Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6049

Chapitre 49. La Mère de Dieu montre qu’elle a été conçue sans péché.

6049 La Mère de Dieu montre qu’elle a été conçue sans péché.

  La Mère de Dieu parle : Si quelqu’un, voulant jeûner, avait le désir de manger, mais que la volonté résistât au désir, que le supérieur à qui il doit obéir lui commandât de manger, et qu’il mangeât par obéissance, manger serait alors de plus grand mérite que le jeûne : de même manière arriva en la conjonction de mes parents, quand je fus conçue. La vérité est que je fus conçue sans péché originel, car comme il n’y a que mon Fils et moi qui n’ayons péché, aussi il n’y a pas eu de mariage plus honnête que celui de mes parents.

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Chapitre 50. La Vierge Marie dit à l’épouse qu’il n’y a rien qui plaise tant à Dieu que d’être aimé des hommes

6050 La Vierge Marie dit à l’épouse qu’il n’y a rien qui plaise tant à Dieu que d’être aimé des hommes, et le montre par un exemple d’une femme païenne qui aima fort son Créateur.

  La Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, lui disant qu’il n’y a rien qui plaise tant à Dieu que quand l’homme l’aime sur toutes choses. Je vous en donnerai une similitude d’une femme païenne : ne sachant rien de la foi catholique, elle s’entretenait en ces pensées : Je sais de quelle manière je suis, et je connais mes parents. Je crois aussi qu’il est impossible que j’eusse le corps, les membres, les entrailles, les sens, si quelqu’un ne me les eût donnés ; et partant, il y a quelque Créateur qui m’a faite une si belle créature, et non une créature difforme, comme les vermisseaux et les serpents. Il me semble aussi que, bien que j’eusse plusieurs maris, et que, si tous m’appelaient, je courrais plutôt à mon Créateur qui m’appelle qu’aux voix de tous ceux-là. J’ai aussi plusieurs fils et filles : néanmoins, si j’avais de la viande en ma main et savais que mon Créateur en désire, je l’ôterais franchement à mes enfants et la présenterais à mon Créateur. J’ai aussi plusieurs possessions dont je dispose selon mes vouloirs : si je savais néanmoins que la volonté de mon Créateur est autre, je les laisserais, renonçant à ma volonté, et en disposerais à l’honneur de mon Créateur.

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  Mais voyez, ma fille, ce que Dieu a fait avec cette femme païenne, car il lui a envoyé un de ses amis qui l’a instruite en la foi sainte, et Dieu a visité son coeur de lui-même, comme vous le pourrez entendre des paroles de la susdite femme, car quand cet homme de Dieu lui prêchait qu’il y avait un seul Dieu sans commencement et sans fin, créateur de toutes choses, elle lui dit : Il est bien croyable que celui qui m’a créée et qui a créé toutes choses, n’a pas par-dessus soi de créateur, et il est vraisemblable que sa vie est éternelle, puisqu’il m’a pu donner la vie.

Mais quand cette femme ouït que le même Créateur avait pris l’humanité d’une Vierge, qu’il avait prêché lui-même, elle dit : Il est bien fait de croire que Dieu fait de bonnes oeuvres. Mais vous, ô mon ami ! dites-moi quelles furent les paroles qui furent proférées de la bouche du Créateur, car je veux renoncer à ma volonté et lui obéir selon qu’il a parlé.

Or, l’ami de Dieu prêchant et lui parlant de la passion, de la croix et de la résurrection, la femme, ayant les larmes aux yeux, lui dit : Béni soit Dieu qui a manifesté son amour en la terre tel qu’il l’avait au ciel ! Partant, comme je l’aimais auparavant, je suis maintenant obligée de l’aimer comme voie droite et comme Rédempteur, me rachetant de son propre sang. Je suis encore obligée de l’aimer de toutes mes forces et de le servir de tous mes membres. D’ailleurs, je suis obligée d’arracher de moi tous les désirs que j’ai eus en mes passions, fils et parents, et seulement aimer et désirer mon Créateur en la gloire et en la vie qui ne finissent jamais.

La Mère de Dieu dit : Voyez, ma fille, que cette femme a eu une grande récompense, à raison de la dilection : de même la récompense est donnée à un chacun selon qu’il aime Dieu pendant qu’il vit au monde.

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Chapitre 51. doctrine fort utile contre les ennemis de l’âme, et contre les envieux qui désirent aux hommes la confusion

6051 Il est traité d’une doctrine fort utile contre les ennemis de l’âme, et contre les envieux qui désirent aux hommes la confusion, le dommage et la vie courte.

