Sacramentum carit. FR 65

Le respect envers l'Eucharistie

65 Un signe convaincant que la catéchèse eucharistique est efficace chez les fidèles est certainement la croissance, en eux, du sens du mystère de Dieu présent parmi nous. Cela peut être vérifié à travers des manifestations spécifiques de respect envers l'Eucharistie, auxquelles le parcours mystagogique doit introduire les fidèles. (190) Je pense, d'une manière générale, à l'importance des gestes et des postures, comme le fait de s'agenouiller pendant les moments centraux de la prière eucharistique. En s'adaptant à la légitime diversité des signes qui sont posés dans le contexte des différentes cultures, que chacun vive et exprime la conscience de se trouver dans toute célébration devant la majesté infinie de Dieu, qui nous rejoint de manière humble dans les signes sacramentels.

(190) Cf. Proposition 34.


Adoration et piété eucharistique

La relation intrinsèque entre célébration et adoration

66 Un des moments les plus intenses du Synode a eu lieu lorsque nous nous sommes réunis dans la basilique Saint-Pierre, avec de nombreux fidèles, pour l'adoration eucharistique. Par ce geste de prière, l'Assemblée des Évêques a voulu attirer l'attention, et non seulement par des paroles, sur l'importance de la relation intrinsèque entre célébration eucharistique et adoration. Dans cet aspect significatif de la foi de l'Église, se trouve l'un des éléments décisifs du chemin ecclésial, réalisé après la réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II. Alors que la réforme accomplissait ses premiers pas, le rapport intrinsèque entre la Messe et l'adoration du Saint-Sacrement ne fut parfois pas assez clairement perçu. Une objection alors diffuse se faisait jour, par exemple, dans l'affirmation selon laquelle le Pain eucharistique ne nous serait pas donné pour être contemplé, mais pour être mangé. En réalité, à la lumière de l'expérience de prière de l'Église, une telle opposition se révélait privée de tout fondement. Déjà saint Augustin avait dit: «nemo autem illam carnem manducat, nisi prius adoraverit;... peccemus non adorando – Que personne ne mange cette chair sans d'abord l'adorer;... nous pécherions si nous ne l'adorions pas ». (191) Dans l'Eucharistie, en effet, le Fils de Dieu vient à notre rencontre et désire s'unir à nous; l'adoration eucharistique n'est rien d'autre que le développement explicite de la célébration eucharistique, qui est en elle-même le plus grand acte d'adoration de l'Église. (192) Recevoir l'Eucharistie signifie se mettre en attitude d'adoration envers Celui que nous recevons. C'est ainsi, et seulement ainsi, que nous devenons un seul être avec Lui et que nous goûtons par avance, d'une certaine façon, la beauté de la liturgie céleste. L'acte d'adoration en dehors de la Messe prolonge et intensifie ce qui est réalisé durant la Célébration liturgique elle-même. En fait, « ce n'est que dans l'adoration que peut mûrir un accueil profond et vrai. Et c'est bien par cet acte personnel de rencontre avec le Seigneur que mûrit ensuite la mission sociale qui est renfermée dans l'Eucharistie et qui veut briser les barrières non seulement entre le Seigneur et nous, mais aussi et surtout les barrières qui nous séparent les uns des autres ». (193)

(191) Enarrationes in Psalmos 98, 9 CCL XXXIX, 1385; Cf. Benoît XVI, Discours à la Curie romaine (22 décembre 2005) : AAS 98 (2006), pp. 44-45; La Documentation catholique 103 (2006), pp. 58-59.
(192) Cf. Proposition 6.
(193) Benoît XVI, Discours à la Curie romaine (22 décembre 2005): AAS 98 (2006), p. 45; La Documentation catholique 103 (2006), p. 59.

