F. de Sales, Lettres 2012

LETTRE DCLXXIX, A UNE DEMOISELLE.

2012
Importance du bon emploi du temps, par rapport à l'éternité. Il faut vivre content dans l'état où Dieu nous a mis, sans en ambitionner un plus parfait et un plus relevé;

Cette vie est courte, ma très-chère fille, mais elle est pourtant de grande valeur, puisque par icelle nous pouvons acquérir l'éternelle. Bienheureux sont ceux qui la savent employer à cela; mais vous, ma très-chère fille, vous avez un grand sujet de louer Dieu, qui, avec une providence fort spéciale, né vous a pas seulement donné la volonté de rapporter vos jours mortels à celui de l'immortalité, mais vous a marqué le lieu, les moyens et la façon avec laquelle vous devez appliquer le reste de ces moments périssables à la conquête de la très-sainte éternité.

N'en doutez jamais, ma très-chère fille, la vraie lumière du ciel vous a fait voir votre chemin, elle vous conduira par icelui fort heureusement. Il y a sans doute des chemins plus excellents, mais non pas pour vous ; et l'excellence du chemin ne rend pas excellents les voyageurs, ains leur vitesse et agilité. Tout ce qui vous voudra détourner de cette voie, tenez-le pour tentation d'autant plus dangereuse que peut-être elle sera spécieuse. Rien n'est si agréable que la persévérance à la divine majesté ; et les plus petites vertus, comme l'hospitalité, rendant plus parfaits ceux qui persévèrent jusqu'à la fin, que les plus grandes qu'on exerce par change et variété.

Demeurez donc en repos, et dites : Oh ! combien de voies pour le ciel ! Bénis soient ceux qui marchent par icelles ; mais puisque celle-ci est la mienne, je marcherai en icelle avec paix, sincérité, simplicité et humilité. Oui, sans doute, ma très-chère fille, l'unité de coeur est le plus excellent moyen de la perfection. Aimez tout, louez tout, mais ne suivez, mais n'aspirez que selon la vocation de cette providence céleste, et n'ayez qu'un coeur qui sera pour cela. Dieu le comble de son saint amour, ce coeur que le mien chérit et chérira éternellement. Amen

Ma très-chère fille, votre très-affectionné, etc.




LETTRE DCLXXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME ENCEINTE.

Avis sur la manière de corriger la prudence humaine. Les saints n'ont pu etre exempts des attaques. Il faut la faire servir à la prudence chrétienne. - Garnier lettre 255

Je réponds à la demande que la bonne mère (1) de sainte Marie m'a faite de votre part, ma très-chère fille. Quand la prudence humaine se mêle de nos desseins, il est malaisé de la faire taire, car elle est merveilleusement importune, et se fourre ardemment et hardiment en nos affaires malgré nous.

Que faut-il faire là-dessus afin que l'intention soit purifiée ? Regardons si notre dessein peut être légitime, juste et pieux ; et s'il le peut être, proposons et délibérons de le faire, non plus pour obéir à la prudence humaine, mais pour- en icelui accomplir la volonté de Dieu. Si nous avons une fille, par exemple, que la prudence humaine dicte devoir être colloquée en religion pour quelque raison de l'état de nos affaires, or sus, nous dirons en nous-mêmes, je ne dis pas devant les hommes, mais devant Dieu : O Seigneur ! je vous veux offrir cette fille, parce que, telle qu'elle est, elle est vôtre ; et bien que ma prudence humaine m'incite et incline à cela, si est-ce, Seigneur, que si je savais que ce ne fût pas aussi votre bon plaisir, malgré ma prudence inférieure, je ne le ferais nullement, rejetant en cette occasion ladite prudence que mon coeur sent, mais à laquelle il ne désire point consentir, et embrassant votre volonté, que mon coeur n'aperçoit pas selon son sentiment, mais à laquelle il consent selon sa résolution.

O ma très-chère fille! c'est à tout propos que l'esprit humain nous travaille de ses prétentions, et se vient importunément ingérer parmi nos affaires. Nous ne sommes pas plus saints que l'apôtre S. Paul, qui sentait deux volontés au milieu de son âme : l'une qui voulait selon le vieil homme et la prudence mondaine, et celle-ci se faisait plus sentir ; et l'autre qui voulait selon l'esprit de Dieu, et celle-ci était moins sensible, mais laquelle pourtant dominait, et selon laquelle il vivait : dont d'un côté il s'écriait : O moi misérable homme! qui me délivrera du corps de cette mort (Rm 7,24) ? et d'autre part il s'écriait : Je vis, non plus moi-même, mais Jésus-Christ vit en moi (Ga 2,20). Et à chaque pas presque il nous faut faire la résignation que notre Seigneur nous a enseignée : Non ma volonté, mais la vôtre, ô Père éternel, soit faite (Lc 22,42) ; et cela fait, laissez clabauder prudence humaine tant qu'elle voudra ; car l'oeuvre ne sera plus la sienne, et vous lui pourrez dire comme les Samaritains dirent à la Samaritaine après qu'ils eurent ou'(notre Seigneur : Ce n'est plus meshui pour ta parole que nous croyons, mais parce que nous-mêmes nous l'avons vu et entendu (Jn 4,42) Ce ne sera plus pour la prudence mondaine, bien que ce soit elle qui ait excité la volonté, que vous ferez cette résolution, mais parce que vous avez connu que Dieu l'aurait agréable : ainsi par l'infusion de la volonté divine vous corrigerez la volonté humaine.

