F. de Sales, Lettres 351


LETTRE XCIX, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Sur la fête de l'Assomption de Notre-Dame, et sur la dévotion de la sainte Vierge



15 août 1606.

Eh ! qu'elle est belle, cette aube du jour éternel, laquelle, montant devers le ciel, va, ce semble, de plus croissant en bénédictions de son incomparable gloire ! Qu'à jamais les odeurs d'éternelles suavités, éparscs sur les coeurs de ces dévots, remplissent celui de ma très-chère mère comme mon coeur propre; et que notre chère petite congrégation, toute vouée à la louange de son fils et des mamelles sacrées qui l'ont allaité, jouisse des bénédictions préparées aux âmes qui l'honorent !

Hier au soir j'eus un sentiment fort particulier du bien que l'on a d'être enfant, quoique indigne, de cette glorieuse mère, étoile de mer, belle comme la lune, élue comme le soleil (Ct 6,9).

O mon Dieu! ma très-chère mère, j'ai une spéciale consolation de voir comme elle donna une robe d'une blancheur non pareille à son serviteur S. Ildefonse, évêque de Tolède (2) ; car, pourquoi n'en donnera-t-elle pas une à notre cher coeur? Voyez-vous, je retourne toujours à mes brebis ; entreprenons de grandes choses sous la faveur de cette mère ; car si nous sommes un peu tendres en son amour, elle n'a garde de nous laisser sans l'effet que nous prétendons.

O Dieu! quand je me ressouviens qu'aux cantiques elle dit : entourez-moi de pommes (Ct 2,5), je voudrais volontiers lui donner notre coeur; car, quelle autre pomme peut désirer de moi cette belle fruitière? Je viens du sermon, où je voudrais bien avoir plus saintement et amoureusement parlé de notre glorieuse et sacrée maîtresse : je la supplie qu'elle me veuille pardonner. Dieu nous fasse la grâce de nous voir un jour consommés au divin amour. Cependant, bonsoir, ma très chère mère.

Le 15 août, jour de la glorification de notre très-honorée maîtresse, qui soit à jamais notre amour.



(2) Vers la fête de l'assomption de la Vierge, S. Ildefonse s'étant disposé par trois jours de jeûnes, alla de grand matin à l'église selon sa coutume, assisté seulement d'un diacre et d'un sous-diacre. Dès l'entrée il aperçut la très-sainte mère de Dieu assise sur le trône épiscopal, entourée d'une troupe d'anges qui chantaient ; alors la divine Marie l'envisageant, lui dit ces paroles : « Approchez, serviteur de « Dieu très-fidèle, recevez ce présent de ma main : je « vous l'ai apporté du trésor de mon fils. » C'était une très-riche chasuble dont elle le revêtit, lui ordonnant de s'en servir seulement aux jours des fêtes qui seraient célébrées en son honneur. Cette apparition fut si authentique, qu'en un concile tenu en Espagne, sous l'évêque de Tolède appelé Gille, il fut ordonné qu'en considération de la grâce que la sainte Vierge avait faite à S. Ildefonse, cette fête serait solennisée avec office double par tout le diocèse. (Girey, Vie des Saints, au 25 janvier.)




LETTRE C.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Sur les peines intérieures ; leur avantage pour la perfection. Dieu se communique plutôt dans les afflictions que dans les douceurs.



Le jour de l'Exaltation de la Sainte-Croix, 14 septembre 1606.

Ne vous mettez nullement en peine de moi pour tout ce que vous m'écrivez ; car, voyez-vous, je suis en vos affaires comme Abraham (Gn 15,12 Gn 15,17-18) fut tout un jour.- Il était couché parmi les obscures ténèbres, en un lieu fort affreux : là; il sentit de grands épouvantements ; mais ce fut pour peu, car soudain il vit une clarté de feu, et ouït la voix de Dieu qui lui promit ses bénédictions. Mon esprit sans doute vit parmi vos ténèbres et tentations, car il accompagne fort le vôtre; le récit de vos maux me touche de compassion ; mais je vois bien que la fin en sera heureuse, puisque notre bon Dieu nous fait profiter en son école, en laquelle vous êtes plus éveillée à la sentinelle qu'en autre temps. Ecrivez-moi seulement à coeur ouvert et de vos maux et de vos biens ; et ne vous mettez en nulle peine, car mon coeur est bon à tout. cela.,,

Courage, ma chère fille, allons, allons tout le long de ces basses vallées, vivons la croix entre les bras, avec humilité et patience.