Cet homme que vous reconnaissez a trois ennemis : le premier est auprès de lui ; il est là où il est ; il dort et veille avec lui, et il ne le voit point. Le deuxième lui est familier, il est près de lui quand il veille, et il ne l’oit point. Le troisième ne lui est pas familier ; il ne le connaît pas, et celui-ci le hait.

Le premier ennemi est le diable, qui le tente de superbe, de cupidité, et de plusieurs autres choses ne plusieurs manières. Contre cet ennemi, il doit se munir d’un fouet, pensant : O diable, vous ne donnez rien de bon : pourquoi me rendrai-je superbe ? Vous me cherchez aussi pour me perdre, et Jésus-Christ me donne la vie. Partant, il est raisonnable que je fuie ta volonté et que je suive la volonté de Dieu et ses préceptes. Partant, quiconque veille ou dort avec une telle intention, menace de son fouet le diable, qui, en étant épouvanté, s’enfuit.

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  Le deuxième ennemi, ce sont ses familiers et ses serviteurs qui lui disent : Vous encourez de grands dommages, si vous êtes trop juste ; vous pourrez faire votre profit en dissimulant plusieurs choses ; si vous êtes trop humble, vous serez méprisé : c’est pourquoi amassez des richesses, et faites-nous riches tous ; désirez les honneurs du monde, et nous nous réjouirons avec vous. Cet ennemi se fait ouïr tous les jours, et partant, il faut édifier un grand mur contre cet ennemi, afin qu’on ne l’entende : ce mur est la bonne volonté, savoir, qu’il désire embrasser plutôt la pauvreté avec la justice que les richesses avec l’injustice, et plutôt avoir la confusion avec l’humilité que l’honneur avec la superbe, et qu’il réponde à son ennemi, mauvais conseiller : Si je fais contre Dieu, priez et avertissez-moi, car lors je me réjouirai plutôt que je ne m’en attristerai. Qu’on mette donc entre l’ennemi et lui un tel mur, de sorte que le vent de ses paroles flatteuses frappe contre le mur, et non contre le coeur, afin qu’il ne s’éloigne de l’amour divin.

Le troisième ennemi est celui qu’il ne connaît pas. Ceux-là désirent sa honte et confusion, son dommage et sa vie très courte, afin qu’ils jouissent des prospérités et obtiennent ses richesses. Partant, qu’il ait contre cet ennemi une corde forte, c’est-à-dire, l’amour de Dieu et du prochain, désirant souffrir tout ce que Dieu veut qu’il pâtisse, ne voulant endommager personne ; et lors l’opprobre et la confusion que ses ennemis voulaient jeter en son front, lui réussira à honneur, le dommage à utilité, la vie courte à longs jours, et l’ennemi est tellement lié qu’il ne peut plus nuire.

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Chapitre 52.

6052 L’épouse admire et se répute indigne devant Jésus-Christ de la grâce qu’elle a de voir et d’ouïr en esprit ce qui se fait au ciel, en purgatoire et en enfer, et plusieurs autres choses excellentes qui sont déclarées en ce chapitre.

  Louange vous soit, ô mon Dieu ! pour toutes les choses créées, dit sainte Brigitte, et honneur pour toutes vos vertus ! Que tous vous servent pour l’amour que vous leur portez. Moi, indigne et pécheresse dès ma jeunesse, je vous rends grâces, ô mon Dieu, d’autant que vous ne refusez la grâce à ceux qui vous la demandent, quoique pécheurs, mais vous leur faites miséricorde et pardon, ô Dieu très doux ! Ce que vous faites avec moi est admirable : quand il vous plaît, vous endormez mon coeur d’un sommeil spirituel, et excitez et relevez mon âme pour voir, ouïr et sentir les choses spirituelles. O mon Dieu, que vos paroles sont douces à mon âme ! Elle les avale comme une douce liqueur, et elles entrent dans mon coeur avec grande joie, car quand j’entends vos paroles, je suis rassasiée, et même je suis famélique : rassasiée, d’autant qu’il n’y a rien qui me plaise que vos paroles ; famélique, d’autant que je désire de les ouïr avec ferveur. Partant, ô mon Dieu ! donnez-moi la grâce de faire toujours votre volonté.

