Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4079

Chapitre 79 poème notable dans lequel sont contenus plusieurs bons avis

4079   Ici est un poème notable dans lequel sont contenus plusieurs bons avis qui ont été révélés à la même épouse sainte Brigitte, sur une information qui est contenue dans le chapitre précédent.

  Louange, honneur et gloire soient à Dieu tout-puissant pour toutes ses oeuvres admirables ! Que soit aussi honneur éternel à celui qui a commencé de vous donner la grâce ! Nous voyons que, quand la surface de la terre est couverte de neige et de froid, il est certain que les semences qui ont été semées ne peuvent germer qu’en quelques lieux où le soleil darde ses rayons et les échauffe, lesquels lieux aussi, par le bienfait du même soleil, naissent les feuilles et les herbes, et on voit éclore des fleurs, lesquelles on peut voir et connaître de quelle espèce et de quelle vertu elles sont. En vérité, tout le monde me semble être saisi et couvert du froid de la superbe insupportable, de la cupidité insatiable et de la brutale volupté. Hélas ! Qu’il y en a peu dont on puisse connaître, par leurs paroles et oeuvres que la parfaite charité de Dieu demeure dans leurs coeurs ! D’où il faut savoir que, comme les amis de Lazare se sont réjouis de le voir ressuscité pour la gloire de Dieu, de même maintenant les amis de Dieu peuvent se réjouir de voir ressusciter quelques-uns de ces trois vices, qui sont vraiment une mort éternelle.

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D’ailleurs, il faut remarquer que, comme le Lazare, étant ressuscité, après sa résurrection, en acquit une double haine (car il avait quelques ennemis corporels, qui étaient aussi ennemis de Dieu, et ceux-là haïssaient corporellement le Lazare, il avait aussi quelques ennemis spirituels, savoir, les démons, qui ne désirent jamais être amis de Dieu, et ceux-là le haïssaient spirituellement ), de même maintenant, quiconque ressusciterait des vices et péchés mortels, voulant garder la chasteté, fuir l’orgueil et les ambitions, tombé en la double haine du diable et des hommes, car les hommes qui sont ennemis de Dieu, leur désirent nuire corporellement. Et le diable désire aussi les damner par deux manières : il s’efforce de leur nuire spirituellement, car en premier lieu, les hommes du monde les blâment et les vitupèrent par des paroles médisantes et venimeuses ; en second lieu, ils les molestent, les fâchent et les inquiètent en leurs oeuvres, afin qu’ils les rendent semblables à eux, tant en leur vie qu’en leurs oeuvres, les arrachant des bonnes entreprises et résolutions. Mais l’homme de Dieu nouvellement converti à la vie spirituelle, peut fort bien vaincre telle sorte de gens malins, si, contre leurs paroles vaines, il s’arme de patience, et si lors, en leur présence, il s’exerce ès oeuvres spirituelles et divines avec plus de ferveur et d’assiduité.

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Les démons infernaux s’efforcent aussi de les décevoir par deux autres différentes manières : ils désirent impatiemment de faire rechuter l’homme qui est converti de nouveau. Que s’ils ne peuvent, lors la malice des démons, qui n’aura jamais d’égale, le sollicité encore et le tente, afin qu’il fasse ses oeuvres spirituelles irraisonnablement et sans discrétion, savoir est, en veilles excessives, en abstinences indiscrètes, afin que, de la sorte, ses forces soient bientôt épuisées, et qu’il soit infirme pour le reste du temps à faire les oeuvres spirituelles.

Contre le premier il y a un très bon remède, savoir, la fréquente et pure confession de ses péchés et une grande et intime contrition. Contre le deuxième, le meilleur remède est l’humilité basse et profonde, qui le porte à plutôt obéir et à se soumettre à quelque personne ancienne, spirituelle, que se gouverner soi-même ès choses spirituelles et ès pénitences qu’il fait. En vérité, cette médecine est grandement utile, de sorte que, bien que celui qui la conseillerait fût plus indigne que celui qui se conseille, il faudrait néanmoins espérer certainement que la divine Sapience coopérera, par son secours, à ce que celui qui donne le conseille ne se trompe, mais lui conseille tout ce qui est utile. Tous deux ont la volonté de chercher en tout l’honneur et la gloire de Dieu.

