F. de Sales, Lettres 1792


LETTRE CCCCLXXVII.

LA COMTESSE DE DALET A LA MERE DE CHASTEL,

SUPERIEURE DU MONASTERE DE LA VISITATION, A GRENOBLE.

(Tirée de la vie de la mère Prechonet, par la mère de Changi.)

Elle se plaint de la dureté de sa mère pour elle, parce qu'elle avait fait voeu de fonder un monastère de la Visitation.

Avant le 23 avril 1621.

Oui, ma très-chère mère, il est vrai que j'ai eu l'honneur d'être battue et flagellée pour ma bien-aimée vocation ; mais, certes, de tous les outrages que notre Seigneur permit m'être faits par celle à qui je dois le plus au monde, et pour laquelle aussi j'avais plus de respect, nul n'a été égal à la honte de m'avoir chassée de ma propre maison à coups de pierres et de poings sur ma personne et sur mes pauvres petits enfants. Si votre charité n'a jamais vu de ces gueuses qui ont des enfants à leur cou et en leurs bras, j'étais en cet équipage : mais, ma très-chère mère, ô que nous avons un Dieu plein de miséricorde ! Il permit bien en ce rencontre que mes sens fissent quelque révolte à cause de mes pauvres petits enfants ; néanmoins mon âme était en une si grande tranquillité, paix et joie, que, n'osant chanter extérieurement à cause de la bienséance, je chantais mentalement plusieurs versets des psaumes de David, que Dieu me mettait au coeur, et je faisais des actions de grâce très-ardentes à la divine bonté de m'avoir donné de si belles occasions de lui témoigner mon amour ; et je ne me souviens pas d'avoir jamais eu des sentiments pareils.

Une pauvre paysanne me reçut, lorsque ma mère m'eut ainsi chassée, et me prêta deux de ses couvre-chefs, dont je fis des coiffes de nuit pour moi et pour mes pauvres enfants. Elle me quitta son lit où je couchai mes quatre petits; et quant à moi, j'avais tant de choses à dire à mon Dieu, que je ne me couchai point cette nuit-là.




LETTRE CCCGLXXVIII, A LA MÈRE FAVRE (DE CHASTEL), A GRENOBLE (MONTFERRAND).

1788
Cette lettre est relative au différend qui s'était élevé entre la comtesse de Dalet et sa mère, au sujet de l'entrée en religion de la première, et de quelques discussions d'intérêt entre la mère, qui était peu riche, et la fille, qui l'était beaucoup.


25 avril 1621.

1. En somme, ma très-chère fille, il est vrai, ainsi que je vous l'ai souvent dit, que la discrétion est une vertu sans laquelle, au rapport de S. Antoine, nulle vertu n'est vertu, non pas même la dévotion, si toutefois la dévotion véritable peut être sans une véritable discrétion.

Cette bonne dame, des belles et rares qualités de laquelle vous m'avez la première rendu amateur, se plaint admirablement de madame sa fille, de quoi ayant trouvé un essaim d'abeilles avec leur miel, elle s'amuse trop avec elles, et mange trop de ce miel, contre l'enseignement du sage, qui a dit : As-tu trouvé du miel, manges-en discrètement (
Pr 25,16).

Elle vous aura dit toutes ces raisons en meilleurs termes que je ne saurais vous les présenter, hormis peut-être celle-là, que votre religieuse maison lui a une très-grande obligation, ainsi que vous-même, m'avez écrit. Voyez, ma très-chère fille, de contribuer au contentement de cette mère ce que vous pourrez auprès de cette fille, laquelle à la vérité, est obligée de quitter, je ne dis pas un peu, mais beaucoup de ses consolations, pour spirituelles qu'elles soient, pour en laisser beaucoup à sa mère.

2. Je confesse que je ne sais comme il ne se peut faire qu'une mère de tant d'esprit, de perfection et de piété, et une fille de grande vertu et dévotion, ne demeurent tout-à-fait unies en ce grand Dieu, qui est le Dieu d'union et de conjonction (cf. 1Co 14,33): mais je sais bien pourtant que cela se fait, et que même les anges, sans cesser d'être anges, ont de contraires volontés sur un même sujet (cf. ), sans pour cela être en division ni dissension, parce qu'ils sont parfaitement amoureux de la volonté de Dieu, laquelle, soudain qu'elle paraît, est embrassée et adorée de tous. Ah! mon Dieu, n'y a-t-il pas moyen que l'on aide ces deux dames à la connaitre, cette sainte volonté ? car je suis assuré qu'elle les rangerait toutes deux à son obéissance.

