Sacramentum carit. FR 80

Eucharistie et spiritualité sacerdotale

80 La forme eucharistique de l'existence chrétienne se manifeste sans aucun doute de façon particulière dans l'état de vie sacerdotale. La spiritualité sacerdotale est intrinsèquement eucharistique. Le germe de cette spiritualité se trouve déjà dans les paroles que l'Évêque prononce dans la liturgie de l'Ordination: « Recevez l'offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Ayez conscience de ce que vous ferez, imitez dans votre vie ce que vous accomplirez par ces rites et conformez-vous au mystère de la croix du Seigneur ». (222) Pour donner à son existence une forme eucharistique toujours plus accomplie, le prêtre doit faire une large place, dès la période de sa formation puis dans les années qui suivent, à la vie spirituelle. (223) Il est appelé à être en permanence un authentique chercheur de Dieu, tout en restant proche des préoccupations des hommes. Une vie spirituelle intense lui permettra d'entrer plus profondément en communion avec le Seigneur et l'aidera à se laisser prendre par l'amour de Dieu, en devenant son témoin en toute circonstance, même difficile et sombre. Dans ce but, je recommande aux prêtres, avec les Pères du Synode, « la célébration quotidienne de la Messe, même sans la participation de fidèles ». (224) Cette recommandation correspond avant tout à la valeur objectivement infinie de chaque célébration eucharistique; elle en tire ensuite motif pour une efficacité spirituelle particulière, parce que, si elle est vécue avec attention et avec foi, la Messe est formatrice dans le sens le plus profond du terme, en tant qu'elle promeut la conformation au Christ et qu'elle affermit le prêtre dans sa vocation.

(222) Pontifical romain. L'ordination de l'Évêque, des prêtres, des diacres, Rite de l'ordination du prêtre, n. 135.
(223) Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), nn.
PDV 19-33 PDV 70-81: AAS 84 (1992), pp. 686-712; 778-800; La Documentation catholique 89 (1992), pp. 461-470; 492-500.
(224) Proposition 38.

Eucharistie et vie consacrée

81 Dans le cadre des relations entre l'Eucharistie et les différentes vocations ecclésiales resplendit en particulier « le témoignage prophétique des personnes consacrées, qui trouvent dans la célébration eucharistique et dans l'adoration la force pour suivre radicalement le Christ obéissant, pauvre et chaste ». (225) Les personnes consacrées, tout en rendant beaucoup de services dans le domaine de la formation humaine et du soin des pauvres, dans l'enseignement ou dans l'assistance aux malades, savent que le but principal de leur vie est « la contemplation de la vérité divine et l'union constante avec Dieu ». (226) La contribution essentielle que l'Église attend de la vie consacrée est beaucoup plus de l'ordre de l'être que de l'ordre du faire. À ce propos, je voudrais rappeler l'importance du témoignage de la virginité spécialement en relation avec le mystère de l'Eucharistie. En plus du lien avec le célibat sacerdotal, le Mystère eucharistique a aussi un rapport intrinsèque avec la virginité consacrée, en tant qu'elle est expression du don exclusif de l'Église au Christ, qu'elle accueille comme son Époux avec une fidélité radicale et féconde. (227) Dans l'Eucharistie, la virginité consacrée trouve inspiration et nourriture pour sa donation totale au Christ. Elle tire aussi de l'Eucharistie réconfort et impulsion pour être, en notre temps également, signe de l'amour gratuit et fécond que Dieu a pour l'humanité. Enfin, à travers son témoignage spécifique, la vie consacrée devient objectivement rappel et anticipation des « noces de l'Agneau » (Ap 19,7-9), qui sont le but de toute l'histoire du salut. En ce sens, elle renvoie de manière efficace à l'horizon eschatologique dont tout homme a besoin pour pouvoir orienter les choix et les décisions de sa vie.

(225) Proposition 39. Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Vita consecrata (25 mars 1996), n. VC 95: AAS 88 (1996), pp. 470-471; La Documentation catholique 93 (1996), p. 390.
(226) Code de Droit canonique, can. CIC 663, § 1.
(227) Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Vita consecrata (25 mars 1996), n. VC 34: AAS88 (1996), pp. 407-408; La Documentation catholique 93 (1996), p. 364.