Or, maintenant, ô mon bien-aimé ! d’autant que tous deux nous sommes sortis des péchés, prions Dieu tout-puissant qu’il nous donne son aide et son secours, à moi en disant, et à vous en obéissant

  Et nous devons d’autant plus prier et remercier Dieu de ce qu’il a permis que vous, qui êtes riche, sage et noble, ayez daigné prendre conseil de moi, indigne, inconnue et peu intelligente. Et de fait, j’espère que Dieu regardera bénignement votre humilité et vous donnera la grâce de faire tout ce qui sera utile, et dont je vous écris pour son honneur et gloire.

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Chapitre 80 Instruction révélée à son épouse grandement discrète. Elle est fort utile pour un prêtre

4080   Instruction révélée à son épouse grandement discrète. Elle est fort utile pour un prêtre, contenant la manière de bien vivre, tant spirituellement que corporellement.

  En premier lieu, je vous conseille de demeurer en votre logis, auprès de votre Eglise de Sainte-Marie, Vierge ; d’avoir seulement un seul serviteur ; de rendre à vos créditeurs tout ce qui sera superflu, les dépenses nécessaires en étant déduites, satisfaisant entièrement à vos dettes ; car il n’est pas raisonnable ni licite de donner beaucoup d’argent aux pauvres, moins aux amis qui sont riches et parents, qu’on n’ait entièrement payé et baillé tout ce qui sera par-dessus la dépense de vous et votre serviteur ; et ayant payé, vous pourrez donner le superflu aux pauvres, à l’honneur et à la gloire de Dieu. Ayez votre habit de prêtre honnête et édificatif, étant diligemment attentif, et prenant soigneusement garde quand la qualité de l’étoffe ni en la forme de l’habit, il n’y ait quelque pompe ou vanité, mais qu’on y remarque la seule et honnête nécessité, utilité et décence corporelle. Soyez content de deux vêtements égaux, un pour les jours de fête, l’autre pour les jours ordinaires. N’ayez que deux paires de chausses ou chaussures et souliers ; tout ce qui sera par-dessus, changez-le en autre usages ou à payer des dettes. Laissez les vêtements de linge, tant la nuit que le jour, pour toute cette année.

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Ayez votre Eglise de Sainte-Marie toute cette année pour église claustrale, pour trois choses : 1° afin que, si vous y êtes jamais entré, enflé de superbe, vous y demeuriez à l’avenir en l’honneur de la Vierge Marie, très-humble, et ce, par la vertu de l’obéissance. Et si, par aventure, vous avez retiré les chanoines et bénéficiés de cette église du service de Dieu par vos paroles déshonnêtes, et les avez alléchés à la concupiscence mauvaise, efforcez-vous maintenant, par le secours de Dieu, par les paroles spirituelles et divines, de retirer quelqu’un des concupiscences pernicieuses, aux délectations du divin amour. Et si peut-être, par vos mauvaises moeurs, vous avez donné mauvais exemple à quelqu’un, tâchez maintenant, en aimant, par vos bonnes oeuvres et honnêtes moeurs, de donner à ces âmes, qui ont vu votre désordre, un bon et profitable exemple.

Après, ô mon ami bien-aimé ! vous devez ranger le temps du jour et de la nuit pour la louange de Dieu, car j’ai prit garde que vous clochez souvent à des heures ordonnées. Et partant, je vous conseille, soudain que vous les ouïrez la nuit, de sortir du lit, et avec cinq génuflexions, autant de Pater noster et Ave Maria, de vous souvenir des cinq plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et des douleurs de sa très digne Mère.

