F. de Sales, Lettres 1940

LETTRE DXX, MINUTE AU CARDINAL MONTALTO.

Le Saint visite les pères feuillants.

Turin, 21 juin 16-22

Monseigneur illustrissime, j'ai reçu avec la très-humble révérence que je dois, la lettre de votre seigneurie illustrissime du vingt et unième de -mai, laquelle m'a rencontré entièrement prompt et rempli d'allégresse pour vous obéir, Mais c'est la vérité que j'ai été très-inutile aux pères feuillants ; car ils se sont comportés en leur chapitre général avec tant de piété, avec tant de paix, d'union et de tranquillité, que je n'ai eu aucune occasion de les servir, comme votre seigneurie illustrissime me le commandait, et comme je le désirais ardemment.

Ils ont promu à la charge de général un personnage si orné de lumières, d'érudition et de prudence, qu'ils ne pouvaient faire une meilleure élection (1). Il a très-bien mérité de la sainte théologie; car il a traduit beaucoup de livres de grec en latin, comme il se voit au second tome de S. Grégoire de Nysse. La traduction, française qu'il a faite eje S. Denys aréopagite, avec de très-belles annotations, est connue partout le royaume. Il écrit encore avec une merveilleuse éloquence et une singulière clarté, pour la défense de la sainte foi contre les hérétiques de ce temps.

Et pour ce, je ne doute point que cette élection ne soit très-agréable à votre seigneurie illustrissime, laquelle, pour ne point entretenir plus longtemps avec des ternies mal polis et grossiers, je supplie de me permettre que, comme elle m'a recommandé cette congrégation, je la recommande semblablement avec une profonde révérence à son affection, et à sa très-amoureuse charité. Je vous baise très-humblement les mains, et vous souhaite du ciel les félicités que souhaite pour soi-même, monseigneur illustrissime, votre très-humble, etc.

(1) C'est le père Goulu il fit imprimer en 1624 une Vie de S. François de Sales, son ami.


LETTRE DXXI, MINUTE AU CARDINAL SCIPIONE CAFFARELLI-BORGHÈSE.

1935
Le Saint fait part de sa lettre au pape Grégoire XV.

(Pinerolo) Turin, 21 juin 1622.

Monseigneur illustrissime, comme j'étais ces jours passés à Pignerol, pour assister à la célébration du chapitre général des pères feuillants, j'ai été convié par votre seigneurie illustrissime, par votre vicaire général, et encore par monseigneur le nonce, qui est en ces quartiers, d'administrer le sacrement de confirmation au peuple de ce lieu, de quoi je me suis acquitté pendant les deux jours consécutifs de dimanche qui se sont rencontrés au temps de la tenue du chapitre. J'ai conféré les ordres mineurs à plusieurs, suivant le désir que monsieur votre vicaire-général m'a témoigné que vous aviez.

Quant au chapitre général qui y a été célébré, je puis dire avec vérité que je n'ai jamais vu assemblée plus modeste, plus religieuse, ni au la paix reluisît avec plus d'éclat qu'en celle-là.

On y a fait l'élection d'un général doué d'une doctrine éminente, d'une prudence rare, et d'une singulière piété; et cette élection a été faite quasi par le concours de tous les suffrages. Je m'assure que votre seigneurie illustrissime aura pour chose fort agréable de le voir favorablement quand il se rendra à Rome l'automne prochain, parce.que c'est une personne de très-grand mérite, et quia servi et servira à l'avenir la sainte Église par ses doctes écrits; et d'ailleurs parce qu'ayant été créé général au monastère de votre seigneurie illustrissime, il se promet et attend beaucoup de votre protection.

Je remercie très-humblement votre seigneurie illustrissime de ce qu'elle a daigné me commander, et se servir de moi en cette petite occasion ; car c'est la plus grande gloire que je pouvais espérer. Je lui baise très-humblement les mains, et prie notre Seigneur qu'il répande sur elle toute sorte de sainte prospérité, selon la plénitude des désirs, monseigneur illustrissime, de votre très-humble, etc.



LETTRE DXXII, AU CARDINAL LUDOVISIO.

1938
Le Saint rend compte de sa visite aux pères Feuillants.

Turin, 21 juin 1622.