Demeurez en paix, ma très-chère fille, et servez bien Dieu en la peine et fâcherie de la grossesse et de l'enfantement que vous dresserez aussi selon son bon plaisir. Et je prie sa souveraine bonté qu'elle vous comble de bénédictions, vous suppliant de m'aimer toujours en lui et pour lui, qui m'a en toute vérité rendu votre, etc.

(1) Madame de Chantal.



LETTRE DCLXXXI.

S. FRANÇOIS-DE SALES, A UNE DAME.

Il l'exhorte à un généreux mépris, et à un dépouillement entier des créatures. - Garnier lettre 257



C'est la vérité, madame ma très-chère fille, qu'entre les souvenirs que j'ai des âmes que Dieu m'a fait aimer, celui de la vôtre m'est de très-grande consolation ; car j'ai vu un certain dépouillement des créatures et de leurs vanités, qu'il m'est impossible de n'aimer pas passionnément.

Tenez bien, je vous supplie, votre coeur haut élevé comme cela, ma très-chère fille: qu'il ait tout-à-fait son soin attaché à la belle éternité qui-vous attend. Les enfants du monde confessent ordinairement en mourant, que cette vie n'est pas considérable que pour l'éternelle ; mais les enfants de Dieu touchent toute leur vie cette vérité.

Vivez comme cela, parmi toute cette multitude de fâcheuses occupations, que votre condition vous oblige devoir et d'avoir; et comme ceux qui s'acheminent à leur patrie n'espèrent le repos qu'après y être arrivés, ainsi prétendez toujours à cette paix perdurable à laquelle vous allez et ardez, travaillez et marchez ; je suis consolé de quoi petit à petit vous faites votre chemin très-aisé. Dieu soit à jamais au milieu de nos esprits, qui est le souhait continuel, madame, de votre, etc.




LETTRE DCLXXXII.

S. FRANÇOIS DE SALÉS, A MADAME BBULART.

(Communiquée par M. Gossin; tirée du monastère de la Visitation de la ville de Troyes.)

Il approuve un changement de confesseur fait pour de bonnes raisons. Avis sur la communication et le commerce avec les hérétiques. - Garnier lettre 258

 Et puisque vous trouvez de l'avancement et de la consolation au changement que vous avez fait, je ne puis que je ne l'approuve; m'assurant que vous l'avez fait avec telle discrétion, le précédent n'en aurait reçu aucun mécontentement. Je ne vois encore rien devant mes yeux qui me puisse promettre le bonheur de vous voir cette année ; et quant à ce que vous me touchez de m'a-voir de" deçà, il ne me semble pas que.ee soit chose bien aisée à faire, ni point être convenable de quelque temps, eu égard. aux lieux avec lesquels Dieu vous a attachée de delà ; mais si la providence de Dieu l'exigeait pour sa gloire et votre salut, elle saura bien faire naître les occasions encore que nous ne les voyons pas, et les fera sortir de quelque lieu auquel nous ne pensons pas, il est requis en cela d'une entière résignation au bon plaisir de Dieu : pour ma part, croyez-moi, je vous supplie, je n'ai pas moins de désir de vous revoir, et à loisir, que vous sauriez avoir encore votre main, il faut savoir qui est le plus expédient et à propos. Monsieur Viardot pourra fort aisément suppléer à ce que je pourrai faire de loin, il en est fort capable (-1).

Les médecins m'ont fort défendu d'écrire de ma main au sortir de cette maladie : c'est pourquoi j'ai employé la main d'autrui jusqu'ici, ajoutant de la mienne que vous vous ressouveniez de ce que je vous ai tant recommandé, et que lé faisant vous ferez chose qui agréera plus à Dieu que si, sans le faire, vous donniez votre vie au martyre ; parce que Dieu veut, l'obéissance beaucoup plus que le sacrifice. Notre doux Sauveur vous donnera, s'il lui plaît, la lumière pour suivre ce bon chemin auquel vous êtes : ayez seulement-bon courage. -

Je sujs bien consolé de voir combien vous estimez le bien de servir Dieu, car c'est signe que vous l'embrasserez étroitement. Je le suis autant du contentement que vous donnez aux vôtres, de la gaieté avec laquelle vous vivez; car Dieu: est le Dieu.de joie. Continuez et persévérez ; car la couronne est pour ceux qui persévèrent. O ma très-chère dame, ma bonne soeur, cette, vie, est courte ; les récompenses de ce qui s'y fait sont éternelles : faisons bien, adhérons à la volonté de Dieu ; que ce soit l'étoile sur laquelle nos yeux s'arrêtent en cette navigation, et nous ne saurions que bien arriver. Je prie Dieu notre Sauveur qu'il vive et règne en vous, et vous en lui. J'ai reçu maintenant votre lettre précédente, à laquelle je ne puis répondre. Je vous dirai seulement que le commerce des huguenots n'est pas absolument défendu à ceux qui sont mêlés avec eux; mais la vérité est qu'il faut s'en abstenir le plus qu'on peut, car il a accoutumé de refroidir la dévotion. Quant à prendre leur marchandise, si elle est meilleure que celle des autres, il n'y a nul danger. Je vous souhaite mille et mille bénédictions, et suis invariablement, madame, votre, etc. ;

(1) Cette lettre ayant été écrite sous la dictée de S. François de Sales, le scribe a sans doute omis quelques mots, ce qui rend en partie cet alinéa inintelligible.



 LETTftE DCLXXXHI.


S. FBANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

Le Saint l'exhorte à conserver ses bonnes résolutions. Tyrannie de nos inclinations. En quel cas le soin de les combattre est préférable au désir d'éviter les occasions. Les meilleures afflictions sont celles qui nous humilient. Importance qu'il y a d'avoir bon courage. Moyen d'acquérir la ferveur dans l'oraison. - Garnier lettre 259



Mademoiselle, je garderai chèrement le billet de votre voeu, et Dieu en gardera la fermeté. Il en a été l'auteur, et il en sera le conservateur. Je ferai souvent pour cela la prière de saint Augustin : Hélas ! Seigneur, voilà un petit poussin éclos sous les ailes de votre grâce : s'il s'écarte de l'ombre de sa mère, le milan le ravira. Faites donc qu'il vive à la faveur et à la grâce qui l'a produit. Mais voyez-vous, ma soeur, il ne faut pas seulement penser si cette résolution sera perdurable ; il faut tenir cela pour si certain et résolu, que jamais plus il n'en soit doute.

Vous m'obligez bien fort de me dire les deux mots que vous m'écrivez de vos inclinations, sur lesquels je vous dis que nos affections, pour petites qu'elles soient, déchirent notre âme, quand elles sortent mal à propos. Tenez-les en main, et n'en faites pas peu de compte; car elles valent beaucoup selon le poids du sanctuaire.

Le désir de vous éloigner des causes n'est pas à propos au train auquel nous sommes ; car il fait abandonner le vrai soin de combattre. Or ce dernier nous est nécessaire, tandis que le premier est impossible : et puis où il n'y a pas danger de péché mortel, il ne faut pas fuir, mais vaincre tous nos ennemis, et s'y opiniâtrer sans perdre courage, bien que nous soyons quelquefois vaincus.

Oui, vraiment, ma chère fille, attendez de moi tout ce que vous pouvez attendre d'un vrai père; car j'ai certes bien cette affection-là pour vous ; vous le connaitrez au progrès, si Dieu m'assiste.

Or sus donc, ma bonne fille, vous voilà affligée comme il faut, pour bien servir Dieu ; car les afflictions sans abjection enflent bien souvent le coeur au lieu de l'humilier : mais quand on a du mal sans honneur, ou que le déshonneur même, l'avilissement et l'abjection sont notre mal, que d'occasions d'exercer la patience, l'humilité, la. modestie, et la douceur de coeur !

Le glorieux saint Paul s'éjouit, et d'une humilité saintement glorieuse, de quoi il est avec ses compagnons estimé comme les balayures et raclures du monde (1Co 4,13). Vous avez, ce me dites-vous, encore le sentiment fort vif aux injures ; mais, ma chère fille, cet encore à quoi se rapporte-t-il? En avez-vous déjà beaucoup gâté, de ces ennemis-là ? Je veux dire qu'il faut avoir courage et bonne opinion de faire mieux dorénavant, puisque nous ne faisons que commencer, et que néanmoins nous avons désir de bien faire.

Pour vous rendre fervente en l'oraison, désirez-la bien fort, lisez volontiers les louanges de l'oraison, qui sont semées en beaucoup de livres, en Grenade, au commencement de Belintani, et ailleurs ; car l'appétit d'une viande fait qu'on s'entend fort à la manger.

Vous êtes bien heureuse, ma fille, de vous être vouée à Dieu. Souvenez-vous de ce que fit saint François, quand son père le mit à nu devant l'évêque d'Assise. Maintenant donc, dit-il, je pourrai bien dire : Notre père qui êtes es cieux (Mt 6,5).-Mon père et ma mère, dit David, m'ont abandonné, et le Seigneur m'a pris à soi.- Ne me faites point de préface pour m'écrire, car il n'est nul besoin de cela, puisque je suis avec tant de volonté dédié à votre aine. Dieu la bénisse de ses grandes bénédictions, et la rende toute sienne. Amen.

(l) Pater noster qui es in coelis. Mattii., c.iv, V. Odorat. Domhti.


LETTRE DCLXXXIV, A UNE DEMOISELLE.

Le Saint l'invite à mépriser le monde, et à se corriger des réparties mondaines qu'elle ayait coutume de faire, et qui pouvaient lui devenir dangereuses. - Garnier lettre 261

Je réponds à votre dernière lettre, ma bonne fille. Les empressements d'amour en l'oraison sont bons, s'ils vous laissent des bons effets, et qu'ils ne vous amusent point à vous-même mais à Dieu et sa sainte volonté : et en un mot tous les mouvements intérieurs et extérieurs qui affermissent votre fidélité envers cette volonté divine seront toujours bons. Aimez donc bien les désirs célestes, et désirez aussi fort les amours célestes. Il faut désirer d'aimer et aimer à désirer ce qui jamais ne peut être assez ni désiré ni aimé.

Dieu nous fasse la grâce, ma fille, de bien absolument mépriser le monde qui nous est si inique qu'il nous crucifie, pourvu que nous le crucifiions. Aussi les abnégations mentales des vanités et commodités mondaines se font assez aisément : les réelles sont bien plus difficiles. Et vous voilà donc emmi les occasions de-pratiquer cette vertu jusqu'à l'extrémité, puisqu cette privation est joint l'opprobre, et qu'elle se fait en vous, sans vous; et par vous, mais plus en Dieu, avec Dieu, et pour Dieu.

Je ne suis pas satisfait de ce que je vous dis l'autre jour, sur votre première lettre, de ces réparties mondaines, et de cette vivacité de coeur qui vous pousse. Ma fille, prenez donc à prix fait de vous mortifier en cela : faites souvent la croix sur votre bouche, afin qu'elle ne s'ouvre que de par Dieu. I1 est vrai, la joliveté de l'esprit nous donne quelquefois bien de la vanité ; et on lève plus souvent le nez de l'esprit que celui du visage : on fait les doux yeux par les paroles aussi bien que par le regard. Il n'est pas bon vraiment d'aller sur le bout du pied, ni d'esprit, ni de corps ; car si on choppe la chute en est plus rude. Or sus donc, ma fille, prenez bien soin pour retrancher petit à petit cette superfluité de votre arbre ; tenez votre coeur là tout bas, tout coi, au pied de la croix. Continuez à me dire bien franchement et souvent des nouvelles de ce coeur-là, que le mien chérit d'un grand amour pour celui qui est mort d'amour, afin que nous vécussions par amour en sa sainte mort. Vive Jésus.