3. Cette bonne dame qui est mère me parle d'un voeu de chasteté fait par sa fille, et dit que c'est précipitamment. A cela je ne touche point ; car il y va bien des considérations pour juger qu'un voeu de chasteté puisse ou doive être dispensé ou dispensable, puisqu'il n'y a point d'estime comparable à l'âme chaste.

Mais elle parle, cette mère, d'autre chose, qui est qu'elle aimerait mieux que sa fille fût religieuse tout-à-fait, puisqu'en ce cas-là on ne la lui demandera plus pour caution, et que l'administration des biens des enfants lui sera confiée. Mais je ne sais non plus que dire sur cela, ne sachant pas quelle est la vocation du ciel, et voyant les enfants de cette bonne dame si petits : cette seule chose me touche plus que les autres.

Tout ce de quoi cette dame se plaint, c'est qu'elle dit que sa fille fait bourse à part, parmi tant de peines et travaux qu'elle voit à sa mère, sans la soulager de son assistance. Or cela, ma très-chère fille, est tout-à-fait contraire à mes sentiments. S. François ne pouvait goûter l'amas des fourmis : mais il me semble qu'une fille qui a des moyens ne doit jamais les épargner pour sa mère, je dis même pour son repos et juste contentement.

Je vous écris la tête pleine d'affaires, et entre plusieurs tintamarres. Et de plus, je vous écris à tâtons ; car je sais bien que pour bien parler en cette occasion, il faudrait ouïr bien au long les parties : mais tandis que cela ne se peut, il faut parler pour la mère : il y a toujours un juste préjugé pour elle.

4. Au reste, elle ne désire de vous sinon que vous employiez votre entremise pour modérer le zèle que sa bonne fille a à ses retraites, qui est chose qui ne se peut ni doit refuser, la modération étant toujours bonne en tous les exercices, hor mis en celui de l'amour de Dieu, qu'on ne doit point aimer par mesure. Employez-vous donc bien à cette modération, à laquelle il sera bien aisé de réduire cette bonne fille, puisque sa bonne mère lui permet qu'elle aille jouir de la dévotion en paix, toutes les grandes fêtes de l'année, et, outre cela, de six semaines en six semaines trois jours, qui est beaucoup.

C'est assez ; je m'assure, ma très-chère fille, qu'après avoir invoqué le Saint-Esprit, il vous donnera de la clarté pour bien faire ou conseiller cette modération.

Je suis en notre Seigneur parfaitement vôtre. Je le supplie de régner toujours en votre âme, en votre chère congrégation, et qu'il vous inspire toutes de prier souvent pour moi. Amen.




LETTRE CCCCLXXIX, A MADAME LA COMTESSE DE DALET.

1789
Le Saint l'exhorte à secourir sa mère ; en même temps lui inculque que l'amour des parents exige beaucoup des enfants. Dieu souffre qu'on les aime avec lui, pourvu que ce soit pour lui.


Annecy, le 25 avril 1621.

Madame,

1. je serais bien en peine de vous écrire sur le sujet qui m'y convie, si je n'étais autorisé de madame votre mère : car à quel propos oserais-je mettre la main aux affaires qui se passent entre vous deux, et vous parler de votre conscience, moi qui sais que vous êtes l'unique digne fille d'une si digne mère, pleine d'esprit, de prudence et de piété? Mais puisqu'il le faut, sous cette si favorable condition, je vous dirai donc, madame, que madame votre mère m'écrit tout ce qu'elle vous a dit et fait dire par plusieurs excellents personnages, en comparaison desquels je ne suis rien, pour vous ranger au désir qu'elle a que vous ne l'abandonniez de votre assistance filiale en cette grande presse d'affaires temporelles en laquelle les occurrences que vous savez ont poussé sa maison, qu'elle ne peut supporter de voir tomber sous le faix, et surtout faute de votre secours, qu'elle tient y être seul et uniquement nécessaire.