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Après cela, commencez matines de la Sainte Vierge, et dites les autres prières que vous avez accoutumées, jusqu’à ce que les chanoines viennent au choeur pour psalmodier. Il est meilleur que vous veniez à l’Eglise avec les premiers qu’avec les derniers. Vous devez donc chanter matines dévotement et honnêtement, demeurant tantôt debout, tantôt assis, comme il sera plus décent. Mais vous ne devez parler à pas un, si ce n’est qu’on vous interroge, et lors même, vous devez répondre avec peu de paroles, non hautes, sans donner aucun signe qu’elles vous fâchent et qu’elles vous impatientent, si faire se peut, car vous vous comporteriez fort modestement et honnêtement, si vous étiez devant quelque grand seigneur temporel et terrestre ; c’est pourquoi vous vous devez mieux comporter avec toute sorte d’honnêteté, modestie, humilité et révérence intérieure et extérieure, en la présence et au service du Roi éternel des cieux, qui est toujours et en tous lieux présent et voyant tout. Et si, par aventure, vous êtes contraint, par nécessité et pour de grandes choses qui touchent à un autre, de parler emmi vos heures, sortez du choeur, et dites-en ce qui vous en semble en peu de paroles, sans crier ni parler trop haut, retournant sans délai à votre choeur ; et si vous pouvez le différer, différez-le en autre temps, afin que le culte divin ou l’honneur de Dieu ne soit diminué ou empêché.

Donnez-vous garde aussi de n’aller par l’Eglise, en vous y promenant quand on chante les heures, car cela marque un esprit vague, inconstant, tiède, de peu d’amour et de dévotion. Or, priez Dieu entre les intervalles des heures ; priez, ou lisez des choses utiles à votre âme et profitables à celle d’autrui, gardant et observant ceci incessamment, que de l’heure que vous vous levez de votre lit pour aller à matines, vous ne vous employiez et plongiez librement dans les affaires, si ce n’est à votre chant, lecture oraison ou étude, jusques à ce que la grande messe soit dite, si ce n’est qu’en votre chapitre, il fallût traiter entre vous de quelques affaires concernant les affaires de l’Eglise, ou pour établir un meilleur ordre ou état entre vous : La grande messe étant célébrée, il est convenable de parler des utilités corporelles, des commodités et des honnêtes et vertueuses complexions.

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Or, quand vous vous mettez à table, que les bénédictions de table soient lues, et soit que vous soyez hôte d’un autre, soit que vous soyez logé chez autrui, commencez, en mangeant par parler de Dieu, ou bien de sa très digne Mère, ou bien de quelque saint, pour l’édification et utilité des conviés, voire des serviteurs de table, ou moins quelque peu, ou bien interrogez les autres sur Dieu, sur sa Mère ou sur quelque saint. Et lorsque vous serez seul à table avec le serviteur, faites-en de même, et ayez la lecture que les frères ont en leur monastère. Mais ayant pris votre réfection, ayant rendu grâces à Dieu et à vos bienfaiteurs ; parlez de vos affaires avec quelques personnes honnêtes telles qu’il vous plaira l’espace d’une heure, et après, entrez soudain en votre cabinet, et ayant fléchi les genoux cinq fois, dites cinq fois le Pater et autant de fois l’Ave Maria, pour l’amour des plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour les douleurs de la Sainte Vierge Marie.

Cela étant fait, employez la moitié du temps, jusque à vêpres, à l’étude, à lire et à vous reposer un peu, si ce n’est que vous fussiez employé à quelque affaire qui touchât vos amis. L’autre moitié du temps, vous l’emploierez pour récréer le corps, afin que vous soyez plus fort aux louanges divines.

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Quand on sonnera les vêpres, allez et entrez soudain dans l’église pour chanter dans le choeur, et comportez-vous-y en même manière que nous avons dite ci-dessus. Et ayant dit complies, dites tous les jours pour les morts les vigiles à trois leçons, et ce, avant souper. Mais ayant soupé, exercez-vous comme nous avons dit au dîner ; après avoir dit grâces, allez vous promener, disant des paroles utiles et de consolation jusqu'à votre coucher.

Lors aussi, avant de vous mettre au lit, mettez-vous devant le lit, et là, dites dévotement cinq fois le Pater et l’Ave Maria pour l’amour de la passion de Jésus-Christ, et après, entrez en votre lit et donnez à votre corps tout autant de sommeil et de repos qu’il en faut pour qu’il ne vous faille dormir, à raison de la brièveté du sommeil, quand il faut veiller et chanter.

