Reconciliatio & paenitentia FR 22


TROISIEME PARTIE

LA PASTORALE DE LA PENITENCE ET DE LA RECONCILIATION


Promotion de la pénitence et de la réconciliation

23 Susciter dans le coeur de l'homme la conversion et la pénitence, et lui offrir le don de la réconciliation, constitue la mission naturelle de l'Eglise qui continue ainsi l'oeuvre rédemptrice de son divin Fondateur. Cette mission ne se limite pas à quelques affirmations théoriques ni à proposer un idéal éthique sans l'accompagner des forces nécessaires à sa réalisation; elle tend à s'exprimer dans des fonctions précises du ministère, ordonnées à une pratique concrète de la pénitence et de la réconciliation.
Ce ministère, fondé et éclairé par les principes de foi exposés ci-dessus, orienté vers des objectifs précis et soutenu par des moyens adéquats, nous pouvons l'appeler pastorale de la pénitence et de la réconciliation. Son point de départ est la conviction de l'Eglise que l'homme auquel s'adresse toute forme de pastorale, mais surtout la pastorale de la pénitence et de la réconciliation, est l'homme marqué par le péché dont David nous fournit un exemple significatif. Recevant les reproches du prophète Nathan, il accepte d'être confronté avec ses propres crimes et il avoue: "J'ai péché contre le Seigneur"(115). Il proclame: "Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi"(116). Mais aussi il prie: "Purifie-moi avec l'hysope, et je serai pur; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige"(117). Et il reçoit la réponse du Dieu miséricordieux: "Le Seigneur a pardonné ton péché: tu ne mourras pas"(118).
L'Eglise se trouve donc en face de l'homme - en face de tout un monde humain - blessé par le péché, atteint par lui au plus intime dans la profondeur de son être, mais en même temps poussé par le désir incoercible d'être libéré du péché et, spécialement s'il est chrétien, conscient que le mystère de piété, le Christ Seigneur, agit en lui et dans le monde par la force de la Rédemption.
La fonction réconciliatrice de l'Eglise doit ainsi se déployer en fonction du lien intime qui rattache étroitement le pardon et la rémission du péché de chaque homme à la réconciliation fondamentale et plénière de l'humanité, réalisée par la Rédemption. Ce lien nous fait comprendre que, le péché étant le principe actif de la division - division entre l'homme et son Créateur, division dans le coeur et dans l'esprit de l'homme, division entre les individus et entre les groupes humains, division entre l'homme et la nature créée par Dieu - , seule la conversion qui détourne du péché est capable de réaliser une réconciliation profonde et durable partout ou la division a pénétré.
Il n'est point besoin de répéter ici ce que j'ai déjà dit sur l'importance de ce "ministère de la réconciliation"(119) et de la pastorale correspondante qui le met en oeuvre dans la conscience et dans la vie de l'Eglise. Celle-ci faillirait à un aspect de sa nature et négligerait l'une de ses fonctions indispensables si elle ne proclamait pas avec clarté et fermeté, à temps et à contretemps, "la parole de la réconciliation"(120) et si elle n'offrait pas au monde le don de la réconciliation. Mais, il convient de le répéter, il importe que ce service ecclésial de réconciliation s'étende, au-delà des frontières de l'Eglise, au monde entier.
Parler de pastorale de la pénitence et de la réconciliation signifie donc que l'on envisage l'ensemble des tâches qui incombent à l'Eglise, sur tous les plans, pour les promouvoir. Plus concrètement, parler de cette pastorale veut dire évoquer toutes les activités par lesquelles l'Eglise, grâce à l'ensemble et à chacun de ceux qui la composent - Pasteurs et fidèles à tous les niveaux et dans tous les milieux et avec tous les moyens à sa disposition - en paroles et en actes, par l'enseignement et par la prière - conduit les hommes, individuellement ou en groupe, à la vraie pénitence et les introduit ainsi sur le chemin de la pleine réconciliation.
Les Pères du Synode - en tant que représentants de leurs confrères évêques, guides du peuple qui leur est confié - ont travaillé sur cette pastorale dans ses éléments les plus pratiques et les plus concrets. Et je suis heureux de leur faire écho, en m'associant à leurs préoccupations et à leurs espérances, en accueillant les fruits de leurs recherches et de leurs expériences, en les encourageant dans leurs projets et leurs réalisations. Puissent-ils retrouver dans cette partie de l'exhortation apostolique ce qu'ils ont apporté eux-mêmes au Synode, apport dont je voudrais faire bénéficier aussi, dans les pages qui suivent, l'Eglise entière.
Je juge donc opportun de mettre en lumière l'essentiel de la pastorale de la pénitence et de la réconciliation, en exposant les deux points suivants:
Les moyens utilisés et les voies suivies par l'Eglise pour promouvoir la pénitence et la réconciliation; Le sacrement par excellence de la Pénitence et de la Réconciliation.

