Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4096

Chapitre 96

4096   L’Époux déclare à l’épouse ce que signifie la distance de deux pieds, et arracher le glaive dont il a parlé au chapitre précédent.

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Le miroir sans tache, le Fils de Dieu, parle : Je vous ai dit qu’entre mes amis et moi, il n’y a pas la distance de deux pieds; mais maintenant, ils approchent d’un pied du jugement. L’un de ces deux pieds est la récompense des bonnes oeuvres qu’ils ont faites pour moi. Partant, dès ce jour, leur infamie augmentera; leur délectation sera rendue amère; leur joie sera ôtée; leur tribulation prendra accroissement avec douleur. Le second est leur malice, qui n’est pas encore accomplie; mais comme on a accoutumé de dire que quand quelque chose est pleine, c’est lors qu’elle crève, de même, quand l’âme et le corps se séparent, c’est lors que le Juge les condamne. Leur glaive est la volonté qu’ils ont de pécher, qui est arrachée à moitié, d’autant que leurs honneurs venant à décroître et les adversités les assaillant, ils sont plus en colère et brûlent du désir d’offenser, car la prospérité et l’honneur ne les laissent pas beaucoup penser au péché; mais maintenant, afin qu’ils puissent accomplir leurs sales et abominables voluptés, ils désirent de vivre plus longtemps et se donnent licence de pécher davantage. Malheur à eux, d’autant que, s’ils ne s’amendent, leur perte, leur totale ruine s’approche!


Chapitre 97 l’âme dévote qui a perdu la chaleur de la méditation et de la sainte dévotion

4097   Jésus-Christ, parlant à son épouse d’un certain prélat, lui dit que l’âme dévote qui a perdu la chaleur de la méditation et de la sainte dévotion, à raison de sa superbe cupidité, pour les intrigues du monde, recouvrera la divine lumière et amour, en s’humiliant parfaitement à Dieu et au prochain, de sorte qu’il ressentira intimement la divine douceur.

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Le Fils de Dieu et de la Vierge Marie parle par son épouse à un certain prélat, lui disant : Vous êtes semblable à la roue d’un moulin, qui, tant qu’elle est immobile et demeure ferme, ne brise point le blé. Cette roue signifie fort à propos votre volonté, qui devrait être mobile, non à votre volonté et accomplir vos désirs, mais bien les miens, et vous abandonner totalement en mes mains. Mais cette roue est trop immobile à ses vouloirs, d’autant que, l’eau des désirs de la terre sollicitant par trop votre esprit, la considération de vos oeuvres et ma passion sont quasi mortes en votre coeur : C’est pourquoi la viande de l’âme ne vous est point à goût. Et partant, rompez les écluses et les branches qui retiennent l’eau, afin qu’elle coule, fasse rouler la roue et que le blé soit broyé.

La tranchée qui retient l’eau n’est autre que la superbe intérieure de l’esprit et l’ambition insatiable, qui bouchent le courant des grâces du Saint-Esprit, et empêchent tout le bien dont l’âme devrait fructifier. Partant, embrassez la vraie humilité et soumission en votre esprit, car par elles coulera en votre âme la douceur de mon Esprit, et les pensées terrestres s’évanouiront ; par elles, votre volonté aura son mouvement et se rendra parfaite selon mes vouloirs. Lors vous commencerez de porter jugement de vos oeuvres et d’avoir une grande estime des miennes. Or, quelle est la vraie humilité ? Certainement, c’est de ne se soucier aucunement des faveurs humaines et de ce que les hommes disent, marcher par ma voie, qui est oubliée et négligée, ne pas chercher ce qui est superflu et vous conformer aux simples. Si vous aimez cette voie, les choses spirituelles, ma passion et la voie de mes saints, vous seront à goût. Lors vous entendrez combien redevable vous êtes aux âmes que vous gouvernez, attendu que vous êtes monté au plus haut de la roue par deux pieds : par la puissance et par l’honneur, de sorte que de la puissance prend source votre cupidité, et de l’honneur votre orgueil.

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Partant, descendez maintenant, vous humiliant en l’esprit, et suppliez les humbles de prier Dieu pour vous, car je vous enverrai ma justice comme un fleuve rapide et j’exigerai de vous jusques à la dernière maille, et demanderai raison des affections, pensées, paroles et oeuvres. Je vous demanderai aussi les âmes que j’ai commises à votre providence et que j’ai rachetées par mon sang.


