Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6053

Chapitre 53. Notre-Seigneur reprend la superbe des prélats, etc. Ils doivent corriger leurs sujets, de peur qu’à l’exemple d’Héli, ils ne soient damnés.

6053   Notre-Seigneur reprend la superbe des prélats, etc. Ils doivent corriger leurs sujets, de peur qu’à l’exemple d’Héli, ils ne soient damnés.

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  Le Fils de Dieu parle à son épouse, lui disant : C’est une grande chose, voire c’est un monstre horrible que là où le Roi de gloire s’est humilié, là l’homme obligé à rendre compte, s’enorgueillisse, car si quelqu’un est supérieur aux autres, il ne doit s’enorgueillir d’être prélat, mais plutôt craindre, car tous sont égaux en nature et toute puissance est de Dieu. En vérité, si celui que Dieu fait supérieur est bon, il profite à son salut et à celui des autres ; s’il est mauvais, c’est la permission de Dieu, pour la correction des sujets et à sa plus grande condamnation, ni n’est point de merveille, mais digne et juste, que l’homme qui a négligé de se soumettre à son Créateur, expérimente la domination de l’inférieur et ses conseils. Donc, quand quelqu’un est contraint d’être supérieur ou désire l’être, qu’il se montre tel à ses sujets, qu’il soir désirable à raison de ses moeurs et de sa bonne vie, utile en la justice et équité. Enfin de sa nature, celui qui est prélat doit s’humilier et ses mesurer par sa propre mesure, afin qu’il ne s’élève par-dessus soi-même, et qu’il apprenne en soi d’avoir compassion des autres. Qu’il craigne aussi que, de la même mesure qu’il mesure les autres, on ne le mesure (
Mt 4 Mt 16), car moi, Dieu et homme, je me suis tellement tempéré que, bien que je connusse les défauts des hommes par ma science infaillible, je les ai voulu connaître par les peines, par les croix, en les expérimentant ; et enfin, pour me donner en exemple à eux, j’ai commencé plutôt par faire que par commander et enseigner ; j’ai voulu servir, et non être servi. De même en a fait ma très chère Mère, car bien qu’elle fût maîtresse des apôtres, elle a été la plus humble de tous, et elle a été quasi un des moindres : c’est pourquoi aussi elle a monté à la souveraine félicité.

Que le prélat donc apprenne en ses propres infirmités à supporter les défauts des sujets, et qu’il prenne garde qu’il ne donne sujet ou occasion aux autres de péché et de ruine par ses paroles et ses exemples, en abusant de sa puissance, car il n’y a rien qui provoque tant l’ire de Dieu, attire, entraîne même les hommes à pécher, que la lasciveté des prélats, car si Héli, le grand-prêtre, fût demeuré en la vigueur du sacerdoce et eût aimé ses enfants spirituellement, comme jadis Phinées et Moïse, toute sa génération eût été sauvée ; mais d’autant qu’il voulut plaire charnellement à ses enfants, il laissa sa mémoire en tribulation et sa postérité en confusion.

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Chapitre 54. Jésus-Christ dit que le monde était comme une solitude, et il a illuminé le monde et a montré le chemin du ciel. Il a envoyé ce livre

6054   Jésus-Christ dit que le monde était comme une solitude, et il a illuminé le monde et a montré le chemin du ciel. Il a envoyé ce livre ; ceux qui le recevront et le garderont par oeuvre, seront sauvés.

La Sainte Vierge Marie parle à sa fille, disant : Béni soyez-vous, ô mon Fils ! Vous êtes le principe, sans principe du temps, et puissance sans laquelle nul n’est puissant. Je vous en prie, mon Fils, achevez puissamment ce que vous avez sagement commencé. Le Fils répondit : Vous êtes comme une boisson douce à celui qui a soif, et comme une fontaine arrosant les choses arides, d’autant que, par vous, toute grâce fleurit. C’est pourquoi je ferai ce que vous demandez.

Le Fils parle encore : Le monde, avant mon incarnation, était comme une solitude en laquelle il y avait un puits dont l’eau était fort trouble et immonde. Tous ceux qui en buvaient avaient plus de soif, et ceux qui avaient mal aux yeux s’en trouvaient pis. Auprès de ce puits, il y avait deux hommes, l’un desquels criait, disant : Buvez en assurance, car le médecin est venu qui ôtera toutes les langueurs. L’autre disait : Buvez joyeusement. Il est vain et inutile de désirer ce qui est incertain.