Tous les vendredis, dites les sept psaumes avec les litanies, et donnez aussi en ces jours cinq deniers à cinq pauvres, pour la révérence des cinq plaies de Notre-Seigneur. Partant, ô mon frère et ami très cher ! je vous conseille de garder la souscrite abstinence toute cette année-ci, en satisfaction de vos péchés. 1° Jeûnez tout le carême, ne faisant qu’une réfection de poisson, et le semblable en l’avent, toutes les vigiles de Notre-Dame au pain et à l’eau, et en poisson les vigiles des apôtres. Tous les mercredis, mangez du fromage, des oeufs et du poisson ; tous les vendredis, en pain et vin seulement, et s’il vous agrée plus avec de l’eau seule et du pain, je vous le conseille ; tous les samedis en poisson et huile et un repas seulement. Mais les dimanches, lundis, mardis et jeudis, vous mangerez de la viande deux fois par jour, pourvu que l’Eglise ne vous commande de jeûner.

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Remarquez, ô mon frère bien-aimé ! que je vous ai voulu écrire et conseiller ces choses pour trois raisons :

1° afin que l’envie de Satan et son astuce ne vous attirassent à ce que soudain vous vous consommiez, et que vos sens et vos forces étant bientôt épuisées, défaillant, vous serviez Dieu tout le reste de votre vie moins qu’il ne faut.

En second lieu, que si les mondains remarquent en vous, en vos sens et vos forces, quelque défaut, ou voient que vous vous rendiez lâche en vos entreprises et résolutions, ils vous auront à horreur, et craindront de s’occuper des oeuvres divines.

En troisième lieu, d’autant que j’espère qu’en vous assujettissant plutôt au conseil d’autrui qu’au vôtre, et ne vous gouvernant par votre jugement, vous plairez plus à Dieu.


Chapitre 81 Quelles sont les larmes méritoires, et quelles non

4081   Réponse de la Sainte Vierge à l’épouse touchant trois hommes, pour lesquels l’épouse intercédait auprès de Dieu. Quelles sont les larmes méritoires, et quelles non. Manière dont l’amour de Dieu s’augmente par la méditation de l’humilité de Jésus-Christ. Comment la crainte non filiale ici commençant est bonne.

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Cet homme-là est comme un sac plein d’arêtes, duquel, si on en ôtait une, dix y seraient remises. Oui, vraiment, tel est celui pour lequel vous me priez, dit la Sainte Vierge Marie, attendu qu’il laisse un péché pour la crainte de Dieu, et en commet dix pour l’honneur du monde. Quand à l’autre homme pour lequel vous me priez, je vous dis que la coutume n’est pas de donner de bonnes sauces à chair pourrie et puante. Vous demandez que des tribulations lui soient données pour l’utilité de son âme, mais sa volonté est contraire à votre demande, car il désire ardemment les honneurs du monde, et souhaite plus les richesses périssables que la pauvreté, et son coeur est confit en volupté, à raison de quoi son âmes est pourrie et puante devant moi ; et partant, les sauces précieuses, c’est-à-dire, les tribulations de la justice, ne doivent pas lui être appliquées.

Quant au troisième, dans les yeux duquel vous voyez flotter les larmes, je vous dis que vous voyez le corps, et moi je sonde le coeur ; car comme vous voyez que quelquefois une nuée ténébreuse s’élève de la terre et monte jusques au ciel, obscurcissant le soleil, et que cette nuée produit la pluie, la neige largement, et la grêle, et après, la nuée se dissipe et se perd, d’autant qu’elle avait pris connaissance des immondices de la terre, de même tout homme est comparé à cette nuée, quand il se nourrit dans le péché et se plonge dans les infâmes et abominables voluptés jusques à sa vieillesse. Mais la vieillesse arrivant, il commence à craindre la mort, et pense au danger qui le menace ; mais néanmoins, le péché demeure par délectation dans son esprit.

Donc, comme ces nuées tirent les immondices de la terre jusques au ciel, de même la conscience de cet homme se tire des immondices corrompues et puantes du corps et des péchés abominables, et elle donne trois sortes de larmes. Les premières larmes sont comparées aux eaux, qui sont pour les choses charnellement, qui l’aime comme par exemple, il pleure quand il perd ses amis, ou les biens temporels, qui ne servaient point pour son salut ; lors il se dépite et se chagrine contre l’ordre des dispositions divines, et lors il jette de grands ruisseaux de larmes, avec une grande indiscrétion.

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Les secondes larmes sont comparées à la neige, car quand l’homme commence à penser aux périls de son corps qui s’approchent, les peines de la mort affreuse et les misères incomparables De l’enfer, lors il commence à pleurer, non d’amour et de charité, mais de crainte et d’effroi. Et partant, comme la neige se fond, de même ses larmes cessent soudain.

