F. de Sales, Lettres 1223

LETTRE CCCXVIII, A SON BEAU-FRÈRE MELCHIOR DE CORNILLON.

1223
La vieillesse et la caducité, une longue maladie, la nécessité de mourir, et la bonne vie des personnes que l'on regrette, sont autant de motifs de consolation après leur mort.


Annecy, 13 juillet 1616.

Monsieur mon cher frère, la longueur du temps que M. votre père a vécu, et les dernières langueurs qui vous ont, il y a quelque temps, annoncé son trépas et menacé de son absence future, vous auront donné sujet de vous résoudre en la perte du bonheur que vous aviez de le sentir encore en ce monde ; car, en somme, puisque nul n'est exempt de la mort, la plus favorable condition que nous puissions avoir d'elle, c'est quand elle nous laisse longuement jouir de ceux à qui nous appartenons.

Il faut donc louer Dieu, et le bénir de la faveur qu'il vous a faite de vous avoir longuement maintenu ce père, et acquiescer à sa volonté, par laquelle il vous l'a ôté maintenant. Pour moi, je ne veux point ici user des termes ordinaires avec vous : le lien qui me tient attaché à votre amitié et service vous servira de gage et d'assurance que je rendrai bien mon devoir à prier pour le défunt et honorer sa mémoire ; et, quant au reste, je suis, monsieur mon frère, votre, etc.



LETTRE CCCXIX, A LA SOEUR JEANNE-MARIE DE LA CROIX, SA NIÈCE, ALORS AGEE DE SEIZE ANS.

1229
(Tirée du second monast. de la Visitation d'Annecy. )

Il l'engage à se comporter si bien qu'elle soit le modèle de ses compagnes, surtout de celles de son âge.

Après le 8 août 1616.

VIVE JESUS!

Vous êtes employée bien jeune à de grandes oeuvres ; cela doit vous faire humilier profondément, et vous faire résoudre à fidèlement obéir aux règles et à votre supérieure : car c'est pour votre service qu'on vous a choisie, afin que, comme d'autres serviront de bons exemples aux filles plus avancées en âge qui se rangeront à la congrégation, vous serviez aussi de patron aux plus jeunes, ce qui est extrêmement important; car Dieu aime très-particulièrement les prémices des années, et désire qu'elles lui soient consacrées (cf.
Si 6,18 Ap 19,4). Allez donc bien sagement, ma chère fille; faites que votre humilité, obéissance, douceur et modestie, servent de miroir aux jeunes, et de consolation aux autres. Dieu soit à jamais avec vous, et vous veuille bénir de sa dextre ! Amen. Vive Jésus !



LETTRE CCCXX, A UN AMI, LE DUC ROGER DE BELLEGARDE.

1234
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Meaux.)

Témoignages d'amitié, et envoi du Traité de l'Amour de Dieu.

Annecy, 15 août 1616.

1. Il ne faut jamais, certes, monsieur, puisque j'ai l'honneur que vous soyez mon très-cher fils, il ne faut point faire d'excuse quand vous ne m'écrivez pas ; car je ne puis non plus douter de votre amour filial envers moi, que je ne puis vivre sans sentir continuellement dedans mon coeur les élans de l'amour paternel envers vous. Les défiances n'ont point de lieu où l'amour est parfait ; mais il est vrai toutefois, monsieur mon fils, que vos lettres m'apportent toujours une délectation extrême, y voyant, ou du moins entrevoyant les traits de votre bonté naturelle et de la sainte charité de votre âme, qui produit et nourrit la douceur de votre dilection filiale que vous répandez sur moi, et qui me remplit de suavité.

Faites donc, monsieur mon fils, faites souvent, je vous supplie, cette grâce à mon esprit, mais seulement pourtant quand vous pouvez bonnement sans vous incommoder ; car, quoique vos lettres me soient plus délicieuses que je ne puis dire, si elles vous coûtaient de l'incommodité, elles me seraient douloureuses, aimant plus votre plaisir que le mien, selon la coutume des pères :

2. et moi, cependant, monsieur mon très-cher fils, afin de suppléer en quelque sorte les défauts que le manquement de commodités me pourrait faire faire de vous écrire souvent, je vous envoie le livre de l'Amour de Dieu, que je n'ai guère exposé aux yeux du monde, et vous supplie que si quelquefois l'affection que vous avez pour moi vous donnait quelque désir d'avoir de mes lettres, vous preniez ce traité et en lisiez un chapitre, vous imaginant que s'il n'y a point de Théotime au monde auquel s'adresse mes paroles, vous êtes celui entre tous les hommes qui êtes mon plus cher Théotime. Le libraire a laissé couler plusieurs fautes en cette oeuvre, et moi aussi plusieurs imperfections (cf.
1221 ,2); mais s'il se trouve des besognes parfaites en ce monde, elles ne doivent pas être cherchées en ma boutique : si vous lisez celle-ci de suite, elle vous sera plus agréable à la fin.