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  Sept voies conduisaient à ce puits, c’est pourquoi ce puits était désiré de tous. Ce monde est semblable à la solitude, où sont les bêtes, les arbres infructueux et les eaux immondes ; car l’homme désirait comme une bête épandre le sang de son prochain ; il était infructueux ès oeuvres de justice, et immonde par l’incontinence et cupidité. Les hommes cherchaient un puits trouble en cette solitude, qui était l’amour du monde, et son honneur, qui est haut en orgueil, trouble en la sollicitude et soin de la chair, et par les sept péchés capitaux. L’entrée était ouverte à ce puits. Les deux hommes qui étaient auprès du puits sont les docteurs des Gentils et des Juifs, car les docteurs des Juifs étaient orgueilleux de leur loi qu’ils avaient et qu’ils n’observaient pas ; et d’autant qu’ils étaient infatigables en leur cupidité, ils incitaient le peuple à chercher les richesses temporelles, disant : Vivez assurément, car le Messie viendra, et il restituera toutes choses. Les docteurs des Gentils disaient : Usons des créatures que vous voyez, d’autant que le monde fut créé pour nous réjouir.

  L’homme demeurant ainsi plongé en son aveuglement, et ne considérant pas la grandeur divine ni les choses futures, lors moi, un avec le Père et le Saint-Esprit, suis venu au monde, et m’étant revêtu de l’humanité, je prêchai, disant que ce que Dieu avait promis et que Moïse avait écrit, était accompli. Aimez donc les choses célestes, car les choses mondaines passent, et je donnerai les choses célestes.

J’ai aussi montré sept voies par lesquelles l’homme se retire de la vanité, car j’ai montré la pauvreté et l’obéissance ; j’ai enseigné les jeûnes et l’oraison ; je fuyais quelquefois les hommes et demeurais seul en prière. J’ai embrassé les opprobres ; j’ai choisi les douleurs et les labeurs ; j’ai soutenu les peines et la mort ignominieuse.

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Or, j’ai montré par moi-même cette voie par laquelle mes amis marcheraient dès longtemps ; mais maintenant cette voie est ruinée. Les gardiens dorment, les passants se plaisent aux vanités et nouveautés, c’est pourquoi je me lèverai et ne me tairai pas. J’ôterai la voix de la joie, et je louerai ma vigne à d’autres, qui rendront les fruits en son temps. En vérité, selon la commune maxime, entre les ennemis se trouvent des amis : partant, j’enverrai à mes amis mes paroles plus douces que le miel, plus précieuses que l’or, et ceux qui les auront et les garderont, auront un trésor qui ne s’épuise jamais et qui s’augmente jusqu’à la vie éternelle.


Chapitre 55. Pour le jour de la Conception de la Vierge Marie

6055   La Mère de Dieu explique en ce chapitre de grandes choses touchant sa Conception.

Pour le jour de la Conception de la Vierge Marie.

La Mère de Dieu dit : Quand mon père et ma mère s’unirent par le lien du mariage, l’obéissance eut plus de pouvoir que la volonté ; plus opéra là la charité divine que la volupté charnelle, car l’heure en laquelle je fus conçue se peut bien appeler heure dorée et précieuse, d’autant que les autres mariés s’unissent par volupté charnelle, et mes parents s’unirent par obéissance et par le commandement divin. Donc, ma conception a été à bon droit dorée, car lors le principe de salut prit en quelque manière quelque commencement, et les ténèbres s’allaient rendre à la lumière, car Dieu a voulu faire en son oeuvre une chose rare et signalée, qui a été cachée aux siècles, comme il fit jadis en la verge fleurissante. Mais sachez que ma conception n’a pas été connue de tous, car Dieu a voulu que, comme devant la loi écrite, la loi naturelle procédât, et le choix libre du bien et du mal, et qu’après, la loi écrite vînt, qui retiendrait le frein à tous les mouvements effrénés, de même il a plu à Dieu que ses amis aient douté pieusement de ma conception, afin qu’un chacun montrât son zèle jusqu’à ce que la vérité parût au temps que la sagesse avait ordonné
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Chapitre 56. Pour le jour de la Nativité de Marie

6056 La Sainte Vierge montre que sa Nativité est la porte des vraies joies, etc. Elle se plaint des femmes qui ne considèrent cela avec dévotion.