Chapitre 98 il faut percer les pécheurs de quatre flèches contenues en ce chapitre, c’est-à-dire, de quatre répréhensions

4098   Jésus-Christ dit à l’épouse qu’il faut percer les pécheurs de quatre flèches contenues en ce chapitre, c’est-à-dire, de quatre répréhensions, et les lâcher aussi, afin qu’ils aient componction et qu’ils soient humblement ramenés à la correction et à l’amendement de leur vie.

  Jésus-Christ dit : Je donnerai à mes amis quatre flèches : par la Première, il faut entendre celui qui a perdu un de ses yeux ; par la deuxième, celui qui est boiteux de l’un des pieds ; par la troisième, celui qui est sourd d’une oreille ; par la quatrième, celui qui est couché à terre.

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Or, celui-là est l’origine, qui ne voit et ne considère les oeuvres de mes saints ; mais il voit et désire les délectations du monde. Un tel doit être percé en cette manière, lui parlant en ces termes : Vous êtes semblable à Lucifer, qui, ayant connu (1) la souveraine bonté de Dieu, la désira injustement, c’est pourquoi il descendit en enfer.

Celui-là est boiteux d’un pied, qui se repent et fait pénitence de ses péchés, mais s’occupe avec peine en l’acquisition des choses du monde. Celui-ci doit être blessé en cette sorte. Vous travaillez pour les commodités corporelles, que les vers mangeront bientôt, c’est pourquoi occupez-vous à travailler fructueusement pour votre âme, qui vivra éternellement.

Celui-là est sourd d’une oreille, qui désire ouïr mes paroles et celles des saints ; mais il a l’autre oreille ouverte aux railleries, aux cajoleries et aux vanités du monde, c’est pourquoi il lui faut dire : Vous êtes semblable à Judas, qui, d’une oreille, ouït les paroles de Dieu, et par l’autre, elles sortirent, c’est pourquoi les paroles qu’il ouït ne lui profitèrent point. Partant, fermez vos oreilles aux vains discours, afin que vous puissiez parvenir aux chants angéliques.

Or, celui-là est gisant à terre qui s’intrique et s’enveloppe ès affaires du siècle, mais qui, néanmoins, voudrait savoir la voie et le moyen de s’amender. Qu’on parle en cette sorte à celui-ci : Ce temps est court comme un point. La peine de l’enfer est éternelle, et la gloire des saints perpétuelle. Partant, afin que vous parveniez à la vraie vie, ne vous fâchez pas d’embrasser ce qui est fâcheux et amer, car comme Dieu est tout bon et tout miséricordieux, aussi est-il tout juste.

Quiconque donc sera ainsi percé de ces flèches, si la sagette sort de son coeur toute sanglante, c’est-à-dire, s’il est excité à componction et s’il propose de s’amender, je verserai en celui-là l’huile de ma grâce, par lequel tous ses membres seront confortés et affermis.

  (1) Non en voyant son essence, par réflexion de sa Beauté, montant a la source de la beauté.


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Chapitre 99 Pour le jour de la passion. Notre-Seigneur se plaint des Juifs qui l’on crucifié, et des chrétiens qui méprisent sa charité

4099   Notre-Seigneur se plaint des Juifs qui l’on crucifié, et des chrétiens qui méprisent sa charité et sa justice, en péchant présomptueusement et sciemment contre ses commandements, et méprisant les sentences des excommunications de l’Eglise, sous prétexte de sa miséricorde, à raison de quoi il les menace avec l’ire et la fureur de sa justice.

Pour le jour de la passion.

  La Mère de Dieu éternel parle, disant : En ce temps, mon Fils souffrait. Judas, le traître, s’approchant, se baissa, d’autant qu’il était de petite taille, lui donnant un baiser et lui disant : Mon ami, pourquoi êtes-vous venu? Et soudain, les uns le saisirent, les autres le traînèrent par les cheveux, les autres le salirent par leurs crachats.