Que nous importe que Dieu nous parle parmi les épines ou parmi les fleurs ? Mais je ne me ressouviens pas qu'il ait jamais parlé parmi les fleurs, oui bien parmi les déserts et halliers plusieurs fois. Cheminez donc, ma chère fille, et avancez chemin par les mauvais temps et de nuit ; mais surtout écrivez-moi fort sincèrement : c'est le grand commandement que de me parler à coeur ouvert, car de là dépend tout le reste ; fermez les yeux à tous respects que vous pourriez porter à mon repos, lequel, croyez-moi, je ne perdrai jamais pour vous pendant que je vous verrai ferme de coeur au désir de servir notre Dieu, et jamais, s'il plaît à sa bonté, je ne vous verrai qu'en cette sorte-là ; partant, ne vous mettez nullement en peine.

Soyez courageuse, ma chère fille, nous ferons prou, Dieu aidant; et croyez-moi que le temps est plus propre au voyage que si le soleil fondait sur nos têtes en ses ardentes chaleurs. Je voyais l'autre jour les abeilles qui demeuraient à recoi dans leurs ruches, parce que l'air était embrouillé ; elles sortaient de fois à autre voir que c'en serait, et néanmoins ne s'empressaient point à sortir, ains s'occupaient à repaître leur miel. O Dieu! courage : les lumières ne sont pas en notre pouvoir, ni aucunes consolations que celle qui dépend de notre volonté, laquelle étant à l'abri des saintes résolutions que nous avons faites, et pendant que le grand sceau de la chancellerie céleste sera sur votre coeur, il n'y a rien à craindre;

Je vous dirai ces deux mots de moi. Depuis quelques jours je me suis vu à moitié malade (1).

Un jour de repos m'a guéri ; j'ai le coeur bon, Dieu merci, et j'espère de le rendre encore meilleur, selon votre désir.

Mon-Dieu ! que je lis avec beaucoup de consolation les paroles que vous m'écrivîtes, que vous désiriez de la perfection à mon âme, presque plus qu'à la vôtre. C'est une vraie fille spirituelle, cela ; mais faites courir votre imagination tant que vous voudrez, elle ne saurait atteindre où ma volonté me porte pour vous souhaiter de l'amour de Dieu.

Ce porteur part tout maintenant, et je m'en vais faire une exhortation à nos pénitents du crucifix : je ne peux faire plus de paroles que pour vous donner la bénédiction; je vous la donne donc au nom de Jésus-Christ crucifié, la croix duquel soit notre gloire et notre consolation, ma chère fille ; que puisse-t-elle bien être exaltée parmi nous, et plantée sur notre tête, comme elle le fut sur celle du premier Adam (1) ! Que puisse-t-elle remplir notre coeur et notre aine, comme elle remplit l'esprit de S. Paul, qui ne savait autre chose que cela () ! Courage, ma fille, Dieu est pour nous. Amen. Je suis éternellement vôtre, et Dieu le sait, qui l'a voulu ainsi, et qui l'a fait d'une main souveraine et toute particulière.



(1) Le saint prélat, en faisant la visite de son diocèse, parcourut des montagnes d'un très-difficile accès ; lorsqu'il fut arrivé au sommet de ces montagnes, où est située Notre-Dame de Nancy sur-Cluses, il se trouva avoir les pieds tout écorchés et ensanglantes, en sorte que dix jours après il pouvait à peine se soutenir ; cependant il ne laissa pas de continuer sa visite sans interruption jusqu'au 21 d'octobre, où il l'interrompit.

(1) C'est une ancienne tradition, que Jésus-Christ fut crucifié au même lieu où Adam avait été enterré, c'est-à-dire sur le Calvaire, ou que du moins la tête du premier homme fut apportée après le déluge sur cette montagne, qui pour cette raison fut appelée Calvaire. Cette opinion est appuyée sur les rapports qui se trouvent entre le premier et le second Adam, et entre le péché de l'un et la réparation du péché par l'autre. On compte parmi les Pères qui ont suivi ce sentiment, Origène (traité xxxv sur S. Matthieu), Tertullien, S. Athanase, S. Basile, S. Chrysostome, S. Épiphane, hérésie xivi ; S. Ambroise, livre X sur S. Luc, et dans l'épître ixxi, nombre 10 ; et S. Jérôme, sur le chapitre xxvu de S. Matthieu. S. Irénée avance qu'Adam mourut un vendredi. C'est pour toutes ces raisons que l'on a bâti sur le Calvaire, vers l'endroit où Jésus-Christ fut crucifié, une chapelle en l'honneur d'Adam, laquelle est desservie par les Grecs.








LETTRE CI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. DE VILLARS, ARCHEVÊQUE DE VIENNE.