Pour le jour de la Nativité.

  La Sainte Vierge Marie parle : Quand ma mère m’engendra, je sortis par la porte commune, car aucun ne doit naître par autre manière, excepté Jésus-Christ, qui, étant le Créateur de tout le monde, a voulu aussi naître admirablement et d’une manière tout ineffable. Mais quand je fus née, les diables le surent et pensèrent en eux-mêmes : Voici qu’une Vierge est née, qu’est-ce que nous ferons, car il arrivera en elle quelque chose de grand ? Si nous lui appliquons tous les rets des finesses de notre malice, elle les rompra comme des étoupes. Si nous regardons son intérieur, nous la trouverons grandement munie, ni on ne trouve en elle aucune tache où on puisse mettre la pointe du péché : C’est pourquoi il est à craindre que sa pureté nous donnera de la peine, sa grâce dissipera toute notre force, sa constance nous foulera à ses pieds.

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Or, les amis de Dieu, qui attendaient depuis longtemps, disaient, Dieu les inspirant : Pourquoi nous affligerons-nous davantage ? Il nous faut plutôt réjouir, car la lumière qui illuminera nos ténèbres est née ; nous désirs sont accomplis. Les anges se réjouirent aussi, bien que leur joie soit toujours en la vision divine, disant : Quelque chose de désirable est né en la terre, et c’est une merveille d’amour par laquelle la paix du ciel et de la terre sera affermie, et nos ruines seront réparées.

De vrai, ma fille, je vous dis que ma naissance fut le commencement des joies, car lors apparut cette verge d’où est éclose la fleur que les rois et les prophètes désiraient voir. Après que j’ai été plus âgée et que j’ai pu comprendre mon Créateur, j’ai été intimement touchée d’un amour indicible, et je désirais Dieu de tout mon coeur. J’ai été aussi conservée d’une grâce admirable, en sorte qu’en mes jeunes et tendres années, je ne consentais pas au péché, d’autant que l’amour de Dieu, le soin des parents, la nourriture et honnête éducation, la conservation des faveurs et la ferveur de connaître éminemment Dieu, persévéraient en moi.

Or, maintenant je me plains que les femmes qui sont engendrées et engendrent avec horreur, naissant avec immondices, se délectent en icelles, et ne considèrent point la pureté de ma naissance, mais sont pires que les juments, d’autant qu’elles vivent sans raison ; elles vivent de vrai selon la chair : c’est pourquoi leur volupté passera ; l’esprit de pureté se retira ; les joies éternelles s’enfuiront d’elles ; l’esprit d’impureté qu’elles suivent les enivrera.

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Chapitre 57. Pour le jour de la Purification

6057 La Vierge Marie dit à sainte Brigitte pourquoi elle se purifia, etc. et elle parle aussi du glaive qui transperça son coeur.

Pour le jour de la Purification.

  La Sainte Vierge Marie dit à l’épouse de son Fils : Ma fille, sachez que je n’avais point besoin de purification comme les autres femmes, car mon Fils, qui est né de moi, m’avait purifiée, et je n’avais pas contracté une des plus petites taches, lorsque j’engendrai mon Fils, qui est la pureté même. Mais néanmoins, afin que la loi et les prophètes fussent accomplis, j’ai voulu vivre en la loi, ni je ne vivais pas selon les apparents du siècle, mais je conversais humblement avec les humbles. Je n’ai voulu avoir en moi quelque chose de particulier, tant j’aimais tout ce qui touchait l’humilité !

