Révélations de Sainte Brigitte de Suède 9052

Chapitre 52 Sainte Brigitte s’accuse ici de son corps indompté et rebelle, et de sa volonté changeante

9052   Sainte Brigitte s’accuse ici de son corps indompté et rebelle, et de sa volonté changeante. Réponse de la Vierge pleine de consolation.

  Bénie soyez-vous, Reine du ciel, qui ne méprisez aucun pécheur qui vous invoque de toute son affection ! Excusez-moi, quoi qu’indigne d’ouvrir la bouche pour vous prier, car je n’ignore pas que si je n’ai votre secours et assistance, je ne puis pas me gouverner moi-même, parce que mon corps est comme un animal indompté, qui, si on ne lui met un frein, va et court ès lieux où il avait accoutumé de prendre ses plaisirs. Ma volonté est comme un oiseau, laquelle veut toujours suivre les pensées légères et sans fondement : c’est pourquoi je vous prie de mettre un frein à mon corps, afin qu’il ne se porte en aucun lieu qui soit déplaisant à votre Fils ; et mener-le où il pourrai faire sa volonté ; mettez une allonge à cet oiseau, qui n’est autre que ma volonté, afin qu’il ne prenne le vol plus loin qu’il ne plaît à votre très cher Fils.

La Vierge répondit : L’oraison faite dévotement à l’honneur de Dieu mérite en effet d’être exaucée ; et partant, vous qui demandez qu’on mette un frein à votre corps pour être régi selon la volonté de Dieu, il est expédient qu’on lui impose un fardeau Pour le porter à l’honneur de celui qui le gouverne, et d’autant que votre volonté est telle que vous aimez mieux observer le silence, que de parler à des hommes séculiers, et qu’il vous semble plus agréable de souffrir la pauvreté en votre maison que de regarder toutes les richesses qui sont dans les maisons des princes, de l’inimitié desquels vous ne vous souciez pas, pourvu que vous puissiez mériter l’amitié de Dieu. Partant, je vous enjoins de dire quelques paroles qui soient agréables à Dieu.


p 263

Chapitre 53 Jésus-Christ, par sa passion, réprouve la curiosité des bâtiments et le contentement de la chair.

9053   Il arriva une fois que sainte Brigitte, du vivant de son mari, fit accommoder un lit par certain charpentier, plus somptueusement et avec plus de curiosité qu’elle n’avait accoutumé en sa maison en une métairie nommée L’Ifaala. Alors elle fut frappée si puissamment sur la tête comme par une main, qu’à peine se pouvait-elle remuer à cause de la douleur qu’elle sentait. Elle fut donc conduite en un quartier de la maison, où elle ouït une voix comme sortant de la muraille, qui lui parla de cette sorte : Je n’étais pas debout, mais je pendais en croix, et ma tête n’a point reposé sur un oreiller, et vous recherchez avec tant de soin le repos.

Sainte Brigitte, ayant ouï ces choses, étant plongé dans les larmes, reçut tout à l’heure guérison ; et désormais lorsqu’elle put, elle dormait plutôt sur la paille ou sur une peau d’ours que dans un lit.


p 264

Chapitre 54

9054   Vision spirituelle d’un pot, d’une viande désirable, d’un petit feu sous le pot, et d’un certain homme habillé de vêtements dorés, lequel travaillait autour du pot. Qu’est-ce que tout cela signifie.

  Sainte Brigitte, étant un jour en prière, eut une vision par laquelle elle vit devant soi un certain petit feu et un petit pot mis sur icelui, et dans le pot, il y avait une viande agréable. Elle vit aussi un certain homme affublé d’une robe de pourpre dorée et fort éclatante, lequel allait à genoux à l’entour du pot, tantôt soufflant le feu, tantôt en retirant le bois, et en cette façon, il travaillait auprès du pot, lequel enfin s’adressant à la sainte qui voyait ces choses, lui dit : Avez-vous jamais vu un homme si humble que moi ? Moi, comme vous voyez, couvert de vêtements dorés, je rends tant de services à ce pot, je fais le tout à genoux ; j’incline la tête vers la terre, soufflant le feu ; j’accommode le bois et j’attise le feu ; quelquefois aussi je sépare les bois et les tisons, et ne m’épargne point à travailler, c’est pourquoi vous me jugerez fort humble.
p 265