La pratique de l'adoration eucharistique

67 Avec l'assemblée synodale, je recommande donc vivement aux Pasteurs de l'Église et au peuple de Dieu la pratique de l'adoration eucharistique, qu'elle soit personnelle ou communautaire. (194) À ce propos, une catéchèse adaptée, dans laquelle on explique aux fidèles l'importance de cet acte du culte qui permet de vivre plus profondément et avec davantage de fruit la célébration liturgique elle-même, sera d'une grande utilité. Dans les limites du possible, surtout dans les zones les plus peuplées, il conviendra de réserver tout spécialement à l'adoration perpétuelle des églises et des chapelles. En outre, je recommande que dans la formation catéchétique, en particulier dans les parcours de préparation à la Première Communion, les enfants soient initiés au sens et à la beauté du fait de se tenir en compagnie de Jésus, en cultivant l'admiration pour sa présence dans l'Eucharistie.

Je voudrais ici exprimer mon admiration et mon soutien envers tous les Instituts de vie consacrée, dont les membres vouent une partie significative de leur temps à l'adoration eucharistique. De cette façon, ils offrent à tous l'exemple de personnes qui se laissent transformer par la présence réelle du Seigneur. Je désire également encourager les associations de fidèles, de même que les confréries, qui accomplissent cette pratique comme leur tâche particulière, devenant ainsi ferment de contemplation pour toute l'Église et rappel de la place centrale du Christ pour la vie des personnes et des communautés.

(194) Cf. Proposition 6; Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements,Directoire sur la piété populaire et la liturgie. Principes et orientations (17 décembre 2001), nn. 164- 165, Paris (2003), pp. 136-138; Sacrée Congrégation des rites, Instr. Eucharisticum Mysterium (25 mai 1967): AAS 57 (1967); pp. 539-573, La Documentation catholique 64 (1967), col. 1091-1122.

Les formes de dévotion eucharistique

68 Le rapport personnel que chacun des fidèles instaure avec Jésus, présent dans l'Eucharistie, le renvoie toujours à l'ensemble de la communion ecclésiale, en nourrissant en lui la conscience de son appartenance au Corps du Christ. C'est pourquoi, outre le fait d'inviter chaque fidèle à trouver personnellement du temps à passer en prière devant le Sacrement de l'autel, il est de mon devoir de solliciter les paroisses elles- mêmes et les autres groupes ecclésiaux pour que soient promus des moments d'adoration communautaire. Évidemment, les formes déjà existantes de dévotion eucharistique conservent toute leur valeur. Je pense, par exemple, aux processions eucharistiques, surtout à la traditionnelle procession de la solennité du Corpus Domini, à la pieuse pratique des Quarante-Heures, aux congrès eucharistiques locaux, nationaux ou internationaux, et aux autres initiatives analogues. Opportunément rénovées et adaptées aux diverses circonstances, de telles formes de dévotion méritent d'être aujourd'hui encore cultivées.(195)

(195) Cf. Relatio post disceptationem, n. 11: L'Osservatore Romano en langue française, n. 46 (15 novembre 2005), p. 8.

Le lieu du tabernacle dans l'église

69 En relation avec l'importance de la réserve eucharistique et de l'adoration, ainsi que du respect envers le sacrement du Sacrifice du Christ, le Synode des Évêques s'est interrogé sur la juste place du tabernacle à l'intérieur de nos églises. (196) Sa localisation correcte aide en effet à reconnaître la présence réelle du Christ dans le Saint-Sacrement. Il est donc nécessaire que le lieu où sont conservées les espèces eucharistiques soit facilement identifiable par quiconque entre dans une église, grâce aussi à la traditionnelle veilleuse. À cette fin, il faut tenir compte de la disposition architecturale de l'édifice sacré: dans les églises où la chapelle du Saint-Sacrement n'existe pas, et où demeure l'autel majeur avec le tabernacle, il est opportun de continuer à se servir d'une telle structure pour la conservation et l'adoration de l'Eucharistie, en évitant que le siège du célébrant ne soit placé devant. Dans les nouvelles églises, il est bon de disposer la chapelle du Saint-Sacrement à proximité du choeur; là où cela n'est pas possible, il est préférable de situer le tabernacle dans le choeur, en un lieu suffisamment élevé, au centre de la zone absidiale ou en un autre lieu où il soit également bien visible. De tels moyens concourent à conférer sa dignité au tabernacle, qui doit toujours être soigné, même sur le plan artistique. Il est naturellement nécessaire de tenir compte à ce sujet de ce que dit la Présentation générale du Missel romain. (197) Le jugement final en la matière revient donc à l'Évêque.