Monseigneur illustrissime, l'assurance que les pères feuillants m'ont donnée de l'amour et de la faveur que votre seigneurie illustrissime porte à leur congrégation, m'oblige de vous exposer comme, ayant plu à sa sainteté m'établir président de leur dernier chapitre général, j'ai rencontré parmi eux une concorde et une piété si rares que j'ai été touché en moi-même d'un particulier sentiment d'obligation de louer infiniment la majesté divine, qui a communiqué à des hommes mortels une si douce et aimable paix d'esprit.

Davantage, ils ont fait l'élection d'un général avec toute la maturité et le choix qu'on pouvait désirer ; car ils ont jeté les yeux sur un personnage où la rencontre d'un savoir exquis, d'une prudence non commune et d'une excellente piété, se trouve avec une très-belle harmonie.

Ses rares écrits rendent une manifeste preuve de ceci ; Dieu s'étant servi de sa plume pour apporter beaucoup d'ornement à la sainte doctrine catholique, par les très-utiles traductions qu'il a faites de quelques pères grecs, et par les très-beaux livres qu'il a composés pour la réfutation des hérésies de ce temps ; dont je ne doute point que votre seigneurie illustrissime ne reçoive un grand contentement de cette élection, et de l'heureux succès du chapitre. Je me promets encore qu'elle continuera sa faveur envers cette congrégation, de quoi je la supplie très-humblement ; et baisant très-révéremment vos sacrées mains, i je prie Dieu qu'il vous donne toute sainte prospérité. C'est l'ardent désir de celui qui est, monseigneur illustrissime, de votre éminence, le très-humble, etc..



LETTRE DXXIII, AU CARDINAL SCIPIONE COBELLUZZI, DE SAINTE-SUZANNE.

1939
Le Saint lui rend compte de sa visite aux pères Feuillants.

Turin, 21 juin 1622.

Monseigneur illustrissime, puisque je connais l'affection particulière dont le saint zélé de votre seigneurie illustrissime a toujours embrassé et procuré les intérêts et l'avancement de la congrégation des pères feuillants, il m'a semblé être de mon devoir de lui donner avis sur le succès de leur dernier chapitre général, auquel, comme sait votre seigneurie illustrissime, sa sainteté m'a donné ordre d'assister en qualité de président.

J'assure donc votre seigneurie illustrissime que toutes choses s'y sont passées avec une si étroite union d'esprit, de paix et de piété, que ces nobles qualités n'y pouvaient pas être désirées en un plus excellent degré ; de sorte que je puis dire ma présence y avoir été inutile, n'ayant eu autre exercice pendant cet emploi, sinon de goûter en moi-même la douceur et la consolation, en la vue de tant de modestie et de tant de vertu.

Le général a été élu avec un très-général consentement de tous : car de trente-cinq suffrages, les trente lui ont été donnés ; et quand son élection a été publiée, l'approbation de tous a été reconnue dans la commune allégresse qu'ils ont témoignée.

Et pour moi, je ne trouve en tout ceci qu'une chose à redire : c'est qu'il me semble que ce n'est pas un détriment de peu d'importance au public qu'un personnage d'une condition si éminente, et qui a écrit très-élégamment pour le service de l'Église, se trouve néanmoins maintenant occupé es affaires qu'apporte la charge et la supériorité qu'on lui a imposée; encore que cette charge soit sur des personnes religieuses, et qui font profession de la perfection monastique : car il me semble que lui ayant réussi d'écrire avec l'henr et la grâce qu'on remarque es traductions du grec en latin et en français qu'il a données au public, et en réfutant les hérésies de ce temps, il pouvait rendre un plus grand et plus important service à la sainte Église, en la continuation de cet emploi. Toutefois, puisque la divine providence l'a ainsi ordonné, il est à espérer qu'elle se veut servir de sa promotion au généralat, pour faire réussir par ce moyen quelque grand fruit à son ordre.et à la sainte Église catholique. Je baise les mains de votre éminence illustrissime avec une très-profonde révérence, et souhaite de Dieu en sa faveur toute sorte de sainte félicité, comme étant, monseigneur illustrissime, votre très-humble, etc.



LETTRE J)XXIV, MINUTE AU CARDINAL OTTAVIO BANDINI.

1936
Le Saint répond qu'il règne un parfait accord entre les membres de cette maison.

Turin, 21 juin 1622.