Elle propose trois partis pour cela : ou que vous vous retiriez tout-à-fait en religion, afin que les créanciers ne vous désirent plus pour caution, et que la disposition des biens de vos enfants lui soit libre ; ou que vous vous remariiez avec les avantages qui vous sont offerts ; ou que vous demeuriez avec elle avec une seule bourse. Elle met dans sa lettre vos excuses pour les deux premiers partis; car elle dit que vous avez voué à Dieu votre chasteté, et que vous avez quatre bien petits enfants, desquels deux sont des filles : mais pour le troisième je ne vois rien dans sa lettre.

2. Quant au premier, je ne suis pas pour interposer mon jugement, si le voeu que vous avez fait vous oblige à ne point désirer dispense, bien qu'elle allègue une grande précipitation qui peut prévenir la juste considération; car véritablement la pureté de la chasteté est de si haut prix, que quiconque l'a vouée est très-heureux de la garder, et n'y a rien à préférer que la nécessité de la charité publique.

Quant au second, je ne sais si vous vous pourriez légitimement décharger du soin que Dieu vous a imposé de vos enfants en vous rendant leur mère, et eux étant si petits.

3. Mais pour le troisième, madame, je vous dis que votre bourse doit être commune à madame votre mère en cas de si grande nécessité. O Dieu ! c'est la moindre communication qu'on doive aux pères et aux mères. Je cuide bien entrevoir quelque raison pour laquelle il semble qu'une telle fille chargée d'enfants puisse garder sa bourse; mais je ne sais pas si vous l'avez ; et si, je pense qu'il faut que cette raison soit grande et grosse, pour la faire voir et considérer tout-à-fait. Entre les ennemis, l'extrême nécessité rend toutes choses communes ; mais entre les amis, et de tels amis comme sont les filles et les mères, il ne faut pas attendre l'extrême nécessité, car le commandement de Dieu nous presse trop (
Ex 20,12 Dt 5,16 Ep 6,2). Il faut en ce cas relever le coeur et les yeux en la providence de Dieu, qui rend abondamment tout ce que l'on donne sur sa sainte ordonnance.

Je dis trop, madame ; car je n'avais rien à dire sur cela, que de renvoyer votre chère conscience, pour ce regard, à ceux auxquels vous vous en confiez.

Au reste, pour vos exercices spirituels, madame votre mère se contente que vous les fassiez à votre accoutumée, hormis pour vos retraites à Sainte-Marie, qu'elle désire d'être limitées aux grosses fêtes de l'année, et cela à trois jours sur chaque quarantaine. Vous pouvez aussi vous en contenter, et suppléer par des retraites spirituelles dans votre maison, la longueur de celles que vous pouvez faire en celle de Sainte-Marie.

4. O mon Dieu ! ma chère dame, qu'il faut faire de choses pour les pères et mères ! et comme il faut supporter amoureusement l'excès, le zèle et l'ardeur, à peu que je dise encore l'importunité de leur amour ! Ces mères, elles sont admirables tout-à-fait : elles voudraient, je pense, porter toujours leurs enfants, surtout l'unique, entre leurs mamelles. Elles ont souvent de la jalousie ; si on s'amuse un peu hors de leur présence, il leur est avis qu'on ne les aime jamais assez, et que l'amour qu'on leur doit ne peut être sans mesure que par le démesurément. Quel remède à cela? Il faut avoir patience, et faire au plus près que l'on peut tout ce qui est requis pour y correspondre. Dieu ne requiert que certains jours, que certaines heures, et sa présence veut bien que nous soyons encore présents à nos pères et à nos mères : mais ceux-ci sont plus passionnés ; ils veulent bien plus de jours, plus d'heures, et une présence non divisée. Hé! Dieu est si bon que, condescendant à cela, il estime les accommodements de notre volonté à celle de nos mères, comme faits pour la sienne, pourvu que nous ayons son bon plaisir pour fin principale de nos actions.