3. Nous avons ici, depuis trois jours, monseigneur le prince de Piémont, qui me fit l'honneur de venir descendre chez moi tout à l'impourvu, étant venu par les postes, lui septième : depuis il a été logé au château. C'est le plus doux, gracieux et dévot prince qu'on puisse voir ; un coeur plein de courage et de justice ; une cervelle pleine de jugement et d'esprit ; une âme qui ne respire que le bien et la vertu, l'amour de son peuple, et surtout la crainte de Dieu. Vous saurez, je m'assure, avant la réception de la présente, les causes de sa venue. Reste, monsieur mon très-cher fils trôs-honoré, que je vous souhaite toutes les bénédictions célestes ; et c'est la respiration ordinaire de mon coeur, puisque j'ai la faveur et le bonheur d'être avoué votre père, et que je dois être et suis à jamais votre, etc.



LETTRE CCCXXI, A MERE DE CHANTAL (fragment).

1238
Considérations sur la nativité de Notre-Dame.

Annecy, 7 septembre 1616.

... Je vis en espérance, ma très-chère fille, que si mon ingratitude ne me forclôt point du paradis, je jouirai un jour par complaisance de la gloire éternelle, en laquelle vous vous plairez par jouissance, après avoir saintement porté la croix en cette vie, que le Sauveur vous a imposée du soin de le servir fidèlement en votre personne, et en la personne de tant de chères soeurs qu'il veut être vos filles en ses entrailles.

Je les salue, ces très-chères filles, en l'amour de la très-sainte Vierge, sur le berceau de laquelle je les invite de jeter tous les matins des fleurs- pendant cette sainte octave ; des saints soucis de la bien imiter, des pensées de la servir â jamais, et surtout des lis et des roses de pureté et ardente charité, avec les violettes de la très-sacrée et très-désirable humilité et simplicité.



LETTRE CCCXXII, (A MERE FAVRE, SUPÉRIEURE DE LYON) A Mme DES GOUFFIERS, A MOULINS.

1240
Il lui recommande d'entretenir l'union et la charité parmi ses religieuses, et de se garder de la prudence humaine.


19 septembre 1616.

Cette grande chère fille qui n'écrit point mériterait qu'on la laissât aussi dans son silence : mais mon affection ne le permet pas. Et que vous dirai-je donc, ma très-chère fille? Je vous recommande la confiance en Dieu, la parfaite simplicité, et la sincère dilection.

Vous avez là ces pauvres soeurs (1), lesquelles sont sous votre crédit, et dépendent de votre assistance au progrès de votre service, pour lequel elles sont allées : unissez vos coeurs et faibles forces, car par l'union vous prendrez des forces invincibles.

Notre mère (2) vous dira peut-être, si elle en a le loisir, la crainte que j'ai que les renardeaux n'entrent dans cette petite nouvelle vigne pour la démolir (cf.
Ct 2,15); je veux dire les aversions et répugnances, qui sont les tentations des saints. Étouffez-les en leur naissance. Tenez votre charité bandée, et tenez pour suspect tout ce qui sera contraire à l'union, au mutuel support, à la réciproque estime que vous devez avoir les unes envers les autres.

Gardez-vous de la prudence humaine, que notre Seigneur estime folie (cf. 1Co 3,19); et travaillez en paix, en douceur, en confiance, en simplicité. Sitôt que vous aurez fait ce que vous avez à faire, vous ferez bien d'achever votre affaire particulière. Vivez toutes dans les entrailles de la charité divine, ma très-chère fille, à qui je suis de tout mon coeur votre, etc.


(1) La mère Favre avait pour coadjutrices dans la fondation du monastère de Lyon, les mères Marie-Aimée de Blonay, son assistante et maîtresse des novices, et Péronne-Marie de Chastel.
(2) Madame de Chantal.



LETTRE CCCXXin, A MERE DE BRECHARD, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION DE MOULINS.

1246
Il l'exhorte à supporter le prochain.


Annecy, 8 octobre 1616.

Ma très-chère fille, (...) les aversions et répugnances de quoi on nous écrit nous exercent un peu.

O Dieu ! quand sera-ce que le support du prochain aura sa force dans nos coeurs ! C'est la dernière et la plus excellente leçon de la doctrine des saints : bienheureux l'esprit qui la sait ! Nous désirons du support en nos misères, que nous trouvons toujours dignes d'être tolérées : celles du prochain nous semblent toujours plus grandes et pesantes.