Monseigneur illustrissime, la lettre que votre seigneurie illustrissime a eu agréable de m'écrire du sixième mai m'oblige de mettre la plume à la main, pour vous assurer que le chapitre général des pères feuillants a été tenu avec tant de paix, et un si unanime consentement des esprits et des volontés de ceux qui y ont assisté, que ces braves religieux me semblaient plutôt une assemblée d'anges que d'hommes mortels.

Il n'a été vu entre eux ni discorde, ni dispute, ni la moindre contradiction, mêmement à l'élection du général, qui a été faite d'une approbation très-générale, et par le concours quasi de tous les suffrages, comme certes.il était très-convenable, puisqu'ils faisaient choix d'une personne dont le savoir est très-éminent, la probité exquise et la prudence admirable, et duquel les travaux ont été très-heureusement et utilement employés pour la propagation de la sainte foi catholique, comme ses diverses traductions de quelques anciens pères grecs, et quelques traités qu'il a écrits contre les hérésies de ce temps, le démontrent visiblement ; de sorte qu'il n'était point nécessaire que l'autorité apostolique intervint en un chapitre de telle qualité,

Et toutefois, puisque le commandement de sa sainteté l'a ainsi ordonné, j'ai assisté à tous les actes capitulaires qui ont été faits, et en rends compte à votre seigneurie illustrissime, vous suppliant de toute mon affection, que, comme vous avez toujours honoré de votre faveur cette congrégation, il vous plaise lui, continuer la même bienveillance et la même protection, afin qu'elle aille toujours persévérant et croissant, en la sainte observance de la discipline religieuse.

Je baise très-humblement les mains de votre seigneurie illustrissime, et prie Dieu qu'il vous comble de ses plus saintes félicités, selon l'étendue des désirs, monseigneur, de votre très-humble, etc.



LETTRE DXXV.

MADAME DE CHANTAL, A S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée des lettres de madame de Chantal.)

Elle demande au Saint des avis sur la difficulté qu'elle-a de faire des actes intérieurs.



Dijon, 29 juin 1622.

J'ai plusieurs choses à vous dire, mon unique père, mais je ne sais où elles sont, tant mon chétif esprit est accablé et distrait par mille tracas. Ce saint jour toutefois me récrée, où je me représente que mon unique père recevra mille caresses de ces grands et saints apôtres, qu'il aime et qu'il sert avec tant d'affection. Certes, je suis gaie, et rien ne me fâche, grâces à Dieu ; car je veux bien tout ce qui lui plait, ne sentant aucun désir en la pointe de l'esprit, que celui de l'accomplissement de la très-sainte volonté divine en toutes choses.

A ce propos, mon très-cher père, je ne sens plus cet abandonnement et cette douce confiance, et je n'en saurais faire aucun acte : il me semble-bien toutefois que ces vertus sont plus solides et plus fermes que jamais. Mon esprit en sa fine pointe est en une très-simple unité; il ne s'unit pas : car quand il veut faire des actes d'union, ce qu'il ne veut que trop souvent essayer de faire, en certaines occasions il sent de l'effort, et voit clairement qu'il ne peut pas s'unir, mais seulement demeurer uni. L'âme ne voudrait pas bouger, de là; elle n'y pense pas, et elle ne fait autre chose que former au fond d'elle-même un certain désir presque imperceptible que Dieu fasse d'elle, et de toutes les créatures, et en toutes choses, tout ce qu'il lui plaira.

Elle ne voudrait faire que cela pour l'exercice du matin, pour celui de la sainte messe, pour la préparation à la sainte communion, pour actions de grâces de tous les bienfaits de Dieu ; enfin pour toutes choses elle voudrait seulement demeurer en cette très-simple unité d'esprit avec Dieu, sans étendre sa vue ailleurs, et en elle dire quelquefois vocalement le Pater, pour tout le monde, et pour les particuliers, et pour soi-même, sans divertir toutefois sa vue, ni regarder pourquoi ni pour qui elle prie. Souvent, selon les occasions et la nécessité, ou l'affection, qui vient sans être cherchée, l'âme s'écoule en cette unité : pour ce sujet, j'ai bien la vue que cela suffit pour tout; néanmoins, mon unique père, fort souvent il me vient des craintes : je me force à faire des actions d'union, d'adoration, l'exercice du matin, de la sainte messe, de l’action de grâce, ce ce qui me fait grand'peine. "