Or sus, vous avez là Moïse et les prophètes (cf. Lc 16,29), c'est-à-dire tant d'excellents serviteurs de Dieu : écoutez-les. Et moi, j'ai tort de vous entretenir si longuement, mais j'ai un peu de complaisance de parler avec une âme pure et chaste, et de laquelle il n'y a aucune sorte de plainte que pour l'excès de dévotion ; rare et si rare et si aimable, que je ne puis n'aimer pas et n'honorer pas celle qui en est accusée, et n'être pas à jamais, madame, votre, etc:




LETTRE CCCCLXXX. LA MÈRE DE CHASTEL, A S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée de la vie de la mère de Chastel, par la mère de Changi.)

La mère de Chastel, jugeant que ses infirmités habituelles ne lui permettaient pas de s'acquitter de sa charge de supérieure, demande au Saint sa déposition.



Vers le mois de mai 1621.

Monseigneur, l'infirmité dont je suis accablée m'abat de telle sorte,, que j'en viens quelquefois jusque dans l'ennui et le dégoût de ma vie. Dieu, m'ayant donné une si grande aversion naturelle pour les charges, me fait assez connaitre par ce châtiment qu'il ne me les a point destinées. Je ne crois plus pouvoir en conscience tenir une place que je ne mérite pas. C'est faire une injustice à mes soeurs, qui sont les épouses de Jésus-Christ, de leur laisser plias long-temps une supérieure incapable de les servir, à cause de ses infirmités, aussi bien que de les instruire, et incligne de les gouverner par son défaut de conduite. Ce reproche me ronge continuellement le coeur; et ce ver s'attachant immédiatement a cette première et maîtresse partie, tout le reste de mon corps se rend à la douleur, et demeure sans force et sans courage, etc.




LETTRE CCCCLXXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE DE CHASTEL.

(Tirée de la vie de la mère de Chastel, par la mère de Changi.)

Réponse à la lettre précédente.

Vers le mois de mai 1621.

Je le crois bien, ma très-chère fille, que ce serait votre avis que nous voulussions vous ôter la charge et qualité de mère, mais ce n'est nullement le nôtre:

Hélas ! ma chère fille, croyez-vous que Notre-Dame fut moins la mère de notre Sauveur lorsqu'elle parut outrée de douleur, et qu'étant accablée d'ennuis, et toute submergée d'affliction elle respirait cette parole, Oui, mon fils, parce qu'il vous plaît ainsi (Mt 11,26), que lorsque, d'un accent magnifique et d'un coeur tressaillant de joie, elle chanta le céleste cantique de son Magnificat? Ne craignez point de mal édifier nos soeurs. Dieu y pourvoira. Votre coeur est naïf, rond et sincère ; votre chemin est bon, et je n'y trouve rien à redire, sinon que vous considérez trop scrupuleusement vos pas par la crainte de tomber. De quoi vous mettez-vous tant en peine ? Dieu est si bon! ne vous empressez point tant pour lui, car il en reprit Marthe ; ne veuillez point être si parfaite.

S. Paul vous avertit qu'il ne faut pas être plus sage qu'il ne faut (Rm 12). N'examinez point tant votre âme de ses progrès ; il vous est utile d'ignorer vos grâces et les richesses que vous avez acquises devant Dieu : soulagez votre pauvre coeur, que je chéris paternellement devant Dieu, et Dieu veut que j'aie de la consolation à le dire. Demeurez donc paisible, ma très-chère fille; soyez mère, et bonne mère, tout autant que Dieu vous l'ordonnera.




LETTRE CCCCLXXXII, A MADAME LA COMTESSE DE DALET.

1801
Le voeu de chasteté doit être gardé, au préjudice même de la conservation de sa postérité. Quelle sorte d'assistance les enfants qui sont mariés et qui ont famille doivent à leurs parents. La retraite est nécessaire aux personnes dévotes pour conserver leur pureté, et elle contribue à leur union avec les personnes du monde qui ne s'accommodent pas volontiers des exercices de la vie dévote.


Annecy, 11 mai 1621.