(196) Cf. Proposition 28.
(197) Cf. n. 314.


TROISIÈME PARTIE

EUCHARISTIE, MYSTÈRE À VIVRE

« De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé,

et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera

vivra par moi » (Jn 6,57)

Forme eucharistique de la vie chrétienne


Le culte spirituel – logiké latreía

(Rm 12,1)
70 Parlant du don de sa vie, le Seigneur Jésus, qui s'est fait pour nous nourriture de vérité et d'amour, nous assure que « si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 6,51). Mais cette « vie éternelle » commence déjà en nous en ce temps, à travers le changement que le don eucharistique engendre en nous: « Celui qui me mangera vivra par moi » (Jn 6,57). Ces paroles de Jésus nous font comprendre que le mystère « auquel on croit » et « qui est célébré » possède en lui-même un dynamisme qui en fait le principe de la vie nouvelle en nous et la forme de l'existence chrétienne. En communiant au Corps et au Sang de Jésus Christ, nous sommes en effet rendus participants de la vie divine de façon toujours plus adulte et plus consciente. Cela vaut aussi de ce que saint Augustin, dans ses Confessions, disait du logos éternel, nourriture de l'âme; mettant en relief le caractère paradoxal de cette nourriture, le saint Docteur imagine s'entendre dire: « Je suis la nourriture des grands. Grandis, et tu me mangeras, tu ne me transformeras pas en toi, telle la nourriture de ta chair; mais c'est en moi que tu te transformeras » (198). De fait, ce n'est pas l'aliment eucharistique qui se transforme en nous, mais c'est nous qui sommes mystérieusement changés par lui. Le Christ nous nourrit en nous unissant à lui; « il nous attire en lui ». (199)

La célébration eucharistique apparaît ici, dans toute sa force, en tant que source et sommet de l'existence chrétienne, étant en même temps le commencement et l'accomplissement du culte nouveau et définitif, la logiké latreía.(200) Les paroles de saint Paul aux Romains à ce sujet sont la formulation la plus synthétique de la façon dont l'Eucharistie transforme toute notre vie en culte spirituel agréable à Dieu: « Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir vos corps en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu: c'est là le culte spirituel que vous avez à rendre » (Rm 12,1). Dans cette exhortation, apparaît l'image du culte nouveau comme offrande totale de la personne en communion avec toute l'Église. L'insistance de l'Apôtre sur l'offrande de nos corps souligne le caractère concret et humain d'un culte qui n'a rien de désincarné. À ce sujet, le saint d'Hippone nous rappelle encore que dans « le sacrifice des chrétiens, tout nombreux que nous sommes, nous ne formons dans le Christ qu'un seul corps, et c'est ce sacrifice-là – connu des fidèles – que chaque jour renouvelle l'Église, se découvrant offerte dans cela même qu'elle offre ». (201) La doctrine catholique affirme de fait que l'Eucharistie, en tant que sacrifice du Christ, est également le sacrifice de l'Église, et donc des fidèles. (202) L'insistance sur le sacrifice – « rendre sacré » – dit ici toute la densité existentielle impliquée dans la transformation de notre réalité humaine saisie par le Christ (cf. Ph 3,12).

(198) VII, 10, 16 : PL 32, 742; OEuvres I, Paris (1998), p. 918.
(199) Benoît XVI, Homélie sur l'esplanade de Marienfeld, (21 août 2005): AAS 97 (2005), p. 891; La Documentation catholique 102 (2005), p. 910; Homélie de la veille de la Pentecôte (3 juin 2006): AAS 98 (2006), p. 505; La Documentation catholique 103 (2006), p. 623.
(200) Cf. Relatio post disceptationem, 6.47: L'Osservatore Romano en langue française, n. 46 (2005), p. 10; Proposition 43.
(201) De civitate Dei, X, 6: PL 41, 284; OEuvres II, Paris (2000), p. 379.