(Tirée de la vie de Mme de la Flechère, fondatrice du monastère de Rumilly.)

Le Saint lui démontre qu'il a eu raison de se servir, dans les lettres qu'il lui écrivait, du titre de monseigneur, que M. l'archevêque refusait dans ses relations avec S. François.



Novembre 1606. Monseigneur,

Permettez-moi, je vous supplie très-humblement, cette petite opiniâtreté : car vraiment tout aussitôt que vous avez voulu que je bannisse des lettres que je vous envoie, le titre de monseigneur, mon opinion s'est soudainement délogée de ma volonté, laquelle est irrévocablement soumise à la vôtre ; mais elle s'est sauvée dans mon entendement, où elle s'est tellement retranchée, que je suis en peine d'entreprendre sa sortie. Ce n'est pourtant pas que mon entendement ne veuille céder à votre jugement, duquel il révère extrêmement l'autorité ; et la reconnaît pour souveraine en son endroit ; mais c'est qu'il lui est avis que vous n'avez pas bien conçu la bonté et sincérité de ses intentions pour ce regard. Oserai-je bien disputer avec vous, monseigneur? Votre douceur, je pense, m'excusera : c'est simplement pour m'expliquer. Je dis donc, avec votre congé, premièrement, que je vous puis appeler monseigneur, et que ce titre n'est pas trop grand pour vous, ni de moi, ni d'aucun autre évoque : cela est clair par l'autorité de tous les plus dignes évoques de l'Église de Dieu, qui ont appelé de titres bien plus relevés non-seulement les patriarches et archevêques, mais les autres évoques même. Et à cet argument ne satisfait pas la réponse, que tous les prêtres étaient censés saints, heureux, pères, et que par conséquent il fallait qualifier les évêques sur iceux : non, monseigneur; car tous ces titres regardaient leur état, leur ordre. Je dis secondement, que non-seulement je puis vous appeler monseigneur, mais il est expédient que je le fasse, et serait bon que cela se fît par tous les évêques. Car quelle raison y a-t-il que j'appelle les princes du siècle messeigneurs, et non pas ceux quos constitua Dominus principes populi sui (Ps 4,2) ? Et ne sert à rien de dire : Non dominantes in cleris () ; car comme non debetis dominari, sic nostrum est subjici (5). Je vous supplie, pesez bien, monseigneur, cette raison d'état. Puisque nous ne pouvons refuser aux princes mondains ce titre d'honneur, ne ferions-nous pas bien de nous égaler, tant qu'en nous est, à eux pour ce regard, desquels on peut dire : Dérident nos juniores tempore, quorum non audebo nl patres cum sacerdotibus junioribus incedere (4). Je dis troisièmement, qu'il est bien séant; car encore que l'Italie et la France sont séparées, et qu'il ne faut, pas porter le langage de l'Italie en France, si est-ce que l'Église n'est pas séparée, et le langage, non pas de la cour, mais de l'Église de Rome, est bon partout en la bouche des ecclésiastiques. C'est pourquoi, puisque le pape même vous appellerait monseigneur, il est séant que j'en fasse de môme. Il ne reste à résoudre que l'argument fondamental de votre volonté : mais il ne se peut résoudre ; car ce n'est que votre humilité, ut qui major est dignitate sit potior humilitate (i). J'y réponds néanmoins, et dis que j'appelle ainsi tous les évêques à qui j'écris en esprit de liberté, et les rends égaux, quant à cet honneur extérieur, laissant à mon intérieur de donner diverses mesures de respect, sous un même mot, selon la diversité de mes devoirs; comme à vous, monseigneur, c'est, je vous assure, avec une révérence toute cordiale, toute particulière. Voilà ce que je vous puis dire, allant comme je vais dans une heure, monter en chaire. J'attendrai vos commandements pour y obéir : car en somme je suis prêt à déposer toutes sortes d'opinions que vous n'approuverez pas, et suivre en tout et partout vos volontés ; mais je vous demande pardon pour ce coup. Votre dilection, qui souffre tout, et qui est-non-seulement patiente, mais débonnaire, me rendra excusable, vous assurant que je suis votre, etc.



(5) Quoi que vous ne deviez pas dominer, cela ne nous dispense pas de nous soumettre.
(i) Les jeunes gens d'aujourd'hui n'ont que du mépris pour les évêques, tandis que leurs pères n'osaient pas même se comparer aux simples prêtres.
(1) Que plus on est élevé en dignité, plus on doit être humble.




LETTRE Cil, A SA SAINTETÉ LE PAPE PAUL V.

361 23 novembre 1606.