  Mais il faut que je vous montre ce que cela signifie : par ce pot j’entends votre coeur ; par la viande qui est dedans, les paroles très douces qui vous sont données de Dieu ; par le petit feu, la ferveur de la charité que vous avez reçue de Dieu. Mais moi je suis le démon qui porte envie à votre consolation, qui, pour cette raison, me montre si humblement serviable, soufflant main tenant, non seulement afin que le feu soit plus ardent, mais afin que les cendres, c’est-à-dire, l’affection des choses terrestres, entrent dans le pot, c’est-à-dire en votre coeur, afin que, par ainsi, cette viande délicieuse, c’est-à-dire, les paroles du Saint-Esprit qui vous sont infuses, soient rendues en quelque façon sans goût. Je remue le bois et les tisons, afin que le pot, c’est-à-dire, votre coeur, penche vers la terre, c’est-à-dire, vers quelques-uns de votre connaissance ou de vos parents, afin qu’ainsi Dieu soit moins aimé.

Chapitre 55

9055   Narré de l’excellent mérite de la sainteté de la bienheureuse Brigitte, qui fut vu et prévu par Frère Géréchinus du monastère d’Alvastre, homme de grande sainteté.

  Un certain religieux de sainte vie, du monastère d’Alvastre, raconta avec larmes et serment au prieur Pierre, que quand sainte Brigitte vint là pour résider dans le même monastère, ce religieux s’émerveilla en son coeur, et par un zèle de la règle de la sainteté, dit en son coeur : Pourquoi cette sainte fait résidence ici dans un monastère de religieux, contre notre règle, introduisant une nouvelle coutume ? Lors ce même religieux, étant en prière, ravi en extase, entendit quelque voix qui disait : C’est d’autant que cette femme est aimée de Dieu, et elle est venue pour cette raison en ce monastère, afin qu’elle amasse sur cette montagne des fleurs qui serviront de médecine à toutes les nations qui sont même au delà de la mer et aux contrées les plus éloignées. Ce religieux s’appelait Géréchinus ; il fut d’une telle vie et telle sainteté qu’il ne sortit jamais hors du monastère l’espace de quarante ans, mais jour et nuit vaquait à l’oraison ; il obtint de Dieu cette grâce particulière qu’il voyait en son oraison quasi continuellement les neuf choeurs des anges ; et en l’élévation du corps de Jésus-Christ, il le voyait en la forme d’un petit enfant.


p 266

  ADDITION.

  D’abondant le Frère Géréchinus vit une fois dans ledit monastère d’Alvastre, sainte Brigitte élevée en l’air, avec un fleuve qui sortait de sa bouche. Et pour lors, étant en oraison, il entendit en esprit qu’on lui parlait ainsi : C’est la femme qui, venant des confins de la terre, donnera la sagesse à des peuples innombrables, et vous aurez ce signe qu’elle vous dira la fin de votre vie, qu’elle a apprise de la bouche de Dieu, et vous vous réjouirez en son arrivée et en ses paroles, et votre désir sera promptement accompli, afin que vous ne voyiez le mal que Dieu Doit envoyer sur cette maison.

On dit encore de ce religieux qu’une fois son abbé lui ayant commandé d’aider à ceux qui faisaient le pain, lui qui n’était pas versé en ce métier de boulangerie, parla ainsi à une certaine image de la Vierge Marie, qui était peinte en la muraille, l’honorant suivant sa coutume : Très chère Maîtresse, le Père abbé m’a commandé de travailler avec les boulangers : mais vous savez que je n’entends point la boulangerie. Toutefois je ferai suivant votre volonté.

  L’ange lui répondit : Fais ce que tu as fait jusques ici, et moi en ta place je servirai en la boulangerie. Et il fut fait ainsi, sans que ceux qui y travaillaient en sussent rien, croyant seulement que Frère Géréchinus travaillait là en personne avec eux, jaçoit néanmoins qu’il fût en prière et en oraison dans l’église.

On raconte encore du même Frère (Livre IV, Chap. 121), que le diable lui apparut et lui dit : etc.


p 267

Chapitre 56 Du mari de sainte Brigitte, nommé Gudhmason.