Que si je fais mal en cela, dites-le moi, s'il vous plaît, et si cette simple unité suffit et peut satisfaire à Dieu pour tous ses actes que je viens de dire, auxquels nous sommes obligés, dites-moi aussi si durant les sécheresses elle suffira quand l'âme n'en a ni la vue ni le sentiment, sinon presqu'en l'extrémité de sa fine pointe. Je ne désire pas que vous me fassiez une longue réponse sur ce sujet ; car en douze paroles vous pouvez me dire tout ; répétant ma demande, si vous l'approuvez, et m'assurant que cette simple unité suffit pour toutes sortes de choses, sans plus souffrir ni recevoir de craintes ni de divertissement en cela. Enfin dites-moi ce qu'il vous plaira, et cependant, avec l'aide de Dieu, je me rendrai plus fidèle à ne point faire d'acte, croyant que c'est le meilleur, et que cela suffit en attendant ce que vous me direz.

Mon unique père, certes je ne sais comme je vous ai dit tout ceci, car je n'en avais nulle pensée quand j'ai pris le papier ; j'en suis toutefois bien aise. Il faut encore dire tout ceci, c'est que cette unité n'empêche pas que tout le reste de l'âme ne ressente quelquefois une inclination et un penchant du côté du retour vers vous : je ne sens d'inclination et d'affection qu'à cela ; je ne m'y amuse nullement, et n'en ai aucune inquiétude, grâces à Dieu, à cause de cette unité en la pointe de l'esprit. Mais quand par manière d'élection, l'incomparable bonheur de me revoir à vos pieds et de recevoir votre sainte bénédiction se passe dans mon esprit, incontinent je m'attendris jusqu'aux larmes, et il me semble que je fondrai en pleurs quand Dieu me fera cette miséricorde ; mais tout aussitôt je me divertis, et il m'est impossible de rien souhaiter pour cela, laissant purement à Dieu et à vous la disposition de tout ce qui me regarde.

Je sens aussi de l'inclination, delà tendresse, et de la compassion pour nos pauvres soeurs, qui attendent si long-temps leur chétive mère qu'elles aiment tant.



Je ne saurais m'imaginer, mon unique père, que j'aie besoin de me justifier auprès de vous au sujet de l'affaire de N., car je sens que vous êtes très-assuré, que je ne vous cèle jamais ni mal ni bien de tout ce que je fais, étant incomparablement votre très-humble, etc.




LETTRE DXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA -MERE DE BALLON.

(Tirée de la vie de la mère de Ballon, par le père de Crossy.)

La mère de Ballon étant sur le point de quitter son abbaye pour commencer une réforme à Rumilly, fut tentée de rester dans son monastère. En conséquence elle écrivit au Saint ses raisons, et se persuadait qu'il ne les désapprouverait pas. Voici la réponse que lui fit le Saint.


10 août 1622.

Ma chère fille, si j'avais comme vous à espérer une réforme, je ne pourrais voir assez tôt l'heure que j'y fusse. Puis donc que vous avez l'obédience de vos supérieurs, vous n'avez pas de quoi apporter du retardement à son exécution. Ainsi, partez au plus tôt pour Rumilly, et saluez bien de ma part, à votre arrivée, mes chères filles qui y sont déjà.



LETTRE DXXVII, A MADAME DE CERISIER, ABBESSE DE SAINTE-CATHERINE.

1950
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Meaux.)

Le saint évêque écrit à l'abbesse de Sainte-Catherine, dont l'abbaye, qui était de son diocèse, n'était point réformée et n'avait point de clôture.

29 août 1622.