Dieu vous fasse sainte, ma très-chère fille, et toute votre chère troupe. Dieu soit exalté en vos misères, sur le trône, de sa bonté, et le théâtre de notre pure et sincère humilité. Dieu vous fasse tout faire pour sa gloire, afin qu'un jour vous en soyez couronnée. Ma très-chère fille, vous êtes la fille de mon coeur, et je ne laisserai jamais, de souhaiter que vous soyez la fille du coeur de Dieu, qui nous a donné des coeurs afin que nous fussions ses enfants, en l'aimant, bénissant et servant es siècles des siècles. Vive Jésus !



LETTRE CCCXXIV, A M. CLAUDE AMEDEE VIBOD, SECRÉTAIRE DE SON ALTESSE SÉRÉNISSIME.

1249
(Tirée du premier monastère de la Visitation, rue, Saint-Antoine.)

Il le prie de lui expédier une lettre de recommandation qu'il avait obtenue du duc de Savoie pour le vice-légat d'Avignon, au sujet de quelques bourses dans le collège de Savoie en cette ville, auxquelles le Saint et son chapitre avaient droit de nommer, et qu'on leur contestait.

Annecy, 13 octobre 1616.

Monsieur, je vous supplie de me faire la charité que je puisse avoir la lettre que son altesse a accordée au vice-légat d'Avignon, en recommandation de l'affaire que la Sainte-Maison de Tho-non, mon chapitre et moi y avons, sur le sujet des places d'Annecy, ou de Savoie, fondé audit Avignon, qui appartient à la nation de Savoie, afin que nous soyons remis en possession de les avoir.

Je vous enverrai le mémorial, et M. Boschy me fit la faveur de me promettre l'expédition de ladite lettre, laquelle nous désirons avoir, afin de faire partir au plus tôt le personnage que nous envoyons pour faire la sollicitation.

Cependant je vous conjure de m'aimer toujours, de me tenir en la bonne grâce dudit seigneur Boschy, que je salue humblement, et de ine croire, monsieur, votre, etc.




LETTRE CCCXXV.

LE CARDINAL BELLARMIN, A S. FRANÇOIS DE SALES.



Rome, 29 décembre 1616.

Quid super re sibi propositâ sentiat, rem intérim to-tam se pro viribus curaturum.

Etsi fortassè non multis in Urbe reverendis-sima amplitudo vestra nota sit, mihi tamen à multis annis virtutes vestra multoe et magnas no-tissimoe sunt : neque mihi tantum, sed etiam sanctissimo patri nostro nota est vigilantia pasto-ralis et charitas in gregcm proprium reverendissimae dominationis vestra.

Sed quod attinet ad negotium virginum et vi-duarum, quod mihi amplitudo vestra commcn-dat, non scio prorsus quid agam ; tum quia nemo hic est, quod sciam, qui causam sollicitet ; tum quia certum est cum illis tribus conditionibus obtineri non posse ab apostolicà sede, ut confir-metur vera monastica professio. Ego quidern pa-ratus sum pro viribus adjuvare propositum reverendissimae dominationis vestrae, si quis sit qui ad me veniat, et negotium urgeat. Hactcnus enim neminem vidi, nec satis scio cui littcras tradam quas nunc scribo.

Sed tamen intérim consilium dabo, quod mihi ipse acciperem, si res mea ageretur. Ego igitur retinerem virgines et viduas istas in statu in quo sunt, nec mutarem quod benè se habet. Nam antè tcmpora Bonifacii VIII, erant in Ecclesiâ sancti-moniales, tum in Oriente, tum in Occidcnte, qua-rum soepèmentionem faciunt sancti Patres; ex Latinis, Cyprianus, Ambrosius, Hieronymus, Augustinus ; et ex Graecis, Athanasius, Basilius, Chrysostomus, et alii. Sed illae non erant ità clausae in monasteriis, ut non exirent quando opus erat. Nec ignorât amplitudo vestra, coram Deo vota simplicia non minus obligare, nccmi-noris meriti esse, quàm solemnia ; sôlemnitas enim, ut etiam clausura, inchoata est ecclesias-tico instituto ab eodem Bonifacio VIII.

Et nunc etiam Romas floret valdè monasterium nobilium feminarum à sanctâ Franciscà Romanâ institutum ; in quo tamen, neque clausura est, nec solemnis illa professio.

Proindè si in istà regione sine clausura et sine professione virgines etviduac tam sanctè vivunt, ut audio, et simul prodesse possunt saecularibus, non video cur ista ratio vivendi mutari debeat. Hoc tamen consilium meum meliori judicio liben-ter submitto.

Accepi, dum hanc epistolam scriberem, alias litteras reverendissimae dominationis vestrae pro negotio Avenionensi, pro quo laborabo quantum potero. His benè valeat reverendissima domina-tio vestra, mei memor in sanctis precibus suis. Admodum illustrissimae et reverendissimae dominationis vestrae addictissimus, atque ad obedien-dum promptissimus.



