1987 Redemptoris Mater 49


49 Celle-ci commencera à la solennité de la Pentecôte, le 7 juin prochain. Il s'agit en effet non seulement de rappeler que Marie «a précédé» l'entrée du Christ Seigneur dans l'histoire de l'humanité, mais de souligner également, à la lumière de Marie, que, depuis l'accomplissement du mystère de l'Incarnation, l'histoire de l'humanité est entrée dans la «plénitude du temps» et que l'Eglise est le signe de cette plénitude. Comme Peuple de Dieu, I'Eglise accomplit dans la foi son pèlerinage vers l'éternité, au milieu de tous les peuples et de toutes les nations, à partir du jour de la Pentecôte. La Mère du Christ, qui fut présente au début du «temps de l'Eglise» lorsque, dans l'attente de l'Esprit Saint, elle était assidue à la prière avec les Apôtres et les disciples de son Fils, occupe constamment «la première place» dans cette marche de l'Eglise à travers l'histoire de l'humanité. Elle est aussi celle qui, précisément comme servante du Seigneur, coopère sans trêve à l'oeuvre du salut accomplie par le Christ, son Fils.

Ainsi, par cette Année mariale, I'Eglise est appelée non seulement à se souvenir de tout ce qui, dans son passé, témoigne de la toute spéciale coopération maternelle de la Mère de Dieu à l'oeuvre du salut dans le Christ Seigneur, mais aussi àpréparer pour l'avenir, en ce qui la concerne, les voies de cette coopération, car la fin du deuxième millénaire chrétien ouvre comme une nouvelle perspective.


50 Comme on l'a déjà dit, même parmi les frères désunis, beaucoup honorent et célèbrent la Mère du Seigneur, particulièrement chez les Orientaux. C'est là une lumière. mariale projetée sur l'oecuménisme. Je désire encore rappeler notamment que pendant l'Année mariale aura lieu le Millénaire du baptême de saint Vladimir, grand-prince de Kiev (988), qui donna naissance au christianisme dans les territoires de la Rous d'alors et, par la suite, dans d'autres territoires de l'Europe orientale; et c'est par cette voie, grâce au travail d'évangélisation, que le christianisme s'est étendu aussi hors d'Europe, jusqu'aux territoires du nord de l'Asie. Nous voudrions donc, spécialement durant cette Année mariale, nous unir par la prière à tous ceux qui célèbrent le Millénaire de ce baptême, orthodoxes et catholiques, en redisant et en confirmant ce qu'écrivait le Concile: nous trouvons «une grande joie et consolation au fait que... les Orientaux vont, d'un élan fervent et d'une âme toute dévouée, vers la Mère de Dieu toujours Vierge pour lui rendre leur culte»(144). Bien que nous éprouvions encore les douloureux effets de la séparation survenue quelques décennies plus tard (1054), nous pouvons dire que devant la Mère du Christ nous nous sentons vraiment des frères et des soeurs dans le cadre du Peuple messianique appelé à former une unique famille de Dieu sur terre, comme je le disais déjà au début de cette année: «Nous désirons reconfirmer cet héritage universel de tous les fils et les filles de cette terre»(145).

En annonçant l'Année mariale, je précisais par ailleurs que sa conclusion aurait lieu l'année suivante en la solennité de l'Assomption de la sainte Vierge Marie au ciel, afin de mettre en relief le «signe grandiose qui apparaît au ciel», dont parle l'Apocalypse. De cette façon, nous voulons également répondre à l'exhortation du Concile, qui se tourne vers Marie, «signe d'espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage». Et cette exhortation, le Concile l'exprime ainsi: «Que tous les chrétiens adressent à la Mère de Dieu et des hommes d'instantes supplications, afin qu'après avoir assisté de ses prières l'Eglise naissante, maintenant encore, exaltée dans le ciel au-dessus de tous les bienheureux et des anges, elle continue d'intercéder auprès de son Fils dans la communion de tous les saints, jusqu'à ce que toutes les familles des peuples, qu'ils soient déjà marqués du beau nom de chrétiens ou qu'ils ignorent encore leur Sauveur, soient enfin heureusement rassemblés dans la paix et la concorde en un seul Peuple de Dieu à la gloire de la très sainte et indivisible Trinité»(146).


CONCLUSION

51 Chaque jour, à la fin de la Liturgie des Heures, l'Eglise fait monter vers Marie une invocation, celle-ci entre autres:

«Sainte Mère du Rédempteur, porte du ciel, toujours ouverte, étoile de la mer, viens au secours du peuple qui tombe et qui cherche à se relever. Tu as enfanté, à l'émerveillement de la nature, celui qui t'a créée!».