Je réponds clairement à votre lettre, ma très-chère cousine ma fille. Il est vrai que dès il y a longtemps je me suis aperçu des désirs que plusieurs de vos filles avaient de la réformation ; et tout autant que la conscience me l'a pu permettre, je vous l'ai signifié de temps en temps. Mais il est vrai aussi que j'eusse souhaité qu'elles eussent eu encore un peu de patience, puisque nous sommes à la veille de voir un ordre général pour la réformation de tous les monastères de cette province de deçà les monts, notamment des filles, parmi lesquelles les moindres défauts sont plus blâmés que les grands parmi les hommes. Or, ma très-chère cousine, voilà donc la chose au jour. Qu'il se soit passé quelques impatiences, quelques immortifications, quelques fiertés, quelques désobéissances, quelques amours-propres, quelques imprudences ; certes il ne se peut être pas nié ; mais pour tout cela le fond de l'affaire ne laisse pas d'être bon et selon la volonté de Dieu. Tous les défauts qui arrivent en une bonne oeuvre n'en gâtent pas la bonté essentielle : d'où que le bon vienne, il le faut aimer. Mon inclination était que l'on attendit de faire celui-ci jusqu'à ce que l'ordre en fût venu de Rome, afin qu'il y eût moins de résistance. La ferveur de la charité de quelques-unes, ou si vous voulez, l'ardeur de la propre volonté des autres, a fait choisir un autre moyen qui leur semblait plus court. Il ne faut pas pour cela le rejeter, ains il faut y contribuer tout ce que la sainte, sincère et véritable charité nous suggérera; et nous faut prendre garde de ne permettre pas à notre propre intérêt, ou amour d'employer notre propre prudence contre la volonté de l'époux céleste. Mais de tout, ceci il en faut parler plus au long, Dieu aidant. Madame ma très-chère cousine ma fille, que cette affaire ait été entreprise, je le sus le joui-avant mon départ de cette ville ; que l'on en soit venu à l'exécution je le sus eh Argentine (1) ; mais vous avez été la première qui m'avez donné connaissance de la particularité, bien que depuis j'en aie appris encore davantage. Il importe peu que le bien se fasse d'une façon ou d'autre, pourvu qu'il se fasse en sorte qu'il en revienne plus grande gloire à notre Seigneur. Je suis, madame ma chère cousine, votre, etc.

(1) Argentine est un bourg de Savoie, au comté de Maurienne, renommé à cause de ses forges. Dandi-fbet, Géoff., tom. II, p. SS9, cité par La Martinière.



LETTRE DXXVIII, A MADAME DE CHANTAL, A DIJON.

1951
Le Saint désapprouve le changement de monastère pour les filles, et surtout l'amour de ce changement. Il est très-fâché de ce que deux maisons voulaient plaider ensemble pour un intérêt temporel. Il ne peut souffrir que par esprit d'intérêt on veuille décharger une maison sous prétexte d'une fondation. Il désire que les bienfaitrices n'exigent pas un grand nombre de privilèges. Les souffrances et les maladies dans les communautés, présages de bénédiction.


Annecy, 30 août 1622.

1. Je suis de retour et en santé, ma très-chère mère, après mille faveurs reçues, et certes dix mille consolations, non-seulement de la part de madame, de leurs altesses et de ces rares princesses, mais de plusieurs bonnes âmes, entre lesquelles je vous dis, ma très-chère mère, que l'infante cadette, madame Françoise-Catherine, est entièrement très-bonne et très-pleine de vertus, de bonté et de sainte naïveté.,

J'ai vu soeur Marie-Chrétienne, que j'ai trouvée au-dessus de tout ce que j'en avais pensé, en piété, en générosité.

Sachez, ma très-chère mère, que j'ai eu en chemin, et ce matin encore, plus de grands sentiments de la grâce que Dieu fait à ceux qu'il emploie à son service, et auxquels il donne le vrai goût des vertus, ayant eu cette pensée sur les paroles que l'Église inculque, et qui donnèrent le dernier coup à la conversion de S. Augustin : « Non point es banquets et ivrogneries, non point « es couches et impudicités, mais revêtez-vous « de notre Seigneur Jésus-Christ (
Rm 13,15). » Qu'à jamais ce Sauveur soit notre robe royale, qui nous couvre et défende du froid de l'iniquité, et nous échauffe de ce divin amour que notre coeur cherche.

Je suis tout-à-fait d'avis que l'on n'ouvre point la porte au changement des maisons par le souhait des filles ; car le changement est tout-à-fait contraire au bien des monastères qui ont la clôture perpétuelle pour un article essentiel. Les filles, comme faibles, sont sujettes aux ennuis, et les ennuis leur font trouver des expédients importuns et indiscrets. Que ces changements donc procèdent du jugement des supérieures, et non du désir des filles, qui ne sauraient mieux déclarer qu'elles ne doivent point être gratifiées que quand elles se laissent emporter à des désirs si peu justes. Il faut donc demeurer là, et laisser chaque rossignol dans son nid, car autrement le moindre déplaisir qui arriverait à une fille serait capable de l'inquiéter et lui faire prendre le change;]

et, au lieu de se changer elle-même, elle penserait d'avoir suffisamment remédié à son mal quand elle changerait de monastère.