Eicusat se quôd nonnullis difficultatibus implicitus, Romam non proficiscalur.

Beatissime Pater,

Appetente stato illo tempore, quo iis qui extra Italiam episcopale munus obeunt, liminum sacro-rum beatorum apostolorum Pétri et Pauli visità-tionem sancta vestra sedes apostoliea indixit, germanum meum, sacerdotem, et ecclesise hujus canonicum destino, qui meo nomine id exequa-tur ; quandoquidem censuum tenuitas, itinerum difficultas, ac ipsius dioecesis utilitas, ne pere-grinationem tam longinquam instituam, minime patiuntur.

Statum dioecesis quàm potui distinctissimè et accuratissimè descriptum mitto, cujus summa est, provinciam vastam, pariter ac vastissimam esse ; et multa ad ejus instaurationem requiri, quae non nisi à sedis apostolicae providentià manare queant, cujus opem imis ac summis votis exposco, cum patenta illà benedictione ac bcnevolentià quant libenter iis impertitur, quos habet fllios subditos in omni timoré.

Ex oppido Annessiacensi, loco peregrinatio-nis nostra et exilii, in quo sedemus et ilemus, dum recordamur Genevoe nostra;, donec conver-tat Dominus ejectionem nostram, sicut torrens in austro.



Il s'excuse auprès de lui de ce qu'il ne va pas à Rome, parce qu'il en est empêché par quelques affaires.


Très-saint Père,

Touchant de fort près au terme que votre sainteté a assigné à tous les évêques qui sont hors de l'Italie, pour visiter les sacrés tombeaux de S. Pierre etde S. Paul, je prends la liberté de substituer en ma place mon frère, prêtre et chanoine de cette église, pour remplir cette obligation ; d'autant que mon peu de revenu, la difficulté des chemins, et le bien de ce diocèse, ne me permettent pas d'entreprendre un si long voyage.

J'envoie par la même voie à votre sainteté l'état de mon évêché, que j'ai dressé avec la plus grande exactitude qui m'a été possible, et dont le sommaire est que, le territoire étant très-étendu, la charge en est fort grande; que les ravages dei'hé résie ont réduitla province dans une pitoyable situation, etqu'il y a bien des choses à désirer pour la remettre sur pied. Nous ne pouvons attendre de secours que de votre sainteté : c'est aussi, très-saint père, ce que je lui demande très-instamment, avec sa bénédiction et sa bienveillance paternelle, dont elle a coutume d'être libérale envers ceux qui sont ses chers enfants soumis en toutes choses par une crainte respectueuse (cf.
1Tm 3,4), avec laquelle j'ai l'honneur d'être, très-saint père, de votre sainteté, le très-humble et très-obéissant serviteur.

François, évêque de Genève.

D'Annecy, lieu de notre pèlerinage et de notre exil, où est notre siège épiscopal, et où nous versons des larmes au souvenir de notre pauvre Genève, après laquelle nous aspirons, jusqu'à ce que notre Seigneur change notre bannissement avec la même rapidité qu'un torrent du midi précipite ses eaux dans la mer (cf. Ps 126,4).




LETTRE CIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. L'ABBÉ DE SAINTE-CATHERINE.

(Tirée de la vie de madame de la Flechère, fondatrice du monastère de Rumilly.)

Éloge de madame de la Flechère, à l'occasion de la mort de son mari ; estime que le saint évêque en faisait.

An 1606.

J'appris hier au soir la nouvelle du décès de notre bon M. de la Flechère. O Dieu ! avec quelle ardeur sa chère veuve va sacrifier le sacrifice de toute justice à Dieu ! Quand je n'aurais que cette parfaite brebis en mon bercail, je ne peux nie fâcher d'être le pasteur de cet affligé diocèse. Après notre madame, de Chantal, je ne sais si j'ai fait rencontre d'une âme plus forte dans un corps féminin, d'un esprit plus raisonnable et d'une humilité plus sincère. Je ne doute nullement, monsieur mon cher confrère, que, passant si proche d'elle, vous n'alliez la visiter. Portez-lui l'assurance que mes prières lui sont acquises pour le repos de l'âme de son cher défunt, et pour sa consolation particulière, que je m'assure être toute en ces deux mots : Le nom de Dieu soit béni, et sa volonté sait faite.




LETTRE GIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL. Souhaits de bénédiction pour la nouvelle année. 29 décembre 1606.

Voici, ma très-chère fille, cette année qui se va aby'mer dans le gouffre où toutes lés autres se sont jusqu'à présent anéanties. O que l'éternité est désirable, au prix de ces misérables et périssables vicissitudes ! Laissons couler le temps avec lequel nous notis écoulons petit à petit pour être tranfôrmés en la gloire des enfants de Dieu.

