouveler cette bienheureuse vigne que Jésus a plantée et arrosée de son sang. Que s’il se croit pour cela insuffisant et incapable, moi, Reine du ciel, avec toutes les troupes des anges, viendrai à son aide et secours, arrachant les racines fabuleuses, coupant les arbres infructueux pour les brûler, et plantant en leur lieux des arbres fructueux. Par la vigne, j’entends notre Mère la sainte Eglise, en laquelle il faudrait renouveler dans les coeurs de ses enfants l’humilité et la charité.

Cette vierge glorieuse qui apparut à cette femme, a commandé de vous envoyer ceci par écrit, d’où votre révérende paternité pourra connaître que moi, qui envoie la présente lettre, jure par le vrai Jésus et le Dieu tout-puissant, et par sa très digne Mère Marie, voulant qu’ils m’aident de la sorte au corps et à l’âme, comme je n’ai envoyé cette lettre pour quelque honneur du monde, pour quelque cupidité, ou pour quelque faveur mondaine. Mais entre autres choses qui ont été dites à la même femme en cette révélation spirituelle, toutes les choses qui sont écrites en ce papier, on m’a commandé de les envoyer à votre dignité.

p 345


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4075