2. ...

3. Au reste, j'apprends une extrême tentation entre les monastères de N. et de N. pour certains mille écus, que je voudrais plutôt être au fond de la mer qu'en différend entre eux. Est-il possible que des filles nourries en l'école de la folie de la croix, soient tellement affectionnées à la prudence du monde, qu'elles ne se sachent pas accommoder par condescendance ou par résignation ! La lettre que m'en écrivit N. témoigne que le bon droit est grandement enraciné en l'esprit de l'une et de l'autre. Je suis capable de souffrir toute autre sorte de déplaisir, mais celui-ci est au-dessus de mes forces. Pour qui travaille-t-on, sinon pour Dieu ? et si c'est pour Dieu, pourquoi dispute-t-on? Je hais ces sortes de sagesse et de prudence. Qu'importe-t-il que l'argent soit d'un côté ou d'autre, pourvu qu'il soit pour Dieu : et néanmoins, ma chère mère, il faudra dire ou à l'une ou l'autre, qu'elle a tort. Quand nous aurons ouï l'une et l'autre, celle qui aura le tort aura grand tort 3 et non un petit tort ; car il n'y a rien de petit en ces opiniâtretés du mien et du tien.

4. J'ai aussi presqu'une même aversion au désir que les supérieures ont que l'on décharge leur maison par le moyen des fondations ; car tout cela dépend du sens humain, et de la peine que chacun a à porter son fardeau. Soit donc, que l'on décharge la maison pour la fondation de N., il me semble qu'il importe peu.

5. Je vous ai écrit ci-devant sur le sujet des bienfaitrices, qui désirent tant de conditions, lesquelles, comme vous, je ne voudrais pas être en grand nombre.

...

6.

Les malades de la maison de Paris donnent un grand présage de la bénédiction que Dieu y veut mettre, quoique le sens y répugne. Cependant vivez heureuse dans le sein de la bonté de notre Seigneur qu'il soit béni es siècles des siècles. Amen.



LETTRE DXXIX, A MERE DE LA ROCHE, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION D'ORLEANS.

1964
Le Saint fait l'éloge d'un évêque qui devait passer par chez lui. Il encourage une religieuse à supporter patiemment ses maladies corporelles.

Annecy, 14 octobre 1622.

Dieu soit loué, ma très-chère fille, de tout ce que vous m'écrivîtes le 2 septembre : à lui louanges des grâces qu'il fait à ce digne prélat, qui, les recevant avec reconnaissance et sans résistance, fera des merveilles pour le bien de la sainte Église. On m'a dit de divers endroits qu'il passera ici,- et je le recevrai en.la simplicité de mon coeur, selon notre petitesse, avec la confiance que vous me dites que je lui dois témoigner. Mais pourtant je n'ai encore point de certaines assurances de cet honneur.

La cour ne manque pas d'occupations et de divertissements

A Dieu encore la louange de l'exercice que sa providence vous donne par cette affliction de maladie qui vous rendra sainte, moyennant sa sainte grâce ; car, comme vous savez, vous ne serez jamais épouse de Jésus glorifié, que vous ne l'ayez premièrement été de Jésus crucifié ; et ne jouirez jamais du lit nuptial de son amour triomphant, que vous n'ayez senti l'amour affligeant du lit de sa sainte croix. Cependant nous prierons Dieu qu'il soit toujours votre force et votre courage en la souffrance, comme votre modestie, douceur et humilité en ses consolations. Je salue chèrement votre coeur et celui de toutes vos soeurs ; et suis tout-à-fait de plus en plus vôtre, ma très-chère fille.


LETTRE DXXX, A LA MÈRE FAVRE, SUPÉRIEURE DE LA CONGRÉGATION DE LA VISITATION, A DIJON.

1965
Le Saint lui annonce que bientôt elle sera transférée à Chambéri. Il lui recommande une grande indifférence pour les lieux, les temps, les nations, les personnes, un grand zèle pour la gloire de Dieu, et une grande confiance en sa bonté.

15 octobre 1622.