115
2S 12,13
116 Ps 51,5
117 Ps 51,9
118 2S 12,13
119 Cf. 2Co 5,18
120 Cf. 2Co 5,19




CHAPITRE I

LA PROMOTION DE LA PENITENCE ET

DE LA RECONCILIATION: MOYENS ET VOIES

24 Pour promouvoir la pénitence et la réconciliation, l'Eglise a à sa disposition surtout deux moyens qui lui ont été confiés par son Fondateur même: la catéchèse et les sacrements. L'Eglise les met en oeuvre d'une façon qu'elle considère toujours pleinement adaptée aux exigences de sa mission salvifique et répondant en même temps aux exigences et aux besoins spirituels des hommes de tous les temps, et cela sous des formes et des manières anciennes et nouvelles. Parmi celles-ci, il sera bon de rappeler spécialement ce que nous pouvons nommer la méthode du dialogue, à la suite de mon prédécesseur Paul VI.


Le dialogue

25 Le dialogue, pour l'Eglise, est en un sens un moyen et surtout une manière d'exercer son action dans le monde contemporain.
Le Concile Vatican II, en effet, proclame d'abord que "l'Eglise, en vertu de la mission qui est la sienne d'éclairer l'univers entier par le message évangélique et de réunir en un seul Esprit tous les hommes..., apparaît comme le signe de cette fraternité qui rend possible un dialogue loyal et qui le renforce". Puis il ajoute qu'elle doit être capable "d'établir un dialogue sans cesse plus fécond entre tous ceux qui constituent l'unique peuple de Dieu"(121), comme aussi d'"établir un dialogue avec la société humaine"(122).
Mon prédécesseur Paul VI a consacré au dialogue une partie notable de sa première encyclique Ecclesiam suam, ou il le décrit et le caractérise de façon significative comme un dialogue du salut(123).
L'Eglise en effet utilise la méthode du dialogue pour mieux amener les hommes - ceux qui, par le baptême et la profession de foi, se reconnaissent membres de la communauté chrétienne, et ceux qui lui sont étrangers - à la conversion et à la pénitence, sur la voie d'un profond renouveau de leur conscience et de leur vie, à la lumière du mystère de la rédemption et du salut réalisés par le Christ et confiés au ministère de son Eglise. L'authentique dialogue vise donc avant tout la régénération de chacun, par la conversion intérieure et la pénitence, tout en respectant profondément les consciences dans les démarches patientes et progressives que requièrent les conditions des hommes de notre temps.
Le dialogue pastoral en vue de la réconciliation demeure aujourd'hui un engagement fondamental de l'Eglise en divers domaines et à différents niveaux.

121 Const past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes,
GS 92
122 Décr. sur la charge pastorale des évêques Christus Dominus, CD 13 Cf. Déclar. sur l'éducation chrétienne Gravissimum educationis, n. GE 8; Décr. sur l'activité missionnaire de l'Eglise Ad gentes, AGD 11-12
123 Cf. PAUL VI, Encycl. Ecclesiam suam, III: AAS 56 (1964),