Un jour, comme aujourd’hui, ma douleur prit accroissement, car bien que je susse par l’inspiration divine que mon Fils pâtirait, néanmoins, lorsque Siméon dit qu’il me serait le glaive de douleur et qu’il me serait le signe que l’on contredirait, cette douleur perça mon coeur avec plus d’amertume, douleur, certes, qui ne se retira jamais de mon coeur, jusqu'à ce qu’en corps et en âme je montai au ciel, bien qu’il fût tempéré par les consolations du Saint-Esprit. Je veux que vous sachiez que, ce jour-là, ma douleur fut en six manières :

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1- En ma connaissance, car autant de fois que je le regardai, que je l’emmaillotai, que je voyais ses mains et ses pieds, tout autant de fois mon esprit était comme plongé en une nouvelle douleur, car je pensais comment on le crucifierait. 2- En mon ouïe, car tout autant de fois que j’oyais les opprobres qu’on vomissait contre mon Fils, les mensonges et les embûches, mon esprit était comme emporté par la douleur, de sorte qu’à grand peine il se pouvait tenir ; mais la vertu divine donna la manière et l’honnêteté, afin qu’on ne remarquât en moi rien d’imparfait. 3- En la vue, car quand je vis qu’on fouettait mon Fils, qu’on le clouait, qu’on le pendait en un gibet, je tombai comme morte ; mais prenant courage, je demeurai auprès, debout et souffrant tout cela si patiemment que mes ennemis ni autres ne trouvaient en moi que douleur. 4- En l’attouchement, car moi et les autres descendîmes mon Fils de la croix ; je l’enveloppai et le mis dans le sépulcre, et de la sorte, ma douleur augmentait tellement qu’à peine mes mains et mes pieds avaient-ils la force de me soutenir. Oh ! que volontiers j’eusse voulu alors être ensevelie avec mon Fils ! 5- Je souffrais à raison du désir véhément que j’avais d’aller au ciel, après que mon Fils y fut monté, car la longue demeure que je fis en terre après son départ augmentait grandement ma douleur. 6- Je souffrais de la tribulation des apôtres et des amis de Dieu, la douleur desquels était ma douleur, craignant toujours qu’ils ne succombassent aux tentations et tribulations, et dolente, d’autant que les paroles de mon Fils étaient contrariées par tout. Or, bien que la grâce de Dieu persévérât toujours avec moi et que ma volonté fût selon la sienne, néanmoins ma douleur fut continuelle, mêlée avec la consolation, jusqu’à ce que je fusse au ciel, en corps et en âme auprès de mon Fils. Partant, ô ma fille, que cette douleur ne se retire jamais de votre coeur, car sans les tribulations, peu de gens seraient sauvés.


Chapitre 58. La Sainte Vierge parle à sainte Brigitte des douleurs qu’elle eut quand il fallut fuir en Égypte.

6058 La Sainte Vierge parle à sainte Brigitte des douleurs qu’elle eut quand il fallut fuir en Égypte.

  La Sainte Vierge Marie parle à l’épouse de son Fils, disant : Je vous ai parlé de mes douleurs ; mais la douleur que j’avais quand il fallut fuir en Égypte avec mon Fils ne fut pas des moindres, ni quand j’ouïs qu’on tuait les enfants innocents, qu’Hérode poursuivait mon Fils ; et bien que je susse ce qui était écrit de mon Fils, néanmoins mon coeur, à raison de la grandeur de l’amour que j’avais envers mon Fils, était rempli de douleur et d’amertume. Or, maintenant, vous me pourriez demander qu’est-ce que fit mon Fils tout ce temps-là avant sa passion. Je réponds comme l’Évangile : Il était soumis à ses parents, et il se gouverna comme les autres enfants, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à un grand âge. Il fit des merveilles en sa jeunesse, montrant comment les créatures servaient leur Créateur. Comment les idoles se turent et comment plusieurs idoles tombèrent à son arrivée en Égypte ; comment les Mages prédirent que mon Fils serait le signe de grandes choses futures ; comment aussi le ministère des anges apparut ; comment il n’apparut jamais en son corps ni en ses cheveux aucune immondice, il n’est pas besoin que vous sachiez toutes ces choses, puisqu’en l’Évangile, il y a des signes de la Divinité et humanité qui peuvent édifier vous et les autres.