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Après, le Fils parlait, disant : je suis réputé comme vermisseau qui est comme gisant en un fumier, que les passants foulent aux pieds et sur lequel ils crachent : de même en firent les Juifs, d’autant que j’étais jugé par eux comme un vermisseau très abject et très indigne : de même, les chrétiens me méprisent, car tout ce que j‘ai fait et souffert pour l’amour d’eux, ils le réputent à vanité, à folie et à néant. Ils me foulent aussi comme en mon dos, quand ils craignent et honorent plus homme que moi, leur Dieu, quand ils réputent pour néant ma justice, et établissent le temps en leur jugement et les manières de ma miséricorde. Ils me frappent comme aux dents, quand ayant ouï mes préceptes et vu ce que j’ai enduré pour eux, ils disent : Faisons maintenant tout ce qui nous plaît et nous délecte, et néanmoins nous aurons le ciel, car si Dieu nous voulait perdre et nous punir éternellement, il ne nous aurait pas créés et ne nous aurait point rachetés avec tant de peine.

Partant, je leur ferai sentir les effroyables fureurs de ma justice, car comme le moindre bien ne sera pas sans récompense, de même le moindre mal ne sera pas sans supplice. Ils me méprisent aussi comme en me foulant aux pieds, quand ils n’écoutent point les jugements de l’Eglise, savoir, mes excommunications. Partant, comme ceux qui sont excommuniés publiquement sont évités de tous, de même ils seront séparés de moi, car quand l’excommunication est sue et est méprisée, elle nuit plus que le glaive corporel. Partant, moi qui suit estimé comme un vermisseau, je veux maintenant revivre par les fureurs de mon terrible jugement, et je viendrai si terrible que ceux qui me verront, diront devant la face de l’ire de Dieu : Montagnes tombez sur nous !


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Chapitre 100 Jésus-Christ dit à son épouse qu’elle est comme le flageolet du Saint-Esprit, par lequel il résonne mélodieusement au monde

4100   Jésus-Christ dit à son épouse qu’elle est comme le flageolet du Saint-Esprit, par lequel il résonne mélodieusement au monde pour l’honneur et l’utilité des Gentils ; c’est pourquoi il la veut argenter par dehors par les bonnes oeuvres et la sapience, et la dorer par dedans par la vraie humilité et la pureté de coeur.

  Le Fils de Dieu, la Sapience incarnée, dit à, son épouse : Vous devez être comme un flageolet par le moyen duquel on chante mélodieusement. Or, celui qui est maître du flageolet l’argente par dehors, afin qu’il soit estimé plus précieux, et par dedans, il le dore d’un or durable : de même vous devez être reluisante en argent de bonnes moeurs et de sapience humaine, afin que vous compreniez qu’est-ce que vous devez à Dieu et quoi au prochain, et qu’est-ce qui est expédient, utile et sortable à votre corps et à votre âme, pour avoir un jour le salut éternel. Au dedans, vous devez être dorée par humilité, afin que vous ne désiriez plaire à autre qu’à moi, et afin que vous ne craigniez point de déplaire aux hommes pour l’amour de moi,

Après, celui qui joue du flageolet en faisant trois usages : 1° il l’enveloppait avec du drap, afin qu’il ne se tachât point ; 2° il lui faisait une couverture, afin de le garder ; 3° il le mettait dans un coffre, afin que le larron ne le dérobât : de même vous devez vous envelopper toute dans la pureté, afin que jamais plus vous ne désiriez de vous souiller par effet, ni par affection, ni par délectation ; mais faites en sorte de demeurer seule, car la conversation des mauvais corrompt les bonnes moeurs,,et ayez la serrure, la diligente et sérieuse garde de vos sens et de tout votre intérieur, afin que vous preniez garde qu’en aucune de vos actions, vous ne soyez déçue par les ruses et les finesses de Satan. La clef est le Saint-Esprit, qui ouvre votre coeur comme il vous plaira, pour mon honneur et ma gloire, et pour le fruit et le salut des hommes.


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Chapitre 101 si le pécheur était aux portes de sa ruine, et s’il criait à lui ...

4101   La Mère de Dieu dit que le coeur de son Fils est très doux, très pur et très agréable, et si abondant en charité que si le pécheur était aux portes de sa ruine, et s’il criait à lui avec désir de s’amender, soudain il l’en délivrerait. On parvient au coeur de Dieu par l’humilité d’une vraie contrition, et par la dévote, fervente et fréquente considération de la passion de Jésus.