Efficacité intégrale du culte eucharistique

71 Le nouveau culte chrétien englobe tous les aspects de l'existence, en la transfigurant: « Tout ce que vous faites: manger, boire, ou n'importe quoi d'autre, faites-le pour la gloire de Dieu » (1Co 10,31). En tout acte de la vie, le chrétien est appelé à exprimer le vrai culte rendu à Dieu. C'est ici que prend forme la nature intrinsèquement eucharistique de la vie chrétienne. Puisqu'elle implique la réalité humaine du croyant dans le concret du quotidien, l'Eucharistie rend possible, jour après jour, la transfiguration progressive de l'homme, appelé par grâce à être à l'image du Fils de Dieu (cf. Rm 8,29s). Il n'y a rien d'authentiquement humain – pensées et sentiments, paroles et actes – qui ne trouve dans le sacrement de l'Eucharistie la forme appropriée pour être vécu en plénitude. Ici apparaît toute la valeur anthropologique de la nouveauté radicale apportée par le Christ dans l'Eucharistie: le culte rendu à Dieu dans l'existence humaine ne peut pas être cantonné à un moment particulier et privé, mais il tend de par sa nature à envahir chaque aspect de la réalité de la personne. Le culte agréable à Dieu devient ainsi une nouvelle façon de vivre toutes les circonstances de l'existence où toute particularité est exaltée en tant qu'elle est vécue dans la relation avec le Christ et offerte à Dieu. « La gloire de Dieu c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme c'est la vision de Dieu». (203)

(202) Cf. Catéchisme de l'Église catholique, n. CEC 1368.
(203) S. Irénée, Adversus Haereses IV, 20, 7: PG 7, 1037; SCh 100/2 (1965), p. 649.

« Iuxta dominicam viventes » – Vivre selon le dimanche

72 La nouveauté radicale que l'Eucharistie introduit dans la vie de l'homme s'est révélée à la conscience chrétienne dès les origines. Les fidèles ont immédiatement perçu l'influence profonde que la célébration eucharistique exerçait sur leur style de vie. Saint Ignace d'Antioche exprimait cette vérité en qualifiant ainsi les chrétiens: ceux qui « sont venus à la nouvelle espérance »; il les présentait comme ceux qui vivent « selon le dimanche » (iuxta dominicam viventes). (204) Cette formule du grand martyr d'Antioche met clairement en lumière le lien entre la réalité eucharistique et l'existence chrétienne dans son caractère quotidien. L'habitude caractéristique des chrétiens de se réunir le premier jour après le sabbat pour célébrer la résurrection du Christ – selon le récit de saint Justin martyr (205) – est également l'élément qui définit la forme de l'existence renouvelée par la rencontre avec le Christ. La formule de saint Ignace – « Vivre selon le dimanche » – souligne aussi la valeur paradigmatique que possède ce jour saint par rapport à tout autre jour de la semaine. En effet, il ne se distingue pas par la simple suspension des activités habituelles, comme une sorte de parenthèse dans le rythme normal des jours. Les chrétiens ont toujours ressenti ce jour comme le premier de la semaine, parce qu'en lui on fait mémoire de la nouveauté radicale apportée par le Christ. Le dimanche est donc le jour où le chrétien retrouve la forme eucharistique de son existence, selon laquelle il est appelé à vivre constamment. « Vivre selon le dimanche » signifie vivre dans la conscience de la libération apportée par le Christ et accomplir son existence comme l'offrande de soi à Dieu, pour que sa victoire se manifeste pleinement à tous les hommes à travers une conduite intimement renouvelée.

(204) Lettre aux Magnésiens, 9, 1: PG 5, 670; SCh 10, p. 103.
(205) Cf. 1ère Apologie 67, 1-6: PG 6, 430 s. 427.430; Ichtus/Les Pères dans la foi, Paris (1982), pp. 94-95.