«A l'émerveillement de la nature»! Ces paroles de l'antienne expriment l'émerveillement de la foi qui accompagne le mystère de la maternité divine de Marie. Il l'accompagne, en un sens, au coeur de toute la création et, directement, au coeur de tout le Peuple de Dieu, au coeur de l'Eglise. Quelle profondeur admirable Dieu n'a-t-il pas atteinte, Lui le Créateur et Seigneur de toutes choses, dans la révélation de lui-même à l'homme!(147) Avec quelle évidence il a comblé le vide de la «distance» infinie qui sépare le Créateur de la créature! S'il reste en lui-même ineffable et insondable, il est encore plus ineffable et insondable dans la réalité de l'Incarnation du Verbe, qui s'est fait homme en naissant de la Vierge de Nazareth.

S'il a voulu de toute éternité appeler l'homme à être participant de la nature divine (cf.
2P 1,4) , on peut dire qu'il a prédisposé la «divinisation» de l'homme en fonction de sa situation historique, de sorte que, même après la faute, il est prêt à rétablir à grand prix le dessein éternel de son amour par l'«humanisation» de son Fils, qui lui est consubstantiel. Ce don ne peut pas ne pas remplir d'émerveillement la création entière, et plus directement l'homme, lui qui en est devenu participant dans l'Esprit Saint: «Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique» (Jn 3,16) .

Au centre de ce mystère, au plus vif de cet émerveillement de foi, il y a Marie. Sainte Mère du Rédempteur, elle a été la première à en faire l'expérience: «Tu as enfanté, à l'émerveillement de la nature, celui qui t'a créée»!


52 Dans les paroles de cette antienne liturgique est exprimée aussi la vérité du «grand retournement» qui est déterminé pour l'homme par le mystère de l'Incarnation. C'est un retournement qui affecte toute son histoire, depuis le commencement qui nous est révélé par les premiers chapitres de la Genèse jusqu'à son terme ultime, dans la perspective de la fin du monde dont Jésus ne nous a révélé «ni le jour ni l'heure» (Mt 25,13) . C'est un revirement incessant, continuel, entre la chute et le relèvement, entre l'homme dans le péché et l'homme dans la grâce et la justice. La liturgie, surtout pendant l'Avent, se place au point névralgique de ce retournement et en touche l'incessant «aujourd'hui», alors qu'elle nous fait dire: «Viens au secours du peuple qui tombe, et qui cherche à se relever»!

Ces paroles concernent chaque homme, les communautés, les nations et les peuples, les générations et les époques de l'histoire humaine, notre époque, ces années du millénaire qui touche à sa fin: «Viens au secours, oui, viens au secours du peuple qui tombe»!

Telle est la prière adressée à Marie, «sainte Mère du Rédempteur», la prière adressée au Christ qui, par Marie, est entré dans l'histoire de l'humanité. D'année en année, l'antienne monte vers Marie, évoquant le moment où s'est accompli ce retournement historique essentiel, qui persiste de façon irréversible: le retournement entre la «chute» et le «relèvement».

L'humanité a fait des découvertes admirables et a atteint des résultats prodigieux dans le domaine de la science et de la technique, elle a accompli de grandes oeuvres sur la voie du progrès et de la civilisation, et l'on dirait même que, ces derniers temps, elle a réussi à accélérer le cours de l'histoire; mais le revirement fondamental, le revirement que l'on peut qualifier d'«originel», accompagne toujours la marche de l'homme et, à travers toutes les vicissitudes historiques, il accompagne tous et chacun des hommes. C'est le retournement entre la «chute» et le «relèvement», entre la mort et la vie. C'est aussi un défi incessant pour les consciences humaines, un défi pour toute la conscience historique de l'homme: le défi qui consiste à marcher sans «tomber», sur les routes toujours anciennes et toujours nouvelles, et à «se relever» si l'on est tombé.

Arrivant bientôt, avec toute l'humanité, aux confins des deux millénaires, l'Eglise, pour sa part, avec l'ensemble de la communauté des croyants et en union avec tous les hommes de bonne volonté, accueille le grand défi contenu dans ces paroles de l'antienne mariale sur le «peuple qui tombe et qui cherche à se relever», et elle se tourne à la fois vers le Rédempteur et vers sa Mère en disant: «Viens au secours». Elle voit en effet -et cette prière en témoigne- la bienheureuse Mère de Dieu dans le mystère salvifique du Christ et dans son propre mystère; elle la voit profondément enracinée dans l'histoire de l'humanité, dans la vocation éternelle de l'homme, selon le dessein que Dieu, dans sa Providence, a fixé pour lui de toute éternité; elle la voit apportant sa présence et son assistance maternelles dans les problèmes multiples et complexes qui accompagnent aujourd'hui la vie des personnes, des familles et des nations; elle la voit secourant le peuple chrétien dans la lutte incessante entre le bien et le mal, afin qu'il «ne tombe pas» ou, s'il est tombé, qu'il «se relève».

Je souhaite ardemment que les réflexions contenues dans la présente encyclique servent également au renouveau de cette vision dans le coeur de tous les croyants.

Comme Evêque de Rome, j'envoie à tous ceux auxquels sont destinées ces réflexions un baiser de paix, que j'accompagne de mon salut et de ma Bénédiction en notre Seigneur Jésus Christ. Amen.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 25 mars 1987, solennité de l'Annonciation du Seigneur, en la neuvième année de mon pontificat.





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