Mille et mille bénédictions si mes souhaits sont exaucés sur votre coeur bien-aimé, ma très-chère fille. Or sus, vous voilà donc en oeuvre pour le bon gouvernement de ce nouveau monastère (de Dijon], qui, moyennant la grâce de Dieu, vous Réussira heureusement, tandis qu'en notre Chambéri on en disposera un autre. Or, quand tout sera résolu, et qu'on aura pourvu à tout le commencement, alors il fera force de vous y avoir (1).

Vous voyez donc bien, ma très-chère fille, que Dieu vous appelle à beaucoup de peines, d'abnégations de vous-même et de choses aigres, afin que sans différence de lieux, de nations et de personnes, vous serviez à la dilatation de sa gloire purement et simplement, sans aucun autre intérêt que celui de son très-saint agrément : et vous devez vous reposer en cela, ma très-chère fille, et agrandir tous les jours votre coeur et votre courage en une parfaite confiance du secours céleste, puisque cette divine providence n'emploie jamais les âmes à des choses grandes et difficiles, qu'il ne veuille quand et quand départir sa très-sainte assistance.

Je ne cesse point d'implorer le.Saint-Esprit pour vous, afin qu'il vous échauffe de plus en plus,, et qu'enfin il vous brûle toute du feu sacré de son saint amour, selon lequel je suis totalement tout votre plus humble et invariable père.

(1) La translation de la mère Favre à Chambéri ne s'exécuta qu'en 1635, et le monastère de cette ville avoil été fondé le 17 janvier 1624, un peu plus d'un an après la mort du Saint.



LETTRE DXXXI (1), A MADAME DE CHANTAL,

1968
Qui était à Dijon pour la fondation d'un monastère de la Visitation (2) et qui allait repartir pour Annecy. Sentiments sur la résignation à la volonté de Dieu et sur l'amour divin.

Annecy, 22 octobre 1622.

Voyez, je vous prie, vous-même, ma très-bonne et très-chère mère, les lettres ci-jointes ; et voyez s'il y a apparence que sans vous incommoder beaucoup, vous puissiez donner ce contentement tant désiré à ces chères âmes : car, si cela se peut bonnement, pour moi, non-seulement j'y consens, mais je le souhaiterais très-volontiers, surtout s'il est vrai que venant de Dijon à Montferrand, ce fût votre passage de voir votre chère fille (1) ; et encore plus, si venant de Montferrand à Lyon, c'était votre passage de voir Saint-Étienne de Forez ; et je confesse que ce me serait de la consolation de savoir des nouvelles de ces nouvelles plantes, que Dieu, ce me semble, a plantées de sa main pour son plus grand honneur et service.

Il vous faut dire, ma très-chère mère, que ce matin, étant un peu en solitude, j'ai fait un acte de résignation non pareil, mais que je ne puis écrire, et que je réserve pour vous dire de bouche, quand Dieu me fera la grâce de vous voir.

O que bienheureuses sont les âmes qui vivent de la seule volonté de Dieu ! Hélas ! si pour en savourer seulement un bien peu par une considération passagère, on a tant de suavités spirituelles au fond du coeur, qui accepte cette sainte volonté avec toutes les croix qu'elle présente, que sera-ce des âmes toutes détrempées en l'union de cette volonté ? O Dieu ! quelle bénédiction, de rendre toutes nos affections humblement et exactement sujettes à celles du plus pur amour divin ! Ainsi l'avons-nous dit, ainsi a-t-il été résolu ; et notre coeur a pour sa souveraine loi la plus grande gloire de l'amour de Dieu. Or, la gloire de ce saint amour consiste à brûler et consumer tout ce qui n'est pas lui-même, pour réduire et convertir tout en lui. Il s'exalte sur notre anéantissement, et règne sur le trône de notre servitude. Mon Dieu ! ma très-chère mère, que ma volonté s'est trouvée dilatée en ce sentiment ! Plaise à sa divine bonté continuer sur moi cette abondance de courage pour son honneur et gloire, et pour la perfection et excellence de cette très-incomparable unité de coeur qu'il lui a plu nous donner. Amen. Vive Jésus !

Je prie la Vierge Marie qu'elle vous tienne en la protection de sa pitoyable maternité ; et votre bon ange et le mien, qu'ils soient vos conducteurs, afin que vous arriviez en prospérité entre les accueils de ce pauvre et très-unique père, et de vos chères filles, qui toutes vous attendront avec mille souhaits, et particulièrement moi, qui vous suis en notre Seigneur, ne plus ne moins que vous-même. Dieu soit à jamais notre tout. Je suis en lui plus vôtre que je ne saurais dire-en ce monde : car les paroles de cet amour n'y sont pas.