Réponse à la lettre du 10 juillet 1616. Le cardinal fait connaitre à notre Saint que sa demande a des difficultés ; il ajoute cependant qu'il s'y intéressera de tout son pouvoir.



Quoique peut-être peu de personnes dans Rome connaissent votre seigneurie révérendissime, je ne laisse pas d'avoir depuis longtemps connaissance de la grandeur et de la multitude de vos vertus ; et je ne suis pas seul, car le saint père (Paul V) est instruit de votre vigilance pastorale, et de la charité avec laquelle vous gouvernez votre troupeau.

Pour venir aux vierges et aux veuves que votre seigneurie me recommande, je vous avoue que je suis fort en peine, parce qu'il n'y a personne ici, que je sache, qui s'intéresse dans cette [négociation. Outre cela, il est certain qu'on ne pourra jamais obtenir du Saint-Siège l'établissement des congrégations en titre de religion aux clauses et conditions énoncées dans votre lettre. Quoi qu'il en soit, je suis prêt à entrer de tout mon pouvoir dans les vues de votre révérendissime seigneurie, pourvu que quelqu'un vienne ici solliciter cette affaire ; car jusqu'à présent je n'ai vu personne, et je ne sais même à qui donner la lettre que j'écris.

Je veux cependant vous donner un conseil, que je prendrais pour moi-même si j'étais dans le cas où vous êtes : je laisserais ces filles et ces veuves, dans l'état où elles sont, et je ne changerais point ce qui est bien fait. Avant Boniface VIII il y avait des religieuses tant en Orient qu'en Occident. Nous en avons pour garants les saints Pères ; à savoir, parmi les Latins, S. Cyprien, S. Ambroise, S. Jérôme, et S. Augustin; entre les Grecs, S. Athanase, S. Chrysostome, S. Basile, et plusieurs autres. Or, ces religieuses n'étaient point tellement enfermées dans leurs monastères, qu'elles ne sortissent dehors quand il était nécessaire. Et votre révérendissime seigneurie n'ignore point que les voeux simples n'obligent pas moins et ne sont pas du moindre mérite devant Dieu que les voeux solennels, puisque la solennité, aussi bien que la clôture, a commencé depuis le décret ecclésiastique du même pape.

Aujourd'hui même le monastère des nobles dames, institué par Ste Françoise Romaine, qui fleurit merveilleusement dans Rome, nous fournit un exemple de cet ancien usage ; car ces religieuses n'ont ni clôture ni profession solennelle.

C'est pourquoi, si dans votre pays les filles et les veuves vivent aussi saintement, et peuvent être aussi utiles aux personnes du siècle par leur charité et leurs bons exemples, sans être enfermées ou cloîtrées, je ne vois pas pourquoi cette façon de vivre doit être changée. Toutefois, si quelqu'un a un meilleur avis à vous donner, j'y soumets volontiers le mien.

En écrivant cette lettre, j'en ai reçu de votre part qui regardent l'affaire d'Avignon; je m'y emploierai de tout mon pouvoir. Je désire que Dieu conserve votre seigneurie révérendissime ; et je la prie de se souvenir de moi dans ses saintes prières, étant, monseigneur, votre, etc.



LETTRE CCCXXVI, A LA MERE FAVRE, SUPÉRIEURE DE LA CONGRÉGATION DE LA VISITATION, A LYON.

1278
(Tirée du monastère de la Visitation de Grenoble.)

Nouvelles particulières sur diverses personnes.

Annecy, 21 janvier 1617.

Ma très-chère fille, je vous vois, certes, assez occupée parmi tant d'occurrences ; Dieu soit à jamais votre force. M. l'aumônier m'écrit que monseigneur l'archevêque le vous ôte : je crois que ce ne sera pas sans vous bien pourvoir. Je crains pourtant la variété des opinions au maniement des âmes ; mais Dieu aura soin de votre chère troupe, afin qu'elle aille toujours le même chemin, puisque c'est celui auquel il l'a mise.

Notre mère ne sait pas que j'écrive : elle n'est pas sans affaires, mais bonnes et agréables, ayant madame la comtesse de Tournon et ses deux filles, qui font les exercices, et préparent leur confession générale.

Hé Dieu! quelles nouvelles du Puits-d'Orbe? cela me traverse le coeur. Oh ! qu'il faut bien regarder à qui l’on donne accès en telles maisons, et quelles hantises, quels devis on admet.

La chère soeur de La Valbonne pensait venir; mais le frère n'a pas voulu. Il y a obéissance en leur monastère, oui, et mortification.

Mais celle-ci est bien plus grande à Sales, où ma soeur a fait sa troisième couche d'une fille, laquelle une heure après son baptême est morte. Pour moi, je n'en aurais nul sentiment, si ce n'est pour compatir un petit avec la mère.