L'Eglise met en oeuvre avant tout un dialogue oecuménique, c'est-à-dire avec les Eglises et les Communautés ecclésiales qui se réclament de la foi dans le Christ, Fils de Dieu et unique Sauveur, et un dialogue avec les autres communautés d'hommes qui cherchent Dieu et veulent avoir un rapport de communion avec lui.
A la base d'un tel dialogue avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales, et avec les autres religions - et c'est aussi la condition de sa crédibilité et de son efficacité - , il doit y avoir un effort sincère de dialogue permanent et renouvelé à l'intérieur de l'Eglise catholique elle-même. Cette Eglise a conscience d'être, par sa nature, sacrement de la communion universelle de charité(124); mais elle a conscience également des tensions qui existent en son sein et qui risquent de devenir des facteurs de division.
L'appel attristé et ferme, déjà adressé par mon prédécesseur en vue de l'Année sainte 1975(125), est encore valable actuellement. Pour parvenir à surmonter les conflits et éviter que les tensions normales ne nuisent à l'unité de l'Eglise, il faut que nous nous mettions tous en face de la Parole de Dieu et que, abandonnant nos vues subjectives, nous cherchions la vérité là ou elle se trouve, c'est-à-dire dans la Parole divine et dans l'interprétation authentique qu'en donne le Magistère de l'Eglise. Sous cette lumière, l'écoute réciproque, le respect et l'abstention de tout jugement hâtif, la patience, la capacité d'éviter que la foi, qui unit, soit subordonnée aux opinions, aux modes et aux choix idéologiques qui divisent, constituent autant de qualités d'un dialogue qui, à l'intérieur de l'Eglise, doit être poursuivi avec assiduité, volonté, sincérité. Il est clair que le dialogue ne serait pas tout cela et qu'il ne deviendrait pas un facteur de réconciliation si on ne prêtait pas attention au Magistère et si on ne l'acceptait pas.
Effectivement engagée dans la recherche de sa propre communion interne, l'Eglise catholique peut adresser l'appel à la réconciliation, comme elle l'a déjà fait depuis longtemps, aux autres Eglises avec lesquelles il n'y a pas une pleine communion, et aussi aux autres religions et même à tous ceux qui cherchent Dieu d'un coeur sincère.
A la lumière du Concile et du magistère de mes prédécesseurs, dont j'ai reçu le précieux héritage que je m'efforce de conserver et de mettre en pratique, je puis affirmer que l'Eglise catholique, dans toutes ses communautés, s'engage avec loyauté dans le dialogue oecuménique, en évitant les optimismes faciles, mais aussi sans méfiance, sans hésitation ou sans délai. Les règles fondamentales qu'elle cherche à suivre dans ce dialogue sont, d'une part, l'assurance que seul un oecuménisme spirituel - fondé sur la prière commune et sur la docilité commune à l'unique Seigneur - permet de répondre sincèrement et sérieusement aux autres exigences de l'action oecuménique(126); d'autre part, la conviction qu'un certain irénisme facile en matière doctrinale et surtout dogmatique pourrait peut-être mener à une forme de "convivialité" superficielle et passagère, mais non pas à la communion profonde et stable que nous souhaitons tous. A cette communion on parviendra à l'heure voulue par la divine Providence, mais pour y arriver, l'Eglise catholique, en ce qui la concerne, sait qu'elle doit être ouverte et sensible à toutes "les valeurs réellement chrétiennes qui ont leur source au commun patrimoine et qui se trouvent chez nos frères séparés"(127), mais qu'elle doit pareillement poser à la base d'un dialogue loyal et constructif la clarté des positions, la fidélité et la cohérence avec la foi transmise et définie dans la continuité de la tradition chrétienne par son Magistère. Par ailleurs, malgré la menace d'un certain défaitisme et malgré les inévitables lenteurs qui ne sauraient être corrigées par une manière inconsidérée d'agir, l'Eglise catholique continue à chercher avec tous les autres frères chrétiens les voies de l'unité et, avec les disciples des autres religions, un dialogue sincère. Puisse ce dialogue inter-religieux conduire au dépassement de toute attitude d'hostilité, de défiance, de condamnation mutuelle et même de mutuelles invectives ! C'est là une condition préliminaire pour que nous puissions nous rencontrer au moins dans la foi en un Dieu unique et dans la certitude de la vie éternelle pour l'âme immortelle. Et, en particulier, fasse le Seigneur que le dialogue oecuménique mène à une sincère réconciliation dans le cadre de tout ce que nous pouvons déjà avoir en commun avec les autres Eglises chrétiennes: la foi en Jésus Christ, Fils de Dieu fait homme, Sauveur et Seigneur, l'écoute de la Parole, l'étude de la Révélation, le sacrement du baptême.
Dans la mesure ou l'Eglise est capable de susciter la concorde active - l'unité dans la diversité - en son propre sein, et de s'offrir comme témoin et humble agent de réconciliation à l'égard des autres Eglises et Communautés ecclésiales et des autres religions, elle devient, selon la définition expressive de saint Augustin, "monde réconcilié"(128). Alors elle pourra être un signe de réconciliation dans le monde et pour le monde.

124 Cf. CONC. CUM. VAT. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, LG 1 LG 9 LG 13
125 PAUL VI, Exhort. ap. Paterna cum benevolentia: AAS 67 (1975), pp. 5-23.
126 Cf. CONC. CUM. VAT II, Décr. sur l'oecuménisme Unitatis redintegratio, UR 7-8.
127 Ibidem, UR 4.
128 S. AUGUSTIN, Sermo 96, 7: PL 38, 588.