Vivre le précepte dominical

73 Conscients de ce nouveau principe de vie que l'Eucharistie apporte au chrétien, les Pères synodaux ont rappelé l'importance pour tous les fidèles du précepte dominical comme source de liberté authentique, pour pouvoir vivre tous les autres jours selon ce qu'ils ont célébré le « Jour du Seigneur ». En effet, la vie de foi est en danger quand on ne ressent plus le désir de participer à la célébration eucharistique où l'on fait mémoire de la victoire pascale. Participer à l'assemblée liturgique dominicale, avec tous nos frères et soeurs qui forment un unique corps dans le Christ Jésus, est requis par la conscience chrétienne et, en même temps, forme la conscience chrétienne. Perdre le sens du dimanche comme Jour du Seigneur à sanctifier est le symptôme d'une perte du sens authentique de la liberté chrétienne, la liberté des fils de Dieu. (206) À ce sujet, les observations concernant les différentes dimensions du dimanche pour les chrétiens faites par mon prédécesseur Jean-Paul II, dans la Lettre apostolique Dies Domini, (207) restent précieuses: le dimanche est Dies Domini, en référence à l'oeuvre de la création; il est Dies Christi en tant que jour de la nouvelle création et du don que le Seigneur Ressuscité fait de l'Esprit Saint; il est Dies Ecclesiae comme jour où la communauté chrétienne se retrouve pour la célébration; il est Dies hominis comme jour de joie, de repos et de charité fraternelle.

Un tel jour se manifeste donc comme la fête primordiale, où tout fidèle peut se faire, dans le milieu où il vit, annonciateur et gardien du sens du temps. De ce jour, en effet, naît le sens chrétien de l'existence et une nouvelle manière de vivre le temps, les relations, le travail, la vie et la mort. Il est donc bon que, le Jour du Seigneur, les réalités ecclésiales organisent, autour de la célébration eucharistique dominicale, des manifestations propres à la communauté chrétienne: rencontres amicales, initiatives pour la formation chrétienne des enfants, des jeunes et des adultes, pèlerinages, oeuvres de charité et différentes rencontres de prière. En raison de ces valeurs si importantes – bien que le samedi soir, à partir des premières Vêpres, appartienne déjà au dimanche et qu'il soit donc permis d'y accomplir le précepte dominical –, il est nécessaire de rappeler que c'est le dimanche en lui-même qui mérite d'être sanctifié, afin qu'il ne finisse pas par devenir un jour « vide de Dieu ». (208)

(206) Cf. Proposition 30.
(207) Cf. AAS 90 (1998), pp. 713-766; La Documentation catholique 95 (1998), pp. 658-681.
(208) Proposition 30.

Le sens du repos et du travail

74 Enfin, il est particulièrement urgent, à notre époque, de rappeler que le Jour du Seigneur est aussi le jour du repos par rapport au travail. Nous souhaitons vivement que cela soit aussi reconnu comme tel par la société civile, de sorte qu'il soit possible d'être libre des activités du travail sans être pour autant pénalisé. En effet, les chrétiens, en relation avec la signification du sabbat dans la tradition juive, ont toujours vu également dans le Jour du Seigneur le jour du repos du labeur quotidien. Cela a un sens précis, constituant une relativisation du travail, qui est ordonné à l'homme: le travail est pour l'homme et non l'homme pour le travail. Il est facile de saisir la protection qui en découle pour l'homme lui- même, qui est ainsi émancipé d'une possible forme d'esclavage. Comme j'ai eu l'occasion de l'affirmer, « le travail est de première importance pour la réalisation de l'homme et pour le développement de la société, et c'est pourquoi il convient qu'il soit toujours organisé et accompli dans le plein respect de la dignité humaine et au service du bien commun. En même temps, il est indispensable que l'homme ne se laisse pas asservir par le travail, qu'il n'en fasse pas une idole, prétendant trouver en lui le sens ultime et définitif de la vie ». (209) C'est dans le jour consacré à Dieu que l'homme comprend le sens de son existence ainsi que de son travail. (210)

(209) Homélie (19 mars 2006): AAS 98 (2006), p. 324; L'Osservatore Romano en langue française, n. 12 (2006), p. 2.
(210) Le Compendium de la doctrine sociale de l'Église remarque avec raison: « Le repos ouvre à l'homme, lié à la nécessité du travail, la perspective d'une liberté plus pleine, celle du Sabbat éternel (cf.
He 4,9-10). Le repos permet aux hommes d'évoquer et de revivre les oeuvres de Dieu, de la Création à la Rédemption, de se reconnaître eux-mêmes comme son oeuvre (cf. Ep 2,10) et de rendre grâce pour leur vie et leur subsistance, à lui qui en est l'Auteur » (n. 258).