Vivez toujours toute à Dieu, ma très-chère fille ; c'est le continuel souhait de mon coeur, qui chérit le vôtre incomparablement. Vive Jésus.




LETTRE CCCXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN RELIGIEUX.

Le Saint fait connaître les raisons pour lesquelles les religieuses de la Visitation ne disent pas le grand office, mais seulement celui de Notre-Dame. Il ajoute que cela est compensé par beaucoup d'exercices spirituels.


1617.

Mon révérend père, l'affaire des damés de la Visitation à Rome consiste en ce point : qu'il plaise à sa sainteté leur permettre de n'être point obligées à dire le grand office, pour les raisons suivantes :

Premièrement, il n'y a nation au monde où les femmes prononcent si mal le latin qu'en celle de France, et notamment ici ; et serait presque impossible de faire bien apprendre la prononciation de tout le grand office, là où il serait bien aisé de la leur apprendre pour le petit office de Notre-Dame, comme elles, le prononcent en effet bien dès à présent..

Secondement, en cette congrégation on désire recevoir les filles de petite complexion, et lesquelles, faute de forces corporelles, ne peuvent être reçues es religions plus austères. Or, celles qui sont obligées au grand office, si elles le veulent dire distinctement et posément, ne le peuvent faire sans effort; et si elles le veulent dire vite et couramment, elles se rendent ridicules et indévotes. C'est pourquoi il est plus convenable que celles-ci, qui, faute de forces corporelles, ne le pourraient pas dire posément, ne disent que le petit office.

Troisièmement, il y a exemple à Paris, où les soeurs de Sainte-Ursule, religieuses des trois voeux solennels, ne disent que le petit office.

Quatrièmement, les soeurs de la Visitation font plusieurs exercices spirituels qu'elles ne pourraient. pas faire en disant le grand office.

Je pensais vous marquer les autres points ; mais je me ressouviens que le père procureur général les a bien au long. Il faut que je vous dise que les règles dont on demande l'approbation sont toutes conformes à la règle de saint Augustin, hormis en la clausure absolue, que saint Augustin n'avait point établie, à laquelle néanmoins les soeurs se veulent astreindre, selon le sacré concile de Trente. Peut-être que le Saint-Siège commettra quelqu'un de deçà, quelques prélats de religion et autres théologiens, pour les revoir, corriger et approuver.

Je ne vois pas qu'il soit besoin de vous avertir d'autre chose sur ce sujet, sinon que, quant au monastère de cette ville, attendu que l'église d'icelui est consacrée sous le titre de la Visitation de Notre-Dame et du glorieux saint Joseph, il serait désirable que l'on obtînt indulgence plénière pour ce jour-là, et pour les jours des titres des autres maisons et monastères de cette congrégation, outre l'indulgence du jour de la Visitation, qui est titre général de la congrégation.

Monseigneur de Lyon est là, auquel s'il plait de favoriser l'affaire, il peut infiniment en cela. Or, je crois qu'il lui plaira, puisqu'il a en sa ville métropolitaine une maison de la Visitation, où Dieu est grandement honoré.

Mais, mon révérend père, il faut traiter toutes choses doucement et avec circonspection ; ce que je dis, parce que quelques ecclésiastiques austères et exacts en leurs personnes ont rendu quelques signes qu'ils n'étaient pas satisfaits de quoi en cette congrégation il y avait si peu d'austérité et de rigueur de peines : mais il faut toujours regarder à la fin, qui est de pouvoir recueillir les filles et les femmes débiles, soit en âge, soit en complexion.

Je désire encore obtenir une lettre de la congrégation des évoques à moi et au clergé de ce diocèse, par laquelle il me soit enjoint d'ériger un séminaire de ceux qui prétendent à l'état ecclésiastique, où ils puissent se civiliser es cérémonies, à catéchiser et exhorter, à chanter, et autres telles vertus cléricales ; car, quant aux petits enfants, nous en avons de reste qui veulent être ecclésiastiques, et qui n'étudient pour autre fin.

Or, je désire que le clergé ait part à la lettre, afin qu'on puisse imposer pour cela quelque petite cotisation sur les bénéfices. Le concile de Trente suffirait ; mais pour le faire valoir plus efficacement, la susdite lettre serait requise. Je suis votre, etc.






LETTRE CCCXXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A SA SAINTETÉ LE PAPE PAUL V.

Annecy, 1617.

Commendat nobilem përegrinum.