La troisième sorte de larmes est comparée aux nuées, car quand l’homme pense combien douce lui est et lui était la volupté charnelle, et que, l’ayant eue à horreur, combien de consolation lui en resterait au ciel, il commence à débonder les larmes, se lamentant sur sa perte et sa damnation, ne se souciant de pleurer d’avoir déshonoré Dieu par ses détestables abominations ; ni ne considérait pas qu’il perdait une âme qu’il avait rachetée par son précieux sang, ne se souciant si elle verra et possédera Dieu ou non après la mort, ne considérant ni ne désirant que d’avoir une demeure au ciel ou en terre, où il ne sentirait aucune peine, mais où elle jouirait d’une volupté éternelle. C’est pourquoi telle larmes sont fort à propos comparées aux nuées, d’autant que le coeur d’un tel homme est trop dur, et n’a aucun sentiment ni mouvement d’amour envers Dieu. Partant, telles larmes ne le portent pas au ciel.

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Mais maintenant, je vous veux montrer les larmes qui ravissent l’âme au ciel et qui sont semblables à la rosée, car quelquefois, quelque vapeur sort de la douceur de la terre et monte au ciel sous le soleil, laquelle, étant dissoute par les rayons du soleil, descend derechef en terre, et rend plantureux tous les fruits de la terre, et cela est appelé par vous rosée, comme il paraît aux feuilles des roses, lesquelles, opposées à la chaleur, donnent de l’humidité, et puis, l’humeur descend. De même en est-il de l’homme spirituel. En vérité, tous ceux qui considèrent la terre bénie, qui est le corps de Notre-Seigneur, et les paroles que Jésus-Christ, Fils de l’Eternel, prononçait de sa bouche propre, quelles grâces il a faites au monde, et quelle peine dure et amère il a soufferte, mû à cela par les ardeurs des divines amours dont il brûlait pour les âmes, lors l’amour qu’il a envers Dieu monte au cerveau, qui est comparé au ciel ; son coeur aussi, qui est comparé au soleil, se remplit des divines amours ; ses yeux s’abîment dans les larmes, pleurant d’avoir offensé un Dieu infiniment bon, qui n’aura jamais d’égal en clémence, désirant maintenant plutôt d’endurer toute sorte de supplices pour l’honneur de Dieu, que de jouir de tous les autres plaisirs et être séparer de Dieu. C’est pourquoi ces bonnes larmes sont comparées à la rosée qui tombe des cieux, d’autant qu’elles donnent la vertu de faire des bonnes oeuvres fructueuses devant Dieu, et que, comme les fleurs écloses et croissantes attirent à elles la rosée qui tombe, et que la rosée est enclose en la fleur, de même les larmes

Qui sont épanchées par les feux de la divine charité, enferment Dieu en l’âme d’une manière du tout signalée, et Dieu, d’un pouvoir amoureux, attire et ravit l’âme à soi : néanmoins, il est bon de craindre à raison de deux choses : 1° d’autant que l’abondance des oeuvres faites avec crainte peut être si grande en quantité qu’elles attirent après quelque scintille de grâce au coeur pour obtenir la charité. Vous le pourrez comprendre par similitude.

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Par exemple : il y avait un orfèvre qui mettait quantité d’or sur les balances, auquel le charbonnier vint, lui disant : Monsieur, j’ai du charbon pour l’usage de vos oeuvres ; donnez-moi ce qu’il vaut.

Il lui répondit : Le charbon est taxé en sa valeur.

Et lui ayant donné de l’or pour son paiement, l’orfèvre disposa les charbons selon la règle de son art, et l’or pour son entretien.

De même en est-il des choses spirituelles, car les oeuvres faites sans charité sont semblables aux charbons, et la charité à l’or. Partant, celui qui fait ses bonnes oeuvres, par l’esprit de crainte, ayant néanmoins le désir d’acquérir le salut de son âme avec ses oeuvres, cet homme-ci, bien qu’il ne souhaite voir Dieu au ciel, mais craint seulement de loger en enfer, a néanmoins de bonne oeuvres, mais froides, et qui apparaissent devant Dieu comme des charbons. Mais Dieu est comparé à un orfèvre, qui sait en la justice spirituelle par quelles manières il faut récompenser les oeuvres, ou par quelle justice divine la charité divine est acquise ; Il l’ordonne ainsi de la sorte dans les arrêts et décrets de sa providence divine, que l’homme ait la charité pour les bonnes oeuvres faites avec crainte, laquelle l’homme dispose pour le salut de son âme.