Assemblées dominicales en l'absence de prêtre

75 Redécouvrant le sens de la célébration dominicale pour la vie des chrétiens, il est naturel de se poser le problème de ces communautés chrétiennes où manque le prêtre et où il n'est donc pas possible de célébrer la Messe le Jour du Seigneur. Il faut dire, à ce propos, que nous nous trouvons face à des situations très différentes les unes des autres. Le Synode a tout d'abord recommandé aux fidèles de se rendre dans une des églises du diocèse où est garantie la présence du prêtre, même quand cela demande un certain sacrifice. (211) Là où, par contre, les grandes distances rendent pratiquement impossible la participation à l'Eucharistie dominicale, il est important que les communautés chrétiennes se rassemblent également pour louer le Seigneur et pour faire mémoire du jour qui lui est consacré. Cela devra cependant se réaliser dans le cadre d'une instruction appropriée sur la différence entre la Messe et les assemblées dominicales en absence de prêtre. Le soin pastoral de l'Église doit s'exprimer dans ce cas en veillant à ce que la liturgie de la Parole, organisée sous la présidence d'un diacre ou d'un responsable de la communauté à qui ce ministère a été régulièrement confié par l'autorité compétente, se déroule selon un rituel spécifique, élaboré par les Conférences épiscopales et approuvé par elles à cette fin. (212) Je rappelle que concéder la faculté de distribuer la communion dans ces liturgies revient aux Ordinaires, qui évalueront attentivement l'opportunité des choix à effectuer. En outre, on doit faire en sorte que de telles assemblées n'entraînent pas de confusion sur le rôle central du prêtre et sur l'aspect sacramentel dans la vie de l'Église. L'importance du rôle des laïcs, que l'on doit justement remercier de leur générosité au service des communautés chrétiennes, ne peut jamais occulter le ministère irremplaçable des prêtres pour la vie de l'Église. (213) On veillera donc avec attention à ce que les assemblées en absence de prêtre ne donnent pas prise à des visions ecclésiologiques qui ne seraient pas fidèles à la vérité de l'Évangile et à la tradition de l'Église. Elles devraient plutôt être des occasions privilégiées de prière adressée à Dieu pour qu'il envoie de saints prêtres selon son coeur. À ce sujet, ce qu'écrivait le Pape Jean-Paul II dans sa Lettre aux prêtres pour le Jeudi Saint 1979, est particulièrement émouvant, rappelant les lieux où les fidèles, privés de prêtre par un régime dictatorial, se réunissaient dans une église ou dans un sanctuaire, mettaient sur l’autel une étole qu'ils conservaient encore et récitaient les prières de la liturgie eucharistique, faisant silence « au moment qui correspondrait à la transsubstantiation », témoignant qu'ils désiraient « ardemment entendre les paroles que seules les lèvres d'un prêtre peuvent prononcer efficacement ». (214) Dans cette perspective, étant donné le bien incomparable qui découle de la célébration du Sacrifice eucharistique, je demande à tous les prêtres une disponibilité effective et concrète pour visiter le plus souvent possible les communautés qui sont confiées à leur soin pastoral, pour qu'elles ne restent pas trop longtemps sans le Sacrement de la charité.

(211) Cf. Proposition 10.
(212) Cf. ibidem.
(213)Cf. Benoît XVI, Discours aux Évêques de la Conférence épiscopale du Canada – Québec en visite ad limina apostolorum (11 mai 2006): La Documentation catholique 103 (2006), pp. 657-658.
(214) N. 10: AAS 71 (1979), pp. 414-415; La Documentation catholique 71 (1979), p. 359.