Eucharistie et transformation morale

82 Découvrant la beauté de la forme eucharistique de l'existence chrétienne, nous sommes amenés également à réfléchir sur les énergies morales qui sont mises en oeuvre par cette forme comme soutien de l'authentique liberté des enfants de Dieu. Je souhaite reprendre ici une thématique apparue au cours du Synode concernant le lien entre forme eucharistique de l'existence et transformation morale. Le Pape Jean-Paul II avait affirmé que la vie morale « a une valeur de “culte spirituel” (Rm 12,1 cf. Ph 3,3), puisé et nourri à la source inépuisable de sainteté et de glorification de Dieu que sont les sacrements, en particulier l'Eucharistie: en effet, participant au Sacrifice de la croix, le chrétien communie à l'amour d'offrande du Christ, et il est habilité et engagé à vivre cette même charité dans tous les actes et tous les comportements de sa vie ». (228) En définitive, « dans le “culte” lui-même, dans la communion eucharistique, sont contenus le fait d'être aimé et celui d'aimer les autres à son tour. Une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l'amour est en elle-même tronquée ». (229)

Ce rappel de la valeur morale du culte spirituel ne doit pas être interprété de façon moralisante. Il s'agit avant tout de la découverte joyeuse du dynamisme de l'amour dans un coeur qui accueille le don du Seigneur, qui s'abandonne à lui et qui trouve la vraie liberté. La transformation morale, impliquée dans le nouveau culte institué par le Christ, est une tension et un désir profond de vouloir correspondre à l'amour du Seigneur de tout son être, tout en étant conscient de sa fragilité. Ce dont nous parlons se reflète bien dans le récit évangélique concernant Zachée (cf. Lc 19,1-10). Après avoir accueilli Jésus dans sa maison, le publicain se retrouve complètement transformé: il décide de donner la moitié de ses biens aux pauvres et de rendre le quadruple à ceux qu'il avait volés. La tension morale qui naît de l'accueil de Jésus dans notre vie découle de la gratitude provenant de l'expérience de la proximité du Seigneur, sans aucun mérite de notre part.

(228) Encycl. Veritatis splendor (6 août 1993), n. VS 107: AAS 85 (1993), pp. 1216-1217; La Documentation catholique 90 (1993), p. 937.
(229) Benoît XVI, Encycl. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. : AAS 98 (2006), p. 229;La Documentation catholique 103 (2006), p. 173.

Cohérence eucharistique

83 Il est important de relever ce que les Pères synodaux ont appelé cohérence eucharistique, à laquelle notre existence est objectivement appelée. En effet, le culte agréable à Dieu n'est jamais un acte purement privé, sans conséquence sur nos relations sociales: il requiert un témoignage public de notre foi. Évidemment, cela vaut pour tous les baptisés, mais s'impose avec une exigence particulière pour ceux qui, par la position sociale ou politique qu'ils occupent, doivent prendre des décisions concernant les valeurs fondamentales, comme le respect et la défense de la vie humaine, de sa conception à sa fin naturelle, comme la famille fondée sur le mariage entre homme et femme, la liberté d'éducation des enfants et la promotion du bien commun sous toutes ses formes. (230) Ces valeurs ne sont pas négociables. Par conséquent, les hommes politiques et les législateurs catholiques, conscients de leur grave responsabilité sociale, doivent se sentir particulièrement interpellés par leur conscience, justement formée, pour présenter et soutenir des lois inspirées par les valeurs fondées sur la nature humaine. (231) Cela a, entre autres, un lien objectif avec l'Eucharistie (cf. 1Co 11,27-29). Les Évêques sont tenus de rappeler constamment ces valeurs; cela fait partie de leur responsabilité à l'égard du troupeau qui leur est confié. (232)

(230) Cf. Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitae (25 mars 1995): AAS 87 (1995), pp. 401-522;La Documentation catholique 92 (1995), pp. 351-404; Benoît XVI, Discours au Congrès international sur l'embryon humain (27 février 2006): AAS 98 (2006), pp. 263-266; La Documentation catholique 103 (2006), pp. 413-415.
(231) Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique (24 novembre 2002): AAS 96 (2004), pp. 359-370; La Documentation catholique 100 (2003), pp. 130-136.
(232) Cf. Proposition 46.