Madame,

1. c'est en la présence de Dieu que je vous dois particulièrement écrire cette lettre, puisque c'est pour vous dire ce que vous devez faire pour sa plus grande gloire es choses que vous m'avez marquées. Après donc avoir invoqué son Saint-Esprit, je vous dis que je ne vois nulle juste occasion en tout ce que vous me dites, et que madame votre mère me dit, pour laquelle vous deviez violer le voeu que vous avez fait de votre chasteté à Dieu : car la conservation des maisons n'est pas considérable, sinon pour les princes, quand leur postérité est requise pour le bien public; et si vous étiez princesse, ou celui qui vous souhaite prince, on vous devrait dire : Contentez-vous de la postérité que vous avez; et à lui : Faites de la postérité d'une autre princesse. En somme, le Saint-Esprit a fait redire clairement qu'il n'y a rien d'estimable en comparaison d'une âme continente (
Si 26,20). Demeurez donc là, puisque Dieu vous a inspiré de le vouloir, et vous donne la grâce de le pouvoir. Ce grand Dieu bénira votre voeu, votre âme et votre corps, consacrés à son nom.

2. Il est tout vrai que vous n'êtes nullement obligée par droit de justice d'assister de vos moyens la maison de monsieur votre père, puisque vos moyens et ceux de vos enfants, par l'ordre établi en la république, sont séparés et indépendants de la maison de monsieur votre père, et qu'il n'est point en nécessité effective ; et d'autant plus qu'en effet vous n'avez rien reçu de votre dot, promise seulement, et non payée.

(3). Au contraire; s'il est véritable que vous ruineriez vos enfants et ce qui est à eux, et que vous vous ruineriez vous-même, si vous vous chargiez des affaires de votre maison paternelle, sans pour cela l'empêcher de se ruiner, vous êtes obligée, du moins par charité, de ne le faire pas ; car à quel propos ruiner une maison pour en laisser encore ruiner une autre, et donner des remèdes contre un mal irrémédiable, aux dépens de vos enfants? Si donc vous savez que votre secours sera inutile au soulagement de monsieur votre père, vous êtes obligée de ne l'y point employer au préjudice des affaires de vos enfants.

(4). Mais, madame, si vous pouvez l'aider sans endommager vos enfants, comme il semble apparemment que vous le puissiez faire, puisque vous êtes unique ; et que tout ce que vous pourrez empêcher d'être vendu demeurera enfin à vos enfants, monsieur votre père et madame votre mère ne pouvant avoir d'autres héritiers, il m'est avis que vous le devez faire, car ce ne serait qu'abandonner vos moyens d'une main, et les reprendre de l'autre.

(5). Et quand même vous incommoderiez vos affaires pour contenter madame votre mère, pourvu que ce ne fût pas avec trop de perte de vos enfants, encore me semblerait-il que vous le devriez faire, par le respect et l'amour que vous êtes obligée de lui porter.

3. (6). Et quant au reste, je pense qu'il serait plus à propos, pour votre repos et par la suite de l'élection que vous avez faite d'une perpétuelle pureté, que vous demeurassiez à part en votre petit train, à là charge que vous vissiez souvent madame votre mère, laquelle, si j'entends bien sa lettre, ne serait point marrie que même vous fussiez religieuse, pourvu que vous lui communiquassiez vos moyens pour la retenir en possession des biens de la maison.

Et véritablement, ne vous voulant point ranger à un second mariage, ni ne pouvant pas seconder le courage que je vois en cette dame à tenir grand train et portes ouvertes à toutes sortes d'honnêtes conversations, je ne vois comme ce ne serait pas plus à propos que vous demeurassiez à part, n'y ayant rien d'égal à la séparation des séjours pour conserver l'union des coeurs entre ceux qui sont de contraires, quoique bonnes, humeurs et prétentions.

4. Voilà mon opinion, madame, sur la connaissance que j'ai de l'état de vos affaires. Oh! s'il eût plu à Dieu que je vous eusse vue à Lyon, que de consolation pour moi, et combien plus certainement et plus clairement j'eusse pu vous expliquer mon sentiment! Mais puisque cela n'a pas été, je m'attendrai à recevoir vos répliques, s'il vous semble que j'ai manqué à comprendre le fait que vous m'avez proposé, et je m'essaierai à en réparer les manquements. Et je vous supplie, madame, de ne point vous mettre en aucune considération qui vous puisse ôter la liberté de m'écrire, puisque je suis et serai désormais tout-à-fait et sans réserve votre très-humble et très-affectionné serviteur, qui vous souhaite le comble des grâces de notre Seigneur, et surtout un progrès continuel en la très-sainte douceur de charité, et la sacrée humilité de la très-aimable simplicité chrétienne, ne me pouvant empêcher de vous dire que j'ai trouvé parfaitement douce la parole que vous mettez en votre lettre, disant que votre maison est des communes, et rien plus : car cela est chérissable en un âge où les enfants du siècle font de si gros brouas de leurs maisons, de leurs noms et de leurs extractions. Vivez toujours ainsi, ma très-chère fille, et ne vous glorifiez qu'en la croix de notre, Seigneur (Ga 6,14), par laquelle le monde vous est crucifié, et vous au monde. Amen. Je me dis derechef de tout mon coeur, madame, votre, etc.