9056   Un mort apparut, disant : Je ressentais la justice du Juge, mais maintenant la sévérité diminuera et la miséricorde s’approchera. Lorsque je vivais, j’ai excédé en cinq manières dont je ne me suis pas assez repenti à la fin : 1° en cet enfant affolé que vous connaissez, j’ai excédé en inepties, l’applaudissant et me délectant de ses folies. 2° Je n’ai point satisfait à la veuve des biens qu’elle avait achetés avant ma mort, et cela par négligence. Partant, afin que vous voyiez que je dis vrai, elle viendra demain à vous, et vous lui rendrez ce qu’elle vous demandera, car elle ne demandera pas plus qu’il ne faut. 3° Je promis à un homme, par légèreté d’esprit, de l’assister en toutes ses difficultés, dont il s’est rendu plus vicieux contre le roi et la loi. 4° D’autant que je me suis plus exercé aux armes et aux jeux par vanité que pour l’utilité. 5° J’ai été trop opiniâtre et inexorable à envoyez en exil un gentilhomme ; et bien qu’il en fût digne, je fus néanmoins trop immiséricordieux.
p 268

  Lors sainte Brigitte répondit : O âme heureuse, qu’est-ce qui vous a profité à salut, ou qu’est-ce qui vous peut être maintenant utile pour votre affranchissement ?

Il répondit : Il y a six choses qui m’ont profité :

ma confession, que je faisais quand je pouvais tous les vendredis, avec résolution de m’amender ;

étant au jugement, je n’ai point fait jugement pour l’amour de l’argent ni faveur, mais j’ai examiné tous mes jugements, étant prêt à corriger tous les défauts et à ne rétracter point les bienfaits;

j’ai obéi à mon confesseur, qui me conseilla de ne demander point le devoir du mariage, dès lors que je savais que la vie était en celui qui était engendré ;

que je fus avisé autant que j’ai pu de n’être point ingrat, ou par moi ou par les miens, envers les pauvres : je les logeais, ayant soin aussi de ne pas faire des dettes que je ne susse comment payer ;

l’abstinence que j’ai faite au pèlerinage de Saint-Jacques, car je fis résolution de m’abstenir quelquefois par le chemin, et par cette abstinence, la longue demeure que je faisais à table, excédant à parler et à manger, a été satisfaite ; et maintenant je suis certain que mon salut, quoique incertain de l’heure où je posséderai la gloire.

J’ai commis mes jugements à ceux que je croyais justes, afin qu’ils payassent mes dettes. Et d’autant que je craignais de m’intriquer dans les dettes, je consignai les provinces au roi pendant que je vivais, de peur que mon âme n’en fût engagée au jour du jugement.


p 269

  Or, d’autant que maintenant il m’est permis de demander secours, je vous supplie que, pendant un an entier, vous fassiez célébrer des messes de Notre-Dame, des anges, de tous les saints et des défunts, et d’ailleurs de la passion de Notre-Seigneur, car j’espère être bientôt délivré, et que singulièrement vous ayez le soin des pauvres, leur distribuant les vases, chevaux, etc. dont je me suis délecté en péchant. Ne négligez pas aussi de faire quelques calices pour la célébration de la sainte messe, car cela me profite. Laissez les choses immobiles, mes enfants. Ma conscience ne me reproche pas d’avoir voulu mal acquérir ou retenir quelque chose d’autrui.

Chapitre 57 De l’esprit de gourmandise.

9057   Une fois sainte Brigitte, étant au monastère d’Alvastre, fut tellement tentée de gourmandise qu’elle ne pouvait à grand peine penser à quelqu’autre chose. Enfin, étant en prière, elle vit en esprit deux personnes, savoir, un Ethiopien, ayant en la main comme une bouchée de pain, et un jeune homme ayant un vase doré. Et lors le jeune homme dit a l’Ethiopien : Pourquoi tentez-vous celle qui m’est donnée en garde ?

L’Ethiopien dit : D’autant qu’elle se glorifie de l’abstinence qu’elle n’a pas, car elle ne cesse point de remplir son ventre, c’est pourquoi je lui présente ma bouchée de pain, afin que les choses dures lui soient douces.

Le jouvenceau lui dit : Vous dites bien qu’elle n’est pas immatérielle comme nous, mais elle est un sac terrestre qui a besoin de réparation continuelle.
p 270

  Et l’Ethiopien dit : Votre Jésus-Christ jeûna quelque temps, ne mangeant point ni ne buvant point, c’est pourquoi il a mérité des choses sublimes. Et comment celle-ci méritera-t-elle, qui est toujours remplie ?

L’ange répondit : Eh quoi ! Le même Jésus-Christ, notre Maître, n’est-il pas aussi le vôtre ?

Nenni, dit-il, car je ne m’humilierai jamais à lui, mais je ferai tout le contraire que je pourrai, car je n’entrerai jamais en sa gloire.