Eucharistie, mystère à annoncer

Eucharistie et mission

84 Dans l'homélie de la célébration eucharistique par laquelle j'ai commencé solennellement mon ministère sur la Chaire de Pierre, j'ai dit: « Il n'y a rien de plus beau que d'être rejoints, surpris par l'Évangile, par le Christ. Il n'y a rien de plus beau que de le connaître et de communiquer aux autres l'amitié avec lui ». (233) Cette affirmation acquiert une plus forte intensité si nous pensons au mystère eucharistique. En effet, nous ne pouvons garder pour nous l'amour que nous célébrons dans ce Sacrement. Il demande de par sa nature d'être communiqué à tous. Ce dont le monde a besoin, c'est de l'amour de Dieu, c'est de rencontrer le Christ et de croire en lui. C'est pourquoi l'Eucharistie n'est pas seulement source et sommet de la vie de l'Église; elle est aussi source et sommet de sa mission: « Une Église authentiquement eucharistique est une Église missionnaire ». (234) Nous aussi, nous devons pouvoir dire à nos frères avec conviction: « Ce que nous avons contemplé, ce que nous avons entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous » (1Jn 1,3). En réalité, il n'y a rien de plus beau que de rencontrer le Christ et de le communiquer à tous. L'institution même de l'Eucharistie, du reste, anticipe ce qui constitue le coeur de la mission de Jésus: Il est l'Envoyé du Père pour la rédemption du monde (cf. Jn 3,16-17 Rm 8,32). Au cours de la dernière Cène, Jésus confie à ses disciples le Sacrement qui actualise le sacrifice qu'il a fait de lui-même par obéissance au Père pour notre salut à tous. Nous ne pouvons nous approcher de la Table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le Coeur même de Dieu, veut rejoindre tous les hommes. La tension missionnaire est donc constitutive de la forme eucharistique de l'existence chrétienne.

(233) AAS 97 (2005), p. 711; La Documentation catholique 102 (2005), p. 548.
(234) Proposition 42.

Eucharistie et témoignage

85 La mission première et fondamentale qui nous vient des saints Mystères que nous célébrons est de rendre témoignage par notre vie. L'émerveillement pour le don que Dieu nous a fait dans le Christ imprime à notre existence un dynamisme nouveau qui nous engage à être témoins de son amour. Nous devenons témoins lorsque, par nos actions, nos paroles et nos comportements, un Autre transparaît et se communique. On peut dire que le témoignage est le moyen par lequel la vérité de l'amour de Dieu rejoint l'homme dans l'histoire, l'invitant à accueillir librement cette nouveauté radicale. Dans le témoignage, Dieu s'expose, pour ainsi dire, au risque de la liberté de l'homme. Jésus lui-même est le témoin fidèle et véridique (cf. Ap Ap 1,5 Ap 3,14); il est venu pour rendre témoignage à la vérité (cf. Jn 18,37). Dans cet ordre d'idées, il me tient à coeur de reprendre un concept cher aux premiers chrétiens, mais qui nous touche aussi, nous chrétiens d'aujourd'hui: le témoignage jusqu'au don de soi-même, jusqu'au martyre, a toujours été considéré dans l'histoire de l'Église comme le sommet du nouveau culte spirituel: « Offrez vos corps » (Rm 12,1). Que l'on pense, par exemple, au récit du martyre de saint Polycarpe de Smyrne, disciple de saint Jean: tout le déroulement dramatique est décrit comme une liturgie, et même comme le fait que le martyr lui-même veuille devenir Eucharistie. (235) Pensons aussi à la conscience eucharistique qu'exprime saint Ignace d'Antioche en vue de son martyre: il se considère comme « le froment de Dieu » et il désire devenir dans le martyre le « pur pain du Christ ». (236) Le chrétien qui offre sa vie dans le martyre entre dans la pleine communion avec la Pâque de Jésus Christ et devient ainsi lui-même Eucharistie avec Lui. Aujourd'hui encore, les martyrs, en qui se manifeste de manière suprême l'amour de Dieu, ne font pas défaut pas à l'Église. Même quand l'épreuve du martyre ne nous est pas demandée, nous savons bien que le culte agréable à Dieu requiert en profondeur cette disponibilité (237) et qu'il trouve sa réalisation dans le témoignage joyeux et convaincu, devant le monde, d'une vie chrétienne cohérente dans les milieux où le Seigneur nous appelle à l'annoncer.