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  Or, quand il eut atteint un plus grand âge, il était continuellement en la prière et obéissance. Il monta avec nous aux fêtes ordonnées en Jérusalem et en autres lieux ; sa vue et sa parole étaient agréables et admirables, de sorte que plusieurs qui étaient affligés disaient : Allons voir le Fils de Marie, afin que nous soyons consolés. Et augmentant en âge et sagesse dont il était plein dès le commencement, il travaillait de ses mains tout ce en quoi décence n’était point lésée ; il nous parlait, nous disait en particulier des paroles de consolation et des discours de Dieu, de sorte que nous étions remplis continuellement de joies indicibles. Mais quand les craintes de la pauvreté nous assaillaient, il ne nous faisait point de l’or ni de l’argent, mais il nous exhortait à la patience, et il nous défendit et nous protégea des envieux. Quant aux nécessités, les gens de bien et notre propre travail nous y aidaient, de sorte que nous étions seulement secourus pour la seule nécessité sans superfluité aucune, car nous ne cherchions qu’à servir Dieu. Après cela, il conférait familièrement en la maison avec ceux qui venaient voir pour les difficultés de la loi et signification des figures, et disputait publiquement quelquefois avec les sages, de sorte qu’ils admiraient et disaient : Voici que le fils de Joseph enseigne les maîtres : quelque grand esprit parle en lui.

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  Un jour, j’étais plongée en la considération de sa passion ; j’en étais saisie de tristesse. Il dit : Ne croyez-vous pas, ma Mère, que je suis en mon Père et que mon Père est en moi ? Quoi ! Avez-vous été polluée en mon entrée et en ma sortie ? Avez-vous été triste ? Pourquoi donc vous affligez-vous ? Car la volonté de mon Père veut que je souffre la mort, voire ma volonté est telle avec celle de mon Père. Ce que j’ai de mon Père ne peut pas pâtir, mais bien la chair que j’aie reçue de vous, afin que la chair d’autrui soit rachetée et que l’esprit soit sauvé. Il était aussi si obéissant que quand Joseph lui disait quelquefois sans y penser : Faites cela ou cela, il le faisait, et de la sorte, il cachait la puissance de sa Divinité, que Joseph et moi étions seuls à connaître, d’autant que nous l’avons vu souvent entouré d’une lumière admirable, et avons ouï les voix et concerts des anges qui chantaient sur lui. Nous avons aussi vu les esprits immondes qui n’avaient pu être chassés par les exorcistes approuvés en notre loi, sortir à la vue de mon Fils.

Que ces choses soient continuellement en votre mémoire, et remerciez Dieu d’avoir voulu manifester par vous son enfance.

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Chapitre 59. La Sainte Vierge raconte à sainte Brigitte ce qui arriva en la visitation de sainte Élisabeth, etc.

6059 La Sainte Vierge raconte à sainte Brigitte ce qui arriva en la visitation de sainte Élisabeth, etc.

La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Quand l’ange m’annonçait que le Fils de Dieu naîtrait de moi, soudain que j’eus consenti, je ressentis en moi quelque chose d’admirable et d’inaccoutumé ; et partant, admirant cela, soudain je montai, afin de la consoler, à sainte Élisabeth, ma cousine, qui était enceinte, et pour parler avec elle de ce que l’ange m’avait dit ; mais m’étant venue au-devant auprès d’une fontaine, et nous étant baissées et embrassées, son enfant se réjouit en son ventre d’une manière admirable. Je fus alors touchée en mon coeur d’un nouveau ressentiment de joie, de sorte que ma langue proférait des paroles de Dieu incompréhensibles, et à grand peine mon âme les comprenait-elle, tant elle était dans les ressentiments de la joie !

Or, Élisabeth admirant la ferveur de l’Esprit qui parlait en moi, et moi admirant semblablement en elle la grâce de Dieu, nous demeurâmes quelques jours ensemble, bénissant Dieu. Après cela, une pensée commença à solliciter mon esprit avec quelle dévotion et comment je me devais gouverner après avoir reçu une si grande grâce ; qu’est-ce que je devais répondre à ceux qui me demanderaient comment j’aurais conçu, ou qui était le père de l’enfant qui devait naître, ou que dirais-je à Joseph, si l’ennemi le tentait et entrait en soupçon de moi.

Pendant que ces pensées roulaient en mon esprit, un ange, semblable à celui qui m’était apparu auparavant, me dit : Notre Dieu, qui est éternel, est avec vous et en vous : ne craignez donc, car lui vous donnera la grâce de parler ; il dirigera vos pas et vos lieux ; il accomplira son oeuvre avec vous puissamment et sagement. Or, Joseph, à qui vous êtes recommandée, s’étonnera quand il apprendra que vous êtes enceinte, et se réputera indigne d’habiter avec vous.