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  Jésus-Christ répondit : Je suis sans commencement et sans fin, et tout ce qui est créé par ma puissance, disposé par ma sagesse et gouverné par mon jugement ; toutes mes oeuvres sont aussi rangées par la charité : partant, rien ne m’est impossible. Mais ce coeur est trop dur, qui ne n’aime ni ne me craint, bien que je sois gouverneur et juge de toutes choses, mais fait plutôt la volonté du diable, qui est son bourreau, qui donne à boire largement le venin par le monde, qui ne peut donner la vie aux âmes, mais bien la mort de l’enfer. Ce venin est la péché, qui est doux au goût, bien qu’amer à l’âme, et tous les jours, il est répandu par les mains du diable sur plusieurs. Mais qui a ouï de telles choses, que la vie soit offerte aux hommes et qu’ils choisissent la mort ? Néanmoins, moi, Dieu de tous, je suis patient et je compatis à leurs misères. Je fais certainement comme le roi qui, envoyant du vin à ses serviteurs, leur dit : Buvez-en en quantité, car il est bon et salutaire : il donne aux malades la santé, aux tristes la joie, un coeur généreux à ceux qui se portent bien, et ce vin n’est envoyé que dans les grappes mêmes. De même j’envoyai mes paroles, qui sont comparées au vin, à mes serviteurs, par vous, qui êtes mon vase. Certainement, mon Saint-Esprit vous enseignera où il vous faut aller et ce qu’il vous faut dire : c’est pourquoi parlez courageusement, et faites sans crainte ce que je vous commande, car pas un ne me surmontera.

Lors je lui répondis : O Roi de toute gloire et celui qui verse la sagesse et qui donne toutes les vertus, pourquoi m’employez-vous à un tel office, moi qui ai consommé ma jeunesse en péchés ? Je suis certainement comme un âne insensé, et suis défectueuse en toute sorte de vertus. J’ai manqué en tout, et ne me suis amendée en rien.

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  Le Saint-Esprit répondit : Qui serait étonné si quelque seigneur faisait de la monnaie ou du métal qu’on lui offrirait, des couronnes, des anneaux, ou des coupes pour son usage ? De même, il n’est pas de merveilles si je choisis et reçois les coeurs de mes amis qui me sont offerts, et si je fais en eux ma volonté. Et d’autant que l’un a plus petit entendement que l’autre, de même je me sers de la conscience et de l’esprit d’un chacun, selon que je vois expédient pour mon honneur, car le coeur du juste, c’est ma monnaie : c’est pourquoi soyez prompte et constante à faire mes volontés.

Ensuite la Mère de Dieu me parla : Qu’est-ce que les femmes superbes disent en votre royaume ?

Je suis une d’icelles, c’est pourquoi je suis confuse de parler en votre présence.

Et la Mère de Dieu dit : Bien que je sache cela mieux que vous, néanmoins je le veux ouïr de votre bouche.

Quand on nous prêchait l’humilité vraie, nous disions que nos parents possédaient des possessions très amples et de moeurs très excellentes. Pourquoi ne les imiterons-nous donc ? Notre mère allait de pair avec les premiers ; elle était excellemment et noblement vêtue, et avait plusieurs serviteurs ; elle nous a élevés avec honneur : pourquoi mes filles ne doivent-elles hériter de telles choses, auxquelles j’appris de se comporter noblement et de vivre avec joie corporelle ? Je leur ai enseigné de mourir avec de grandes dignités.

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  La Mère de Dieu dit : Toute femme qui suit cette route et ces discours par oeuvres, va par une voie droite dans l’enfer ; et partant, une telle réponse est dure et amère, car que profite tout cela, puisque le Créateur de toutes choses n’a jamais porté une robe superbe, tant qu’il a demeuré en terre ? Certainement, telles femmes ne considèrent point la face de Jésus, quelle elle était en la croix, sanglante et pâle de peines et de tourments, et ne soucient point des opprobres qu’il a ouïs, ni de la mort ignominieuse qu’il a choisie et soufferte pour nous, ni ne se souviennent point du lieu où il a rendu l’esprit ; car là où les larrons reçurent les supplices qu’ils méritaient, c’est là que mon Fils a été crucifié ; et moi, la plus chère de toutes les créatures, et qui suis la vraie humilité, j’assistai là. Et partant, ceux qui se gouvernent superbement et pompeusement, et donnent aux autres sujets de les imiter, sont semblables à un aspersoir qui, étant plongé dans une liqueur ardente, brûle et tache tous ceux qui en sont aspergés : de même quand les superbes donnent sujet de mauvais exemple et de mauvaise édification, ils brûlent les âmes ; et partant, je veux faire maintenant comme une bonne mère qui, déterrant ses enfants, leur montre les verges, lesquelles les serviteurs voient aussi ; mais les enfants, les voyant, craignent d’offenser la mère, la remerciant de les avoir menacés pour éviter les coups. Mais les serviteurs craignent d’être fouettés, s’ils manquent, et de la sorte, par cette crainte, les enfants font plusieurs biens, et les serviteurs moins de mal qu’ils ne faisaient.