(235) Cf. Le martyre de saint Polycarpe, XV, 1: PG 5, 1039.1042; SCh 10 (1951), pp. 263.265.
(236) S. Ignace d'Antioche, Lettre aux Romains, IV, 1: PG 5, 690; SCh 10 (1951), p. 131.
(237) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Constit. dogm. Lumen gentium, n. LG 42.

Jésus Christ, unique Sauveur

86 Souligner le rapport intrinsèque entre Eucharistie et mission nous fait aussi redécouvrir le contenu ultime de notre annonce. Plus l'amour pour l'Eucharistie sera vivant dans le coeur du peuple chrétien, plus le devoir de la mission sera clair pour lui: porter le Christ. Ce n'est ni une idée ni un commandement moral inspiré par Lui, mais c'est le don de sa propre Personne. Celui qui ne communique pas la vérité de l'Amour à son frère n'a pas encore donné assez. En tant que sacrement de notre salut, l'Eucharistie nous renvoie ainsi inévitablement au caractère unique du Christ et du salut qu'il a accompli au prix de son sang. Par conséquent, du Mystère eucharistique, auquel on croit et que l'on célèbre, naît l'exigence d'éduquer constamment tout le monde au travail missionnaire dont le centre est l'annonce de Jésus, unique Sauveur. (238) Cela évitera de réduire à un aspect purement sociologique l'oeuvre déterminante de promotion humaine, qui est toujours impliquée dans tout processus authentique d'évangélisation.

(238) Cf. Proposition 42; cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus Iesus sur l'unicité et l'universalité salvifique de Jésus Christ et de l'Église (6 août 2000), nn. 13-15: AAS 92 (2000), pp. 754-756; La Documentation catholique 97 (2000), pp. 817-818.

Liberté de culte

87 Dans cet esprit, je souhaite faire écho à ce qu'ont affirmé les Pères durant l'assemblée synodale concernant les graves difficultés qui pèsent sur la mission des communautés chrétiennes vivant en situation de minorité ou même privées de liberté religieuse. (239) Nous devons vraiment rendre grâce au Seigneur pour tous les Évêques, les prêtres, les personnes consacrées et les laïcs, qui s'emploient à annoncer l'Évangile et qui vivent leur foi en mettant leur propre vie en danger. Les régions du monde dans lesquelles célébrer ou se rendre à l'Église constitue un témoignage héroïque, qui expose la vie de celui qui le fait à l'exclusion et à la violence, ne manquent pas. À ce propos, je veux aussi réaffirmer la solidarité de toute l'Église avec ceux qui souffrent de l'absence de liberté de culte. Là où manque la liberté religieuse, nous le savons, manque en définitive la liberté la plus significative, puisque dans la foi l'homme exprime son intime décision quant au sens ultime de son existence. Prions donc pour que s'élargissent les espaces de la liberté religieuse dans tous les États, afin que les chrétiens, de même que les membres des autres religions, puissent vivre librement leurs convictions, individuellement et en communauté.

(239) Cf. Proposition 42.