Beatissime pater, tametsi sedes apostolica suo splendore universos orbis chris.tianos alliciat, ha-bet tamen innatum aliqnid beatitudo vestra, quo mitius ac suavius eorum corda demulceat, qui, annuente Dei benevolentiâ, sub ejus potestate ab eorum tenebris emerserunt.-

E quibus cum vir iste ad loca sancta proficisci in animo haberet, et ad hoc monumentum aliquod optarct à me, quode suà fide ac religione sancti-tati vestrae fidem ego ipse facerem, facile conce-dendum putavi, tum ne quod mei muneris est aliqua in re defuisse insimularer, tum etiam ne quid virtuti illius ac bono nomini detraherem.

Quod equidem laudabilius est, quôd avitoe no-bilitati renuntiarc, et existimationis jacturam fa-cere maluerit, ut abjectus viveret in domo Dei, quàm illustris habitare in tabernaculis peccàto-rum; ex quibus jampridem nxorem ac liberos eduxisset, si eorum affectus et consilia cum ip-sius zelo consensissent.

Quapropter cum per novennium probata mihi fuerit illius fidei ac religionis constantia, par est ut unà cum illo advolutus pedibus beatitudinis vestra, mihi atque illi apostolicam benedictionem supplex expetam.



Le Saint recommande au pape un gentilhomme qui, ayant renoncé à la religion prétendue réformée, pour se faire catholique, avait résolu de faire un voyage à Rome pour visiter les lieux saints. Ce gentilhomme s'appelait Alexandre de Mont-Croissant, et était de Genève. Il fut converti par S. François, en 1608, avec plusieurs autres Genevois.



Très-saint père, quoiqu'il n'y ait rien de plus ordinaire que de voir le siège apostolique attirer tous les chrétiens de l'univers par l'éclat de sa majesté, cependant votre sainteté a, par-dessus cet avantage, je ne sais quels attraits et quels charmes naturels, qui lui gagnent les coeurs de ceux que la grâce de Dieu a retirés des ténèbres de leurs erreurs, par nos soins et sous votre autorité.

La personne qui a l'honneur de se présenter à vous, très-saint père, est de ce nombre. C'est pourquoi, ayant dessein d'aller visiter les saints lieux de Rome, et m'ayant demandé pour votre sainteté une lettre de recommandation, où je rendisse témoignage de sa foi et de sa religion, afin d'avoir un plus libre accès à vos pieds, j'ai cru que je devais me rendre à sa prière, tant pour ne point encourir de blâme d'avoir manqué un devoir de ma charge, que pour rendre justice à la vertu et à la bonne odeur de la vie de cet honnête homme.

En effet, très-saint père, il s'est rendu d'autant plus recommandable, qu'étant d'une naissance distinguée par sa noblesse, il a eu le courage de renoncer au rang et aux dignités auxquels son sang lui permettait d'aspirer, et de se ternir de réputation parmi les siens, pour vivre inconnu dans la maison de Dieu, plutôt que d'habiter dans les palais des pécheurs (Ps 84,11). Il y a longtemps qu'il en eût retiré sa femme et ses enfants, si leurs sentiments s'étaient accordés avec son zèle.

Ayant été témoin pendant l'espace de neuf années, de la constance de sa foi et de sa piété i je supplie très-humblement votre béatitude de lui accorder sa bénédiction apostolique ; et, par la même occasion, je me prosterne à ses pieds, pour lui demander la même grâce. J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, très-saint père, de votre sainteté, le très-humble, etc.




LETTRE CCCXXIX, A MADAME DE CHANTAL.

1283
(Tirée du second monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

On parle d'ériger un nouveau monastère de la Visitation; il s'en réjouit, et en donne avis â madame de Chantal, à laquelle il donne de très-grandes marques d'affection.


Grenoble, 9 février 1617.

Ce billet va dire à ma très-chère mère, que je chéris son coeur comme mon âme propre. On commence fort à parler d'une Visitation, et le passage de notre bon père prédicateur
1168 en a grandement réveillé l'appétit, et nous verrons que ce sera, j'ai commencé aujourd'hui, aussi heureusement que jamais je fis, les prédications (1), hormis que sur le milieu j'ai pensé être un peu enroué. Mon coeur a mille bons désirs de bien servir le divin amour. Que vous puis-je dire davantage, ma très-chère mère, sinon que vous demeuriez toujours en ce céleste exercice auquel Dieu vous a si souvent et puissamment invitée ? Vous aurez la bonne madame du Chatelard, que je chéris fort de quoi elle a si bien conservé son affection : elle aura sans doute besoin de soin et de support. Je l'écrirai à nos soeurs de Moulins, ma très-chère mère, n'en doutez point. Or sus, qu'à jamais le nom du Seigneur soit sanctifié en noire cher coeur ! Amen. Je salue chèrement nos soeurs ; et si madame la comtesse est là, je la salue très-particulièrement, et mes chères filles, qui sont les siennes. Vous savez aussi de quelle affection je salue ma fille de La Fléchère ; mais ma pauvre chère soeur Marie-Aimée, je n'en dis rien : c'est ma fille tout aimée, et mademoiselle de Chantal aussi est ma chère fille. Je suis, vous le savez vous-même, certes, tout vôtre.