Or sus, je crois qu'un bon mois, ou cinq semaines, feront la raison de tous ces détours : mais j'entends toujours qu'il n'y ait point de péril des gens d'armes sur les chemins de ces lieux-là, après quoi nous vous dirons pourquoi, et comme à présent je n'ai nuls moyens d'écrire davantage, quoique je me porte bien, grâces à Dieu. Ce porteur d'un côté me presse infiniment, afin qu'il vous puisse trouver à Dijon. D'ailleurs on me presse aussi pour d'autres bonnes affaires, lesquelles je ne puis abandonner. Tout se porte bien ici, et je suis de plus en plus votre très-humble, etc.

 (1) Cette lettre fut écrite deux mois avant la mort du Saint.
(2) S. François de Sales avait fondé cet ordre sous le nom de la Visitation de Sainte-Marie, parce qu'il l'avait destiné à la visite des pauvres malades. Sainte Jeanne-Françoise de Chantal et ses compagnes remplirent cette fonction les cinq premières années de leur institut. « C'était une merveille qui touchait de tendreté les coeurs de tous les bons, dit Auguste de Sales, de voir des dames de qualité et de délicates demoiselles, élevées et accoutumées parmi les dépliées du siècle, mépriser ainsi le monde, visiter les malades les plus infects et puants, leur servir tout ce qui leur faisait besoin pour recouvrer la santé, et soulager les douleurs de leur maladie; porter des linges, nettoyer et blanchir ceux qui étaient sales, apporter leurs viandes, faire leurs lits, les exhorter et leur donner courage par des bons entretiens, n'avoir point d'horreur d'entrer dans les cabanes des pauvres et dans les lieux les plus abjects ; et outre cela, montrer envers tout le monde une si grande douceur et courtoisie, chanter au choeur si modestement et gravement, et servir à tous selon leurs facultés. »

La renommée d'une si belle institution se répandit bientôt en France ; des dames de Lyon furent à Annecy pour être témoins de ce qu'on en racontait, et elles obtinrent du saint fondateur que des religieuses de cet ordre vinssent en établir une maison dans leur ville. Les filles de la Visitation s'occupèrent à Lyon, comme à Annecy, des oeuvres de miséricorde ; mais M. de Marquemont, archevêque de Lyon, depuis cardinal, désira qu'elles fussent cloîtrées, soit qu'il crût, dit un auteur du temps, que des filles de condition ne pourraient longtemps soutenir les fatigues et les mouvements perpétuels d'un emploi si pénible, soit qu'il craignit la contagion du siècle. « Il pressa à « ce sujet le saint évêque de Genève, ajoute l'évêque « de Belley, en temps et hors de temps, et notre « bienheureux, qui était extrêmement condescendant « aux volontés d'autrui, se rendit aux persuasions de « ce grand prélat. » Mais en consentant à ce changement, S. François de Sales voulut que les religieuses de la Visitation reçussent parmi elles les personnes âgées et infirmes, afin d'exercer ainsi, dans l'intérieur de leur maison, les oeuvres de charité qui avaient été le premier but de leur institution.

Peu d'années après, Louise de Marillac (o), qui avait profité des entretiens du saint évêque de Genève pendant son séjour à Paris en 1619, qui depuis avait été dirigée par l'évéque de Belley, et remise par ce prélat sous la conduite de S. Vincent de Paul, devint la coopératrice de ce grand Saint pour la fondation des Filles de la charité, servantes des pauvres. « Ainsi, « dit l'auteur de la vie de Louise deDIariltac, le ciel a « gagné au changement de la première institution des « religieuses de la Visitation, et les pauvres n'y ont « rien perdu. Ce qu'un ami de S. François de Sales « l'a empêché de faire pour eux, un autre ami du « même Saint l'a entrepris. Les deux ouvrages subsistent. Fasse le Dieu de miséricorde qu'ils soient « en tout temps ce qu'ils ont été autrefois, et ils seront à jamais la consolation de l'Église affligée de « Jésus-Christ! »
(flj Nièce de M. de Mariliac, garde-des-sceaux.
(1) Madame de Toulongeon. fille de madame de Chantal, nouvellement mariée.




F. de Sales, Lettres 1940