LETTRE DCLXXXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME MARIÉE.

Quelle autorité le pape a sur le temporel des royaumes et sur les états des souverains; comme l'autorité du pape et celle des rois s'accordent parfaitement ensemble, et n'empiètent point l'une sur: l'autre.

Je veux bien, ma très-chère fille, répondre à la demande que vous me faites sur la fin de votre lettre ; mais ayez agréable que je vous parle, comme le grand S. Grégoire (1) fit à une vertueuse dame nommée, comme lui, Grégoire, et laquelle était dame de chambre de l’impératrice (2). Elle l'avait prié d'obtenir de Dieu la connaissance de ce qu'elle devait devenir ; et il lui dit: « Quant à ce que votre douceur me demande, et qu'elle dit ne vouloir point cesser de m'importuner, jusqu'à tant que je le lui aie octroyé, vous requérez de moi une chose également difficile et inutile (3). »

Je vous en dis de même; ma chère fille : quant à ce que vous me demandez quelle autorité le pape a sur le temporel des royaumes et principautés, vous désirez de moi une résolution également difficile et inutile.

Difficile, non pas certes en elle-même; car au contraire, elle est fort aisée à rencontrer aux esprits qui la cherchent par le chemin de la charité : mais difficile, parce qu'en cet âge qui redonde en cervelles chaudes, aiguës et contentieuses, il est malaisé de dire chose qui n'offense ceux qui, faisant les bons valets, soit du pape, soit des princes, ne veulent que jamais on s'arrête hors des extrémités ; ne regardant pas qu'on ne saurait faire pis pour un père, que de lui ôter l'amour de ses enfants, ni pour les enfants, que de leur ôter le respect qu'ils doivent à leur père.

Mais je dis inutile, parce que le pape ne demande rien aux rois et aux princes pour ce regard ; il les aime tous tendrement, il souhaite la fermeté et stabilité de leurs couronnes, il vit doucement et amiablement avec eux, il ne fait presque rien dans leurs états, non pas même en ce qui regarde les choses purement ecclésiastiques, qu'avec leur agrément et volonté. Qu'est-il donc besoin de s'empresser maintenant à l'examen de son autorité sur les choses temporelles, et par ce moyen ouvrir la porte à la dissension et discorde.

Certes, ici je suis dans l'état d'un prince qui a toujours fait très-particulière profession d'honorer et révérer le Saint-Siège apostolique, et néanmoins nous n'oyons nullement parler que le pape se mêle, ni en gros, ni en détail, de l'administration temporelle des choses du pays, ni qu'il interpose ou prenne aucune autorité temporelle sur le prince, ni sur les officiers, ni sur les sujets, en façon quelconque : nous nous donnons plein entier repos de ce côté-là, et n'avons aucun sujet d'inquiétude. A quel propos nous imaginer des prétentions, pour nous porter à des contentions contre celui que nous devons filialement chérir, honorer et respecter comme notre vrai père et pasteur spirituel.

Je vous le dis sincèrement, ma très-chère fille; j'ai une douleur extrême au coeur, de savoir que cette dispute de l'autorité du pape soit le jouet et sujet de la parlerie parmi tant de gens qui, peu capables de la résolution qu'on y doit prendre, en lieu de l'éclaircir la troublent, et en lieu de la décider la déchirent, et, ce qui est le pis, en la troublant troublent la paix de plusieurs âmes, et en la déchirant déchirent la très-sainte unanimité des catholiques, les avertissant d'autant de penser à la conversion des hérétiques.

Or je vous ai dit tout ceci pour conclure que, quant à vous, vous ne devez en façon quelconque laisser courir votre esprit après tous ces vains discours qui se font indifféremment sur cette autorité, ains laisser toute cette impertinente curiosité aux esprits qui s'en veulent repaître comme les caméléons (1) du vent; et pour votre repos, voici des petits retranchements dans lesquels vous retirerez votre esprit à l'abri et à couvert.

Le pape est le souverain pasteur et père spirituel des chrétiens, parce qu'il est le suprême vicaire de Jésus-Christ en terre : partant il a l'ordinaire souveraine autorité spirituelle sur tous les chrétiens, empereurs, rois, princes, et autres, qui en cette qualité lui doivent non-seulement amour, honneur, révérence et respect, mais aussi aide, secours et assistance envers tous, et contre tous ceux qui l'offensent, ou l'Église, en cette autorité spirituelle et en l'administration d'icelle: si que, comme par droit naturel, divin, et humain, chacun peut employer ses forces et celles de ses alliés pour sa juste défense contre l'inique et injuste agresseur et offenseur : aussi l'Eglise ou le pape (car c'est tout un) peut employer ses forces et celles de l'Église, et celles des princes chrétiens, ses enfants spirituels, pour la juste défense et conservation des droits de l'Église, contre tous ceux qui les voudraient violer et détruire.