Eucharistie, mystère à offrir au monde

Eucharistie, pain rompu pour la vie du monde

88 « Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6,51). Par ces paroles, le Seigneur révèle la véritable signification du don de sa propre vie pour tous les hommes, nous montrant aussi la profonde compassion qu'Il a pour toute personne. En effet, à de nombreuses reprises, les Évangiles nous rapportent les sentiments de Jésus à l'égard des hommes, tout particulièrement des personnes qui souffrent et des pécheurs (cf. Mt 20,34 Mc 6,34 Lc 19,41). À travers un sentiment profondément humain, il exprime l'intention salvifique de Dieu pour tout homme, afin qu'il atteigne la vraie vie. Toute célébration eucharistique actualise sacramentellement le don que Jésus a fait de sa vie sur la croix pour nous et pour le monde entier. En même temps, dans l'Eucharistie, Jésus fait de nous des témoins de la compassion de Dieu pour chacun de nos frères et soeurs. Autour du mystère eucharistique naît ainsi le service de la charité vis-à-vis du prochain, qui « consiste précisément dans le fait que j'aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n'apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu'à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu'à toucher le sentiment. J'apprends alors à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus Christ ». (240) De cette façon, dans les personnes que j'approche, je reconnais des frères et des soeurs pour lesquels le Seigneur a donné sa vie en les aimant « jusqu'au bout » (Jn 13,1). Par conséquent, nos communautés, quand elles célèbrent l'Eucharistie, doivent prendre toujours plus conscience que le sacrifice du Christ est pour tous, et que l'Eucharistie presse alors toute personne qui croit en Lui à se faire « pain rompu » pour les autres et donc à s'engager pour un monde plus juste et plus fraternel. En pensant à la multiplication des pains et des poissons, nous devons reconnaître que le Christ, encore aujourd'hui, continue à exhorter ses disciples à s'engager personnellement: « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14,16). La vocation de chacun de nous consiste véritablement à être, avec Jésus, pain rompu pour la vie du monde.

(240) Benoît XVI, Encycl. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. : AAS 98 (2006), p. 232;La Documentation catholique 103 (2006), pp. 174-175.

Les implications sociales du Mystère eucharistique

89 L'union au Christ qui se réalise dans le Sacrement nous ouvre aussi à une nouveauté dans les rapports sociaux: « la “mystique” du Sacrement a un caractère social ». En effet, « l'union au Christ est en même temps union avec tous ceux auxquels il se donne. Je ne peux avoir le Christ pour moi seul; je ne peux lui appartenir qu'en union avec tous ceux qui sont devenus ou qui deviendront siens ». (241) À ce propos, il est nécessaire d'expliciter la relation entre Mystère eucharistique et engagement social. L'Eucharistie est sacrement de communion entre frères et soeurs qui acceptent de se réconcilier dans le Christ, lui qui a fait des Juifs et des païens un seul peuple, abattant le mur d'inimitié qui les séparait (cf. Ep 2,14). C'est seulement cette constante tension en vue de la réconciliation qui permet de communier dignement au Corps et au Sang du Christ (cf. Mt 5,23-24). (242) Par le mémorial de son sacrifice, il renforce la communion entre les frères et, en particulier, il pousse ceux qui sont en conflit à hâter leur réconciliation en s'ouvrant au dialogue et à l'engagement pour la justice. Il est hors de doute que la restauration de la justice, la réconciliation et le pardon sont des conditions pour bâtir une paix véritable. (243) De cette conscience naît la volonté de transformer aussi les structures injustes pour restaurer le respect de la dignité de l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. C'est au moyen du développement concret de cette responsabilité que l'Eucharistie devient dans la vie ce qu'elle signifie dans la célébration. Comme j'ai eu l'occasion de l'affirmer, ce n'est pas le rôle propre de l'Église de prendre en charge le combat politique pour réaliser la société la plus juste possible; toutefois, elle ne peut et ne doit pas non plus rester à l'écart de la lutte pour la justice. L'Église « doit s'insérer en elle par la voie de l'argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert toujours aussi des renoncements, ne peut s'affirmer ni se développer ». (244)