C'est la dernière fois de cette année que je vous écris, ma chère fille; Hé ! que je vous s'ou-haite'de bénédictions, et avec quelle ardeur! cela ne se peut dire. Hélas ! quand je pensé que j'ai employé le temps de Dieu, je suis bien en peine qu'il ne me veuille point donner son éternité, puisqu'il ne la veut donner qu'à ceux qui useront bien de son temps.

Il y a trois mois que je suis sans vos lettres, mais je crois que Dieu est avec vous, ce m'est assez : c'est lui que je'vous désire uniquement. Je vous écris sans loisir, car ma chambre est Pleine de gens qui me tirent : mais mon coeur est IH.

solitaire toutefois, et plein de désir de vivre à jamais tout pour ce saint amour, qui est l'unique prétention de ce même coeur.

Au m'oins parmi ces jours sacrés, mille désirs m'ont saisi de vous donner le digne contentement que tant vous souhaitez de mon âme comme de la vôtre même, en m'avançant soigneusement à cette sainte perfection à laquelle vous aspirez, et par laquelle vous respirez en la faveur de ce coeur, qui réciproquement vous souhaite saris fin toute la plus hetute union avec Dieu qui peut se trouver ici-bas. C'est l'unique souhait de celui que Dieu vous a donné.




LETTRE GV.

S. FRANÇOIS de SALES, A UNE DAME MARIÉE. Souhaits pour le nouvel an.
Garnier: 27e lettre

29 décembre 1606.

Or sus, qu'importe-t-il à votre chère âme, ma très-chère fille, que je lui écrive d'un air ou d'un autre, puisqu'elle ne me demande rien que l'assurance de ma chétive santé, de laquelle je ne mérite que l'on ait la moindre pensée du monde ? mais je vous dirai qu'elle est bonne, grâces à notre Seigneur, et que j'espère qu'elle me servira ces bonnes fêtes pour prêcher, comme elle a fait le reste de l'avent ; et qu'ainsi nous achèverons cette année pour en recommencer une nouvelle.

O Dieu ! ma chère fille, elles s'en vont, ces années, et courent à la file imperceptiblement les unes après les autres ; et, en dévidant leur durée, elles dévident notre vie mortelle ; et, se finissant, elles finissent nos jours. O'que l'éternité est incomparablement plus aimable, puisque sa durée est sans fin, et que ses.jours sont sans-nuit', et ses contentements invariables!

Que puissiez-vous, ma très-chère fille, posséder cet admirable bien de la sainte éternité en un si haut degré que je vous le souhaite! Que de bonheur pour mon âme, si Dieu, lui faisant miséricorde, lui faisait voir cette douceur! Mais en attendant de voir notre Seigneur glorifié, voyons-le des yeux de là foi tout humilié dans son petit berceau. Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur, ma très-chère fille. Amen. Vive Jésus.






LETTRE CVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME Qu'lL APPELAIT SA MÈRE.

Pour le nouvel an.

'30 décembre 1606, Ma très-chère mère, nous voici maintenant, à la fin de l'année, et demain au commencement de la suivante. Faut-il pas louer Dieu de tant de grâces que nous avons reçues, et le supplier de répandre le sang de sa circoncision sur l'entrée de l'année prochaine, afin que l'ange exterminateur n'ait point d'accès en icelle sur nous ? Ainsi soit-il, ma très-chère mère, et que, par ces années passagères, nous puissions heureusement arriver à l'année permanente de la très-sainte éternité.

Employons donc bien ces petits moments périssables à nous exercer en la sacrée douceur et humilité que l'enfant circoncis, nous vient apprendre, afin que nous ayons part aux effets de son divin nom, lequel je ne cessé point d'invoquer sur votre chère âme, ma très-chère et très-bonne mère, à ce qu'il la remplisse de l'odeur de son parfum, et avec elle celles de toutes les vôtres. Je suis, toutes les années de ma vie, votre, etc.






LETTRE CVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. FRÉMIOT, PRÉSIDENT DU PARLEMENT DE BOURGOGNE.

Témoignages de son amitié.

Monsieur,

Il me semble que j'ai déjà trop mis de temps sans vous écrire pour me ramentevoir en votre bienveillance; mon âme, qui est toute vouée à la vôtre, me fait de grands reproches sur cette intermission, bien que je sais que vous ne jugerez pas de mes affections par cette sorte de témoignage, et que ce soit le moindre effet de l'infini devoir que je vous ai.