  La Mère de Dieu parle, disant : le coeur de mon Fils est très suave comme du miel, et très pur comme une fontaine très pure, car toutes les bontés éparses en cet univers procèdent de lui comme de leur source, car lui est très doux En vérité, qu’y a-t-il de plus doux pour un homme bien sensé que de considérer l’amour de Dieu envers nous en la création, rédemption, labeurs et doctrine, en sa grâce et patience invincible, car sa charité ne coule et ne passe pas comme l’eau, mais elle s’épand loin et dure, d’autant que son amour demeure avec l’homme jusques au dernier période de sa vie ? Que si le pécheur était aux portes de sa totale perte et ruine, s’il criait de là avec volonté de s’amender, il en serait sans doute affranchi.

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D’ailleurs, pour parvenir au coeur de Dieu, il y a deux voies : la première, c’est l’humilité d’une vraie contrition, et celle-ci conduit et introduit l’homme dans le coeur de Dieu et dans les colloques spirituels. La deuxième voie est la considération de la passion de mon Fils, qui chasse l’endurcissement du coeur de l’homme, et le fait courir joyeusement au coeur de Dieu.


Chapitre 102 jugement de l’âme de quelque religieux

4102   Il est ici montré en vision le jugement de l’âme de quelque religieux devant Jésus-Christ qui donnait la sentence pour laquelle la Sainte Vierge interpellait, et laquelle le diable accusait de grands et énormes péchés.

  La Mère de Dieu parle à son Fils, lui disant : Ma plainte est grande. Bien que vous sachiez toutes choses, je les proférerai néanmoins pour l’amour de celle qui est ici présente.

Le Fils répondit : Il m’est donné toute sorte de jugement, et il faut que je juge toutes les actions en détail. En vérité, neuf sortes de biens conviennent à ce juge :

1° écouter attentivement ;

2° discerner ce qui est proposé ;

3° la volonté de vouloir justement juger ;

4° d’informer pourquoi on plaide ;

5° demander combien de temps le procès a duré, car le jugement est d’autant plus grave que les délais ont été plus grands ;

6° voir si les témoins sont bons, les confronter en leurs affirmations, considérer si l’une des parties a plus de témoins ;

7° n’être précipité ni timide au jugement, ni ne craindre la puissance, ou le dommage, ou le déshonneur, pour soutenir la vérité ;

8° ne se soucier des prières ni les dons d’autrui ;

9° être équitable en jugeant, juger de même manière le pauvre que le riche, de même le frère et le fils que l’étranger, ne faire rien contre la vérité pour quelque plaisir du monde.

Dites donc, ma très chère Mère, ce que vous voulez.

La mère répondit : Deux hommes plaident entre eux. En eux sont deux esprit, en l’un le bon et en l’autre le mauvais. Or, le sujet de leur procès est l’achat de votre sang, l’un pour le tirer, l’autre pour le faire vivre ; en l’un sont la dilection et l’obéissance, et en l’autre sont la haine et la superbe. Faites donc jugement.

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Le Fils répondit : Combien y a-t-il de témoins de la part de votre ami, et combien de l’autre partie adverse ?

La Mère répondit : Mon ami en a bien peu, et l’autre plusieurs, qui savent la vérité, mais ils la méprisent et ne la veulent pas dire.

Le Fils répondit : Je ferais un juste jugement.

Et la Mère repartit : Mon ami ne se plaint point, car la seule substance de son corps lui suffit. Mais moi, qui suis sa Dame et sa maîtresse, je me plains de peur que la malice ne gagne le dessus.

Le Fils répondit : Je ferai ce que vous voulez ; mais comme vous le savez, le jugement corporel doit précéder le spirituel, et pas un ne doit être jugé que son péché ne soit consommé.

Et la Mère dit : O mon Fils, bien que nous tous sachions toutes choses, néanmoins, pour l’amour de l’assistance, je cherche quel jugement corporel sera fait en celui-ci, et quel jugement spirituel.

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Et le Fils dit : Le jugement corporel est que son âme sorte vitement du corps et que sa main soit sa mort. Le jugement spirituel est que son âme soit pendue au gibet de l’enfer, non pas avec des cordes, mais avec du feu très ardent, d’autant qu’il est une brebis qui dégénère de son troupeau.