Dans la perspective de la responsabilité sociale de tous les chrétiens, les Pères synodaux ont rappelé que le sacrifice du Christ est mystère de libération qui nous interpelle et qui nous provoque continuellement. J'adresse donc un appel à tous les fidèles pour qu'ils soient réellement des artisans de paix et de justice: « Celui qui participe à l'Eucharistie doit en effet s'engager à construire la paix dans notre monde marqué par beaucoup de violences et de guerres, et aujourd'hui de façon particulière, par le terrorisme, la corruption économique et l'exploitation sexuelle ». (245) Ce sont tous des problèmes qui, à leur tour, produisent d'autres phénomènes avilissants qui suscitent une vive préoccupation. Nous savons que ces situations ne peuvent être affrontées de façon superficielle. C'est précisément en vertu du Mystère que nous célébrons qu'il nous faut dénoncer les situations qui sont en opposition avec la dignité de l'homme, pour lequel le Christ a versé son sang, affirmant ainsi la haute valeur de toute personne.

(241) Ibidem, n. .
(242) Au cours de l'assemblée synodale nous avons écouté avec émotion des témoignages très significatifs concernant l'efficacité du sacrement dans l'oeuvre de réconciliation. À ce sujet dans la Proposition 49 on affirme: « Grâce aux célébrations eucharistiques, des peuples en conflit ont pu se réunir autour de la Parole de Dieu, écouter son annonce prophétique de la réconciliation par le pardon gratuit, recevoir la grâce de la conversion qui permet la communion au même pain et au même calice ».
(243) Cf. Proposition 48.
(244) Benoît XVI, Encycl. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. : AAS 98 (2006), p. 239; La Documentation catholique 103 (2006), p. 179.
(245) Cf. Proposition 48.

La nourriture de la vérité et l'indigence de l'homme

90 Nous ne pouvons rester sans rien faire devant certains processus de mondialisation qui font souvent grandir démesurément, au niveau mondial, l'écart entre riches et pauvres. Nous devons dénoncer ceux qui dilapident les richesses de la terre, provoquant des inégalités qui crient vers le ciel (cf. Jc 5,4). Par exemple, il est impossible de se taire face « aux images bouleversantes des grands camps de personnes déplacées ou de réfugiés – en diverses parties du monde –, rassemblés dans des conditions de fortune, pour échapper à des conditions pires encore, alors qu'ils ont besoin de tout. Ces êtres humains ne sont-ils pas nos frères et nos soeurs? Leurs enfants ne sont-ils pas venus au monde avec les mêmes attentes légitimes de bonheur que les autres? ». (246) Le Seigneur Jésus, Pain de vie éternelle, nous pousse à être attentifs aux situations de misère dans lesquelles se trouve encore une grande partie de l'humanité: ce sont des situations dont la cause implique souvent une responsabilité claire et inquiétante des hommes. En effet, « sur la base des données statistiques disponibles, on peut affirmer que moins de la moitié des immenses sommes globalement destinées aux armements serait plus que suffisante pour que l'immense armée des pauvres soit tirée de l'indigence, et cela de manière stable. La conscience humaine en est interpellée. Pour les populations qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, plus en raison de situations qui dépendent des relations internationales politiques, commerciales et culturelles qu'en raison de circonstances incontrôlées, notre engagement commun dans la vérité peut et doit donner de nouvelles espérances ». (247)

La nourriture de la vérité nous pousse à dénoncer les situations indignes de l'homme, dans lesquelles on meurt par manque de nourriture en raison de l'injustice et de l'exploitation, et elle nous donne des forces et un courage renouvelés pour travailler sans répit à l'édification de la civilisation de l'amour. Depuis les origines, les chrétiens se sont préoccupés de partager leurs biens (cf. Ac 4,32) et d'aider les pauvres (cf. Rm 15,26). La quête qui est recueillie dans les assemblées liturgiques en est un souvenir vivant, mais elle est aussi une nécessité très actuelle. Les institutions ecclésiales de bienfaisance, en particulier la Caritas à divers niveaux, réalisent le précieux service d'aider les personnes dans le besoin, surtout les plus pauvres. Tirant leur inspiration de l'Eucharistie, qui est le sacrement de la charité, elles en deviennent l'expression concrète; elles méritent donc approbation et encouragement pour leur engagement de solidarité dans le monde.