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  Partant, d’autant que je suis Mère de miséricorde, je veux vous montrer la peine du péché, afin que les amis de Dieu soient fervents de l’amour de Dieu, et les pécheurs, sachant de danger, fuient pour le moins le péché par la crainte ; et de la sorte, je fais miséricorde aux bons, afin qu’ils obtiennent une plus grande couronne au ciel, et au mauvais, afin qu’ils endurent moins de peines, et il n’y a pas pécheur si grand que je ne sois toute prête à lui aller au-devant et que mon Fils ne soit disposé à lui donner la grâce, s’il demande miséricorde avec amour.

Et après cela apparurent trois femmes : la mère, la fille et la nièce ; mais la mère et la nièce apparurent mortes, et la fille apparut vive. Or, la susdite mère apparaissait morte, semblait ramper par terre dans un lieu fort obscur et boueux, le coeur de laquelle semblait arraché, et les lèvres semblaient coupées. Le menton tremblait, et les dents, blanches et longues, grinçaient en la bouche. Les narines étaient rongées, et ses yeux arrachés pendaient aux joues avec deux nerfs. Son front semblait creux et avalé, et au lieu du front était un grand et ténébreux abîme. En la tête, il n’y avait point de crâne, et son cerveau bouillait comme du plomb fondu et de la poix échauffée. Son col était aussi secoué comme un bois qui tourne autour, lequel un fer très aigu coupé sans cesse. Sa poitrine ouverte était pleine de vermisseaux longs qui grouillaient l’un sur l’autre, et ses bras ressemblaient à un manche d’un tailleur de pierres ; ses mains étaient comme des clous à noeuds et longs, et toutes les jointures étaient désemboîtées, de sorte que quand l’une montait, l’autre descendait sans cesse. Un serpent long et grand était du plus haut de l’estomac jusques en bas, qui, baissait sa tête avec la queue envenimait ses entrailles, et tournait incessamment comme une roue. Ses cuisses et ses jambes ressemblaient à deux bâtons épineux pleins de pointes très aiguës. Ses pieds étaient comme des pieds de crapauds.

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Lors cette mère, qui était comme morte, parlait à sa fille qui était vivante, lui disant : Oyez, lézarde et fille pleine de venin. Malheur à moi que j’aie été votre mère ! Je suis celle qui vous ai mise au nid de superbe, où vous croissiez, y étant échauffée, jusqu’à ce que vous ayez atteint l’âge ; et elle vous a tellement plu que vous avez consommé en icelle tout votre temps. Partant, je vous dis que tout autant de fois que vous tournez les yeux superbement sur quelqu’un, comme je vous ai enseigné, tout autant de fois vous jetez à mes yeux du venin tout bouillant avec une intolérable ardeur ; et toutes fois et quantes que vous proférez des paroles orgueilleuses que vous avez apprises de moi, tout autant de fois j’avale des breuvages très amers ; toutes fois et quantes que vos oreilles sont remplies de vent de superbe, qui excite les orages de l’arrogance, qui sont : ouïr les louanges de votre corps bien proportionné, désirer les honneurs du monde, ce que vous avez appris de moi, tout autant de fois frappe en mes oreilles un son horrible qui m’étourdit avec un vent brûlant. Malheur donc à moi qui suis en l’extrême pauvreté et misère ! Je suis pauvre, d’autant que je n’ai rien de bon ni n’en ressens ; misérable, parce que je suis assaillie de toute sorte de maux.