Ayant conscience de l'immense gravité de la situation créée par les forces de division et de guerre, situation qui constitue aujourd'hui une menace pesante non seulement pour l'équilibre et l'harmonie des nations, mais pour la survie même de l'humanité, l'Eglise ressent le devoir d'offrir et de proposer sa collaboration spécifique pour surmonter les conflits et rétablir la concorde.
Il s'agit là d'un dialogue complexe et délicat de réconciliation. L'Eglise s'y engage avant tout par l'action du Saint-Siège et de ses divers Organismes. On peut affirmer que le Saint-Siège s'efforce d'intervenir auprès des Gouvernants des nations et des responsables des diverses instances internationales, ou de se joindre à eux, en dialoguant avec eux ou en les stimulant à dialoguer entre eux, au bénéfice de la réconciliation au coeur de nombreux conflits. L'Eglise le fait, non pour des motifs seconds ou pour des intérêts occultes, car elle n'en a pas, mais "par préoccupation humanitaire"(129), mettant sa structure institutionnelle et son autorité morale, tout à fait singulières, au service de la concorde et de la paix. Elle le fait dans la conviction que, de même que "dans une guerre, deux parties se lèvent l'une contre l'autre", de même "dans la question de la paix, ce sont toujours et nécessairement deux parties qui doivent savoir s'engager", et c'est ainsi que "l'on trouve le véritable sens du dialogue pour la paix"(130).
Dans le dialogue pour la réconciliation, l'Eglise s'engage aussi par les évêques, selon la compétence et la responsabilité qui leur sont propres, soit individuellement en dirigeant leurs Eglises particulières, soit réunis dans leurs Conférences épiscopales, avec la collaboration des prêtres et de tous les membres des communautés chrétiennes. Ils accomplissent fidèlement leur devoir quand ils promeuvent cet indispensable dialogue et lorsqu'ils proclament les exigences humaines et chrétiennes de réconciliation et de paix. En communion avec leurs Pasteurs, les laïcs, dont le "champ propre de (l')activité évangélisatrice est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l'économie..., de la vie internationale"(131), sont appelés à s'engager directement dans le dialogue ou en faveur du dialogue pour la réconciliation. Par leur entremise, c'est encore l'Eglise qui accomplit son action réconciliatrice.
La régénération des coeurs par la conversion et la pénitence est donc le présupposé fondamental et la base sûre de tout renouveau social durable et de la paix entre les nations.
Il reste à rappeler que, de la part de l'Eglise et de ses membres, le dialogue, sous quelque forme qu'il se déroule - ces formes sont et peuvent être très diverses, si bien que le concept de dialogue a une valeur analogique - , ne pourra jamais partir d'une attitude d'indifférence envers la vérité, mais il en sera plutôt une présentation faite sous un mode serein, respectueux de l'intelligence et de la conscience des autres. Le dialogue de la réconciliation ne pourra jamais remplacer ou atténuer l'annonce de la vérité évangélique, qui a comme but précis la conversion du pécheur et la communion avec le Christ et avec l'Eglise, mais il devra servir à la transmission de cette vérité et à sa réalisation à travers les moyens laissés par le Christ à son Eglise pour la pastorale de la réconciliation: la catéchèse et la pénitence.

129 Cf. JEAN PAUL II, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège (15 janvier 1983), nn. 4. 6. 11: AAS 75 (1983), pp. 376. 378-379. 381.
130 JEAN PAUL II, Homélie de la messe pour la XVIe Journée mondiale de la paix (1er janvier 1983), n. 6: Insegnamenti VI, (1983)(1983), 7.
131 PAUL VI, Exhort. ap. Evangelii nuntiandi, EN 70: AAS 68 (1976), pp.59-60.