Et d'autant que les chrétiens, princes, et autres, ne sont pas alliés au pape et à l'Église d'une simple alliance, mais d'une alliance la plus puissante en obligation, la plus excellente en dignité qui puisse être : comme le pape et les autres prélats de l'Église sont obligés de donner leur vie et subir la mort, pour donner la nourriture et pâture spirituelle aux rois et aux royaumes chrétiens, aussi les rois et les royaumes sont tenus et redevables réciproquement de maintenir, au péril de leur vie et états, le pape et l'Église, leur pasteur et père spirituel.

Grande, mais réciproque obligation entre le pape et les rois ; obligation invariable, obligation qui s'étend jusqu'à la mort inclusivement; et obligation naturelle, divine, humaine, par laquelle le pape et l'Église doivent leurs forces spirituelles aux rois et aux royaumes, et les rois leurs forces temporelles au pape et à l'Église. Le pape et l'Église sont aux rois, pour les nourrir, conserver, et défendre envers tous, contre tous et contre tout spirituellement. Les rois et les royaumes sont à l'Église et au pape, pour les nourrir, conserver et défendre envers tous et contre tous temporellement : car les pères sont aux enfants, et les enfants aux pères.

Les rois et tous les princes souverains ont pourtant une souveraineté temporelle, en laquelle le pape ni l'Église ne prétendent rien, ni ne leur en demandent aucune sorte de reconnaissance temporelle, en sorte que, pour abréger, le pape est très-souverain pasteur et père spirituel, le roi est très-souverain prince et seigneur temporel. L'autorité de l'un n'est point contraire à l'autre, ains elles s'entreportent l'une l'autre; car le pape et l'Église excommunient et tiennent pour hérétiques ceux qui nient l'autorité souveraine des rois et princes ; et les rois frappent de leurs épées ceux qui nient l'autorité du pape et de l'Église; ou s'ils ne les frappent pas, c'est en attendant qu'ils s'amendent et humilient.

Demeurez là : soyez humble fille spirituelle de l'Église et du pape, soyez humble sujette et servante du roi ; priez pour l'un et pour l'autre ; et croyez fermement qu'ainsi faisant, vous aurez Dieu pour père et pour roi.


(1) L. 6. Epist. Regist. Indict. v. mense Jun. pag. 207, tom. 4. operum sancti Gregorii mag. edit. 1605, in-fol. ad insigne navis.
(2) Cette lettre de S. Grégoire commence par ces mots : Gregorius Gregorioe, cubicularioe Augnst'oe.
(3) Quôd verô dulcedo tua in suis Epistolis sub-junxit, importuiiam se milii existerc, quoadusque scribam mihi esse revelatum quia peccata tua dimissa sunt ; rem et difficilem etiam et inutilem postulasti.
(1) Le caméléon est un petit animal assez semblable au lézard, quant à la forme du corps, et d'une couleur changeante. On prétendait autrefois qu'il vivait d'air ; mais on est revenu de cette erreur, et on I a reconnu qu'il se nourrissait de petits insectes.



LETTRE DCLXXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN AMI.

(Tirée du monast. de la Visitai, de Montargis.)

Lettré d'amitié, de compliment, de nouvelles et d'affaires.

Monsieur, fils d'un très-bon père, et lequel est de mes meilleurs amis, ce porteur qui est aussi-ami n'a pas voulu retourner à Paris, sans vous rapporter de mes lettres, comme il m'en a ap porté des vôtres; estimant que, comme il désire, il vous en serait plus agréable. Je lui suis fort obligé de cette bonne pensée, fondée sur la créance, qu'il a de la parfaite bienveillance dont vous me favorisez, qui est une persuasion, laquelle comme elle m'est fort honorable, elle m'est aussi fort douce et aimable.

Il vous dira toutes mes nouvelles, qui à mon avis consistent en ce que nous n'en avons point. Pour moi, je tire chemin en ce carême, afin de me tirer dans mon nid soudain après Pâques. J'ai pensé avoir l'honneur de voir monseigneur le cardinal de Mantoue à son retour; mais on nous dit qu'il prend le chemin d'Allemagne : on nous a aussi donné du bruit du passage de monseigneur le duc d'Espernon ; mais c'est évanoui aussi. Quant au mariage, vous savez qu'en temps de carême il n'en est pas la saison; aussi n'en dit-on plus mot.

Nous attendons le passage de M. Gramier, qui vous dira ce qu'il aura pris d'argent pour votre faveur; et soudain, Dieu aidant, je l'enverrai, voulant meshui donner commencement à la satisfaction de tant de devoirs pécuniaires que je vous ai : car quant aux autres, je ne pourrai ni ne voudrai jamais en être quitte, ayant un extrême plaisir d'être par obligation ce que je suis absolument par inclination, et suis, monsieur, votre, etc.

Je ne cesserai jamais de recommander à notre Seigneur la prospérité de toute votre maison, et suis très-humble serviteur de madame la mère de famille Agcelle, que je salue de toute mon affection. Monsieur le premier président Favre me tient ici en consolation, en parlant souvent de vous selon mon désir.






LETTRE DCLXXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN AMI.

 (Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Montargis.)

Le Saint le félicite sur le rétablissement de sa santé, et lui fait part de quelques nouvelles. - Garnier lettre 265



Monsieur, je loue Dieu de cette nouvelle santé, le retour de laquelle vous m'annoncez par votre lettre du 6 décembre, avant que j'aie eu aucune sorte d'avertissement de votre maladie. Veuille cette bonté du Seigneur qui vous a été propice et à moi en votre guérison, nous favoriser longuement de sa durée, et d'une constante consolation en cette sainte et douce amitié qu'elle a établie entre nous. Que si je savais que mes lettres eussent quelques secrètes vertus pour vous donner un bon portement, ainsi que votre affection vous le fait estimer, croyez, monsieur, que j'en écriras jour et nuit : et ne vous écris point d'autre encre que celui de mon sang, pour marque des caractères si aimables et précieux, lequel les effets me seraient si chers et désirables. Ce grand Dieu devant lequel je suis journellement offrant 1;» divine hostie de propitiation sait bien qu'en ce temps-là je lui nomme toujours votre nom avec l'humble recommandation. Si cela, comme je n'en doute point, a la force d'attirer les bénédictions divines de son sein paternel, je veux espérer qu'il vous en comblera.