(246) Cf. Benoît XVI, Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège (9 janvier 2006): AAS 98 (2006), p. 127; La Documentation catholique 103 (2006), p. 106.
(247) Ibidem.

La doctrine sociale de l'Église

91 Le mystère de l'Eucharistie nous rend aptes et nous pousse à un engagement courageux dans les structures de notre monde, pour y apporter la nouveauté de relations qui a sa source inépuisable dans le don de Dieu. La prière que nous reprenons à chaque Messe: « Donne-nous notre pain de ce jour », nous oblige à faire tout notre possible, en collaboration avec les institutions internationales, publiques et privées, pour que cesse ou au moins pour que diminue dans le monde le scandale de la faim et de la sous-alimentation dont souffrent des millions de personnes, surtout dans les pays en voie de développement. Le chrétien laïc en particulier, formé à l'école de l'Eucharistie, est appelé à assumer directement sa responsabilité politique et sociale. Pour qu'il puisse accomplir ses tâches d'une manière appropriée, il convient de le préparer par une éducation concrète à la charité et à la justice. C'est pourquoi, comme le Synode l'a demandé, il est nécessaire que, dans les diocèses et dans les communautés chrétiennes, on fasse connaître et on promeuve la doctrine sociale de l'Église. (248) Dans ce patrimoine précieux, provenant de la plus antique tradition ecclésiale, nous trouvons les éléments qui orientent, de manière très sage, le comportement des chrétiens face aux questions sociales brûlantes. Cette doctrine, mûrie tout au long de l'histoire bimillénaire de l'Église, se caractérise par son réalisme et son équilibre, aidant ainsi à éviter les compromis erronés ou les vagues utopies.

(248) Cf. Proposition 48. Dans cette perspective, le Compendium de la doctrine sociale de l'Église se révèle particulièrement utile.

Sanctification du monde et sauvegarde de la création

92 Enfin, pour développer une spiritualité eucharistique profonde, capable aussi de peser significativement sur le tissu social, il est nécessaire que le peuple chrétien, qui rend grâce par l'Eucharistie, ait conscience de le faire au nom de la création tout entière, aspirant ainsi à la sanctification du monde et travaillant intensément à cette fin. (249) L'Eucharistie elle-même éclaire d'une lumière puissante l'histoire humaine et tout le cosmos. Dans cette perspective sacramentelle, nous apprenons, jour après jour, que tout événement ecclésial possède le caractère de signe, par lequel Dieu se communique lui-même et nous interpelle. Ainsi, la forme eucharistique de l'existence peut vraiment favoriser un authentique changement de mentalité dans la façon dont nous lisons l'histoire et le monde. La liturgie elle-même nous éduque à tout cela quand, durant la présentation des dons, le prêtre adresse à Dieu une prière de bénédiction et de demande en relation avec le pain et le vin, « fruit de la terre », « de la vigne » et du « travail des hommes ». Par ces paroles, en plus d'impliquer dans l'offrande à Dieu toute l'activité et l'effort humains, le rite nous pousse à considérer la terre comme création de Dieu, qui produit pour nous ce dont nous avons besoin pour notre subsistance. La terre n'est pas une réalité neutre, une simple matière à utiliser indifféremment selon l'instinct humain. Elle se place au coeur même du bon dessein de Dieu, par lequel nous sommes tous appelés à être fils et filles dans l'unique Fils de Dieu, Jésus Christ (cf. Ep 1,4-12). Les légitimes préoccupations concernant les conditions écologiques de la création en de nombreuses parties du monde trouvent des points d'appui dans la perspective de l'espérance chrétienne, qui nous engage à oeuvrer de manière responsable pour la sauvegarde de la création. (250) Dans la relation entre l'Eucharistie et le cosmos, en effet, nous découvrons l'unité du dessein de Dieu et nous sommes portés à saisir la profonde relation entre la création et la « nouvelle création », inaugurée dans la résurrection du Christ, nouvel Adam. Nous y participons déjà maintenant en vertu du Baptême (cf. Col 2,12s); ainsi, pour notre vie chrétienne nourrie de l'Eucharistie, s'ouvre la perspective du monde nouveau, du ciel nouveau et de la terre nouvelle, où la Jérusalem nouvelle descend du ciel, de chez Dieu, « toute prête, comme une fiancée parée pour son époux » (Ap 21,2).