Comme donc l’orfèvre, plein d’amour et de charité, se sert de charbons pour son ouvrage, de même Notre-Seigneur Jésus-Christ use des oeuvres froides pour son honneur et sa gloire.

Le deuxième : il est bon de craindre, d’autant que tout autant de péchés que l’homme laisse pour la crainte, il sera délivré et affranchi d'autant de peines du péché dans l'enfer ; néanmoins, d'autant qu'il n'a pas eu de la charité, il n'a pas aussi de la justice pour monter au ciel, car sa volonté est telle que, s'il pouvait, il voudrait vivre éternellement en ce monde.

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Hélas, au coeur de celui-la la charité n'y est point, et les faits de Notre-Seigneur et Rédempteur sont quasi aveugles devant lui; partant, il pèche mortellement et sera jugé et condamné à l'enfer. Néanmoins, n'est pas tenu de brûler dans l'enfer, mais d'être assis et plongés dans les ténèbres épaisses, celui qui a cessé de pécher à raison des peines et supplices, mais il ne ressentira pas les joies indicibles du ciel, d'autant qu'il ne les a pas désirées pendant le cours de sa vie; c'est pourquoi il sera assis comme un aveugle et muet comme un homme qui n'a ni pieds ni jambes, car son âme comprend les peines de l'enfer, et bien peu les joies indicibles du ciel.

  DECLARATION

Cette déclaration est de trois chevaliers: le premier fut de Scania, duquel a été faite une telle révélation. Sainte Brigitte vit cette âme comme revêtue d'écarlate deux fois teinte, mais parsemée un peu de noir comme de petites gouttes; et l'ayant vue soudain, elle sortit de sa présence. Trois jours après, elle vit la même âme toute rouge mais reluisante en pierreries et perles enlacées en or. Tandis qu'elle admirait cela, l"Esprit de Dieu lui dit : Cette âme a été occupée aux soins du monde; mais ayant une vraie foi, elle est venue gagner les indulgences à Rome, à intention d'obtenir la charité, la divine dilection et la volonté ferme de ne pécher à l'avenir à escient.

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L'âme que vous avez vue revêtue d'écarlate, signifie qu'avant la mort du corps, elle a obtenu la divine dilection, bien qu'imparfaite. Quant à ce que vous l'avez vue parsemée de gouttes noires, cela signifie qu'elle avait quelques mouvements et ressentiments d'amour charnel envers ses parents, et de retourner en son pays; néanmoins elle résigna sa volonté a la mienne, c'est pourquoi elle a mérité d'être purifiée et d'être disposée à des choses sublimes. Quant à ce que vous l'avez vue entre les pierres éclatantes en couleur rouge, cela signifie que pour la bonne volonté et par l'effet des indulgences, il s'approchait de la couronne tant désirée.

  Voyez donc ma fille, et considérez quels biens apportent les indulgences de cette ville aux hommes qui viennent ici avec l'intention sainte de les gagner; car si on donnait à quelqu'un mille milliers d'années, comme elle sont données à raison de la foi et dévotion de ceux qui y viennent, la proportion et le poids ne seraient pas encore digne d'obtenir la divine charité sans la grâce divine, laquelle charité est vraiment donnée et méritée à raison de ces indulgences que mes saints ont méritées par leur sang.

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Le Fils de Dieu parle en la même révélation de deux chevaliers qui ont été de Mallande. Que vous a dit ce babillard plein de vanité, ce souffle du vent ? N'est-ce pas que plusieurs doutent de mon suaire, s'il est vrai ou non? Mettez-lui constamment quatre choses que je vous dis :

1° que plusieurs thésaurisent et ne savent pour qui;

2° que celui qui n'expédie et n'exploite le talent que Dieu lui a commis avec joie et plaisir, et le retient au contraire inutilement, tombe dans les jugements effroyables de Dieu Tout-Puissant ;

3° que celui qui aime plus la terre et le sang que Dieu, ne sera point en la compagnie de ceux qui ont faim et soif de la justice;

4° que celui qui n'exauce point ceux qui crient à lui, criera lui-même et ne sera point exaucé.