Mais vous, ma fille, vous êtes semblable à la queue de la vache, qui va par les lieux boueux, qui toutes les fois qu’elle meut la queue, salit tous ceux qui sont auprès d’elle. De même en faites-vous, ma fille, vous qui n’avez point la divine sagesse, et allez selon vos désirs et les mouvements de votre corps. Partant, toutes les fois que vous imitez les coutumes que j’ai fait couler en votre esprit en la jeunesse, savoir, les péchés que je vous ai enseigné de faire, tout autant de fois ma peine est renouvelée et mes feux brûlent avec plus d’ardeur. Partant, ma fille, pourquoi vous enorgueillissez-vous de votre sang ? Quel honneur avez-vous d’avoir été en mon ventre auprès de l’ordure et nourrie d’ordure ? Votre sortie a été honteuse, et les immondices de mon sang étaient votre robe en la naissance. Or, maintenant, mon ventre, qui vous a portée, est rongé par les vers.

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  Mais pourquoi me plaindre de toi, ma fille, puisque j’ai plus de sujet de me plaindre de moi-même ? car il y a trois choses qui affligent le plus mon coeur : 1- étant créée de Dieu pour la gloire céleste, j’abusais de ma conscience, et me suis disposée pour les peines de l’enfer ; 2-Dieu m’ayant créée belle comme un ange, je me suis rendue difforme moi-même, de sorte que je suis plus semblable au diable qu’à l’ange de Dieu ; 3- j’ai mal changé le temps qui m’était donné ; j’ai préféré le moment c’est-à-dire, la délectation du péché, pour lequel je ressens maintenant des maux infinis dans l’enfer, à l’éternité glorieuse !

Et lors, elle dit à l’épouse : Vous qui me voyez, vous ne me concevez que par similitudes. Certes, si vous me voyiez comme je suis, vous mourriez d’effroi, car tous mes membres sont comme des démons. Et partant, l’Écriture est vraie quand elle dit que, comme les justes sont membres de Dieu, de même les pécheurs sont membres du diable. J’en fais maintenant l’expérience. Les démons sont comme cloués à mon âme, d’autant que moi-même je me suis disposée à une si grande difformité.

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Mais écoutez encore davantage. Il vous semble que mes pieds sont comme des crapauds : cela est d’autant qu’opiniâtrement je me suis arrêtée dans le péché ; c’est pourquoi aussi les diables sont toujours avec moi, me rongeant sans jamais se rassasier ; mes jambes et mes cuisses sont comme des bâtons épineux, d’autant que ma volonté a suivi les concupiscences de la chair et les voluptés. Mais les os de mon dos sont tous désemboîtés, et l’un s’émeut contre l’autre, d’autant que mon esprit se plaisait trop aux consolations mondaines, et s’affligeait trop des adversités et des fâcheries du monde. Et comme le dos s’émeut selon le mouvement de la tête, de même ma volonté ne devait se mouvoir que selon les volontés de Dieu, qui est l’origine de tout bien. Mais d’autant que je n’ai pas fait cela, je pâtis justement ce que vous voyez. Mais d’autant qu’un serpent se glisse du bas de l’estomac jusques en haut, et étant comme un cercle, environne mon ventre, cela est d’autant que mes voluptés ont été déréglées, et voulaient tout posséder, pour pouvoir dépendre beaucoup avec indiscrétion ; c’est pourquoi le serpent court incessamment par mon intérieur, sans me donner trêve ni repos.

Quant à ce que ma poitrine est ouverte et rongée des vers, cela montre la vraie justice divine. Certes, j’aimais la pourriture plus que Dieu, et mon coeur était lié aux choses passagères ; et partant, comme de petits vermisseaux s’engendrent les grands, de même mon âme est remplie de démons, comme engendrés de l’amour que j’avais pour la pourriture et l’ordure. Mes bras semblent aussi comme démanchés, d’autant que mon désir tendait à la longue vie et à vivre longtemps dans le péché.

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Je désirais aussi que le jugement de Dieu fût plus doux que l’Écriture ne dit ; et néanmoins, la conscience me disait bien que mon temps était court et que le jugement de Dieu était effroyable ; mais au contraire, les désirs des voluptés et des péchés me dictaient faussement que ma vie serait longue, et que le jugement de la fureur divine ne serait pas si effroyable ; et de telles suggestions renversaient ma conscience, et après, ma volonté et ma raison suivaient mes délectations et mes voluptés. C’est pourquoi aussi le diable s’émeut en mon âme contre ma volonté, et ma conscience entend et ressent que le jugement de Dieu est juste.

Mes mains sont comme une massue longue, d’autant que je n’ai pas gardé les commandements de Dieu ; et par la même raison, mes mains me servent à la pesanteur et non à l’usage.