(1) S. François prêchait cette année le carême à Grenoble, y ayant prêché l'avent précédent.



LETTRE CCCXXX, A MADAME DE VALESPELLE ET DE VILLENEUVE.

1295
(Tirée du monast. de la Visitat, de la ville du Mans.)

Il promet à cette dame de s'employer dans une affaire qu'elle avait, et dont elle lui avait envoyé des mémoires.


Chambéry, 1er avril 1617,

Madame, passant par cette ville avec beaucoup de presse, j'ai reçu votre lettre et les mémoires de vos prétentions, dont je suis bien aise, puisque le marquis d'Aix
486 m'a écrit que je lui fisse savoir ce que vous prétendiez, et que, revenant en ce pays, il serait toujours bien content de voir tous les différends qu'il pourrait avoir avec vous, avec le plus de douceur et d'amitié que vous pourriez désirer. Il est vrai, dit-il, qu'après son arrêt de Paris, il pensait être exempt d'affaires pour votre égard. Je lui ferai donc part du mémoire qui m'est laissé ; et sur ses réponses je vous tiendrai avertie, désireux que je serai toute ma vie de vous témoigner par effet que je suis, madame, » votre, etc.



LETTRE CCCXXXI, A M. BENIGNE MILLETET, CONSEILLER DU ROI AU PARLEMENT DE BOURGOGNE.

1303
(Tirée du monastère de la Visitation de Rouen.)

Le saint prélat lui recommande le bon droit de son Église. Il lui donne des nouvelles de M. de Charmoisy, qui était près de venir demeurer à Annecy avec son épouse, et qui avait été fait grand-maître de l'artillerie de Savoie par M. le prince de Piémont, avec toute la gracieuseté possible. Il le prévient qu'il doit prêcher à Grenoble l'année suivante.


Annecy, 12 avril 1617.

Monsieur mon frère, c'est maintenant pour mon Église (et que puis-je dire de plus affectionné?) que j'implore votre fraternelle faveur, et crois qu'elle me sera facilement accordée, surtout quand vous aurez ouï la remontrance que ce porteur vous fera, par laquelle vous verrez que le brevet dont il s'agit est non-seulement fondé sur la piété, mais encore, si je ne me trompe, sur la justice. Je vous supplie donc très-humblement, monsieur mon frère, de nous être très-ardemment propice.

Vous me demandiez l'autre jour, par la dernière lettre que j'ai eu le bien de recevoir de vous, des nouvelles de M. de Charmoisy, mon parent ; en quoi vous témoignez votre bon et beau naturel, et cet honnête chevalier vous en sera grandement obligé quand il le saura, ce qui sera dans peu de jours, que lui et sa femme viendront en cotte ville, puisque monseigneur le prince de Piémont, ayant reconnu en cette dernière occasion sa valeur et suffisance es choses de la guerre, l'a créé grand maître de l'artillerie de cet état, et depuis a été embrassé et caressé sans mesure par monsieur le duc de Nemours, qui l'invita de venir en cette ville (1), et le traita très-honorablement : enfin il n'est que d'être gens de bien.

Je suis engagé encore pour l'année suivante (2) à Grenoble, monsieur le maréchal d'Esdiguières l'ayant demandé à son altesse, qui l'a volontiers accordé. Veuille la bonté divine m'y rendre fructueux ! Et il fallait bien rendre ce compte de moi-même à monsieur mon frère, que j'honore de tout mon coeur, et auquel je suis très-humble frère et serviteur, etc.

(1) D'Annecy.
(2) 1618.



LETTRE CCCXXXII, A M. PHILIPPE DE QUOEX (Ecclésiastique ?).

1313
Tendresse que les pasteurs doivent avoir pour leurs ouailles. Preuves de la douceur et de la bonté de noire Saint dans les contradictions et les traverses.


Annecy, 16 mai 1617.

Monsieur,

1. sans offenser, ou quasi sans offenser une fille, on la jugerait peu sage et n'avoir pas la cervelle bien arrêtée, si au milieu de la ville elle ouvrait son sein et exposait ses mamelles à la vue de chacun es rues et aux églises; mais on ne murmura jamais, et on ne le doit pas faire, de voir qu'une mère nourrice ouvre son sein, montre et donne sa mamelle à son poupon, parce que l'on sait bien qu'elle est nourrice, et que son devoir de mère nourrice l'oblige à donner le lait à son cher petit poupon, en quel lieu ou place qu'elle connait qu'il en a besoin.