Une forme eucharistique de l'existence chrétienne, l'appartenance ecclésiale

76 L'importance du dimanche comme Dies Ecclesiae nous renvoie à la relation intrinsèque entre la victoire de Jésus sur le mal et sur la mort et notre appartenance à son Corps ecclésial. En effet, le Jour du Seigneur, tout chrétien retrouve également la dimension communautaire de son existence rachetée. Participer à l'action liturgique, communier au Corps et au Sang du Christ signifie en même temps rendre toujours plus intime et plus profonde son appartenance à Celui qui est mort pour nous (cf. 1Co 6,19s; 1Co 7,23). En vérité, celui qui mange le Christ vit par Lui. Le sens profond de la communio sanctorum se comprend en relation avec le Mystère eucharistique. La communion a toujours et inséparablement une connotation verticale et horizontale: communion avec Dieu et communion avec nos frères et soeurs. Les deux dimensions se rencontrent mystérieusement dans le don eucharistique. « Là où se détruit la communion avec Dieu, qui est communion avec le Père, avec le Fils et avec le Saint-Esprit, se détruit aussi la racine et la source de la communion entre nous. Et là où n'est pas vécue la communion entre nous, là non plus la communion avec le Dieu trinitaire n'est ni vivante ni vraie ». (215) Appelés à être membres du Christ et donc membres les uns des autres (cf. 1Co 12,27), nous constituons une réalité ontologiquement fondée sur le Baptême et nourrie par l'Eucharistie, réalité qui demande de trouver une réponse visible dans la vie de nos communautés.

La forme eucharistique de l'existence chrétienne est sans aucun doute une forme ecclésiale et communautaire. À travers le diocèse et les paroisses, en tant que structures de base de l'Église sur un territoire particulier, tout fidèle peut faire une expérience concrète de son appartenance au Corps du Christ. Les associations, les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles – avec la vivacité de leurs charismes donnés par le Saint-Esprit pour notre temps –, de même que les Instituts de vie consacrée, ont le devoir d'offrir leur contribution spécifique pour favoriser chez les fidèles la perception du fait qu'ils sont du Seigneur (cf. Rm 14,8). Le phénomène de la sécularisation, qui contient, et ce n'est pas un hasard, des caractères fortement individualistes, produit ses effets délétères surtout chez les personnes qui s'isolent en raison d'un manque de sens de l'appartenance. Depuis ses origines, le christianisme implique toujours une compagnie, un réseau de relations vivifiées continuellement par l'écoute de la Parole, par la célébration eucharistique, et animées par l'Esprit Saint.

(215) Benoît XVI, Audience générale du 29 mars 2006: L'Osservatore Romano (30 mars 2006), p. 4; La Documentation catholique 103 (2006), p. 417.

Spiritualité et culture eucharistique

77 De manière significative, les Pères synodaux ont affirmé que « les fidèles chrétiens ont besoin d'une compréhension plus profonde des relations entre l'Eucharistie et la vie quotidienne. La spiritualité eucharistique n'est pas seulement participation à la Messe et dévotion au Saint-Sacrement. Elle englobe la vie entière ». (216) Cette insistance revêt pour nous tous aujourd'hui un sens particulier. Il faut reconnaître que l'un des effets les plus graves de la sécularisation, qui vient d'être mentionné, consiste dans le fait d'avoir relégué la foi chrétienne aux marges de l'existence, comme si elle était inutile pour ce qui concerne le déroulement concret de la vie des hommes. L'échec de la manière de vivre « comme si Dieu n'existait pas » est maintenant devant les yeux de tous. Aujourd'hui, il est nécessaire de redécouvrir que Jésus Christ n'est pas une simple conviction privée ou une doctrine abstraite, mais une personne réelle, dont l'insertion dans l'histoire est capable de renouveler la vie de tous. C'est pourquoi l'Eucharistie, comme source et sommet de la vie et de la mission de l'Église, doit se traduire en spiritualité, en vie « selon l'Esprit » (Rm 8,4s; cf. Ga 5,16 Ga 5,25). Il est significatif que saint Paul, dans le passage de la Lettre aux Romains où il invite à vivre le nouveau culte spirituel, rappelle en même temps la nécessité du changement dans la manière de vivre et de penser: « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait » (Rm 12,2). De cette façon, l'Apôtre des Nations souligne le lien entre le vrai culte spirituel et la nécessité d'une nouvelle manière de percevoir l'existence et de conduire sa vie. Renouveler sa façon de penser fait partie intégrante de la forme eucharistique de la vie chrétienne, « alors nous ne serons plus comme des enfants, nous laissant secouer et mener à la dérive par tous les courants d'idées » (Ep 4,14).