Le jeune répondit : Jésus-Christ a enseigné à jeûner en telle manière : pourtant, que le corps n’en soit pas débilité outre mesure, mais afin qu’il soit tenu dans les bornes de la raison et qu’il ne fasse l’insolent contre l’âme. Notre-Seigneur ne demande point ce qui est impossible à la nature, mais la modération ; ni il ne demande point qu’est-ce et combien un chacun prend, mais avec quelle intention et charité.

L’Ethiopien dit : Il est juste que ce que cette femme n’a expérimenté en la jeunesse, elle le ressente en la vieillesse.

Le jeune dit : Il est louable de s’abstenir du péché : le pourpre ne ferme point le ciel, ni la chair délicate avec la charité, car il faut tenir coutume de bien vivre avec action de grâces, afin que la chair ne s’affaiblisse pas trop.

Après cela, à la même heure, la Vierge Marie apparaissant à sainte Brigitte, ayant une couronne à la tête, dit à l’Ethiopien : Taisez-vous, négociateur envieux, car celle-ci m’est consignée.

Et l’Ethiopien dit : Si je ne peux faire autre chose, je jetterai des balayures aux bords de sa robe.

La Vierge lui répartit : Je l’aiderai, et tout autant de fois que vous le ferez, elles vous seront jetées à la face, et sa couronne lui redoublera.


p 271

Chapitre 58 Du jeûne.

9058   La Sainte Vierge parla à l’épouse : Vous devez faire toutes choses avec obéissance et discrétion : il est plus agréable à mon Fils de manger que de jeûner contre obéissance. Vous devez prendre garde de trois choses concernant le jeûne : 1° que vous ne jeûniez en vain, comme ceux qui, par ostentation et pour être semblables et égaux aux autres en jeûne, jeûnent sans autre intention : cela est du tout irraisonnable. Il faut prendre et modérer le jeûne, selon la nécessité qu’on a de modérer les désirs des mouvements illicites, et tout autant que la nature le peut porter ; 2° de ne jeûner follement, comme ceux qui veulent autant faire en infirmité qu’en santé. Ceux-ci se défient de la miséricorde de mon Fils, comme s’il ne voulait autant l’infirmité que leur oeuvre et leur bonne volonté.

Jeûnez donc, ma fille, fort sagement, et dès que quelque infirmité vous assaillira, soyez plus bénigne à votre corps, en ayant autant de pitié que d’un animal quoique irraisonnable, afin qu’il ne succombe sous le faix. 3° Donnez-vous garde de ne jeûner irraisonnablement, comme ceux qui jeûnent plus à intention d’avoir plus que les autres une plus grande récompense et un plus grand honneur. Ceux-ci sont comme ceux qui jeûne et qui établissent leur récompense dans le jeûne. Partant, jeûnez, vous, pour plaire à mon Fils et autant que la nature le peut supporter. Mesurez-vous donc en vous même selon vos forces, et confiez-vous toujours en la miséricorde de mon Fils, et croyez que vous êtes en tout indigne ; ni ne pensez pas qu’aucune de vos peines, aucun de vos labeurs soit digne de la rémission des péchés, et moins d’une récompense éternelle, si mon Fils ne vous faisait miséricorde.


p 272

Chapitre 59 De la révérence des reliques des saints.

9059   De la révérence des reliques des saints.

  Du temps que sainte Brigitte était maîtresse de la reine blanche, jadis reine de Suède, elle eut un coffre d’ivoire plein de diverses reliques, entre autres celles de saint Louis, roi de France, qu’elle avait apportées de France. Par accident, ce coffre fut mis en un lieu moins décent par ses serviteurs, et même fut oublié là. Sainte Brigitte vit que de ce coffre des reliques sortait une lumière éclatante. Admirant cela, elle ouït une voix lui parlant en ces termes : Voici que le trésor de Dieu, qui est tant honoré dans le ciel, est méprisé en terre : partant, portons-le en un autre lieu. Oyant cela, elle fit mettre avec grand honneur lesdites reliques sur l’autel.