Mon col tourne comme un bois au tour et qui est taillé avec un ciseau, et c’est parce que les paroles divines n’ont point été à goût à mon coeur, mais lui étaient amères, d’autant qu’elles reprenaient ses délectations et ses voluptés : c’est pourquoi un fer aigu est toujours fiché à mon gosier.

Mes lèvres sont coupées, d’autant qu’elles étaient promptes à parler de la vanité et superbe et de la cajolerie, mais grandement lâches à parler de Dieu. Ma joue paraît tremblante et les dents me grincent, d’autant que je donnais de la viande à mon corps, afin que je parusse belle, désirable, saine et forte à toutes les délices du corps ; et mes dents sont en continuel grincement, d’autant que tout leur ouvrage a été inutile pour le bien de l’âme. Mes narines sont coupées, d’autant que même vous punissez de telle peine ceux qui sont atteints des crimes dont celui-ci est atteint, afin qu’il ait de la honte, et moi, j’en ai la confusion éternelle !

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  Quant à ce que les yeux sont pendus par deux nerfs jusques aux joues, cela est juste, car comme les yeux se plaisaient en la beauté des joues par ostentation de superbe, de même maintenant ils sont arrachés par trop pleurer, et pour confusion, pendant aux joues. Justement aussi mon front est avalé, et à sa place sont des ténèbres palpables, d’autant que j’ai couvert mon front du voile de superbe, et j’ai voulu me glorifier et paraître belle ; mon front est maintenant obscur et difforme ; mais d’autant que le cerveau bout et s’écoule, comme le plomb s’émeut et est flexible selon la volonté, qui était en mon cerveau, allait selon les mouvements de mon coeur, bien que je susse fort bien ce qu’il fallait faire. Mais même la passion du Fils de Dieu n’était point gravée dans mon coeur, mais s’enfuyait et s’en écoulait comme chose que je savais bien, et m’en souciais bien peu. D’ailleurs, j’étais autant attentive au sang qui coulait des membres du Fils de Dieu qu’à la poix, et je fuyais les paroles de charité comme de la poix, de peur qu’elles ne me détournassent des délices corporelles, et qu’elles ne me troublassent quand j’en jouissais. Quelquefois néanmoins, j’oyais la parole de Dieu pour le respect des hommes, mais elle sortait avec la même facilité de mon coeur qu’elle y était entrée. C’est pourquoi aussi mon cerveau s’écoule comme une poix ardente. Mes oreilles sont aussi bouchées avec des pierres fort dures, d’autant que les paroles de superbe entraient en elles avec joie, et de là s’écoulaient doucement

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Dans mon coeur. Et d’autant que j’ai fait toutes choses pour l’amour du monde et pour la vanité, mes oreilles n’entendront jamais les concerts et les agréables mélodies.

Mais vous me pourriez demander si je n’ai fait aucune bonne oeuvre. Je vous réponds : J’ai fait comme celui qui rogne la monnaie et la rend à son maître, car je jeûnais, je faisais des aumônes et d’autres bonnes oeuvres, mais tout cela par crainte de l’enfer et pour éviter les douleurs corporelles. Mais d’autant que la charité n’était point en mes oeuvres, elles ne m’ont point servi pour obtenir le ciel ; elles n’ont pas été pourtant sans récompense.

Vous pourriez encore vous enquérir quelle je suis intérieurement en ma volonté, puisque je suis difforme au-dedans. Je vous réponds : Ma volonté est comme l’homicide et le parricide : de même je désire toute sorte de maux à mon Créateur, qui m’a été néanmoins très bon et très doux.

Après, la nièce morte de la susdite bisaïeule, morte aussi, parla à la mère qui vivait encore : Oyez, ô scorpion, ma mère ! Malheur à moi, d’autant que vous m’avez déçue, car vous m’avez montré un visage doux, mais vous m’avez cruellement percé le coeur. Vous m’avez donné trois mauvais conseils ; j’ai appris trois autres choses de vos actions, et vous m’avez montré trois voies en votre procédé. Le premier conseil a été d’aimer charnellement pour obtenir les amitiés charnelles ; le deuxième, de dépenser prodigalement les biens pour l’honneur du monde ; le troisième, d’avoir le repos pour les plaisirs de la chair. Certainement, ces conseils m’ont été grandement dommageables, car d’autant que j’ai aimé charnellement, j’ai maintenant la honte et l’envie spirituelle ; et parce que j’ai prodigalement dépensé les biens, je suis privée des dons de Dieu en la vie, et après la mort, j’ai été remplie de confusion ; et d’autant que je me plaisais aux délices charnelles, à l’heure de la mort, les ingratitudes et les chagrins de l’esprit me saisirent sans considération aucune.