(249) Cf. Proposition 43.
(250) Cf. Proposition 47.

Utilité d'un Compendium eucharistique

93 Au terme de ces réflexions, dans lesquelles j'ai voulu m'arrêter sur les orientations apparues durant le Synode, je désire accueillir aussi la demande que les Pères ont faite pour aider le peuple chrétien à croire, à célébrer et à vivre toujours mieux le Mystère eucharistique. Un Compendiumsera publié par les soins des Dicastères compétents; il comprendra des textes du Catéchisme de l'Église catholique, des prières, des explications des Prières eucharistiques du Missel et tout ce qui pourra se révéler utile pour la compréhension correcte, pour la célébration et pour l'adoration du Sacrement de l'autel. (251) Je souhaite que cet instrument puisse contribuer à faire en sorte que le mémorial de la Pâque du Seigneur devienne chaque jour davantage source et sommet de la vie et de la mission de l'Église. Cela stimulera tous les fidèles à faire de leur vie un véritable culte spirituel.

(251) Cf. Proposition 17.

CONCLUSION

94 Chers frères et soeurs, l'Eucharistie est à l'origine de toute forme de sainteté et chacun de nous est appelé à une plénitude de vie dans l'Esprit Saint. Combien de saints ont rendu leur vie authentique grâce à leur piété eucharistique! De saint Ignace d'Antioche à saint Augustin, de saint Antoine, Abbé, à saint Benoît, de saint François d'Assise à saint Thomas d'Aquin, de sainte Claire d'Assise à sainte Catherine de Sienne, de saint Pascal Baylon à saint Pierre-Julien Eymard, de saint Alphonse-Marie de Liguori au bienheureux Charles de Foucauld, de saint Jean-Marie Vianney à sainte Thérèse de Lisieux, de saint Pio de Pietrelcina à la bienheureuse Teresa de Calcutta, du bienheureux Piergiorgio Frassati au bienheureux Ivan Merz, pour n'en citer que quelques-uns parmi les très nombreux noms, la sainteté a toujours trouvé son centre dans le sacrement de l'Eucharistie.

Il est donc nécessaire que, dans l'Église, ce très saint Mystère soit vraiment objet de foi, célébré avec dévotion et vécu intensément. Le don que Jésus fait de lui-même dans le Sacrement mémorial de sa passion nous atteste que la réussite de notre vie réside dans la participation à la vie trinitaire, qui en Lui nous est offerte de façon définitive et efficace. La célébration et l'adoration de l'Eucharistie nous permettent de nous approcher de l'amour de Dieu et d'y adhérer personnellement jusqu'à l'union avec le Seigneur bien- aimé. L'offrande de notre vie, la communion avec toute la communauté des croyants et la solidarité avec tout homme sont des aspects inséparables de la « logiké latreía », du culte spirituel, saint et agréable à Dieu (cf.
Rm 12,1), dans lequel toute notre réalité humaine concrète est transformée pour la gloire de Dieu. J'invite donc tous les pasteurs à porter la plus grande attention à la promotion d'une spiritualité chrétienne authentiquement eucharistique. Les prêtres, les diacres et tous ceux qui exercent un ministère eucharistique pourront toujours tirer de ces services-là, accomplis avec soin et avec une préparation constante, force et stimulant pour leur chemin de sanctification personnel et communautaire. J'exhorte tous les laïcs, les familles en particulier, à trouver continuellement dans le Sacrement de l'amour du Christ l'énergie pour transformer leur vie en un signe authentique de la présence du Seigneur ressuscité. Je demande à toutes les personnes consacrées de montrer par leur vie eucharistique la splendeur et la beauté de leur appartenance totale au Seigneur.


Sacramentum carit. FR 80