Chapitre 60 Jésus-Christ déclare ici que les bains et les autres médecines corporelles ne lui déplaisent point

9060   Jésus-Christ déclare ici que les bains et les autres médecines corporelles ne lui déplaisent point, si on les prend avec discrétion.


p 273

  Jésus-Christ apparut un jour à sainte Brigitte comme elle était en oraison, et lui dit : Sachez que ceux qui, en l’ancienne loi, semblaient être personnes spirituelles, étaient appelés pharisiens, lesquels avaient trois choses : ils se lavaient souvent pour sembler être nets ; ils jeûnaient et priaient au su de tous, afin qu’ils fussent appelés saints ; ils enseignaient et commandaient beaucoup de choses, lesquelles ils ne faisaient pas, mais tout cela leur a peu profité devant Dieu, parce que leur intention était corrompue et leur âme souillée. Or, comme le bain et le lavement du corps ne profite pas sans la pureté de la conscience, aussi ne nuit-il pas à une âme nette, s’il est pris avec discrétion pour la santé, non pour la volupté. C’est pourquoi il m’a plu davantage que vous ayez obéi à votre maître contre votre vouloir, que si vous eussiez suivi votre volonté contre son commandement.
Plusieurs de mes élus n’ont pris aucune médecine corporelle ou autres soulagements de la chair, et m’ont été agréables ; plusieurs aussi en ont pris selon la diversité des maladies et disposition du temps et du lieu, qui ne m’ont pas déplu, d’autant qu’ils ont fait le tout pour mon service. Ainsi l’obéissance, qui n’a rien de sa propre volonté, me plaît plus qu’un grand sacrifice.

Chapitre 61 une louable et dévote coutume peut être changée par obéissance.

9061   Qu’une louable et dévote coutume peut être changée par obéissance.

  Sainte Brigitte avait accoutumé de ne point boire hors du repas ; il arriva qu’un jour à peine pouvait-elle parler ; ce que voyant, maître Mathias, son Père spirituel, lui commanda de boire, à quoi elle obéit, quoique cela lui semblât fâcheux de changer sa première habitude. Et lors elle entendit en son esprit : pourquoi crains- tu de changer ta façon de vivre ? Ai-je besoin de tes biens ? Ou entreras-tu dans le ciel par tes mérites ? Obéis donc à ton maître. Il a expérimenté le combat de deux esprits : celui de vérité et celui d’illusion, et quand, par obédience, tu aurais mangé et bu deux fois le jour, il ne te sera pas imputé à péché.


p 274

Chapitre 62

9062   Comment sainte Brigitte, s’éloignant du diable, se tourne toute à Dieu, et combien grande est la malice du diable.

  Entre plusieurs anges qui apparaissaient à l’épouse de Jésus-Christ, il y en avait un mauvais qui lui dit : Ton âme est maintenant en autre disposition qu’auparavant, car ta nourrice la superbe, dont je porte le nom, s’éloigne ores de toi. Pourquoi ne parles-tu et ne tiens-tu mon parti, comme autrefois ?

Cette sainte répondit en son âme : Bien que tu repousse mon esprit de toute douceur et ornasses mon corps de vêtements plus précieux que l’or, je ne t’aimerai point, parce que tu méprises mon Dieu, lequel je suivrais plutôt avec peines et afflictions que toi avec toute sorte de contentements Mais si tu veux retourner à Dieu, je t’aimerai et ferai ta volonté.

Ce démon répondit : En vérité, si je pouvais prendre un corps mortel, j’aimerais mieux pâtir en icelui toute sorte de tourments, et encore les peines d’enfer, que faire quelques acte de charité envers Dieu.
p 275

  Lors les deux bons anges répondirent : Attendu que Notre-Seigneur est ton Dieu et ton Créateur, pourquoi ne veux-tu pas lui être soumis ? Il répliqua : Parce que j’ai confirmé mon esprit en cette résolution, laquelle je ne veux changer, tant il m’est odieux.

Lors l’un des bons anges parla au Seigneur en cette sorte : Seigneur, vous avez dit autrefois de votre épouse : Quand je me tourne vers le midi, elle se tourne vers l’occident ; mais maintenant vous pouvez dire que, de quelque côté que vous vous tourniez, votre épouse vous suit selon son pouvoir.

Le Seigneur répondit : L’épouse doit obéir et se soumettre à son Dieu.