Je dis ceci et pour vous et pour moi ; car il faut toujours faire ce que nous devons, pour le service de notre doux et bon maître, envers ceux qui sont véritablement en lui nos enfants ; et leur ouvrir, où leur nécessité le requiert, le sein maternel de notre affection à leur salut, et leur donner le lait de la doctrine ; je dis maternellement, à cause que l'amour des mères est toujours plus tendre envers les enfants que celui des pères, pour ce, à mon avis, qu'il leur coûte plus. Soyons-le pourtant l'un et l'autre, car c'est le devoir que le souverain nous a imposé.

2. Au reste, je vous assure que j'ai ri, mais savez-vous, de bien bon coeur, quand j'ai vu, sur la fin de votre lettre, que l'on vous avait dit que je m'étais mis en grande colère, et avais dit tout ce que me marquez par la vôtre ; et de plus vous me dites : Mon père, ne cachez point la vérité à votre fils, qui est perplexe sur ce sujet.

Et je vous dis véritablement : Mon fils, mon coeur va rendre à votre coeur l'hommage de la vérité. Si celui qui vous a fait un narré de ma colère n'en eût pas eu davantage que moi, vous ne seriez pas en peine du chétif père; mais je vous supplie, quand il retournera à vous, embrassez-le de ma part, et lui donnez double aumône, car je vous confesse qu'il n'a pas tout-à-fait tort : je suis un chétif homme, sujet à passion, mais, par la grâce de Dieu, depuis que je suis berger, je ne dis jamais parole passionnée de colère à mes brebis. »

Il est vrai que, sur la résistance de ces bons NJV., je menaçai celui-là de son supérieur; mais je ne fis rien que ce que je dois faire et que je ferai toujours en tel cas. Je fus ému à la vérité, mais je retins toute mon émotion, et confessai ma faiblesse à notre mère (1), qui, en cette occasion, n'eut, non plus que moi, aucune parole de passion ; et je vous dirai bien de plus, il semble que ces bonnes gens-là lui donnent de fréquents sujets de mortification qu'elle boit insatiablement.

3. Mais dites-moi, quel tort avons-nous fait à ce bon homme? Hélas, notre mère ni moi, ne prétendons qu'à dresser une petite ruche médiocre, et conforme à notre dessein, pour loger nos pauvres abeilles, qui ne se mettent en peine que de cueillir le miel sur les sacrées et célestes collines, et non de la grandeur et embellissement de leur ruche. Il est vrai, quand je considère notre mère et ses filles, gratias ago ei qui me confortavit, Christo Jesu Domino nostro; quia fidelem me existimavit ponens in ministerio (
1Tm 1,12).

A l'occasion de cette congrégation, j'ai assez dit là-dessus pour vous ôter de peine.

Pour le regard de ces bons gentilshommes, pour Dieu, monsieur mon très-cher confrère, absolvez de tout ce que je puis absoudre, sans réserve : car pourquoi vous réserverais-je aucune autorité que je puisse communiquer, puisque vous ne réservez aucune peine que vous puissiez prendre pour le bien de mes chères brebis!

4. Hélas ! monsieur mon cher ami, j'ai quelquefois les larmes aux yeux, quand je considère ma babylonique Genève calviniste : Hoereditas nostra versa est ad alienos (Lm 5,2); le sanctuaire est en dérision (cf. Ez 22,8), la maison de Dieu en confusion ; et qu'en dirai-je? Je ne puis bonnement que pleurer sur ses ruines.

Quand je considère notre pauvre petite et humble Visitation, qui apportera tant de gloire à Dieu, encore ai-je quelque consolation d'être l'évêque de ce diocèse; au moins y aurai-je fait ce bien. Mais si cet évêché avait un Hilaire, un Augustin, un Ambroise, ah ! ces soleils dissiperaient les ténèbres de l'erreur. Toutefois je m'arrête, et dis comme les gens de notre Évangile : Dieu a bien fait tout (Mc 7,37). Et vous, mon parfait ami et très-cher confrère, vous ferez bien si vous me croyez incomparablement votre très-humble, etc.

5. J'ai été vivement touché d'apprendre qu'au prieuré de N., l'on n'y voit plus la face de la sacrée dilection et union, sans laquelle la religion n'est qu'une véritable illusion : le pire est que la dissension est entre les bons, dont elle est plus dangereuse; et, comme dit S. Bernard parlant des religieux, qu'il estime être les yeux de l'Église épouse de Jésus-Christ, Non est dolor sicut dolor eorum (Lm 1,12). Votre oeil doit discerner ce qui sera propice pour remédier à ce mal. Votre modération paternelle doit dissiper ces humeurs peccantes; votre zèle, votre justice et votre force, doivent terminer ces discordes.

(1) Madame de Chantal.



F. de Sales, Lettres 1223