La catéchèse

26 Dans le vaste domaine ou l'Eglise a la mission d'oeuvrer selon la méthode du dialogue, la pastorale de la pénitence et de la réconciliation s'adresse aux membres du corps de l'Eglise, avant tout par une catéchèse appropriée concernant les deux réalités distinctes et complémentaires auxquelles les Pères du Synode ont donné une particulière importance et qu'ils ont mises en relief dans plusieurs des Propositions qui concluaient leur travail, précisément la pénitence et la réconciliation. La catéchèse est donc le premier moyen à employer.
A la base de la recommandation si opportune du Synode, on trouve un présupposé fondamental: ce qui est pastoral ne s'oppose pas à doctrinal, et l'action pastorale ne peut faire abstraction du contenu doctrinal, bien plus, elle tire de lui sa substance et sa valeur réelle. Or, si l'Eglise est "colonne et support de la vérité"(132), et si elle est établie dans le monde comme Mère et Maîtresse, comment pourrait-elle négliger le devoir d'enseigner la vérité qui constitue un chemin de vie?
Des Pasteurs de l'Eglise, on attend avant tout une catéchèse sur la réconciliation. Celle-ci ne peut manquer de se fonder sur l'enseignement biblique, spécialement sur celui du Nouveau Testament, touchant la nécessité de reconstituer l'alliance avec Dieu dans le Christ rédempteur et réconciliateur et, à la lumière de cette nouvelle communion et de cette nouvelle amitié, et dans leur prolongement, la nécessité de se réconcilier avec son frère, quitte à laisser pour un temps l'offrande du sacrifice(133). Jésus insiste beaucoup sur ce thème de la réconciliation fraternelle: par exemple lorsqu'il invite à tendre l'autre joue à celui qui nous a frappés, et à laisser même notre manteau à celui qui a pris notre tunique(134), ou lorsqu'il enseigne la loi du pardon, un pardon que chacun reçoit dans la mesure ou il sait pardonner(135), un pardon à offrir même à nos ennemis(136), un pardon à accorder soixante-dix fois sept fois(137), c'est-à-dire, en pratique, sans aucune limitation. C'est à ces conditions, réalisables seulement dans un climat authentiquement évangélique, qu'est possible une véritable réconciliation entre les individus, entre les familles, les communautés, les nations et les peuples. De ces données bibliques sur la réconciliation découlera naturellement une catéchèse théologique, qui intégrera aussi dans sa synthèse les éléments de la psychologie, de la sociologie et des autres sciences humaines, celles-ci pouvant servir à clarifier les situations, bien poser les problèmes, convaincre les auditeurs ou les lecteurs de prendre des résolutions concrètes.
Des Pasteurs de l'Eglise, on attend également une catéchèse sur la pénitence. Là encore la richesse du message biblique doit en être la source. Ce message souligne avant tout, en ce qui concerne la pénitence, sa valeur de conversion, terme par lequel on cherche à traduire le mot du texte grec metanoia(138), qui signifie littéralement laisser s'opérer un retournement de l'esprit pour qu'il se tourne vers Dieu. Voici du reste les deux éléments fondamentaux qui ressortent de la parabole du fils perdu et retrouvé: le fait de "rentrer en soi-même"(139) et la décision de retourner vers son père. Il ne saurait y avoir de réconciliation sans ces attitudes primordiales de la conversion, et la catéchèse doit les expliquer par des concepts et des termes adaptés aux différents âges, aux diverses conditions culturelles, morales et sociales.
C'est une première valeur de la pénitence qui se prolonge dans la deuxième valeur: la pénitence signifie aussi repentir. Les deux sens de la metanoia apparaissent dans la consigne significative donnée par Jésus: "Si ton frère se repent, remets-lui. Et si sept fois le jour il pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi en disant: "Je me repens", tu lui remettras"(140). Une bonne catéchèse montrera comment le repentir, tout comme la conversion, loin d'être un sentiment superficiel, est un vrai retournement de l'âme.
Une troisième valeur est contenue dans la pénitence: c'est le mouvement par lequel les attitudes de conversion et de repentir dont on vient de parler se manifestent à l'extérieur: c'est ce qu'on appelle faire pénitence. Ce sens est bien perceptible dans le terme metanoia tel qu'il est employé par le Précurseur selon le texte des synoptiques(141). Faire pénitence veut dire, finalement, rétablir l'équilibre et l'harmonie rompus par le péché, changer de direction même au prix de sacrifices.

132
1Tm 3,15
133 Cf. Mt 5,23-24
134 Cf. Mt 5,38-40
135 Cf. Mt 6,12
136 Cf. Mt 5,43 ss.
137 Cf. Mt 18,21-22
138 Cf. Mt 1,4 Mt 1,14 Mt 3,2 Mt 4,17 Lc 3,8
139 Cf. Lc 15,17
140 Lc 17,3-4
141 Cf. Mt 3,2 Mc 1,2-6 Lc 3,1-6