Chapitre 63

9063   Paroles de sainte Brigitte à la Vierge ; de sa charité envers elle. Amoureuse réponse de la Vierge.

  Bénie soyez-vous, ô Marie, Mère de Dieu ! Béni soit votre Fils Jésus pour toute la joie qu’il m’a donnée, de ce que vous êtes sa Mère ! Il sait bien que Marie, fille de Joachim, m’est plus chère que les enfants d’Ulpho et de Brigitte. Il sait bien que j’aimerais mieux que Brigitte, fille de Burgeri, n’eût jamais été, que non pas que Marie, fille de Joachim, ne fût pas née, et que je choisirais plutôt comme moins fâcheux que Brigitte fût en enfer, que non pas que Marie, fille de Joachim, ne fût Mère de Dieu dans le ciel.
p 276

  La Vierge répondit : Sache, ma fille, que cette Marie, fille de Joachim, te sera plus utile que toi, Brigitte, fille de Burgeri, n’es à toi-même, et que cette même fille de Joachim, Mère de Dieu, veut être mère aux enfants d’Ulpho et de Brigitte. Soyez donc ferme et stable en cette affection, et obéissez aux conseils qu’Agnès et votre directeur sont inspirés de vous donner, car ils vous instruisent tous deux en un même esprit : ainsi obéissant à l’un deux, vous obéissez à tous deux. Dites aussi à votre directeur qu’il fasse ce qui lui à été enjoint, encore que cela apporte beaucoup de tribulations corporelles, par-dessus lesquelles il doit passer courageusement ; car toutes les tribulations qui sont contre les bonnes oeuvres, sont autant de lacets et du pièges du diable, et qui plus en surmonte dans le chemin qu’il suit pour la gloire de Dieu, en obtient une récompense et une plus grande couronne dans les cieux.

Chapitre 64 (1)

9064   Sainte Brigitte a recours à la Vierge, et la prie comme miséricordieuse de l’assister, craignant d’être en danger pour une vision qu’elle récite.


p 277

  Bénie soyez-vous, ô Marie, qui êtes Vierge et Mère, après avoir enfanté Jésus-Christ ! J’ai autrefois ouï que comme plusieurs personnes de grande qualité et sages rendaient témoignage à une autre personne que Jésus-Christ était la piété et la miséricorde même, une troupe de pauvres qui étaient bien éloignés, se mit à crier que leur témoignage était véritable. O ma très chère Dame, il me semble que ceci peut être dit pour vous, parce que tous les saints, personnes vraiment nobles et sages, témoignent que vous êtes véritablement très pieuse et miséricordieuse. Mais moi, qui suis de la troupe des pauvres, n’ayant rien de bon de moi même, je crie à haute voix que leur témoignage est très véritable, et selon ce, j’ai recours à vous, et vous prie d’avoir pitié de moi ; je crains d’être en grand danger, parce qu’il me semble que je suis à la porte de deux maisons, l’une desquelles est grandement lumineuse, et l’autre pleine de ténèbres ; et lorsque je tourne les yeux vers cette maison ténébreuse, tout ce que j’ai vu en cette maison de lumière ne semble être qu’un songe, qui s’est présenté de nuit à mes yeux.

La bienheureuse Vierge répondit : Encore que je sache tout ce que tu as vu, dis-moi néanmoins ce que tu as remarqué plus particulièrement en cette maison des ténèbres.

Je répondis : Il me semble qu’en cette maison obscure, il y avait comme une entrée et une sortie bien étroites. Au delà de la sortie, il y avait une clarté fort lumineuse, où l’on voyait toutes choses délectables. Il y avait à l’entrée plusieurs chemins qui conduisaient à la sortie, et sur chaque chemin, il y avait cinq ennemis mortels, de tous ceux qui passaient par les autres chemins.

Le premier ennemi parlait aux passants avec paroles douces et emmiellées, mais il jetait souvent des flammes ardentes dans les oreilles de ceux qui l’écoutaient.

Le deuxième tenait en sa main toute sorte de fleurs et de fruits qui se flétrissent ou se gâtent bientôt, mais il pochait les yeux avec une lance très acérée à tous ceux qui les regardaient avec désir de les posséder.
p 278

  Le troisième ennemi tenait un vase plein de venin, dont les bords étaient frottés d’un peu de miel, tout lequel il renversait dans le gosier de ceux qui en goûtaient.

Le quatrième avait plusieurs beaux et précieux lits ornés d’or et d’argent et de rares pierreries ; mais quiconque les touchait avec désir de les posséder, était piqué d’un serpent venimeux.

Le cinquième jetait un lit de plumes aux pieds des passants, mais dès que quelqu’un prenait plaisir à s’y arrêter, cet ennemi tirait ce coutil, et ainsi, celui qui espérait se reposer tombait de fort haut sur des rochers grandement raboteux.

  (1) Ce chapitre est très mal conçu en latin.