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  Et comme Joseph était en anxiété et ne savait ce qu’il fallait faire, l’ange lui dis dans son sommeil : Ne vous retirez pas de la Vierge qui vous est recommandée, car comme vous l’avez ouï d’elle, ainsi est-il, car elle a conçu de l’Esprit de Dieu, et elle enfantera un Fils qui sera le Sauveur du monde. Servez-la donc fidèlement, et soyez témoin et gardien de sa pudeur.

Depuis ce jour-là, Joseph me servit comme sa maîtresse, et moi je m’humiliai aux plus petites de ses oeuvres. Après, j’étais en continuelle oraison, étant rarement vue, voyant rarement, et sortant très rarement, si ce n’était aux fêtes principales. J’étais fort attentive aux vigiles et leçons que nos prêtres disaient, ayant quelque temps destiné aux oeuvres manuelles. Je fus discrète au jeûne, selon qui ma nature le pouvait supporter pour le service de Dieu. Tout ce que nous avions de superflu, nous le donnions aux pauvres, contents de ce que nous avions. Mais Joseph me servit si fidèlement qu’on n’ouït jamais de sa bouche une parole de cajolerie murmure, jamais courroux, car il était très patient en la pauvreté, soigneux en son labeur où il était nécessaire, doux à ceux qu’il reprenait, obéissant à mon service, prompt défenseur de ma virginité, très fidèle témoin des merveilles de Dieu. Il était aussi tellement mort au monde et à la chair qu’il ne désirait que les choses célestes. Il était aussi si croyant aux promesses de Dieu qu’il disait incessamment : Plût à Dieu que je vive, et que je vive, et que je voie les volontés de Dieu accomplies ! Car rarement venait-il aux assemblées des hommes et a leurs conseils, car tout son désir fut d’obéir aux volontés divines, c’est pourquoi sa gloire est maintenant grande.

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Chapitre 60. La Mère de Dieu dit à l’épouse de son Fils que saint Jérôme ne douta point de son assomption au ciel, etc.

6060 La Mère de Dieu dit à l’épouse de son Fils que saint Jérôme ne douta point de son assomption au ciel, etc.

  La Mère de Dieu parla à sainte Brigitte : Que vous a dit ce docteur, inventeur de paroles, que l’épître de saint Jérôme qui parle de mon assomption ne doit être lue en l’Église de Dieu, d’autant qu’il lui semble que saint Jérôme douta de mon assomption au ciel, d’autant qu’il dit qu’il ne sait pas si je suis montée au ciel en corps et en âme, ou par qui j’ai été portée, moi, Mère de Dieu ?

Je réponds à ce docteur et dis que saint Jérôme ne douta point de mon assomption ; mais d’autant que Dieu ne lui avait point déclaré ouvertement la vérité, il voulut plutôt en douter pieusement que la définir, Dieu ne l’ayant point montrée. Mais souvenez-vous, ma fille, de ce que je vous ai dit ci-dessus, que saint Jérôme aimait les veuves, imitateur des moines parfaits, asserteur et défenseur de la vérité, qui vous a aussi mérité l’oraison avec laquelle vous me saluez. Partant, j’ajoute maintenant que saint Jérôme fut une trompette fléchissante par laquelle parlait le Saint-Esprit, et la flamme embrassée de ce feu qui vint sur moi et sur les apôtres le jour de la Pentecôte. Heureux donc sont ceux qui oient cette trompette et la suivent !

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Chapitre 61. La Mère de Dieu montre en ce chapitre pourquoi elle vécut longtemps après l’ascension de son Fils.

6061 La Mère de Dieu montre en ce chapitre pourquoi elle vécut longtemps après l’ascension de son Fils.

  La Mère de Dieu parle, disant : Souvenez-vous, ma fille, que quatre fois j’excusai saint Jérôme discourant de mon assomption. Or, maintenant, je vous montrerai la vérité de mon assomption.