Lors un religieux de saint Augustin parlait au Juge, disant : Seigneur, vous n’avez rien à faire avec cet homme ; vous l’avez appelé au repos, et il s’en est oublié ; son obéissance est enfreinte, son nom est ôté et ses oeuvres sont nulles.

Le Juge répondit : Son âme n’est pas présente au jugement pour répondre.

Le diable dit : Je veux répondre. Si vous l’avez appelée des tempêtes du monde au repos, je l’ai appelée d’un haut degré de perfection à une fosse très profonde. Son obéissance à mon égard a été très prompte ; son nom est glorieux en moi.

Le Juge répartit : Expliquez ce que vous avez remarquez en elle.

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Je le ferai, dit le démon, quoiqu’à regret. Vous l’avez appelé des tempêtes et des orages des soins du monde au repos de la vie spirituelle, comme à un bon port ; mais lui, il estime cela à néant, d’autant qu’il désire avec plus d’affection les tracas et les intrigues du monde.

Le plus haut degré est une bonne contrition et une sainte confession, qui a ces deux choses en perfection ; il vous parle, à vous qui êtes très puissant, et il arrive jusqu’à votre majesté. Je l’ai précipité de ce sommet ou degré très haut, quand il s’est résolu de pécher jusques à la fin, quand il a réputé les péchés pour rien, votre justice à vanité. La profonde fosse, c'est la gueule et la cupidité, car comme la fosse très profonde n'est facilement remplie, de même la cupidité est insatiable. Or, son nom était moine, et le nom de moine signifie Garde de soi-même, et abstinence même des choses licites. Mais toutes ces choses sont abolies en lui, et il s'appelle maintenant Saül, car comme Saül, il s'est retire de l'obéissance, son obéissance ayant été enfreinte. Comme les deux bouts de bois coupés ne se peuvent unir à cause de la pourriture, de même le désir des choses célestes ni la divine charité, qui sont comme deux bouts unis à l'obéissance, ne peuvent s'accorder avec son obéissance, d'autant qu'il n'obéit que pour les cupidités mondaines, pour sa propre utilité et pour sa volonté propre, et ses oeuvres, dit le diable, sont selon mes oeuvres; car bien que je ne chante ni ne dis la messe, ni ne fasse le reste comme lui, néanmoins, quand il fait tout cela, il la fait selon mes volontés ; lors de la sorte, il fait mes oeuvres; et on les peut dire mes oeuvres, car quand il célèbre les messes, il s'approche de vous par présomption, et par cette présomption, il est plus facilement rempli de ma malice plus grande. Il chante aussi pour les louanges des hommes, et quand je lui montre mon dos, il tourne aussi le sien contre le mien, et quand je le veux, il tourne son ventre vers mon ventre, c'est-à-dire, il accomplit ses voluptés selon mes volontés; tout ce qu'il fait, il le fait en considération de la vie présente et de sa propre volonté. Parmi toutes ses oeuvres sont mes oeuvres

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ADDITION


D'ailleurs, la même âme apparut, aveugle et tremblante; elle était suivie d'un Ethiopien, jusques à ce qu'elle fut venue au jugement qui semblait être assemble auprès d'un grand trône avec une grande multitude. Et l'Ethiopien dit : O Juge, jugez-moi cette âme; elle est maintenant présente, et le jugement de son corps est déjà passe. Le même Ethiopien ajouta : Vous avez dit que sa main serait sa mort, cela est maintenant fait.

  Et le Jude dit: Ceci se peut entendre en deux manières, ou que les oeuvres mauvaises ont été occasion de sa mort, ou bien que sa main corporelle abrégeait la mort du corps.

  L'Ethiopien répondit : L'un et l'autre est vrai, car sa vie impudique à occis son âme, et l'impatience a ouvert la plaie de sa chair par laquelle il est mort.

  Le Juge repartit: Vous avez accuse cette âme le premier, d'autant que vous la précipitiez d'un degré très haut, et parce qu'il tournait son ventre vers le votre. Partant, oyons maintenant ce que dit cette âme.

  Et le Juge, comme se tournant vers elle, lui dit : O âme, vous avez eu la raison pour discerner le bien du mal : pourquoi avez-vous foule aux pieds le nom de prêtre, qui est si grand et si excellent ?