LETTRE CCCCLXXXIII, A MADAME LA COMTESSE DE DALET.

En quelle nécessité doit être une famille pour empêcher une personne de prendre le parti du cloître. La tentation est dangereuse dans ces circonstances.


Après le 11 mai 1621.

Ma très-chère fille, je vous dirai franchement que quant à l'obligation de votre conscience, je ne varie nullement et persévère à ce que je vous ai dit il y a longtemps, et qui est en un mot, que si la nécessité de la personne de ce bon seigneur est telle que vous soyez requise en présence pour la secourir, vous devez arrêter. Si ce n'est que la nécessité du meilleur état des biens, vous n'y êtes pas voirement obligée ; mais pourtant, si cette nécessité était extrême et grande, et qu'elle ne pût être remédiée que par vous, c'est-à-dire, que-vous ne puissiez suppléer par autrui aux affaires ; vous pourriez librement arrêter le temps requis à cela, que je remets à votre discrétion et prudence, ne pouvant dissimuler avec vous qu'en cette occasion je ne voie quelque sorte de tentation.

Car, sans doute, si vous vous fussiez remariée à quelque chevalier du fond de Gascogne ou de Bretagne, vous eussiez tout abandonné, et on n'eût rien dit : maintenant que vous n'avez pas fait à beaucoup près un si grand abandonnement, et que vous avez réservé assez de liberté pour avoir un soin modéré de votre maison et de vos enfants, parce que ce peu de retraite que vous avez fait est pour Dieu, il se trouve des gens qui tâchent de le faire estimer mauvais et contre le devoir.

Ce que je ne dis pas pour ce bon chevalier qui vous souhaite auprès de soi, car vraiment il a raison de désirer le bien de votre conversation, qui ne peut que lui être agréable ; mais pour ceux qui en parlent par manière de conscience et de scrupule, qui, à mon avis, ne sont pas bien fondés en cela, bien qu'en la lettre de monsieur N. je les voie fort doctes et de grand esprit. Mais je reviens à vous dire que votre discrétion vous doit régler, selon ce que je vous en ai dit autrefois, ce que maintenant je répète.

Au demeurant, pendant votre séjour, ces bonnes filles font au mieux qu'elles peuvent, afin qu'à votre retour vous ne trouviez point de décadence en cette heureuse vie en laquelle Dieu les a mises sous votre conduite.

Je vous souhaite mille et mille bénédictions célestes pour l'avancement de votre coeur au très-saint amour du crucifix, auquel il est voué et consacré éternellement.

Je suis, comme vous savez, de toute mon âme, ma très-chère fille, tout parfaitement vôtre, en celui qui pour nous rendre siens s'est fait tout nôtre, Jésus-Christ, qui vit et règne es siècles des siècles. Amen.



LETTRE CCCCLXXXIV, AUX CONSULS ET HABITANTS DE MONTFERRAND.

1807
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Montfcrrand.)

Le Saint leur promet de laisser le plus longtemps qu'il pourra la mère Favrc dans le monastère de Sainte-Marie, nouvellement fondé dans leur ville.


Annecy, 21 mai 1621.

 Messieurs,

je réponds à votre lettre, et corresponds, autant-que je le puis, à vos désirs, vous assurant que je laisserai le plus longtemps que le service de Dieu me le permettra, ma soeur Marie-Jacqueline Favre, au monastère où par votre piété elle se trouve maintenant, et où je suis grandement consolé qu'elle emploie les grâces que la divine providence lui départira. Que si je pouvais vous dire que ce sera pour toute sa vie, je le ferais volontiers, pour contenter votre zèle et celui de tant d'âmes qui se consolent avec elle; mais vous vous imaginerez bien quelles occasions peuvent se présenter pour la retirer et destiner ailleurs, selon que la gloire de celui auquel elle est vouée le requerra. Je vous le souhaite très-uni, propice, et à toute votre honorable ville, Messieurs, je suis en lui votre très-humble, etc.