Chapitre 65 règle et manière de vivre

9065   Ici Jésus-Christ enseigne à son épouse une règle et manière de vivre, tant pour elle que pour sa famille.


p 279

  Jésus-Christ parle : Je vous conseille d’avoir quatre heures pour dormir avant minuit, et quatre heure après, et que celui qui ne peut en ait la volonté, et il lui profitera. Qui peut diminuer quelque peu de son sommeil, de sorte que ses sens et ses forces n’en soient trop languissants, en aura plus grande récompense. Ensuite ayez quatre heures pour dire vos prières et faire autres oeuvres dévotes et utiles, afin que vous ne perdiez aucune heure sans faire quelque fruit. Vous resterez une heure à table, lequel temps vous ne devez prolonger sans cause raisonnable ; mais si vous avez plus tôt fait, vous en recevrez la récompense. Vous aurez six heures pour faire les oeuvres nécessaires qui vous sont permises et enjointes, après quoi vous prendrez deux heures pour dire vêpres, complies et autres dévotes prières, lesquelles finies, vous emploierez une heure pour le souper avec honnête consolation pour soulager le corps. Vous levant du lit, vous garderez le silence durant quatre heures, lequel vous ne romprez sans licence, et ne répondrez, même aux choses nécessaires, si on vous interroge, que le plus succinctement que vous pourrez. Ce temps écoulé, une honnête et modérée récréation vous sera permise. Vous garderez le silence depuis grâces jusques aux oraisons qui vous seront enjointes. Quand aux six heures, vous les emploierez, selon le commandement de votre directeur, ou à apprendre, ou au travail de quelque chose utile, pendant lequel temps il vous sera loisible de vous entretenir de discours honnêtes et hors d’occasion d’offenser Dieu. Vous garderez le silence à vêpres et à complies, lesquelles finies, vous vous pourrez entretenir de choses honnêtes durant le peu de temps qui reste jusques au souper, et du souper jusques à votre coucher.
p 280

  J’ai dit dans l’Evangile que qui donnera un verre d’eau en mon nom, en sera récompensé. Et je vous dis que tous ceux qui, en mon honneur, entreprennent et accomplissent dévotement quelque abstinence, si petite qu’elle soit, méritent récompense. Vous savez les jeûnes que vous êtes tenue de garder en voyage. Si vous étiez dans le monastère, vous auriez peut-être plus de repos ; prenez donc avec discrétion ce qui vous est nécessaire pour sustenter le corps ; usez du potage, soit de choux, soit de quelque autre espèce, mais pour l’amour de Dieu, n’en ayez pas de plusieurs en même temps. Quant à la chair et au poisson, ne vous en faites servir à table que deux espèces, ou qui plus est, n’en prenez point pour l’amour de moi. Mangez du pain qu’on vous donnera ; que s’il vous en faut plus qu’on ne vous en a servi, demandez-en en mon nom à votre maître. Usez du breuvage de même que du pain. Sachez que le malade ne peut vivre aussi exactement selon la règle que celui qui est robuste et en bonne santé, c’est pourquoi il peut demander et prendre ce qui lui est nécessaire. De plus, attendu que vous avez résolu de ne posséder rien, vous ne devez aussi rien donner ni accepter, s’il vous est offert sans licence. Je vous avertis encore que le diable à toute heure vous dresse des pièges, c’est pourquoi je vous conseille de noter les paroles que vous direz par mégarde au temps du silence, et que, vous en étant confessée, vous en fassiez satisfaction. Que si vous avez proféré des paroles inutiles ou peu discrètes, il faut alors que la satisfaction en soit plus grande. Si quelqu’un, emporté par un premier mouvement, contredit en colère un autre, qu’il cherche le plus tôt qu’il lui sera possible lieu propre à réciter un Ave, Maria, et à demander humblement pardon à Dieu. Que chaque vendredi vous veniez au chapitre avec volonté de ne celer pas un de vos défauts ou d’y persévérer, mais de les corriger tous avec humilité, selon qu’il vous est enjoint.


p 281

Chapitre 66 quel était Jésus-Christ

9066   Il est ici permis à sainte Brigitte de voir quel était Jésus-Christ.

  Marie parle : Je suis la reine du ciel et la Mère des affligés. Je te veux montrer quel était mon Fils en son humanité, quel il était en la croix à l’heure de sa passion, et ce pour signe que tu viendras en ces lieux que j’ai autrefois fréquentés et où tu verras spirituellement mon Fils.