En somme, on ne saurait se passer d'une catéchèse sur la pénitence, la plus complète et la plus adéquate possible, en un temps comme le nôtre ou les attitudes dominantes dans la psychologie et dans les comportements sociaux sont en opposition avec la triple valeur déjà exposée: l'homme d'aujourd'hui semble avoir plus de peine que jamais à reconnaître ses propres erreurs et à décider de revenir sur ses pas pour reprendre le chemin après avoir rectifié sa marche; il semble très réticent à dire: "Je me repens" ou "je regrette"; il semble refuser instinctivement, et souvent de manière irrésistible, tout ce qui est pénitence au sens du sacrifice accepté et pratiqué pour se corriger du péché. A cet égard, je voudrais souligner que, même si elle est adoucie depuis quelque temps, la discipline pénitentielle de l'Eglise ne peut être abandonnée sans grave dommage pour la vie intérieure des chrétiens et de la communauté ecclésiale, comme pour leur capacité de rayonnement missionnaire. Il n'est pas rare que des non-chrétiens soient surpris par la rareté du témoignage de vraie pénitence de la part des disciples du Christ. Il est clair, par ailleurs, que la pénitence chrétienne sera authentique dans la mesure ou elle sera inspirée par l'amour, et non pas par la seule crainte, ou elle consistera en un sérieux effort pour crucifier le "vieil homme" afin que puisse renaître "l'homme nouveau", grâce au Christ; ou elle suivra comme modèle le Christ qui, bien qu'innocent, choisit la voie de la pauvreté de la patience, de l'austérité et, on peut le dire, de la vie pénitente.
Des Pasteurs de l'Eglise, on attend encore, comme l'a rappelé le Synode, une catéchèse sur la conscience et sur sa formation. Il y a là encore un thème de grande actualité étant donné que, dans les soubresauts qui affectent la culture de notre temps, ce sanctuaire intérieur de l'homme, c'est-à-dire ce moi le plus intime de l'homme, sa conscience, se trouve trop souvent agressé, mis à l'épreuve, bouleversé, obscurci. Pour une catéchèse sérieuse sur la conscience, on peut trouver des indications précieuses aussi bien chez les Docteurs de l'Eglise que dans la théologie du Concile Vatican II et spécialement dans ses documents sur l'Eglise dans le monde contemporain(142) et sur la liberté religieuse(143). C'est dans cette ligne que le Pape Paul VI intervint souvent pour rappeler la nature et le rôle de la conscience dans notre vie(144). Pour ma part, en suivant ses traces, je ne laisse passer aucune occasion de faire la lumière sur ce qui fait partie au plus haut degré de la grandeur et de la dignité de l'homme(145), sur cette "sorte de sens moral qui nous amène à discerner ce qui est bien et ce qui est mal... comme un oeil intérieur, une faculté visuelle de l'esprit, capable de guider nos pas sur la voie du bien"; j'ai rappelé également la nécessité de former de façon chrétienne sa propre conscience afin qu'elle ne devienne pas "une force destructrice de sa véritable humanité (de la personne), mais soit le saint lieu ou Dieu lui révèle son vrai bien"(146).

142 Cf. Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 8 GS 16 GS 19 GS 26 GS 41 GS 48
143 Cf. Déclar. sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, DH 2 DH 3 DH 4
144 Cf., parmi tant d'autres, les discours aux audiences générales des 28 mars 1973: Insegnamenti XI (1973), 294 ss.; 8 août 1973: Ibidem, 772 ss.; 7 novembre 1973: Ibidem, 1054 ss.; 13 mars 1974: Insegnamenti XII (1974), 230 ss.; 8 mai 1974: Ibidem, 402 ss.; 12 février 1975: Insegnamenti XIII (1975), 154 ss.; 9 avril 1975: Ibidem, 290 ss.; 13 juillet 1977: Insegnamenti XV (1977), 710 ss.
145 Cf. JEAN-PAUL II, Angélus du 17 mars 1982: Insegnamenti V, (1982)(1982), 860-861.
146 Cf. JEAN-PAUL II, Discours à l'audience générale du 17 août 1983, nn. 1-3: Insegnamenti VI, (1983)(1983), 256-257.