Je passerai ce carême à faire résidence en ma cathédrale, et à r'habiller un peu mon âme, qui est presque toute décousue par tant de tracas qu'elle a soufferts depuis la chère consolation que j'eus auprès de vous en votre maison à Dijon : c'est une horloge détraquée ; il faut la démonter pièce à pièce, et après l'avoir nettoyée et enhui-ïée, la remonter pour la faire sonner plus juste.

Voilà, monsieur, ce que je m'essaierai de faire; ce que je vous dis parce qu'étant si très-fort vôtre, comme je suis, vous devez savoir ce que je fais. Mon Dieu me fâsse la grâce de bien faire ce que je dois, pour vivre moins indigne des miséricordes avec lesquelles ilsupporte mes misères! Je suis, sans fin, monsieur, votre, etc.


LETTRE CVIII, A MADAME DE CHANTAL.

Il "approuve qu'elle remette à la Providence la sortie du monde qu'elle méditait ; il lui donne à ce sujet divers conseils, et approuve plusieurs pratiques qu'elle observait.

Annecy, 11 février 1607.

1. (...)

Mon Dieu ! que vous faites bien, ma très-chère fille, de mettre votre désir de sortir du monde en dépôt ès-mains de la Providence céleste, afin qu'il n'occupe point votre âme inutilement, comme il ferait indubitablement, qu'il le laisserait ménager et remuer à sa fantaisie. J'y penserai bien fort, et présenterai plusieurs messes pour obtenir la clarté du Saint-Esprit pour m'en bien résoudre ; car, voyez-vous, ma chère fille, c'est un maître coup que celui-là, et qui doit être pesé au poids du sanctuaire. Prions Dieu ; supplions sa volonté qu'elle se fasse connaitre ; disposons la nôtre à ne rien vouloir que par la sienne et pour la sienne, et demeurons en repos, sans empressement ni agitation de coeur. A notre première vue, Dieu nous sera miséricordieux, s'il lui plaît.

2. (...)

3. Or sus, croyez-moi, je vous prie : j'ai pensé, il y a plus de trois mois, à vous écrire que ce carême nous ferions bien de faire une défaite de la vanité de vos habits; faisons-la donc, puisque Dieu vous l'inspire ainsi : vous ne laisserez pas d'être assez brave sans cela aux yeux de votre époux et de votre abbesse. Il faut, à l'exemple de notre S. Bernard, être bien nets et bien propres, mais non pas curieux ni mixtes : la vraie simplicité est toujours bonne et agréable à Dieu.

Je vois que toutes les saisons de l'année se rencontrent en votre âme; que tantôt vous sentez l'hiver de maintes stérilités, distractions, dégoûtements et ennuis ; tantôt des rosées du mois de mai, avec l'odeur des saintes fleurettes ; tantôt des chaleurs du désir de plaire à notre bon Dieu; il ne reste que l'automne, duquel, comme vous dites, vous ne voyez pas beaucoup de fruits : mais il arrive bien souvent qu'en battant les blés et pressant les raisins, on trouve plus de biens que les moissons et vendanges n'en promettaient pas.

Vous voudriez bien que tout fût en printemps et été ; mais non, ma chère fille, il faut de la vicissitude en l'intérieur aussi bien qu'en l'extérieur. Ce sera au ciel où tout sera printemps quant à la beauté, tout en automne quant à la jouissance, tout en été quant à l'amour ; il n'y aura nul hiver : mais ici l'hiver y est requis pour l'exercice de l'abnégation, et de mille petites belles vertus qui s'exercent au temps de la stérilité. Allons toujours notre petit pas ; pourvu que nous ayons l'affection bonne et résolue, nous ne pouvons que bien aller.

4. Non, ma chère fille, il n'est pas besoin, pour l'exercice des vertus, de se tenir toujours actuellement attentive à toutes ; cela, de vrai, entortillerait et entreficherait trop vos pensées et affections. L'humilité et la charité sont les maîtresses cordes, toutes les autres y sont attachées : il faut seulement se bien maintenir en ces deux-là ; l'une est la plus basse, l'autre la plus haute. La conservation de tout l'édifice dépend du fondement et du toit. Tenant le coeur bandé à l'exercice de celles-ci, à la rencontre des autres on n'a pas grande difficulté. Ce sont les mères aux vertus, elles les suivent comme les petits poussins font leurs mères poules.