(216) Proposition 39.

Eucharistie et évangélisation des cultures

78 Il résulte de tout ce qui a été dit que le Mystère eucharistique nous met en dialogue avec les différentes cultures, mais aussi en un sens il les défie. (217) Il faut reconnaître le caractère interculturel de ce nouveau culte, de cette logiké latreía. La présence de Jésus Christ et l'effusion de l'Esprit Saint sont des événements qui peuvent constamment se confronter à toute réalité culturelle, pour y mettre le ferment évangélique. Cela comporte en conséquence l'engagement de promouvoir avec conviction l'évangélisation des cultures, dans la conscience que le Christ lui-même est la vérité de tout homme et de toute l'histoire humaine. L'Eucharistie devient critère de valorisation de tout ce que le christianisme rencontre dans les différentes expressions culturelles. Dans cet important processus, nous pouvons entendre de manière ô combien significative les paroles de saint Paul dans sa Première Lettre aux Thessaloniciens: « Discernez la valeur de toute chose. Ce qui est bien, gardez-le » (1Th 5,21).

(217) Cf. Relatio post disceptationem, n. 30: L'Osservatore Romano en langue française, n. 46 (2005), p. 10.

Eucharistie et fidèles laïcs

79 Dans le Christ, Tête de l'Église qui est son Corps, tous les chrétiens forment « la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu pour annoncer ses merveilles » (1P 2,9). Comme mystère à vivre, l'Eucharistie s'offre à chacun de nous dans la condition où il se trouve, faisant de sa situation existentielle le lieu où il faut vivre quotidiennement la nouveauté chrétienne. Si le Sacrifice eucharistique nourrit et fait grandir en nous ce qui est déjà donné dans le Baptême, par lequel nous sommes tous appelés à la sainteté, (218) alors cela doit apparaître et se manifester précisément dans les situations ou dans les états de vie dans lesquels chaque chrétien se trouve. On devient jour après jour un culte agréable à Dieu en vivant sa vie comme une vocation. Partant de la convocation liturgique, c'est le sacrement de l'Eucharistie lui-même qui nous engage dans la réalité quotidienne pour que tout soit fait à la gloire de Dieu.

Et puisque le monde est « le champ » (Mt 13,38) dans lequel Dieu met ses enfants comme du bon grain, les chrétiens laïcs, en vertu de leur Baptême et de leur Confirmation, et fortifiés par l'Eucharistie, sont appelés à vivre la nouveauté radicale apportée par le Christ précisément au coeur des conditions communes de l'existence. (219) Ils doivent nourrir le désir que l'Eucharistie marque toujours plus profondément leur vie quotidienne, les amenant à être des témoins identifiables dans leur milieu de travail et dans la société tout entière. (220) J'adresse un encouragement particulier aux familles, pour qu'elles puisent inspiration et force dans ce Sacrement. L'amour entre l'homme et la femme, l'accueil de la vie, la tâche éducative, se révèlent être des lieux privilégiés où l'Eucharistie peut manifester sa capacité de transformer et de porter l'existence à sa plénitude de sens. (221) Les Pasteurs ne manqueront jamais de soutenir, d'éduquer et d'encourager les fidèles laïcs à vivre pleinement leur vocation à la sainteté dans le monde, que Dieu a tant aimé jusqu'à donner son Fils pour qu'il en devienne le salut (cf. Jn 3,16).

(218) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, nn. LG 39-42.
(219) Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre 1988), nn. CL 14 CL 16: AAS 81 (1989), pp. 409- 413; 416-418; La Documentation catholique 86 (1989), pp. 158-160.
(220) Cf. Proposition 39.
(221) Cf. ibidem.


Sacramentum carit. FR 65