M. de Granger est allé, comme je pense, en Languedoc, sans passer ici où nous l'attendions, plus pour apprendre les particularités des grâces et traits de votre faveur, que pour autres raisons, bien que je sais qu'elles sont grandes.

Ce que j'avais prévu de la volonté de monseigneur de Nemours, touchant son hôtel, s'est trouvé plus que véritable ; car, outre ce que j'avais considéré, il y a de plus qu'il n'est nullement hors d'occasion d'aller peut-être plus tôt que je ne pense à Paris, vous pouvez bien penser pourquoi : mais je dis ceci entre nous deux. Son altesse lui a promis derechef d'effectuer le mariage, ou devant carême-prenant, ou après Pâques : le temps d'après Pâques peut être bien long.




LETTRE DCLXXXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

Sur les amitiés fondées sur la charité. - Garnier lettre 266

O Dieu ! que les amitiés fondées sur le solide fondement de la charité sont bien plus constantes et fermes que celles desquelles le fondement est en la chair et au sang, et aux respects mondains!

Ne vous troublez point pour vos sécheresses et stérilités, ains consolez-vous en votre esprit supérieur, et vous souvenez de ce que notre Seigneur a dit : Bienheureux sont les pauvres d'esprit, bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de la justice (Mt 5,5-6).

Quel bonheur de servir Dieu au désert sans manne, sans eau, et sans autres consolations que celles qu'on a d'être sous sa conduite et de souffrir pour lui ! La très-sainte Vierge puisse bien naître dedans nos coeurs, pour y apporter ses bénédictions. Je suis en elle et en son fils tout entièrement vôtre.




LETTRE DCLXXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN COUSIN.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Bordeaux.)

Le Saint s'excuse de n'avoir point répondu plus tôt à une de ses lettres, et lui fait son compliment de condoléance sur la mort de son père. - Garnier lettre 267

Monsieur mon cousin, je puis dire que ce fut sans ma faute que nous laissons retourner votre laquais sans réponse à la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire.

Monsieur Desage fut celui qui me trompa, ayant lui-même le premier été trompé par sa surdité; car il me dit que votre laquais était sorti de la ville le soir, pour faire son parlement plus malin, qui me garda d'écrire comme je devais.

Je suis trop long à faire cette excuse : mais pardonnez-moi ce que je crains, le déchet de l'opinion que vous m'assurez que vous avez de mon affection, laquelle, si elle pouvait croître, s'augmenterait tous les jours, comme vous en faites naître en tout temps de nouveaux sujets, comme est la patience qu'il vous a plu avoir à ma prière à l'endroit de M. de Bellecombe, de laquelle ne voulant plus abuser, monsieur, on ne vous priera point de la continuer plus avant, mais de la voir employer avec votre incommodité et sans leurs profits, puisqu'ils ne s'en sont servis à faire l'appointement que vous désirez. J'ai su le trépas de monsieur votre père mon oncle, bientôt après qu'il fut avenu, et en ressens les afflictions que je devais à l'amitié de laquelle il avait toujours honoré notre maison, et à la perte que vous avez faite, laquelle je sus bien profiter par la mémoire de celle que peu d'années auparavant j'avais faite moi-même sur un pareil sujet. Je n'attendis pas, croyez-le bien, je vous supplie, de recommander son âme à notre Seigneur, que vous m'en eussiez averti; mais lui rendis ce devoir sur-le-champ à la première nouvelle, et n'eusse pas retardé non plus à vous écrire, pour vous faire la cérémonieuse offrande du service de notre maison et du mien en particulier, si je n'eusse su que vous nous croyez tout vôtre pour une bonne fois, sans qu'il soit nécessaire d'en renouveler si souvent les reconnaissances : et quant aux consolations, je sais qui vous êtes, et ma cousine aussi, et laisse au bon Jésus, lequel vous avez en votre esprit, à vous faire cet office. J'en dis de même de M. Duvillars mon cousin.






LETTRE DCXC.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

Remèdes contre la trop grande crainte de la mort. - Garnier lettre 268


Quoiqu'il n'y ait aucun péché aux effrois et craintes de la mort, si est-ce qu'il y a du dommage pour le coeur, lequel, troublé de cette passion, ne peut pas si bien se joindre par amour avec son Dieu, comme il ferait s'il n'était pas si fort tourmenté. Donc, je vous assure que si vous persévérez à ces exercices de dévotion, comme je vois que vous faites, vous vous trouverez petit à petit grandement allégée de ce tourment, d'autant que votre âme se trouvant ainsi exempte de mauvaises affections, et s'unissant de plus en plus à Dieu, elle se trouvera moins attachée à cette vie mortelle et aux vaines complaisances que l'on y prend. Continuez donc en la vie dévote, selon que vous avez commencé, et allez toujours de bien eu mieux au chemin dans lequel vous êtes, et vous verrez que dans quelque temps ces terreurs s'affaibliront, et ne vous inquiéteront plus si fort.

Exercez-vous souvent es pensées de la grande douceur et miséricorde avec laquelle Dieu notre Sauveur reçoit les âmes en leur trépas, quand elles se sont confiées en lui pendant leur vie, et qu'elles se sont essayées de le servir et aimer chacune en sa vocation. Oh ! que vous êtes bon, Seigneur, à ceux qui ont le coeur droit (Ps 36,11) !