5. Oh ! vraiment j'approuve fort que vous soyez maîtresse d'école : Dieu vous en saura bon gré, car il aime les petits enfants ; et, comme je disais l'autre jour au catéchisme, pour inciter nos dames à prendre soin des filles, les anges des petits enfants aiment d'un particulier amour ceux qui les élèvent en la crainte de Dieu, et qui instillent en leurs tendres âmes la sainte dévotion, comme, au contraire, notre Seigneur menace ceux qui les scandalisent de la vengeance de leurs anges (cf. Mt 18,6-10).

Voilà donc qui va bien. Je loue Dieu que vous vouliez accorder vos procès. Depuis que je suis de retour de la visite, j'ai tant été pressé et empressé à faire des appointements, que mon logis était tout plein de plaideurs qui, par la grâce de Dieu, pour la plupart, s'en retournaient en paix et repos. Cependant je confesse que cela me dissipait mon temps ; mais il n'y a remède, il faut céder à la nécessité du prochain.

Que je suis consolé de la gnérison de ce bon personnage atteint ci-devant d'amour indiscret, ou fausses amitiés ! Ce sont des maladies qui sont comme des fièvres légères : elles laissent après elles une grande santé.

Je m'en vais parler à notre Seigneur, de nos affaires en son autel ; après cela j'écrirai le resté.

6. Non, vous ne contrevenez pas à l'obéissance, n'élevant pas si souvent votre coeur à Dieu, et ne pratiquant pas si à souhait les avis que je vous ai donnés. Ce sont avis bons et propres pour vous, mais non point commandements. Quand on commande, on use des termes qui se font bien entendre. Savez-vous ce que les avis requièrent ? Ils requièrent qu'on ne les méprise pas, et qu'on les aime ; cela est bien assez : mais ils n'obligent pas aucunement.

Courage, ma soeur, ma fille ; échauffez bien votre coeur ce saint carême. (...)

7. (...)
8. (...)

Vivez joyeuse et courageuse, ma chère fille. Il n'en faut point douter, Jésus-Christ est nôtre. Oui, ce m'a tantôt répondu une petite fille, il est plus mien que je ne suis sienne, et plus que je ne suis pas mienne à moi-même.

Je m'en vais un petit le prendre entre mes bras, le doux Jésus, pour le porter en la procès: sion de la confrérie du cordon (1), et je lui dirai le Nunc dimittis avec Siméon ; comme de vrai, pourvu qu'il soit avec moi, je ne me soucie point en quel monde j'aille. Je lui parlerai de votre coeur, et, croyez, de tout le mien je le supplierai qu'il vous rende sa chère, sa bien-aimée servante. Ah! mon Dieu, que je suis redevable à ce Sauveur, qui nous aime tant ! que je voudrais bien pour une fois le serrer et coller sur ma poitrine !

Adieu, ma fille : qu'à jamais Jésus soit en nos coeurs ! qu'il vive et règne éternellement ! que toujours son saint nom soit béni, et celui de sa glorieuse mère ! Amen. Vive Jésus, et que le monde meure s'il ne veut vivre à Jésus.

(1) Septuagésime et second dimanche du mois.



LETTRE CIX, A M DE SAUZÉA, OFFICIAL DE L'ÉVÊCHÉ DE GENÈVE, DE SAXE-RHONE A SEYS5EL.

381
(Communiquée par M. le comte de Sobiratz.)

Il lui annonce un jubilé de deux mois entiers pour Thonon.



Annecy, 12 mars 1607. Monsieur,

Je vous renvoie les patentes signées; mais, pour l'honneur de Dieu, si c'est M. de Pinché, qu'il n'aille pas sur les galoches et frisures, ni galantant comme il a fait jadis.

Pour le voyage du Puits-d'Orbe, je vais méditant comment et quand ; et, pour le faire plus à propos, je ne ferois pas difficulté de le différer de quelques mois. Le père Chérubin nous apporte un jubilé pour Thonon, de deux mois entiers ; voilà un autre encombrier. Croyez que j'en suis bien en peine, desiderium habens dissolvi et esse cum illis, manere autem propter alia (cf.
Ph 1,23-24); mais, comme que ce soit, je remuerai tant de pierres, que je trouverai quelque onnesime (cf. Phm 1,10-18); un peu plus tôt, un peu plus tard, il n'importe.

Si vous écrirai de cela, faites, je vous prie, une lettre à madame Gragnette, l'animant toujours à ce dessein, et de se joindre fort à son abbesse en coeur et esprit, avec le support qui sera nécessaire.

Si je ne vous réponds pas si exactement aux lettres que vous m'envoyez, accusez-en ma mauvaise coutume, qui est de ne point mettre la main à la plume que sur le départ des messagers, dont il arrive que souvent en ce point-là je suis embarrassé d'autres occupations.