  Elle répondit : J'avais la raison, mais je suivais plutôt mes désirs et mes volontés, ne me persuadant point que, sous une espèce si petite, une chose si grande, si sublime, put être cachée.

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Le Juge lui dit pour la deuxième fois : Vous avez su que la perfection de la religion est l'humilité et l'obéissance : pourquoi êtes-vous loup sous la peau de brebis?

  L'âme repartit : Afin de fuir les opprobres du monde et pour avoir une vie paisible.

  Le Juge lui dit pour la troisième fois : O frère, non pas mien, puisque vous avez vu l'exemple des saints, vos frères, et les avez ouis, pourquoi ne les avez-vous pas suivis ?

  Tous les bons exemples que j'ai ouis et vus, dit-elle, m'étaient odieux et à charge, car j'avais résolu en mon coeur de suivre mes volontés et mes moeurs, et non les moeurs des saints.

  Le juge lui dit pour la quatrième fois : Pourquoi ne pratiquiez-vous pas les jeûnes, l'oraison, la confession ?

  Je les pratiquais, dit-elle, mais je faisais comme celui qui dit peu afin de plaire, et afin de ne déplaire, cache ce qui est plus grand.

  Le juge lui dit : Eh quoi ! n'avez-vous pas lu qu'un chacun des hommes doit rendre raison des plus petites choses?

  Lors l'âme dit avec un grand gémissement : vraiment, ô Seigneur, je l'ai lu et l'ai su en ma conscience, mais j'ai pense que votre miséricorde était si grande que vous ne vouliez punir éternellement, c'est pourquoi je voulais en faire pénitence en la vieillesse. Mais les douleurs et la mort m'ont tellement accablée tout d'un coup, que quand je voulais me confesser, je perdais la mémoire, et mon âme était attachée comme par un lien.

  Lors le diable cria : O Juge, je vois merveilles : cette âme se juge elle-même ; elle confesse maintenant ses crimes sans fruit ; néanmoins je n'ose point mettre ma main sur elle sans votre jugement.

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Le Juge répondit : Il est fait et accompli.

  Ces choses étant dites, l’Ethiopien et l'âme disparurent comme liés ensemble, et descendirent comme une foudre et un tonnerre.

  Le Juge dit derechef : Ces choses se sont passées en un moment; mais afin que vous les entendiez, elles semblent avoir été faites en l'espace de quelque temps, afin que vous voyiez, sachiez et craigniez les fureurs de la justice du Dieu Tout-Puissant.


Chapitre 103 Saint Denis priait la Sainte Vierge pour la France

4103 L'épouse de Jésus-Christ, étant en prières, vit en vision comme Saint Denis priait la Sainte Vierge pour la France.

Alors que je priais, dit sainte Brigitte, je vis en esprit saint Denis parlait à la Vierge Marie, lui disant:

Vous êtes Reine de miséricorde, à laquelle toute miséricorde est donnée. Vous avez été faite Mère de Dieu pour le salut des misérables : ayez donc miséricorde et compassion du royaume de France, vôtre et mien (1) : vôtre d'autant que ses habitants vous honorent de tout leur pouvoir ; mien, d'autant que j'en suis le patron et qu'ils ont confiance en moi. En vérité, vous voyez combien d'âmes sont en danger chaque heure, et les corps des hommes y sont tués comme des bêtes, et ce qui est pis, les âmes descendant en enfer comme de la neige. Consolez-les donc et priez pour eux, car vous êtes leur Dame, l'aide et le secours de tous.

  (1) Le royaume de France est en quelque manière sous la protection de la Sainte Vierge Marie et de saint Denis

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La Mère de Dieu répondit : Allez à mon Fils, et oyons ce qu'il répondra pour l'amour de celle qui est assistante. (1)

  (1) Sainte Brigitte


Chapitre 104 La Mère de Dieu prie pour la France avec saint Denis et autres saints - sur la guerre ardente entre les rois de France et d'Angleterre qui semblaient deux bêtes farouches

4104 La Mère de Dieu prie pour la France avec saint Denis et autres saints, son Fils, et sur la guerre ardente entre deux rois (de France et d'Angleterre), qui semblaient deux bêtes farouches