Chapitre 67

9067   Paroles grandement consolantes dites par la Vierge Marie à sainte Brigitte en sa dernière maladie.

  Peu avant que sainte Brigitte mourût, la Vierge Marie lui apparut et dit : Si la femme enfante en maladie, ses enfant sont malades. Mais tu enfanteras des enfants sains, forts et dédiés à Dieu, et tu ne mourras pas, et tu seras mieux guérie que tu ne l’as jamais été, mais tu viendras au lieu qui t’est promis et préparé Saint François a demeuré longtemps malade, et toutefois il fit la volonté de Dieu et beaucoup de fruit ; mais depuis, étant tout à fait guéri, il a fait encore plus de bien qu’auparavant.
p 282

  Si tu demandes pourquoi ta maladie est si longue et pourquoi tes forces naturelles sont ainsi consumées, je te réponds que mon Fils et moi t’aimions. Ne te souvient-il pas que mon Fils te dit à Jérusalem, quand tu fus dans le saint temple de son sépulcre, que tes péchés t’étaient tous remis, comme si tu venais que d’être baptisée ? Mais il ne te dit pas que tu dusses endurer rien de plus, tant que tu serais au monde, car Dieu veut que la charité de l’homme corresponde à la sienne, et que les négligences passées soient effacées par souffrances et par maladies. Souviens-toi que je t’ai dit plusieurs fois que les paroles de mon Fils peuvent être entendues spirituellement et corporellement, comme je te dis en la ville de Straleun, et que, si tu es appelée hors de ce monde avant l’accomplissement des paroles qui t’ont été révélées et qui sont contenues dans les livres célestes, tu seras réputée religieuse en Uvasten, et sera participante de toutes les promesses que Dieu ta faites.

Chapitre 68 qu’est-ce que vivre ou mourir spirituellement

9068   La Sainte Vierge déclare ici qu’est-ce que vivre ou mourir spirituellement.

  Six jours avant que sainte Brigitte mourût, la Vierge lui apparut et lui dit : Les médecins ne disent-ils pas que tu ne mourras point ? Véritablement ils n’entendent pas ce que c’est que mourir. Celui-là meurt qui se sépare de Dieu, et qui, endurci en son péché, ne veut, par sa confession, vomir les immondices de ses iniquités ; celui-là meurt qui ne croit pas en Dieu et n’aime pas son Créateur ; mais il vit à jamais, celui qui craint Dieu, et qui, par une fréquente confession, purge ses fautes pour parvenir à lui. Mais parce que le Dieu qui parle à toi est l’auteur de la nature, de laquelle il dispose et qu’il tient ta vie entre ses mains, il ne faut attendre salut ni vie des médicaments. Il ne faut pas mettre son espérance dans la médecine. Ton corps n’a besoin, pour un peu de temps, que d’un peu de nourriture.


p 283

Chapitre 69

9069   Sainte Brigitte prie la Sainte Vierge d’attacher son coeur à Dieu. La Vierge lui répond, et lui recommande d’avoir soin de sa fille.

  L’épouse de Jésus-Christ, priant la Vierge, disait : O ma très chère Dame, je vous prie, par la charité de votre Fils bien-aimé, qu’il vous plaise m’assister à ce que je l’aime de tout mon coeur. Je me sens faible à l’aimer de telle ferveur que je devrais, c’est pourquoi je vous prie, ô Mère de miséricorde, qu’il vous plaise délier entièrement mon coeur de toute affection des choses périssables, l’attacher à l’amour de Dieu et l’attirer à votre Fils, d’autant puissamment que vous le trouverez pesant.

La bienheureuse Vierge répondit : Béni soit celui qui inspire de telles oraisons ! Mais quoique mon entretien te soit agréable, va-t-en coudre la tunique de ta fille, qui se plaît plus à en porter une vieille et raccommodée qu’une neuve, et désire plus la bure grise que les draps d’or ou de soie. Qu’elle est heureuse d’avoir ainsi quitté les choses mondaines ! Elle a quitté son mari de son consentement, le corps duquel elle a plus aimé que soi-même, et l’aime encore beaucoup plus que le corps de tous deux. Elle a abandonné corporellement ses frères et ses soeurs, ses parents et ses amis, pour les pouvoir assister spirituellement ; elle a méprisé toutes les richesses caduques et périssables. Oh ! Qu’elle est heureuse d’avoir ainsi abandonné le monde ! Car ce mépris et ce délaissement lui ont apporté l’entière rémission de tous ses péchés. Qu’elle persévère seulement, elle obtiendra le ciel en échange de ce qu’elle a quitté en terre, et aura Jésus-Christ pour époux, et tous ceux qui l’aiment profiteront en Dieu pour l’amour d’elle.


p 284


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 9052