J’ai vécu longtemps après l’ascension de mon Fils, et Dieu l’a voulu, afin que les âmes fussent converties à Dieu, ayant vu ma patience invisible et le règlement de mes moeurs, que mes apôtres et mes élus fussent affermis. Et de fait aussi, la naturelle disposition de mon corps requérait que je vécusse durement, afin que ma couronne fût augmentée, car tout le temps que j’ai vécu après l’ascension de mon Fils, j’ai visité les lieux où il a pâti et où il a manifesté ses merveilles, aussi sa passion était empreinte dans mon coeur. Mes sens aussi étaient abstraits et retirés de ce qui est du monde, d’autant que j’étais incessamment enflammée de nouveaux désirs, et réciproquement exercée par des douleurs ; mais néanmoins, ma douleur et ma joie étaient si tempérées que je n’omettais rien de ce qui touchait le service de Dieu. Je conversais aussi parmi les hommes, et je prenais bien peu de ce qui plaisait aux hommes. Mais d’autant que mon assomption n’a été connue à plusieurs et prêchée de par Dieu, qui est mon Fils, il l’a voulu de la sorte, afin que la foi de son ascension fût enracinée dans les coeurs des hommes, car les hommes étaient endurcis en la créance de son ascension, combien plus si mon assomption eût été prêchée dès le commencement !

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Chapitre 62. La Sainte Vierge narre à sainte Brigitte l’annonciation que l’ange lui fit de sa mort, et ce qui advint après.

6062 La Sainte Vierge narre à sainte Brigitte l’annonciation que l’ange lui fit de sa mort, et ce qui advint après.

  La Mère de Dieu parle, disant : Un jour, après que quelques années se furent écoulées de l’ascension de mon Fils, je m’affligeais beaucoup à raison du désir que j’avais d’arriver dans le ciel pour voir mon Fils. Je vis un ange reluisant, comme je l’avais vu auparavant, qui me dit : Votre Fils, qui est Dieu et notre Seigneur, m’envoie pour vous annoncer que le temps est arrivé où vous devez venir corporellement à votre Fils, pour recevoir la couronne qui vous est préparée.

Je lui répondis : connaissez-vous le jour et l’heure où je dois m’en aller de ce monde en l’autre ?

Et l’ange répondit : Les amis de votre Fils enseveliront votre corps.

Ces choses étant dites, l’ange disparut, et moi, je me préparai à l’issue, visitant tous les lieux, à mon accoutumée, où mon Fils avait souffert. Un jour, mon esprit étant suspens en l’admiration de la divine charité, lors mon âme fut remplie, en cette contemplation, de tant de plaisirs, qu’à grand peine mon âme les pouvait soutenir, et en cette contemplation et joie, mon âme fut séparée de mon corps. Mais hélas ! que de choses magnifiques mon âme vit alors, et de quel honneur le Père, le Fils et le Saint-Esprit l’accueillirent, et de quelle multitude d’anges elle fut élevée, vous ne le pouvez comprendre, et moi, je ne le puis exprimer, sans que votre âme soit aussi séparée de votre corps, bien que je vous en aie montré quelque chose en cette oraison que mon Fils vous a inspirée.

P380

  Or, ceux qui étaient lors avec moi en la maison quand je rendis l’esprit, comprirent fort bien, par la lumière non accoutumée, quelles choses divines agissaient lors en moi. Après cela, les amis de mon Fils, envoyés divinement, ensevelirent mon corps en la vallée de Josaphat, avec lesquels il y avait une infinité d’anges comme des atomes du soleil. Mais les malins esprits n’osaient s’en approcher. Mon corps demeura quelques jours en terre, et après, il fut ravi et emporté au ciel par une grande multitude d’anges. Ce temps n’est pas sans grand mystère, d’autant qu’à la septième heure sera la résurrection des morts, et à la huitième, la béatitude des âmes et des corps sera accomplie.

La première heure fut depuis le commencement du monde jusques à ce temps où la loi était donnée par Moïse.

La deuxième, depuis Moïse jusques à l’incarnation de mon Fils.

La troisième fut quand mon Fils institua le baptême et adoucit la rigueur de la loi.

La quatrième, quand il prêchait par la parole et confirmait son dire par exemple.

La cinquième, quand mon Fils voulut pâtir et mourir, et quand il ressuscita et prouva sa résurrection par plusieurs miracles.

La sixième, quand il monta au ciel et envoya le Saint-Esprit.