La Mère de Dieu parle à son Fils, lui disant : Béni soyez-vous, ô mon Fils ! Il est écrit que j'ai été appelée bienheureuse, d'autant que je vous avais porté au ventre, et vous répondîtes que celui-la est aussi béni, qui écouterait vos paroles et les garderait. Or, mon Fils, je suis celle-la qui ai gardé de coeur vos paroles et les ai conservées dans mon sein. Je me souviens aussi d'une parole que vous avez dite à saint Pierre lorsqu'il demandait combien de fois il pardonnerait aux pécheurs, si ce serait jusques à sept fois, vous lui répondîtes : Septante-sept fois sept fois, marquant par cela que tout autant de fois que quelqu'un s'humilie avec volonté de s'amender, vous étiez autant de fois prêt et prépare à lui faire miséricorde.

  Le Fils répondit : Je vous rends témoignage que mes paroles ont été enracinées en vous, comme la semence qui est jetée en une terre bien grasse, donnant de soi le fruit centième. Mais aussi vos oeuvres vertueuses donnent à tous ce fruit de joie. Partant, demandez ce que vous voulez.

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La Mère répondit : Je vous en prie avec saint Denis et les autres saints dont les corps sont ensevelis en ce royaume de France, et dont les âmes sont au ciel, jouissant de la gloire, ayez miséricorde de ce royaume, car afin que celle qui est ici présente en esprit, entende l'importance de ceci, je parlerai comme par similitude.

  Je vois comme deux bêtes grandement farouches, chacune en son espèce, d'autant que l'une désire impatiemment d'engloutir et de dévorer tout ce qu'elle peut avoir, et plus elle mange, plus elle est affamée. La deuxième bête s'efforce autant qu'elle peut de monter sur toutes les autres.

  Ces bêtes ont trois maux :

1° une voix terrible et effroyable;

2° elles sont pleines d'un feu très dangereux;

3° une chacune désire de dévorer le coeur de l'autre, et l'une cherche au dos de l'autre avec ses dents, pour trouver par où entrer jusqu'au coeur, afin qu'en la mordant, elle la tue. L'autre a la bouche devant la poitrine de l'autre, voulant par là trouver par où entrer jusques au coeur. La voix de ces deux bêtes terribles est ouie de loin. Et toutes les bêtes qui s'approcheront de ces deux bêtes, ayant la bouche ouverte, seront brûlées de leur feu et mourront; mais celles qui s'approcheront d'elles la bouche fermée, seront privées et dépouillées de la laine.

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Par ces deux bêtes sont entendus deux rois : celui de France et celui d’Angleterre. L'un de ces deux rois ne se rassasie jamais, d'autant que le sujet de la guerre est la cupidité insatiable. L'autre roi veut toujours monter, c'est pourquoi l'une et l'autre bête sont pleines de feu de colère, d'indignation et de cupidité. La voix de ces bêtes est telle : Recevez l'or, les cupidités et les richesses du monde, afin de ne pardonner point au sang des chrétiens. Chacune de ces bêtes désire la mort de l'autre, et partant, chacune cherche l'occasion de se nuire. Ce roi-la cherche à nuire au dos, qui désire que son injustice soit estimée justice, son iniquité équité, et veut que la justice de l'autre soit réputée injustice. L'autre épie l'occasion de nuire en son coeur, qui, sachant avoir raison, ne se soucie de fouler et nuire autrui, sans avoir compassion de leur misère; et même en sa justice, la charité n'est pas, c'est pourquoi il désire avoir entrée en sa poitrine, d'autant qu'il a plus de droit au royaume; mais il a la superbe intolérable, la colère et fureur avec la justice ; l'autre a moins de justice, c'est pourquoi il brûle de cupidité.

  Les autres bêtes aussi qui viennent à ces deux bêtes, la gueule ouverte, sont celles qui viennent, touchées des mêmes cupidités insatiables. Ceux qui s'appellent rois remplissent leurs gueules d'espérances, mais au bout du compte, ne sont que traîtres. Certainement, ils jettent abondamment l'argent, et remplissent leur gueule de dons pour les animer à la guerre, mais c'est pour les y faire mourir, les biens desquels leur demeurent, et leur coeur demeurent en terre, et les vers rongent leur coeur, et les diables déchirent leurs âmes. Et de la sorte, ces deux rois trahissent les âmes que mon Fils a rachetées de son sang. Ces bêtes, qui sont privées de la terre, sont les simples qui se contentent de leurs biens, qui vont à la guerre, pensent qu'elle est juste; partant, ils sont dépouillés de la toison, c'est-à-dire, de la vie, mais leurs âmes sont reçues au ciel. Partant, ô mon Fils, ayez-en miséricorde.