Je me réjouis du bien que vous faites à ceux de Seyssel : Et bene patientes erunt ut annuntient (Ps 92,15).

j'ai reçu les lettres de madame de Chantal, que vous m'ayez envoyées, en échange desquelles je vous envoie les ci-jointes. Conservez-moi en votre souvenance, particulièrement quand vous êtes à l'autel ; et je suis, monsieur, votre confrère plus humble, etc.



LETTRE CX, A MADAME de CHANTAL.

383
(Communiquée par M. l'abbé Grisel, vicaire de St-Germain-I'Auxcrrois.)

Il l'avertit, dans ce fragment, de ne point s'engager dans des embarras qui empêchent un voyage qu'elle devait faire à Annecy.

5 avril 1607.

Cette incertitude me serait ennuyeuse, si Dieu ne voulait que j'y fusse: je vous écrirai au plus tôt la résolution.

Je pense aussi que vous vous tiendrez déliée, afin que, si Dieu le veut, vous puissiez venir au temps que nous avons marqué ; si moins, au temps que nous marquerons.

Je vous écris par Dijon une autre lettre tout maintenant, afin que si l'une vous arrive tard, l'autre puisse suppléer à l'attente. A Dieu, ma chère fille, à laquelle je souhaite tant de bien, à laquelle Dieu m'a si uniquement donné. Le doux Jésus soit toujours le coeur de nos coeurs, et qu'à jamais son saint nom soit béni ! Je suis votre serviteur.



LETTRE CXI, A MADAME DE CHANTAL

384
Il lui parle des fruits de ses prédications du carême à Annecy, en 1607.


Annecy, vers le 8 avril 1607. (éd. Annecy: 5 avril 1607)

Voyez-vous, ma chère fille, vous savez bien que le carême, c'est la moisson des âmes. Je n'avais encore point fait de carême en cette chère ville, que celui-ci depuis que je suis évêque, hormis le premier, auquel on me regardait pour voir ce que je ferais ; et j'avais assez à faire à prendre contenance, et pourvoir au général des affaires du diocèse qui m'était tombé sur les bras tout fraîchement. Maintenant sachez que je moissonne un peu avec des larmes partie de joie et partie d'amour. O mon Dieu! à qui dirais-je ces choses, sinon à ma chère fille.

Je viens de trouver dans nos sacrés filets un poisson que j'avais tant désiré il y a quatre ans (cf.
340 . Il faut que je confesse la vérité, j'en ai été bien aise, je dis extrêmement. Je la recommande à vos prières, afin que notre Seigneur établisse en son coeur les résolutions qu'il y a mises. C'est une dame, mais toute d'or, et infiniment propre à servir son Sauveur : que si elle continue, elle le fera avec fruit (1).

Il y a sept ou huit jours que je n'ai point pensé à moi-même, et ne me suis vu que superficiellement; d'autant que tant d'âmes se sont adressées à moi, afin que je les visse et servisse, que je n'ai eu nul loisir de penser à la mienne. Il est vrai que, pour vous consoler, il faut que je vous dise que je la sens encore toute dedans mon coeur, dont je loue Dieu ; car c'est la vérité que cette sorte d'occupation m'est infiniment profitable. Que puisse-t-elle être bien utile à ceux pour qui je la prends!

Vivez, ma chère fille, avec notre doux Sauveur, entre ses bras en ce saint temps de passion (2) : qu'à jamais puisse-t-il reposer entre vos mamelles, comme un sacré faisceau de myrrhe (Cf. Ct 1,12): ce vous sera un épithème souverain pour tous vos trémoussements de coeur. Oh! ce matin (car il faut encore dire ceci), présentant le Fils au Père, je lui disais en mon aine : Je vous offre votre coeur, ô Père éternel ! veuillez en sa faveur recevoir encore les nôtres. Je nommais le vôtre et celui de cette jeune servante de Dieu de qui je vous par-lois, et plusieurs autres. Je né savais lequel pousser plus avant, ou le nouveau par sa nécessité, ou le vôtre pour mon affection. Regardez quelle conteste !

Or sus, demeurez toujours en paix entre les bras du Sauveur, qui vous aime si chèrement, et duquel le seul amour nous doit servir de rendez-vous général pour toutes nos consolations. Ce saint amour, ma fille, sur lequel le nôtre est fondé, enraciné, crû, nourri ; sera éternellement parfait et perdurable. Je suis celui que Dieu vous a donné irrévocablement.


(1) Il s'agit de la conversion d'une jeune dame protestante à la religion catholique.
(2) En 1607 le dimanche de la passion était le 1er d'avril.




F. de Sales, Lettres 351