La septième sera quand il viendra en jugement, et que tous sortiront pour aller au jugement.

  La huitième, quand tout ce qui a été promis et prophétisé sera arrivé ; et lors la béatitude sera parfaite ; lors on verra Dieu en sa gloire, et les saints resplendiront comme des soleils, et il n’y aura plus de douleurs.

  P381

Chapitre 63. En ce chapitre, Notre-Seigneur donne des paroles à son épouse, pour les envoyer au pape Clément, pour faire la paix entre le roi de France et d’Angleterre.

6063 En ce chapitre, Notre-Seigneur donne des paroles à son épouse, pour les envoyer au pape Clément, pour faire la paix entre le roi de France et d’Angleterre.

  Le Fils de Dieu parle à l’épouse sainte Brigitte, lui disant : Ecrivez de ma part au pape Clément (sans doute Clément VI, l'an 1352) ces paroles : Je vous ai exalté et vous ai fait monter par-dessus tous les degrés d’honneur : sortez donc pour faire la paix entre le roi de France et le roi d’Angleterre (Philippe de Valois et Edouard III), qui sont des bêtes périlleuses et les pertes des âmes. Venez après en Italie, et annoncez là la parole et l’an de salut et de la délectation divine, et voyez la place et les carrefours arrosés du sang de mes martyrs, et je vous donnerai la récompense qui ne finit jamais. Considérez aussi le temps passé, où vous m’avez provoqué à la colère avec effronterie, et je l’ai tu, où vous avec fait ce que vous avez voulu et ne deviez pas faire, et moi, comme ne jugeant point, j’ai eu patience, car mon temps s’approche, et je demanderai vos négligences et l’audace de votre temps ; et comme je vous ai fait monter par tous les degrés, de même descendrez-vous par tous les degrés spirituels, lesquels vous expérimenterez au corps et en l’esprit, si vous n’obéissez à mes paroles ; et votre langue gardera le silence des grandes choses, et votre nom, qui est grand en terre, sera en oubli devant moi et en opprobre devant mes saints.

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  Je demanderai encore de vous combien indignement vous êtes monté à tous ces degrés d’honneur, quoique j’aie permis ce que je sais et ce que votre conscience négligente a oublié. J’exigerai encore de vous combien froid vous avez été à former la paix des rois, et combien vous avez penché en la partie contraire. D’ailleurs, je n’oublierai point combien l’ambition a été grande et la cupidité insatiable en l’Eglise, et a augmenté de votre temps, ce que vous pouviez beaucoup réformer et amender ; mais vous, qui aimez la chair, n’avez voulu.

Sortez donc, avant que la dernière heure qui s’approche, vous surprenne, et éteignez en ce temps, par le zèle, les négligences du passé. Que si vous doutez de quel esprit ces paroles sont, le royaume et la personne vous sont connus où ont été opérés les merveilles et les prodiges. La justice et la miséricorde s’approchent par toute la terre. Votre conscience dit que ce que je vous dis est raisonnable, et charité ce que je vous conseille ; et si ma patience ne vous eût conservé, vous fussiez descendu plus bas que vos prédécesseurs. Partant, fouillez au livre de votre conscience, et voyez si je vous dis la vérité.

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Chapitre 64. Jésus-Christ menace les pécheurs qui, ayant oublié les péchés passés et les voies de Dieu, vivent avec trop d’assurance. Dieu leur pardonne, s’ils s’amendent.

6064 Jésus-Christ menace les pécheurs qui, ayant oublié les péchés passés et les voies de Dieu, vivent avec trop d’assurance. Dieu leur pardonne, s’ils s’amendent.

  Le Fils de Dieu parle, disant à sainte Brigitte : Ne vous attendez pas à ces débauchés, car je viendrai bientôt à eux, non comme ami, mais comme celui qui prendra vengeance d’eux. Malheur à eux, car en leur temps de paix, ils n’ont pas voulu chercher le bien éternel ! Je vois que de leur race sont sortis des hommes d’amertume, qui ont moissonné le fruit de vanité et de leur cupidité, c’est pourquoi ils descendront maintenant. La pauvreté, la captivité, la honte, l’humiliation et la douleur, vous assailleront, mais ceux qui s’humilieront trouveront grâce devant mes yeux.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6053