Relevez souvent votre coeur par une sainte confiance, mêlée d'une profonde humilité envers notre Rédempteur, comme disant : Je suis misérable, Seigneur, et vous recevrez ma misère dans le sein de votre miséricorde, et vous me tirerez de votre main paternelle à la jouissance de votre héritage : je suis chétive et abjecte, mais vous m'aimerez en ce jour-là, parce que j'ai espéré en vous et ai désiré d'être vôtre.

Excitez en vous, le plus que vous pourrez ; l'amour du paradis et de la vie céleste, et faites plusieurs considérations sur ce sujet, lesquelles vous donneront suffisamment celles qui sont marquées au livre de L’Introduction à la. vie dévote (2), à la méditation de la gloire du ciel, et au choix du paradis ; car à mesure que vous estimerez et aimerez la félicité éternelle, vous aurez moins d'appréhension de quitter la vie mortelle et périssable.

Ne lisez, point ces livres, ou les endroits des livres èsquels il est parlé de mort, de jugement et de l'enfer ; car, grâces à Dieu, vous avez bien résolu de vivre chrétiennement, et n'avez pas besoin d'y être poussée par les motifs de la frayeur et de l'épouvantement. Faites souvent des actes d'amour envers Notre-Dame ; les saints et les anges célestes. Apprivoisez-vous avec eux, leur adressant souvent des paroles de louanges et de dilection : car, ayant beaucoup d'accès avec ces citoyens de là divine Jérusalem céleste, il vous fâchera moins de quitter ceux de la terrestre ou basse cité du monde.

Adorez souvent, louez et bénissez la très-sainte mort de notre Seigneur crucifié, et mettez toute votre confiance en son mérite, par lequel votre mort sera rendue heureuse, et dites souvent : O divine mort de mon doux Jésus, vous bénirez la mienne, et elle sera bénie ; je vous bénis, et vous me bénirez, ô mort plus aimable que la vie ! Ainsi S. Charles, en la maladie de laquelle il mourut, fit mettre à sa vue l'image de la sépulture de notre Seigneur, et celle de l'oraison qu'il fit au mont des Olives, pour se consoler en cet article sur la mort et passion de son Rédempteur.

Faites quelquefois réflexion sur ce que vous êtes fille de l'Église catholique, et vous réjouissez de cela : car les enfants de cette mère qui désirent de vivre selon ses lois, meurent toujours bienheureux ; et comme dit la bienheureuse mère Thérèse, c'est une grande consolation à l'heure de la mort d'être fille de notre mère la sainte Église. Finissez toutes vos oraisons en confiance, comme disant : Seigneur, vous êtes mon espérance (Ps 71,5 Ps 91,9), en vous j'ai jeté ma confiance (Ps 73,28). O Dieu ! qui espéra jamais en vous, lequel ait été confondu (Si 2,11) ? J'espère en vous, ô Seigneur, et je ne serai point confondue éternellement (Ps 71,1).

En vos oraisons jaculatoires parmi la journée, et en la réception du très-saint Sacrement, usez toujours de paroles d'amour et d'espérance envers notre Seigneur, comme : Vous êtes mon père, ô Seigneur! ô Dieu, vous êtes l'époux de mon âme, vous êtes le roi de mon amour, et le bien-aimé de mon âme ! ô doux Jésus, vous êtes mon cher maître, mon secours, mon refuge.

Considérez souvent les personnes.que vous aimez le plus, et desquelles il vous fâcherait d'être séparée, comme des personnes avec lesquelles vous serez éternellement au ciel, par exemple, votre mari et vos enfants. Et ce garçon (direz-vous en considérant votre fils) qui sera un jour, Dieu aidant, bienheureux en cette vie éternelle, en laquelle il jouira de ma félicité et s'en réjouira, et je jouirai de la sienne et m'en réjouirai, sans jamais plus nous séparer. Ainsi du mari et des autres, â quoi vous aurez d'autant plus de facilité, que tous vos plus chers servent Dieu et le craignent. Voyez au livre de l'Introduction à la vie dévote (3), ce que je dis de la tristesse et des remèdes contre icelle.


(2) Première partie de L’Introduction à la vie dévote, ch. xxvi et xxvu.
(3) Quatrième partie, ch. xu.






LETTRE DCXCI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

(Tirée du monast. de la Visitât, de Saint-Denis.)

Il lui recommande la confiance en Dieu dans les croix.

Voilà la lettre, ma très-chère fille, faites-la fermer, et soyez bien ferme en la confiance que nous devons avoir en la providence de Dieu ; laquelle, si elle vous prépare des croix, vous donnera des épaules pour les porter. Vous savez d'où me vient une si grande presse, et, Dieu aidant, en serez bien aise.




LETTRE DCXCII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Les tribulations sont utiles et précieuses aux élus. - Garnier lettre 269

O que Dieu est bon, ma très-chère fille ! Il est vrai qu'il est bon à tous, mais souverainement à ceux qui l'aiment,

Les tribulations sont plus précieuses que l'or et le repos aux âmes que Dieu a choisies.

J'écris à notre soeur supérieure selon votre désir et celui de cette chère fille ; car je ne puis ni ne dois faire autrement; elle sera bien heureuse, cette âme, si elle persévère constamment. Meilleure est une heure es portiques de Dieu, que mille millions es cabinets des pécheurs. Or vous y êtes encore, ma très-chère fille, en ces porches sacrés de notre Seigneur, puisque vous prétendez, et prétendez invariablement, à la conjonction de votre âme à son Dieu, et qu'elle fait la plupart de son séjour au mont sacré du Calvaire.