LETTRE CCCCLXXXV, A MERE DE MONTHOUX, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION DE NEVERS.

1820
La prudence humaine est fort à craindre dans les choses spirituelles ; elle est opposée à la charité, à la confiance en Dieu, à l'établissement des maisons religieuses.


Annecy, 24 juillet 1621.

1. O ma très-chère fille ! quelle pitié de considérer les effets de la providence humaine en ces âmes dont vous m'écrivez, le mien et tien régner d'autant plus puissamment es choses spirituelles qu'il semble être un mien et tien spirituel ; et cependant il était tout-à-fait, non-seulement naturel, mais charnel. O combien tout cela est éloigné de cette pure charité, qui n'a pas de jalousie ni d’émulation, et qui ne cherche ce qui lui appartient (
1Co 13,4-5) ! Ma fille, cette prudence est opposée à ce doux repos que les enfants de Dieu doivent en la providence céleste.

2. On dirait que l'érection des maisons religieuses et la vocation des âmes se fait par les artifices de la sagesse naturelle ; et je crois que, quant aux murailles et à la charpenterie, l'artifice en peut être : mais la vocation, l'union des âmes appelées, la multiplication d'icelles, ou elle est surnaturelle, ou elle ne vaut rien tout-à-fait. Nous avons trop de considérations d'état et trop de finesse mondaine en ces choses que Dieu fait par une spéciale grâce. Toujours les pauvres rejetés ont eu la bénédiction et la multiplication, comme Lia, Anne et les autres.

3. Mais, ma très-chère fille, il faut demeurer en paix, en douceur, en humilité, en dilection non feinte, sans se plaindre, sans remuer les lèvres. O si nous pouvons avoir un esprit d'une entière dépendance de soin paternel de notre Dieu en notre congrégation, nous verrons multiplier avec suavité les fleurs des autres jardins, et en bénirons Dieu, comme si c'était es nôtres. Qu'importe-t-il à une âme véritablement amante, que le céleste époux soit servi par ce moyen ou par un autre ? Qui ne cherche que le contentement du bien-aimé, il est content de tout ce qui le contente.

Croyez-moi, le bien qui est vrai bien ne craint point d'être diminué par le surcroit d'un autre vrai bien.

4. Servons bien Dieu, et ne disons point : Que mangerons-nous, que boirons-nous (Mt 6,31) ? d'où nous viendront des soeurs? C'est au maître de la maison d'avoir cette sollicitude, et à la dame de nos logis de les meubler ; et nos maisons sont à Dieu et à sa sainte mère. Dissimulez avec amour toutes ces petites tricheries humaines, ma très-chère fille. Donnez, tant que vous pourrez, l'esprit d'une véritable et très-humble générosité à nos chères soeurs que je salue de toute mon âme.
Vous êtes toujours plus ma très-chère fille tout-à-fait bien-aimée, et je suis votre, etc. -




LETTRE CCCCLXXXVI, A UNE COUSINE, MADAME DE CHAMOUSSET.

1819
Le Saint la console sur la mort de son père.


24 juillet 1621.

Mon coeur aime trop le vôtre, madame ma très-chère cousine, ma fille, pour ne voir pas et ne sentir pas sa douleur en cette récente et véritablement grande perte que nous venons tous de faire ; mais, ma très-chère fille, de mettre la main à votre coeur, et d'entreprendre de le guérir, il ne m'appartient pas, et surtout le mien étant certes des plus affligés de toute notre parenté, comme celui qui chérissait passionnément ce cher oncle, qui m'honorait réciproquement ; avec beaucoup d'affection, de sa digne et aimable bienveillance.