Quant à mon suaire, qu'il sache que, comme la sueur de mon sang coula de mon corps, lorsque je m'approchais de ma passion très amère et quand je priais mon Père, de même cette sueur coula de ma face, pour la grandeur et qualité de celui qui priait pour la consolation de la postérité.

  Le troisième chevalier fut de Suède, duquel telle révélation a été faite. Le Fils de Dieu parle: Il est écrit que l'homme est sauve par la femme fidèle: de même la femme de ce soldat s'est avancée et a conçu promptement pour délivrer son mari de la gueule de Satan, car d'une main, elle l'a arrache des mains du diable, savoir, avec des larmes, oraisons et oeuvres de charité. De l'autre main, elle l'a affranchi de la captivité du dragon infernal, par ses salutaires avertissements, par son exemple et sa doctrine, de sorte qu'il s'approche de la voie du salut.

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Partant, il faut considérer trois choses qui sont écrites en la loi vulgaire, car en elle il y a trois choses remarquables : l'une est portée en titre au frontispice : posséder ; l'autre s'appelle vendre ; la troisième acheter. Au premier, qui est posséder, je dis: Rien n'est justement possédé, si ce qui est justement acquis, car tout ce qui est acquis par des inventions frauduleuses, par des occasions de malice, par des prix inégaux, n'est pas agréable à Dieu. Au deuxième, qui est vendre, je dis que quand quelque chose est vendue par pauvreté et crainte, et quelquefois par violence et jugement injuste, une conscience doit être sondée pour voir si la compassion et la charité sont en son coeur. Au troisième qui est acheter je dis que celui qui veut acheter quelque chose doit sonder si la chose qui se vend est justement acquise, et aussi ce avec quoi on l'achète. Et de fait, en la loi, rien n'a été agréable de ce qui a été acquis par exaction injuste. Partant, celui-ci doit sonder diligemment en son esprit et savoir pour certain qu'il me rendra raison de toutes choses, voire de ce que ses parents lui ont laisse, s'il dépend tout cela plus pour le monde, et en outre, s'il l'a dépendu plus pour l'utilité raisonnable que pou Dieu. Qu'il sache aussi qu'il me rendra raison de sa malice, avec quelle intention il la reçoit en son coeur, pourquoi et comment il la conserve, et en quelle manière il accomplit le voeu qu'il m'a fait.


Chapitre 82 l'âme dévote doit avoir, comme une épouse, la bouche plaisante, les oreilles pures, les yeux pudiques et le coeur constant

4082 Notre-Seigneur Jésus-Christ, parlant a son épouse, lui dit que l'âme dévote doit avoir, comme une épouse, la bouche plaisante, les oreilles pures, les yeux pudiques et le coeur constant, exposant fort bien toutes ces parties spirituellement

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Le Fils de Dieu éternel, engendre de toute éternité, parle : Vous devez avoir, comme une chère amante et épouse, les yeux pudiques et le coeur constant. Et de la sorte, l'âme doit être disposée car la bouche signifie l'esprit épuré, afin qu'il n'entre rien en lui, sinon ce qui me plait. Que sa bouche aussi, c'est-à-dire, son esprit, soit agréable et délectable par l'odeur des bonnes et sublimes pensées, et de la continuelle mémoire de ma passion amère. Que son esprit soit range comme sa bouche, c'est-à-dire, fervent d'amour divin, afin qu'il opère ce qu'il entend, car comme on ne désire point baiser la bouche qui est pale, de même l'âme ne me plait point, si ce n'est qu'elle soit belle et fasse de bonnes oeuvres de bonne et franche volonté.

L'esprit aussi doit avoir, comme la bouche, deux lèvres, c'est-à-dire deux affections, l'une afin de désirer ardemment les choses du ciel, l'autre afin de mépriser les choses terrestres. Le palais inférieur de l'âme doit être la crainte de la mort effroyable, par laquelle l'âme est séparée du corps, et laquelle elle doit appréhender comme un décret irrévocable. Que le palais de dessus soit l'effroi du jugement terrible et épouvantable. Entre ces deux, la langue de l'âme doit être mise. Or, quelle est la langue de l'âme, si ce n'est que la fréquente considération de ma miséricorde intime ?