C'est aussi sur d'autres points importants pour la réconciliation que l'on attend la catéchèse des Pasteurs de l'Eglise:
Sur le sens du péché qui, comme je l'ai dit, s'est passablement atténué dans notre monde. Sur la tentation et sur les tentations: le Seigneur Jésus lui-même, le Fils de Dieu, "éprouvé en tout, d'une manière semblable à nous, a l'exception du péché"(147), voulut être tenté par le Mauvais(148), pour nous indiquer que, comme lui, les siens seraient eux aussi soumis à la tentation, et de même pour nous montrer comment il faut se comporter quand nous sommes tentés. Pour celui qui supplie le Père de ne pas être tenté au-delà de ses forces(149) et de ne pas succomber à la tentation(150), pour celui qui ne s'expose pas aux occasions de péché, le fait d'être soumis à la tentation ne signifie pas avoir péché, mais c'est plutôt une occasion de grandir dans la fidélité et dans la cohérence à travers l'humilité et la vigilance. Sur le jeûne: il peut être pratiqué sous des formes anciennes ou nouvelles, comme signe de conversion, de repentir et de mortification personnelle et, en même temps, d'union avec le Christ crucifié et de solidarité avec ceux qui ont faim et ceux qui souffrent. Sur l'aumône: elle est un moyen de concrétiser la charité, en partageant ce dont on dispose avec celui qui éprouve les conséquences de la pauvreté. Sur le lien étroit qui existe entre le dépassement des divisions dans le monde et la pleine communion avec Dieu et entre les hommes, fin eschatologique de l'Eglise. Sur les circonstances concrètes dans lesquelles doit se réaliser la réconciliation (dans la famille, dans la communauté civile, dans les structures sociales) et, en particulier, sur les quatre réconciliations qui réparent les quatre ruptures fondamentales: réconciliation de l'homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec toute la création. L'Eglise ne peut omettre, sans une grave mutilation de son message essentiel, particulier et universel, une catéchèse constante sur ce que le langage chrétien traditionnel désigne comme les quatre fins dernières de l'homme: la mort, le jugement (particulier et universel), l'enfer et le paradis; dans un contexte culturel qui tend à enfermer l'homme dans le cadre de sa vie terrestre plus ou moins réussie, on demande aux Pasteurs de l'Eglise une catéchèse qui ouvre et éclaire avec les certitudes de la foi l'au-delà de la vie présente; derrière les mystérieuses portes de la mort se profile une éternité de joie dans la communion avec Dieu ou de peine dans l'éloignement de Dieu. C'est seulement dans cette vision eschatologique que l'on peut avoir la mesure exacte du péché et se sentir poussé de façon décisive à la pénitence et à la réconciliation. Les Pasteurs zélés et inventifs ne manqueront jamais de trouver les occasions de donner cette catéchèse dans son extension et sa variété, en tenant compte de la diversité de culture et de formation religieuse de ceux auxquels ils s'adressent. Les lectures bibliques et les rites de la messe et des autres sacrements en donnent souvent la possibilité, ainsi que les circonstances mêmes qui appellent leur célébration. De multiples initiatives peuvent être prises dans le même but, telles que les prédications, les conférences, les débats, les sessions et les cours de culture religieuse, etc., comme cela se fait en beaucoup d'endroits. Je désire signaler en particulier l'importance et l'efficacité des anciennes missions populaires, toujours pour cette même catéchèse. Si elles sont adaptées aux exigences particulières de notre temps, elles peuvent être, aujourd'hui comme hier, un instrument valable d'éducation dans la foi, notamment pour tout ce qui concerne la pénitence et la réconciliation.
Etant donné la grande importance de la réconciliation, fondée sur la conversion, dans le domaine délicat des rapports humains et de la vie sociale à tous les niveaux, y compris sur le plan international, la catéchèse ne peut négliger l'apport précieux de la doctrine sociale de l'Eglise. L'enseignement circonstancié et précis de mes prédécesseurs, depuis le Pape Léon XIII, auquel est venu s'adjoindre l'apport substantiel de la constitution pastorale Gaudium et spes du Concile Vatican II et celui des divers épiscopats sollicités d'intervenir en diverses circonstances connues par leurs pays, tout cela a constitué un corps de doctrine ample et solide touchant les multiples exigences inhérentes à la vie de la communauté humaine, aux rapports entre les individus, les familles et les groupes qui la composent, et a la constitution d'une société qui cherche à être cohérente avec la loi morale, fondement de la civilisation.
A la base de cet enseignement social de l'Eglise se trouve évidemment la vision qu'elle tire de la Parole de Dieu sur les droits et les devoirs des individus, de la famille et de la communauté; sur la valeur de la liberté et les dimensions de la justice; sur le primat de la charité; sur la dignité de la personne humaine et les exigences du bien commun que doivent chercher à réaliser la politique et l'économie elle-même. C'est sur ces principes fondamentaux du magistère social, qui confirment et proposent à nouveau les lois universelles de la raison et de la conscience des peuples, que s'appuie en grande partie l'espérance d'une solution pacifique de multiples conflits sociaux et, en définitive, de la réconciliation universelle.