Dieu soit à jamais au milieu de votre âme, pour l'enflammer de plus en plus de son pur amour, qui est la plus digne et la plus désirable bénédiction de votre esprit. Je suis de tout le mien très-invariablement et parfaitement votre, etc.




LETTRE DCXCIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Le Saint la console sur la perte d'une personne qui lui était chère. - Garnier lettre 270

A la vérité, je ne savais pas, ma très-chère fille, que votre affliction eût si violemment opprimé votre coeur : mais quand je l'ai su, j'eusse volontiers pris résolution d'aller vous porter le mien, et avec icelui toutes les consolations qu'il eût plu à Dieu me fournir. Or, Dieu soit loué de quoi vous vous accoisez tout bellement à la suite de sa divine providence.

Ma très-chère fille, étendez souvent votre vue jusques au ciel, et voyez que cette vie n'est qu'un passage à celle que l'on fait là : quatre ou cinq mois d'absence seront bientôt passés. Que si notre accoutumance et nos sens amusés à voir et estimer ce monde et la vie d'icelui, nous font un peu trop ressentir ce qui nous y contrarie, corrigeons souvent ce défaut par la clarté de la foi, qui nous doit faire juger très-heureux ceux qui en peu de jours ont achevé leurs voyages en ces grandes occasions ; ma très-chère fille, il faut faire voir la grandeur de notre fidélité. Bienheureux sont ceux qui n'estiment jamais avoir rien perdu de ce que Dieu a reçu à sa grâce. Je ferai ce que vous me dites. Vivez toute pour Dieu, ma très-chère fille, et me croyez votre, etc.




LETTRE DCXCIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE VEUVE.

Dessein de Dieu dans les afflictions qu'il nous envoie. Il est important de s'y conformer. - Garnier 272

.Qu'est-ce que fait votre coeur, ma très-chère fille? Notre frère m'écrit que vous avez reçu quelque sorte d'affliction qu'il ne me nommé point. Certes, quelle qu'elle soit, elle me donne bien de la condoléance, mais aussi quand et quand de iâ consolation, puisqu'il dit que Dieu vous l'a envoyée : car, ma très-chère fille, rien ne sort de cette main divine que pour l'unité des âmes qui le craignent, ou pour les purifier, ou pour les affiner en son saint amour.

Ma très-chère fille, vous serez bien heureuse, si vous recevez d'un coeur finalement amoureux ce que notre Seigneur vous envoie d'un coeur si paternellement soigneux de votre perfection. Regardez souvent à là durée de l'éternité, et vous ne vous troublerez point des accidents de la vie de cette mortalité. Ainsi soit-il.

Ma très-chère fille, vous avez toujours part à mes chétives prières ; et tout maintenant je m'en vais offrir votre coeur bien-aimé au père céleste, en l'union de celui de son fils très-aimé, en la très-sainte messe, qui suis invariablement, ma très-chère fille, votre très affectionné, été:




LETTRE DCXCV.

S.-FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Le Saint la console sur des sécheresses spirituelles. La patience et la résignation en sont les remèdes ; elles sont préférables au goût. - Garnier lettre 276


Certes, ma chère fille, ce n'est pas que je n'aie un coeur tout tendre pour vous ; mais je suis tellement tracassé d'encombriers, que je ne puis pas écrire quand je veux : et puis votre mal qui n'est autre chose que de sécheresse et aridité ne peut être remédié par lettre. Il faut en présence ouïr vos petits accidents, et encore après tout, la patience et résignation en est l'unique guérison : après l'hiver de ces froidures, le saint été arrivera, et nous serons consolés

Hélas! ma fille, nous sommes toujours affectionnés à la douceur, suavité, et délicieuse consolation ; mais toutefois l'âpreté de la sécheresse est plus fructueuse : et quoique S. Pierre aimât la montagne du Thabor, et fuit la montagne du Calvaire, celle-ci toutefois ne laisse pas d'être plus utile que celle-là ; et le sang qui est répandu en l'une est plus désirable que la clarté qui est répandue en l'autre. Notre Seigneur vous traite déjà en brave fille, vivez aussi un peu comme cela. Mieux vaut manger le pain sans sucre, que le sucre sans pain.

L'inquiétude et le chagrin qui vous arrive de la connaissance de votre néantise n'est pas aimable: car encore que la cause en est bonne, l'effet néanmoins ne l'est pas. Non, ma fille, car cette connaissance de notre néantise ne nous doit pas troubler, ains adoucir, humilier et abaisser ; c'est l'amour-propre qui fait que nous nous impatientons de nous voir vils et abjects. Or sus, je vous conjure par notre commun amour, qui est Jésus-Christ, que vous viviez toute consolée et toute tranquille en vos infirmités. Je me glorifierai en mes infirmités, dit notre grand S. Paul, afin que la vertu de mon Sauveur habite en moi () ; oui, car notre misère sert de trône pour faire reconnaître la bonté souveraine de notre Seigneur.

Je vous souhaite mille bénédictions. O Seigneur, bénissez le coeur de ma très-chère fille, faites-le brûler comme un holocauste de suavité à l'honneur de votre dilection ! qu'elle ne cherche aucun autre contentement que le vôtre, ne requière autre consolation que celle d'être très-parfaitement consacrée à votre gloire ! Jésus soit à jamais au milieu de ce coeur, et que ce coeur soit à jamais au milieu de Jésus! Jésus vive en ce coeur, et ce coeur en Jésus !




F. de Sales, Lettres 2012