  Considérez donc ma miséricorde, comment je vous ai créée et rachetée, comment je vous souffre. Considérez aussi combien je suis juge sévère, moi qui ne laisse rien impuni, et voyez combien incertaine est l'heure de la mort. Que les yeux de l'âme soient simples comme des colombes, qui regardent le vautour dans le courant des eaux, c'est-à-dire, que votre pensée soit incessamment occupée en la charité, en ma passion, et ès oeuvres et paroles de mes chers élus, lesquels vous pourrez entendre comment le diable vous pourra décevoir, afin que vous ne vous assuriez jamais en vous ni de vous. Que vos oreilles soient pures, et que vous n’affectiez point d’ouïr les plaisanteries et les bouffonneries, ou ce qui émeut à rire. Que votre coeur soit stable, afin que vous ne craigniez point la mort, et que, gardant la foi, vous n’ayez point honte des opprobres du monde. Ne vous troublez point des dommages corporels, mais souffrez-les pour l’amour de moi, qui suis votre Dieu.

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Chapitre 83 Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à l’épouse, disant qu’elle le doit aimer comme ...

4083   Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à l’épouse, disant qu’elle le doit aimer comme le bon serviteur aime son maître, comme un bon fils aime son père, et comme aime son mari une femme fidèle, qui ne doit jamais se séparer de lui. Il explique les choses susdites spirituellement et généreusement.

  Le Fils du Père éternel, engendré avant le temps, parle à sainte Brigitte en ces termes : Je vous aime comme un bon maître aime son serviteur, comme un père chérit son fils, et comme un époux est plein de dilection envers son épouse, car le maître dit à serviteur : Je vous donnerai les vêtements, une nourriture convenable et un labeur modéré. Le père dit à son fils : Tout ce que j’ai est à vous. L’époux dit à l’épouse : Mon repos est en votre repos, et ma consolation est la vôtre.

Que répondront donc ces trois à une si grande dilection ? Certainement, si le serviteur est bon, il dira à son maître : Je suis de condition servile : j’aime mieux vous servir qu’en servir un autre. Et le fils dira à son père : D’autant que j’ai tout bien de vous, c’est pourquoi je ne veux être séparé de vous. Mais l’épouse dira à son époux : D’autant que je suis nourrie et sustentée par vos infatigables travaux, que j’ai la chaleur de votre poitrine et la douceur de vos paroles, partant, j’aime mieux mourir que me séparer de vous.

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Or, moi, qui suis votre Seigneur, je suis cet époux, et l’âme est mon épouse, qui se doit consoler en moi, qui suis son centre et son repos, et se réfectionner de la viande divine, qui donne la force de vouloir plutôt mourir et souffrir toute sorte de tourments que de se séparer de moi, car sans moi, elle n’a ni consolation ni honneur.

Mais deux choses sont requises au mariage sacré :

1- des biens d’où les mariés se puissent sustenter ;

2- un fils qui reçoive leur héritage, et que le serviteur soit pour obéir, car comme nous lisons : Abraham se troublait, parce qu’il n’avait pas un fils; or, l’âme a lors des biens pour se sustenter, quand elle est pleine de vertus ; elle a aussi un fils, quand elle a la vertu de discrétion, quand elle a raison de discerner les vertus des vices, et quand elle discerne cela même selon Dieu ; elle a aussi un serviteur, c’est-à-dire, l’affection charnelle, qui ne vit point selon la concupiscence de la chair, mais comme il est expédient et convenable au corps et selon que l’âme avance en la perfection.

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Je vous aime donc comme un époux son épouse, car mon repos est votre repos. Partant, vous devez plus franchement souffrir toute sorte de tribulations que me provoquer à ire et à indignation. Je vous chéris aussi comme un père son fils, d’autant que je vous ai donné la discrétion et la franche volonté. Je vous aime aussi comme un maître son serviteur, à qui j’ai commandé d’avoir les choses nécessaires avec modération, et le labeur avec tempérament. Mais ce serviteur, c’est-à-dire, le corps, est si insensé qu’il veut plutôt servir le diable que moi, bien que le diable ne lui donne jamais ni repos ni relâche des sollicitudes du monde.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4079