147 He 4,15
148 Cf. Mt 4,1-11 Mc 1,12-13 Lc 4,1-13
149 Cf. 1Co 10,13
150 Cf Mt 6,13 Lc 11,4



Les sacrements

27 Le second moyen d'institution divine, que l'Eglise met à la disposition de la pastorale de la pénitence et de la réconciliation, est constitué par les sacrements.
Dans le dynamisme mystérieux des sacrements, si riches de symbolismes et de contenu, il est possible de percevoir un aspect qui n'est pas toujours mis en lumière: chacun d'eux est signe, non seulement de sa grâce propre, mais aussi de pénitence et de réconciliation, et il est donc possible de revivre en chacun d'eux ces dimensions spirituelles.
Il est certain que le baptême est un bain de salut: comme le dit saint Pierre, il a sa valeur, "non pas (comme) l'enlèvement d'une souillure charnelle, mais (comme) l'engagement envers Dieu d'une bonne conscience"(151). Il est à la fois mort, ensevelissement et résurrection avec le Christ mort, enseveli et ressuscité(152). Il est don de l'Esprit Saint à travers le Christ(153). Toutefois cet élément constitutif essentiel et original du baptême chrétien n'élimine pas, mais au contraire enrichit l'aspect pénitentiel déjà présent dans le baptême que Jésus lui-même reçut de Jean "pour accomplir toute justice"(154); autrement dit, il s'agit d'une conversion et d'une réintégration dans de justes rapports avec Dieu, de réconciliation avec Dieu, avec l'effacement de la tache originelle et l'insertion qui s'ensuit dans la grande famille des réconciliés.
De même, la confirmation, en tant d'ailleurs qu'achèvement du baptême et, avec lui, sacrement de l'initiation, en conférant la plénitude de l'Esprit Saint et en amenant la vie chrétienne à l'âge adulte, signifie et réalise par là même une conversion plus grande du coeur et une appartenance plus intime et plus effective à la même assemblée de réconciliés qu'est l'Eglise du Christ.
La définition que saint Augustin donne de l'Eucharistie comme "sacrement de la sanctification, signe d'unité, lien de charité" ("sacramentum pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis")(155) met clairement en lumière les effets de sanctification personnelle (pietas) et de réconciliation communautaire (unitas et caritas) qui découlent de l'essence même du mystère eucharistique en tant que renouvellement non sanglant du sacrifice de la croix, source de salut et de réconciliation pour tous les hommes. Il est cependant nécessaire de rappeler que l'Eglise, guidée par la foi dans cet auguste sacrement, enseigne qu'aucun chrétien, conscient d'avoir commis un péché grave, ne peut recevoir l'Eucharistie avant d'avoir obtenu le pardon de Dieu. Comme on le lit dans l'instruction Eucharisticum mysterium, qui, dûment approuvée par Paul VI, confirme pleinement l'enseignement du Concile de Trente: "On présentera aux fidèles l'Eucharistie comme 'l'antidote qui nous libère de nos fautes quotidiennes et nous préserve des péchés mortels', et on leur indiquera la façon convenable d'user des parties pénitentielles de la liturgie de la messe. 'On doit rappeler à qui veut communier le précepte: Que l'homme s'éprouve lui-même (
1Co 11,28) . La coutume de l'Eglise montre que cette épreuve est nécessaire, afin que tout homme, s'il a conscience d'un péché mortel, si contrit qu'il s'estime, ne s'approche pas de la sainte Eucharistie sans une confession sacramentelle préalable'; s'il se trouve en cas de nécessité et qu'il ne lui est pas possible de se confesser, qu'il fasse d'abord un acte de contrition parfaite"(156).
Le sacrement de l'Ordre est destiné à donner à l'Eglise des Pasteurs, qui ne sont pas seulement maîtres et guides, mais sont appelés à être témoins et artisans d'unité, constructeurs de la famille de Dieu, défenseurs et gardiens de la communion de cette famille contre les ferments de division et de dispersion.
Le sacrement du mariage, exaltation de l'amour humain sous l'action de la grâce, est signe de l'amour du Christ pour l'Eglise, certes, mais aussi de la victoire qu'il permet aux époux de remporter sur les forces qui déforment et détruisent l'amour, de telle sorte que la famille, née de ce sacrement, devienne également signe de l'Eglise réconciliée et réconciliatrice pour un monde réconcilié dans toutes ses structures et ses institutions.
L'onction des malades, enfin, dans l'épreuve de la maladie et de la vieillesse, et spécialement à l'heure finale de la vie du chrétien, est un signe de la conversion définitive au Seigneur, comme aussi de la totale acceptation de la douleur et de la mort comme pénitence pour les péchés. En cela se réalise la suprême réconciliation avec le Père.
Toutefois, parmi les sacrements, il en est un qui, souvent appelé confession en raison de l'accusation des péchés qu'il comporte, peut être considéré de façon plus appropriée comme le sacrement de la Pénitence par antonomase - c'est en effet ainsi qu'on le désigne - et il est donc le sacrement de la conversion et de la réconciliation. La récente Assemblée du Synode a particulièrement traité de ce sacrement, vu l'importance qu'il revêt pour la réconciliation.

151 1P 3,21
152 Cf. Rm 6,3-4 Col 2,12
153 Cf. Mt 3,11 Lc 3,16 Jn 1,33 Ac 1,5 Ac 11,16
154 Cf. Mt 3,15
155 S. AUGUSIIN, In loannis Evangelium tractatus, 26, 13: CCL 36, 266.
156 S. CONGREGATION DES RITES, Instruction sur le culte du mystère eucharistique Eucharisticum mysterium (25 mai 1967), n. 35: AAS 59 (1967), PP. 560-561.






Reconciliatio & paenitentia FR 22