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  J’ai aussi appris trois choses de vos oeuvres, savoir :1-d’en faire quelques bonnes sans quitter le péché qui me plaisait, comme celui qui, mêlant le venin avec le miel, n’offrait que du venin au juge qui, étant justement irrité, l’épandit sur celui qui le lui offrait ; de même j’expérimente le même avec beaucoup de douleur et de tribulation ; 2-une façon et mode admirable de m’habiller, savoir des souliers mignons à mes pieds, des gants façonnés à mes mains, montrer ma gorge toute nue.

Ce linge délié marquait l’éclat de mon corps, qui a tellement offusqué l’éclat de mon âme que je ne me souciai de sa beauté. Mes souliers ou sandales, découverts au-dessus, signifiaient ma foi sans les oeuvres, qui ont laissé mon âme toute nue. Les gants aux mains signifiaient la vaine espérance que j’ai eue, car j’appuyais mes espérances en mes oeuvres, dont j’attendais miséricorde, sans que j’aie jamais considéré la justice divine, ni n’ai point ressenti sa fureur, ce qui me donna le libertinage au péché. Mais quand la mort s’approchait, mon linge tomba de mes yeux sur terre, c’est-à-dire, sur mon coeur, lors l’âme se connut et se vit toute nue, voyant que mes péchés étaient grands et mes oeuvres fort petites, et j’en avais tant de honte et de confusion que je ne pus entrer dans le palais du Roi des cieux. Or, lors les démons me trouvèrent, et me donnèrent de grandes peines et douleurs, où j’étais moquée avec confusions insupportables.

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  La troisième que j’appris de vous, ma Mère, c’est de revêtir le serviteur des habillements du maître, et le maître, des habillements du serviteur. Ce maître est l’amour de Dieu ; le serviteur est la volonté de pécher. Partant, la charité devant régner dans mon coeur, j’ai posé la volonté de pécher, laquelle j’ai lors revêtue des vêtements du Seigneur, quand je me suis servie des créatures pour l’assouvissement de mes voluptés, et j’ai donné au Seigneur quelques restes, et encore iceux par crainte et non par amour. Mon coeur donc se réjouissait du succès de mes voluptés, d’autant que le Seigneur en était chassé et banni, et le serviteur bien reçu et caressé.

J’ai appris de vous ces trois choses. Vous m’avez aussi montré trois voies en votre démarche : la première était éclatante, en laquelle étant entrée, je fus aveuglée de sa splendeur. La deuxième fut courte, et labile comme la glace, en laquelle je tombais pas à pas. La troisième était trop longue, et quand j’y marchais, un torrent impétueux m’emporta sur une montagne en une fosse profonde qui était là.

En la première voie est marqué le progrès de ma superbe, qui fut trop brillante, car l’ostentation, fille de la superbe, donna tant d’éclat à mes yeux que je ne considérai point la fin, et partant, je fus aveugle.

En la deuxième voie est marquée la rébellion.

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Le temps de rébellion n’est pas long en cette vie, car après la mort, l’homme est contraint d’obéir. En vérité, il m’a été fort long, car quand je passai par un pas, c’est-à-dire, par l’humilité de la confession, soudain je retombai à mes péchés ; c’est pourquoi je n’ai point été constante en l’obéissance, mais je tombais soudain dans mes péchés comme celui qui chemine sur la glace. Ma volonté était froide, d’autant que je ne quittais les délectations du péché, de sorte que quand j’avançais un pas à la confession, confessant mes péchés, je retombais en un autre pas, d’autant que je voulais le péché et je me plaisais à me confesser souvent.

La troisième voie fut que je m’attendais à pouvoir pécher sans avoir une grande peine, pouvoir vivre longtemps et ne m’approcher point de l’heure de la mort. Et ayant avancé chemin par cette voie, un torrent impétueux, savoir, la mort, qui donne à un autre, m’enleva et me chargea de peines, renversant mes pieds. Or, quels sont ces pieds, si ce n’est que, les infirmités m’accablant, je ne pouvais avoir soin des utilités de mon corps, et moins de celles de l’âme ? C’est pourquoi je tombai en une profonde fosse, quand le coeur, qui était haut et superbe, endurci dans le péché, creva, et l’âme tomba en la fosse de la peine du péché. Et partant, cette voie a été trop longue commençait. Malheur donc à moi, ô ma mère ! Car tout ce que j’appris de vous avec joie, je le pleure maintenant avec amertume !