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Le Fils répondit : D'autant que vous, ô ma Mère, confiez toutes choses à moi, dites, Brigitte l'oyant, quelle justice il y a que les rois soient exaucés.

  La Mère répondit : J'entends trois voix : la première est de ces deux rois, l'un desquels pense en cette manière : Si j'avais ce qui est à moi, je ne me soucierais point de ce qui est d'autrui, et j'ai crainte de manquer de tous les deux; et à raison de cette crainte, il se trouble, savoir, il craint l'opprobre du monde, il se tourne vers moi, disant : O Marie, priez pour moi. L'autre roi pense tout autrement : Je suis las : Plut à Dieu que je fusse en mon premier état ! Et partant, lui-même se convertit vers moi. La deuxième voix est de la communauté, qui me prie toujours pour avoir la paix tant désirée. La troisième voix est de vos élus, qui crient disant : Nous ne pleurons point le corps des morts, ni les dommages de la pauvreté, mais les chutes des âmes qui se perdent tous les jours. Partant, ô Princesse du ciel, priez votre Fils, afin que les âmes soient sauves. Partant, ô mon Fils, ayez miséricorde d'elles.

  Le Fils répondit : Il est écrit que l'on ouvrira à celui qui frappera, qu'on répondra à celui qui appellera, et qu'on donnera à celui qui demandera. Mais comme ceux qui frappent sont hors porte, de même ces ois sont hors la porte, d'autant que moi, qui suis la porte, ne suis pas en eux; néanmoins pour l'amour de vous, on leur ouvrira, puisqu'ils le demandent.

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Chapitre 105 moyen de faire la paix entre le roi de France et le roi d'Angleterre. Que si ces rois n'obéissent point, ils seront grièvement punis

4105   Notre-Seigneur enseigne à son épouse le moyen de faire la paix entre le roi de France et le roi d'Angleterre. Que si ces rois n'obéissent point, ils seront grièvement punis.

Le Fils du Père Eternel dit : Je suis un roi formidable et honorable. J’enverrai mes paroles à ces deux rois, en considération de ma Mère (1). Je suis la paix, et où je suis, là certainement est la paix. Si donc ces deux rois de France et d'Angleterre veulent avoir la paix, je leur en donnerai une qui sera éternelle. Mais ils ne pourront avoir une vraie paix, si ce n'est qu'on aime la vérité et la justice, et d'autant que l'un de ces rois a de son côté la justice, il me plait qu'il fasse la paix par un mariage, et de la sorte, le royaume pourra parvenir au légitime héritier. En second lieu, je veux qu'ils soient un même coeur et une même âme, unis ensemble pour amplifier et étendre la foi sainte et chrétienne, où commodément il se pourra faire pour mon honneur et ma gloire. En troisième lieu, qu'ils ôtent les exactions intolérables et les inventions trompeuses, et qu'ils aiment les âmes de leurs sujets.

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Que si le roi qui tient maintenant le royaume ne veut obéir, qu'il soit certain qu'il ne prospérera point en ses actions, mais qu'il finira sa vie avec douleur, et laissera son royaume et ses enfants en tribulations et angoisses; tout son sang viendra en telle fureur, opprobre et confusion, que tous s'en étonneront

  (1) Cette guerre fut l'an 1336, entre le roi de France, Philippe-de-Valois, et Edouard, roi d'Angleterre. Ce roi croyait faussement que le royaume de France lui appartenait.

  Que si ce roi qui a droit veut obéir, je l'aiderai et bataillerai avec lui pour lui; que s'il n'obéit point, il ne parviendra pas aussi à l'exécution et accomplissement de ses désirs, mais il en sera frustré, et l'issue funèbre et douloureuse obscurcira son entrée joyeuse. Mais en vérité, quand les Français s'humilieront vraiment, le royaume parviendra au vrai héritier et en bonne paix.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4096