Je prie Dieu, ma chère cousine, qu'il vous soulage lui-même de sa sainte consolation, et qu'il vous fasse ramentevoir, en cette occasion, de toutes les résolutions qu'il vous a jamais données d'acquiescer en toutes occurrences à sa très-sainte volonté; et de l'estime que.sa divine majesté vous a*donnée de sa très-sainte Trinité, à laquelle nous devons espérer que la chère âme de celui de qui nous ressentons la séparation est arrivée : car, hélas ! ma très-chère cousine, nous n'avons de vie en ce mondé que pour aller à celle de paradis, à laquelle nous nous avançons de jour en jour, et ne savons pas quand ce sera le jour de notre arrivée.

Or sus, votre père est hors du pèlerinage plein de tant de travaux ; il est arrivé au lieu de son assurance ; et s'il ne possède pas encore là vie éternelle, il en possède la certitude, et nous contribuerons nos prières à l'acception de son bonheur perdurable. Ma très-chère cousine, je vous écris ainsi sans art, plein de désir que vous m'aimiez toujours, et que vous croyiez que je serai toute ma vie votre, etc.




LETTRE CCCCLXXXVIL, A UN COUSIN, LE BARON GASPARD DE CHEVRON-VILLETTE.

Consolations sur la mort d'un père fort âgé.

Annecy, 28 juillet 1621.

Monsieur mon cousin, ce porteur va de la part de M. de Chalcédoine et du chevalier, mes frères, comme aussi de la mienne, pour vous offrir notre service en cette occasion de la perte que vous avez faite, laquelle comme elle est extrême, aussi nous la ressentons vivement avec vous, et ne laissons pas pourtant de vous prier de soulager votre coeur de tout votre pouvoir, en considération de la grâce que Dieu vous a faite, et à tous ceux qui ont le bien de vous appartenir, vous ayant laissé la jouissance de ce bon père à longues années, ne l'ayant retiré qu'à l'âge après lequel cette vie ne pouvait plus guère durer sans beaucoup de peines et de travaux qui accompagnent ordinairement la vieillesse.

Mais vous devez encore plus vous consoler de quoi ce bon père a vécu toutes ses années dans l'honneur et la vertu, en l'estime publique, en l'affection de.sa parenté et de tous ceux qui le connaissaient, et enfin de quoi il est décédé dans le sein de l'Église et parmi les actions de la piété; de sorte que vous avez de quoi espérer qu'il vous assistera même en la vie des bienheureux.: et tandis, je vous offre, derechef mon fidèle service, et à madame la baronne de N. ma cousine, qui suis de tout mon coeur, monsieur mon cousin, votre, etc.



LETTRE CCCCLXXXVIII, A SOEUR MARIE CATHERINE LE JAY, ASPIRANTE TOURIERE DE LA VISITATION DE PARIS.

1826
Il fait l'éloge de son emploi, en montre l'importance, et conclut qu'il n'y a rien de petit au service de Dieu.

2 août 1621.

Ma très-chère fille, je suis grandement consolé de savoir que vous êtes arrêtée plus particulièrement au service de notre Seigneur, en la maison de la très-sainte mère, en une condition que j'estime de grand profit. J'ai choisi d'être abject, dit le prophète, en la maison de mon Dieu, plus que d'habiter les tabernacles des grands, qui souvent ne sont pas si pieux (
Ps 83,11).

Vous avez été heureuse d'avoir jusqu'à présent servi Dieu dans la personne d'une maîtresse de laquelle Dieu est le maître, et avec laquelle vous avez eu toutes sortes de sujets de profiter spirituellement ; mais vous êtes encore plus heureuse d'aller servir ce même Seigneur en la personne de celles qui, pour le mieux servir, ont quitté toutes choses.

C'est un grand honneur, ma chère fille, d'avoir en charge la conservation d'une maison toute composée d'épouses de notre Seigneur ; car qui garde les portes, les tours et les parloirs des monastères, il garde la paix, la tranquillité et la dévotion de la maison, et de plus peut grandement édifier ceux qui ont besoin d'aborder le monastère.

Il n'y a rien de petit au service de Dieu ; mais il m'est avis que cette charge du tour est de très-grande importance, et grandement utile à celles qui l'exercent avec humilité et considération.

Je vous remercie de la participation que vous m'avez donnée de votre contentement, et vous prie de saluer mesdames de Lamoignon., et, quand vous la verrez, madame de Villeneuve. Votre, etc.





F. de Sales, Lettres 1792