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  D’ailleurs, cette fille morte parlait encore à l’épouse, qui voyait ceci : Oyez, vous qui me voyez. Il vous semble que ma tête et ma face sont comme un tonnerre qui fulmine au-dedans, et mon col est mis comme dans une presse garnie de clous. Mes bras et mes pieds sont comme des serpents très longs ; mes jambes et mes cuisses sont comme deux canaux d’eau coulants du toit tout glacés. Mais encore une peine m’est la plus amère de toutes : car comme si une personne avait tous les canaux des esprits vitaux bouchés, et comme si toutes les veines pleines de vent se serraient dans le coeur et crèveraient à raison de la violence du vent, de même je suis disposée au-dedans misérablement, à raison du vent de la superbe qui m’a été très agréable. Néanmoins, je suis en la voie de la miséricorde, car lorsque j’étais accablée d’infirmités, je les louai le mieux qu’il me fut possible, mais néanmoins avec un esprit de crainte. Mais la mort s’approchant, la considération de la passion de Jésus-Christ me vint en l’esprit, savoir, qu’elle était beaucoup plus douloureuse que la douleur que je méritais à raison de mes fautes, et par une telle considération, j’ai obtenu les larmes, gémissant, voyant que Dieu m’avait tant aimée, et que je l’avais aimé si peu ; car lors je le regardai des yeux de l’esprit et lui dis : O Seigneur, je crois que vous êtes mon Dieu. Ayez miséricorde de moi, ô Fils de la Vierge, pour l’amour de votre amère passion. J’amenderais maintenant ma vie, si j’en avais le temps. Et en ce point-là, je fus soudain allumée d’une scintille de charité en mon coeur, de sorte que la passion de Jésus me semblait plus amère que ma mort. Et lors mon coeur creva, et mon âme vint ès mains des démons, pour être présentées au jugement de Dieu, car il était indigne que les anges d’un grand éclat et d’une grande beauté portassent une âme si difforme.

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Or, au jugement de Dieu, les démons criant que mon âme fût condamnée à l’enfer, le Juge répondit : Je vois une scintille de charité en son coeur, qui ne doit être éteinte, mais qui doit être devant moi, et partant, je juge l’âme à être purifiée jusques à ce qu’étant dignement purifiée, elle mérite de me posséder.

Vous pourriez encore vous enquérir si je serai participante de tous les biens qu’on fait pour moi. Je vous réponds par similitude : car comme si vous voyiez une balance, et s’il y avait en l’un des bassins du plomb qui l’abaissât, en l’autre une chose légère qui l’enlevât en haut, plus on la chargerait, voire emporterait le poids du plomb : de même en est-il de moi, car d’autant plus ai-je hanté le péché, d’autant plus suis-je descendue en peine. Et partant, tout ce qu’on fait à l’honneur de Dieu pour moi, cela m’enlève de la peine, et spécialement l’oraison, et les biens que font les hommes justes et amis de Dieu et les charités qu’on fait des biens bien acquis. Telles choses m’approchent de Dieu de jour en jour.

Après cela, la Mère de Dieu parla à l’épouse : Vous admirez comment moi, qui suis Reine du ciel, et vous, qui vivez au monde, et cette âme, qui est en purgatoire, et l’autre en enfer, parlent ensemble. Je vous dirai cela. Je ne me retire jamais du ciel, d’autant que je ne serai jamais séparée de la vision de Dieu, ni l’âme qui est en enfer ne sera jamais séparée des peines, ni l’autre du purgatoire, qu’elle ne soit entièrement purifiée, ni vous ne viendrez à nous avant la séparation du corps ; mais votre âme et votre intelligence sont élevées dans le ciel, pour y entendre les paroles de Dieu, et il vous est permis de faire savoir quelques peines de l’enfer et du purgatoire aux mauvais, afin qu’ils prennent garde à eux et aux bons, pour consolation et avancement. Or, sachez que votre corps et votre âme sont unis en terre, et le Saint-Esprit vous donne l’intelligence, afin que vous connaissiez ses saintes volontés.

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  DÉCLARATION

  Il est parlé en ce chapitre de trois femmes, l’une desquelles entra dans un monastère, faisant pénitence tout le temps de sa vie avec grande perfection.


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6049